Le marché « high yield » teste sa résistance

Transcription

Le marché « high yield » teste sa résistance
économie & finance
Le marché « high yield »
teste sa résistance
La distinction entre le marché américain et européen se fait plus
marquée. Avec, comme risque, un regain de volatilité.
Bloomberg
Les deux rives de l’Atlantique ne sont
pas au même stade du cycle de crédit
et s’il y a une hausse des défauts,
elle viendra des Etats-Unis, en raison
principalement des secteurs de
l’énergie et des mines (photo).
12 L’agefi hebdo / du 19 au 25 novembre 2015
www.agefi.fr/actualite-eclairages
par
L
Xavier Diaz
a recette marche à tous les
coups. Il aura suffi que Mario
Draghi, le président de la
Banque centrale européenne
(BCE), évoque une nouvelle étape
dans l’assouplissement de sa politique
monétaire accommodante pour que le
marché efface sa correction de l’été.
Le marché high yield a été l’un des
principaux bénéficiaires. Après quatre
mois de performance négative, les obligations haut rendement ont rebondi.
En Europe, le spread est revenu à 480
points de base (560 pb au plus haut
début octobre). Aux Etats-Unis, il est
passé de 680 à 620. La recherche de
rendement, de la part des investisseurs,
dans un contexte de taux quasi nuls,
a de nouveau orienté les flux vers la
classe d’actifs. Mais ce rattrapage n’at-il pas été trop rapide ?
Pour certains, cela n’est qu’un juste
retour à la situation antérieure à partir du moment où la volatilité a été
le principal moteur de la correction
et que cet indicateur est revenu à des
niveaux plus raisonnables. L’indice
VIX (volatilité de l’indice S&P 500),
qui avait bondi à 40 au plus fort de
la correction, s’est dégonflé de moitié.
« Ce ne sont pas les craintes sur la
croissance européenne qui ont généré
de tels mouvements mais plutôt la
forte hausse de la volatilité due aux
incertitudes dans les émergents. S’il y
avait eu un risque sur la croissance, il
y aurait eu une sous-performance du
segment B, comme au second semestre
2014 avant l’annonce par la BCE de
son ‘quantitative easing’ », juge Julien
Divergence
Mais le plus marquant est la divergence
des situations entre les deux rives de
l’Atlantique. Si la zone euro bénéficie
d’une amélioration de la conjoncture
économique et du soutien de la BCE,
il n’en va pas de même pour le marché
américain. « Outre-Atlantique, le regard
sur le segment ‘high yield’ est perturbé
par les difficultés et le poids du secteur
énergétique. Ensuite, contrairement à
la zone euro, les Etats-Unis subissent
un effet devise adverse avec le renforcement du dollar. Sans compter que la
Fed va prochainement relever ses taux
d’intérêt », note Benoît Vesco, responsable de la gestion obligataire chez
Meeschaert AM.
Europe et Etats-Unis n’en sont pas
au même stade du cycle du crédit. S’il
y a une hausse des défauts, elle viendra
d’outre-Atlantique. L’augmentation du
levier aux Etats-Unis, qui est destinée
avant tout à réaliser des opérations
financières, complique la situation du
marché américain. On constate d’ail-
L’avis
Stéphane Trémelot, président de Spread Research
« Le levier a légèrement augmenté
mais il reste contenu »
Les récentes tensions sur le marché
« high yield » préfigurent-elles une hausse
des taux de défaut en Europe ?
Le taux de défaut est à des niveaux
historiquement bas en zone euro, à 1,5 % pour
les 12 derniers mois, contre une moyenne
annuelle de 2 % sur 5 ans. Il devrait rester
bas car le contexte économique et financier
est sain. Cela dit, après une année de faible
besoin de refinancement, le mur de la dette va
être plus élevé au cours des cinq prochaines
années. Rien qu’au cours des deux prochaines
années, entre 40 et 60 milliards d’euros vont
devoir être refinancés principalement sur le
marché obligataire. Un quart de ce montant
concerne des loans.
Ces derniers mois, les structures financières
semblent plus tendues. Les investisseurs ne
risquent-ils pas d’être moins enclins
à investir sur la classe d’actifs ?
Dans l’environnement de taux bas actuel,
Amortisseur
14
12
Taux de défaut anticipé sur les marchés high yield dollar et euro par Moody’s
En %
10
8
Euro HY
US HY
Source : Pictet
6
4
2
0
Taux de
défaut implicite*
*En fonction du spread
Scénario
optimiste
Scénario
central
de...
Scénario
pessimiste
DR
Daire, responsable de la gestion crédit
chez CPR AM.
Tous les secteurs n’ont pas profité
de la même manière de cette reprise.
Philippe Noyard, responsable de la
gestion high yield et arbitrage crédit
chez Candriam, rappelle qu’au niveau
mondial, l’écart entre le secteur à plus
faible spread (la santé) et celui affichant
le spread le plus élevé (l’énergie) est
de 600 points de base. Cette disparité
souligne les difficultés auxquelles sont
confrontés certains d’entre eux comme
l’énergie et les mines, et donc l’extrême
prudence des investisseurs. Autre signe
de cette défiance, les obligations notées
BB ont affiché des performances trois
fois supérieures à celle des papiers CCC
au cours du récent rebond.
peu de classes d’actifs offrent le rendement
du high yield. Par ailleurs, si le levier
a légèrement augmenté de 3,75 fois à
4,5 fois, grâce aux conditions de marché
particulièrement favorables avant l’épisode
de cet été sur la Chine et les matières
premières, il reste contenu et peu inquiétant.
Il est d’ailleurs loin des excès de 20052007 où il avait atteint 7 à 8 fois. Même les
financements LBO (leveraged buy-out, NDLR)
ont connu peu d’évolution au cours des trois
dernières années et offrent une structure
équilibrée qui ne pose pas de difficulté
particulière avec un tour de levier de dette
bancaire, trois de fonds propres, trois de dette
sécurisée et un demi de dette high yield non
sécurisée en moyenne pour un multiple de
valorisation moyen de 8 fois l’Ebitda. De plus,
la fermeture du marché en août et septembre
a permis aux investisseurs de mettre le
frein sur les ambitions des émetteurs et des
banquiers en termes de pricing.
leurs une détérioration de la qualité de
crédit. « Depuis le début de l’année, il y
a eu une augmentation du nombre des
dégradations de notations. Alors que le
ratio relèvement/dégradation de notations était de 0,9 l’an dernier, il est désormais de 0,5 », indique Roman Gaiser,
responsable de la gestion high yield chez
Pictet AM. Moody’s vient de réviser ses
prévisions de défauts sur le marché américain à 3,5 % cette année et anticipe
une nouvelle progression l’an prochain.
Responsable : le secteur de l’énergie. A
fin septembre, le taux de défaut s’élevait
à 2,9 %, quatre défaillances ayant eu
lieu chaque mois depuis février.
Et même si le marché primaire est
reparti ces dernières semaines, il reste
sous le niveau de l’an dernier (près de
20 % inférieur, selon RBS). Il devient
plus compliqué pour les entreprises les
moins bien notées d’accéder au marché,
selon Chris Barris, responsable de la gestion obligataire high yield chez Alcentra
(groupe BNY Mellon). Ce dernier n’anticipe pas de dégringolade du marché.
« Il ne faut pas comparer ce qui s’est
passé en 2007-2008 avec la situation
actuelle. Lors de la crise financière il y
avait eu beaucoup de dette levée pour
des LBO (‘leveraged buy-out’), les
entreprises étaient très ‘leveragées’ et la
couverture des intérêts était basse. Le
marché était dominé par des émetteurs
CCC de faible qualité. La récession a
provoqué une envolée des défauts. Cette
fois la situation est différente. »
Cela dit, même si les taux de défaut
ne se dégradent pas, la classe d’actifs
risque d’être pénalisée par le regain de
volatilité, les valorisations étant surtout
tirées par les banques centrales. « Dès
qu’il y a une mauvaise nouvelle économique ou dans un secteur ou une
entreprise, cela se traduit directement
sur le marché par un écartement des
‘spreads’ », constate Roman Gaiser.
« Nous nous attendons à des périodes
de volatilité en plus grand nombre. Cela
ne veut pas dire qu’il y aura des défauts
mais les écartements de ‘spreads’ seront
plus nombreux », estime Julien Daire. n
du 19 au 25 novembre 2015 / L’agefi hebdo
13