le dossier autisme
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le dossier autisme
« Il est urgent d’améliorer la situation ! » © Maud Salignat - IME Les Petites Victoires DOSSIER Autisme Que faut-il attendre d’un acte III ? Grande cause nationale 2012, l’autisme est propulsé sur le devant de la scène. On aurait pu rêver représentation plus consensuelle pour que la France rattrape son retard en matière d’accompagnement des personnes avec autisme. A l’heure où les controverses agissent comme écran de fumée, que faut-il attendre d’un 3e plan autisme ? autisme, Grande cause nationale en 2012 ? On ne peut que s’en réjouir tant ces troubles envahissants du développement (TED), en passe de changer bientôt de terminologie pour devenir troubles du spectre autistique (TSA), alimentent encore bien des fantasmes, tant le mystère de l’autisme devient vite l’otage de querelles de chapelles idéologiques, tant les représentations de la personne autiste oscillent entre deux caricatures, le génie et le repli. Mais à vivre la guerre des tranchées et des pétitions qui a secoué la Toile ces derniers mois, on se prend à désespérer de voir l’autisme devenir enfin une cause consensuelle. Au point que certains se mettent à parler de trouble envahissant du système de santé ! Sans rentrer dans le détail du scénario, disons qu’une fois de plus, le débat s’est polarisé entre deux camps, les psychanalystes d’un côté, les comportementalistes, neurosciences et associations de familles, L’ de l’autre. Et ce, alors que paraissait en mars la recommandation de bonne pratique de la HAS et de l’Anesm « Interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent », peut-être autant attendue que l’« Etat des connaissances » en 2010, puisqu’elle ne sera pas sans conséquences sur les moyens alloués aux pratiques recommandées : « les interventions personnalisées, globales et coordonnées fondées sur une approche éducative, comportementales et développementale » . Les esprits étaient déjà échauffés par la proposition de loi de Daniel Fasquelle, le député président du groupe d’études parlementaire sur l’autisme, qui voulait en janvier interdire la psychanalyse dans la prise en charge de l’autisme. Deux gouttes d’eau dans la dernière recommandation ont suffi pour faire chavirer les débats : un passage qui stipule que « l’absence de données sur leur efficacité et la divergence des avis exprimés ne permettent pas de conclure à la pertinence des interventions fondées sur les approches psychanalytiques et la psychothérapie institutionnelle » ; la mise à l’index du packing, une pratique de soins qui veut que la personne autiste soit entourée de linge froid dans les cas graves. La recommandation est loin de se résumer pourtant à cela. Son message essentiel a été occulté (lire ci-contre). Au final, pour nombre d’observateurs, cette cristallisation est dommageable en termes de déperdition d’énergie, à l’heure où il est urgent d’offrir des solutions éducatives aux 5 à 8 000 enfants qui naissent avec un TED chaque année. D’autant que sur le terrain, les clivages ne sont pas si caricaturaux entre professionnels de « cultures » différentes. Mais que le changement de paradigme, en France, est long et laborieux, alors que l’autisme est inscrit au chapitre des troubles du neurodéveloppement depuis des décennies, alors que dès 2004 une évalua- tion de l’Inserm concluait à la « supériorité incontestable des thérapies cognitivo-comportementales par rapport aux thérapies psychanalytiques » ! Ce pourrait être risible si ce n’était les conséquences dramatiques de ce retard français pour les familles laissées seules face à l’éducation de leur enfant. Délais d’attente douloureux Il est une scène en cela éloquente, vécue quelques jours après la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, le 2 avril, qui a vu nombre de monuments éclairés en bleu. Le CHU Robert Debré avait organisé une rencontre ce jour-là avec l’équipe médicale des deux unités d’évaluation-diagnostic de l’hôpital, avec les rares IME et Sessad spécialisés de la capitale. En entendant les intervenants afficher leurs listes d’attente à rallonge, une mère au premier rang, son enfant blotti à ses pieds, ne tient plus : « En attendant, le temps passe et pour ma fille, ce n’est pas une vie ! ». La pédopsychiatre Nadia Chabane ne saurait pas si bien dire quand elle parle de délais # 6 vivrensemble -110- Juin 2012 ce appliquée en perpétuel mouvement », explique Jean-Louis Adrien(1), et il existe beaucoup de nuances entre les nombreux programmes d’enseignements qui s’en inspirent. Plus ancien, le programme TEACCH repose sur la compréhension du fonctionnement de la personne autiste et l’organisation de son environnement pour lui permettre d’entrer en apprentissage. On parle d’éducation structurée. Dans ce programme, communication et comportement sont étroitement liés. « L’objectif à long terme n’est pas de normaliser les enfants mais de les intégrer(1)… ». Développementale, la Thérapie d’échange et de développement, inventée à Tours, utilise une variété de situations et de rituels sociaux à travers notamment des séances de jeux pour développer les fonctions à la base du développement d’une communication (imitation, attention, perception). Parmi les prises en charge intégratives, citons le programme IDDEES, qui vise à mettre en place un accompagnement individualisé de la personne autiste par des psychologues ou accompagnants formés aux principes de l’intervention comportementale intensive (licence professionnelle spécialisée à l’université Paris Neuropédiatre, PHILIPPE EVRARD a piloté la recommandation HAS/Anesm concernant les interventions éducatives et thérapeutiques chez l’enfant et l’adolescent avec autisme ou autres TED. Quel est le rôle de la recommandation que vous avez pilotée ? Il s’agit de contribuer à améliorer sur le territoire français la situation dramatique d’un grand nombre de personnes avec autisme. Il y a urgence car, selon moi, seul un tiers d’entre elles bénéficient aujourd’hui d’aides urgentes et indispensables. Le rôle de la HAS et de l’Anesm, c’est de contribuer à dégager un consensus pour l’utilisation des ressources publiques quand il n’y a pas de vérité scientifique établie. La méthode du consensus raisonné, conforme à ce qui se fait dans tous les grands pays, laisse peu de place à la subjectivité. Elle repose sur une analyse des travaux de recherche clinique, un partage des expériences professionnelles avec les experts et le recueil des attentes et préférences des personnes avec TED et des familles. Nous avons par exemple dû conclure que les prises en charge par des méthodes d’inspiration psychanalytique n’ont pas fait la preuve scientifique de leur pertinence et qu’il n’y a pas en France de consensus pour leur utilisation. Comment expliquez-vous les crispations autour d’elle ? A une époque où des bases organiques de l’autisme n’étaient pas clairement connues, certains psychanalystes en ont fait une maladie exclusivement ou principalement psychodynamique due à la relation entre l’enfant et ses parents. C’était condamner les parents à une terrible double peine. Certains psychanalystes commencent à s’excuser de cette erreur historique. Et la totalité des professionnels, quelle que soit leur « école », attachent une très grande importance aux facteurs affectifs de tous les être humains. C’est sans doute sur ces bases que les polémiques pourront être surmontées. Quels en sont les aspects essentiels ? Quelles sont ces interventions recommandées ? Les programmes à référence comportementale et développementale visent à modifier les caractéristiques comportementales des troubles du spectre de l’autisme et à améliorer par là les compétences de l’enfant pour faciliter son insertion sociale. La méthode d’analyse appliquée du comportement, plus connue sous le signe ABA, fondée sur les principes de la théorie de l’apprentissage, consiste à analyser les comportements et comprendre les lois par lesquelles l’environnement les influence, et ce pour développer et renforcer des stratégies pour en changer. « L’ABA est une scien- Avis d’expert Descartes) et ce dans ses différents lieux de vie (domicile, école ou entreprise). Enfin, certaines techniques de rééducation sont plus ciblées sur la communication, « un domaine d’intervention prioritaire chez les personnes autistes(1) » : le PECS (système de communication par échange d’images) et Makaton (système de communication qui veut favoriser l’oralité en superposant différents modes de communication : parole, signes et pictogrammes). (1) Dans « L’autisme de l’enfant – évaluations, interventions et suivis » (septembre 2011). Editions Mardaga Pour améliorer les pratiques françaises en faveur des personnes autistes, il est d’abord nécessaire que tout enfant, qu’il ait ou non un retard mental associé à un TED, puisse bénéficier, dans les 3 mois qui suivent le diagnostic et si possible avant 4 ans, d’un projet personnalisé d’interventions globales et coordonnées autour de professionnels formés, visant à améliorer l’ensemble du développement de l’enfant : communication et langage, interactions sociales, émotions et comportements, fonctions sensorielles et motrices, autonomie quotidienne. Deuxième élé- ment essentiel : l’attention portée à la place et à la singularité de la famille et de l’enfant dans l’accompagnement. Toute famille qui le souhaite doit être associée à l’élaboration du projet et bénéficier d’un accompagnement spécifique et d’une formation. Quels en seront les effets ? Nous sommes convaincus de l’intérêt des programmes d’interventions les plus récents associant techniques d’apprentissage, stratégies développementales et implication des familles, car à l’aide d’études contrôlées, ces interventions ont montré qu’elles peuvent améliorer le développement de la communication, du quotient intellectuel et de manière plus modérée les comportements adaptatifs de l’enfant. En France, cela implique d’encourager les professionnels à développer ces interventions qui sont encore très peu développées. Nous avons aussi souligné leurs limites : cette amélioration est observée chez environ 50 % des enfants seulement, et les études ne permettent pas de connaître leurs effets à l’adolescence ou à l’âge adulte. C’est pourquoi la recommandation précise les critères de qualité de toute intervention, la nécessité d’un regard pluridisciplinaire sur le développement de l’enfant, la définition avec la famille des acquisitions importantes souhaitées. Le suivi médical est également essentiel pour repérer et traiter les troubles fréquemment associés aux TED. Cela soulève aussi le caractère urgent et indispensable du développement de la recherche visant à mettre au point de nouvelles méthodes médicales, médico-sociales et éducatives et à améliorer l’efficacité des interventions et ce de manière complémentaire à la recherche fondamentale et clinique sur les aspects physiopathologiques. Comment la France peut-elle rattraper son retard ? S’il faut attendre quelque chose d’un 3e plan, c’est la totale fongibilité des ressources sanitaires, médico-sociales et de l’éducation en faveur des personnes autistes, l’instauration d’une formation professionnelle initiale et continue exigeante et contrôlée conditionnant l’activité, ainsi qu’une accréditation pluridisciplinaire rigoureuse des structures professionnelles œuvrant dans le domaine de l’autisme. Les personnes autistes et leurs familles doivent avoir la possibilité de choisir l’équipe professionnelle pour leur enfant. Elles doivent aussi avoir le droit d’assigner l’Etat en justice en cas de « perte de chance ». G vivrensemble -110- Juin 2012 7 # © Maud Salignat - IME La Villa d’Avray DOSSIER Autisme Hypothèses multiples pour dénouer l’énigme « L’autisme de l’enfant a désormais réintégré la médecine qu’il n’aurait jamais dû quitter ». C’est par ces mots que Gilbert Lelord, l’un des pionniers qui, en France, ont démontré que l’autisme de l’enfant est un trouble du développement du système nerveux, introduit le dossier de « La lettre des neurosciences » de fin 2011. Il déplore par là les années d’obscurantisme, la nébuleuse des croyances qui ont entouré l’autisme d’un halo de sacré imperméable aux faits. Difficile de résumer en quelques lignes les avancées de la recherche en neurosciences sur l’autisme qui, en tentant d’expliquer tant ses origines que son fonctionnement, ouvrent des perspectives nouvelles pour des thérapeutiques futures. Disons, avec Catherine Barthélémy, que même si « l’énigme de l’autisme » n’est pas totalement dénouée, les « hypothèses explicatives neurofonctionnelles » sont « de plus en plus consistantes ». Des publications récentes ont permis entre autres une corrélation entre anomalies du fonctionnement de réseaux neuronaux et symptômes de l’autisme : « défaut de réciprocité sociale et activation atypique des systèmes miroirs ; trouble de la communication et anomalie du traitement cortical de l’information auditive ; intolérance au changement et réactivité anormale du cortex cingulaire aux événements inhabituels ». Il s’agit désormais d’identifier les d’attente « d’autant plus douloureux pour les familles quand on dit qu’une intervention éducative précoce » est nécessaire si l’on veut garantir une meilleure intégration sociale à ces enfants, une meilleure qualité de vie à ces familles. Or « l’âge moyen du diagnostic est de 6 ans en France et de nombreux adultes ne sont pas encore diagnostiqués », déplore Jean-Louis Adrien, qui dirige l’équipe de psychopathologie du développement à l’université Paris Descartes. Et ce alors que l’autisme se détecte de plus en plus tôt, son équipe ayant identifié par exemple des signes précurseurs chez des nourrissons de 0 à 6 mois en étudiant des films familiaux. C’est dans ce sens que Robert-Debré a impulsé un programme d’intervention précoce expérimental à destination d’enfants de 18 à 36 mois : il s’agit d’informer les parents, de les former aussi à des stratégies éducatives, d’évaluer le développement de ces enfants tous les trois mois pendant un an. « Nous assistons au bout de 2-3 mois à une modification incroyable dans le fonctionnement des bébés », rapporte Nadia Chabane. L’amélioration du dépistage précoce, ce devait être une ligne forte du dernier plan autisme. Force est de constater, avec les Centres de ressources autisme (CRA), que les délais d’attente sont toujours la règle. « Plus d’un an d’attente, c’est insupportable pour les familles. Il s’agit # 8 vivrensemble -110- Juin 2012 périodes du développement cérébral critiques, les fonctionnements neuronaux cibles. Est actuellement au premier plan, « l’hypothèse d’un défaut de développement et du fonctionnement synaptique », corroborée par les résultats des études génétiques. Les gènes de vulnérabilité aux troubles du spectre de l’autisme, Thomas Bourgeron et Richard Delorme en répertorient 219. Reste cette question centrale, selon Eric Lemonnier : « Comment interagit le programme génétique avec l’environnement lors de la construction du cerveau ? ». Dans le domaine pharmacologique, si aucune thérapeutique n’est validée, certaines études sont prometteuses et ont mis en évidence des « effets qui semblent plus spécifiques sur les troubles autistiques », écrit Frédéric Bonnet-Brihault. Notamment celles concernant le rôle que peut avoir un diurétique pour modifier l’activité du GABA dans la maturation du cerveau ou l’effet bénéfique sur les capacités de socialisation de l’ocytocine, hormone dite de l’attachement maternel. Plus récemment, la piste d’une cure d’antibiotiques comme réponse à une dysfonctionnement immunitaire chez l’enfant autiste a été défendue par le prix Nobel de médecine le Professeur Montagnier. Mais pour l’instant, la validité d’une telle thérapie est loin d’être scientifiquement établie. pour nous aujourd’hui de former des équipes d’évaluation de proximité », rapporte Olivier Masson, directeur du CRA Nord-Pas-de-Calais et vice-président de l’ANCRA (association nationale des CRA). Formations tous azimuts Pour Olivier Masson, le « nerf de la guerre » est bien la formation et la sensibilisation de tous les corps de métiers susceptibles d’œuvrer dans le diagnostic et l’évaluation mais aussi l’accompagnement médico-social, l’insertion scolaire et professionnelle, les soins somatiques… « Un énorme chantier ». Il rejoint en cela les préconisations de Valérie Létard pour relancer le plan autisme : créer un groupe de travail sur la formation et les métiers de l’autisme au sein du Comité national de réflexion et de proposition sur l’autisme. Car le déploiement en régions de formateurs, eux-mêmes formés pour diffuser l’état des connaissances, est un dispositif du plan autisme qui n’a pas encore convaincu. « Les ARS ont recruté des formateurs avant même de déterminer quelles seront leurs actions », juge Olivier Masson. Selon Danièle Artuso, directrice d’Edi Formation, organisme qui, depuis 1988 , propose aux établissements des formations sur les approches éducatives, la difficulté principale dans l’autisme est que « Chaque enfant a un profil différent. Ce qui oblige à l’individualisation extrême de l’accompagnement ». Edi Formation fait partie de ces acteurs de la formation des parents et des professionnels : « Pour les parents, ce sont comme autant de bouées de sauvetage. Cela leur permet de mieux comprendre leur enfant et ainsi d’entrer en relation avec lui. Les professionnels, eux, retrouvent la valorisation de leur fonction éducative à travers leurs succès ». Recherche pour actions Le troisième champ à cultiver, selon le rapport Létard, avec celui du secteur des adultes (lire p.10-11), c’est la recherche. Notamment celles, bien pauvres jusqueici, qui permettront d’évaluer la pertinence des nouveaux modèles d’accompagnement. A peine esquissé avant la présidentielle par Roselyne Bachelot, le 3e plan autisme devrait se traduire par une intensification de la recherche. Les CRA verront leur rôle renforcé dans ce domaine. Ils projettent d’ailleurs une recherche de suivi d’une large cohorte avec l’objectif d’identifier les modalités de prise en charge les plus favorables à une évolution des personnes selon leur profil. Mais le nerf de la guerre, c’est aussi les moyens alloués. Et là, il n’y a qu’une certitude : les 1 000 places prévues en 2012-2013 ne suffiront sûrement pas à rattraper le retard de la France. A quand, donc, un coup d’accélérateur franc et résolu ? G Dossier réalisé par M. S. reportage Un combat permanent Deux IME, deux approches. A l’heure où la méthode comportementaliste dite ABA séduit de plus en plus de parents, visite dans un établissement pionnier : Les Petites Victoires à Paris. A Ville d’Avray, on préfère mixer les stratégies éducatives. Gaëlle* est au tableau avec Sophie pour l’épauler. Elle graphie et déchiffre inlassablement « Petite fille ». Gaëlle a connu une scolarité en intégration, dans une CLIS, avant l’IME. Mais ses attitudes exhibitionnistes l’en ont exclue. Ici, l’équipe tente d’infléchir son comportement. Qu’il soit socialement adéquat. A chaque jour sa petite victoire. « Les Petites Victoires » , c’est le nom de cet IME, pionnier à Paris de la méthode basée sur l’analyse appliquée du comportement dite ABA, supervisé encore aujourd’hui par le Kohai Center de Toronto. A force de coups de rame L’heure de la pause goûter matinale. Dans la salle commune principale, qui ménage toutefois différentes zones et recoins, c’est l’un des actes quotidiens pensés pour booster les apprentissages, favoriser l’autonomie comme la communication. Xavier* et Sébastien* doivent monnayer leur verre de jus d’orange, leur gâteau comme au Monopoly. Répéter ces compétences « qui vont leur servir », jusqu’à ce qu’elles soient intégrées, tel est le but de cette pédagogie du résultat, pragmatique. Mais attention, le but n’est pas qu’ils répètent de manière automatique. « On veut donner du sens aux apprentissages, que le langage leur serve à communiquer et à penser », traduit Isabelle AllardFenaux, médecin de l’établissement, qui est, avec Catherine Milcent, l’une des deux mères également médecins fondatrices de cette école, financée en grande partie par les familles jusqu’à ce qu’elle obtienne le sésame de l’agrément en 2006. Dans un geste de ras-le-bol, Sébastien envoie valdinguer ses tranches de mandarine. « Dans ce cas précis, il ne faut surtout pas faire attention, ramasser sans relever », explique Isabelle devant l’indifférence de l’éducatrice. Il en va ainsi de tout comportement problème à éradiquer : proscrire toute réaction « positive » qui le renforcerait. A l’écart, sous l’œil vigilant de Charlotte, la psychologue, Jules* passe par une de ces crises violentes qui l’amènent à se malmener. L’orage a duré, mais l’aprèsmidi, il est de ceux qui mettent en mouvement leur corps à grand renfort d’encouragements, de félicitations scandées, de stimulations et gestes-récompenses comme l’inénarrable « top là ». Ici, à deux pas de la place Bastille, c’est à une citadelle autrement plus imprenable que celle de la Révolution à laquelle on s’attaque : l’autisme et ses symptômes, ses intérêts restreints et autres stéréotypies. Et ce inlassablement, petits pas à petits pas, à travers chaque acte de la vie quotidienne, à un rythme dare-dare. Au point que la lutte s’apparente à une traversée permanente de l’océan à la rame, une lutte pied à pied contre vents et marées, à force de coups de rame incessants. Le B-A-ba d’ABA, c’est la théorie de l’apprentissage : un comportement suivi de quelque chose de positif pour la personne aura tendance à apparaitre de plus en plus souvent. Tout comportement a une ou plusieurs fonctions qu’il s’agit de décoder, d’analyser pour en changer, avec pour horizon l’intégration, en famille d’abord, en société aussi. Ici, le sur-moi et autres notions psychiques sont inusitées car jugées inutiles. Ici, on préfère privilégier la formation « sur le terrain » à défaut de trouver des professionnels formés. Isabelle écarte pourtant toute vision monolithique d’une méthode, souvent décriée pour être trop intensive, trop rigide, trop coûteuse comme elle chasse tout fantasme du miracle. Pas question par exemple de faire du 1 pour 1 une règle : « Si on veut développer la socialisation, le groupe est nécessaire ». Pas question non plus de dogmes standards : « L’observation, la compréhension de tout comportement, cela demande beaucoup de finesse. A chaque fois, on s’interroge, on fait des hypothèses ». Toujours est-il qu’il y a des fondamentaux avec lesquels on ne badine pas : l’intensité des sollicitations, la répétition de « peu de choses à la fois », l’apprentissage à plein temps. Environnement structuré A la Villa d’Avray, ce jour-là, un artiste est dans les murs, pour apporter sa contribution au défilé auquel va participer l’IME pour le festival Futur Composé. Ici, les activités plus artistiques, plus ludiques ne sont pas dédaignées. Elles viennent en complément des activités d’apprentissage et d’habiletés sociales menées par les éducateurs. Expérimental, cet IME, qui a ouvert en 2011, l’est aussi à sa manière, ne serait-ce que parce qu’il accueille des jeunes qui, au sortir d’hôpitaux de jour et d’IME classiques, se retrouvaient sans solution, mais aussi parce qu’il propose à chaque ado une semaine d’internat en alternance et qu’il se bat pour une présence à 100 % de l’enseignante spécialisée. Ici, on ne se revendique pas d’une appartenance à une méthode – « C’est une réponse éducative que nous utilisons à un moment donné face à une problématique identifiée », dit Alban Roussel, son directeur adjoint, à propos d’ABA – mais la cohérence de l’accompagnement veut qu’il s’agisse bien d’adapter l’environnement, la pédagogie, la communication aux modes de fonctionnement particuliers de ces enfants. Fidèle à TEACCH, cet IME a donc structuré l’espace et le temps, pallié les ruptures de planification, généralisé l’utilisation des pictogrammes... Un de ses credo, c’est aussi l’habituation aux soins, un travail au long cours mené par l’infirmière. Une chose est sûre : aux Petites Victoires comme à la Villa d’Avray, on ne manque pas d’élèves si l’on en croît les listes d’attente grandissantes. G * Prénoms d’emprunt vivrensemble -110- Juin 2012 9 # DOSSIER Monde d’adultes © Maud Salignat - FAM et MAS L’Archipel Autisme à inventer Les adultes autistes ont désormais droit de cité : ils commencent à bénéficier de recommandations de bonne pratique. Quels sont les défis aujourd’hui à relever pour améliorer leur sort ? Réponse à travers l’action de professionnels militants. e ne sais pas si vous vous rendez compte mais c’était la première fois qu’une recommandation de bonne pratique paraissait pour les adultes ! ». Le mot est de Dominique Fiard, psychiatre fondateur du Centre expertise autisme adultes (CEAA), une structure originale du Centre hospitalier de Niort. Nommer l’autisme dans les établissements pour adultes, faire en sorte qu’il y ait une meilleure connaissance de l’autisme de la part des professionnels, imposer l’exigence d’une évaluation pluridisciplinaire et régulière du fonctionnement de la personne… La parution, en juillet 2011, de la recommandation de la HAS sur le diagnostic et l’évaluation chez l’adulte, est de bon augure quant à un changement de culture, un processus en marche. De quoi réjouir des professionnels militants du « comment vivre mieux sa situation d’adulte autiste ». Il faut dire que la situation est critique. Pour s’en convaincre, il suffit de lire le bilan du plan autisme de Valérie Létard : quasiment toutes les mesures qui concernaient les adultes sont tombées en panne. Il est aussi une étude toute récente(1) menée dans trois régions, sans appel quant la réalité de l’accompagnement des adultes : l’offre de services est « habituellement peu spécifique ». « La problématique des adultes autistes encore largement délaissée demande un traitement plus spécifique et un fort engagement », conclut la sénatrice dans son rapport. Ce n’est pas Dominique Fiard qui dira le contraire, lui qui s’est fait le prosélyte d’un environnement harmonieux, garanti par son management. Convaincu que les formations distillées au comptegoutte dans les établissements sont autant de coups d’épée dans l’eau, qu’il est primordial d’instiller au préalable une dynamique institutionnelle. C’est dans ce sens que le CEAA a conçu un outil d’animation institutionnelle qu’il s’ingénie «J # 10 vivrensemble -110- Juin 2012 à disséminer dans les établissements. Un des fers de lance de cette dynamique, c’est l’investigation somatique, souvent complexe. Elle est une des réponses à une problématique centrale des établissements au quotidien : la gestion des crises et autres comportements problèmes. Miraculés du Cèdre Bleu Au Cèdre Bleu, à Chaville, Victor* a bien failli perdre la vie l’année dernière. Victor fait partie de ces résidents de ce FAM spécialisé, l’un des premiers à ouvrir en Ile de France en 1998, qui doivent porter un lourd passé en psychiatrie, de ceux qui ont de violentes crises d’automutilation, au point d’en porter les stigmates. L’année dernière donc, Victor a été sauvé par une intervention chirurgicale du CEAA, qui a réussi à l’opérer sans l’inciser, ce qu’il n’aurait pas supporté. Sylvie Brylinski, la fondatrice et directrice de cet établissement de l’Apei de Sèvres, Chaville, Ville d’Avray, a assez de recul aujourd’hui pour l’affirmer : non, l’équilibre d’un établissement ne se décrète pas, surtout quand il hérite de situations en déshérence, il se conquiert, à force de protocoles individualisés, de formation des professionnels… En un mot, « il faut une cohérence de l’équipe » et de l’accompagnement. Au Cèdre Bleu, l’axe principal est la recherche d’une autonomie maximale de la personne dans son « chez soi » qu’est l’établissement. Il y a d’autres miraculés au Cèdre Bleu, de ces situations paroxystiques que l’établissement a appris à surmonter, des adultes qui ont réussi à percer leur chrysalide. Prenez le cas de Rose*, qui n’en finissait pas de déambuler, sans arrêt pendant 3 ans. A force d’étayages, d’aménagements de l’environnement et de la communication, Rose s’était calmée. Quand elle a replongé, mettant sa vie en danger faute de se nourrir, l’équipe a tenté la fenêtre thérapeutique. Sans neuroleptique, Rose se porte mieux. On le voit, on le comprend : l’accompagnement des adultes autistes les plus lourdement handicapés expose les professionnels à l’épuisement. D’où la nécessité d’un « management particulier ». Contrairement au Cèdre Bleu, la Maison pour l’autisme à Melle (près de Niort) a été conçue dés l’origine pour correspondre architecturalement parlant aux LE « J’AURAIS VOULU ETRE UN ARTISTE » D’ARTHUR Ecoutons-nous assez les personnes avec autisme ou TED ? Sûrement pas à en croire la tribune du Monde de Gabriel Bernot, intitulée « Moi, autiste, face à la guerre des lobbies ». Prenez Arthur, un jeune Nantais de 23 ans. Il est étonnant, Arthur. Il a appris l’anglais en regardant Tex Avery, en entendant chanter les Beatles. Il dessine des histoires en BD et cela lui a valu un prix au festival d’Angoulême. Il fait du théâtre aussi dans une troupe amateur. Mais quand il s’agit de se faire à manger, de prendre les transports, de « ranger le ligne sale », de gérer l’argent et les relations sociales, de faire face aux imprévus..., il est beaucoup plus démuni. N’empêche, Arthur le dit aisément, aujourd’hui qu’il teste différents ateliers en Esat : « Je préférerais un métier plus artistique ». Le plus difficile selon lui, c’est de supporter le bruit des « chamailleries » à l’Esat et il trouve « embêtant que le petit car ne prenne pas toujours la même route jusqu’à l’Esat ». Il a beau être « peu demandeur de liens affectifs » selon sa maman, quand on le questionne sur ses plus grandes joies, il répond : « Quand les copains de l’IME sont venus me voir au théâtre ». « besoins spécifiques » des adultes autistes. La répartition en petites maisons, l’organisation des espaces, l’attention apportée aux qualités sensorielles de l’environnement en font un modèle du genre. Les 45 adultes qui fréquentent L’Archipel chaque jour, de manière temporaire ou à demeure, vivent au rythme soutenu de quatre activités par jour. Ce n’est bien sûr pas le seul ingrédient de la recette pour lutter contre les stéréotypies et autres troubles du comportement : toute la panoplie des stratégies comportementales, des aides à la communication, des approches sensorielles y est déployée. Séverine Recordon-Gaboriaud, la directrice, a même conçu sa propre grille d’évaluation fonctionnelle du comportement. Sans parler de la salle d’apaisement, inscrite dans une procédure que Dominique Fiard qualifie « d’hypostimulation sensorielle ». On le voit : la qualité de l’accompagnement a un prix et une méthode. Sylvie Brylinski va même plus loin : elle a un coût nécessaire. Une association de directeurs d’établissements et services spécialisés en Ile de France, qu’elle préside, a construit un modèle de cahier des charges pour établissements accueillant des adultes autistes. Malheureusement, il y a un hiatus entre ce que les professionnels jugent tout juste nécessaire (un ratio général de 2,5 pour 1) et les moyens accordés par les financeurs : l’ARS d’Ile de France n’a voulu retenir de ce cahier des charges que son aspect qualitatif… Et ce sans parler de la carence en places, flagrante. Ce ne sont pas les 2000 places prévues dans le plan autisme (et non abouties) qui combleront ce vide. Et quelles perspectives offrir aux futurs adultes qui auront optimisé leurs compétences et leur autonomie grâce à des interventions éducatives de plus en plus précoces, alors que les Esat spécialisés dans l’autisme se comptent sur les doigts de la main ? Marge d’innovation Et pourtant, l’exemple de La Pradelle, un Esat des Cévennes, prouve que l’efficience professionnelle des adultes autistes n’est pas un mythe. Et ce à condition, selon son directeur Hervé Bonnin, de trouver des activités adaptées, c'est-à-dire qui favorisent la relation sociale plutôt que de renforcer les symptômes de l’autisme. Exit donc les activités répétitives traditionnelles pour privilégier le service (tourisme et agro-alimentaire à La Pradelle). « Le travail doit être un facteur d’épanouissement ». A condition aussi que le taux d’encadrement soit supérieur à la normale, et donc aux tarifs plafonds ! « Nous avons été en grandes difficultés à cause du gel des dotations ». En matière d’habitat, la marge d’innovation est également béante. Il est dans ce domaine une étude tout fraîche de l’ANCREAI(2). Chargée de recueillir les pratiques, les besoins et les attentes en matière d’offres d’hébergement, elle plébiscite l’habitat regroupé accompagné, selon le modèle scandinave. Elle donne quelques axes et points de vigilance pour développer la pluralité des possibles, proposer aux adultes une palette de choix, du « chez soi » au « vivre ensemble ». G Dossier réalisé par M. S. * Prénoms d’emprunt (1) Etude parue en mars de l’ANCRA (association nationale des CRA) et l’ANCREAI (association nationale des CREAI). (2) « L’habitat des personnes avec TED : du chez soi au vivre ensemble », étude réalisée par l’ANCREAI en 2010-2011. « Recenser nos pratiques » Pour Marie-France Epagneul, présidente de la commission autisme de l’Unapei, l’Union a un rôle à jouer dans l’amélioration de l’accompagnement des personnes avec autisme, tant en quantité qu’en qualité. En quoi les dernières recommandations de bonne pratique de l’Anesm et de la HAS vont-elles changer la situation des personnes avec autisme et leur famille ? Quelles que soient les réticences et débats que l’on observe ça et là, ces recommandations sont très claires et incontournables. Elles doivent être appliquées et elles le seront de façon coordonnée, cohérente, en s’appuyant sur des évaluations. On ne peut que s’en réjouir, car un cadre est maintenant posé, des outils de référence reconnus sont désignés, les professionnels et les familles ne sont plus sans repères. Cela fait partie du rôle de l’Unapei et de sa commission autisme que d’accompagner les parents et les professionnels dans la mise en œuvre de ces recommandations. Et ce dans un contexte budgétairement contraint pour les établissements médico-sociaux. C’est dans ce sens que nous envisageons, en cette année de Grande cause nationale, de publier un guide pratique des recommandations parues depuis 2005, avec leurs messages clefs, illustrés d’exemples. Quels sont les autres chantiers ouverts par la commission ? Nous prévoyons de lancer une enquête pour recenser dans chaque région le nombre de places dédiées aux personnes avec autisme, le ratio d’encadrement pour ces places, les types de prises en charge qui sont mises en œuvre... Et pourquoi pas tisser ainsi un réseau de référents possibles, faire émerger des actions innovantes ou projets de recherche en cours. Cette enquête permettrait de dresser un bilan régional des pratiques, ce qui pourra être utile non seulement aux établissements en passe d’être évalués mais aussi aux associations gestionnaires comme à l’Union, car il s’agit d’impulser une politique nationale de l’autisme, déclinable au niveau régional. En quoi les personnes autistes encore sans solution peuvent-elles être concernées ? L’Unapei est particulièrement sensibilisée aux situations de non prise en charge que vit un nombre important de familles d’enfants et d’adultes avec autisme. Consciente des effets désastreux de cette absence de suivi pour les personnes elles-mêmes, mais aussi des conditions de vie souvent intolérables qui sont imposées à leur famille, elle dénonce cette situation depuis de nombreuses années et continue d’agir tant sur le plan politique qu’en développant la formation et l’information des parents et professionnels, qu’en menant des actions familiales (accompagnement des familles en difficulté, développement de l’accueil temporaire...). vivrensemble -110- Juin 2012 11 #