le bouturage des arbres forestiers
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le bouturage des arbres forestiers
LE BOUTURAGE DES ARBRES FORESTIERS PROGRÈS RÉCENTS - PERSPECTIVES DE DÉVELOPPEMENT B . MARTIN C/ass . Oxford 232.328 La culture des clones d'arbres est connue depuis très longtemps avec les saules, les peupliers et au Japon le cryptomeria . Toutefois, mis à part ces espèces pour lesquelles la multiplication végétative est facile, les forestiers se sont heurtés très vite à la très grande difficulté de bouturer les grandes essences . Même celles qui présentaient des aptitudes naturelles à drageonner n'ont pas été multipliées en grand par ce procédé (merisier, tremble, etc .). Cependant, le bouturage facile des peupliers noirs a engendré une ligniculture très intensive, la populiculture . Ce procédé de reproduction entraîne, en effet, des avantages sylvicoles très importants et c'est pourquoi les chercheurs forestiers étudient depuis longtemps la possibilité d'étendre le bouturage à d'autres essences. En horticulture, avec l'avènement du « mist system » ou pulvérisation de brouillard très fin, les progrès ont été extrêmement rapides et ont amené une véritable révolution . Ainsi, les variétés mises sur le marché sont toujours plus nombreuses et plus étonnantes . La reproduction végétative a permis ce développement car, elle seule, donne la possibilité de multiplier en masse des individus remarquables que la nature ou l'homme créent à des fréquence très faibles. Au cours des dix dernières années, des progrès importants ont été réalisés chez les arbres forestiers en transposant les procédés horticoles, et il est permis d ' envisager, pour beaucoup d'espèces, une adaptation assez rapide de ces techniques sur le plan pratique . Cependant, l'empirisme est encore de règle et beaucoup de questions restent posées . Un aspect important est de situer, l'une par rapport à l'autre, chacune des deux voies, végétative et générative, dans les programmes d'amélioration. INCONVÉVIENTS ET AVANTAGES DU BOUTURAGE Le bouturage est, dans le cas des arbres forestiers une voie de multiplication très critiquée pour trois raisons principales : • L ' utilisation de plantations monoclonales ou pauciclonales abaisse le niveau de variabilité génétique à un taux inacceptable pour une bonne stabilité écologique de la forêt En général, l'interaction génotype-environnement est grande et un clone donné n'est vraiment adapté que dans un milieu donné (niche écologique) . L'inadaptation d'un arbre se traduisant d'abord par sa plus grande sensibilité aux maladies, il s'ensuit un risque important pour l'avenir de ce type de plantation, d'autant que les espèces utilisées auront une révolution plus longue. 245 R .F .F . XXIX - 4 - 1977 B . MARTIN Les exemples empruntés à la populiculture sont nombreux (chancre bactérien en France et en Grande-Bretagne ; « Marsonina » en Europe ; rouilles à Me/ampsora en Nouvelle-Zélande, etc .) . • Le bouturage de portions de rameaux pris dans un arbre adulte, (arbre plus) donne naissance dans la très grande majorité des cas à un clone hétérogène Cette variabilité intra-clonale a été mise en évidence depuis longtemps en Nouvelle-Zélande par Sweet et Thulin sur Pinus radiata. Ce phénomène appelé « effet bouturage » (cutting effect) a été, en réalité, la principale raison de la non-extension du bouturage comme voie de multiplication de Pinus radiata dans ce pays . C'est pour éviter cet effet que Kleinschmitt en Basse-Saxe (Allemagne fédérale) part uniquement de jeunes plants pour mener à bien son vaste programme de bouturage. Test clonai de « 268 » clones — Kangoroa forest (NouvelleZélande .) Photographie prise en mars 1977 à 8 ans . Les ortets étaient âgés de 12 à 16 ans . La corrélation vigueur de la descendance — vigueur des ramets — n'est en général pas bonne du fait des problèmes de maturation, ce qui enlève beaucoup d'intérêt à cette expérience. 246 Le bouturage des arbres forestiers • La pratiqua du bouturage favorise beaucoup la contamination des maladies Les pépiniéristes le savent bien et sont obligés d'observer des règles phytosanitaires très strictes et d'utiliser fongicides et insecticides à tous les stades de la production des boutures. Remarquons toutefois que le bouturage n'est pas la seule technique de multiplication végétative . La culture de méristèmes in vitro, pratiquée actuellement pour un certain nombre d'espèces (dahlias, pomme de terre, orchidées, oeillets, fraisiers, framboisiers, tabacs) ont permis de débarrasser ces cultures des viroses qui les rendaient inutilisables . Cette multiplication est devenue maintenant une pratique de purification de ces plantes. La culture des méristèmes n'a pas encore donné de grands résultats chez les arbres, mais de nombreux chercheurs dans le monde se penchent actuellement sur ce point (principalement les Américains). Cependant, le bouturage est très intéressant pour différentes raisons : • C'est une voie rapide et très avantageuse pour la fourniture des plants nécessaires aux reboisements de types très intensifs Une bonne image de ce type de reboisement nous est donnée par une peupleraie bien gérée (station fertile, clone sélectionné, larges écartements, travail du sol, bon élagage, révolution courte, haute production). Les programmes d'amélioration par voie générative (= sexuée) sont longs et difficiles, mais ils sont indispensables, car ils permettent d'opérer des sélections et de répondre à plus ou moins long terme à la forte demande des reboiseurs. II faut cependant constater que seule la multiplication végétative des meilleures combinaisons génétiques permet d'accéder à ce niveau d'intensification qu'est la populiculture. Avec le développement récent des recherches sur le bouturage des arbres, il est permis d'espérer un type de production semblable avec un plus large éventail d'espèces à condition, bien sûr, d'éviter « l'effet bouturage ». II ne s'agira plus alors de sylviculture classique, mais de ligniculture intensive (larges écartements, révolutions courtes, éclaircies systématiques, traitements entièrement planifiables, opérations mécanisables) . La production pourra être standardisée (dimension, qualité du bois). La notion d'abaissement de la variabilité génétique sera plus ou moins compensée par l'utilisation de clones hybrides à haut rendement comme c'est souvent le cas en horticulture. Les hybrides, on le sait, par leurs génotypes hétérozygotes, sont souvent beaucoup plus plastiques et plus résistants que leurs parents (hétérosis), sans compter le gain de croissance en volume bien connu chez certaines espèces (mélèze, noyer, peuplier, eucalyptus, etc .) et la combinaison de caractères avantageux des deux parents. Pour la multiplication en masse des bons hybrides, le bouturage est sans égal . En effet, la voie générative, pour la production de graines de Fi hybrides, se heurte d'abord à la mise en évidence d'arbres mères auto-stériles, ensuite aux aléas climatiques amenant des discordances dans les dates de floraisons des clones mâles et femelles, enfin à une certaine hétérogénéité des populations hybrides qui abaisse fortement la production. II faut souligner que le type correspondant de plantation, comme la populiculture, ne conviendra qu'à des types de sols forestiers peu courants (faible pente, riches, profonds, parfaitement mécanisables), et n'intéressera donc qu'une faible part de la superficie forestière. Peut-on envisager d'utiliser des boutures dans des plantations plus extensives, plus écologiques, pour des productions à plus long terme? La notion de variété multiclonale prend alors toute son importance mais il y a une limite dans l'utilisation de cette technique . En effet, on 247 R .F .F . XXIX - 4 - 1977 B . MARTIN retrouverait rapidement tous les inconvénients du bouturage sans bénéficier beaucoup des avantages . La définition de cette limite se fera dans l'avenir, à la lumière des résultats des expérimentations. • La notion d'héritabilité est moins restrictive Il s'agit de l'héritabilité au sens large . La sélection des clones est relativement plus simple que celle des géniteurs . Pour le choix des ortets ( 1 ) (têtes de clones), la seule source d'erreur dans l'appréciation du génotype tient à la part de l'environnement dans l'expression du phénotype ; le reste est héritable en bloc , les descendants par bouturage d'un même ortet, les ramets, ont tous le même génotype . D'autre part, du fait des problèmes d'interaction génotypemilieu, des tests clonaux sont indispensables pour comparer les clones entre eux et pour choisir les génotypes les plus adaptés et les plus productifs dans un site donné . C'est ce qui est réalisé actuellement avec les peupliers des sections « Aigeiros » et « Tacamahaca ». • C'est une des rares voies rapides et efficaces dans la lutte antiparasitaire Lorsqu'une espèce que l'on sait bouturer présente des sensibilités très marquées pour un parasite donné, la recherche d'individus résistants, puis leur propagation en masse par voie végétative, est actuellement la seule technique qui donne des résultats appréciables pour la lutte à grande échelle . A ce niveau la lutte chimique est quasiment impossible . Ainsi, avec l'orme, les Américains étudient des clones résistants (hybrides) . Avec le peuplier, on recherche des clones (hybrides ou non) résistants aux parasites les plus virulents (chancre, Marsonina, rouille) . Avec les saules, les Néo-Zélandais cherchent des clones hybrides résistants au bétail et aux opossums. • C'est un outil essentiel pour les généticiens, mais aussi pour d'autres chercheurs La multiplication d'un seul individu par bouturage (clonage) est une technique très importante car elle permet d'échapper aux déviations d'ordre génétique dans les expérimentations ou d'éviter les défauts inhérents au greffage dans les parcs à clones et vergers à graines. Les applications principales seraient : édification de parcs à clones et de vergers à graines par bouturage; multiplication de porte-greffes compatibles; multiplication d'individus rares et peu fructifères (cas des mutants) ; multiplication d'espèces à fructification trop aléatoire; étude de l'environnement (nutrition, espacements) ; étude de la concurrence inter et intraclonale; recherche et multiplication de clones résistant à diverses maladies; étude de structure des populations; étude de variances et covariances génétiques; étude de l'héritabilité au sens large; étude des corrélations jeune-adulte; étude des interactions génotype-milieu; études sur la juvénilité chez les arbres; études sur la phénologie des arbres; hybridations artificielles et multiplications des meilleurs individus, tests clonaux. (1) L'ortet ou tête de clone est l'individu issu d'une graine qui, par bouturage, donne naissance à un clone. 248 Le bouturage des arbres forestiers D'une façon générale, l'utilisation des clones dans les expériences augmente la précision et permet de réduire le nombre de répétitions . L'intérêt du bouturage est donc très grand et c'est pourquoi des chercheurs, toujours plus nombreux, s'y consacrent. LES RÉSULTATS RÉCENTS Presque toutes les expériences modernes portent sur les résineux . Les résultats les plus anciens viennent du Japon (Cryptomeria japonica), d'Allemagne et de Norvège (Picea ables), de Nouvelle-Zélande et d'Australie (Pinus radiata) . Beaucoup d'études sont en cours aux U .S .A . et en Europe. Les expériences sur les feuillus sont plus récentes, mais aussi plus positives : Tunisie (divers eucalyptus), Congo (divers eucalyptus, Terminal/a superba, Aucoumea klaineana), Brésil (divers eucalyptus), France (noyer, merisier, chêne, etc .). Au Congo, le Centre technique forestier tropical marque une bonne avance et il est nécessaire de présenter les expérimentations passées et les réalisations actuelles. • Les essais du Centre technique forestier tropical Les essais de bouturage ont été lancés, à partir de 1969, pour augmenter la rentabilité des repeuplements artificiels. La technique consiste à appliquer aux arbres forestiers les procédés horticoles maintenant classiques (fragments herbacés de tige feuillée placés sous nébulisation). Le climat équatorial s'est révélé très avantageux pour ce type d'expérience, en raison de ses caractéristiques propres (forte hygrométrie, température élevée, bonne luminosité) et de celles des végétaux (pas d'arrêt de végétation marqué, croissance rapide, 2 à 8 m par an). Le bouturage classique, tel qu'il est pratiqué pour le peuplier (boutures ligneuses), appliqué aux espèces tropicales, conduit presque toujours à des échecs . Dans de rares cas, on obtient des racines mais elles sont très faibles et toujours plagiotropes ( 2 ) . Ces boutures donnent naissance à des individus ayant un âge physiologique plus ou moins avancé (phénomène de maturation ou effet bouturage) . Le terme «effet bouturage » ici semble impropre. Des résultats positifs n'ont été obtenus qu'à partir de jeunes pousses feuillées placées sous brouillard artificiel, en adoptant le procédé mis au point par A . Franclet à l'Institut de reboisement de Tunis. Les conditions du milieu considérées comme optimales sont : maximum de luminosité (pas d'ombrière) ; maximum d'hygrométrie (nébulisation diurne permanente) ; température ambiante 26°; bonne ventilation; — très bon état sanitaire (fongicides obligatoires) ; — substratum neutre et très filtrant. Le milieu étant ainsi défini, les conditions auxquelles doit satisfaire le végétal à bouturer sont très strictes : — fragments de tige prélevés sur des éléments jeunes : jeunes plants ou jeunes rejets (âgés de 1 à 2 mois au plus) ; — fragments non encore très lignifiés mais relativement durs à l'exclusion des tissus très tendres (très jeunes) qui pourrissent très rapidement sous e mist » ; épiderme encore chlorophyllien (tissu « herbacé ») ; (2) Inverse d'orthotrope : aptitude d ' une portion de végétal à pousser dans un plan horizontal, sans dominance apicale (branche par exemple) . 249 R .F .F . XXIX - 4- 1977 B . MARTIN 1 f. 60 % 2 f. 60 % 3 f. 60 % 4 f. 70 % 5 f. 76 % 6 feuilles 77 % de réussite Boutures d'Eucalyptus PF 1 — Enracinement obtenu au bout de 23 jours de nébulisation en saison chaude . Chaque lot de boutures représente les réussites sur 71 boutures installées . Le nombre, et surtout la vigueur des plans obtenus, est en liaison étroite avec le nombre de feuilles laissées aux boutures. — fragments comportant obligatoirement des feuilles . Il y a corrélation très nette entre la vitesse d'apparition des racines, le nombre et le poids de celles-ci, et la surface foliaire de la bouture . Il y a mort très rapide des boutures sans feuille. Des expériences nombreuses sur plusieurs espèces d'Eucalyptus, sur Termina//a superba, Aucoumea k/aineana, etc ., ont montré que les fragments récoltés sur de jeunes plants, issus de semences, ne conservent pas longtemps leur capacité d'enracinement et que cette faculté est rapidement perdue avec l'âge croissant du plant. Sur un jeune sujet, l'étude des zones de bonne rhizogénèse montre qu'elles sont rapidement repoussées vers l'extrémité supérieure des parties les plus jeunes (à l'exclusion toutefois des bourgeons terminaux) et disparaissent le plus souvent complètement vers l'âge de 6 mois à 1 an . A partir de cet âge, il est nécessaire de rajeunir le sujet et le moyen le plus efficace s'est avéré être la coupe au ras du sol. Les sujets néoformés présentent, dans les deux mois qui suivent cette coupe, une grande capacité au bouturage à condition de respecter les règles énoncées plus haut. Cette même technique s'est révélée valable pour des arbres adultes, capables de rejeter de souche . La taille haute est proscrite, à l'avantage de la seule coupe au ras du sol . En effet, des rejets prélevés trop loin du collet ne s'enracinent pas. Cette pratique rejoint la notion de réjuvéni/isation des plantes, en vue de la multiplication végétative . Les arbres n'échappent pas à cette règle, et les expériences mettent en évidence que le recépage est un procédé simple et très efficace pour rendre juvénile un arbre de grande 250 Le bouturage des arbres forestiers dimension, à condition qu'il ait conservé sa faculté à rejeter de souche . L'aptitude des rejets est en général très supérieure à celle des jeunes plants issus de graines, mais le stade végétatif convenable est fugace. Le phénomène d'enracinement a été examiné et on a pu constater qu'il avait les caractéristiques suivantes : — déclenchement rapide (à partir du 10 e jour) ; — réaction brutale et généralisation sur toute la partie plongeant dans le substrat (à l'abri de la lumière) ; — début fréquent par un léger gonflement et une fissuration des tissus de la base de la bouture; — production importante de racines sans modification visible de la partie aérienne; sevrage délicat au moment de l'arrêt de la nébulisation (3 semaines à 1 mois) ; — différences d'aptitude à l'enracinement, très grandes selon les espèces, les individus d'une même espèce, les différentes parties des rejets d'un même individu (deux espèces ont présenté un très grand pouvoir d'enracinement : Eucalyptus deglupta et Termina/1a superba). Le rôle des auxines est le plus souvent bénéfique (A .I .A . ou A .I .B .) ( 3 ) . Les doses doivent être adaptées à chaque « niveau de juvénilité ». Selon les concentrations et en fonction du niveau végétatif de la bouture, on peut avoir l'une des évolutions suivantes : — base se nécrosant très rapidement (tige trop jeune ou trop grande concentration auxinique) ; — base évoluant en cal (tige trop lignifiée ou concentration auxinique trop faible) ; — émission de racines (bon niveau hormonal et végétatif). Le milieu de bouturage étant mis au point, la réussite dépend, pour une bonne part, du doigté du chef de travaux au moment de la décision de récolter les boutures sur les rejets. Ces expériences ont débouché rapidement sur des applications pratiques et on s'achemine actuellement à Pointe-Noire vers l'exécution d'un programme de plantations polyclonales d'Eucalyptus hybrides à haut rendement, à partir d'individus sélectionnés à l'état adulte, puis coupés et bouturés à partir de rejets de souche . Des études technologiques sont faites à partir des arbres abattus (épaisseur de l'écorce, densité du bois, etc .). Des plants bouturés ont été mis en place dès 1972 . En 1973, un hectare d'Eucalyptus bouturés a été installé à Pointe-Noire et ce type de plantation s'est beaucoup intensifié à partir de 1974, étant donné /es performances très grandes enregistrées pour ces clones, comparativement aux populations habituellement plantées (doublement de la production) . En 1975, on a planté 10 ha de tests clonaux . En 1976, mis à part les tests clonaux, 150 ha d'extensions multiclonales ont été installées et le programme prévoit la réalisation d'une tranche de 500 ha en 1977. L'intégration du bouturage dans les chaînes classiques de production des plants en pépinière a présenté quelques difficultés liées à l'existence d'une saison sèche, fraîche et peu lumineuse coincidant avec l'époque de bouturage choisie de façon à pouvoir planter en novembre, premier mois de la saison des pluies. On s'est penché avec attention sur l'aspect des systèmes racinaires des arbres issus de boutures. Chez les arbres, le système racinaire a, en effet, deux rôles fondamentaux : soutien et absorption et il est nécessaire que ces deux fonctions soient pleinement satisfaites. On a constaté que les arbres issus de boutures présentaient le plus souvent des systèmes racinaires plus développés et plus volumineux que ceux des arbres issus de graines (en particulier des têtes de clones elles-mêmes) . Les systèmes racinaires obtenus sont différents des (3) (A .I .A .) Acide indol-acétique ou (A.I .B .) Acide indol-butyrique ; dose moyenne 1 % de matière active. 251 R .F .F . XXIX - 4 - 1977 B . MARTIN systèmes naturels . Ils possèdent plusieurs pivots obliques et de nombreuses racines latérales puissantes . C'est ce phénomène positif que l'on devrait appeler « effet bouturage » et non l'effet négatif de la maturation. Si on pratique le repiquage avant le sevrage, des précautions doivent être prises pour ne pas déformer le système racinaire et le plus simple est de chercher à bouturer dans un substrat permettant l'éducation des plants en pépinière . L'utilisation d'un conteneur est indispensable et le choix de celui-ci est décisif. Les expériences du Centre technique forestier tropical au Congo apportent d'abord des éléments capitaux pour le développement du pays (possibilité d'installation d'une grande unité papetière) ; les résultats des plus anciennes plantations clonales montrent déjà un avantage énorme des plantations clonales sur les plantations classiques (doublement de la production en volume) . Le coût des plants ne semble pas plus élevé que les plants en godets classiques et la plantation revient moins chère du fait des espacements beaucoup plus grands . On est passé de 2,5 x 2,5 m à 4 x 4 m . Les études se poursuivent activement, parallèlement à la réalisation des premières tranches de plantations industrielles . Sur le plan scientifique, ces travaux apportent des éléments très intéressants dans le domaine de la physiologie des arbres. Ils sont transposables sous d'autres climats. • Les résultats acquis pour les espèces tempérées Les travaux les plus importants concernent le bouturage de l'épicéa commun en Allemagne fédérale . A Escherode (Basse-Saxe), R . Kleinschmit, puis son fils J . Kleinschmit, effectuent des recherches depuis 1948 . Actuellement, le programme est très avancé et débouche sur une réalisation industrielle. Contrairement aux travaux du Centre technique forestier tropical du Congo, J . Kleinschmit ne prend pas, comme point de départ, des arbres adultes, phénotypiquement supérieurs . En effet, l'épicéa, comme la plupart des conifères, ne rejette pas de souche et les boutures prises sur des sujets âgés reprennent beaucoup plus difficilement et présentent le plus souvent des déficiences physiologiques marquées : plagiotropie, vigueur plus faible, fructification précoce (effet de maturation). J . Kleinschmit part de jeunes plants qu'il multiplie par bouturage et dont il conserve en permanence des copies végétatives juvéniles en pépinière . Sur un matériel initial de 63 000 000 de plants examinés dans les pépinières de Basse-Saxe, ce programme doit aboutir en 24 ans à 2 000 clones (taux final : 0,003 %). Pendant cette période, de nombreux tests clonaux auront été installés, mesurés, observés et auront permis d'effectuer cette sélection très sévère . En plus de ces tests, chaque année, J . Kleinschmit fournit des variétés multiclonales aux reboiseurs de l'Allemagne du Nord, qui les multiplient dans leurs serres . En 1975, deux millions de plants bouturés ont ainsi été produits et mis en place, dans des reboisements de production, en Basse-Saxe . Une deuxième unité de ce type est en cours d'établissement en Bavière. La sélection est faite au départ sur de jeunes plants, ce qui peut être critiquable . Cependant, il faut remarquer que chez l'épicéa commun, en moyenne, la corrélation juvénile-adulte pour la vigueur est assez bonne . D'autre part, les nombreuses sélections récurrentes qui interviennent tout au long du déroulement du programme vont permettre une connaissance approfondie du développement complet de chacun des 2 000 clones retenus en fin de programme . La qualité des variétés multiclonales livrées aux reboiseurs sera de plus en plus grande jusqu'à l'étape finale. Actuellement, les gains en croissance sont importants et les plus vieilles expériences montrent jusqu'ici qu'ils se conservent . La supériorité moyenne des meilleurs clones est de 40 % en volume sur la moyenne des plants classiques issus de semis appartenant à la même provenance . 252 Le bouturage des arbres forestiers Serre d ' enracinement utilisée par J . Kleinschmit à Escherode en Basse-Saxe (Allemagne fédérale) Les expériences de J . Kleinschmit ont porté sur d'autres espèces résineuses (en particulier le douglas et le mélèze), mais les problèmes de maturation, voire de plagiotropie, présents avec une fréquence assez élevée, n'ont pas permis de passer sans risque à l'étape industrielle comme avec l'épicéa . Des feuillus ont également été testés, en particulier le chêne, pour lequel les expériences se poursuivent. En France, les expériences sont réalisées au département de Recherches forestières de l'Institut national de la recherche agronomique (I .N .R .A .) et à l'Association Forêt-Cellulose (A . F .O . C . E . L.) . Des résultats très intéressants ont été obtenus par M . Lemoine sur Populus tremu/a et P . a/ba à partir de fragments de racines, puis par D . Cornu sur douglas, épicéa commun, noyer, merisier, et F . Le Tacon et J . Garbaye sur le hêtre et surtout le chêne ( 4 ) . Récemment, J .F .Picard et Y . Laplace ont obtenu de bons enracinements avec le merisier, le frêne, l'orme de montagne, l'érable sycomore et l'érable plane . Les problèmes les plus importants concernent les effets de maturation, la conduite des boutures en pépinière et la mise en route des programmes de sélection. A I'A .F .O .C .E .L ., A . Franclet essaye de résoudre les problèmes de maturation par des tailles appropriées d'arbres relativement âgés (15 ans), de façon à rejuvéniliser les têtes de clones (ortets) . D'autre part, un programme calqué sur celui de J . Kleinschmit vient d'être engagé sur l'épicéa . Enfin, la multiplication in vitro est étudiée sur le douglas par A . Franclet et Boulay. Là aussi, les problèmes de maturation sont importants et se manifestent lorsque l'on part d'individus âgés. (4) 90 % d'enracinement, obtention de plants vigoureux à partir d ' arbres adultes rejuvénilisés par rejets de souche. 253 R .F .F . XXIX - 4 - 1977 Le bouturage des arbres forestiers La première étape semble assez aisée pour la plupart des chercheurs, mais les problèmes liés à la sélection de jeunes plants bloquent la généralisation du procédé, car le programme correspondant est fastidieux et très lourd . Un tel programme, s'il est possible dans les conditions d'Escherode, semble irréalisable à la plupart des autres chercheurs. Le rajeunissement est donc indispensable de façon à partir d'arbres adultes dont le génotype s'est complètement exprimé au travers du milieu. La recherche de matériel juvénile chez l'arbre adulte est donc une première étape importante, mais y a lieu au préalable de définir l'état juvénile . Cet état peut se définir de 3 façons - morphologie avant prélèvement; - aptitude de la bouture à la rhizogénèse; - totipotence de la bouture racinée (6) . Morphologie avant prélèvement Matériel in situ Les formes les plus juvéniles sont celles qui sont les plus proches de celles de l'embryon. Dans un arbre adulte, les jeunes pousses de l'année sont les plus juvéniles, mais cette notion est toute relative car la morphologie de ces pousses est très différente de celle des jeunes plants (bourgeons, feuilles, écorce, etc .). Matériel néoformé (6) Cas des rejets de souche . Lorsque l'on coupe un arbre adulte capable de rejeter de souche, les rejets présentent une morphologie très différente des pousses de l'arbre adulte et semblent beaucoup plus proches des jeunes semis sans leur être cependant identiques . Les rejets sont des formes rajeunies tout comme les jeunes pousses issues de tailles diverses . Il semble cependant que la rejuvénilisation est d'autant plus forte que la coupe est plus basse. Aptitude à la rhizogénèse Expérience d e A . Franclet à l'Étançon (AFOCEL). Sur pin maritime, les Matériel in situ résultats sont de- 100 % de . Les e uquatre nes séries L'émission de racines souvent puissante et rapide à partir de boutures prélevée sreprise de boutures racinées montentplant l'importance ont du plants diminue très rapidement avec l'âge du pied mère . Toutes les parties du je une contrôle de la température cas des d'ailleurs pas cette même capacité à l'enracinement . La meilleure zone, dans le d'un baineucade trempage dans I'exubérone liquide. dans lyptus, est située au 2/3 supérieur du plant . Même dans le cas des espèces aptes au bouturage herbacé, cette zone disparaît rapidement (à 6 ans, chez E . deglupta). Le bouturage est également étudié dans de nombreux pays : Norvège (Épicéa), Australie et Nouvelle-Zélande (Pinus radiataJ . Les programmes engagés sont parfois très onéreux (Weyer(Weyerhaeuser aux U haeuser U .S .A .). Le développement des techniques de bouturage des arbres adultes semble donc limité, tout au moins chez les résineux, par les phénomènes de maturation . Nous allons tenter d'analyser ~~~~~ ~~et~~~~ ~~~~~~ conclusions ~ ~~~~ ~~~~~ ~ la situation de dégager~ quelques pour le futur. • Résultats récents en matière de juvénilité ~~~~~ ~~~ ~~~ On cherche cherche àA éviter éviter les les phénomènes phénomènes de de maturation. maturation. Au niveau des expérimentations, il est nécessaire de séparer deux étapes essentielles — la multiplication ~ ~~ ~~~~~~ industrielle d'un dmatériel juvénile quelconque; ~~ la fabrication~~~~~~~~~ de matériel juvénile~~~~ à partir d'un 'arbre arbre adulte sélectionné. ~~~é~~~~~ 254 Le bouturage des arbres forestiers La première étape semble assez aisée pour la plupart des chercheurs, mais les problèmes liés à la sélection de jeunes plants bloquent la généralisation du procédé, car le programme correspondant est fastidieux et très lourd . Un tel programme, s'il est possible dans les conditions d'Escherode, semble irréalisable à la plupart des autres chercheurs. Le rajeunissement est donc indispensable de façon à partir d'arbres adultes dont le génotype s'est complètement exprimé au travers du milieu. La recherche de matériel juvénile chez l'arbre adulte est donc une première étape importante, mais il y a lieu au préalable de définir l'état juvénile . Cet état peut se définir de 3 façons : — morphologie avant prélèvement; — aptitude de la bouture à la rhizogénèse; — totipotence de la bouture racinée ( 5 ). Morphologie avant prélèvement Matériel in situ Les formes les plus juvéniles sont celles qui sont les plus proches de celles de l'embryon. Dans un arbre adulte, les jeunes pousses de l'année sont les plus juvéniles, mais cette notion est toute relative car la morphologie de ces pousses est très différente de celle des jeunes plants (bourgeons, feuilles, écorce, etc .). Matériel néoformé ( 6 ) Cas des rejets de souche . Lorsque l'on coupe un arbre adulte capable de rejeter de souche, les rejets présentent une morphologie très différente des pousses de l'arbre adulte et semblent beaucoup plus proches des jeunes semis sans leur être cependant identiques . Les rejets sont des formes rajeunies tout comme les jeunes pousses issues de tailles diverses . II semble cependant que la rejuvénilisation est d'autant plus forte que la coupe est plus basse. Aptitude à la rhizogénèse Matériel in situ L'émission de racines souvent puissante et rapide à partir de boutures prélevées sur de jeunes plants diminue très rapidement avec l'âge du pied mère . Toutes les parties du jeune plant n'ont d'ailleurs pas cette même capacité à l'enracinement . La meilleure zone, dans le cas des eucalyptus, est située au 2/3 supérieur du plant . Même dans le cas des espèces particulièrement aptes au bouturage herbacé, cette zone disparaît rapidement (à 6 ans, chez E. deglupta). Matériel néoformé Le rajeunissement est donc indispensable dans la pratique du bouturage . Le matériel néoformé, et en particulier les rejets de souche lorsque les coupes sont pratiquées assez bas, présentent une grande capacité de rhizogénèse souvent supérieure à celle des semis chez qui la phase juvénile est parfois très fugace et plus difficile à cerner que chez les rejets . Chez ces derniers, tout se passe comme si l'éventail, dans le temps et l'espace, des niveaux végétatifs juvéniles, était beaucoup plus grand, ce qui permet un choix plus facile du matériel. La taille des résineux effectuée par Franclet semble confirmer ces résultats, encore que les rejets au niveau du sol soient impossibles à obtenir sauf chez quelques espèces comme Sequoia sempervirens par exemple . Les expériences de Libby aux U .S .A . sur cette espèce confirment bien cette thèse. (5) Aptitude des plants bouturés à donner naissance à des arbres de même ampleur et comportant les mêmes phases de croissance que les arbres issus de graines (jeunesse, maturité, sénilité). (6) Il faudrait distinguer si le matériel nouvellement formé est issu de cals (véritable néoformation) ou de bourgeons dormants (simple levée de dormance) . Dans les expériences décrites ici, cette distinction n'a pas été faite. 255 R .F .F . XXIX - 4 - 1977 B . MARTIN Des travaux récents obtenus par H . Chaperon et G . Quillet au Congo confirment bien ces résultats : le bouturage de Pinus caribaea et Araucaria hunsteinii a été réussi à partir de pousses rajeunies par taille forte des ortets. Totipotence de la bouture Matériel in situ La totipotence des boutures est liée au degré de juvénilité des ramets lors de leur prélèvement. Cette affirmation est illustrée par les résultats suivants : — Cas de l'Épicéa en Allemagne J . Kleinschmit utilise des ramets pris sur des boutures très jeunes . Les plants obtenus présentent cependant une assez forte plagiotropie qui disparaît à deux ans, ce qui prouve que la juvénilité n'est pas totale. — Cas de l'Épicéa commun en Norvège Ruden en Norvège a des essais de 19 ans à partir d'ortets de différents âges . Shelbourne a étudié ces plantations et démontré que la vigueur des plants est d'autant plus faible que l'ortet est plus âgé . Il donne les chiffres suivants : Age de l'ortet Volume des ramets en dl à 10 ans . . . 4 ans 13 ans 100 ans 102 à 148 64 à 86 8 à 35 — Cas de Sequoia sempervirens en Californie Libby démontre que la totipotence des boutures décroît avec la hauteur des prélèvements. Greffer ou bouturer des ramets prélevés au somment d'un arbre adulte conduit pratiquement au même résultat . C'est la potentialité du ramet qui joue. C'est tout le problème de l'évolution de l'information génétique au cours de la différenciation des tissus et des organes. — Cas de Pinus radiata en Nouvelle-Zélande Sweet et Wells confirment les résultats obtenus sur épicéa et comparent la croissance de plants bouturés et issus de semis . Comme dans les deux expériences précédentes, les boutures les meilleures n'arrivent pas à la potentialité des semis plantés à la même date, si l'ortet sélectionné est âgé de plus de 6 ans. La vigueur est d'autant plus faible que l'ortet est âgé Age de l'omet Volume du tronc à 7 ans des plants bouturés et issus de semis 6 ans 10 ans 19 ans 23 ans 43 ans semis 79,0 41,7 25,7 17,3 10,6 57,1 dm 3 dm 3 dm 3 dm 3 dm 3 dm 3 Si l'on veut partir d'arbres âgés de plus de 6 ans, il faut rechercher la totipotence dans du matériel plus juvénile, néoformé . 256 Le bouturage des arbres forestiers Mis à part le cas des peupliers et du cryptomeria au Japon, les plantations clonales, ayant pour origine des ortets âgés, sont rares et ont le plus souvent une potentialité réduite (vigueur plus faible et maturité plus précoce). Matériel néoformé Le nombre d'expériences de ce type est peu élevé, mais il semble bien qu'il soit nécessaire de traumatiser l'ortet pour produire des ramets juvéniles. Pour R . Nozeran, il y a deux pôles de rejuvénilisation possibles dans toute plante : les racines et les fleurs. Chez les arbres, il y a donc lieu de provoquer la néoformation d'éléments juvéniles à partir de ces deux pôles. A partir du pôle floral, il faudrait entreprendre quelques essais de façon à vérifier la thèse de R . Nozeran, cependant les fleurs des arbres étant le plus souvent inaccessibles, c'est le pôle racinaire qui semble le plus intéressant . Les boutures obtenues à partir de rejets de souche semblent avoir une potentialité proche de celle des semis et le gain génétique est intégralement conservé. Les expériences du Centre technique forestier tropical du Congo l'indiquent ; 10 ha de tests clonaux ont été réalisés en 1975 à partir des arbres adultes sélectionnés (10 à 15 ans) . Le développement initial de ces plants issus de boutures est très rapide et correspond anatomiquement et physiologiquement à des plants issus de graines . L'appareil racinaire est cependant un peu différent . Le gain génétique à la sélection semble être intégralement conservé (supériorité écrasante des boutures juvéniles sur la moyenne des semis). Les chiffres suivants le montrent à 27 mois pour l'eucalyptus a PF1 » (E . urophy//a x E. a/ba), parcelle 7315 de la Station de Pointe-Noire : Écart type % d'emplacements non productifs 30,80 cm 2,70 cm 0% 0,32 m 29,10 cm 3,29 cw 0% 2,02 m 26,34 cm 6,54 cm Hauteur moyenne Écart type Clone n° 32 . 13,15 m 0,47 m Clone n° 14 . 13,60 m Population hybride de même âge . 10,59 m Circonférence moyenne à 1,50 m 21,7 % La faiblesse des écarts types des clones montre à la fois l'homogénéité du sol de la station et celle des clones par rapport aux populations hybrides à fort hétérosis. La propagation ultérieure de clones utilisés plusieurs années auparavant, semble être impossible ou problématique, étant donné le développement et la différenciation de l'ortet et des ramets . J . Kleinschmit pallie cet écueil en conservant perpétuellement des clones jeunes en pépinières par bouturage, chaque année, sur des ramets de 1 à 4 ans, mais il s'agit d'une technique très lourde. Ces inconvénients sont éliminés dans le cas des eucalyptus au Congo où le rajeunissement par rejets de souche peut être réalisé indépendamment sur l'ortet ou sur n'importe quel ramet suffisamment développé, ce qui donne une très grande valeur au système . On constate même une augmentation de l'aptitude au bouturage des clones à chaque génération de boutures. Ces résultats importants sur les procédés de rejuvénilisation des arbres qui rejettent de souche permettent donc d'être optimiste sur le développement futur de cette technique en ligniculture ; il faut cependant, avant de conclure, émettre un certain nombre de remarques. 257 R .F .F . XXIX - 4 - 1977 B . MARTIN CONSIDÉRATIONS IMPORTANTES • ration La notion de stade juvénile (ou point juvénile) est à prendre en considé- Les études actuelles doivent s'intensifier autour de cette notion . En effet, obtenir la totipotence cellulaire est un élément capital avant de rechercher la différenciation en bourgeons racinaires, qui est toujours plus ou moins réalisable même à partir de matériel âgé avec des techniques toujours plus sophistiquées. Comme il est particulièrement avantageux de partir d'arbres adultes, pour alléger les sélections et parce que les rejets de souche ont donné d'excellents résultats avec les Eucalyptus au Congo et d'autres espèces en zone tempérée, les études doivent d'abord s'orienter vers la morphogénèse et la physiologie des rejets (en liaison avec leur aptitude au bouturage) . Par exemple, les premiers stades de croissance de ces éléments semblent impossibles à enraciner. La raison émise actuellement est d'ordre anatomique : les tissus de la bouture sont trop tendres et se nécrosent avant le onzième jour . En pratique, cela est bien exact, il n'est pas possible par contre d'émettre un jugement sur leur potentialité rhizogénétique . Des études de bouturage in vitro de ces éléments sont à lancer afin de préciser cette notion importante. Actuellement, on considère que le point juvénile se situe, pour le rejet, à un stade physiologique intermédiaire entre la dépendance totale du système racinaire et l'indépendance relative des rejets dont la photosynthèse devient active . Le stade requis correspond d'ailleurs à un changement de couleur des feuilles . Les stades végétatifs sont sous la dépendance des hormones . Il pourrait s'agir d'une balance : cytokinines-auxines. D'autre part, un point important acquis est la nécessité des feuilles . Des études biochimiques doivent être lancées de façon à définir le rôle des feuilles dans la rhizogénèse. Enfin, c'est au cours de la culture in vitro de cellules ou de cals que la matière vivante végétale réacquiert une nouvelle juvénilité avant la néoformation d'embryons somatiques . C'est peutêtre une des significations de l'obtention des cals au cours des opérations de bouturage classique, lorsque le milieu est favorable mais que les boutures sont trop différenciées (lignification importante). • Un problème important concerne la variabilité des clones La variabilité interclonale est extrêmement grande . Shelbourne indique les chiffres suivants relatifs aux essais norvégiens sur épicéa (clones de Marud plantés à Overud) : Niveau de variabilité Variances sur le volume en % . Provenances Familles Clones 8,6 % 2,2 % 31,1 % A la lumière de ce qui vient d'être dit, on peut énumérer les principales causes de la variabilité des clones : Variabilité interclonale : — valeur additive des clones; - valeur non additive des clones; — interaction génotype-milieu; — aptitude à la multiplication végétative des clones. Variabilité intraclonale : — niveau différent de juvénilité des ramets, 258 Le bouturage des arbres forestiers — différents enracinements des ramets; - différente situation sur l'ortet au moment du prélèvement. Avec une meilleure connaissance de la juvénilité et l'utilisation de matériel néoformé, on pourra réduire la variation intraclonale . La variance interclones permettra d'atteindre un gain génétique très élevé dans un délai très court en choisissant, pour une station donnée, les génotypes les plus performants. L'interaction génotype-milieu reste le seul problème et rend indispensable l'expérimentation de terrain comme c'est le cas avec les provenances et les essais comparatifs de clones de peupliers actuellement . Remarquons cependant que le bouturage permet l'utilisation d'hybrides à hétérosis élevé relatif non seulement à la production, mais à la plasticité, ce qui permet d'éliminer une partie de cette interaction en gagnant encore sur la production (cas de l'eucalyptus « PF1 » au Congo ; cas des Popu/us x euramericana en Europe). • L'aptitude au bouturage semble liée négativement à l'aptitude à produire des fleurs Au Japon, l'étude de Furukoshi concernant des clones de cryptomeria montre que l'aptitude à la reproduction par bouture est souvent la plus élevée chez les clones peu fertiles . II semblerait y avoir compensation entre ces deux types de reproduction . Une des conséquences immédiates pourrait être la difficulté de réalisation de vergers à graines clonaux à partir de boutures d'individus sélectionnés pour leur aptitude à la floraison . Inversement, il y aurait peut-être là un moyen de détecter les clones les plus aptes au bouturage parmi les arbres « plus » sélec- Deux clones d'épicéa (un bon et un mauvais) 15 ans après la plantation : différence de40 % sur la hauteur moyenne, parfaite régularité des individus . y'_ . a'~"~.~ _"s°~q.. ~ ►' ; '~:.'^.l . .s:r .~ .: . 259 R .F .F . XXIX - 4 - 1977 B . MARTIN tionnés . La vérification de cette observation sur d'autres espèces confirmerait que /e bouturage doit toujours être à l'aval des programmes d'amélioration génétique et non à l'amont comme cela a pu se faire par le passé avec les peupliers noirs. L'utilisation du bouturage ne peut avoir lieu qu'à partir d'un niveau déjà assez élevé dans l'amélioration par voie générative . Il ne peut être qu'une sortie latérale pour une utilisation très intensive de génotypes remarquables et non comme une étape de la voie générative qui n'utilise le bouturage que pour éviter les inconvénients du greffage. • L'amélioration des espèces par voie générative et le bouturage sont deux voies complémentaires Sur un plan plus fondamental, l'étude détaillée de la multiplication asexuée chez les êtres vivants nous indique qu'il s'agit bien d'une fonction de reproduction naturelle. Nombreux sont les êtres vivants des deux règnes qui se multiplient de façon asexuée . Cependant, chez les végétaux les plantes supérieures adultes peuvent se reproduire ainsi, alors que seuls les embryons des animaux supérieurs possèdent cette particularité. Dans tous les cas, la reproduction asexuée est basée sur deux principes : la totipotence cellulaire, et le pouvoir de régénération (dédifférenciation puis différenciation). Nous avons vu que ce sont les deux règles de juvénilité. On constate que les êtres les plus adaptés à ce type de reproduction sont le plus souvent des saprophytes ou des parasites relativement peu influencés par le milieu extérieur. Chez . les végétaux supérieurs, les arbres qui drageonnent sont souvent des essences pionnières, peu longévives (saules, peupliers). Il faut rappeler que ce mode de reproduction, par l'absence de méiose et de fécondation n'assure pas un renouvellement constant des combinaisons génétiques . En l'absence de ces recombinaisons, moteurs de la variabilité et de l'adaptation, il y aurait un blocage dans l'évolution des espèces, donc une incapacité à s'adapter aux variations du milieu ou aux nouveaux parasites. La multiplication végétative pose donc, dès le départ, un problème de fond, ce qui explique les discussions passionnées sur ce sujet . En réalité, la plantation clonale simple ou multiple ne doit être réalisée que sur de faibles surfaces dans une perspective de production intensive de bois avec les méthodes les plus perfectionnées de sylviculture . Cette ligniculture permettant au pays de satisfaire ses besoins en bois, libérerait de la priorité absolue de production ligneuse la majeure partie des autres forêts pseudonaturelles assises sur les grands massifs et autoriserait leur orientation vers d'autres buts (bois de haute qualité, protection, loisirs) par une gestion plus extensive et plus écologique . Accepter pour certaines espèces un mode de propagation végétatif dans des plantations très intensives ne veut pas dire écarter l'amélioration par voie générative . Au contraire, dans ce cas particulier, le bouturage doit être l'aboutissement ultime de l'amélioration et doit permettre constamment de choisir de nouveaux clones dans les populations améliorées successives. L'exemple du peuplier, par sa très grande facilité de bouturage nous montre le danger d'une conduite extrême (plantations monoclonales, mêmes clones utilisés dans beaucoup de régions aux climats divers, absence d'amélioration par voie générative pendant longtemps) . Aujourd'hui, on revient à la voie sexuée pour la recherche de nouveaux génotypes, mieux adaptés et plus résistants. De même au Japon avec le cryptomeria, l'utilisation des clones est arrivée à un palier dans l'amélioration : bien que l'homogénéité soit supérieure, les risques encourus ne compensent plus la faiblesse des gains . Les individus clonés appartiennent à une espèce pure qui n'a pas été le siège d'une amélioration par voie sexuée suffisante . Pour bénéficier pleinement du bouturage, il est nécessaire de rechercher de nouvelles combinaisons génétiques (croisements). 260 Le bouturage des arbres forestiers C'est après avoir détecté des génotypes, résultant de très fortes aptitudes spécifiques à la combinaison des parents, que le bouturage devient un outil précieux, complément indispensable de l'amélioration par voie générative. CONCLUSION En résumé, le bouturage des arbres forestiers, arme particulièrement puissante pour le forestier, est actuellement encore du domaine de la recherche mais sera à notre portée dans un délai relativement court . Il est déjà utilisé à l'échelle industrielle en Allemagne et au Congo-Brazzaville . LIAISON ENTRE AMÉLIORATION PAR VOIE GÉNÉRATIVE ET MULTIPLICATION VÉGÉTATIVE PAR BOUTURAGE Grands massifs forestiers Ligniculture intensive - Écologie Surfaces limitées Économie à court et moyen terme Économie à long terme temps 3e génération Hybridation 2e génération Hybridation Matériel se base r œ Hybridation génération Multiplication par voie générative (vergers à graines) Multiplication par voie végétative (bouturage) 261 R .F .F . XXIX - 4 - 1977 B . MARTIN Sa mise en application demande des précautions et nécessite encore des études approfondies en physiologie, en particulier pour mieux connaître ce que les chercheurs appellent «juvénilité ». Si cette nouvelle voie n'est en réalité qu'un complément à l'amélioration par voie générative, elle offre cependant des possibilités très grandes dans le domaine de la ligniculture très intensive, en particulier à partir des hybrides les plus hautement productifs . Les réalisations françaises du Centre technique forestier tropical au Congo permettent d'entrevoir un futur très optimiste . Bernard MARTIN Ingénieur du G .R .E .F. Chargé de cours ÉCOLE NATIONALE DU GÉNIE RURAL DES EAUX ET DES FORETS 14, rue Girardet 54042 NANCY CEDEX BIBLIOGRAPHIE AFOCEL-ARMEF . — Les variétés multiclonales d'épicéas sélectionnés : un moyen pour stimuler la productivité des reboisements . Informations-Forêts, n° 1, 1976, pp . 35-44. CHAPERON (H .) et QUILLET (G .) . — Résultats des travaux sur le bouturage des Eucalyptus au CongoBrazzaville . Contribution volontaire du C .T .F .T . Congo à la 3° Consultation Mondiale sur la génétique forestière . 1977 (sous presse). CORNU (D .) . — Compte rendu de mission à la Station de recherches forestières de Basse-Saxe à Escherode. Nancy-Champenoux, Centre national de recherches forestières, 1974. CORNU (D .) — La multiplication végétative du Noyer hybride . Résultats d'une première campagne . Perspective d'avenir. 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