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actualité, info en marge Environ 20% des patients ayant présenté une thrombose veineuse profonde (TVP) spontanée récidivent dans les deux ans suivant l’arrêt de l’anticoagulation orale. La prolongation du traitement anticoagulant est efficace, mais au prix d’un risque hémorragique accru. L’utilisation de l’aspirine dans ce contexte reste mal étudiée. Cette étude multicentrique italienne, randomisée, contrôlée, en double aveugle, a inclus 403 patients ayant présenté un épisode inaugural de TVP spontanée (âge moyen 62 ans), traités par une anticoagulation orale pour une durée de six à dix-huit mois, répartis ensuite en deux groupes, 205 patients traités par aspirine 100 mg/jour et 197 recevant un placebo, pour une période de deux ans prolongeable. Une récidive de TVP a été observée chez 28 des 205 patients sous aspirine versus 43 des 197 patients dans le groupe contrôle (6,6% vs 11,2%/année ; hazard ratio 0,58, IC 95% : 0,36-0,93). Un seul patient de chaque groupe a présenté un épisode hémorragique . Les auteurs concluent que l’aspirine à faible dose est efficace dans la prévention de la récidive de TVP après interruption du traitement anticoagulant oral, sans risque hémorragique accru. Commentaire : Le bénéfice observé est indéniable et marqué, au sein toutefois d’une population sélectionnée de patients, potentiellement à bas risque hémorragique. La question de l’applicabilité de cette méthode de prévention secondaire à un collectif de patients plus général reste ouverte et devrait être confirmée. Les résultats d’une large étude australienne réalisée avec un design similaire sur 822 patients avec un suivi de trois ans devraient être disponibles dans le courant de l’année. Dr Jean Perdrix Policlinique médicale universitaire Lausanne Beccatini C, et al. Aspirin for preventing the recurrence of venous thromboembolism. N Engl J Med 2012;366:1959-67. 1428 58_61.indd 3 Tous les étudiants (en sciences dures) le savent : la sérotonine est une monoamine. Et ils ont tout intérêt à savoir qu’il s’agit, plus précisément, de la 5-hydroxytryptamine (ou 5-HT). Quant à ceux qui ont fini leurs études, ils se souviennent tous (ou presque) que cette monoamine a pour mission principale de neurotransmettre. Accessoirement, ils n’ont pas oublié qu’elle est majoritairement présente dans l’organisme en qualité d’hormone aux effets locaux. Et qu’elle pianote ainsi sur toute la gamme du possible à la fois nerveux et hormonal ; comme ses cousines adrénaline et noradrénaline. C’est ainsi : la même entité chimique sérotonine est à la fois centrale et périphérique. Tous les étudiants savent-ils que la sérotonine est aujourd’hui une sexagénaire ? Et à dire le vrai nous l’ignorions ; du moins jusqu’à la récente réception de la somme francophone 1 qui lui est heureusement consacrée (grâce aux éditions Lavoisier) par 43 spécialistes travaillant en France, au Canada et en Suisse. Sexagénaire puisque c’est à la fin des années 1940 qu’elle est identifiée par l’homme (M. Rapport et V. Erspamer) dans des cellules du tube digestif (où elle fut initialement baptisée entéramine) et dans le sang où elle semblait jouer un rôle vasoconstricteur. Avant d’être retrouvée dans le système nerveux central où elle pouvait notamment entrer étroitement en contact avec le diéthylamide de l’acide lysergique qui allait rapidement se faire un nom (et générer sons et images) sous l’appellation LSD (synthèse chorégraphiée par Albert Hoffman, 1938). Exacerbation de l’humeur voisine souvent avec la dépression d’une intensité comparable. Et ils furent quelques-uns, au début des années 1950, à postuler que la sérotonine pouvait jouer un rôle clef dans l’homéostasie psychique ; ou, en d’autres termes, qu’un déficit en sérotonine cérébrale pouvait être associé aux troubles de l’humeur en général, à la dépression sévère tout particulièrement, cette altération grave qui peut conduire à des suicides qui ne sont pas véritablement l’expression rêvée du libre arbitre. Et ce postulat n’était nullement sans fondements puisqu’on ne tarda guère à établir in vivo que les inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine n’étaient pas dénués de propriétés antidépressives. A commencer par le trop populaire Prozac dont Eli Lilly soufflera sous peu (peut-être, en secret) les quarante premières bougies. «En ce début du XXIe siècle, l’évolution de nos sociétés libérales est dépressiogène au point que l’Organisation mondiale de la santé nous prédit que la dépression sera, dans dix ans, la première cause de morbidité LDD Prévention au long cours de la thrombose veineuse profonde : l’aspirine ! La sérotonine, formidable sexagénaire chez la femme et la deuxième chez l’homme (après les maladies cardiovasculaires), écrit dans une remarquable préface le Pr Michel Hamon (Université Pierre et Marie Curie, Faculté de médecine Pitié-Salpêtrière, Paris). C’est donc, bien évidemment, un sujet récurrent dans les médias, y compris pour stigmatiser l’utilisation abusive (en fait inadaptée) des antidépresseurs inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine (…).» Où l’on en vient médiatiquement à se demander en quoi une consommation inadaptée ne saurait être une consommation abusive. Sujet aux confins de la pratique médicale quotidienne et de l’épreuve de philosophie. Pour ne pas parler des baroques agendas des comités d’éthique. Une autre vérité, comptable, est que la sérotonine n’est présente que de manière infinitésimale au sein du système nerveux central. Elle n’est ainsi produite et utilisée que dans la proportion d’environ un neurone sur un million. Mais le hasard (ou la fatalité) veut que ces neurones sérotoninergiques soient dotés d’une prodigieuse ramification qui fait que leurs projections axonales touchent à tous ces territoires sacrés que sont aujourd’hui le cerveau, le cervelet et la moelle épinière. «Ainsi toutes les grandes fonctions centrales (psychisme, capacités cognitives, expression et régulation des comportements, Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 27 juin 2012 25.06.12 12:06 rythme veille-sommeil et états de vigilance, cellules pancréatiques bêta, partout où elle contrôles des sécrétions endocrines, de l’ho- est le substrat des transglutaminases cytoméostatie cardiovasculaire, de la température plasmiques qui la fixent de façon covalente corporelle, de la motricité, de la nociception, sur des résidus glutamine de petites prode la prise alimentaire et du métabolisme…) téines G de type Rho et Rab, ce qui provoque sont d’une manière ou d’une autre influen- l’activation constitutive de ces dernières et cées par la sérotonine-neuromédiateur, d’où ainsi le déclenchement de divers processus un potentiel d’action pharmacologique très cellulaires comme l’agrégation plaquettaire, vaste pour cette petite molécule» s’enthou- la prolifération des cellules musculaires lisses siasme Michel Hamon. Et de fait, au-delà de la dé- … «Pourquoi tant de multiplicités et de pression, des troubles obses- complexité pour une molécule qui agit sionnels compulsifs et de cer- de façon ubiquitaire ?» … tains états d’anxiété (ceux qui ne sont décidément plus dans le champ de au niveau de certaines artères (cette hyperla normalité), on retrouve cette sexagénaire plasie pouvant causer l’hypertension artécomme cible des actions pharmacologiques rielle pulmonaire) ou encore la sécrétion de visant les algies migraineuses, les côlons irri- l’insuline par les îlots de Langerhans». Ce tables et autres dysfonctionnements gastro- qu’aucun étudiant en médecine, sinon en entériques. Et ce ne sont là que quelques-unes pharmacie, ne saurait raisonnablement et des raisons qui font que l’on peut nourrir de durablement ignorer. déraisonnables passions pour 5-HT comme «Finalement, pourquoi tant de multiplicien témoignent tous les auteurs de cet ou- tés et de complexité pour une molécule qui, vrage de cinq cents pages d’une particulière de fait, agit de façon ubiquitaire dans l’orgadensité. Passions d’autant plus chronophages nisme (…)» se demande Michel Hamon que – tenez-vous bien – la molécule qu’ils et avant de nous dire, enfin, la vérité. A savoir elles chérissent est présente, «internalisée que la sexagénaire a très probablement vu dans les plaquettes sanguines, les cellules le jour il y a quelques dizaines de millions musculaires lisses des parois vasculaires, les d’années. Une preuve ? On la retrouve dans l’ensemble du vivant. Chez l’homme et la tomate, le chimpanzé et la banane, l’écureuil et la noisette. Difficile dans ces conditions de résister au finalisme. Ou au réductionnisme. Signé Benjamin Rolland et Régis Bordet (Faculté de médecine et CHU de Lille), le quatorzième chapitre de cet ouvrage est consacré aux rapports entre sérotonine et hallucinations. On y apprend que, dans une perspective pharmacologique, ces dernières sont généralement perçues comme des anomalies de la neurotransmission. Une preuve ? Les molécules hallucinogènes sont capables d’induire à elles seules (et de manière reproductible) des perceptions délirantes. Question finale : que faut-il raisonnablement voir dans une hallucination consentie : une anomalie neurotransmise ou une extension autoprescrite du domaine du réel ? Jean-Yves Nau [email protected] 1 Sérotonine ; aspects biologiques et cliniques. Ouvrage collectif coordonné par Odile Spreux-Varoquaux. Paris : Editions Lavoisier, 2012. Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 27 juin 2012 58_61.indd 4 1429 25.06.12 12:06