Le quartier des Maghariba, Harat-al-Maghariba, Le
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Le quartier des Maghariba, Harat-al-Maghariba, Le
Le quartier des Maghariba, Harat-al-Maghariba, Le voyageur qui chemine dans les ruelles grouillantes de Jerusalem ne peut pas l’ignorer, les maghrébins sont très présents dans la toponymie de la cité médiévale de Jerusalem. Comment cette communauté maroco-palestinienne est-elle apparue ? Comment a-t-elle été jusqu’à baptiser les hauts lieux symboliques de la ville sainte ? Dans Jerusalem, la Beit-al-Maqdis, (Demeure Consacrée), une porte, au sud du mur médiéval, porte le nom des Maghrébins. Un peu plus loin, la voie d’accès à l’esplanade des mosquées, le Haram ash-Sharif, la plus proche de la mosquée Al-Aqsa et de la petite chapelle d’Al-Buraq se nomme également Bab al-Maghariba : la porte des Maghrébins. Ambiance Les anciens Maqdisis (Jerusalemites) s’en souviennent encore, avant 1967, il existait à l’angle sud-est de la cité, au sud-ouest du mont du Temple, au pied du mur des lamentations, un vaste quartier, consacré à la communauté des Occidentaux. Les Palestiniens nient l’existence du « quartier juif » et se remémore le nom de Harat-al-Maghariba. Désormais, le quartier juif, une colonie intra-muros de 2000 individus, occupe tout le quart sud-est de la cité, presque coupé du reste de la vieille ville, il est même accessible en voiture. Dans la ville musulmane, au détour d’un axe est-ouest vers une des portes du Haram ash-Sharif, on apprend des riverains qu’en suivant le panneau ‘western wall’, on peut encore rencontrer des ‘Marocains’. En effet, très discrète au milieu du tumulte des touristes internationaux et des pélerins juifs, à dix mètre de l’impressionnant portail radio-électronique conduisant au Mur des Lamentation, à l’entrée d’une passerelle surplombant une vaste esplanade vide, une modeste demeure porte encore des patronymes arabes. La porte est ouverte aux quatre vent, mais personne ne semble la voir, c’est la Zawyiat-al-Maghariba. On emprunte alors une coursive, puis on pénètre dans une cour, mais tout est envahi de vieilles bâtisses. Ici, les résidents se disent « Mugharbi-s », mais ne parlent pas darija… Les Maghrébins et la Contre-Croisade Pour comprendre cette présence fantomatique, il nous faut replonger au cœur du moyen-âge. On sait que des Maghrebins étaient déjà présents en Palestine sous le royaume Franc de Jerusalem, puisque, à en croire Ibn Jubayr, certains servaient de collecteurs d’une taxe d’un carat sur chaque dinar (de 24 carats) dans une des cités du royaume latin. A la fin du XIIème siècle, après 50 années de luttes, les musulmans, menés par Salah ad-Din Al-Ayyubi (Saladin), retrouvaient l’accès à la cité d’Iliya, nom romain (Aelia) et arabe de la ville. Les Maghrébins se réappropriaient dès lors la Beit al-Maqdis comme étape majeure du Hajj, et y résidaient à nouveau, au plus près de la Mosquée Sacrée. Après la reconquête, en 1187, les communautés qui avaient servi la lutte contre les Francs se voyaient dotées de lieux de culte et de villégiature : arméniens, syriens, grecs et même quelques juifs pouvaient désormais reprendre pied dans l’ancienne capitale des croisés. Une brigade de Maghrébins, menée par un certain Nur-ad-Din Zaki, avait contribué à libérer la Demeure Consacrée : cette communauté devait être remerciée. Madrasa Malekite Al-Afdaliya Sous les Ayyubides (1187-1260) et les Mamluks (1260-1517), l’esplanade du Haram fut dotée de nombreuses coupoles, et le sanctuaire accueillit, comme à Damas, les différents rites de l’Islam sunnite. Vers 1195, Al-Malik al-Afdal, fils aîné du grand Saladin et roi de « Syrie du Sud », fondait une Madrasa, appelée vulgairement la Qubba (la Coupole). Il « en fît donation en faveur des jurisconsultes Mâlekites à Jérusalem ». Cette université « al-Afdaliya », permettait à la fois de loger les pélerins du Maghreb, où ce Madhhab (école de jurisprudence) était désormais ultra-dominant, et d’organiser un pôle intellectuel et judiciaire pour les maghrébins désirant s’attacher au Haram. Cette université était située entre la porte Sud de la Cité et la porte Sud-Ouest du Haram. La mosquée d’Omar et de Buraq Les Malekites obtinrent aussi, à une époque indéterminée, la petite mosquée d’Al-Burâq, cise à cette « Porte du Prophète » Bab an-Nabi. A l’entrée sud-ouest du Temple, à quelques mètres de la Mosquée principale (Al-Aqsa). Les pélerins mérinides, hafsides, nasrides et espagnols pouvaient ainsi prier selon leur rite. Mujir ad-Din, historien maqdisi qui vécut la chute des Mamluks et l’annexion ottomane rapporte ainsi l’histoire de cette porte : « Le hadith relatif au mi’raj (ascension du prophète Muhammad) est ainsi conçu : « Ensuite, déclara l’Envoyé, il — c'est-à-dire Gabriel, — m'enleva jusqu'à ce que nous entrâmes dans la ville par la porte du Yemen (du sud). Etant alors venu au sud du Masjid (l’Esplanade), il y attacha la monture, — c'est-à-dire AlBurâq_, et j'entrai dans le Masjid par une porte devant laquelle s'inclinent le soleil et la lune. » Or les savants de Jérusalem ont dit : « Nous ne connaissons pas de porte, dans le Masjid, à laquelle puisse s'appliquer cette description, si ce n'est celle des Maghrébins. » L’empreinte sacrée de l’anneau Al-Burâq, le destrier ailé, devenait la protectrice des pélerins et des voyageurs. A ce symbole s’ajoutait le souvenir de la première mosquée du mont du Temple, attribuée au calife Omar. Ce sanctuaire primitif, attaché à un personnage vénéré par-dessus tous, suffit à expliquer le choix des pélerins marocains, d’autant que, venant d’occident, on pénètre naturellement dans la ville par la porte du sud, et dans le Haram par la même porte que le prophète, au Sud-Ouest. Zaouiyas Notre précieuse source poursuit en décrivant la Khânqah (couvent-hospice en persan) alFakhriya, fondée, sur l’esplanade elle-même, par un haut fonctionnaire en tant que Waqf (équivalent oriental des Habous maghrébins) et qui fonctionnait comme auberge de pélerins et lieu de repos et de soins. Les Malekites/Maghrébins pouvaient ainsi prier mais aussi résider sur le temple. A l’époque Mamluk, un dernier Habous fut constitué. En 1303, le « vertueux » Shaykh 'Umar al-Mujarrad, « Maghribi de la tribu des Masmudâ (Souss) » construisit et édifia une Zâwia, sur ses propres deniers, […] en faveur des pauvres et des malheureux », elle était situé au cœur de l’espace qui, alors, accueillaient les immigrants d’Afrique du Nord et d’Espagne. Le dernier édifice fondamental du quartier dut être l’actuelle Zaouia des Maghrébins ellemême. Cette bâtisse à deux étages comprenait 20 petits appartements, elle date sans doute de l’époque ottomane et fut dédiée au patronage du grand saint de Fes et de Tlemcen : Abu Midyan. Elle fut reliée à la fondation en 1320 d’une Zaouia dans la banlieue de Jerusalem, à ‘Ayn Karm, par un descendant du saint. Les souqs et le financement des institutions sociales A cette communauté naissante, la période mamluk offrit également des ressources économiques. Mujir ad-Din décrit ainsi : « A l'ouest du Masjid se trouvent les portiques, d'une construction solide ; ils s'étendent du sud au nord. Le premier est situé auprès de la porte du Masjid dite « des Maghrébins ». […] Tous ces portiques ont été élevés pendant le règne d'Al Malik an-Nâsir […] : le portique qui s'étend de la Porte des Maghrébins à celle de la Chaîne, fut bâti en l'année 713 (1314-5) […] » On a donc la preuve que 65 ans après la conquête Mamluks, un grand marché couvert à la mode orientale avait été édifié et longeait le mur du temple, avant de rejoindre les grands souqs du Decumanus (axe est-ouest) principal de la cité. La structure sociale du quartier était donc complète : une mosquée et un centre jurisprudentiel, un hospice pour les nouveaux arrivants, de l’autre côté de la porte du Prophète, un quartier d’habitation, avec des échoppes finançant les institutions caritatives, sociales et scolaires de la communauté. Une cité Marocaine Mujir ad-Din conclut en citant une enquête devant le tribunal, tentative pour reconstituer, sous les derniers Mamluks, le contrat de Habous du grand Ayyubide Al-Malik al-Afdal, ils aurait « constitué aussi en waqf le quartier des Maghrébins en faveur de la Communauté des Maghrébins, sans distinction d'origine, hommes et femmes. » Désormais une partie de la ville allait être attachée juridiquement au peuple du Maghreb, et à plus forte raison aux cours de Fes et de Marrakech, qui revendiquaient déjà l’Emirat des Croyants, et la suzeraineté sur tous les Malekites. Naturellement, en 1352, le Sultan Mérinide Abu Inan (connu pour sa gigantesque Madrasa à Bab Bujlud, Fes) offrit un Coran de grande valeur en Lecture Occidentale et en graphie Maghribi-e au Waqf des Maghrébins de Jerusalem, en recommandant sa lecture régulière. Des Juifs Sefarades au quartier des Maghrébins Une « cité » maghrébine ne pouvait guère se concevoir sans la présence de juifs séfarades. Or à ce sujet, on hésite quant à la présence ou non d’une communauté juive sous les Francs, les sources sont contradictoires, bien que le grand voyageur andalous, Ben-Yamîn de Tudele affirme en avoir décompté 200 familles, en dépit du massacre successif à la prise de la ville par les croisés en 1095. Une chose est certaine, la communauté ne commence à s’épanouir qu’à l’avènement des Mamluks et le reflux de la menace mongole. Un autre judéo-espanol, le grand intellectuel barcelonais Moshe b. Naham débarqua vers 1270 dans Jerusalem, et reçut l’autorisation de construire, en marge de l’implantation maghrébine, et non loin du cardo (axe central de la cité) une synagogue séfarade. Deux siècles plus tard, l’effondrement de l’émirat de Grenade et la guerre à outrance menée par la maison de Castille, les persécutions de plus en plus vive puis l’édit de conversion forcée de 1492 provoquèrent une grande émigration judéo-andalouse vers le Maghreb et l’Empire Ottoman. Une petite communauté vint rejoindre l’embryon judéo-palestinien de Jerusalem. Au sein de la communauté séfarade, au Maghreb et dans le monde ottoman, le désir de rejoindre Jerusalem dû croitre, et certains pélerins, à l’instar des musulmans maghrébins, finirent par s’installer, provoquant une croissance dont attestent les rôles d’impositions ottomans du XVIème siècle. Le nombre de juifs maghrébins dans la cité et notamment autour de leur lieu de culte, et un peu partout depuis le mur, à travers le quartier de leurs compatriotes musulmans et jusqu’au centreville passa rapidement à un millier de personnes en 1526, puis près de 2000 en 1553, nombre qui se stabilise jusqu’au milieu du XVIIIème siècle. Du « Harat-al-Maghariba » au « Jewish Quarter » En 1835, lorsque les séfarades reçurent le droit d’élargir et de restaurer somptuairement leurs synagogues, ils étaient désormais très nombreux, plus nombreux que les Maghrébins Musulmans qui disparaissaient complètement dans la masse des Maqdisis. La présence de la famille Tijani atteste cependant de la venue d’une branche de la famille, et donc de la confrérie, dans ces même années, depuis Fes jusqu’au cœur du quartier des Maghrébins. Les touristes européens qui commencèrent à affluer en nombre dans les cités syriennes et notamment à Jerusalem, avides « d’authenticité » et d’exotisme ne tardèrent pas à baptiser le quartier sud-est de la cité, où se concentrent les 5 synagogues ottomanes et adjacent au mur du Temple, le « Quartier Juif ». Un siècle plus tard, la rhétorique sioniste à propos de Jerusalem s’appuiera sur l’existence de ce schéma catégorique, renforcé par la froideur administrative des britanniques mandataires (1919-1948). Ils invoqueront la nécessité de rattacher le « quartier juif » de Jerusalem au Foyer National promis par les colons. De fait, à l’époque, la majorité absolue des habitants de Jerusalem sont de confession juive, et aux séférades sont venus s’ajouter des milliers de pélerins ashkénazes, « étrangers », et très hostiles aux arabes. Or pourtant, cette communauté séfarade, maghrébine et palestinienne, très conservatrice et religieuse, refusera d’envisager la fondation d’un Etat Juif d’inspiration européenne et affrontera tant bien que mal les premiers colons sionistes, laics et européens qui méprisaient et rejetaient l’archaïsme jerusalemite. Destruction En 1949, les Jordaniens prennent le contrôle de la vieille Jerusalem, la guerre contribue à chasser les Maghrébins-Palestiniens de confession juive de leur cité : ils ne reviendront jamais. Le quartier des maghrébins s’endort peu à peu dans l’oubli de l’histoire. En 1967, après la guerre des Six-Jours, les Israeliens, imprégnés d’un suprématisme religieux d’un genre nouveau, s’affaireront alors à raser le quartier des Maghrébins, en l’espace de trois jours. Aujourd’hui encore, l’armée israelienne contrôle la Bab al-Maghariba du temple, et la porte sud-est de la ville a perdu son nom. Seule une poignée d’irréductibles habitants de la Zaouiya des Maghrébins tentent encore de perpétuer le souvenir de leur communauté et de résister à l’occupation insidieuse de leur environnement. Beaucoup de maghrébins-palestiniens musulmans ont fui les reste du quartier, souvent la ville elle-même, voire le pays, mais ils portent encore en certaines occasions le Quftan, et les femmes, pour Ramadan, préparent la Harira. Parfois, pour les fêtes, on cuisine un met étrange appelé Maftûl, ou Kuskusûn…