Le Point : Ces chirurgiens qui font des miracles

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Le Point : Ces chirurgiens qui font des miracles
Date : 17/04/2014
Pays : FRANCE
Page(s) : 76-79
Rubrique : SOCIÉTÉ
Diffusion : 399243
Périodicité : Hebdomadaire
Surface : 351 %
quifont
Ces
chirurgiens
Technologie.
L'imagerie
médicale permet
désormais d'inter
venir en douceur
à l'intérieur du
corps. Révélations.
PAR
ANNE
JEANBLANC
comptezde i à
Madame,
10.» Hormis sa voix
faible,lesilenceestto
tal dans le bloc opératoire. «Re
commencezplus lentement» Plu
sieursfois,cettesportivede 40ans
refait l'exercice,puis d'autres. Car
le comptage,le calcul mental, la
verbalisation de souvenirs et la
reconnaissanced'imagessontpri
mordiaux pour ledocteur Pallud,
du service de neurochirurgie du
centre hospitalier Sainte-Anne, à
Paris.Tout comme l'annonce de
fourmillements ou de douleurs
musculaires, car le neurochirur
giena besoinde tout savoirpour
se diriger vers la malformation
vasculaire qu'il doit extraire du
cerveaude sa patiente, qui subit
l'opération éveillée.
Derrièreun champ opératoire
vertical,JohanPalludavancemil
limètreparmillimètreendirection
du cavernome (c'est le nom de ce
type de lésion) dont souffrecette
femme.Son regardva en perma
nencedesécransaffichantàlafois
les images préopératoires et la
pointedesesinstruments aucrâne
ouvert devant lui. Comme dans
unesurréalistebataillenavaledont
il serait le seul joueur, aprèsavoir
placé des lettres (pour baliser la
Chaque année, 150 malades
bénéficient en France d'une
chirurgie éveillée du cerveau.
zone d'intervention), il met des
chiffres(pourlespassagesàéviter).
Et finit par retirer cette lésion de
près de 3 centimètresde diamètre.
Lespremiers symptômes, Ma
dame B.les a ressentis peu avant
lafin d'une longue courseà pied.
Malgréun trèsviolentmal detête,
ellea terminé l'épreuve.Unefati
Fluoptics
gueanormaleet destroublesdela
vision l'ont amenée à consulter
quelquesjours plustard.Ellefinit
parpasserunscanneretseretrouve
directement amenée à l'hôpital
Sainte-Anne. Son cavernome
ayant saigné, il fallait attendre
que l'hématome se résorbeavant
de l'enlever, pour éviter toute
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desmiracles
Consciente.
Afinde
guiderlechirurgien
verssa lésion,cette
patiente,atteinte
de cavernome,
reste
éveilléedurantl'inter
ventionsursoncer
veau.Ellen'aétéanesthésiéequeletemps
d'ouvrirsoncrâne.
Imagerie de
fluorescence
Permettreauchirur
gien de repérer à
nu, et surtout
pendant l'opération,
toutes lescellules
cancéreusesà retirer
afin delimiter le
risque derécidive
est l'objectifde
nombreuseséquipes
de recherche.Parmi
les pionnières,la
sociétéFluoptics
propose d'injecter
au malade,la veille
de l'intervention,
un marqueurfluo
rescent qui sefixe
sur les cellules
tumorales.Ilsuffit
alorsd'utiliserune
caméraspécifique
pour lesdistingueret
définirla marge de
résectionoptimale
autour de latumeur.
l'œil
nouvelle hémorragie. Elle, la marathonienne, s'est préparée à l'in
tervention comme à une compé
tition. Une semaine plus tard,
encore épuisée par les efforts
fournis, elle se plaignait d'un
mal de tête persistant, mais elle
avait recommencé à marcher.
Comme l'avait annoncé le chirur
gien, elle « tramait la patte» et res
sentait des fourmillements dans
la main droite. Au bout d'un mois,
Madame B. contrôle mieux sa
jambedroite. Elle seplaint su rtou t
d'une très grande fatigabilité,
intellectuelle comme physique.
De telles prouesses ont été ren
dues possibles par les immenses
Fluoptics
progrès en matière d'imagerie mé
dicale. Car,s'il est possible depuis
longtemps de visualiser une tu
meur, de la localiser précisément
dans le cerveau (au moyen de re
pères fixes sur la boîte crânienne),
les techniques permettant de
l'aborder en évitant au maximum
de léser les zones sensibles sont
plus récentes. Et s'affinent en per
manence. Aujourd'hui, c'est no
tamment grâce à l'IRM fonction
nelle que les chirurgiens étudient
l'itinéraire optimal avant d'opérer,
pour éviter de perturber la vision,
la parole, la mémoire ou la motri
cité de leur patient. Parfois, ils
sollicitent directement son aide.
Actuellement, environ 150 maladesbénéficient, chaque année dans
notre pays,d'une chirurgie éveillée
du cerveau (le chiffre progresse
rapidement). Leplus souvent pour
des cancers. Anesthésiés le temps
d'ouvrir leur crâne, ils deviennent
ensuite des partenaires actifs de
leur intervention, sans souffrir,
puisque le cerveau est insensible
à la douleur.
Cryothérapie, radiof réquences, laser et ultrasons. Les
victimes d'épilepsie particulière
ment rebelle aux traitements com
mencent aussi àbénéficier de cette
neurochirurgie guidée parl'image.
Les«foyers » étant visibles àl'IRM,
les neurochirurgiens - également
guidésparlesindispensablesdonnées del'électroencéphalogramme
- peuvent désormais les détruire
de façon très sélective.
Dansle domaine viscéral -par
ticulièrement le traitement des
cancers du foie, du rein, du pou
mon... -, la révolution est tout aussi
impressionnante. «Aujourd'hui,on
voit à travers la peau de nos b.b
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malades,expliquele profes
seur Afshin Gangi, qui dirige le
servicede radiologieinterventionnelle du CHUde Strasbourg.Avec
la radioscopie,
lescan
l'échographie,
ner,l'IRMetle PETScan,onobtient
desinformationsa lafois morpholo
giquesetfonctionnelles.Et onpeut
certaines
égalementfusionner
images,
cequiaugmenteencorelaqualitédes
»
donnéesdisponibles.
Pour détruire les tumeurs de
petitetaille(dans l'idéal, cellesde
moinsde 3centimètres),lesradiologuesinterventionnels ontleurs
recettes.Globalement,ilspeuvent
lescongelerou lescuire,encontrô
lant en permanence les effetsinduits.Lacryothérapie.toutd'abord,
consisteà placerun certainnom
bre d'aiguillesréfrigérantesdans
la tumeur. Elles font baisser la
température locale à - i8ocC;les
cellules n'y résistentpas et la tu
meur finit par disparaître. Mais
onpeut aussiutiliserlesradiofré
quences.Là,c'estl'équivalentd'une
plaque d'induction: un courant
électriquealternatifcuitles cellu
les indésirables,qui seront peu à
peu éliminéespar l'organisme.Le Sentinelle.Danscettecimentoplastie,AfshinGangiet sonéquipe
micro-ondesdonneaussi debons réparentunedoublefracturedu sacrumensuivantsurl'écran
il afallu
résultats,toutcommelesultrasons duscannerlaprogressiondesinstruments.Auparavant,
focalisés.Quant aux lasers,ilsdé fairepénétrerlacanuleservantà injecterleciment.
truisent par la lumière.
«Lacimentoplastie
estégalemen
t
Guidage radiologique. « Ces
utiledanslesfracturespar compres
techniques
guidéespar l'imageper
sion»,rappelleAfshin Gangi,un
mettentd'éviterla chirurgieet les
des meilleurs spécialistes mon
diaux dansle domaine,juste après
chimiothérapies
lourdes,se félicite
Afshin Gangi. Aujourd'hui,nous Tumeur, le
avoirréaliséunetelleintervention
intervenonsen boutde chaîne,car portrait-robot
chezune dame âgée qui souffrait
nousmanquonsderecul.Mais,vunos L'IRM
apporte
beaucoup aprèsune doublefrac
ture du sacrum.Encorerevêtud'un
résultats,lesindicationsdevraientse désormaisdesnon
multiplier.»Lesradiologuesinter- informations
tablier, d'une bavette (devant sa
sur la
ventionnelsont un recul bien su seulement
morphologie
d'une glande thyroïde),delunettesetde
périeur dans le traitement des tumeur,lesvaisseaux gants plombés pour le protéger
tumeurs osseuses,qu'ellessoient quilanourrissent desrayonsXsous lesquelsila tra
malignes(cancerprimitif oumé maisaussisurson
vaillé,il explique:«Nouspouvons
et
remplirune boîtedechaussuresqui
tastase) ou bénignes.Car, même métabolisme
sonagressivité s'esttasséeparce
dans ce dernier cas, il existe des donc
qu'ona marchédesproduits
formestrèsagressiveschezlesjeu (différents
mais
pas
recollerune
branche
sus,
decontrastesont
nes; elles progressent très vite, injectésen fonction cassée.Bref,çane marchepaspour
déformentl'osetoccasionnentdes desbesoins).Quant lesoslongs,alorsquelesbénéfices
sont
réelsquand lesproblèmestouchent
douleurs. On sait désormais les à l'IRMfonction
elle lesosplatscommelaclaviculeoules
détruire grâce au laser (sous nellecérébrale,
àdéterminer
»
contrôlescanner)puis consolider sert
leszonesdecerveau vertèbres.
l'os en y injectant un ciment spé impliquéesdans
D'autre part, les radiologues
cial,qui polymériseet doncseso toutesnosactivités interventionnels emploient très
souvent la voievasculairepour se
lidifierapidement.
quotidiennes.
■■.
Fluoptics
déplacer dans le corps et arriver
«sur zone». Leurpoint de départ
estengénérall'artèrefémorale,au
niveau du pli del'aîne.Leurregard
est, là encore,rivésurl'écran,pour
suivre la progressiondeleursins
truments. Lepremierpoint d'ar
rivée,chronologiquement,a étéle
La fameuse dilatationdans
les artèrescoronairesest devenue
une alternativeaupontagedepuis
plusieurs décennies.
«Nousavonsbesoind'unguidage
radiologique
parfaitainsiqued'une
boîteàoutilscontenantuncathétera
cœur.
ballonnetetdesendoprothèses,ZTCù\i-
que, avecun léger accent toulousain.leprofesseurLouisBoyer,qui
est le responsabledu pôle de ra
diologie du CHUde Clermont- i
Ferrand.Leballonécraselaplaque \
ilcréeunpetitanévrisme,\
d'athérome;
unesortede hernie,enpoussantlesi
murs.Onnepeulpasfaireçaal'aveu\
gle.Si leballonest troppetit, ça n'a i
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Là VertebrOPldStie
eil llî1d9eS
1- Lesimages
montrentlafracture
parcompression
d'unevertèbre
lombaire.
Lepatient,unhomme
de27ans,vientdefaireunechuteenparapente.
Il remarchera
dèslelendemain.
2 - Deuxstentssontmisenplace
sousle plateau
vertébralfracturé,
souscontrôlescopique.
aucuneffet;s'ilétait tropgros,le ris
que serait défaire exploserl'artère.
Parfois,il est nécessaired'utiliserdes
fraises, deslaserspourrecanaliserle
vaisseau.Ensuite, onmet un stent,
»
sortederessortpourlegarderouvert.
Les médecins interventionnels
débouchent aussi très fréquem
ment desartèresrénales,digestives
et desmembres.
Une chirurgie plus légère. A
l'opposé, les médecins peuvent
aussi entraver la libre circulation
du sang, en général à la demande
d'un chirurgien confronté à une
tumeur très volumineuse. Ilsdoi
vent alorsboucher(emboliser) les
vaisseaux quiviennent lanourrir,
pour l'affamer. Sa taille diminue
rapidement, cequi rend l'ablation
chirurgicale plus facile et moins
hémorragique.Parfoissimplement
possible.
3 - Unepression
dixfoissupérieure 4 -Cetyped'intervention
doitêtreréalisérapidement:
moins
à celled'unpneudevoitureest
nécessaire
pourdéployer
lesstents. deseptjoursaprèsl'accident.
«C'est le cas pour certainestu
meurs dufoiequisontmalplacéeset
qui occupentunvolumetrop impor
tant, explique le docteur Pascal
Chabrot, radiologueà l'hôpital de
Clermont-Ferrand.Uneinjection
de
produitdecontrastenouspermetde
visualisertouteslesbranchesartériel
lesde l'aorte et d'identifiercellequi
mèneà la tumeur,quel'ondoitobtu
rer.» Dans certains cas, les méde
cinsprofitent de ce cathéter pour
injecter dans le foieun produit de
chimiothérapie avant deboucher
l'artère. Cela augmente le temps
de contact du médicament, donc
son activité, et diminue ses effets
secondaires.
Autremission :comblerun anévrisme(quirisquederompre),qu'il
siège sur la paroi de l'aorte, dans
le pancréas, le cerveau ou n'im
porte où ailleurs. Autant de gestes
qui nécessitaient jusqu'à présent
Trouver
l'intrus
C'estun scanner
associéàlamédecine
nucléaire.Les
gamma-caméras
dé
tectentlesproduits
radioactifsqui,après
injection,sefixent
surlatumeur.C'est
parexemplelecas
duglucoseradioactif
(puisquelamajorité
descancersconsom
mentdu sucre).La
machinesuperpose
ensuitelesimageset
montreprécisément
l'emplacement
destumeursqui
«brillent».
«transparent»
Lepatient
l'enceinte du CHUde Strasbourg. Cela
permetaux chirurgiensdepréparerleurs
Leséquipes qui travaillent dans
interventions,voirede trouverdesrepères
le domaine de l'imagerie médicale ne
pendant l'opération.Grâcea cetrès récent
manquent pas d'imagination. L'Institut service,appelé"visiblepatient", le
de recherche contre lescancers de
nombredemaladessouffrantd'uncancer
l'appareil digestif, à Strasbourg,
dufoieoudupoumonjugésopérables
propose désormais une cartographie
pourrait a ugmenter de2096.»
des patients aux médecins qui en font
Laprochaine étape sera celle de la
la demande. «Noustransformonsles
fusion des images préopératoires ob
imagesscannerouLRMreçuesenmodèle tenues et de celle du corps humain sur
lequel leschirurgiensou lesradiologues
3D, cequirendpossibleslediagnostic
etla localisationexactede tumeursou
interventionnels travaillent. C'est très
d'éventuellesanomaliesanatomiques
difficile,parce que le corps, avec la
invisiblesen 2D,explique LucSoler,
respiration,bouge en permanence et se
directeur recherche et développement déformeun peu selonla position, voire
de ce centre ultramoderne situé dans
le geste du chirurgien. Et pourtant,
Fluoptics
une chirurgie souvent lourde. Dé
sormais, les spécialistes les rem
plissent le plus souvent avec des
coils - brins métalliques qui
s'entortillent dansla «poche »- ou
avecdesballonnets. Siî'anévrisme
esttrop allongé,unstent peut faire
l'affaire. «Avec un cathéterrempli
degélatine,onstoppefacilementune
hémorragiede la délivrance[après
l'accouchement], cequiévitedere
tirer l'utérusde centainesdefemmes
jeuneschaqueannée,ajoute Boyer.
Onpeutsauverlarate aprèsuntrau
ces
matismeettraiter lesvaricocèles,
varicesdela verge,en évitant lesris
quesd'infertilitéliésà lachirurgie.»
Lesexemplessont très nombreux.
Demain, de nouvelles techno
logiesfaciliteront encoreles inter
ventions à l'intérieur du corps
humain, devenutransparent sous
toutes lescouturesetopérablesans
laisser de cicatrices m
la réalité augmentée estpour demain.
«Endéplaçantsimplementla main à la
surfaceducorpsd'un malade,onpourra
bientôtvisualisertoutcequ'ily a en
dessous,en3D.Il seramêmepossiblede
choisirlesanglesde vision»,annonce
Afshin Gangi. «Bientôt,leschirurgiens
disposerontd'un GPSaffichésur leurs
lunettes,poursavoirenpermanenceoù
ilssontet lemeilleuritinérairea suivre»,
affirme LucSoler.Cesdeux exemples
montrent que l'avenir de la chirurgie
guidée par l'image passe par
Strasbourg.Mais ils ne doivent pas
faireoublier lesavancées obtenues
par de nombreuses autres équipes de
recherche m
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