Mondes en construction Réflexions autour des mondes de Nelson
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Mondes en construction Réflexions autour des mondes de Nelson
Mondes en construction Réflexions autour des mondes de Nelson Goodman Un texte de Patrick Gosatti « C’est amusant comment les couleurs du monde réel ne semblent réelles que lorsqu’elles apparaissent à l’écran, comme à Hollywood. » « Une chose est claire : la question ici traitée n’est pas celle des mondes possibles que forgent et manipulent beaucoup de mes contemporains, surtout quand ils habitent près de Disneyland.» Parler d’un monde, le décrire, ou en donner une version correcte consiste à faire un monde. S’imaginer l’existence d’un monde objectif et indépendant de tout discours revient à éliminer virtuellement le monde lui-même. Penser par conséquent à un monde neutre, un contenu non structuré ou un donné pur est une entreprise vouée à l’échec dans la mesure où le langage utilisé pour n’importe quelle description conceptualise et impose des structures constitutives. Notre univers consiste en ces descriptions plutôt qu’en un monde ou des mondes. C’est ainsi que les mondes sont autant faits que trouvés et c’est pour cette raison qu’un monde ne peut pas être séparé de la version qui le décrit, le structure et le constitue en tant que tel. Autant il n’y a pas de monde ready-made, autant il n’y a pas de description standard qui nous informerait sur la manière dont le monde est réellement fait. Le monde n’est pas neutre tout comme l’œil n’est pas innocent. La construction d’un monde ne se fait pas à partir de rien et au contraire, on commence toujours avec des mondes déjà à disposition; faire, c’est donc refaire. C’est justement la réutilisation de versions existantes ainsi que leur réagencement – comme c’est le cas avec la composition et la décomposition, la suppression et la supplémentation – des entités du système à travers la réattribution des étiquettes verbales ou non qui les classifient. C’est ainsi qu’il s’agit moins de faire que de refaire un monde. La réorganisation d’anciennes versions permet donc d’en formuler de nouvelles par la réorganisation des entités d’un monde à travers la modification de sa description. Faire un monde généralement revient soit à diviser la totalité en ses parties constitutives soit à reconstituer la totalité à partir des ses membres, comme dans le cas d’un collage, en laissant apparaître des nouvelles combinaisons et en donnant lieu à des connections inattendues. La représentation considérée en tant que modalité référentielle – qu’il s’agisse d’une description ou d’une dépiction, à savoir une représentation par image – consiste plutôt à classer et organiser les objets qu’à les reproduire fidèlement. Il est dès lors possible concevoir la représentation comme une façon de classer n’importe quelle entité au moyen d’étiquettes imagées de la même manière que nous les classons au moyen d’étiquettes verbales. Finalement, ces étiquettes peuvent être considérées comme des outils d’organisation dont les objets sont dépendants et, du moment que ces derniers sont organisés par un langage, ils sont dépendants d’un cadre de référence ou justement d’une version-du-monde. C’est dans ce sens que représenter revient à schématiser le monde par le moyen d’applications et de ré-applications d’étiquettes appartenant à un système de référence déterminé. En ce qui concerne les multiples versions construites, elles sont indépendantes les unes des autres. Elles peuvent effectivement être mises en relation par des reformulations adéquates, mais elles ne sont en aucun cas réductibles à une version standard ni doivent être considérées comme autant des représentations d’une réalité préexistante. Il n’existe pas de monde tout fait auquel il s’agirait de rapporter nos versions ou interprétations, ni de version à laquelle se rapporteraient toutes les autres. Ce pluralisme écarte de fait toute prétention à trouver une quelconque correspondance, conçue comme critère de vérification et de validation, entre le monde et une de ses descriptions. Plutôt que de déterminer la correction d’une version en la confrontant avec le prétendu monde réel, il est nécessaire d’inverser la démarche en affirmant qu’il est plus approprié de dire que c’est finalement le monde qui dépend de la correction d’une version. Dans ce contexte, élargir la validité de la dénotation – conçue en tant qu’application référentielle d’une étiquette, verbale ou non, à n’importe quelle sorte d’entité ou événement – aux représentations non-linguistiques implique une révision de la notion de vérité. Dans ce contexte il serait opportun de relativiser l’importance de la notion de vérité, considérée comme excessivement restreinte et de préférer la notion plus générale de correction. De fait, la correction du fonctionnement symbolique est une notion qui présente une portée bien plus vaste que celle de vérité dans la mesure où non seulement les énoncés sont sensibles d’être corrects, mais également les images, les œuvres d’art, les diagrammes ainsi que n’importe quel autre symbole. Cela implique d’une part, le rejet de toute possibilité d’élaborer une version fidèle du monde capable de révéler une prétendue objectivité du réel et d’autre part, le refus de formuler un critère de validation d’une description ou d’une représentation en termes de correspondance à l’égard de la réalité. Qu’il s’agisse d’une version scientifique ou d’une représentation artistique du monde, il n’est pas question de déterminer la première comme plus vraie ou plus réelle que la deuxième. Les différentes versions sont indépendantes les unes des autres et elles peuvent effectivement être mises en relation par des reformulations adéquates. Toutefois elles ne sont en aucun cas réductibles à une version standard ni doivent être considérées comme autant des représentations d’une réalité préexistante. […] La fin du texte à suivre au cours de l’exposition et sur: image-mouvement.ch