Date : 25 novembre 2016 Auteure : Michelle Bergeron, étudiante au

Transcription

Date : 25 novembre 2016 Auteure : Michelle Bergeron, étudiante au
Date : 25 novembre 2016
Auteure : Michelle Bergeron, étudiante au baccalauréat en sexologie
Titre: La pornographie, une affaire de gars?
Tapas, talons hauts, bulles et musique d’ambiance : 5 à 7 de filles qui laisse une impression de
déjà-vu. Plus les flûtes descendent, plus les confidences, légères ou profondes, fusent. Ça rigole
jusqu’à ce que la plus prude de la gang siffle son verre avant de nous avouer qu’elle et son mec
regardent pas mal de porn ensemble ces temps-ci. Un malaise vient soudainement enterrer le
brouhaha ambiant. Un silence radio complet s’ensuit avant d’être brisé par Amé, la plus chaudaille
d’entre nous. C’est avec un : « Ben coudonc, Julien est plus wild que je pensais! » qu’elle
redémarre le tempo de la conversation. Un éclat de rire général et une tournée de shooters sont
alors arrivés au bon moment pour nous faire oublier le tout.
En 2016, la pornographie est-elle encore taboue? Au regard
de cette soirée, je n’ai d’autre choix que de répondre oui.
La pornographie est-elle trop taboue pour s'y intéresser scientifiquement? Pas du tout! Sur le
chemin du retour, en sillonnant les rues et les ruelles, je n’avais qu’une seule envie en tête :
démystifier l’expérience de la pornographie des filles qui vivent en couple. L’objet de cette
recherche devait se fonder uniquement sur l’expérience hétérosexuelle, afin de faire écho à mon
aventure qui venait de créer, selon moi, un malaise assez révélateur. Aussitôt entrée dans mon
appartement rue Bélanger, je me suis rivée sur mon écran pour élucider le mystère entourant le
malaise soulevé par Béatrice. Il m’a suffi de quelques mots tronçonnés commençant par la lettre
p et d’un café colombien corsé pour réaliser que plusieurs audacieux en sarraus blancs s’étaient
déjà penchés sur la question. Bonne nouvelle: il n’y a pas que l’amie prude et son mec plus hot
que prévu qui consomment de la pornographie ensemble. Il y en a d’autres comme eux qui
laissent tourner des films XXX en background dans le but d’ajouter du punch et du piquant à leurs
ébats sexuels (Olmstead et al., 2013; Mckee, 2006). Outre l’envie de pimenter les parties de
jambes en l’air, le XXX peut prendre une tangente plus éducative: les acteurs inspireraient chez
certains de nouvelles positions (Olmstead et al., 2013, Mckee, 2006). Quelques-uns se la
joueraient donc plus olé olé en essayant des figures dans un style de Kamasutra new age.
Qui seraient ces spectateurs illicites?
Selon une étude assez récente, les plus grands consommateurs sont les couples qui partagent le
même toit et ceux qui vivent hors de l’union du mariage (Maddox, Rhoades et Markman, 2009).
Les couples qui n’ont jamais osé l’expérience pornographique s’identifieraient plutôt comme étant
traditionnels dans leurs scénarios sexuels et avoueraient avoir une vie érotique peu permissive
(Daneback, Træen et Månsson, 2009).
La pornographie en couple serait-elle la panacée de tous les problèmes sexuels et une pure
révolution du deuxième millénaire? Non, mais les couples qui s’allument devant un Bleu nuit ou
autres scènes cinématographiques du genre présenteraient moins de dysfonctions sexuelles que
ceux où l'un des partenaires préfère regarder ces images seul (Daneback, Træen et Månsson,
2009). Selon la littérature, la version solo du cinéma XXX n’a définitivement pas la cote: la
consommation lourde et solitaire de pornographie par leur partenaire provoquerait chez les filles
une plus grande détresse, une baisse d’estime personnelle et une impression de désintérêt envers
elles (Bechara et al., 2003, Bergner et Bridges, 2002). Cette utilisation solo jugée excessive serait
perçue comme étant une preuve d’insatisfaction sexuelle de la part de leur partenaire (Olmstead
et al., 2013). Les résultats de Doran et Price (2014) et ceux de Daneback et al. (2009) abondent
dans le même sens puisque ceux-ci ont démontré que les femmes vivaient de la colère et des
conflits conjugaux lorsque leur partenaire faisait usage de pornographie seul.
En fait, l’utilisation solitaire de la pornographie, que ce soit
la fille ou le gars qui s’y prête secrètement, serait en réalité
nuisible pour le couple (Daneback, Træen et Månsson, 2009).
Selon l’étude d’Olmstead et son équipe (2013), autant l’homme que la femme s’opposent au plaisir
solitaire alimenté par la pornographie. Ils le percevraient à la fois comme une activité nuisible à
leur intimité et comme une sonnerie d'alarme venant indiquer un problème sous-jacent dans le
couple (Olmstead et al., 2013). Cooper, Galbreath et Becker, (2004) ajoutent qu’il y aurait même
une baisse d’activité sexuelle chez les couples où l’homme en fait usage solo.
La pornographie, une affaire de gars?
Ce ne l’est pas nécessairement. Une étude qualitative réalisée aux États-Unis révèle que près de
la moitié des femmes interviewées accepterait l’usage de la pornographie au sein de leur couple
sous certaines conditions établies dans le but d’éviter la dépendance (Olmstead et al., 2013).
D’ailleurs, celles qui partagent ce petit plaisir coquin avec leur tendre moitié auraient découvert la
pornographie par elles-mêmes (Mckee, 2006). Contrairement à la croyance populaire, ce ne serait
donc pas sous les pressions de leur partenaire que les femmes participeraient au monde
fantasmatique de la pornographie. Les utilisatrices ne se sentiraient pas dégradées ou inférieures
devant les images sexuellement explicites qui sont véhiculées par la pornographie (Bridges et
Morokoff, 2011).
Il y a toutefois une ombre au tableau; selon Bridges et Morokoff, les dames préféreraient de loin
visionner le tout avec leur homme plutôt que de réserver cette activité pour des moments
solitaires. D’ailleurs, ces mêmes femmes qui visionnent de la pornographie avec leur partenaire
pendant l’acte seraient plus satisfaites des relations sexuelles avec leur partenaire et auraient
plus de relations que celles qui ne partagent pas cette activité commune (Bridges et Morokoff,
2011). Maddox, Rhoades et Markman (2009) confirment que d’écouter de la pornographie avec
son partenaire serait plus satisfaisant que d’en écouter seule ou de savoir que son partenaire en
fait un usage solo.
Et la fidélité dans tout ça?
Ici, les résultats sont loin d’être unanimes. Certaines ont tout simplement éliminé la pornographie
du registre de l’infidélité, d’autres s’entendent pour dire que c’en est une forme plutôt tolérable
tandis que les dernières sont catégoriques: l’utilisation de la pornographie est inacceptable
(Olmstead et al., 2013). En cas d’absentéisme prolongé, où les deux partenaires sont dans
l’impossibilité d’unir leurs corps, certains considèrent l’utilisation de matériel sexuel explicite
comme une alternative acceptable et intéressante (Bridges et Morokoff, 2011).
En revanche, des résultats démontrent que les couples qui regardent de la pornographie
ensemble sont plus susceptibles d’être infidèles comparativement à ceux qui n’en regardent pas
ou qui en regardent de façon solo (Maddox, Rhoades et Markman, 2009).
D’un côté plus relationnel, les résultats sont univoques, les filles qui visionnent de la pornographie
se disent plus satisfaites de leur relation que leurs consœurs qui n’en consomment pas (Bridges
et Morokoff, 2011; Daneback, Træen et Månsson, 2009; Manning, 2006). On parle d’ailleurs d’une
meilleure connexion (Olmstead et al., 2013), d’une meilleure solidité relationnelle (Mckee, 2006)
et d’un plus grand dévouement envers le partenaire (Maddox, Rhoades et Markman, 2009). De
surcroît, les abonnés aux chaînes adultes auraient plus confiance en leur partenaire, une
meilleure estime personnelle et plus d’intérêt envers le sexe en général (Bridges et Morokoff,
2011). Toutefois, chez les Canadiennes, écouter des vidéos pornographiques avec son petit
copain n'augmenterait pas nécessairement la satisfaction du couple (Resch et Alderson, 2014).
Tout compte fait, écouter un film XXX en couple serait associé à une sexualité plus ouverte qui
demande la communication de ses fantasmes et de ses désirs (Daneback, Træen et Månsson,
2009; Maddox, Rhoades et Markman, 2009). En effet, regarder de la pornographie ensemble
exigerait un processus de communication qui peut être difficile dans un environnement relationnel
où la sexualité est taboue (Gagnon et Simon, 2011). Des thérapeutes vont même jusqu’à proposer
à certains partenaires de s’abandonner devant une version érotique du 7e art dans le but
d’améliorer leur intimité (Manning, 2006).
La pornographie pourrait donc être une source potentielle de plaisir,
mais son appréciation dépend de son contexte d’utilisation.
En faire un usage commun devant des images où les deux se sentent
à l’aise peut s’avérer être une pratique excitante pour les amants qui le désirent.
Cette chronique n’ayant pas la prétention de répondre à tous les enjeux entourant la pornographie
a tout de même permis d’avoir une vue d’ensemble sur un aspect précis de la consommation de
ces images, soit l’expérience féminine de l’usage de pornographie en couple. L’affaire est en
réalité plutôt complexe dans la mesure où la pornographie n’existe pas au singulier (Mimoun,
2007). Il existe en effet des pornographies diverses par leur type de contenu, mais aussi par les
climats qu’elles peuvent installer chez leurs spectateurs (Mimoun, 2007). De là la pertinence pour
les couples de négocier le type d’images qu’ils souhaitent regarder ensemble (Daneback, Træen
et Månsson, 2009; Maddox, Rhoades et Markman, 2009).
À la difficulté de définir les contours de la pornographie (Mimoun, 2007) s’ajoute l’évaluation
clinique de l’usage de la pornographie qui peut être complexe en raison d’un flou conceptuel et à
une absence de langage commun (Messier-Bellemare et Corneau, 2015). Certains auteurs
comme Cordonnier (2006) et Voros (2009) questionnent les arguments moraux entourant le
potentiel addictif de la pornographie qui pourraient cacher un discours normalisant la bonne
sexualité. Cordonnier (2006) ajoute que la consommation de pornographie n’est pas
nécessairement liée à une dépendance et il invite les cliniciens à voir la pornographie comme
étant un nouveau mode d’expression.
Que ce soit par le biais de la pornographie utilisée dans un contexte consensuel ou par d’autres
fantaisies, le lien érotique du couple gagne à être alimenté chez ceux qui souhaitent préserver le
désir au sein de leur union. À ce sujet, Perel (2006), invite les couples à explorer une sexualité
plus libérée qui allie jeux, sensualité, créativité, plaisirs furtifs et séduction. Elle rappelle que
l’érotisme va au-delà de l’acte sexuel et qu’il y a autant de manières d’entretenir le désir d’un
couple qu’il y a d’amants. Après tout, être acteur ou spectateur, l’important n’est-il pas de jouer?
* À noter que Myriam Pomerleau, finissante à la maîtrise clinique en sexologique, a participé à la
recension et l’analyse des études utilisées dans cette chronique *
Références
Bechara, A., Bertolino, M. V., Casab, A., Munarriz, R., Goldstein, I., Morin, A. et Fredotovich, N.
(2003). Romantic partners use of pornography: Its significance for women. Journal of Sex &
Marital Therapy, 29, p.1-14.
Bergner, R. M. et Bridges, A. J. (2002). The significance of heavy pornography involvement for
romantic partners: Research and clinical implications. Journal of Sex & Marital Therapy, 28, p.193206.
Bridges, A. J. et Morokoff, P. J. (2011). Sexual media use and relational satisfaction in
heterosexual couples. Personal Relationships, 18, p.562-585.
Cooper, A., Galbreath, N., & Becker, M. A. (2004). Sex on the internet: Furthering our
understanding of men with online sexual problems. Psychology of Addictive Behaviors, 18, p.223–
230.
Cordonnier, V. (2006). Cybersex and addiction: Is therapy possible. Sexologies, 15, p.202-209.
Daneback, K., Træen, B. et Månsson, S. A. (2009). Use of pornography in a random sample of
Norwegian heterosexual couples. Archives of sexual behavior, 38, p.746-753.
Doran, K. et Price, J. (2014). Pornography and marriage. Journal of Family and Economic Issues,
p.1-10.
Gagnon, J. H. et Simon, W. (2011). Sexual conduct: The social sources of human sexuality.
Chicago: Aldine.
Maddox, A. M., Rhoades, G. K. et Markman, H. J. (2011). Viewing sexually-explicit materials alone
or together: Associations with relationship quality. Archives of sexual behavior, 40, p.441448.
Manning, J. C. (2006). The Impact of Internet Pornography on Marriage and the Family: A Review
of the Research. Sexual Addiction & Compulsivity, 13, p.131-165.
McKee, A. (2006) The aesthetics of pornography: The insights of consumers continuum. Journal
of Media and Cultural Studies, 20, p.523-539.
Messier-Bellemare, C. et Corneau, S. (2015). Les accros du porno: évaluation, diagnostic (s) et
regard critique. Sexologies, 24, p.35-40.
Mimoun, S. (2007). Petit Larousse de la sexualité. Paris : Éditions Larousse. 952 p.
Olmstead, S. B., Negash, S., Pasley, K. et Fincham, F. D. (2013). Emerging adults’ expectations
for pornography use in the context of future committed romantic relationships: A qualitative study.
Archives of Sexual Behavior, 42, p.625-635.
Perel, E. (2006). L’intelligence érotique. Paris : Robert Lafont. 312 p.
Resch, M. N. et Alderson, K. G. (2014). Female Partners of Men Who Use Pornography: Are
Honesty and Mutual Use Associated With Relationship Satisfaction? Journal of Sex & Marital
Therapy, 40, p.410-424.
Voros, F. (2009). L’invention de l’addiction à la pornographie. Sexologies, 18, p.270-276.
Image :
https://www.flickr.com/photos/slimefarmer/9141266366/in/photolist-eVMo1N6oem3WGEmBT-9vct76-GEmBZ-6g6N9i-4z4DGj-fHzvxf-9fcUpm-k9RC8D-usCzp-4Z8VBz92zToyogek8R-4Cx8Rv-JGZc5h-qMeYnZ-4csVVx-aFkDL1-fgYwy-9aLXfu-7fr9qw-gjWF1f8cHBq1nME68E-i6ycgb-81JzLb-9NEtYQ-ocqmyw-dVZN5f-2hYsBf-nWYaUz-GysvQ-oYKWthdVBGAVdTeLYe-dtnLDt-c9Qvcy-oV9nEw-7BDyqR-7FyJFH-oeavPP-nWYanT-8NMqqnWXNQ1nWXPbG-6P5r5E-ag8iiv-4seKV5-i3ze22