L`EMPOWERMENT DANS LES « ATELIERS CUISINE » : ENTRE

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L`EMPOWERMENT DANS LES « ATELIERS CUISINE » : ENTRE
L'EMPOWERMENT DANS LES « ATELIERS CUISINE » : ENTRE
ENJEUX ET PRATIQUE
Céline Lepeltier
ERES | Vie sociale
2011/3 - N° 3
pages 51 à 63
ISSN 0042-5605
Article disponible en ligne à l'adresse:
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Lepeltier Céline, « L'empowerment dans les « ateliers cuisine » : entre enjeux et pratique »,
Vie sociale, 2011/3 N° 3, p. 51-63.
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L’empowerment dans les « ateliers cuisine »:
entre enjeux et pratique
Céline Lepeltier∗
L
Nous verrons dans un premier temps comment la recherche exploratoire nous a conduite à nous intéresser aux rôles de l’« atelier
cuisine » dans le développement du pouvoir d’agir (empowerment)
des personnes en situation de précarité. Puis, dans un second temps,
nous étudierons la place occupée par ce concept tout en observant le
positionnement de l’animateur dans ces ateliers. Mais quelles sont
les perspectives possibles de ce concept dans le contexte actuel ?
∗ Chargée d’études au Centre de recherche et d’études en action sociale (CREAS) à
l’ETSUP., auteur de L’empowerment dans les « ateliers cuisine » : entre enjeux et pratique,
mémoire de recherche, Chaire travail social/intervention sociale, CNAM, 2010.
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’alimentation, besoin primaire, est une préoccupation majeure
dans le quotidien des personnes en situation de précarité. Les
difficultés autour de l’alimentation renforcent l’exclusion sociale de
ces personnes. Face à ces situations, des épiceries sociales ou solidaires gérées par des associations et les municipalités interviennent
afin de réduire la fracture alimentaire et promouvoir l’accès à la citoyenneté. Ce travail de recherche s’intéresse plus particulièrement
aux « ateliers cuisine » qu’elles mettent en place. L’« atelier cuisine » est une action collective s’inscrivant dans une démarche
d’accompagnement des personnes en situation de précarité. Il s’agit
d’un moment convivial qui réunit des personnes pour cuisiner un plat
ou un repas dans une ambiance chaleureuse où le groupe de participants est guidé par un animateur. La question posée est alors la suivante : en quoi les « ateliers cuisine » utilisés comme outil
d’intervention sociale collective dans les épiceries sociales ou solidaires peuvent-ils contribuer au changement des pratiques alimentaires chez les personnes en situation de précarité ?
Céline Lepeltier
Répondre à ces questions nous permettra dans un troisième temps de
dégager des pistes de réflexion sur la pertinence de ce concept et de
son application au regard du contexte sociopolitique français.
DE L’AIDE ALIMENTAIRE À L’INSERTION SOCIALE
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Paul Ricœur explique que « la souffrance n’est pas uniquement définie par la douleur physique, ni même mentale, mais par la diminution voire la destruction de la capacité d’agir, du pouvoir faire, ressentie comme une atteinte à l’intégrité de soi 2 ». En nous appuyant sur
les propos tenus par cet auteur, nous percevons une issue possible par
une forme d’intervention « développant le pouvoir d’agir de la personne », termes utilisés par Yann Le Bossé pour traduire le concept
d’empowerment. Pour lui, le processus du « pouvoir d’agir » se réalise
dans l’action et l’expérimentation et fait appel à l’activation des ressources tant personnelles que communautaires. Il vise le développement du sentiment de l’efficacité personnelle, du sens critique, des
compétences et de l’estime de soi, ce vers quoi les « ateliers cuisine »
tendent en valorisant les personnes, en favorisant le développement
des savoirs, en créant des liens…
1. En référence aux travaux de Nicolas HERPIN et de Jean-Pierre POULAIN.
2. Paul RICŒUR, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, coll. Points, 1990, p. 223.
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Cette recherche a débuté par un travail exploratoire centré sur les
sociologies de la précarité et de l’alimentation. La littérature traitant
de la sociabilité alimentaire1 apporte une définition du repas comme
un vecteur de lien social s’inscrivant dans l’environnement familial
et social lorsqu’il y a échange, intégration et régulation. Les différents facteurs conduisant les personnes vers une situation de précarité
montrent qu’elles présentent des facteurs intrinsèques à leurs situations, liés notamment à des carences diverses et des facteurs extrinsèques liés à l’environnement. Effectivement, pour ces personnes,
s’alimenter comporte plus de difficultés que pour d’autres en raison
notamment de l’absence d’un équipement adapté, des difficultés
financières, de l’absence d’espace pour partager le repas… La précarité dans laquelle elles peuvent se trouver impacte leurs pratiques
alimentaires. Ces éléments permettent de comprendre les raisons de
la fracture alimentaire et nous conduisent à examiner le rôle des épiceries sociales et solidaires et plus particulièrement celui des « ateliers cuisine ».
L’empowerment dans les ateliers cuisine…
L’empowerment : un concept qui progresse en France
Cette recherche exploratoire tant théorique que pratique nous a
conduit à nous intéresser au concept d’empowerment (ou pouvoir
d’agir), car les résultats laissaient à penser que l’« atelier cuisine »
pouvait contribuer à conduire le groupe de personnes en situation de
précarité vers un changement social. C’est ainsi que cette recherche
s’est orientée vers des auteurs tels que Yann Le Bossé et William Ninacs qui apportent des précisions sur le concept d’empowerment en
s’intéressant plus particulièrement à son application dans les pratiques
sociales avec une approche intégrée du changement social.
Ces auteurs et d’autres, tel que Jean-Pierre Deslauriers3,
s’accordent à présenter ce concept en quatre niveaux de pouvoir
d’agir.
Le niveau personnel repose sur l’accueil et le soutien dans la réponse aux
besoins immédiats ; l’apprentissage de moyens visant à répondre aux besoins ;
le renforcement des compétences de l’estime de soi de la personne et de sa
famille ; l’invitation à s’exprimer, à participer en offrant des moyens ; le
développement du « pouvoir d’agir » personnel.
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Le niveau communautaire comporte l’invitation et l’accompagnement à
participer à des réseaux d’entraide et de solidarité ; l’expression collective du
groupe ; l’organisation de la vie communautaire par des alliances sociales ; le
renforcement des capacités et de l’identification positive des membres ; le
« pouvoir d’agir » de la communauté.
Le niveau collectif vise à l’augmentation du « pouvoir d’agir » des « sans
pouvoir ». Elle se caractérise par la transmission de la parole collective à
d’autres afin qu’ils agissent.
J. Rappaport 4 fut l’un des premiers à définir les quatre composantes de
l’empowerment il s’agit de la participation, la compétence, l’estime de soi, la
conscience critique Cette recherche prend appui sur ces quatre compo-
santes, ainsi que sur les deux premiers niveaux du pouvoir d’agir.
3. Jean-Pierre DESLAURIERS, Cadre de référence pour l’appropriation du pouvoir
d’agir personnel et collectif, Centre d’étude et de recherche en intervention sociale, avril
2007.
4. J. RAPPAPORT, (1981). Empowerment, Theory & Practice, Cité par le centre
d’excellence pour la santé des femmes, Consortium Université de Montréal (CESAF),
« Empowerment ».
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Le niveau de groupe est le lieu où le processus se déploie, l’expression des
personnes au sein du groupe ; l’organisation du groupe (par exemple
l’organisation du groupe pour choisir le menu) ; le « pouvoir d’agir » du
groupe. Ainsi, l’efficacité du niveau d’action du groupe dépasse celui de la
personne.
Céline Lepeltier
L’objectif est donc d’étudier le développement du « pouvoir
d’agir » des personnes en situation de précarité participant à une forme
d’intervention sociale collective – « l’atelier cuisine » – et ainsi de
répondre à la question de recherche suivante : quel type d’impact peutêtre repéré lors des « ateliers cuisine » et de leur animation sur le
« pouvoir d’agir » des personnes en situation de précarité ?
Nous avons émis l’hypothèse que dans les « ateliers cuisine »,
l’intervention de l’animateur contribuerait à développer le « pouvoir
d’agir » des personnes, qui serait à l’origine de changements
d’ordre sociaux – création de liens en lutte contre l’isolement – et cognitifs – développement de savoirs et de savoir-faire.
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L’enquête de terrain a reposé sur une approche qualitative composée :
– d’un entretien semi-directif avec cinq animateurs d’« atelier cuisine » ;
– d’une analyse documentaire portant sur cinq comptes rendus d’« atelier cuisine » ;
– d’un entretien avec une élue et d’un avec sa chargée de mission ;
– d’une observation participante d’un « atelier cuisine » constituée de quatre entretiens semi-directifs avec les participants et un entretien semi-directif avec
l’animatrice de l’atelier ;
– d’un entretien avec Lilas Nord, une auteure qui a animé un atelier d’écriture auprès d’un groupe de participants aux « ateliers cuisine » ;
– d’un entretien avec Caroline Rio, diététicienne, formatrice d’animateur d’« atelier
cuisine ».
Les participants : les acteurs d’un processus
Le degré de participation des personnes qui est également en corrélation avec le niveau de développement du pouvoir d’agir, peut se
catégoriser par trois catégories :
– des « novices » ; ces participants sont dans la découverte de
l’atelier et donc leur participation est relativement faible. Cependant,
ils montrent une volonté d’apprendre et sont dans une phase
d’intériorisation des normes de l’atelier. Ils développent leurs compétences et savoir-faire tout en redécouvrant le plaisir alimentaire ;
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Pour analyser les processus à l’œuvre, nous nous sommes intéressée aux rôles et positionnements de l’animateur dans les ateliers tout
en étudiant la place des participants.
L’empowerment dans les ateliers cuisine…
– des « avertis » ; ils ont intériorisé les normes de fonctionnement de
l’atelier et aident les nouveaux à s’intégrer. Ils sont dans une phase
d’acquisition et de transmission des savoirs culinaires ;
– des « confiants » ; ils font figures de modèles pour les novices.
Leurs intérêts portent davantage sur la convivialité. Progressivement,
ils se détachent des ateliers et semblent avoir trouvé un certain équilibre dans l’alimentation quotidienne.
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L’animateur : un créateur d’ambiance et de lien social
Cette recherche a permis de repérer et d’analyser les compétences
et habilités professionnelles déployées par les animateurs. L’analyse
de leurs discours atteste d’une position d’inclusion de ceux-ci dans le
groupe de participants. Ce sentiment d’appartenance au groupe est en
corrélation avec la confiance qu’ils accordent aux participants qui est
elle-même soulignée par les choix qu’ils leur laissent. Ainsi, ils exercent une fonction d’agent de changement en facilitant l’accès à des
ressources nouvelles ou existantes. L’animateur joue donc un rôle
pivot dans la socialisation des individus en :
– encourageant l’intériorisation et la transmission de connaissances ;
– contribuant à la construction des identités en soutenant le développement personnel et social ;
– facilitant l’intégration des individus dans le groupe en stimulant les
échanges (transmission des savoirs individuels au groupe) ;
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L’empowerment étant un processus, son développement peut être
analysé en reprenant les quatre composantes définies par J. Rappaport.
Tout d’abord, la participation est marquée par un accueil, une ambiance chaleureuse et détendue où la dimension relationnelle occupe
un espace important en la combinant avec la dimension pratique. Ce
contexte d’échange, d’entraide et de solidarité lors de l’atelier est propice à la création de liens sociaux entre les participants. De plus, des
compétences personnelles se développent par les apprentissages de
savoir-faire culinaires. Ceux-ci peuvent être enseignés par les participants en faisant découvrir des recettes ou des techniques au groupe.
Cette dimension d’apprentissage est très présente chez les « avertis »
et moins chez les confiants. Ensuite, la valorisation de l’estime de soi a
pu être observée chez tous les participants à l’atelier. Enfin, le développement de leur conscience critique a été constaté chez une « avertie » et une « confiante » qui évoquent le changement de leurs habitudes alimentaires et de celles de leur famille. Ceci peut s’expliquer
par les connaissances nutritionnelles acquises et les savoir-faire développés.
Céline Lepeltier
– favorisant l’accroissement du pouvoir d’agir dans le groupe et plus
particulièrement auprès des nouveaux membres.
Pour ce faire, les animateurs concourent à faire (re)naître le désir et
l’envie chez les participants tout en favorisant les échanges interculturels qui contribuent à la socialisation. Nous pouvons penser que
l’absence du terme « transmettre » dans leurs discours, montre qu’ils
ne sont pas dans une position de domination par rapport aux participants, mais s’appuient sur les savoirs de ces derniers. Cette posture
professionnelle qui diffère de celle des entretiens individuels est qualifiée comme « une bouffée d’oxygène dans le travail individuel que
l’on peut faire. Parce qu’en tant que travailleurs sociaux ça nous fait
voir autre chose ; […] la relation est complètement différente. […] Le
contact n’est pas du tout le même. […] Je mets moins les barrières
avec les gens, on est plus détendu, on parle même un peu de sa vie,
enfin de chose comme ça quoi. Des choses que normalement, il ne faut
pas faire avec les gens que l’on suit 5 ». Effectivement, cette forme
d’intervention remet en question la dichotomie individu / environnement en raison notamment de la position occupée par l’animateur dans
le groupe. Dans le cadre de l’intervention sociale d’intérêt collectif
(ISIC)6, la fonction d’aide professionnelle à la résolution des problèmes
sociaux est redéfinie.
Un engagement fort dans l’animation
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L’engagement des animateurs dans ces formes d’action semble être
vécu comme un choix personnel. D’ailleurs, la majorité des personnes
interrogées étaient à l’origine même de la création des « ateliers cuisine » dans la structure qui les emploie. En revanche, aucune n’a suivi
de formation spécifique pour l’animation de ces « ateliers cuisine ».
Cependant, le processus d’empowerment qu’ils mettent en œuvre
repose sur des méthodologies particulières requérant un certain
nombre de savoirs tels que : savoir élaborer et conduire un projet ;
savoir évaluer des besoins ou des intérêts communs (repérer des
groupes latents, saisir l’opportunité d’une mise en relation, faire émerger l’expression) ; savoir susciter une dynamique, valoriser les personnes, leur donner confiance ; favoriser l’appropriation de normes et
de règles communes ; être ouvert et créatif pour encourager
5. Extrait de l’entretien avec une conseillère en économie sociale et familiale, animatrice d’« atelier cuisine ».
6. Le CSTS (Conseil supérieur du travail social) en 1988 apporte la définition suivante :
« l’ISIC est alors définie comme intégrant les actions collectives qui donnent aux personnes
les moyens optimums de disposer de leur identité sociale et à leur citoyenneté. L’ISIC recouvre le travail social communautaire, le travail social avec les groupes, le DSL, qui tous
s’appuient sur un processus méthodologique précis et théorisé ».
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L’empowerment dans les ateliers cuisine…
l’expression des personnes ; savoir animer le groupe et gérer la logistique ; savoir promouvoir la transmission de compétences entre les
personnes et l’aide mutuelle. Le développement de ces savoirs dans la
réalisation des « ateliers cuisine » concourt à l’émergence de compétences7.
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L’enquête qualitative a permis de relever l’amorce du développement du « pouvoir d’agir ». Prenons l’exemple de Christophe, arrivé à
l’épicerie sociale quatre mois auparavant ; il traversait des difficultés
familiales et n’avait plus de travail. Il vient de retrouver un emploi et
sa situation familiale semble plus apaisée. Quant à Valérie, elle a pu
regagner une certaine sérénité et semble avoir une plus grande confiance en elle. Ces différents exemples permettent de repérer qu’un
processus de transformation a pu s’enclencher chez les participants et
que celui-ci porte tant sur les pratiques alimentaires que sur les relations avec les autres, la motivation pour reprendre un emploi, la gestion du budget, etc.
7. Références à la définition de Guy Le BOTERF : « La compétence est la mobilisation
ou l’activation de plusieurs savoirs, dans une situation et un contexte donnés », Guy Le
BOTERF, De la compétence, essai sur un attracteur étrange, Paris, Ed. d’organisations,
1994, 175 p.
8. Francine DUFORT (dir.), Agir au cœur des communautés, Québec, Presses université Laval, 2001, p. 89.
9. Bernard VALLERIE, Yann Le BOSSE, « Le développement du pouvoir d’agir (empowerment) des personnes et des collectivités : de son expérimentation à son enseignement », Les sciences de l’éducation pour l’Ère nouvelle, CERSE, vol. 39, n°3, 2006, p. 3547.
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Dans les « ateliers cuisine », l’animateur cherche à contribuer concrètement à ce que les participants mènent à bien un projet qui compte
pour eux, à recréer un mouvement là où il y a un blocage, à élargir le
monde « des possibles » des personnes qui perçoivent leur situation
comme une impasse. Y. Le Bossé le caractérise également « d’agent
multiplicateur 8 », car il facilite l’accès à des ressources nouvelles ou
existantes. Il réunit des personnes aux prises avec une réalité commune. « Il soutient la ou les personnes […] à modifier tel ou tel aspect
de leur milieu de vie qui contribue directement à leur difficulté 9 ».
Pour ce faire, il diffuse et structure les informations pertinentes au bon
déroulement de l’action. Ainsi, la multiplication des efficacités des
acteurs est favorisée par un soutien psychologique, logistique et informationnel. Selon L. Nord, l’animateur « dirige sans diriger » et les
participants le présente comme quelqu’un qui « guide sans contraindre », « est à l’écoute », « est dans l’échange », « a de la souplesse », « permet l’expression des personnes et la circulation libre de
la parole », « met en confiance », etc.
Céline Lepeltier
L’hypothèse selon laquelle « l’intervention de l’animateur dans les
« ateliers cuisine » contribue à développer le « pouvoir d’agir » des
personnes est vérifiée, montrant que concernant les changements
d’ordre social, les participants avaient rapidement tissé des liens entre
eux lors de l’atelier. En revanche, elle n’a pas permis de mesurer si la
participation aux ateliers avait favorisé la création de liens à l’extérieur
et si les personnes ressentaient un sentiment d’isolement moins fort.
Seule une « confiante » dit avoir noué des liens avec d’anciens participants et qu’une relation d’amitié s’était créée. Quant aux changements
d’ordre cognitif, l’enquête a relevé des modifications alimentaires
(produits consommés, modes de consommation, achats…) chez les
participants. La consommation de fruits et de légumes a augmenté et
les repas sont décrits comme plus conviviaux et non conflictuels. Ces
résultats montrent que les premières participations des personnes aux
« ateliers cuisine » leur permettaient de (re)découvrir les plaisirs des
aliments et du partage du repas, et que ces modifications avaient engendré des changements dans les achats effectués dans les épiceries
sociales. Cependant, l’empowerment des personnes en situation de
précarité dans les « ateliers cuisine » présente un certain nombre de
limites qui rejoignent celles énoncées par Y. Le Bossé.
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Différentes limites ont pu être identifiées. La première limite porte
sur un processus qui demande du temps. Cet élément a pu être relevé
grâce à la comparaison des comportements et discours des anciens
participants avec ceux des nouveaux. La deuxième limite touche le
contexte d’autorité dans lequel se déroule l’action. Ce contexte
d’autorité a pu être étudié par la place laissée aux participants dans les
ateliers. La troisième limite repose sur la spécificité des modèles
d’intervention en raison de leur adaptation au contexte.
L’identification des adaptations a pu être repérée dans le discours des
animateurs portant sur l’évolution dans le fonctionnement et
l’animation des « ateliers cuisine » qu’ils ont mis en œuvre. La dernière limite concerne l’engagement personnel de l’animateur.
L’enquête a souligné la forte implication de ceux-ci dans ces ateliers
en mettant en lumière un autre mode de relation avec les personnes.
Ces différents éléments qui concordent avec ceux énoncés dans les
travaux de Y. Le Bossé10 peuvent constituer des freins dans le développement de ces formes d’intervention tant au niveau des professionnels, qu’au niveau institutionnel ou politique.
10. Yann Le BOSSE, « L’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir :
une alternative crédible ? », mai 2007, [en ligne] www.anas.fr.
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Les limites au développement de l’empowerment
L’empowerment dans les ateliers cuisine…
Un tremplin vers des niveaux communautaire et collectif
du « pouvoir d’agir »
Nous pouvons en déduire que lorsque ces « ateliers cuisine »
utilisent le groupe comme un moyen de travail éducatif aux finalités purement individuelles, la transformation portera sur l’individu
et non sur le groupe ou la société. L’enquête a montré que le
groupe n’existe que dans le cadre précis de l’atelier et qu’il n’est
pas envisagé comme un acteur, porteur d’un projet collectif. Ce qui
nous conduit vers une autre problématique où l’empowerment des
11. En référence au cadre théorique proposé par Jean-Pierre Deslauriers et son équipe.
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La démonstration du processus a permis de mettre en évidence les
niveaux de « pouvoir d’agir »11 personnel et de groupe. En revanche,
les niveaux communautaires et collectifs ne semblent pas être développés dans le cadre des « ateliers cuisine », même si les prémisses
d’un développement du « pouvoir d’agir » communautaire sont amorcées. Effectivement, l’efficacité du groupe repose sur la combinaison des compétences collectives, tandis que l’évaluation des comportements collectifs pose des difficultés puisque le groupe n’existe
pas hors de l’atelier. Aucun accompagnement de celui-ci n’est mis
en place en dehors de l’« atelier cuisine ». En effet, il semble que
l’espace de liberté et d’expression des personnes soit cantonné à
« l’atelier cuisine ». Ceci est accentué par l’intervention de
l’animateur qui paraît centrée uniquement sur l’atelier sans favoriser, ni accompagner, ni soutenir des initiatives des participants.
Lors des entretiens, les participants ont pu expliquer que l’on ne
leur a jamais proposé de s’inscrire comme bénévole dans l’épicerie
sociale alors que la majorité indique qu’elle serait prête à le faire.
En parallèle, les animateurs semblent réticents et cette pratique
serait proscrite dans la plupart des épiceries sociales. L’entretien
avec une participante « avertie » met en exergue son désir de participer à d’autres ateliers (qui n’existent pas) comme des ateliers
esthétiques, par exemple, où elle suggérait de faire partager son
savoir dans la production de cosmétiques et d’aider les autres.
D’ailleurs, elle expose plusieurs idées de création d’ateliers tels que
la couture et se propose d’apprendre à d’autres : « Moi, personnellement, je peux donner, j’ai plein de choses à apprendre aux autres
et j’aimerais bien apprendre moi aussi ». Ainsi, on perçoit que
cette personne qui vient depuis sept mois aux ateliers a pu reprendre confiance en elle et développer un « pouvoir d’agir ». En
revanche, le cadre de l’atelier ne lui a pas donné la possibilité
d’exprimer ses idées, de les faire partager et d’agir pour les mettre
en œuvre. Ceci montre que les personnes ont des envies et sont
volontaires pour participer activement à d’autres projets collectifs.
Céline Lepeltier
personnes en situation de précarité dans les « ateliers cuisine » se
situe à la frontière entre le social et le politique et passe par la place
qu’on leur laisse. Ceci renvoie à la question du positionnement du
travailleur social et l’exercice de la citoyenneté prôné par les politiques.
Il est donc important de comprendre dans quel contexte s’inscrivent
ces pratiques visant à l’empowerment et quelles sont leurs influences
sur les positionnements professionnels ainsi que leurs enjeux politiques.
Vers un nouveau positionnement professionnel
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À travers le discours des animateurs, on perçoit que l’animation de
ces ateliers est considérée comme une démarche d’ouverture permettant de (re)trouver un sens dans leurs missions en visant à la promotion
des personnes en situation de précarité. Ce positionnement professionnel dans la relation d’aide nécessite une fluidité des postures et vient
complexifier son rôle. Il pourrait être qualifié de « diplomatique » car
il doit négocier avec les personnes. Il doit prendre en compte les différents points de vue et trouver la manière adéquate pour accompagner
le groupe. Selon Yann Le Bossé l’approche centrée sur le « pouvoir
d’agir » passe nécessairement par un « déplacement de la posture professionnelle14 », car elle modifie en profondeur les bases identitaires
traditionnelles associées aux pratiques professionnelles.
12. Robert CASTEL, « Devenir de l’État providence et travail social », in Jacques ION
(dir.), Le travail social en débat(s), Paris, La découverte, alternatives sociales, 2005, p. 2749.
13. Ibid, p. 47.
14. Yann Le BOSSE, « Le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités, une alternative pour l’intervention sociale ? », La revue française de service
social, n° 234, 2009/3, p. 20.
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Les « ateliers cuisine » peuvent être considérés comme une forme
d’intervention sociale d’intérêt collectif faiblement institutionnalisée.
Cependant, de nombreux auteurs, comme Robert Castel12, soulignent
l’importance d’une intervention sociale d’intérêt collectif centrée
sur l’empowerment des participants. Selon lui, c’est « la puissance publique [qui] doit dynamiser le travail social entendu comme
entreprise de réintégration des personnes en difficultés13 ». Ces propos
nous invitent à étudier le contexte d’inscription de l’ISIC dans le travail
social, le positionnement des professionnels face à cette pratique et à
son application, mais également le contexte institutionnel dans lequel
évoluent les « ateliers cuisine ».
L’empowerment dans les ateliers cuisine…
Pour reprendre certaines propositions du CSTS15, il nous semble
que les changements pourraient contribuer à une meilleure promotion
de ces actions en visant à considérer l’ISIC et ce type d’action tels que
les « ateliers cuisinent » comme un « moyen de garantir l’efficacité de
la participation citoyenne » ; accompagner les animateurs par des formations continues afin d’acquérir des compétences méthodologiques
visant à développer l’empowerment des publics.
La finalité repose sur le fait d’« apprendre à vivre ensemble dans le
respect des différences contribue à maintenir le lien social et à lutter
de façon efficace contre l’exclusion16 ».
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Nous pouvons toutefois nous demander si les attentes des travailleurs sociaux et des pouvoirs publics sont les mêmes à l’égard de
l’ISIC. Didier Dubasque souligne que l’un des enjeux majeurs du rapport sur l’ISIC est de « donner corps à l’agir collectif et de renforcer
la légitimité du travail social17 ». Dans le champ du travail social, ces
formes d’intervention collective sont parfois méconnues. Effectivement, le manque de formation des professionnels à cette pratique génère de l’incompréhension et des résistances. De plus, la mise en place
de ce type d’intervention demande du temps et les effets sont peu mesurables à court terme. Du côté des pouvoirs publics, les enjeux sont
plus flous, car d’un côté des mesures sont prises pour promouvoir
l’ISIC et de l’autre les moyens financiers et la logique néolibérale
associée à la peur du communautarisme tendent à limiter le pouvoir
15. CONSEIL SUPÉRIEUR DU TRAVAIL SOCIAL, Rapport au ministre chargé des affaires
sociales, Développer et réussir l’Intervention sociale d’intérêt collectif, Rennes, ENSP,
2010, 331 p.
16. Ibid, p. 311.
17. Didier DUBASQUE, « Les dynamiques du travail social », Informations sociales,
CNAF, n° 152, 2009/2, 156 p.
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Comme nous l’avons vu à travers l’exemple des « ateliers cuisine », ces pratiques participatives sur lesquelles repose l’ISIC impliquent une adaptation du positionnement professionnel. Ce changement
passe par deux points essentiels qui sont l’évolution du regard des
travailleurs sociaux sur l’usager (modification des attitudes professionnelles) et l’acquisition de savoir-faire spécifiques. L’évolution
dans un autre type de rapport nécessite pour les professionnels
d’acquérir et de développer des savoirs s’inscrivant dans une réflexion
de fond sur la place des usagers avec les institutions. En outre, le
manque de moyens et de temps qui ont été accentués par la Réforme
générale des politiques publiques (RGPP) et la Loi organique des lois
de finances (LOLF) ne favorisent pas ce type de pratique se situant
dans la durée.
Céline Lepeltier
des groupes et à ne pas développer cette forme d’intervention en raison
notamment de son insuffisance de visibilité.
Il est donc important d’investir les ressources nécessaires pour
adapter l’intervention aux participants. Effectivement, le temps de
« l’atelier cuisine » est concomitant à celui du développement du
groupe dans les différentes étapes du processus à la différence de
nombreuses actions qui portent sur une commande institutionnelle et
où les délais sont fixés. D’autres variables interviennent également,
telles que l’imprévisibilité du groupe ou le risque et l’inconnu.
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CONCLUSION
L’évaluation prend également une importance particulière dans un
contexte où les financeurs demandent davantage de visibilité sur les
actions qu’ils financent, ainsi que l’élaboration de cadres de référence.
Effectivement, jusqu’alors, la littérature recensait peu de travaux sur
les « ateliers cuisine ». Néanmoins, la vague de développement de ce
type d’action collective à conduit la Fédération française des banques
alimentaires (FFBA) à concevoir un guide pratique18. De même, dans
le cadre du Programme national pour l’alimentation (PNA), des actions régionales à l’initiative des Agences régionales de santé (ARS) et
des Directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la
forêt (DRAAF) ont vu le jour. Dans certaines régions comme en Haute
Normandie, un partenariat entre ces deux institutions et l’Institut
18. FÉDÉRATION FRANÇAISE DES BANQUES ALIMENTAIRES, Les ateliers cuisine par le
menu, Guide pratique, mars 2011. Disponible sur : www.banquealimentaire.org.
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Un point primordial dans le contexte actuel est celui de l’évaluation
de ces interventions. Les compétences des animateurs dans l’évaluation de ces actions sont capitales pour rendre compte de la plusvalue de ce mode d’intervention et des effets produits. Cette évaluation
constitue un enjeu majeur pour le développement de ce type de pratique d’ISIC. Or, l’enquête réalisée dans le cadre de ce mémoire
montre qu’aucun atelier ne fait l’objet d’une évaluation précise allant
au-delà du comptage du nombre de participants et de la rédaction d’un
compte-rendu succinct. L’animateur a donc un rôle important à jouer
en construisant des outils permettant de mesurer les effets des « ateliers cuisine » en prenant en compte toutes les dimensions qu’ils recouvrent (sociales et cognitives). De même, il est nécessaire de mesurer les effets tant au niveau de l’individu qu’au niveau du groupe afin
d’évaluer le développement du « pouvoir d’agir » des participants. Ces
évaluations peuvent également permettre le réajustement du fonctionnement de l’atelier et d’adapter son positionnement professionnel.
L’empowerment dans les ateliers cuisine…
régional en éducation pour la santé (IREPS) a donné lieu à des journées d’échange de pratiques dont l’objectif et de mettre en évidence le
sens et la pertinence des « ateliers cuisine » auprès des personnes en
situation de précarité. Cet objectif sera ensuite utilisé pour sélectionner
les projets qui seront financés. À travers ces orientations, la question
de l’efficience est posée et donc celle de l’évaluation de ces actions.
La réflexion sur les finalités, les objectifs et le choix des indicateurs est
engagée pour mesurer les effets des « ateliers cuisine » et surtout en
rendre compte. C’est pourquoi la définition par les praticiens
d’indicateurs qualitatifs mesurant les effets des « ateliers cuisine » est
capitale pour la pérennité et le développement de ces actions.
Ainsi, cette recherche pourrait trouver une continuité par la réalisation d’une recherche-action se déroulant au sein d’une structure d’aide
alimentaire organisant des « ateliers cuisine » désirant définir les indicateurs permettant de prendre en compte la temporalité et la flexibilité
nécessaires au développement de l’estime de soi, de la confiance en
soi, des compétences et de la conscience critique chez les participants.
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