Pour ou contre le retour du service militaire?

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Pour ou contre le retour du service militaire?
Pour ou contre le retour du service militaire?
La Voix du Nord, publié le 28/12/2015, PAR OLIVIER BERGER
Après les attentats commis par des « ennemis de l’intérieur », l’idée d’un retour du service national
est apparue. Comme gage de mixité sociale et de cohésion nationale. C’est oublier qu’il a été
suspendu en 1997 parce qu’il ne répondait plus aux besoins et à ces enjeux.
Première journée pour des candidats au service militaire volontaire à la caserne de Montigny-lèsMetz le 15 octobre. PHOTO AFP
Perte de valeurs, rejet de la cohésion nationale, oubli d’une appartenance à la communauté pour « x » facteurs
sociaux, économiques, culturels, géographiques, politiques, religieux, scolaires, mafieux… Les attentats de
2015, commis par « des enfants perdus » de la République (aussi par des Belges et des gens issus du MoyenOrient), interrogent notre société.
Attention, réfléchir à des manquements ne signifie pas excuser des terroristes (hélas, il faut placer un point sur
le « i » de patrie sous peine d’être jugé bien-pensant, comme si c’était une tare de bien penser).
Des voix relancent l’idée d’une résurgence du service militaire. En creux, on dénonce la suspension (pas la
suppression, on ne sait jamais, hein) du service national, décidée par Jacques Chirac en 1996 et votée en 1997,
insuffisamment remplacé par les parcours de citoyenneté d’aujourd’hui, dont la fameuse et dérisoire JDC
(Journée défense et citoyenneté).
Marianne Dubois, députée Les Républicains du Loiret, et rapporteure d’un rapport d’information sur les
dispositifs citoyens du ministère de la Défense, est catégorique : « C’est parce qu’il ne répondait plus aux
besoins des armées ni aux impératifs de cohésion nationale que le service militaire a été suspendu. » Avec la
disparition d’un ennemi direct à nos frontières (allemand, russe…) et une bonne moitié d’exemptés en 1995… «
Il faudrait créer une véritable armée d’instruction au côté de l’armée actuelle. Est-ce vraiment la priorité ? »,
demande le co-rapporteur socialiste Joaquim Pueyo.
Un budget de 4 milliards d’euros serait probablement nécessaire pour un service national universel d’un an
composé de près de 800 000 garçons et filles. Certains proposent des temps plus courts. Peut-on sérieusement
former un militaire ou un citoyen en trois ou six mois ?
Vingt ans après la suspension, on table sur une multiplicité de dispositifs (militaires, humanitaires, associatifs),
sur la base du volontariat (comment contraindre à un engagement civique ?). Avec un programme de cadets
(de 12 à 18 ans), la suppression de la JDC pour renforcer l’enseignement de la défense au sein du secondaire,
une réserve renouvelée avec une Garde nationale pour la protection du territoire et une réserve honoraire pour
le rayonnement, enfin, un service militaire pour l’insertion… Une convergence qui a du sens.
Pour
Après les attentats de janvier, puis ceux de novembre, des politiques d’horizons très divers (de gauche à droite,
le PS Eduardo Rihan-Cypel, l’UDI Hervé Morin, le LR Xavier Bertrand, la FN Marine Le Pen) ont relancé l’idée
d’un rétablissement du service militaire comme ferment de la citoyenneté et du sentiment d’appartenance à la
nation. Plutôt au jugé, à l’instinct, sans viser la pertinence ni le coût : près de 800 000 jeunes dans une classe
d’âge, ce n’est quand même pas rien à encadrer et à organiser.
Le futur président de la région Nord - Pas-de-Calais - Picardie, Xavier Bertrand, plonge le dimanche 22
novembre dans le journal de 13 h de France 2. « On n’a pas pensé à remplacer ce qui faisait un peu un creuset
de l’identité nationale. Un endroit où les jeunes se retrouvaient quelles que soient les idées politiques, les idées
religieuses, les milieux sociaux. On était tous ensemble. Moi, je garde le souvenir d’un service national qui m’a
apporté beaucoup. » Il préconise un service obligatoire de trois à six mois pour garçons et filles. « Où l’on
apprend le civisme, le drapeau, ce qu’il représente, les valeurs de la République. » Il souhaite « remettre au
goût du jour l’autorité, l’ordre mais surtout, les valeurs républicaines ».
Ressouder la jeunesse
Guillaume Bigot, auteur en 2006 avec Stéphane Berthomet de Le Jour où la France tremblera, terrorisme
islamiste : les vrais risques pour l’Hexagone (éditions Ramsay), garde cette vision idéale : « Jeunes
banlieusards et enfants des beaux quartiers porteraient le même uniforme et seraient placés dans un même
cadre. Dans identité, il y a identique. Dans notre devise, il y a aussi égalité et fraternité. Nombre d’études en
attestent, là où le service militaire a été maintenu, les jihadistes sont proportionnellement moins nombreux (?).
Ce rétablissement du service militaire peut s’opérer en un an (les officiers et les sous-officiers sont à recruter).
Cette décision audacieuse mais réaliste réduirait le risque jihadiste, casserait la dynamique communautariste et
ressouderait la jeunesse. »
Contre
Sébastien Jakubowski est chercheur au CLERSÉ (Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et
économiques, à la fois CNRS et université de Lille I). Spécialiste de l’organisation des institutions militaires, il
est notamment l’auteur de La Professionnalisation de l’armée française (éditions L’Harmattan).
« Avec la recrudescence des candidats dans les CIRFA (Centres d’information et de recrutement des forces
armées) depuis les attentats, on voit une volonté de reconstruire un vivre-ensemble en France et d’exprimer un
sentiment d’appartenance à la communauté nationale. Le service l’était à une époque même si on retrouve là
un mythe, puisqu’en 1995, le service national était profondément inégalitaire avec 50 % d’une classe d’âge qui
y échappait.
Un retour du service est donc peu plausible sur le plan politique et social. De plus, le modèle d’armée a trop
évolué avec la professionnalisation et l’engagement, notamment extérieur, pour repartir vers l’encadrement des
jeunes.
Aujourd’hui, les armées n’ont ni les moyens ni les infrastructures pour rétablir un service national universel.
L’explosion des opérations extérieures (OPEX), dans une configuration de guerre, exige un outil mieux
configuré, mieux équipé et un soldat très spécialisé. Le risque majeur d’une armée de conscription, c’est qu’elle
ne réponde pas aux exigences et contraintes.
« Une réponse protéiforme »
Il faut plutôt envisager d’autres pistes. Le service militaire adapté en outre-mer, le service militaire volontaire,
n’ont pas de finalité militaire mais un rôle social comme les ÉPIDE (établissements pour l’insertion dans
l’emploi) ou le service civique. Pour moi, il n’y a pas de solution miracle mais une réponse protéiforme à
apporter, à l’aide de ces outils, pour retrouver l’idée d’appartenance à la communauté nationale.
Le problème plus global de la société concerne d’abord le politique et sa vision. Ce délitement provient depuis
une vingtaine d’années de l’érosion stratégique de l’État et du politique, de la capacité à proposer un commun.
La vraie question de l’intégration est donc : est-ce que l’État impose ou pas, qu’à un moment donné de sa vie,
on doive donner du temps à la communauté nationale ? »
Une histoire du service
– 1798 : la patrie révolutionnaire est en danger, le service militaire de 5 ans devient obligatoire.
– 1804 : introduction du tirage au sort (30 à 35 % de conscrits).
– 1905 : tous les hommes sont appelables 2 ans (3 ans en 1913).
– 1946 : une conscription d’un an est rétablie mais remonte à 18, puis 30 mois pendant la guerre d’Algérie.
– 1965 : le service militaire devient national. Création des centres de sélection et des « trois jours ».
– 1970 : le service national est ouvert aux femmes volontaires.
– 1997 : la loi 97-1019 suspend la conscription pour tous les jeunes nés après 1979. Lancement de la JAPD
(journée d’appel de préparation à la défense) remplacée en 2011 par la JDC (journée défense et citoyenneté).
– 2001 : un décret anticipe d’un an la transition et libère tous les conscrits au 30 novembre.
La Voix d’Olivier Berger: «Collectif»
Soyons honnêtes, on ne garde pas un souvenir forcément ému de notre année de service national. Entre ennui
sidéral et perte de temps intellectuelle, sans idée vraiment directrice au service de la nation. Il y a moyen de
faire mieux aujourd’hui, susciter et donner du sens à un engagement pour le pays.
Répéter sous la contrainte des défilés au pas sous la pluie battante empêcherait-il un jeune ébranlé de trouver
une cause, si folle soit-elle, dans le jihadisme et le suicide terroriste ? On caricature à dessein car l’heure est
grave et on sent confusément la nécessité de retrouver un socle commun. C’est à la France de redevenir une
cause. Avant que ça ne dégénère pour de bon, que des pyromanes emplis de « kéroz-haine » réussissent à
nous monter les uns contre les autres.
La résurrection du service militaire ne pourrait être qu’une réponse partielle et imparfaite à notre problème
existentiel. En cas de crise, il faut miser sur l’éducation dans la durée. Pour retrouver une intelligence collective.
Car plus que jamais, nous avons besoin d’un collectif.