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Tueries de Toulouse et Montauban:
Journalistes, police, tueur, le triangle d’or
Beaucoup d'informations sur le tueur et l'enquête sont sorties dans la
presse avant que le Raid n'intervienne. Une entrave à l'enquête?
Un scooter noir puis blanc, un homme tatoué, une annonce postée sur un site Internet…
Depuis les tueries de Toulouse et Montauban, les indices sur le meurtrier se multipliaient dans
la presse, jusqu'à l'opération du Raid ce mercredi 21 mars au petit matin dans un quartier
résidentiel de Toulouse devant l'immeuble où se retranchait Mohammed Merah. Au risque de
gêner l’enquête?
Un tueur informé
«Cette fois-ci, on va un peu loin dans l’information», estimait Frédéric Lagache,
secrétaire général adjoint du syndicat de police Alliance, joint avant l'opération du Raid.
«J’en ai parlé avec mes collègues qui sont sur l’affaire à Toulouse, ce n’est pas un climat
serein, ça devient un problème: le mec s’adapte.»
Car «le mec» est sans doute très informé. «On le sait, car les enquêteurs le découvrent a
posteriori après les arrestations de fugitifs: ceux-ci s’informent, le plus souvent par la
télévision», souligne Frédéric Lagache. Si l'on ne connaît pas encore les motivations du
suspect de Toulouse, les criminels qui cherchent à frapper les esprits ou à faire parler d'eux
sont différents des braqueurs: pour Marc Grohens, chef de service à l’hôpital de Poissy et
président du Collège Psychiatrie et Société de la FFP, «c’est toujours très flatteur pour un
grand criminel que l’on parle de lui. Surtout s’il pense avoir un message à faire passer, s’il
cherche à déstabiliser la France en tant que nation par exemple, dans ses institutions:
l’armée, l’école… L'un des buts des terroristes, c'est de faire parler d'eux. Les médias lui
tendent un miroir». Il s’y plonge.
Si l’auteur des faits s’informe, il peut donc être au courant des éléments dont la police dispose
sur lui, quand la presse l’écrit. «Si on évoque dans la presse que l’individu est casqué, il peut
ôter son casque. Que son scooter est noir, il peut le repeindre en blanc… On peut avoir un
retour de bâton», déclare Frédéric Lagache. Lors de sa conférence de presse mardi aprèsmidi, le procureur de la République François Molins a précisé «nous ne vous dirons pas de
choses contreproductives qui pourraient inciter l'auteur des faits à modifier son
comportement».
Une approche radicalement différente de l'approche américaine employée dans l'affaire du
tueur de Washington par exemple. En octobre 2002 un sniper avait tué dix personnes en trois
semaines, aux Etats-Unis. Pour l'arrêter, la police américaine avait communiqué énormément,
donnant une conférence de presse par jour, pour rassurer le public, mais aussi pour donner les
informations pour faire avancer l’enquête, associer la population. C’est finalement un
chauffeur routier qui avait permis d'aider à le retrouver, notamment parce qu'il était alerté par
les informations et la police.
Risques de fausses pistes
Plus l’affaire est exposée médiatiquement, plus les enquêteurs sont nombreux et au contact de
la presse, plus les risques de fuite sont importants. Mais les fuites peuvent aussi ne pas en être.
Même en interne, il est difficile de savoir quand une information est juste ou non, prévient
une source au sein de la police.
Dans la presse, au sujet de l’affaire de Toulouse, on lit de fait des informations non officielles
difficilement vérifiables. La police aurait découvert la plaque d’immatriculation du scooter du
tueur? «Ce n’est pas le cas: contrairement à ce qui a été dit et écrit, nous n’avons pas
d’information sur l’immatriculation», a précisé mardi François Molins. Qui a même semblé
contredire certaines précisions fournies le matin même par le ministre de l'Intérieur Claude
Guéant. Ce mercredi, une source policière nous confiait que le ministre de l'Intérieur aurait
délibérément donné de fausses informations la veille, afin de brouiller les pistes et ne pas
alerter le tueur véritablement soupçonné.
Frédéric Lagache «suppose» que de fausses informations peuvent être distillées pour
brouiller les pistes dans la presse. Il ajoute:
«Je suppose qu’il est possible de faire en sorte que ces fausses pistes reviennent aux bonnes
oreilles, celles des journalistes, pour qu’ils ne donnent pas les informations que l’on veut
garder secrètes. Quand vous devez repérer un type qui tue des enfants, il faut mettre en
place certaines stratégies.»
Mais excepté Frédéric Lagache, toutes les personnes interviewées s'accordent à dire que si un
ministre peut donner de fausses informations, c'est moins probable de la part des officiers. «Je
ne sens pas d’instrumentalisation de la part de la police. On n’est pas dans un polar
hollywoodien», expliquait mardi la journaliste Patricia Tourancheau, chargée des affaires
criminelles au quotidien Libération. «Peut-être que le ministre de l’Intérieur, politique avant
d’être technicien, peut donner des infos ciblées. Les techniciens du renseignement, de la
balistique, eux n’agissent pas comme ça.»
De tentative d’«enfumage», une seule lui revient en mémoire. «C’était il y a vingt ans, mais je
m’en étais rendue compte avant de publier le papier, en parlant avec une autre source. Il faut
simplement toujours respecter cette règle: jamais de mono-source.»
Entente cordiale
Pas de mensonge donc, mais pas de dévoilement complet non plus. «C’est légitime, jugeait la
journaliste. Moi je dois informer les gens, eux doivent arrêter un type.» Une relation saine
entre la police et les médias? «On ne peut pas dire ça: mais ce sont des relations correctes.»
En atteste un exemple de 1995. Le 11 juillet 1995, l’imam Abdelbaki Sahraoui, cofondateur
du Front islamique du salut est assassiné dans la mosquée de la rue Myrha à Paris. Les tueurs
oublient un sac de sport sur les lieux, et avaient laissé leurs chaussures à l’entrée.
«C’étaient des indices essentiels pour la police. Une de mes sources m’avaient révélé des
choses que le sac contenait; je me suis aperçue par la suite qu’il avait gardé deux ou trois
indices, il ne m’avait pas dit qu’il y avait une bombe de peinture dans le sac. Cette bombe de
peinture avait conduit la brigade criminelle jusqu’au Bricorama place d’Italie. Ils avaient
pris connaissance du reste des achats: de quoi fabriquer une bombe. Je comprends qu’il ne
me l’ait pas dit. C’était de bonne guerre.»
Même si la police et la presse n’ont pas toujours la même définition de ce qui devrait être
publié ou non. La police est plus prompte à la rétention d’information. Pour Toulouse,
certains policiers ont estimé que l’information révélant qu’une petite annonce avait été passée
sur leboncoin.fr par la première victime du tueur, n’aurait pas dû être divulguée. «Ce que l’on
décide de publier ou non, c’est différent à chaque fois, ça se passe avec la conscience.»
Mardi dans sa conférence de presse, le procureur de la République laissait entendre que la
presse devait laisser la police faire son travail. Ne donnant aucune nouvelle information,
préférant souligner que toutes les pistes restaient ouvertes alors que l’enquête se resserrait, il
avait déclaré «Je comprends que vous devez faire votre travail, nous devons aussi faire le
nôtre.» Dans la nuit à 3h du matin, le Raid intervenait.
Ce mercredi, Claude Guéant espérait que l'arrestation intervienne «d'ici peu». Une
information reprise par la presse. Est-elle revenue au tueur?