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Mardi 29 janvier 2013 19h : concert Medine 20h : dialogue Boniface / Medine Don’t Panik en d'autres termes « n'ayez pas peur », est à la fois un slogan et un livre écrit à quatre mains qui vient de paraître aux éditions Desclée de Brouwer. Sans tabous, Pascal Boniface, directeur de l'Institut de recherches internationales et stratégiques et Médine, chanteur de rap, évoquent nombre de sujets sensibles : stigmatisation des musulmans, islamophobie, antisémitisme, dérives politiques et manipulations médiatiques. Pour les auteurs, il est urgent d'inviter au débat pour dépasser les préjugés. L’objectif est de démonter les peurs et les préjugés contre les musulmans, les jeunes des banlieues, les personnes issues de l’immigration... dans un contexte marqué par le marasme économique et sociale et la montée de l’extrême droite. « Don’t Panik », c’est aussi l’histoire d’une (belle) rencontre qui semble improbable entre un rappeur à succès et le directeur d’un des think tanks français les plus influents, l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). De leur collaboration fructueuse, ils ont su faire tirer une belle amitié. Sorti le 18 octobre, « Don’t Panik » rencontre encore très peu d’échos médiatiques mais semble bel et bien promis au succès et pour cause : l’alchimie entre les deux auteurs du livre fonctionne à merveille. Déjà quelque 4 000 exemplaires ont été vendus après une semaine d’exploitation, nous déclare leur éditeur, Desclée de Brouwer. PASCAL BONIFACE Pascal Boniface est un géo politologue français, il dirige l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et enseigne à l'Institut d'Etudes européennes de l'Université de Paris 8. Il a fait ses études au lycée Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie et à l'université de Paris 13 Villetaneuse. Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris et docteur d'État en droit international public, Pascal Boniface travaille de 1986 à 1988 auprès du groupe parlementaire socialiste à l'Assemblée nationale. En 1990, il crée et dirige l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), un des principaux centres français de recherche en ces domaines, et souvent considéré comme un think tank à la française. Pascal Boniface a enseigné aux Instituts d'études politiques de Lille et de Paris et enseigne actuellement à l'Institut d'études européennes de l'Université de Paris VIII, université dans laquelle il est Maître de Conférences. Il a écrit ou dirigé la publication d'une quarantaine d'ouvrages ayant pour thème les relations internationales, les questions nucléaires et de désarmement, les rapports de force entre les puissances, ou encore la politique étrangère française ou l'impact du sport dans les relations internationales. Depuis 1985, il publie L'Année stratégique (un numéro par an) et a lancé (en 1991) La Revue internationale et stratégique (trimestrielle), dans laquelle interviennent de nombreux experts et hommes politiques internationaux. Il est éditorialiste pour les quotidiens La Croix (France), La Vanguardia (Espagne) et Al-Ittihad (Émirats arabes unis), ainsi que pour la radio France Musique. Pascal Boniface dirige également un groupe de prospective sur l'avenir du football auprès de la Fédération française de football, et est Secrétaire général de la Fondation du football. Pascal Boniface est Chevalier de l'Ordre national du mérite et Chevalier de la Légion d'honneur. Il a également reçu le prix Vauban en 2012. MÉDINE // E.P "MADE IN" LE 29 OCTOBRE 2012 Médine, ou l'art de se faire comprendre À la première impression, Médine a tout pour rebuter ou faire le jeu des préjugés. Musulman, barbu, éloquent, il assène ses rimes politisées d'une voix de granit qui gifle la musique et interpelle l'auditeur. Pourtant, loin des caricatures et des écrits dogmatiques, ces textes ciselés remettent le rap au service d'une parole engagée et responsable. Auteur de deux albums indépendants aux titres coups de poing (« 11 septembre, récit du onzième jour », « Jihad, le plus grand combat est contre soimême »), Médine cultive depuis ses débuts l'art de marquer les esprits. Le rappeur qui fait du bruit qui pense… Quand on écoute Médine pour la première fois, la réaction initiale est évidente et musicale. On sait que l’on se trouve en face d’un rappeur dont la voix porte bien au-delà du hip-hop français. C’est d’autant plus flagrant quand on creuse plus profondément dans sa discographie. Médine, c’est une certaine vision du rap : des textes profonds, lestés de pensées et de mots longuement pesés. Chez lui, chaque phrase, chaque virgule, chaque punchline a un sens. Le rappeur havrais n’est pas dans l’esbroufe. Il n’aime pas les mots pour les mots. Il les aime et les pratique pour qu’ils aient du sens et donne à réfléchir à l’auditeur. Sa plume, affûtée, acérée, il la met au service d’un rap qu’il veut engager et responsable. N’a-t-il pas déjà expliqué que “rap engagé est un pléonasme” ? Dans cette phrase, c’est toute sa vision du rap qui est résumée… Sa musique doit servir à ceux qui l’écoutent. Qui connaissait réellement l’histoire des manifestations de 1961 avant d’écouter “17 octobre” ? Un titre qui sert désormais d'illustration au chapitre concernant la guerre d'Algérie dans le manuel scolaire de l'éditeur Fernand Nathan pour l’année scolaire 20122013… Là où beaucoup se contentent de rimes, d’ego trips et de clashs, Médine va plus loin. Pour lui, “le meilleur rappeur est celui qui est le plus utile aux autres”. Alors, avec modestie mais conviction, il assène un rap où, s’il n’oublie pas la technique et la performance, il traite de sujets difficiles : l’histoire, les maux de la société, la politique. Médine prend position et assume : oui, il est engagé aux côtés des plus faibles, oui, il met des coups de pieds dans la fourmilière pour attirer les médias sur des sujets trop souvent oubliés. N’a-t-il pas été l’un des seuls artistes à écrire un morceau sur le drame du Boulevard Auriol ? Un texte où l’émotion suinte à chaque mot et où il s’agit de mettre l’Etat et la société face à leurs responsabilités. Rappeur, Médine ne s’arrête pas là. Pour lui, la musique ne se conçoit pas comme une fin, mais comme un moyen. Il rappe certes, mais il s’engage surtout. Médine, ce ne sont pas que des paroles… Et son travail est reconnu. Grâce au précieux soutien de son label Din Records, il a réussi à placer La Havre sur le carte du rap français et a s’imposer comme l’un des piliers de la nouvelle scène du hip-hop hexagonal, au point de devenir une référence pour les plus jeunes et d’être adoubés par ses pairs qui recherchent souvent sa compagnie quand ils veulent des featurings de qualité. Son aura a même dépassé nos frontières : il a été interviewé à deux reprises par le prestigieux magazine américain Time. Si Médine jouit aujourd’hui d’une place de choix dans le rap français, rien n’a vraiment été simple. Comme beaucoup de rappeurs indépendants, il a fallu beaucoup travailler pour sortir de l’anonymat, particulièrement quand on vient de Province. Alors, pour ses deux premiers albums, “11 septembre” et “Jihad, le plus grand combat est contre soi-même”, il a joué la carte de la provocation. Si cela a parfois été mal pris ou plutôt mal compris, Médine précise qu’il s’agit plutôt de dédramatisation satirique plus que de la provocation. Résultat, ses disques sortent du lot car les gens comprennent que, si sa religion et son apparence font de lui un “poseur de bombes”, lui vient plutôt déminer les problèmes. C’est l’incarnation même du slogan “Don’t Panik”. “Ce slogan prend son sens puisqu’il est prononcé par quelqu’un qui incarne physiquement tous les fantasmes de la France. Je suis rappeur, banlieusard, musulman, barbu, issu de l’immigration algérienne... La provocation n'est qu'un appât pour amener au débat, c'est ainsi que je conçois le dialogue : d'abord je provoque, ensuite je déconstruis et rassure...” Avec son troisième album, “Arabian Panther”, Médine passe clairement un cap. Il y fait étalage de ses talents de story-steller dont il est un des maîtres dans le rap français, suivant en cela le sillon creusé par ses glorieux ainés, Akhenaton ou Kery James, l’un de ses modèles. Désormais un peu plus installé, il peut se permettre un peu d’humour avec un morceau comme “Code barbe”. Pour autant, il n’en oublie pas sa mission : donner à réfléchir aux auditeurs. Que cela soit à travers un fait divers ou des événements internationaux, Médine fait preuve d’éloquence et manie les symboles historiques, politiques ou sociaux avec maestria. En confiance, il livre un de ses meilleurs titres, “Arabospiritual”, dans lequel, pour la première fois, il revient sur sa vie. Médine ne fait pas d’egotrip, mais à ce moment-là de sa carrière, il avait besoin de se livrer. Le résultat est une vraie performance. Surtout, les supports discographiques ne sont qu’un prétexte : celui de sillonner la France pour faire bouger les scènes de l’Hexagone et faire passer son message, directement “du producteur au consommateur”… Le rap est difficile à programmer dans les salles de France, Médine, lui, trouve sa place. Et que l’on ne s’y trompe pas : si sa communauté est là, son public est bien plus large qu’on veut bien le croire. Aujourd’hui, grâce à la scène, son impact est national, son discours de plus en plus compris et diffusé. Cette fois encore, tout est réfléchi : la mise en scène est pensée pour ne laisser personne indifférent et, au-delà même du concert, Médine, avec ses slogans chantonnant, exhorte à davantage de responsabilisation. Ne nous y trompons, Médine, c’est bien plus que de la musique. Conscient de sa responsabilité, sa parole va trouver un nouvel écho au sein du livre “Don’t Panik” coécrit avec le géo politologue et professeur, Pascal Boniface. Surtout, preuve que les idées de Médine trouve un écho dans la société française, il est régulièrement sollicité pour donner des conférences lors de réunions ou au sein d’écoles prestigieuses comme Sciences Po’… On l’a dit, Médine n’est pas que la parole. Ce qu’il dit, il le fait. C’est pourquoi on le retrouve aussi ambassadeur de nombreuses associations dans différents domaines comme Dont Panik Team pour le sport, Havre de savoir pour la connaissance ou Fu-Jo pour la réinsertion sociale d’anciens détenus. Avec le livre, Médine sortira un EP “Made In”, une sorte de bande originale du livre où chaque morceau vise à “lutter contre les préjugés et les représentations”. Il regroupera les morceaux de Médine les plus récents comme le bijou “Biopic”, “Trashtalking” et des inédits qui donneront la direction artistique de l’album “Don’t Panik” à venir. Pour Médine, la période est aujourd’hui charnière. Il y a du changement chez le rappeur havrais. Si son objectif est toujours de faire réfléchir les auditeurs, il s’engage dans une voie de plus en plus proche d’eux, pour défendre leurs droits et leurs combats contre les inégalités. Mais, il reste aussi un rappeur, fier de son art, qui affine son style. Autant dire que l’album “Don’t Panik” devrait permettre à Médine de ne plus être considéré comme la relève du rap français mais bel et bien comme un de ses leaders. ENTRETIEN AVEC PASCAL BONIFACE : Saphirnews : Dans quelles circonstances vous-êtes vous rencontrés avec Médine ? Pascal Boniface : Je l’avais contacté pour faire un entretien dans la revue de l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques dont il est directeur, ndlr) sur « Le monde occidental est-il en danger ? » (en 2009). On a toujours essayé, dans ce cadre, de prendre contact avec des personnes qui ne sont pas forcément des spécialistes des questions géopolitiques mais qui peuvent avoir un avis dessus. Sur ce thème, je trouvais intéressant de faire réagir Médine, dont j’avais lu ses textes avant.L’entretien s’est très bien passé. J’ai ensuite été invité à un de ses concerts mais on avait un peu perdu le contact. Médine m’a contacté il y a quelques mois pour poursuivre le travail qu’on avait développé auparavant. Il voulait mettre ses réflexions non plus sous forme de chansons mais de textes, consignés dans un livre. On s’est vite mis d’accord pour faire ce travail ensemble. Vous avez accepté rapidement sa proposition. Qu’est-ce qui vous plaisait dans son projet ? Pascal Boniface : D’une part, ça changeait de mon travail habituel. J’aime bien la forme de livre-débat ou livre-entretien car c’est un ping-pong intellectuel qui est toujours plaisant et qui permet de construire sa réflexion. Surtout, ce qui me plaisait, c’était la rencontre entre deux personnes qui viennent d’horizons professionnels et personnels tout à fait différents et c’est ce qui crée la richesse de ce livre. Ce qui fait le sel de la vie, c’est de rencontrer des gens différents et je dois dire que cette rencontre a débouché non seulement sur un livre, mais de façon plus importante sur une réelle amitié. A la lecture de ce livre, on sent justement une réelle complicité entre vous. Etiez-vous forcément d’accord sur tout ? Pascal Boniface : On ne peut pas dire qu’on est d’accord sur tout, on a des divergences sur Dieudonné mais également, même si elles sont plus légères, sur Tariq Ramadan. Mais ce qui est important, c’est de voir qu’alors que nous venons de mondes différents, on a des points de vue qui ne sont pas si éloignés, ce qui montre bien que le regard sur la société ou sur la politique étrangère n’est pas un problème d’appartenance puisque Médine est musulman et moi, athée, mais un problème de choix politique. Disons que sans être un musulman, j’ai un point de vue comparable à celui de Médine sur les questions de justice, de respect des individus, sur les principes d’égalité et de non discrimination. La lutte contre l’islamophobie est un thème central de votre livre. Un passage a retenu mon attention. Vous dites, je vous cite : « Je ne pense pas que les musulmans soient en position où ils peuvent se passer des autres. » Pouvez-vous expliciter cette idée auprès des lecteurs ? Pascal Boniface : Je dis par là qu’il faut éviter deux choses. D’une part, que la lutte contre l’islamophobie soit dirigée par des non-musulmans, prenant les musulmans comme une masse qui ne serait pas capable de s’organiser. Ce serait un danger, les musulmans doivent avoir leurs propres représentants, qu’ils les choisissent eux-mêmes, qu’ils ne soient pas désignés par les autres. Dans le même temps, je mets en garde contre un éventuel repli communautaire. La lutte contre l’islamophobie doit être l’affaire de tous et pas seulement des musulmans, tout comme la lutte contre l’antisémitisme et toutes sortes de racisme. Quelles sont selon vous les forces et les faiblesses de « la communauté » musulmane ? Rappelons déjà qu’elle n’est pas un bloc homogène… Pascal Boniface : Oui, tout à fait. Leur force : le nombre. Les faiblesses : l’absence d’organisation et de visibilité. Ils n’ont pas accès aux responsables politiques et aux médias malgré leur nombre et ont une expression qui n’est pas encore assez affirmée même si des personnes comme Médine peuvent donner un point de vue qui soit légitime et reconnu comme tel. Ce que je trouve intéressant avec Médine, c’est qu’il représente un point de vue musulman, fier de l’être et ouvert sur les autres. L’absence d’organisation des musulmans, vous en faîtes un chapitre dans « Don’t Panik ». Votre avis ? Pascal Boniface : Je suis un peu partagé car effectivement, on peut dire qu’il y a plus de discriminations à l’égard des musulmans qu’à l’égard des autres communautés et qu’il est bon pour les musulmans de s’organiser pour lutter contre ce phénomène. Cela peut se comprendre mais il existe la crainte qu’une telle construction donne une image de la communauté qui soit enfermée sur elle-même et que la France devienne une addition de communautés. Comment s’affirmer soi tout en restant universaliste, c’est la vraie question. Justement, ne pensez-vous pas que le repli communautaire puisse aussi être le résultat du rejet des musulmans de la société ? Pascal Boniface : Bien sûr. Si on veut éviter le communautarisme, il faut que la République soit à l’écoute et qu’elle traite de la même façon tous ses enfants. Or, ce n’est pas le cas pour le moment, notamment pour les musulmans. Même s’il est moins difficile d’être musulman aujourd’hui qu’il y a une vingtaine d’années, il y a plus de discriminations envers eux qu’à l’égard des autres Français. Sarkozy est parti, êtes-vous plus confiant avec Hollande aux commandes quand il s’agit de lutter contre toutes les formes de discriminations ? Pascal Boniface : Je suis moins inquiet. Il faudra juger sur pièce et non pas sur parole. En tous les cas, je constate de François Hollande qu’il évite d’employer les termes stigmatisant qui étaient employés par Sarkozy et une partie de son entourage. Que retenez-vous de cette collaboration fructueuse avec Médine ? Pascal Boniface : Tout d’abord, une amitié mais aussi la découverte d’un monde que je connaissais très peu, le rap, qui a d’autres codes et d’autres règles que celles que je fréquente. Le fait de pouvoir encore apprendre à mon âge et de s’ouvrir des horizons nouveaux est quelque chose de très positif. Si on arrive à faire passer notre message commun, à savoir que nos différences sont un enrichissement pour la société et non un appauvrissement, on aura modestement gagné notre pari. Médine et Pascal Boniface, Don’t Panik, Editions Desclée de Brouwer, octobre 2012, 224 pages.