joseph - L`éducation musicale

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joseph - L`éducation musicale
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THÉMATIQUE « MUSIQUE ET TEMPS »
[ Virginie Palu ]
Joseph Haydn
Die sieben letzten Worte unseres Erlösers am Kreuz
(Les sept dernières paroles de notre Sauveur sur la croix)(Hob. XX:2, avec orchestre)
«Chacune des sonates, chacun des textes plutôt, est rendu par
une musique uniquement instrumentale, de telle sorte que
même dans l’âme de ceux qui savent très peu de choses,
elles suscitent l’impression la plus profonde.»
(Joseph Haydn, Lettre à l’éditeur W. Forster, 8 avril 1787)
Joseph Haydn
C
ommandée à Joseph Haydn, probablement en 1786, par un chanoine de
l’église Santa Cueva de Cadix pour un
office liturgique de la Semaine Sainte, la musique des Sept dernières paroles du Christ a été composée au cours de l’hiver
1786/1787, sa création intervenant à l’occasion de la Semaine
Sainte de 1787. Il revient alors au prêtre de simplement citer l’une
des paroles de Jésus crucifié; écrit par Haydn (qui a ajouté à l’ensemble une introduction et un finale, le célèbre « tremblement de
terre »), un commentaire purement instrumental suit aussitôt. En
1787, le compositeur reprend sa partition sous forme de sept
mouvements de quatuor, dont chacun porte en exergue l’une des
paroles du Christ (en latin) et la fait bientôt entendre à Vienne.
Quelques années plus tard, en 1792, une version chantée de
l’œuvre est mise en forme par le chanoine Joseph Friebert, sur un
texte en allemand dont il a lui-même écrit les paroles; découvrant
cette adaptation, Haydn la reprend à son compte et remanie sa
partition en 1795-1796, sur les paroles de Friebert. Pour comprendre l’importance de cette partition au destin agité, mais aussi
sa position particulière au sein de la production de Haydn et dans
le cadre spécifique de l’École de Vienne, nous nous pencherons
sur son contexte européen, sur la situation de la musique et des
arts au XVIIIe siècle, sur la biographie du compositeur, mais aussi
sur la Passion du Christ et sur les particularités du texte sacré des
sept dernières paroles qu’Il a prononcées sur la croix.
Mutations de l’Europe
au XVIIIe siècle
Le XVIII e siècle est capital dans l’histoire de l’Europe, le Vieux
Continent prenant conscience de son importance en tant que
foyer de civilisation, mais découvrant aussi, grâce à ses explorateurs et à ses premiers archéologues, l’étendue des autres terres
émergées et l’immensité de son passé historique. Car ce sont
d’abord les découvertes de l’archéologie, surtout celles de la cité
ensevelie de Pompéi, qui contribuent à créer un incroyable
engouement pour l’Antiquité; dans les arts plastiques, la principale
conséquence en est le développement du néoclassicisme dont le
peintre Jacques Louis David (1748-1825) restera le plus célèbre
représentant.
Mais l’Europe n’est pas seulement nostalgique ou avide d’exotisme; son économie se transforme en profondeur avec l’apparition du machinisme industriel et la modernisation de son
agriculture. Politiquement, les deux puissances les plus actives en
sont la France et l’Angleterre, qui se livrent une bataille féroce par
territoires coloniaux interposés. L’Angleterre réussit ainsi à chasser
la France du Canada en 1763, mais les Français aident les tout
nouveaux États-Unis d’Amérique à se débarrasser des Anglais en
1778. À cette modernisation de l’économie correspond l’éclosion
d’une pensée nouvelle, fondée sur la raison, par essence hostile à
l’absolutisme royal instauré par Louis XIV au siècle précédent. Les
grands esprits animant cette réforme intellectuelle s’appellent
Sources
Orientations bibliographique et discographique
Bible : les quatre Évangiles, version de la Vulgate (langue
latine), traduction Osty, Paris, Seuil 1973.
Denizeau (Gérard), Musique et arts visuels, Champion, 2004.
Vignal (Marc), Haydn, Paris, Fayard, 1988.
Les sept dernières paroles du Christ en croix, Equilbey
(Laurence), version oratorio, Naïve, 2006.
Les sept dernières paroles du Christ en croix, Emerson String
Quartet, version quatuor, Deutsche Grammophon, 2004.
Les sept dernières paroles du Christ en croix, Muti (Ricardo),
DVD, EMI, 2006.
Les sept dernières paroles du Christ en croix, Savall (Jordi),
version orchestrale, Astrée, 1991.
Stavy (Nicolas), Les sept dernières paroles du Christ sur la
croix (piano), Mandala, 2006.
Partition
Haydn (Joseph), Les sept dernières paroles du Christ en
croix, éditions Musica, Budapest.
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Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Diderot. Les sculpteurs ne s’y
trompent pas qui, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, multiplient les portraits dans lesquels les attributs (vêtements, coiffures,
armes) s’effacent au profit de la vérité familière qui exalte l’individu. Dans ses bustes de Diderot ou de Rousseau, Jean Antoine
Houdon (1741-1828) restitue ainsi la vérité de ces esprits sensibles et tourmentés, tout comme son admirable buste de Voltaire
(1778-81) immortalise le faciès creusé, le regard perspicace, la
frêle silhouette, les mains osseuses et le sourire sarcastique du
penseur subversif. Mais les limites de cette religion du naturel se
lisent dans le Voltaire nu (1772-76) de Pigalle qui veut
contraindre son génie à une imitation sans concession et ne fait
que mettre en lumière la décrépitude du vieillard affaibli.
Dans le domaine des arts visuels, après la mort de Watteau en
1721 et jusqu’à l’avènement de David vers 1785, on n’assiste à
aucune transformation majeure, à l’inverse de ce qui se passe
pour la musique, laquelle connaît une mutation décisive avec
l’abandon, relativement rapide, du principe de la basse continue.
Parallèlement à la rocaille, héritière de la lame de fond baroque, le
milieu du siècle est marqué par la conquête d’une maîtrise nouvelle, dite « classique », en réaction aux excès du libertinage
ambiant. L’homme de cette transition est Jacques Ange Gabriel
(1698-1782), auteur des plans de l’École militaire (1750), de la
Place Louis XV (aujourd’hui Place de la Concorde) et surtout du
Petit Trianon (1762-68), d’où tout vestige de rococo a disparu au
profit d’un paisible classicisme, sans sécheresse ni raideur. Très
différente est la position du peintre Jean-Honoré Fragonard, exact
contemporain de Joseph Haydn (ils sont nés tous deux en 1732,
Fragonard mourut en 1806, trois ans avant Haydn), qui exprime
tous les désirs, mais aussi toutes les incertitudes de son temps, à
un moment où l’exercice du plaisir combat l’angoisse d’un avenir
obscur. Pour Fragonard, la première préoccupation est celle du
plaisir, un plaisir dont il fait le sujet de ses tableaux et que ces
mêmes tableaux sont chargés de dispenser au spectateur. Pour
atteindre cet objectif, l’artiste doit disposer d’une maîtrise supérieure dans la facture de l’œuvre, quitte à dissimuler cette maîtrise
sous le masque de l’improvisation, du « fa presto », et surtout il
doit faire le choix de la mesure, qui se traduit par le refus significatif de la laideur, de la vieillesse, de la brutalité. Par tous ces
caractères, le génie de Fragonard est très proche de celui de
Joseph Haydn, tous deux offrant deux visages, différents mais
complémentaires, d’un classicisme léger et profond.
Même si la mutation du langage musical au cours du XVIIIe siècle
ne se résume pas à un passage de l’horizontal au vertical, la disparition de la basse continue fait césure entre les deux moitiés d’un
siècle dominé par les productions de Jean-Sébastien Bach (16851750) et de Mozart (1756-1791), rupture étroitement liée à
l’épanouissement du style concertant, déjà décelable au XVII e
siècle. L’apparition du bithématisme en est le premier fruit, bien
que le second thème soit moins la conséquence d’une volonté
formelle induite par la tonalité que la suite logique d’une tradition
imposant une ornementation toujours plus riche au thème unique
et donnant une importance croissante à la ritournelle. Dans le
même temps, c’est toute l’Europe qui cherche à déterminer une
nouvelle esthétique de la musique orchestrale, notamment à
Mannheim, cité allemande dont l’orchestre assure la promotion
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de tous les pupitres sans plus laisser aucune part à l’improvisation
dans le choix des timbres; de cette transformation considérable,
Haydn sera l’un des premiers bénéficiaires.
Classicisme viennois,
École de Vienne
Pour tout mélomane, le nom de Joseph Haydn (dont le lecteur
trouvera la biographie un peu plus loin) est lié à celui de Vienne.
Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, la capitale autrichienne
devient le premier foyer d’invention musicale en Europe, connaissant son apogée avec l’inégalable contribution de Mozart.
Musicalement, le « classicisme viennois » se traduit par une évolution du matériau et du langage que n’importe quel auditeur ressent à la première audition. L’abandon de la basse continue, que
nous avons évoqué plus haut, et l’effacement du contrepoint donnent naissance à la notion inédite de cellule mélodique qui transforme l’idée de thème et conduit à celle de motif, élément dicté
par l’inspiration, mais dont le traitement dépend directement des
capacités du compositeur. Ce processus, engagé dès les premiers
quatuors de Joseph Haydn, trouvera son achèvement chez
Beethoven. L’une des plus heureuses conséquences de cette
mutation du matériau musical sera le principe de modulation, procédé dont Haydn, précisément, use toujours avec le plus grand
bonheur.
En ce qui concerne le problème de la forme musicale, le classicisme viennois provoque le triomphe de la forme-sonate, fondée
sur le contrôle d’une tension permanente née de l’affrontement
de la tonique et de la dominante, du ton majeur et de son relatif
mineur, etc. Aucun musicien n’a, mieux que Joseph Haydn, opéré
la synthèse de ces données qui, dans la seconde moitié du XVIIIe
siècle, relèvent encore, pour une bonne part, de l’intuition. Ses
contemporains (dont son propre frère Michel, mais aussi Reutter,
Gassmann, Kozeluch, Dussek, Wagenseil, voire Schenk ou Salieri)
ne peuvent rivaliser avec lui. Ainsi verra-t-on que les divers volets
des Sept dernières paroles du Christ sont toujours, bien que
soumis aux lois prosodiques du texte sacré, d’une grande limpidité
structurelle. Devant les portées superposées et encore vierges sur
lesquelles il s’apprête à écrire les parties de ses œuvres, Haydn
jouit d’une liberté qu’aucun de ses prédécesseurs n’a pu
connaître. Il dispose d’un matériau, encore neuf au regard de l’histoire, la tonalité, de moules formels inédits et cherche toujours à
privilégier l’expression du plaisir dans l’harmonie et l’équilibre.
Cependant, s’il passe pour le père de la symphonie et du quatuor,
ce n’est pas pour avoir inventé ces deux genres, mais pour les
avoir portés à un tel degré d’accomplissement que les compositeurs suivants, à commencer par Mozart, pourront faire abstraction, dans leur propre entreprise novatrice, de tout ce qui a été
écrit avant lui.
Vie de Joseph Haydn (1732-1809)
Né à Rohrau (Basse-Autriche) en 1732, Joseph Haydn est issu
d’une famille modeste de douze enfants. Il commence la
musique à huit ans, en tant que choriste à la cathédrale SaintÉtienne de Vienne. Déterminé à devenir compositeur, c’est en
autodidacte qu’il apprend la musique en étudiant, entre autres, les
œuvres de Carl Philipp Emanuel Bach et Johann Fux. En 1754, il
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devient accompagnateur vocal au service du compositeur italien
Nicola Porpora duquel il reçoit une culture approfondie de la
langue et de la musique italiennes. En 1759, il se fixe professionnellement, devenant le directeur musical du comte Morzin, pour
lequel il écrit sa première symphonie. En 1761 il entre au service
des princes hongrois Esterházy dont il sera bientôt le maître de
chapelle pour de nombreuses années, dans un premier temps à
Eisenstadt, puis à Eszterháza. Il s’engage dans le même temps à
composer toute musique que le prince Paul Anton Esterházy
désire entendre et à travailler exclusivement pour lui, sauf autorisation spéciale. Le compositeur dispose ainsi, encore très jeune,
d’excellentes conditions de travail, avec un orchestre et des choristes qui, à sa totale disposition, lui permettent d’exécuter immédiatement des œuvres à peine achevées, au besoin de les
reprendre: « placé à la tête d’un orchestre, je pouvais me livrer à
des expériences, observer ce qui produit l’effet ou l’amoindrit et,
par suite, corriger,
ajouter, en un mot
oser » 1. En conséquence, pendant ces
années, la production de Joseph
Haydn fut surtout utilitaire, dans les deux
domaines essentiels
de la liturgie et du
divertissement où il
dut prioritairement
répondre à tous les
besoins musicaux de
la cour princière.
Salle Haydn au château Esterhazy, à Eisenstadt
Avec les années qui
passent, la célébrité
du musicien ne cesse de croître en Europe, divers éditeurs
publiant ses œuvres dans plusieurs pays; c’est ainsi que des commandes lui sont passées de France (les six symphonies dites
« parisiennes » 1785-1786) ou d’Espagne (Les Sept paroles du
Christ en croix, 1787). L’année 1781 est marquée par sa rencontre avec le jeune Mozart, seul pair reconnu, en dépit d’une évidente modestie, par son propre génie. Ayant adhéré, sous
l’impulsion de son cadet, aux idéaux de la franc-maçonnerie, il est
admis dans la plus importante des loges de Vienne en 1785. En
1890, trois mois après la mort du prince Nicolas, Haydn, libéré de
ses obligations, part pour Londres, ville dans laquelle il effectuera
deux séjours (1791-1792, 1794-1795) et qui lui réservera un
accueil enthousiaste. C’est pour lui une période d’expériences
aussi neuves qu’enrichissantes: il peut enfin donner libre cours à
l’invention et à la recherche de nouveaux horizons sonores. Dès
son retour à Vienne, le compositeur, qui habite désormais une
maison en ville, produit des œuvres toujours plus personnelles
(les derniers quatuors, les dernières symphonies), se tournant
également vers la musique religieuse. Il consacre deux années
(1897-1898) à l’oratorio La Création et travaille parallèlement à
une série de messes commandées par le nouveau prince
d’Esterházy, Nicolas II. Son chant Gott erhalte Franz den Kaiser
devient, à sa grande fierté, l’hymne national autrichien, en 1797.
En 1801, il s’attelle à un nouvel oratorio, profane cette fois: Les
Saisons. Le 31 mai 1809 Haydn meurt alors que les forces de
l’armée française commencent à bombarder Vienne. Preuve de
son rayonnement européen et de son immense célébrité,
Napoléon enverra un détachement de troupes françaises à ses
funérailles.
Si la production du grand musicien autrichien touche à de nombreux genres, c’est dans les domaines de la symphonie et du quatuor à cordes que se lisent le mieux les éléments d’évolution et de
mutation caractéristiques de sa manière. En matière d’instrumentation par exemple, il ajoute, dès sa sixième symphonie (il en a
écrit plus de cent), la flûte et le basson au quatuor des cordes, aux
deux hautbois et aux deux cors des premiers numéros. Suivront
assez rapidement les timbales (13e), la trompette (20e), et, beaucoup plus tardivement (99e), la clarinette. En ce qui concerne les
procédés d’écriture, il renonce à la basse continue dès 1770,
adopte la structure en quatre mouvements; le plus fréquemment,
cette structure fait succéder la forme-sonate pour l’allegro initial
avec introduction lente, le lied ou la variation pour le mouvement
lent, le menuet et enfin, le rondo terminal. En revanche, il reste
traditionnel quant au choix du mode, ne renonçant qu’en huit
occasions au classique mode majeur. C’est à une progression analogue que conviennent ses quatuors à cordes, avec des étapes
aussi décisives que l’opus 20 (« quatuors du soleil ») et l’opus 33
(« quatuors russes ») : pour l’essentiel, abandon de la basse
continue, fixation des cadres formels et réintroduction du style
contrapuntique permettant l’exploitation extrême d’une cellule initiale, mélodique ou rythmique. Ces progrès, bien entendu, ne limitent pas leurs effets au langage instrumental, toute l’histoire de
l’art musical se trouvant ébranlée par cette énorme et discrète
entreprise. On en verra un peu plus loin l’application directe dans
Les sept dernières paroles du Christ. Même si les circonstances
historiques ont favorisé son puissant désir d’innovation, la grandeur de Joseph Haydn restera d’avoir relevé le défi des formes
nouvelles fécondées par un matériau nouveau au moment où
l’Europe tournait résolument tous modes d’expression dans le
sens de la modernité.
Caractères et évolution
de l’oratorio
Dans son Dictionnaire de la musique (1703), Sébastien de
Brossard fournit une définition très précise de l’oratorio: « C’est
une espèce d’opéra spirituel, ou un tissu de dialogues, de récits,
de duos, de trios, de ritournelles, de grands chœurs, etc., dont le
sujet est pris ou de l’Écriture ou de l’histoire de quelque saint ou
sainte. Ou bien c’est une allégorie sur quelqu’un des mystères de
la religion ou quelque point de morale, etc. La musique en doit
être enrichie de tout ce que l’art a de plus fin et de plus recherché.
Les paroles sont presque toujours latines et tirées pour l’ordinaire
de l’Écriture sainte. Il y en a beaucoup dont les paroles sont en
italien et l’on pourrait en faire en français. »
Comme l’indique son étymologie, l’oratorio prend forme, dans les
oratoires romains de Philippe de Néri, ceux de Santa Maria in
Vallicella et Santo Girolamo della Carità. Essentiellement latin et
romain par ses origines, il perd au XIIe siècle son caractère fonctionnel inhérent à la pratique religieuse et se transforme ainsi en
un genre musical autonome, suppléant par exemple l’opéra pendant
1 Halbreicht (Harry), La Flûte enchantée, Premières loges, 2000
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dant les « temps clos » où les autorités ecclésiastiques interdisent
le théâtre lyrique. En 1600, l’ouvrage d’Emilio dei Cavalieri intitulé
La Rappresentazione di anima e di corpo marque sa naissance
officielle, « lutte de l’âme et du corps » qui reprend un des thèmes
favoris des mystères ou jeux liturgiques plus anciens en langue
latine, française ou allemande. Giacomo Carissimi (1605-1674),
auteur de Jephte, chef-d’œuvre du genre, et d’un grand nombre
d’oratorios remarquables dominés par le triptyque (Judicium
extremum, Planctus damnatorum, Felicitas beatorum), lui donne
un caractère spectaculaire. Son disciple parisien, Marc-Antoine
Charpentier (1643-1704) adapte l’oratorio en France (Histoires
sacrées). C’est dans la première moitié du XVIII e siècle que le
genre culmine. En Italie avec Alessandro Scarlatti (1660-1725),
Leonardo Leo (1694-1774), Jean-Baptiste Pergolèse (17101736), Antonio Caldara (1670-1736) qui acclimate l’oratorio
dans la capitale autrichienne, Niccolò Jommelli (1714-1774) qui
exerce une influence de même ordre en Allemagne.
Paradoxalement, alors que le rayonnement de l’oratorio italien
s’étendait, sa forme se dégradait en une sorte d’opéra sacré. La
Betulia liberata (KV 118) de Mozart, probablement créée à
Padoue en 1771, s’inscrira au chapitre des derniers chefs-d’œuvre
authentiques ayant illustré le genre. Mais, dans la première moitié
du XVIIIe siècle, deux artisans majeurs de l’oratorio demeurent,
Jean-Sébastien Bach et Georg Friedrich Haendel. L’oratorio allemand subit un développement original du genre dont la voie avait
été ouverte par Heinrich Schütz (1585-1672) avec Les sept dernières paroles du Christ en croix (1645) pour culminer dans la
production de Jean-Sébastien Bach. Cette tradition, fondée sur la
Bible et sa nouvelle lecture commandée par la Réforme, trouve le
juste équilibre entre les différents éléments de l’oratorio allant
jusqu’à solliciter la participation de l’assemblée liturgique. Chez
Bach, le genre est toujours pensé en tant que succession de cantates (l’Oratorio de Noël BWV 248, enchaîne six cantates).
Haendel qui fut en contact avec l’oratorio italien à son apogée lors
de son premier séjour dans le pays, ouvre des perspectives nouvelles après Le Messie (1741) en faisant du chœur l’acteur
essentiel de la trame dramatique, notamment dans Israël en
Égypte (1738). Si la carrière anglaise du grand compositeur allemand lui a permis de hisser au sommet l’oratorio profane, il faudra
attendre Joseph Haydn pour en découvrir l’ultime accomplissement avec Les Saisons (1801), cependant que La Création
(1798) s’était imposé comme le dernier grand exemple sacré de
l’époque classique. Au XIX e siècle, l’oratorio connaît quelques
grandes réussites, notamment chez Robert Schumann (Le Paradis
et la Péri, 1743) et chez Hector Berlioz (La Damnation de Faust,
1846, et surtout L’Enfance du Christ, 1854). On en trouvera
encore trace dans le Christus (1873) de Franz Liszt, qui sollicite la
langue latine, ou encore chez César Franck, avec Rédemption
(1882) et Les Béatitudes (1880). Au XXe siècle, on assiste à une
nouvelle efflorescence de l’oratorio, principalement en France
grâce au Martyre de saint Sébastien (1911) de Claude Debussy.
Chez Arthur Honegger, on pourra encore citer Le Roi David
(1920), et surtout Jeanne au bûcher (1935). Plus proche de
nous, enfin, l’oratorio a rencontré une certaine faveur auprès du
public, grâce notamment au chef-d’œuvre Passio et mors domini
nostri Jesu Christi secundum Lucam (1963-1965) du Polonais
Krzysztof Penderecki.
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La Passion
du Christ
Selon les Évangiles, Jésus fut
contraint, après avoir été
condamné au crucifiement (et
non à la « Crucifixion », intitulé
particulier de cet épisode dans
les Écritures saintes), à porter sa
propre croix jusqu’au mont du
Golgotha, lieu du supplice. Dans
toutes les églises, les quatorze
stations du « Chemin de croix »
en rappellent les différents épisodes, notamment l’aide forcée
qu’apporta à Jésus un certain
Crucifixion, église Saint-Cirice,
Cahors (Lot)
Simon de Cyrène, et les trois
chutes de l’infortuné
condamné. Ayant refusé de boire le vin mêlé de myrrhe par quoi
étaient quelque peu adoucies les souffrances des crucifiés, Jésus
est ensuite cloué sur son instrument de torture, au sommet
duquel a été placé un panneau portant l’inscription Iesu Nazarati
Rex Iudorum, « Jésus de Nazareth, roi des Juifs ». Loin de maudire
ses bourreaux, le condamné adjure son père de leur pardonner ce
méfait dont ils ont une si faible conscience (première parole).
Pendant que les soldats jouent ses vêtements aux dés, le
Rédempteur est apostrophé par deux larrons condamnés à la
même peine que lui et placés respectivement à sa droite et à sa
gauche. Au premier voleur qui raille cruellement le « Fils de Dieu »,
le second répond par des reproches puis, sollicitant Jésus, obtient
l’assurance d’être le jour même avec lui au royaume des cieux
(deuxième parole). Nous sommes alors au soir du vendredi et le
Christ, torturé par le doute, tente de réconforter sa mère en la
confiant à la garde de saint Jean, le disciple fidèle (troisième
parole), avant d’adjurer le Père qui l’a abandonné (quatrième
parole). Puis viendra l’ultime plainte du martyr accablé par la soif
(cinquième parole), sa résignation après l’atroce moquerie des
soldats qui lui ont tendu au bout d’une lance une éponge imbibée
de vinaigre (sixième parole) et enfin l’ultime supplique du mourant à Dieu qui l’attend (septième parole).
Mis à mort par les juifs la veille du Shabbat (leur samedi de repos
hebdomadaire), Jésus ressuscitera le dimanche matin. En fondant
leurs arguments sur les textes bibliques, mais aussi sur les données historiques et astronomiques, les historiens datent généralement cet événement entre l’an 28 et l’an 33 de notre ère, au
début du printemps (fin mars-début avril). Aujourd’hui encore,
pour tous les chrétiens du monde, la Passion du Christ est célébrée le Vendredi saint.
Les sept dernières paroles
du Christ dans la Bible
C’est dans le texte des évangiles de saint Jean, de saint Matthieu
et de saint Luc que le lecteur trouvera la totalité des sept dernières
paroles prononcées par le Christ sur la croix. Toutes les sept sont
ici données en caractères majuscules. En complément figurent
aussi les textes qui sont intercalés entre ces paroles au cours de
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l’office. En tête de chaque citation, nous donnons la référence
biblique exacte, puis le texte en latin (la Vulgate) et les traductions
en langue française et en langue allemande (cette dernière ayant
été mise en musique par Haydn).
-MULIER ECCE FILIUS TUUS. [ECCE MATER]
- FEMME, VOILÀ TON FILS. [VOILÀ TA MÈRE]
- FRAU, SIEHE, DEIN SOHN! [SIEHE, DEINE MUTTER!]
IV. Saint Matthieu (XXVII, 45-47)
Saint Jean (XIX, 17-18)
Susceperunt Jesum, et eduxerunt. Et bajulans sibi crucem, exivit in
eum qui dicitur Calvariae locum, hebraice autem Golgotha, ubi
crucificrunt cum.
Ils prirent donc Jésus. Et, portant lui-même sa croix, il sortit vers le
lieu-dit « du crâne », c’est-à-dire en hébreu Golgotha. C’est là qu’ils
le crucifièrent.
I. Saint Luc (XXIII, 34)
Et latrones, unum a dextris, et alterum a sinitris. Jesus autem
decebat:
Ainsi que les malfaiteurs, l’un à droite, l’autre à gauche. Jésus
disait:
A sexta autem hora tenebrae factae sunt super universam terram
usque ad horam nonam. Et circa horam nonam clamavit Jesus
voce magna, dicens:
Dès la sixième heure, il y eut des ténèbres sur toute la terre
jusqu’à la neuvième heure. Vers la neuvième heure, Jésus clama
d’une voix forte:
-ELI, ELI, LAMMA SABACTHANI? HOC EST: DEUS MEUS, DEUS
MEUS, UT QUID DERELIQUISTIME? »
-ELI, ELI, LAMMA SABACTHANI ? C’EST-À-DIRE : MON DIEU,
MON DIEU, POURQUOI M’AS-TU ABANDONNÉ?
-ELI, ELI, LAMMA SABACTHANI? DAS HEISST: MEIN GOTT,
MEIN GOTT, WARUM HAST DU MICH VERLASSEN?
V. Saint Jean (XIX, 28)
- PATER, DIMITTE ILLIS; NON ENIM SCIUNT QUID FACIUNT.
-PÈRE, PARDONNE-LEUR; CAR ILS NE SAVENT PAS CE QU’ILS
FONT.
-VATER! VERGISS IHNEN, DENN SIE WISSEN NICHT, WAS SIE
TUN.
II. Saint Luc (XXII, 39-43)
Unus autem de his qui pendebant latronibus, blasphemabat
eum, dicens : si tu es Christus, salvum fac temetipsum, et nos.
Respondens autem alter increpabat eum, ducens : Neque tu
times eum, quod in cadem damnatione es. Et nos quidem juste,
nam digna factis recipimus, hie Jesum: Domine memento mei,
cum veneris in regnum tuum. Et dixit illi Jesus:
L’un des malfaiteurs suspendus à la croix l’injuriait: « N’est-ce pas
toi qui es le Christ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi. » Mais prenant la parole et le réprimandant, l’autre déclara: « Tu ne crains
même pas Dieu, alors que tu subis la même peine ! Pour nous
c’est justice; nous recevons ce qu’ont mérité nos actes, mais lui, il
n’a rien fait de fâcheux. » Et il disait: « Jésus, souviens-toi de moi,
lorsque tu arriveras en ton royaume. » Et Jésus lui dit:
- AMEN DICO TIBI: HODIE MECUM ERIS IN PARADISIO.
- EN VÉRITÉ JE TE LE DIS: AUJOURD’HUI, TU SERAS AVEC MOI
AU PARADIS.
- AMEN, ICH SAGE DIR: HEUTE NOCH WIRST DU MIT MIR IM
PARADIES SEIN.
III. Saint Jean (XIX, 25-27)
Stabant autem juxta crucem Jesu mater ejus, et soror matris ejus.
Maria Cleophae, et Maria Magdalene. Cum vidisset ergo Jesus
matrem, et discipulum standem quem diligebat, dicit matri suae:
Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa
mère, Marie, [femme] de Cleopas, et Marie Magdeleine. Jésus
donc, voyant sa mère et, près d’elle le disciple qu’il préférait dit à
sa mère:
Postea sciens Jesus quia iam omnia consummata sunt, ut
consummaretur Scriptura dixit:
Sachant que désormais tout était achevé, pour que fût accomplie
l’Écriture, Jésus dit:
- SITIO.
- J’AI SOIF.
- MICH DÜRSTET.
VI. Saint Jean (XIX, 29)
Vas ergo erat positum aceto plenum. Illi autem spongian plenam
aceto, hyssopo circumponentes, obtulerunt oris ejus. Cum ergo
accepisset Jesus acetum, dixit:
Il y avait là un vase plein de vinaigre. On fixa donc à une branche
d’hysope une éponge pleine de vinaigre et on l’approcha de sa
bouche. Lors donc que Jésus eut pris le vinaigre, il dit:
- CONSUMMATUM EST.
- [TOUT] EST ACCOMPLI.
- ES IST VOLLBRACHT.
VII. Saint Luc (XXIII, 44-46)
Tenebrae factae sunt in universam terram… Et obscuratus est
sol, et velum templi scissum est medium. Et clamans voce magna
Jesus dixit:
L’obscurité se fit sur toute la terre… Alors le rideau du sanctuaire
se fendit par le milieu. Et criant d’une voix forte, Jésus dit:
- PATER, IN MANUS TUAS COMENDO SPIRITUM MEUM.
- PÈRE, ENTRE TES MAINS JE REMETS MON ESPRIT.
- VATER, IN DEINE HÄNDE LEGE ICH MEINEN GEIST.
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Les sept dernières paroles
du Christ de Haydn
À peine créé, l’ouvrage de Joseph Haydn connaît un succès si vif
que l’on trouve trace de son édition simultanément à Vienne, à
Londres et à Paris! Face à cet accueil, le compositeur fait paraître
une version pour quatuor à cordes en 1788 (op. 51) afin d’en
rendre l’exécution possible dans tous les foyers musicaux. Cette
partition, universellement célèbre, s’insère entre les Six Quatuors
Prussiens (op. 50) et les Quatuors Tost (op. 54 et 55).
C’est ensuite seulement, en 1792, qu’intervient donc le Maître de
chapelle de la Cathédrale de Passau Joseph Friebert, qui s’avise de
procéder à un arrangement sous forme d’oratorio pour soli,
chœurs et orchestre. Libéral, Haydn en approuve le principe, mais
ne masque pas qu’il en juge la réalisation déplorable. Il consacre
en conséquence l’hiver 1795-1796 à remanier son ouvrage sous
la forme d’une grande fresque chorale et symphonique, aidé en
cela par le baron van Swieten, qui le convainc notamment d’accepter le texte de Friebert. Il a souvent été observé que cette
ultime version des Sept dernières paroles s’apparente, par sa facture comme par son lyrisme sentimental, au genre particulier de
l’oratorio-cantate alors fort en vogue.
Les paramètres purement musicaux de l’œuvre ne présentent
aucun élément de complexité, à l’image de l’orchestre qui sollicite
2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, un contrebasson,
2 cors, 2 trombones en do, 2 trombones alto, une timbale et
cordes, à quoi s’adjoignent les chœurs et les solistes.
Formellement, les différentes pièces sont très proches de la
sonate, avec alternance de pages en mode mineur et en mode
majeur; les parties traitées en mode mineur sont, pour leur part,
alternativement conclues par des cadences en ton mineur ou
majeur (« tierce picarde »); on relève enfin l’absence de tout récitatif dans la version définitive.
donne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font ») par le chœur a
cappella, dans la tonalité de sib majeur. Les principes d’homophonie et d’homorythmie (chaque syllabe est prononcée en
même temps par toutes les parties, et parfois sur la même note)
appliqués à l’écriture chorale favorisent la claire compréhension du
texte, procédé qui sera repris pour toutes les autres paroles, à l’exception du Sitio. Après une mesure en croches régulières confiées
aux altos, aux violoncelles et aux contrebasses, le thème chanté
par le chœur retrouve le rythme pointé de l’introduction.
Les premiers violons se signalent par leur doublure ou leur ornementation de la partie de soprano, notamment pour les têtes des
différents éléments thématiques et la belle tonalité de sib majeur
en souligne le caractère allant, sans aucune nuance s’assombrissement.
2. - Évangile selon saint Luc (XXII 39-43)
Grave e cantabile en 2/2 (C barré)
Pour nuancer d’humanité cette seconde parole (« En vérité, je te le
dis: aujourd’hui tu seras avec moi au Paradis ») et lui conférer un
plus prégnant lyrisme, l’auteur use de la tonalité de do mineur et
d’une déclamation apaisée, en contraste avec les rythmes pointés
de la première parole, qui était plus imposante que dramatique.
Introduction
Adagio maestoso - 4/4
Dans le ton de ré mineur, cette introduction orchestrale de forme
tripartite, est volontairement plus brève que les autres parties, mais
d’une souveraine majesté et d’une imposante austérité, ce que
soulignent particulièrement les figures rythmiques en valeurs pointées. Musicalement, l’expression vient avant tout des forts
contrastes dynamiques du discours, de l’importance des silences
et de la présentation l’introduction du thème en écriture homorythmique, sur la nuance ƒƒ.
1. - Évangile selon saint Jean (XIX 17-18)
Largo - 3/4
Rien n’est plus saisissant que l’introduction des paroles « Vater !
Vergib ihnen, denn sie wissen nicht, was sie tun. » (« Père par-
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L’expression de ce premier thème est quelque peu ennoblie par
l’ostinato en noires pointées des seconds violons, altos, violoncelles et contrebasse (dont le timbre lugubre n’est pas sans évoquer les sinistres échos d’un glas). La vision du Paradis est
merveilleusement suggérée par l’introduction de la tonalité de mib
majeur, juste avant la reprise de la tête du premier thème, l’ostinato de noires quittant les seconds violons pour passer aux seuls
altos, violoncelles et contrebasse.
Cette mutation met en lumière le beau motif de doubles croches
(exemple 4) de ces mêmes seconds violons dont le timbre discret
fait surgir une nouvelle lueur au sein de la trame orchestrale.
L’ambiance tout à la fois séraphique et dramatique est maintenue
jusqu’au bout de la pièce par l’alternance continue des modes
majeur et mineur (do mineur, mib majeur, do mineur, fa mineur,
do majeur).
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Introduzione
Largo e cantabile
La fin de la première partie de l’ouvrage est marquée par l’entrée
d’un interlude pour douze vents, en la mineur, instrumentation
très rare chez Joseph Haydn.
5. - Évangile selon saint Jean (XIX.28-29)
3. - Évangile selon saint Jean (XIX 25-27)
Grave, 2/2 (ou C barré)
La partie précédente s’était conclue en do majeur. Modulant à la
tierce, en mi majeur, Haydn provoque un effet théâtral pour marquer, au cœur même d’une souffrance extrême, la tendresse du
Christ pour sa mère (« Femme, voilà ton fils » [Voilà ta mère] »).
Le début de ce volet donne un curieux sentiment de stabilité
sonore, mais, après un point d’orgue sur la dominante si (mesure
20), s’installe soudain un climat de déséquilibre marqué par des
syncopes et des modulations inattendues (exemple 5).
L’exposition - qui, en principe, est reprise - et le développement
évoluent ainsi de façon discontinue, les dérèglements harmoniques et rythmiques du discours étant soulignés par toute une série
de sforzandi évoquant presque de façon physique l’essoufflement
et les halètements du condamné.
Adagio, 2/2 (C barré)
Cette cinquième parole (« Sitio ») est aussi la seule à ne pas être
donnée par le chœur dans un choral introductif. C’est donc à l’orchestre seul qu’il revient d’exprimer toute la souffrance contenue
dans ce simple mot. Dans le ton de la majeur, avec la nuance
piano et sur un tempo lent, deux accords fortissimo marquent le
contraste avec la parole précédente, premiers et seconds violons
faisant entendre, durant quatorze mesures, des croches régulières
en pizzicato (sentiment progressif d’épuisement) au-dessus desquelles, au bout de trois mesures, les premiers violons, hautbois,
cors, bassons, etc. énoncent un motif de deux notes correspondant à « J’ai soif ».
Point d’orgue sur la dominante mi (mesure 17) et, de plaintif qu’il
était, le morceau se transforme, par la grâce de l’irruption du mode
mineur, en un affreux cri de douleur et de désespoir, peut-être
poussé à l’instant où le tortionnaire tend au Christ l’éponge
imbibée de vinaigre. L’effet en est considérablement accentué par
les notes répétées en croches des premiers et seconds violons,
dans une nuance forte rythmée par les sforzandi, avant une rapide
évolution vers un sentiment de résignation. Ainsi que le note Marc
Vignal: « Les contrastes et l’émotion dégagés sont tels qu’on peut
presque parler d’expressionnisme ».
4. - Évangile selon saint Matthieu (XXVI 45-47)
6. - Évangile selon Saint Jean (XIX, 29)
Largo en 3/4
On touche ici au moment le plus terrible, le plus désespéré de la
Passion du Christ (« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné! »). Et, au cœur du drame, la pulsation ternaire de la première parole se fait à nouveau entendre, évoluant dans un
admirable Largo en fa mineur. De cette occurrence tragique de la
partition, le thème unique semble directement issu de l’épisode
conclusif de la seconde parole (exemple 6). Les effets d’imitation
et l’importance de la cellule rythmique - croche pointée double /
quatre croches - assurent la dynamique unitaire de ce très lent
volet. On relève aussi, dans la conclusion de cette page, un subtil
effet d’écho dramatique, la cadence étant donnée en mi mineur (à
l’inverse des deux autres paroles qui, dans le même ton, sollicitaient un accord final majeur), tout comme elles le sont pour
l’Introduzione et pour le Terremoto.
Lento, 2/2 (C barré)
Pour la dernière parole « terrestre » de Jésus (« Tout est
accompli »), Haydn fait appel à la tonalité de sol mineur, traditionnellement considérée comme la plus dramatique de l’époque
classique (symphonies 25 et 40 de Mozart). Cinq notes, fortissimo
en valeurs longues et à l’unisson (exemple 8), préludent, après
son annonce par le chœur a cappella, à la parole la plus dramatique, la plus polyphonique, la plus symphonique du cycle (celle
que préférait Haydn). Suit un développement central contrapuntique qui s’oriente peu à peu vers une surprenante sérénité, soulignée par l’appel final au mode majeur, cependant que le thème
initial, une nouvelle fois rappelé, finit par prendre le caractère sacré
d’un véritable cantus firmus.
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partie de l’oratorio une méditation détachée des choses de ce
monde. De dimension légèrement supérieure aux autres, elle joue
déjà un rôle conclusif, et pour la première fois depuis l’ouverture
de l’œuvre, on semble se diriger vers un long silence. La musique,
pour finir s’éloigne peu à peu, l’orchestre étant de plus en plus
dépouillé.
Tremblement de terre (Terremoto)
7. - Évangile selon saint Luc (XXIII 44-46)
Largo, 3/4
À l’évidence, le climat se transforme ici, pour l’ultime parole
(« Père, je remets mon esprit entre Tes mains ») qui n’appartient
déjà plus au royaume terrestre. Pour la première fois, on entend
ainsi un trait brillant au violon qui, dans ce contexte, évoque une
vocalise digne de l’alléluia des premiers temps chrétiens. L’usage
des sourdines pour les deux parties de violons, la primauté de la
mélodie en mib majeur et les effets de timbre font de cette ultime
Presto e con tutta la forza
La vivacité du tempo et l’apparition sonore des timbales figurent
de façon presque théâtrale le déchaînement du tremblement de
terre. Attaqué subitement, ce finale forme, avec ses rythmes
heurtés, une sorte d’exutoire de la tension accumulée tout au long
de l’œuvre. La fin souligne toute l’ambiguïté de cette délivrance
dramatique, l’incertitude modale naissant, dans la section terminale, de la substitution de l’accord de tonique par un unisson
équivoque, alors que le la et le si naturels laissaient augurer une
cadence en mode majeur. Par ailleurs, on trouve, dans les quatre
premières mesures, la nuance fff, probablement inédite dans l’histoire de la musique. En cela encore, Joseph Haydn fait preuve, au
moment où il clôt son chef-d’œuvre, de ces stupéfiantes capacités
d’invention et d’anticipation qui en font l’un des tout premiers
compositeurs de son siècle. NOTE D’INFORMATION EXAMENS & CONCOURS
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