Temps féminin, temps masculin Réflexions sur le corps et le temps
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Temps féminin, temps masculin Réflexions sur le corps et le temps
Formation Santé et Migration 2009 Cycles de vie au féminin CHUV Lausanne, 11 juin 2009 Temps féminin, temps masculin Réflexions sur le corps et le temps Eliane Perrin, Dr en sociologie Prof. HES, Haute école de santé, Genève Chargée de recherche, Consultation de gynécologie psychosomatique et de sexologie Dpt. de psychiatrie, HUG Plan de la présentation 1. 2. 3. 4. 5. 6. Différences entre les sexes et rapport au temps Construction sociale du temps Temps féminin et temps masculin Luttes pour l’égalité des sexes Médicalisation de la sexualité et de la reproduction Conclusions 1. Des corps sexués: différence universelle La différence des sexes est au fondement de toute pensée, aussi bien traditionnelle que scientifique. Le corps humain présente un trait remarquable, et certainement scandaleux, qui est la différence sexuée et le rôle différent des sexes dans la reproduction. Il s'agit là du butoir ultime de la pensée. (Françoise Héritier, Masculin/ Féminin, p.19-20) Constructions sociales sur la différence des sexes • Sur la base de cette différence anatomique, toutes les sociétés, toutes les cultures, ont construit une organisation sociale hiérarchisée, étendant cette différence à d’autres domaines que celui de la reproduction. • Cette organisation sociale hiérarchisée est presque toujours défavorable aux femmes. C’est ce que Françoise Héritier appelle « la valence différentielle des sexes ». Des rapports au corps et au temps différents Dans leur rapport au temps de la vie, hommes et femmes sont sur des orbites différentes: • le temps est inscrit dans le corps féminin et se marque sur lui alors que • le temps semble ne laisser que des traces sur le corps masculin Un temps inscrit dans le corps des femmes Tout se passe comme si les femmes avaient avalé une pendule: • leurs premières règles leur signifient qu’elles sont passées de l’enfance à l’âge adulte, qu’elles le veuillent ou non • puis les règles (ou leur absence), les grossesses, les fausses-couches et les avortements ponctuent leur temps pendant toute la période de procréation • enfin la disparition des règles leur indique qu’elles entrent dans la dernière partie de leur vie Un temps flou et incertain pour les hommes Comme l’a écrit Bruno Bettelheim: À diverses reprises, les garçons nous confièrent l’envie qu’ils portaient aux filles, qui, elles, du moins, savaient, avec leur première menstruation, qu’elles avaient grandi sexuellement. Les garçons, ils le sentaient bien, ne pourraient jamais acquérir pareille certitude. (Bruno Bettelheim, Les blessures symboliques, p. 29) Un temps flou et incertain pour les hommes Comment les garçons peuvent-ils savoir qu’ils sont devenus des hommes ? • les premières érections n’attendent pas la puberté • certains ont le voix qui mue, d’autres pas • l’apparition de la barbe, mais certains n’en ont quasi aucune… Ce passage doit donc leur être signifié socialement, plus ou moins arbitrairement et abstraitement. 2. La construction sociale du temps Les sociétés et les cultures répondent à cette question de manières diverses: • Dans de nombreuses sociétés traditionnelles par l’instauration de rites de passage, au cours desquels les garçons sont soumis à des épreuves parfois très dures (marques sur le corps où le sang coule, etc.). • Le moment de ces rites est souvent fixé par le moment où les filles de leur génération ont leur premières règles. • Le temps des femmes sert de référence au temps des hommes. La construction sociale du temps Dans nos sociétés occidentales, le passage au statut d’adulte varie constamment. Il est défini de manières diverses : • La majorité légale est définie par l’âge. Elle est régulièrement repoussée à un âge plus tendre (20 ou 21 ans dans les années 60, 18 ans, voire à 16 ans aujourd’hui) Elle correspond à • la responsabilité civile de ses actes • au droit de vote pour les hommes et les femmes • à l’obligation de faire son service militaire pour les hommes. Selon les pays, les femmes ont la même obligation ou le droit ou l’interdiction de le faire. La construction sociale du temps D’autres définitions coexistent: • la majorité sexuelle est fixée à 16 ans (cf. loi sur l’avortement, par ex.). Souvent définies par des normes généralement admises et plus élastiques: • la fin de la scolarité, qui tend à s’allonger • le passage du permis de conduire • l’autonomie économique Signalons aussi le marqueur social de l’entrée dans la 3ème partie de la vie : • le départ à la retraite à un âge variable selon la conjoncture économique. 3. Temps féminin et temps masculin Le corps des femmes instaure un rapport au temps différent de celui des hommes: • Marqué par des points forts, des certitudes intérieures, le temps féminin apparaît comme irréversible. Il a un sens, une direction. • Inscrit dans un continuum parsemé de sensations (de fatigue, de diminution d’énergie, …) le plus souvent considérées comme subjectives et passagères. Le temps masculin apparaît comme réversible. •Il permet aux hommes d’entretenir une illusion formidable, celle d’avoir tout le temps, d’être éternel, immortel. Temps féminin et temps masculin • Le temps des femmes leur est signifié de l’intérieur, par leur corps physique, biologique. • Le temps des hommes leur est signifié de l’extérieur, par les montres et les anniversaires, par leur femme qui arrive à la ménopause, par un ami du même âge qui a un grave problème de santé, qui meurt d’un infarctus, … Ces temps sont différents mais pas indépendants: • les enfants, leurs anniversaires, leur passage à l’âge adulte, leur départ de la maison, la naissance de petits-enfants sont des marqueurs du temps des hommes comme des femmes. Temps féminin et temps masculin Ces temporalités différentes ont des conséquences multiples sur les rapports entre les hommes et les femmes, au sein des couples: • les femmes sont impatientes, pressées, « dramatisent » lorsqu’elles n’ont pas d’enfant autour de 35-40 ans ou quelles en souhaitent • alors que les hommes ont « tout le temps », sont enclins à différer, à remettre à plus tard (enfants, voyages, …) • les hommes considèrent qu’ils peuvent faire des enfants pratiquement jusqu’à un âge canonique. 4. Luttes pour l’égalité des sexes Deux types de luttes sociales se sont entremêlés inextricablement au cours de l'histoire : Au nom de la différence des sexes dans la reproduction, en termes de conséquences physiques, psychologiques et sociales entre hommes et femmes • à court terme (9 mois de grossesse, risques à l'accouchement, durée de l’allaitement, …) • à long terme (élever un enfant avec ou sans partenaire, interrompre ses études, son travail, diminuer son temps de travail, renoncer à une carrière, …). Luttes pour l’égalité des sexes Ces luttes ont visé : • le congé maternité • le droit à une retraite entière pour les mères au foyer • la reconnaissance du travail ménager et éducatif • le droit de décider d’avoir ou non des enfants, de choisir le moment • le droit à l’avortement et à l’accès libre et gratuit à la contraception Luttes pour l’égalité des sexes Au nom de l’égalité des sexes : • le droit de vote, de conduire une voiture, d’avoir un compte en banque lorsqu’une femme est mariée • la possibilité de poursuivre des études, d’exercer des professions traditionnellement masculines, l’égalité des salaires, l’instauration de quotas à l’embauche • de pratiquer tous les sports • le partage des tâches domestiques • le congé paternité • la liberté sexuelle, avant et hors mariage 5. Médicalisation de la sexualité et de la procréation Le processus de médicalisation de la sexualité et de la procréation a joué et joue un rôle important dans la lutte pour l’égalité des sexes. Il modifie sans cesse les rapports au corps et au temps en diminuant, en effaçant ou en camouflant les marqueurs biologiques du temps. Dans le domaine de la sexualité et de la contraception : • les méthodes contraceptives modernes ont permis de dissocier sexualité et procréation de telle sorte qu’il est devenu possible d’éviter la plupart des grossesses non voulues et de planifier les naissances. Médicalisation de la sexualité et de la procréation Actuellement, certaines méthodes contraceptives hormonales permettent : • d’avoir des règles à la carte (pilule saisonnière) • de les programmer à sa guise • de les supprimer pendant plusieurs mois (DepoProvera) ou plusieurs années (implant) • Selon certains auteurs, les règles sont devenues obsolètes (Dr Elsimar M. Coutinho) Grâce à divers traitements hormonaux, la ménopause ne signifie plus la fin de la vie sexuelle pour les femmes. Médicalisation de la sexualité et de la procréation Le droit des femmes à l’avortement jusqu’à 12 semaines de grossesse sous contrôle médical leur permet d’échapper à leur destin biologique sans risquer leur vie. Médicalisation de la sexualité et de la procréation Dans le domaine de la procréation, les techniques de procréation médicalement assistées (PMA) permettent de répondre : • à l’impatience des femmes dont la fécondité est diminuée par l’âge • aux couples dont l’un est stérile, aux femmes seules et aux couples homosexuels d’avoir des enfants grâce aux dons d’ovocytes et de sperme ainsi qu’au recours à des mères porteuses • aux femmes ayant dépassé la ménopause qui souhaitent avoir des enfants. Médicalisation de la sexualité et de la procréation Enfin, dans le domaine du corps des apparences la chirurgie esthétique et quantité de traitements permettent au femmes d’avoir l’illusion de ne pas vieillir, comme les hommes. 6. Conclusions Notre rapport au corps se modifie rapidement d’une génération à l’autre. Cette évolution se caractérise par : • un rapport de plus en plus instrumental et par une volonté de contrôle total de la machine grâce à la science et à la médecine. Comme le dit David Le Breton: « Nos corps et ceux de nos futurs enfants sont des brouillons que nous sommes censés corriger sans cesse. » (L’Adieu au corps) • et un effacement de la temporalité biologique des femmes qui tend à se rapprocher de celle des hommes. Merci de votre attention ! Quelques références • Nathalie Bajos, Michèle Ferrand et l’équipe GINÉ, De la contraception à l’avortement. Sociologie des grossesses non prévues. Ed. Inserm, Paris, 2002. • Bruno Bettelheim, Les blessures symboliques. Ed. TEL Gallimard, Paris, 1971. • Luc Boltanski, La condition fœtale. Ed. Gallimard, Paris, 2004. • Geneviève Delaisi de Parseval, Famille à tout prix, Ed. du Seuil, Paris, 2008 • Erving Goffman, L’arrangement des sexes. Ed La Dispute, Paris, 2002. • Maurice Godelier, Métamorphoses de la parenté. Ed. Fayard, Paris, 2004. • Françoise Héritier, Masculin/Féminin. Ed Odile Jacob, Paris 1996. • Françoise Héritier, Une pensée en mouvement. Odile Jacob, 2009 • David Le Breton, L’Adieu au corps Ed. Métailié, Paris, 1999.