Signederalliementet«carted`identité - Haut-Rhin

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Signederalliementet«carted`identité - Haut-Rhin
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Région
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Une coiffe d’Oberseebach.
Une coiffe du secteur de Brumath.
Dimanche 9 novembre 2014
Un calendrier 2015 de coiffes revisitées… par Éric Sembach.
À nœud de nuque, de Niedermodern.
Vue par Frantisek Zvardon.
DR
COIFFES ALSACIENNES
Signe de ralliement et «carte d’identité»
La coiffe alsacienne, pour protester contre la fusion avec la Lorraine et Champagne – Ardenne ? Les «Alsaciennes unies» ont choisi la coiffe noire à grand nœud, facilement
reconnaissable. Si cette coiffe a fini par s’imposer dans toute l’Alsace, elle n’a été longtemps portée que dans une partie du Bas-Rhin…
Textes : Yolande Baldeweck
Photos : Jean-Marc Loos
« Si l’on veut communiquer sur
l’Alsace, pas besoin de mettre une
coiffure soleil ! Le grand nœud est
parfait ! » glisse, mi-figue, mi-raisin, Magali Burger, chargée des
Arts et traditions populaires, à l’Association de développement du
tourisme du Bas-Rhin. Elle qui défend pourtant la diversité des coiffes, au-delà du grand nœud noir…
Aujourd’hui liée au folklore alsacien, cette coiffe – un des marqueurs de l’Alsace avec le bretzel –
a connu son apogée après le rattachement de l’Alsace au Reichsland,
en 1871. « À l’époque, les peintres
sont partis à Paris. Ils ont emporté
avec eux l’image de la coiffe noire
qui ne concernait qu’une partie du
Bas-Rhin », rappelle Jean-Luc
Neth, animateur du groupe folklorique D’Kochloeffel, de Souffelweyersheim, qui collecte des
costumes depuis trente ans. Cette
coiffe n’était portée que dans le
Kochersberg, le pays de Hanau et
au sud de Strasbourg.
Signe de patriotisme, la coiffe noi-
re avec une cocarde – rendue populaire par Hansi – et la jupe rouge
sont portées à Paris par des Alsaciennes nostalgiques de leur « Heimat ». Mais elles sont également
portées en Alsace par des femmes
soucieuses de se démarquer de la
tradition allemande… Pourtant,
au début du XVIIIe siècle, il existait
encore près d’une vingtaine de
coiffes. « C’est la pièce de vêtement identitaire par excellence,
celle qui révèle l’origine géographique de la femme qui la porte »,
explique Magali Burger qui s’intéresse à la question de longue date.
Armature en fil de fer
La carte de l’Alsace qu’elle a réalisée permet de découvrir l’extraordinaire diversité des coiffes, du
bonnet doré du Sundgau au petit
nœud de Schleithal, en passant
par la coiffe soleil de Meistratzheim. À Colmar, les femmes
patriciennes portaient une coiffe
auréolée de dentelles plissées. Certaines ne sont portées que dans un
petit territoire, comme la coiffe à
nœud rouge propre, à Geispolsheim, remplacée l’hiver par un
bonnet matelassé…
Catholique ou protestante ? Mariée ou cœur à prendre ? Ville ou
campagne ? Jean-Luc Neth parle
de « carte d’identité », à propos de
la coiffe qui signait aussi l’aisance
de celle qui la portait.
À l’entendre, cette diversité a disparu dès les années 1820-1830,
avec le développement de l’industrie textile, qui a produit des tissus
moins chers. « Et cela s’est accéléré dans les régions industrielles du
Haut-Rhin. La vie ouvrière n’était
pas compatible avec ces vêtements
qui ont subsisté dans la vallée de
Munster et le Sundgau », observe
ce fin connaisseur, en notant que
l’évolution a été plus lente dans les
riches régions agricoles du BasRhin. « Mais en 1870, les deux-tiers
des costumes avaient disparu… »
Magali Burger présente des photos de coiffes alsaciennes, mises en scène pour une exposition par l’agence Infra.
Après 1871, « le ruban, dont la
largeur à l’origine ne dépassait pas
cinq centimètres, n’a cessé de
s’agrandir », s’amuse Magali Burger. À tel point que, pour maintenir « les 3,20 mètres de tissu noir, il
a fallu, vers 1910, une armature en
fil de fer » ! Ce costume s’est développé dans le Bas-Rhin jusqu’en
1914 et s’est maintenu pendant
l’entre-deux-guerres. La Deuxième
Guerre mondiale, avec l’annexion
nazie, a marqué une rupture. « Les
gens ont voulu la modernité. Mais
surtout, ils ne voulaient plus être
ballottés entre deux pays », résume Jean-Luc Neth.
Avec son groupe folklorique, solli-
cité lors des récentes rencontres
franco-chinoises, il veille à présenter la diversité du costume alsacien. Lui-même portait celui d’un
marcaire ! « Quand on voit certaines Alsaciennes, lors de manifestations officielles, c’est à pleurer »,
soupire la présidente des Kochloeffel, Marie-Louise Hemmerlé, capa-
Remettre le folklore au goût du jour
Où trouver des coiffes alsaciennes ? « Christelle Baldeck est venue il y a deux, trois semaines.
Elle a choisi une coiffe authentique, avec un bonnet et un ruban
noir, à 160 €. Et la version déguisement à 25 €. Depuis, j’ai un
coup de fil par jour. Cela n‘était
jamais arrivé ! » s’exclame Anne
Wolff, historienne de l’art, qui
gère la Maison Bossert, rue des
Bouchers à Strasbourg. Créée en
1825, longtemps située quai Turckheim, cette institution a failli
disparaître du paysage strasbourgeois, n’eût été l’intervention de
Paul Kroely. Le patron du groupe
automobile a racheté la boutique
spécialisée dans le costume alsacien, en 2010. Une démarche de
mécénat culturel…
Les Alsaciens en jean
« Nous voulons donner une image
vivante et ouverte du costume,
qui puisse s’inscrire dans le temps
présent et devenir source de création », résume Anne Wolff, qui
développe les deux activités. Elle
vend des costumes, mais aussi les
fournitures – de magnifiques tissus, des rubans, dentelles, dorures – nécessaires à leur
confection. Sans oublier tous les
accessoires. Les groupes folkloriques viennent y rechercher un
savoir-faire et des conseils… Parallèlement, la jeune femme a fait
appel à deux créateurs du parc de
Wesserling, Stéphane Thomas et
Tania Dietrich (*), qui proposent,
sous la marque Souen, « des créations contemporaines, avec les
mêmes tissus et certains détails
dans un esprit traditionnel ».
tionnel est un formidable outil de
marketing économique et touristique ».
Il suffit de se promener au Salon
de tourisme de Colmar. « Les Japonaises se présentent en kimono,
les Autrichiens et les Suisses dans
leurs costumes, même si certains
sont ringards. Et les Alsaciens
sont en jean ! » ironise-t-il, philosophe.
Depuis des années, Catherine
Graesbeck, qui a dirigé le Relais
du tourisme rural avant de travailler au Comité régional du tourisme, décrypte le costume
alsacien. Avec cette question :
« Comment le réintroduire au
quotidien ? » Elle-même a souvent porté « le costume traditionnel de travail, sans coiffe » dans
les manifestations liées au tourisme rural. « Dans les années 70, on
a assisté à un mouvement de
recherches de costumes authentiques dans les différentes régions.
Mais c’est resté dans le domaine
du folklore », observe Catherine
Graesbeck, en regrettant que, jusqu’à une période récente, aucun
styliste ne s’y soit intéressé.
Catherine Graesbeck présente une coiffe de jeune fille catholique dans la
boutique-conservatoire de la Maison Bossert.
Pourtant, dans des régions économiquement riches – qu’on n’oserait soupçonner d’être « repliées
sur elles-mêmes » – comme la
Bavière, le Wurtemberg ou les
régions d’Autriche, la mode a évolué, même si le costume traditionnel est porté le dimanche. La
famille Mack, qui dirige le second
parc de loisirs d’Europe, à la
pointe de l’innovation, ne craint
pas d’apparaître, à certaines occasions, en costume traditionnel. Et
Marianne Mack a créé une ligne
de prêt-à-porter haut de gamme,
d’inspiration régionale, baptisée
« Black Forest », qu’on trouve même à Fribourg. On en revient
toujours à la difficile histoire alsacienne… « Spontanément, je relie-
Pas de « Dirndl »
rais cette question à la disparition
du bilinguisme », lâche Jean Klinkert, directeur du tourisme de
Haute Alsace, en regrettant
qu’« on ne cultive pas suffisamment l’identité et l’authenticité
régionales » en Alsace.
Pourtant, reconnaît-il, « dans de
nombreux pays, le costume tradi-
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Plutôt qu’une coiffe, Catherine
Graesbeck s’est fait confectionner
par les stylistes haut-rhinois une
robe d’inspiration alsacienne,
avec un magnifique « Stecker »
(plastron) brodé pour un mariage
au Plaza, à New York. Chic, trop
chic ? « Je fais comme les femmes
de l’époque. Je garde le Stecker
pour les jours de fête. Mais j’ai
acheté une tenue plus simple,
jupe taille haute et surjupe, que
j’adapte selon les occasions, en
changeant le haut et les accessoires », explique-t-elle. Pour elle,
« un joli costume est aussi un
élément de fierté. Mais il ne s’agit
pas pour autant de tomber dans
le Dirndl. C’est un exercice de
recréation… »
(*) Ils sont présents, ce week-end,
au Salon Résonance(s) à Strasbourg.
ble de décrypter l’authenticité
d’un costume – même refait…
« Les touristes qui n’y connaissent
rien sont très sensibles à la qualité
des costumes », souligne Magali
Burger, pour qui «il n’y a de traditions que si elles sont vivantes,
réappropriées, revisitées, tout en
respectant les codes...»
« L’âme
du peuple »
Un des tableaux les plus marquants d’une Alsacienne avec
une coiffe est L’Alsace. Elle attend (1871) de Jean-Jacques
Henner, visible dans son musée
parisien. Cette jeune femme en
tenue de deuil, avec un nœud
tombant, représente la douleur
et la tristesse d’une province cédée au nouvel Empire allemand, après la défaite de
1870… Autre tableau emblématique : La belle Strasbourgeoise
de Largillière (1703), avec sa
coiffeàtroisbecs,quifutinterdite par Saint-Just. Le révolutionnaire avait demandé aux
citoyennes de Strasbourg
d’abandonner « cette mode allemande ».
Plus près de nous, l’ouvrage du
photographe Frantisek Zvardon, avec un texte de Marc
Grodwohl, Les Alsaciens (La
Nuée Bleue). Les personnes,
photographiées sur fond noir,
portent toutes un costume traditionnel, marquant la diversité
des tenues. « Je ne voulais pas
de folklore. Ce sont des costumes qui ont été portés », explique Frantisek Zvardon, qui a
voulu révéler « quelque chose
d’oublié ». Pour lui, « l’art du
costume exprime l’âme du peuple… »