er 2001 violences_urbaines

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er 2001 violences_urbaines
ETUDES ET RECHERCHES
Violences Urbaines
Angleterre, Belgique et Espagne :
un état des lieux
Julie LE QUANG SANG
Chargée de recherche à l’IHESI
Hugues-Olivier HUBERT
Aspirant FNRS
William GENIEYS
Chargé de recherche au CEPEL
Institut des hautes études de la sécurité intérieure
1
DANS LA MÊME COLLECTION
Jean-Paul GREMY, 1996, Les violences urbaines : comment prévoir et gérer les crises dans
les quartiers sensibles ? , Paris, IHESI, 31 p.
Guy BARON (dir.), 1996, Intelligence économique : objectifs et politiques d’information,
Paris, IHESI, 31 p.
André MIDOL, 1996, La sécurité dans les espaces publics : huit études de cas sur des équipements ouverts au public, Paris, IHESI, 143 p. (épuisé)
Alain BAUER, René BREGEON (dir.), 1997, Grands équipements urbains et sécurité :
comment réaliser et contrôler les études de sécurité publique prévues par l’article 11 de la
loi du 21 janvier 1995, Paris, IHESI, 75 p.
Renaud FILLIEULE, Catherine MONTIEL, 1997, La pédophilie, Paris, IHESI, 79 p.(épuisé)
Jean-Paul GREMY, 1997, Les Français et la sécurité : trois sondages réalisés en 1996 sur
l’insécurité et ses remèdes, Paris, IHESI, 157 p.
François DIEU, 1997, Sécurité et ruralité : enquête sur l’action de la gendarmerie dans les
campagnes françaises, Paris, IHESI, 183 p.
Jean-Claude SALOMON, 1998, Lexique des termes de police anglais-français/françaisanglais, Paris, IHESI, 143 p.
Michel AUBOUIN, Michel-François DELANNOY, Jean-Paul GREMY, 1998, Anticiper et gérer
les violences urbaines : bilan d’expérimentation des cellules de veille, Paris, IHESI, 47 p.
Jean-Paul GREMY, 1998, Les aspirations des Français en matière de sécurité : leur évolution
entre 1990 et 1998 selon les enquêtes du CRÉDOC, Paris, IHESI, 86 p.
Actes du séminaire européen Stop, 1999, La pédophilie : Méthodes d’évaluation de la
démarche intellectuelle et des stratégies de passage à l’acte des agresseurs sexuels pédophiles, Paris, IHESI ; Université de Liège, CICC Montréal, 133 p (épuisé).
Christian DOUTREMEPUICH (dir.), 1999, La scène de crime de A à Z, Paris, IHESI, 100 p.
Pierre SIMULA, 1999, La dynamique des emplois dans la sécurité, Paris, IHESI, 120 p.
Paul LANDAUER, Danielle DELHOME, 2000, Espace et sécurité dans les quartiers d’habitat
social : bilan de deux études sur site Sarcelles-Lochères et les quartiers nord d’Aulnay-sousBois, Paris, IHESI, 78 p.
IHESI – GRIA, 2000, Autorité et immigration : les vecteurs de l’autorité et leurs transformations
dans les populations immigrées ou issues de l’immigration, Paris, IHESI, 148 p.
2
Carole MARIAGE CORNALI, 2000, Les enjeux de la légalisation et de la mise en œuvre de
l’enregistrement audiovisuel de l’audition des mineurs victimes, Paris, IHESI, 61 p.
Patrick SIMON, 2000, Les discriminations ethniques dans la société française, Paris, IHESI, 58 p.
Laetitia DILLIES, 2000, Délinquants mis en cause par la police, IHESI, Paris, 210 p.
Jean-Paul GREMY, 2001, Mesurer la délinquance à partir du témoignage des victimes, IHESI,
Paris, 256 p.
Dominique GARABIOL, Bernard GRAVET, 2001, La lutte contre le recyclage de l’argent du
crime organisé, IHESI, Paris, 88 p.
ISSN : 1263-0837
ISBN : 2-11-091876-4
IHESI 19, rue Péclet - 75015 Paris
Tél. : 01.53.68.20.20 Fax : 01.45.30.50.71
e-mail : [email protected]
3
SOMMAIRE GÉNÉRAL
Première partie
Bilan de connaissances sur les violences urbaines en Angleterre, Julie LE QUANG SANG, IHESI.
Deuxième partie
Bilan de connaissances sur les violences urbaines en Belgique, Hugues Olivier HUBERT
(en collaboration avec Juliette Vilet), Institut de sociologie, Université libre de Bruxelles.
Troisième partie
Bilan de connaissances sur les violences urbaines en Espagne, William GENIEYS,
CEPEL, Université de Montpellier I.
4
AVANT-PROPOS
Face à la montée du thème des violences urbaines en France au cours de ces deux dernières
décennies, le département de la recherche de l’IHESI a souhaité dresser un bilan de connaissances
à ce sujet chez trois de nos partenaires européens (Angleterre, Belgique, Espagne).
Cette initiative s’inscrit dans le besoin de nourrir la réflexion du Gouvernement actuel
sur l’éventuelle spécificité de la situation française. Si le phénomène des émeutes, récurrent
dans certaines villes depuis les années quatre-vingt (Strasbourg, par exemple), a attiré l’attention
du monde de la recherche et suscité de plus en plus de travaux, il pose toujours la question de la
définition même de ces violences urbaines, des acteurs impliqués, des logiques spécifiques dans
lesquelles ils sont insérés (intérêts et enjeux poursuivis, ressources mobilisées, stratégies
déployées, etc.), des dispositifs existants, des politiques de prévention et de sécurité mises en
œuvre pour les contrer. La configuration était, par hypothèse, relative et singulière dans chaque
nation. Appréhendées diversement par les pouvoirs publics de chacune d’elles selon le poids
de leur histoire, de conjonctures politiques et de traditions culturelles spécifiques, ces
violences font l’objet d’une gestion et d’un traitement différenciés dans chaque cadre
national. Mais jusqu’où cela est-il vrai ?
Pour y répondre, des bilans de connaissances ont été commandités à des universitaires ou
chercheurs spécialisés, extérieurs à la sphère policière. Il s’agissait de dresser un bilan critique de
la littérature scientifique disponible à partir d’une commande homogène,
1 – remettre en contexte la question en focalisant l’attention sur la notion de
violences urbaines (quelles en sont les origines ? Comment cette notion est-elle perçue,
posée et problématisée ? Par qui et dans quel contexte ?) ;
2 – dégager les principaux acteurs sociaux impliqués dans leur déclenchement et leur
apaisement (policiers, adolescents, associations, etc.) ;
3 – mettre en évidence la spécificité des dispositifs, leurs nature, évolution, inflexions, etc.
De ces bilans de connaissances comparées, on retiendra plusieurs enseignements :
D’une manière générale, la notion de violences urbaines reste peu conceptualisée. Le champ
de réflexion est relativement pauvre. Quand on trouve des définitions sociologiques, elles
recouvrent des réalités et des significations très différentes. Associé, en France, à la problématique
du devenir de la ville et mobilisé pour qualifier la dégradation du climat social (représentations
d’un urbanisme déshumanisé, vecteur d’insécurité), ce thème est intrinsèquement lié, en
Espagne, à la violence politique (rapport de W. Genieys). Si l’Espagne a été confrontée de manière
précoce à des violences urbaines, le problème renvoie à des réalités sociologiques singulières
(les violences ne s’expriment pas par des incendies de voitures, comme en France, pas plus
qu’elles n’ont à voir avec des problèmes ethniques, comme en Angleterre).
Le plus souvent, les émeutes éclatent en réaction à l’application de politiques proactives
plus offensives de la police, ciblées en direction de groupes de population définis comme « à
risques » (toxicomanes, populations immigrées, etc.). A cet égard, les auteurs pointent le
5
caractère conflictuel des relations entre forces de police et émeutiers, voire l’existence d’un
racisme policier latent. A l’instar de la France, où les adolescents engagés dans les affrontements,
pour la plupart issus de l’immigration, se plaignent de façon récurrente d’être victimes de
contrôles abusifs et de mauvaises conduites policières, qu’ils interprètent comme la manifestation
de pratiques racistes et discriminatoires, les explosions de violence qui ont émaillé, en Angleterre,
la première moitié de la décennie quatre-vingt opposaient la police à des adolescents d’origine
afro-caribéenne marginalisés sur le plan économique et social (rapport de J. Le Quang Sang),
tandis que celles observées en Belgique en 1991 mettaient aux prises les forces de l’ordre avec
des jeunes gens d’origine marocaine (rapport d’H. O. Hubert).
La violence collective serait un moyen pour les émeutiers d’entrer dans le jeu politique
et de s’imposer comme des acteurs politiques. La médiatisation et la politisation du problème
en France relèverait d’un répertoire d’actions analogue à celui que l’on peut trouver en
Espagne et en Belgique (médiatisation de faits divers, attentats terroristes des Cellules
communistes combattantes, drame du stade du Heisel ou grand banditisme des tueurs du
Brabant Wallon, par exemple) ou en Angleterre (émeutes de Brixton). Démunis et en quête de
reconnaissance politique et sociale, certains émeutiers mettraient en scène leur action à travers
un usage ritualisé de la violence contre la police pour attirer l’attention des médias et des
autorités en place.
Face à ce phénomène, des politiques partenariales entre les institutions de contrôle
(police / justice) et d’autres acteurs de la sécurité ont été développées (municipalités, associations,
éducation, logement, emploi, etc.) et des expériences de police de proximité valorisées, sur le
modèle anglo-saxon. La Belgique a, ainsi, mis à disposition de chaque commune deux
assistants de concertation, afin d’améliorer les relations entre la police et les populations
d’origine étrangère, sur les modèles néerlandais et britannique. S’inspirant du modèle
français, elle adoptait, en 1995, des contrats de sécurité.
Parallèlement à l’affichage de mesures préventives générales (politiques de rénovation
urbaine, de lutte contre le chômage, d’insertion des populations d’origine immigrée, de lutte
contre l’échec scolaire, l’exclusion, le racisme, etc.), les divers gouvernements tendent à
renforcer leur arsenal répressif dans leurs volets policier et judiciaire. Alors que
l’Angleterre s’engageait dans une politique d’extension des pouvoirs discrétionnaires de la
police, en matière de contrôle notamment (Stop and Search), la Belgique affirmait, de son
côté, l’importance d’une revalorisation de la police communale et la nécessité d’aiguiser son
efficacité. Dans ces deux pays, on a par ailleurs assisté, au cours de ces dernières années, à une
modification des dispositifs juridiques existants visant à accélérer les procédures pénales
pour les mineurs récidivistes.
Frédéric OCQUETEAU
Directeur du département recherche
IHESI, le 21 mars 2000
6
Première partie
7
Violences Urbaines
en Angleterre
Bilan des connaissances
Julie LE QUANG SANG
Chargée de recherche à l’IHESI
8
Nous tenons à exprimer notre gratitude à tous ceux qui, par leur disponibilité et
leurs conseils, ont bien voulu contribuer à la réalisation de ce travail, en particulier
Messieurs E. Adams et M. Rowe, lecturers au Scarman Institute for the Study of
Public Order (Leicester).
9
SOMMAIRE
INTRODUCTION GÉNÉRALE : rappel de la commande ........................................ 13
CHAPITRE I
LES ÉMEUTES DE LA PREMIÈRE MOITIÉ
DE LA DÉCENNIE QUATRE-VINGT ET DU DÉBUT
DES ANNÉES QUATRE-VINGT-DIX
L’ANGLETERRE : UNE LONGUE TRADITION
D’ÉMEUTES URBAINES ............................................................................. 16
LES ÉMEUTES COMME EXPRESSION D’UNE VIOLENCE ORDINAIRE (XVIII -XIX SIÈCLES) ..... 16
LA VIOLENCE COLLECTIVE COMME FORME LÉGITIME DE DISTRACTION
(DÉBUT DU XX SIÈCLE) ............................................................................................................... 16
LES ÉMEUTES COMME PRODUITS DE DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES
(ANNÉES VINGT) ............................................................................................................................. 17
LA POLITISATION DES ÉMEUTES (ANNÉES TRENTE)...................................................................... 17
LA CONSTITUTION D’UNE SOCIÉTÉ MULTIETHNIQUE (1945-1950) ............................................ 18
LA MISE EN PLACE D’UNE STRATÉGIE PLUS OFFENSIVE DANS LA LUTTE CONTRE
LA DÉLINQUANCE DE VOIE PUBLIQUE (ANNÉES SOIXANTE) ......................................................... 18
L’ÉMERGENCE PROGRESSIVE DE LA QUESTION DE LA LOI ET L’ORDRE
COMME ENJEU POLITIQUE (ANNÉES SOIXANTE-DIX) ................................................................... 19
E
E
E
LES ÉMEUTES DES ANNÉES QUATRE-VINGT
ET QUATRE-VINGT-DIX .............................................................................. 20
LE LIBÉRALISME THATCHÉRIEN APPLIQUÉ AU CONTRÔLE SOCIAL DU CRIME............................. 20
LES ÉMEUTES DE 1981................................................................................................................... 21
L’OPÉRATION SWAMP 81................................................................................................................. 21
LE RAPPORT SCARMAN .................................................................................................................. 22
LA REPRISE DES ÉMEUTES (1982-1985 / 1991-1992).................................................................. 22
10
LA GENÈSE DES ÉMEUTES : DES ANNÉES
QUATRE-VINGT AUX ANNÉES QUATRE-VINGT-DIX .............................. 23
LES TROIS PRINCIPAUX MODÈLES EXPLICATIFS DE LA PRODUCTION DES ÉMEUTES :
LES THÈSES CONSERVATRICE, LIBÉRALE, RADICALE .................................................................... 23
Le modèle conservateur : une violence irrationnelle dans une société décadente ........... 24
Le modèle libéral : la violence collective comme conséquence
de dysfonctionnements sociaux .......................................................................................... 25
Le modèle radical : la violence collective comme conséquence
d’une société inégalitaire ................................................................................................... 30
L’ORIGINE DES ÉMEUTES DE LA PREMIÈRE MOITIÉ DE LA DÉCENNIE QUATRE-VINGT :
LA « RACIALISATION » DU PROBLÈME CRIMINEL ........................................................................ 31
Les émeutes comme produits d’un conflit de cultures ....................................................... 32
Les émeutes comme produits de la réponse subculturelle des jeunes Afro-Caribéens ..... 32
Le processus de construction identitaire des émeutiers .................................................... 35
Les émeutes comme produits de la culture professionnelle particulière des policiers ..... 36
L’antagonisme culture des émeutiers / culture professionnelle des policiers :
les émeutes comme produits d’un « conflit de cultures » ................................................. 37
Les émeutes comme produits du « racisme » policier ....................................................... 37
La construction d’une « géographie criminelle » par la police ....................................... 37
De médiocres relations entre la police et une fraction des « jeunes »
issus des « minorités ethniques » ...................................................................................... 38
Le lieu de production des émeutes :
les émeutes comme expression d’un conflit autour de « lignes de front » ....................... 40
La théorie des Flashpoints ................................................................................................. 40
Le rôle du policing dans la production des émeutes ......................................................... 41
L’ORIGINE DES ÉMEUTES DU DÉBUT DE LA DÉCENNIE QUATRE-VINGT-DIX : DE LA RACIALISATION
DU PROBLÈME CRIMINEL AU PRIMAT DU FACTEUR SOCIAL DANS L’ANALYSE DES TROUBLES ..... 43
Le rapport Rowntree (1997) : la prépondérance du facteur économique
dans l’émergence des troubles ........................................................................................... 43
La construction sociale de l’identité collective des émeutiers : des jeunes hommes en quête
d’affirmation et attachés aux valeurs viriles ..................................................................... 47
Les émeutes comme produits d’un déclin du voisinage :
la théorie de la vitre cassée (Broken Windows) ............................................................... 49
CHAPITRE II
LES DISPOSITIFS MIS EN PLACE :
LES POLITIQUES PUBLIQUES DE SÉCURITÉ
LES DISPOSITIFS DE PRÉVENTION ......................................................... 54
UNE TENDANCE RÉCENTE À LA REPRISE EN MAIN DES PROGRAMMES
.................................................................................................. 55
LA MISE EN PLACE DE DISPOSITIFS CIBLÉS EN DIRECTION DES « MINORITÉS ETHNIQUES » ..... 56
DE PRÉVENTION PAR LE CENTRE
11
LES RÉFORMES LÉGISLATIVES EN MATIÈRE DE POLITIQUE
CRIMINELLE ET DE POLITIQUE PUBLIQUE DE SÉCURITÉ .................... 59
LE TRAITEMENT DE LA DÉLINQUANCE JUVÉNILE : ENTRE PRÉVENTION ET RÉPRESSION .......... 59
LE RENFORCEMENT DE L’ARSENAL POLICIER :
VERS UNE EXTENSION DES POUVOIRS POLICIERS ......................................................................... 62
La loi sur la police et la preuve criminelle (1984) ........................................................... 62
La controverse autour de la para-militarisation de la police britannique :
facteur de pacification ou d’exacerbation du désordre ? ................................................. 63
La PACE : une loi contestable sur le plan des libertés individuelles ............................... 63
La PACE comme facteur de pacification des troubles ...................................................... 63
La PACE comme facteur d’exacerbation des troubles ...................................................... 64
Des mesures pour contrôler les pouvoirs policiers ........................................................... 65
CONCLUSION GÉNÉRALE
PRÉCONISATIONS ........................................................................................................................... 70
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ................................................................................................ 74
CHRONOLOGIE SOMMAIRE ........................................................................................................... 79
LISTE DES SCHÉMAS ...................................................................................................................... 80
LISTE DES TABLEAUX .................................................................................................................... 81
LISTE DES GRAPHIQUES ................................................................................................................ 82
12
INTRODUCTION GÉNÉRALE :
RAPPEL DE LA COMMANDE
Dans le contexte de la recrudescence, au cours de ces dernières années, de ce qu’il est
désormais convenu d’appeler des violences urbaines en France (émeutes de Strasbourg1,
Toulouse2, Rouen3, Dammaries-les-Lys4, Sartrouville5, Mantes-la-Jolie6, Grigny7,
Maubeuge8, etc.), l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure a initié un axe de
recherches visant à faire le point sur l’état de la littérature existante dans trois pays européens
(Angleterre, Belgique, Espagne).
Ces bilans de connaissances ont pour objet d’éclairer la situation chez nos partenaires
européens. Dans quelle mesure, en effet, ces pays sont-ils confrontés à des problèmes similaires ?
Les difficultés auxquelles se heurte le gouvernement français, de manière sporadique et récurrente,
relèvent-elles d’un problème spécifiquement hexagonal ?
Pour le savoir, il convient d’examiner les particularités des deux grandes vagues
d’émeutes qui ont secoué la Grande Bretagne en 1981-1985 et 1991-1992, aucun trouble
majeur n’ayant eu lieu depuis, et les dispositifs de prévention et de sécurité mis en œuvre.
1 Ville opulente, jeune, traversée par une puissante problématique identitaire et des scores importants du
Front national, suréquipée sur le plan policier, Strasbourg fait régulièrement l’objet d’incendies de voitures depuis
1988. Les incendies de la Saint Sylvestre, qui ponctuent les fêtes de fin d’année, existent depuis 1990. Avec
l’accroissement, et surtout la publicisation des émeutes, on a progressivement assisté, au cours de la décennie
1980-1990, à un glissement d’un discours juridique axé sur la délinquance juvénile à un discours plus politique
centré sur les violences urbaines. Ces problèmes ont perduré jusque dans des années quatre-vingt-dix. En 1995,
des incidents violents éclatèrent dans l’agglomération strasbourgeoise. 450 voitures furent incendiées, dont
quelques dizaines en fin d’année. En 1996, environ 400 véhicules subirent le même sort. Fin 1997, des événements
similaires se produisirent, au cours desquels 90 véhicules furent incendiés en l’espace d’une semaine, Peralva,
Macé, 1999.
2 En 1995, ce fut le décès d’un adolescent, suite à une intervention de police, qui servit de détonateur à une
série d’émeutes à Toulouse-le-Mirail.
3 Comme à Strasbourg, la ville de Rouen s’enflamma en 1996.
4 En 1996, Dammarie-les-Lys fit l’objet d’actes de destruction par le feu (incendies de voitures, containers,
parkings, etc.) ainsi que de deux graves tentatives d’incendies. Le 17 décembre 1997, la mort d’un « jeune » sur
un barrage de police, non loin de Fontainebleau, et son annonce par les radios et télévisions nationales donna lieu
à un embrasement de la ville en soirée, suivi de trois nuits d’émeutes et de violents affrontements entre la police,
les pompiers et des adolescents.
5 En mars 1991.
6 En mai 1991.
7 Dernièrement, le 1er novembre 1999, ce fut la mort d’un « jeune », dans le cadre de règlements de comptes
entre bandes rivales dans le quartier de la Grande Borne à Grigny dans l’Essonne, qui déclencha des émeutes.
8 Depuis le début de l’année 1997, une centaine de voitures ont flambé dans des quartiers de Maubeuge,
(Sous-le-Bois, l’Epinette, des Provinces françaises). Broussois et Jeumont furent également le théâtre de
tels incidents.
13
14
CHAPITRE I
LES ÉMEUTES DE LA PREMIÈRE MOITIÉ
DE LA DÉCENNIE QUATRE-VINGT
ET DU DÉBUT
DES ANNÉES QUATRE-VINGT-DIX
15
La Grande Bretagne possède une longue tradition d’émeutes urbaines. Les exemples
sont nombreux de troubles sociaux et de mouvements protestataires violents qui ont jalonné son
histoire9. Cependant, deux grandes vagues de troubles ont constitué des tournants pour elle.
La première concerne la première moitié de la décennie quatre-vingt, la seconde le début des
années quatre-vingt-dix. En dépit de similitudes, chacune de ces deux périodes possède des
spécificités propres qu’il nous reviendra de mettre en lumière. Un rappel des faits et une mise
en contexte permettra de mieux saisir comment ces émeutes ont vu le jour, qui elles ont impliqué
et pourquoi, comment elles ont été régulées, etc.
L’ANGLETERRE : UNE LONGUE TRADITION D’ÉMEUTES URBAINES
Bien que les formes de violence aient varié en fréquence et en intensité d’une décennie
à l’autre - qu’elles aient été liées à la religion10, la politique ou à des causes économiques11 et
sociales -, les émeutes constituent un trait constant de l’histoire de l’Angleterre (XVIIIe-XXe siècles).
A l’instar des XVIIIe-XIXe siècles, où la violence collective apparaît comme l’expression d’une
violence ordinaire, elle est, au XXe siècle, tour à tour perçue comme une forme légitime de
distraction, le produit de difficultés économiques et sociales, puis le fruit des luttes politiques
des années trente. Après la Seconde Guerre mondiale, la Grande Bretagne connaît de nombreuses
évolutions et choisit d’intégrer ses immigrés à travers la constitution d’une société multiethnique.
Mais la recrudescence de la criminalité urbaine, constatée dans les années soixante, la conduisent
à mettre en place une stratégie policière plus offensive dans la lutte contre la délinquance de voie
publique. L’émergence progressive de la question de la loi et l’ordre comme enjeu politique, à
partir de 1979, et l’accentuation de cette politique sous le gouvernement Thatcher contribueront
au déclenchement des émeutes de la première moitié de la décennie quatre-vingt.
LES ÉMEUTES COMME EXPRESSION D’UNE VIOLENCE ORDINAIRE (XVIII -XIX
E
E
SIÈCLES)
Journès (1992) souligne l’importance passée des violences collectives jusqu’au début
du XIXe siècle, tant dans la criminalité et la sévérité de la répression que dans la nature des
distractions et les modes d’actions collectives, qui laissent alors une large place à l’émeute.
Si au XIXe siècle, l’extrême violence des villes - alliée à son caractère endémique et à
des représentations qui font des grands centres urbains des lieux de perdition, en proie au
crime, et des ouvriers des classes dangereuses - est bien perçue comme un mal à combattre,
elle n’est, à cette époque, pas perçue comme un scandale. Elle restera même une forme légitime
de distraction au début du XXe siècle.
LA VIOLENCE COLLECTIVE COMME FORME LÉGITIME DE DISTRACTION (DÉBUT DU XX
E
SIÈCLE)
A la veille de la Première Guerre mondiale, la violence collective atteint son apogée
avec l’apparition d’une culture ouvrière centrée sur la rue et considérant les bagarres comme
une forme légitime de distraction. Selon Journès, celles-ci témoignent d’une forme d’agressivité
9 Sur ce point, voir, entre autres, Benyon, 1984 ; Waddington, 1992.
10 Ainsi, par exemple, de la campagne de la Protestant Association, impulsée par Lord Gordon, visant à abroger
la loi de 1688 sur les droits des catholiques, qui donnèrent lieu aux émeutes de Gordon en 1780.
11 Ainsi, notamment, des émeutes de la faim au XIXe siècle (1885, 1861, 1866) ou des soulèvements de
chômeurs des docks et du bâtiment en 1886.
16
masculine particulièrement visible dans les couches inférieures de la classe ouvrière, où
l’exercice de la force physique dans le travail est plus habituel, l’éducation moins stricte,
l’utilisation de la violence plus largement admise que dans d’autres milieux, là où l’attachement
profond à un territoire très étroit conduit à des affrontements au sein de la classe ouvrière
(Journès, 1992).
La crise des années vingt donne aux émeutes une dimension moins festive, plus
économique et sociale.
LES ÉMEUTES COMME PRODUITS DE DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES (ANNÉES VINGT)
A l’aube des années vingt, ce sont surtout l’inflation, le chômage et la compétition pour
l’emploi, qui entraînent des mouvements de protestations, aiguillonnés par les syndicats
(Waddington, 1992).
En réaction, l’utilisation par le gouvernement et des employeurs de travailleurs d’origine
étrangère comme briseurs de grèves12 provoquent des émeutes à caractère racial13.
Après avoir puisé leur source dans les conflits sociaux, les émeutes prennent un tour
plus politique avec les combats des années trente.
LA POLITISATION DES ÉMEUTES (ANNÉES TRENTE)
Au cours des années trente, la crise du logement, ajoutée au chômage et à la paupérisation
d’ouvriers animés par une culture dockside blanche très imprégnée d’idéologie impérialiste,
participent à l’émergence d’un mouvement fasciste voulant faire des Juifs les boucs émissaires
de la crise ainsi qu’à des affrontements entre manifestants anti-fascistes et forces de l’ordre.
Après la Seconde Guerre mondiale, la Grande Bretagne connaît des bouleversements
qui l’amènent à opter pour une politique d’intégration de ses immigrés à travers la constitution
d’une société multiethnique.
LA CONSTITUTION D’UNE SOCIÉTÉ MULTIETHNIQUE (1945-1950)
La période de l’après-guerre voit naître un changement radical dans la composition de
la population britannique, notamment dans les quartiers les plus urbanisés14.
A la fin des années quarante, le gouvernement décide d’encourager l’intégration volontaire
des immigrés, malgré de nombreux troubles (conflits du travail, problèmes en Irlande du nord, etc.)
et des problèmes raciaux (émeutes de Cardiff, Plymouth, Newport, Liverpool, dans l’East End de
Londres, etc.).
12 Ainsi, par exemple, des émeutes de Cardiff en 1923 et 1929.
13 Ainsi, notamment, des émeutes anti-Chinoises de 1911, des émeutes de Liverpool en 1919 et 1948, de South
Shields en 1930 ou de Dudley dans les West Midlands en 1962.
14 Le phénomène, qui remonte aux années 1880, est lié à l’évolution des mouvements migratoires au cours des
XIXe-XXe siècles. Ces années furent marquées par l’arrivée, sur le territoire britannique, de populations étrangères
(Indiens, Arabes, Somaliens, Chinois) à la recherche d’un travail. La mise en œuvre, par les autorités locales, de
politiques discriminatoires en matière de logement et d’emploi entraîna l’installation de colonies d’immigrants
dans les zones les plus pauvres situées dans les ports britanniques (Londres, Cardiff, South Shields, Liverpool,
Glasgow), puis la formation de ghettos, Waddington, 1992.
17
Une décennie plus tard, la politique d’assimilation forcée est abandonnée au profit de
la création d’une société multiethnique et multiculturelle. Dans le même temps, des mesures
sont prises en vue de lutter contre la discrimination raciale15.
Nonobstant l’adoption d’un dispositif législatif important, ces efforts sont contrés par
l’extrême droite (1967), dans un contexte où la Grande Bretagne commence à subir de plein
fouet la crise économique.
Avec la hausse de la criminalité et du « sentiment d’insécurité », le gouvernement britannique
va orienter les politiques publiques de sécurité vers une sévérité accrue et privilégier une stratégie
plus offensive dans la lutte contre la délinquance de voie publique.
LA MISE EN PLACE D’UNE STRATÉGIE PLUS OFFENSIVE DANS LA LUTTE CONTRE LA DÉLINQUANCE
DE VOIE PUBLIQUE (ANNÉES SOIXANTE)
Dans les années soixante, les statistiques policières montrent une croissance rapide de la
criminalité urbaine, en même temps qu’elles mettent en relief la baisse du nombre d’affaires
délictueuses élucidées par la police (Monet, 1992).
En Grande Bretagne, les corps policiers sont décentralisés, disposent d’une large
autonomie opérationnelle et les indicateurs quantitatifs d’activité jouent un rôle plus important
qu’en France. D’où une forte pression interne et externe pour accroître la mobilisation policière
et infléchir les tendances affichées par les courbes statistiques.
A la même époque, les polices se modernisent : les bureaux périphériques ou à faible
rendement sont supprimés, la centralisation opérationnelle renforcée, les patrouilles à pieds
disparaissent au profit de patrouilles motorisées, etc.
Forts des stratégies développées pour faire face aux troubles en Irlande du nord depuis 1969
ou aux affrontements avec les syndicats dans les années soixante-dix, les responsables policiers
déploient des stratégies plus vigoureuses afin de combattre la délinquance de voie publique.
Ces tactiques policières agressives touchent directement les populations - d’origine
étrangère en particulier - durement affectées par le chômage, la disparition des emplois à faible
qualification, la régression des budgets sociaux, etc.
L’émergence progressive de la question de la loi et l’ordre comme enjeu politique
à la fin de la décennie soixante-dix, puis la réactivation de ces stratégies policières vont
être suivies par les émeutes de la période 1981-1985.
15 Furent promulguées, en 1965, 1968 et 1976, des lois sur les relations raciales (Race Relations Acts).
18
L’ÉMERGENCE PROGRESSIVE DE LA QUESTION DE LA LOI ET L’ORDRE COMME ENJEU POLITIQUE
(ANNÉES SOIXANTE-DIX)
Dans les années soixante-dix, la Grande Bretagne est frappée par la désindustrialisation,
la récession économique et un certain nombre de conflits : conflits sociaux, avec l’utilisation
massive de piquets de grève par les mineurs (1972) ; conflits politiques, avec des actions liées
au terrorisme irlandais (février 1974), auxquelles s’ajoutent des tensions raciales, comme en
témoigne l’organisation de manifestations contre l’extrême droite (juin 1974).
Parallèlement, se répand dans le pays le sentiment d’une violence inconnue depuis la
fin de la Seconde Guerre mondiale. La police va d’autant plus se focaliser sur des infractions
relativement mineures (vente de cannabis)16 que le taux de criminalité ne cesse de s’élever et
que la plupart des crimes sont commis dans les quartiers défavorisés des grands centres urbains
(inner cities17).
En 1979, le gouvernement travailliste social-démocrate est de nouveau confronté à
une série de crises : agitation ouvrière dans le secteur industriel, troubles en Irlande du nord,
manifestations de l’extrême droite, surpopulation carcérale, grogne des policiers, débats
autour de la répression ou de la réinsertion des mineurs, etc.
La question du maintien de la loi et de l’ordre est inscrite à l’agenda lors de la campagne
électorale de 1979. D’après Journès (1987), la victoire de M. Thatcher aurait été favorisée,
entre autres, par la politisation de la police18, perceptible à partir de 1978-1979, lorsque le
syndicat de police, la Police Federation, fit campagne dans le sens des conservateurs19. Cette
politisation se serait, du reste, poursuivie sous le gouvernement Major, avec une tendance à la
centralisation du contrôle de la police par le Home Office20.
16 Waddington précise, ainsi, que la tension s’était accrue dans le quartier, du fait de l’application d’une politique
visant à mettre un terme [...]au trafic de drogues afin de répondre aux pressions exercées aux niveaux local et
national pour enrayer l’extension d’une “épidémie d’héroïne”. Monet ajoute que Handworth et Birmingham se
caractérisaient traditionnellement par de bonnes relations entre la police et les « communautés ». De sorte que les
tactiques policières, de 1977 à 1985, avaient l’aval de la population. Mais un changement à la tête de la police,
en 1985, aurait mené à une répression d’activités autrefois tolérées (cannabis), alors que l’achat et la vente de
cannabis représentent la seule forme de survie pour la plupart des jeunes Afro-Caribéens, Waddington, 1992, 91 ;
Monet, 1992.
17 Développé par l’école de Chicago, ce concept renvoie à la présence d’une concentration de misères dans
certains quartiers des grandes villes. Si cette notion, qui permet, néanmoins, de poser les aspects sociaux,
économiques et géographiques de la misère d’une manière synthétique, a été critiquée par certains pour son
fétichisme spatial (des problèmes pouvant être localisés sur toute la superficie de la ville), d’autres soulignent
l’existence d’une relégation géographique et d’une ségrégation sociale dans ces poches urbaines depuis les débuts
de la Révolution industrielle. Contrairement à la ville préindustrielle, la nouvelle ville du monde moderne serait
caractérisée par une organisation spatiale qui séparerait nettement les quartiers ouvriers des banlieues « bourgeoises ».
Pour l’école de Chicago et les partisans de l’écologie urbaine, l’accumulation de misères dans ces espaces générerait
un microcosme spécifique, doté de son propre système de normes.
18 Ce phénomène de politisation et d’instrumentalisation politique de la police métropolitaine, contre les
syndicats et durant la grève des mineurs notamment (1984-1985), a été souligné par certains auteurs,
Journès, 1987 ; Sullivan, 1998.
19 Journès, 1987, 101.
20 Si le contrôle de la police était autrefois partagé entre le Home Office et les autorités locales, avec, comme
corollaire, des tensions, des stratégies d’influence et des conflits, la tendance serait désormais à une centralisation et
à un contrôle de facto accrus de la police britannique. Cette reprise en main par le centre, aux dépens de la
périphérie, est développée infra, Sullivan, 1998.
19
Si l’Angleterre connaît une longue tradition d’émeutes urbaines, les événements des
années quatre-vingt présentent des spécificités, ne serait-ce que parce qu’ils s’inscrivent
dans un contexte bien particulier, qu’ils engagent des politiques et des acteurs non moins
particuliers. Ils constituent surtout un tournant, dans la mesure où leur visibilité et leur
aspect spectaculaire ont entraîné une prise en charge politique et des modifications dans les
dispositifs de prévention et de sécurité mis en œuvre.
LES ÉMEUTES DES ANNÉES QUATRE-VINGT ET QUATRE-VINGT-DIX
Les années quatre-vingt sont marquées par une évolution des approches du contrôle
social du crime vers plus de libéralisme21, avec un renforcement de la justice pénale, de la police
et la construction de prisons privées (Jefferson, Shapland, 1991 ; Savage, Robins, 1990 ;
Sullivan, 1998). Le durcissement des politiques publiques de sécurité et la mise en œuvre de
l’opération Swamp 81 dans le quartier de Brixton s’accompagnèrent d’émeutes. Malgré le
rapport Scarman, des troubles éclatèrent jusqu’en 1985.
LE LIBÉRALISME THATCHÉRIEN APPLIQUÉ AU CONTRÔLE SOCIAL DU CRIME
S’appuyant sur l’augmentation du taux de plaintes enregistrées par les services de police
depuis 1979 et la recrudescence, réelle ou supposée, du « sentiment d’insécurité », les conservateurs
affichent leur volonté de restaurer l’ordre public et de combattre la délinquance.
Critiquée par les travaillistes22, la politique menée par les pouvoirs publics exprime
alors la volonté de faire des économies tout en consolidant le dispositif juridique existant23.
De 1979 à 1985, dans un climat de recrudescence de la criminalité24, le gouvernement
conservateur de M. Thatcher s’engage sur la question de la loi et l’ordre par des réformes
législatives prévoyant notamment des mesures renforçant le système répressif par l’octroi
de ressources financières accrues, destinées à l’augmentation du salaire et des effectifs du
personnel de police, l’amélioration de l’équipement policier et l’élaboration d’un programme de
construction de prisons25.
Au cours de la période, des conflits resurgissent, cette fois-ci entre la police et des
membres des « minorités ethniques » à Brixton en 1981.
21 Un libéralisme combiné à un Etat fort, capable de lutter contre la puissance des syndicats et les revendications
sectorielles. Cette nature ambivalente du thatchérisme (sur le plan politique, idéologique, économique) a été relevée
par Jefferson, Shapland, 1991, 191-192.
22 En mai 1981 étaient élus, à Londres en particulier, des conseils locaux très orientés à gauche. A partir de 1982,
plus encore lors de la grève des mineurs deux ans plus tard, les travaillistes demandèrent un contrôle accru de la
police, Journès, 1987, 101.
23 En matière de justice pénale, par exemple, l’engagement idéologique de n’incarcérer aucun délinquant,
hormis les éléments durs, et les économies financières coïncidaient, Jefferson, Shapland, 1991, 189.
24 Recrudescence confortée par l’augmentation des plaintes et l’amélioration des techniques d’enregistrement de
la police, Jefferson, Shapland, 1991, 190.
25 D’après Jefferson et Shapland, les dépenses consacrées à la police et aux prisons auraient dépassé toutes les
autres dépenses publiques. Dans le même sens, Savage soutient que les dépenses générales affectées au maitien
de l’ordre auraient augmenté de plus de 40% de 1979 à 1985, Jefferson, Shapland, 1991, 188-189.
20
LES ÉMEUTES DE 1981
Prélude à la vague de troubles des années quatre-vingt, la première émeute majeure de
cette période éclate dans le quartier Saint Paul à Bristol en avril 1980, après qu’une foule se
soit assemblée en réaction à une opération de police, qui impliquait le retrait des boissons
alcoolisées des lieux et l’arrestation du propriétaire (Muncie, 1984 : 85).
Ces confrontations entre forces de l’ordre et jeunes Afro-Caribéens vivant dans les
zones défavorisées des grandes villes (quartiers de Brixton à Londres, Handsworth à
Birmingham, Toxteh à Liverpool, Moss Side à Manchester, Chapeltown à Leeds ont été
endémiques), culminant dans les émeutes de Brixton en 1981 et d’autres en 1985 : à
Handsworth, où deux personnes trouvèrent la mort, et Tottenham, où un homme fut tué et des
coups tirés sur des policiers (Scarman, 1981 ; Benyon, 1987).
Ces émeutes avaient, toutefois, été précédées de la mise en place d’une politique de lutte
contre la délinquance rigoureuse et de l’intensification des opérations de police en avril 1981.
L’OPÉRATION SWAMP 81
Au début de ce mois déjà, la police métropolitaine26 avait expérimenté Swamp 81,
une politique controversée consistant à saturer le quartier de Brixton, afin de combattre le
mugging27 et autres infractions de voie publique.
Les quatre premiers jours, un millier de personnes furent interrogées et arrêtées par la
police et plus d’une sur dix furent arrêtées. Des descentes eurent lieu dans des maisons et des
cafés du quartier.
C’est donc dans le contexte d’une recrudescence de l’activité policière que le premier incident
arriva le 10 avril 1981, lorsqu’un jeune Antillais de dix-neuf ans, blessé au cours d’une rixe,
fut intercepté par un officier de police. Lorsque ce dernier, secondé par deux collègues, tenta
d’aider l’adolescent, l’intervention fut perçue comme hostile par une foule de jeunes
Afro-Caribéens. Le conflit, qui dura plus d’une heure, déboucha sur des dégradations
contre des véhicules de police et l’arrestation de six émeutiers. Le lendemain, au terme de
six heures de violences, d’incendies et de pillages, 279 policiers et pas moins de 45 particuliers
furent blessés, 61 véhicules privés et 56 voitures de police endommagés ou détruits. 145 locaux
subirent des dégâts, dont 28 par le feu28.
Les troubles conduisirent le gouvernement britannique à diligenter une enquête visant
à éclairer les causes des incidents (rapport Scarman).
26 A l’origine, la police métropolitaine avait été créée pour minimiser l’utilisation de l’armée dans la gestion des
conflits, sur ce point, Das, 1988 ; Journès, 1992.
27 Dans une conception restrictive, Journès entend par mugging le vol avec agression. Avec la crise, les idéologies
consensuelles auraient fait place à une politique autoritaire et à un discours sur la loi et l’ordre, cristallisé sur la
notion de mugging, une notion en provenance des Etats-Unis et associée aux débats sur le crime, la « race » et la
jeunesse. Pour Birnbaum, le mugging ferait partie des nouveaux mythes qui se seraient développés à partir de
1972 et engloberait l’ensemble des délits de droit commun (vols de véhicules, atteintes aux biens et aux personnes).
Ce mythe aurait justifié l’extension des pouvoirs policiers. Générateur d’une panique collective d’ordre symbolique,
le mugging aurait légitimé le retour aux traditions et l’adoption d’une politique de law et order, Birnbaum, 1982 ;
Journès, 1987.
28 Scarman 1981, cit. in Benyon, 1984, 110.
21
LE RAPPORT SCARMAN
Commandité par le gouvernement britannique à la suite des émeutes de Brixton, le rapport
Scarman29 mettait l’accent sur l’existence d’injustices sociales, d’institutions dysfonctionnelles et
d’une mauvaise distribution des ressources et du pouvoir politique.
Des incidents répétés, interprétés comme du « harcèlement » policier, entraînaient une
dégradation des relations entre des adolescents et les forces de l’ordre. Les émeutes étaient vues
comme la manifestation d’une explosion de colère des « jeunes » d’origine afro-Caribéenne à
l’égard de la police et une conséquence de l’échec des institutions à répondre aux besoins et
attentes de certains groupes. Le rapport faisait état de médiocres relations entre la police et la
« communauté noire », de racisme et du mauvais policing30 mis en œuvre.
Il suggérait de changer les méthodes policières et de consulter la « communauté », mais
restait pour le maintien des patrouilles spéciales de police31 (Special Patrol Groups). La
volonté d’associer la collectivité à la prévention du crime n’était pas exempte de considérations
financières et traduisait le souhait de renforcer l’autonomie de celle-ci (Jefferson, Shapland,
1991). Outre un programme de revitalisation urbaine32 en direction des quartiers les plus
démunis, une surveillance de quartier accrue et des actions combinées des entreprises et des
institutions dans l’intérêt de la victime et du délinquant étaient recommandées. Le document
prônait, entre autres, d’améliorer le recrutement et la formation des policiers et de renforcer
les équipements33 (Scarman, 1981).
Si les conseils de Lord Scarman furent suivis de réformes quelques années plus tard,
des émeutes continuèrent néanmoins, à éclater de manière sporadique jusqu’en 1985, avant de
reprendre en 1991-1992.
LA REPRISE DES ÉMEUTES (1982-1985 / 1991-1992)
Trois mois après les événements de Brixton, une vague d’émeutes se produisirent dans
trente villes du Royaume Uni, dont Moss Side (Manchester), Toxteth, Merseyside34
(Liverpool), Handsworth (Birmingham) et Brixton. 1982, 1983 et 1984 furent le théâtre d’une
autre série de troubles, de moindre importance (Benyon, Salomos, 1987).
29 Scarman, 1981 ; Benyon, 1984.
30 Au sens de style de police, de paradigme policier à un moment donné.
31 Le premier groupe de patrouille spéciale a été formé à Londres en 1965. Troisième force entre la police et
l’armée, ces unités militarisées, souvent accusées de bavures, sont proches des BAC et des CRS français, mais
disposent d’hommes moins nombreux et moins bien armés. Depuis 1974, chacune des forces locales de police
dispose d’unités de soutien équipées et entraînées pour le maintien de l’ordre et pouvant intervenir en divers
points du territoire. Ce fut également au cours de cette même année que des mesures en vue de lutter contre le
terrorisme furent prises. Ainsi, par exemple, de la loi tendant à la prévention du terrorisme (Prevention of
Terrorism Act), qui autorise l’arrestation et la détention, sans mandat pendant 48 heures, de toute personne
susceptible de préparer des actions terroristes, Birnbaum, 1982 ; Journès, 1987.
32 Cinq ans plus tard, en 1986, était mis en place un groupe chargé de collecter des fonds privés des communautés
locales afin de réhabiliter ces quartiers (Housing Renewal Unit).
33 Si la plupart des recommandations du rapport Scarman ont été prises en compte au cours de la décennie
quatre-vingts, elles ne semblent pas vraiment avoir produit les résultats escomptés, voir infra.
34 Le 3 juillet 1981, un incident apparemment mineur provoqua trois jours d’émeutes. Au cours de la seule soirée
du 4 juillet 1981, 282 policiers furent blessés. Pour la première fois dans l’histoire de la Grande Bretagne, la police
utilisa du gaz CS contre les émeutiers. Le pillage et les incendies furent généralisés et les dommages furent
estimés à environ dix millions de livres, Benyon, 1984, 110.
22
On assista à des événements similaires à l’automne 1985. Le 9 septembre 1985, une
émeute éclata dans le quartier de Lozells Road à Handsworth (Birmingham), lorsqu’une
Antillaise, qui avait assisté à une dispute entre un conducteur « noir » et un agent de police, fut
agressée par un autre policier. Ces troubles se soldèrent par la mort de 2 personnes, 122 blessés
et les dégâts matériels furent estimés à 7, 5 millions de livres35. Trois semaines plus tard,
durant le week end des 28-29 septembre 1985, d’autres émeutes eurent lieu dans les rues de
Brixton après le décès d’une femme « noire », à la suite d’une intervention policière. La police
enregistra 724 délits majeurs, 43 particuliers et 10 policiers furent blessés et on procéda à
230 arrestations36. Toxteth aussi s’embrasa. Néanmoins, l’émeute la plus grave se produisit
le 6 octobre 1985 à Broadwater Farm Estate dans le quartier de Tottenham, dans le nord de
Londres (King et Brearley, 1996, 59-64), avec une séquence d’événements similaires à ceux
de Brixton en 1981. Au cours d’une nuit de violences, 20 particuliers et 233 policiers furent
blessés, 47 voitures et quelques immeubles incendiés37.
Dix ans plus tard, une vague de troubles éclatèrent de nouveau. Cinq émeutes eurent
lieu en un week end, fin août-début septembre 1991 à Blackbird Leys (Oxford, 22-27 août
1991), Ely Estate (Cardiff, 30 août 1991), Handsworth (Birmingham, 2 septembre 1991),
Meadow Well Estate (Newcastle, 10 septembre 1991), North Shields ; huit autres, de mai à
juillet 1992, à Wood End Estate, Coventry, Ordsall Estate, Salford, Hartcliffe Estate, Bristol,
Blackburn (King, Brearley, 1996, 64-69 ; Power, Tunstall, 1997).
L’ensemble des événements de ces deux dernières décennies ont donné lieu à de nombreuses
explications sur la genèse des émeutes, qui vont de la théorie de la frustration relative au
racisme institutionnel de la police.
LA GENÈSE DES ÉMEUTES : DES ANNÉES QUATRE-VINGT
AUX ANNÉES QUATRE-VINGT-DIX
On distingue schématiquement trois grands modèles explicatifs concernant la violence
collective : les thèses conservatrice, libérale, radicale. Malgré l’existence de points communs entre
les événements de la décennie quatre-vingt et ceux de la décennie quatre-vingt-dix, on a relevé
un déplacement de l’axe focal de l’analyse de la genèse des troubles, la racialisation38 du
problème criminel, à laquelle l’examen et l’interprétation des incidents de 1981 avait donné
lieu, ayant progressivement laissé place à un éclairage accordant le primat aux facteurs
socio-économiques dans l’explication des troubles de 1991.
LES TROIS
PRINCIPAUX MODÈLES EXPLICATIFS DE LA PRODUCTION DES ÉMEUTES
:
LES THÈSES
CONSERVATRICE, LIBÉRALE, RADICALE
Nombreux sont les théoriciens et chercheurs qui s’accordent sur une explication axée
sur la thèse de la frustration relative développée par Ted Gurr39. Si certains mettent l’accent
35 Ibid.
36 Ibid.
37 Ibid.
38 Monet, 1992.
39 Elaborée par J. Davies, cette théorie a été reprise et systématisée par T. Gurr, qui a davantage mis l’accent sur
les phénomènes de violence. L’existence d’un hiatus entre ce à quoi les individus estiment avoir droit et ce qu’ils
possèdent réellement serait génératrice de tensions et de frustrations. La violence dépendrait du degré de
frustrations subies, Gurr, 1970.
23
sur la notion de culture, celles des émeutiers, mais aussi des policiers, et du conflit de cultures
qui en aurait résulté ; d’autres optent pour une démarche centrée sur les facteurs symboliques,
géographiques et historiques en jeu dans ces affrontements.
Alors que le modèle conservateur conçoit la violence collective comme la conséquence
d’une société déliquescente, le modèle libéral y voit la manifestation d’une société
dysfonctionnelle, tandis que le modèle radical les appréhende comme le produit d’une
société inégalitaire.
Le modèle conservateur : une violence irrationnelle dans une société décadente
Le modèle conservateur se réfère, soit à une explication de type psychopathologique,
tout en soulignant le rôle incitateur des médias, soit à la théorie du complot40.
Dans l’optique conservatrice, la violence collective est pensée comme rare, gratuite et
irrationnelle41. Basée sur les questions de loi et d’ordre et une vision pessimiste de la nature
humaine (« théories de la racaille »42), elle considère les délinquants comme irresponsables et
influençables, les émeutiers mus par le désir de piller. Le rassemblement en foule entraînerait
des comportements sous-tendus par une violence irrationnelle et contagieuse43.
Cette violence aurait d’autant plus de chances d’exploser que les structures seraient
inadéquates, la société désorganisée, la « communauté » éclatée par l’arrivée de nouveaux
venus dans le quartier. Produits d’une mauvaise socialisation, la dégénérescence morale et le
manque de respect croissant pour les lois seraient à l’origine du crime. Associée à l’impuissance
du contrôle social traditionnel à prévenir la violence, la dégradation des valeurs et modes de
comportement seraient à la source des émeutes (tableau n° 1).
40 Pour un bilan de la littérature sur les rapport police / « jeunes », Capelle, 1989 ; Renouard, 1993.
41 Cette interprétation s’inspire de la théorie des foules de G. Le Bon. A contrario, d’autres estiment la
protestation rationnelle, au sens où ceux qui seraient systématiquement exclus de la participation politique et
de ses avantages poursuivraient une finalité. Pour Bachrach et Baratz, les émeutes seraient les urnes du
pauvre, un moyen d’imposer des revendications qui, autrement, seraient ignorées et de les faire inscrire à
l’agenda politique. De même, Hirschman considère le manque de représentation et de participation politiques
de certains segments de la société comme un facteur clé dans l’apparition des troubles. Les résidents les plus
actifs, les plus capables de s’organiser et de mobiliser, afin d’obtenir des améliorations et des ressources
supplémentaires, ayant déserté les centres-villes, le reste des habitants serait condamné au silence et à la
frustration, Bachrach, Baratz, 1970 ; Hirschman, 1970, 1983 ; Le Bon, 1988.
42 Connues aux Etats-Unis sous l’expression riff-raff theories of riots.
43 Cf. Théories de l’imitation de G. Tarde, 1901.
24
Tableau n° 1 : différentes approches de la loi et l’ordre
Approche conservatrice
Approche libérale
Approche radicale
• Approche
psychopathologique
• Approche fonctionnaliste
• Structuralisme marxiste
• Violence gratuite et irrationnelle,
produit de la nature humaine
• Violence comme produit
de dysfonctionnements sociaux
• Violence comme produit
de conflits de classes
et moyen de protestation légitime
• Pessimisme :
décadence et affaiblissement
des normes sociales
• Injustice et baisse de confiance
dans la légitimité des règles
et des institutions politiques
• Possibilité d’amélioration
du système par une restructuration
complète de l’ordre politique,
économique et social
• Perspectives futures :
pas d’améliorations
• Possibilité d’amélioration
du système par le renforcement
de l’appareil policier
L’approche libérale repose, quant à elle, sur une vision fonctionnaliste du social.
Le modèle libéral : la violence collective comme conséquence de dysfonctionnements sociaux
La société ne parvenant pas à répondre aux besoins de certains groupes défavorisés
et à intégrer ces derniers (Scarman, 1981 ; Benyon, Salomos, 1987), ces inégalités deviendraient
explosives (schéma n° 1).
Les émeutes ne se produiraient que sous certaines conditions (chômage, discriminations
sociales et raciales, manque de représentation politique, mauvaise conduite policière). Le hiatus
entre les attentes et les satisfactions générerait des éclats de violence collective et aveugle. La
marginalisation politique, l’aliénation44 et la démoralisation des plus démunis, alliées à une
faible intégration sociale et à une diminution du consensus sur les valeurs, due à une rotation
importante des résidents locaux, favoriseraient un affaiblissement du lien social.
Mais, bien plus que les privations, la perception de l’injustice serait un facteur crucial dans
la mobilisation. En effet, les émeutes résulteraient d’attentes déçues, d’une baisse de confiance
consécutive dans la légitimité des règles et des institutions politiques. Elles seraient un moyen
d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur certaines revendications sociales.
Dans cette perspective, Benyon (1987) fait une distinction entre l’événement
déclencheur, qui génère l’émeute, et les facteurs qui vont entraîner une déflagradation
majeure 45 (tableau n° 2).
44 Cette notion désigne le sentiment de démoralisation et d’étrangeté par rapport à la société et à ses valeurs
éprouvé par ceux qui sont victimes du rejet social et de la pauvreté, Lea, Young, 1984.
45 Au nombre de cinq, ces conditions sont les suivantes : discrimination raciale, taux de chômage élevé, surtout
chez les « jeunes » ; frustrations étendues (dégradation de l’environnement, du logement, relégation spatiale ;
faible accès aux services sociaux, au système éducatif, aux loisirs, etc.), exclusion politique, des populations
afro-Caribéennes notamment ; défiance vis-à-vis de la police. Ces caractéristiques peuvent être complétées par
d’autres variables, telles que les différences culturelles entre les jeunes Antillais et la police, la politique menée
vis-à-vis de ces adolescents, la dynamique des interactions quotidiennes, etc.
25
Tableau n° 2 : causes et éléments déclencheurs des émeutes en Grande-Bretagne depuis 1980
Emeute
1980
BRISTOL
Elément déclencheur
Descente de police dans un café à
clientèle noire et blanche
(St Pauls)
02/04/80
Causes
• Harcèlement policier
• Privations sociales
(fort taux de chômage)
• Discrimination raciale
(en particulier sur le
marché de l’emploi)
1981
BRIXTON
10/04 : fausse interprétation
de l’assistance de la police
à un jeune Antillais blessé
• Hostilité à l’égard de la police
Comportement raciste
Opération Swamp 81
11/04 : fouille d’un
chauffeur de taxi devant
une agence location
de voitures
• Facteurs politiques,
économiques et sociaux
(chômage, problèmes
de logement et d’éducation)
(St Pauls)
10-12/04/81
• Impuissance politique
SOUTHALL
03/07/81
Arrivée de skinheads dans
un pub de Southall lors
d’un concert
• Emeute raciale –
" Asiatiques " contre
skinheads (Fascistes)
• Conséquence de
l’incident de 1976
(un " Asiatique "
abattu par le National Front)
et de 1979
(la police sembla prendre
parti pour le NF dans
l’émeute qui a suivi la
manifestation de Southall)
LIVERPOOL
(Toxteth)
03-06/07/81
Jeune Afro-Caribéen
blessé à la suite d’une
chute de moto lors d’une
course poursuite avec la
police
• Hostilité à la police –
comportement raciste –
méthodes policières
dures
• Privations sociales,
politiques, économiques
26
MANCHESTER
(Moss Side)
08/07/81
Tentative de jeunes
“ Blancs ” de pousser
certains jeunes “ Noirs ” à
imiter les émeutiers de
Toxteth
• Prophéties autoréalisatrices –
phénomène
de mimétisme
• Hostilité à la police
noire deToxteth ;
méthodes policières
dures
• Accumulation de causes
sociales – chômage des
“ jeunes ”, déchéance sociale
BRIXTON
15/07/81
1985
BIRMINGHAM
Fouille policière de
onze maisons à Railton
Road
• Hostilité à la police
Altercations entre la police
et des jeunes Antillais au
sujet d’une contravention
• Changement radical
de l’action policière
concernant la
consommation
de drogues
par les Rastas
09/09/85
• Absence de mesures
concrètes depuis les
troubles d’avril 81
• Déchéance sociale –
chômage élevé chez
les “ jeunes ”
• Pillages de circonstance
BRIXTON
28-29/09/85
LIVERPOOL
(Toxtheth)
01/10/85
Décès de Mme C. Groce,
à la suite d’une intervention
de police, lors de la fouille
de sa maison
• Hostilité à la police
Mise en détention provisoire
de quatre hommes,
membres de la
" communauté " noire.
• Hostilité à la police
Comportement raciste
Méthodes policières
agressives
Echauffourée entre leurs
supporters et la police.
• Absence de mesures
concrètes
• Absence de mesures
concrètes depuis
les émeutes de 1981
• Injustices sociales
Réaction au décès de C. Groce
27
TOTTENHAM
(Broadwater Farm)
06/10/85
Décès d’une mère de
famille " noire ", à la
suite d’une intervention
de police, lors de la
fouille de sa maison
• Hostilité à la police
• Durcissement de la
politique contre les
trafiquants de drogue
locaux
• Divergences de styles
entre les policiers
subalternes et les
officiers supérieurs
1991
OXFORD
(Blackbird Leys)
22-27/08/91
Action policière contre
des " chauffards " et des
adeptes de la course
poursuite dans un
lotissement
• Réticences aux
tentatives de la police
de rétablir le contrôle
territorial
• Ennui conduisant au
crime, suivi d’une
résistance à l’application
des lois
CARDIFF
(Ely Estate)
30/08/91
Différent commercial
concernant la vente
de pain entre des
commerçants
• Vendetta entre “ jeunes ”
du quartier et un commerçant
“ asiatique ” au cours
d’une dispute au sujet
du vol à l’étalage
• Déchéance sociale et
économique – chômage élevé
BIRMINGHAM
(Handsworth)
02/09/91
Panne d’électricité, suite à
un incendie criminel dans
une manufacture voisine
• Criminalité – pillages
de circonstance.
Résistances aux interventions
de la police
• Déchéance politique,
économique et sociale
(persistance du chômage
des “ jeunes ”)
NEWCASTLE
(Meadow Well Estate)
10/09/91
Mort de deux voleurs
de voitures, suite à
une course poursuite
avec des policiers
• Déchéance politique,
économique et sociale (extrême
pauvreté, fort taux de chômage)
• Criminalité – résistance à
l’intervention de la police
Source : Brightmore C., 1992, cit. in Benyon, 1993, 125-126.
28
Schéma n° 1 : Le cercle vicieux du dénuement et de l’agitation
CRIME
SURVIE
Pressions de la population,
des médias, politiques
ENNUI
CLIMAT
D’INSÉCURITÉ
RÉACTION DE LA
POLICE
PRIVATIONS
ABSOLUES OU
RELATIVES
Méthodes policières
agressives
Infrastructures locales
détruites
Hostilité à la police
FUITE DES
INVESTISSEURS
INJUSTICE
ÉMEUTE
Source : Brightmore C., 1992, cit. in Benyon, 1993, 129.
29
De même, dans son rapport 46, Lord Scarman (1981) conclut que les émeutes
résultent d’une situation politique, économique et sociale complexe (discriminations
raciales, taux de chômage élevé, frustrations étendues, exclusion politique ; défiance et
hostilité de la population française en général, et des « jeunes » en particulier, à la police, etc.).
Il soutient que ces émeutes, dont l’objectif général était d’attaquer la police, n’avaient été ni
préméditées ni planifiées, qu’elles étaient l’expression d’une réaction spontanée de jeunes
hommes en colère, dont la plupart étaient Noirs, contre ce qu’ils percevaient comme des forces
de police hostiles [...]Les émeutes étaient essentiellement dues à une explosion de colère et de
ressentiment des jeunes Noirs à l’encontre de la police (Scarman, 1981, § 3. 110 (4), (7), 45).
Contrairement à l’interprétation conservatrice, la thèse libérale ne rejette pas la possibilité
d’une amélioration du système, à condition, toutefois, de renforcer l’appareil policier.
Si la majeure partie des théories présentées concernant les émeutes de ces deux dernières
décennies épousent un point de vue proche, reposant sur l’idée de frustration relative (Benyon,
1987 ; Brake, 1985 ; Muncie, 1984 ; Lea, Young, 1982 ; Waddington, 1992 ; Campbell, 1993),
elles oublient que la frustration n’est pas une condition suffisante pour expliquer la dynamique de
l’action collective. Outre la pluralité et l’enchevêtrement des causes à l’origine des troubles, la
frustration, l’aliénation engendrées par l’exclusion économique et politique n’impliquent pas
nécessairement, unilatéralement et mécaniquement la révolte ou l’insurrection des plus démunis47,
nombreux étant ceux qui adhèrent aux normes et valeurs dominantes (accès à la propriété,
famille, etc.) et déploient des stratégies pour s’y conformer.
A la différence du modèle libéral, pour lequel les dysfonctionnements sociaux qui sous-tendent
les émeutes ne sont pas une fatalité, le modèle radical considère la violence collective comme
inévitable, compte tenu de l’acuité des conflits de classes qui traversent la société.
Le modèle radical : la violence collective comme conséquence d’une société inégalitaire
Fondée sur le structuralisme marxiste, l’interprétation radicale défend l’idée que la violence
collective est porteuse de sens : elle est un instrument de protestation légitime pour les groupes victimes
d’injustice. Produit de conflits de classes, l’émeute serait liée à une exigence de redistribution des
ressources ou du pouvoir, capable de mener à la Révolution (Muncie, 1984).
Si chacune de ces théories offrent un cadre général à la compréhension du phénomène,
elles pâtissent, néanmoins, de certaines faiblesses.
Outre son fatalisme, la première est trop empreinte d’une vision naturaliste de la « nature »
humaine. Son psychologisme fait de la « foule » une entité abstraite et homogène capable de
vouloir, sans tenir compte des groupes sociaux et de la dynamique propre à l’action collective
(rôle des porte-parole dans la mise en forme des intérêts, gestion du sens et construction d’une
identité collective). L’individu est pris en compte dans sa dimension ontologique : il existe en
soi, sans détermination sociale, politique, économique et / ou culturelle. Ne sont retenus que
l’aspect essentiellement pathologique de l’action collective, la foule comme manifestation
d’un désordre social et mental, les moments visibles et dramatisés.
46 Benyon, 1984.
47 Voir infra.
30
Le groupe transcende l’individu, lui-même « contaminé » par le groupe48. Bien que le rôle et
l’influence de l’environnement et la dynamique de la construction identitaire soient négligés,
cette théorie est intéressante, au sens où elle introduit déjà la notion d’action collective.
Plus optimiste, la deuxième repose sur un fonctionnalisme qui fait des émeutes le produit de
dysfonctionnements sociaux. Ce serait l’addition de frustrations individuelles, qui conduirait à
la construction d’une identité collective. D’où une conception mécaniste, potentiellement
téléologique de la société, qui enferme plus qu’elle n’éclaire la multiplicité et la complexité du
problème. Elle laisse, par ailleurs, de côté la question essentielle de la construction de cette
identité au moment de l’action collective, négligeant ainsi l’analyse du processus par lequel
des individus aux perceptions différentes vont s’agréger. L’explication ne met pas en exergue
les interactions entre les individus et leur environnement, alors même que leur examen
permettrait d’éclairer la manière dont le phénomène est réactivé. L’action collective est
perçue comme ponctuelle, sans que sa dimension évolutive soit prise en considération. En
effet, les privations et le sentiment d’injustice seuls ne permettent pas de saisir l’organisation
(aspect stratégique, questions de l’environnement et de la mobilisation des ressources) et la
pérennité, la durabilité, de l’action collective (aspect symbolique et gestion du sens)49.
Extrême, la troisième est trop dichotomique et trop focalisée sur les notions de domination et
de conflits inter-groupes pour fournir une explication satisfaisante.
Par leur caractère globalisant, ces modèles ne laissent que peu de place aux acteurs
sociaux et aux processus au cœur des mobilisations collectives. Ceci revient à omettre le
caractère problématique de l’action collective, ce qui fait précisément que des individus
aux intérêts hétérogènes et aux ressources différenciées s’agglomèrent à un moment donné
pour faire valoir une « cause ». D’une part, en effet, tous les individus ne sont pas producteurs
de sens ou constructeurs d’identité collective ; d’autre part, ce sens étant constamment
renégocié, réajusté, cette identité évolue en fonction des modifications de l’environnement
et des luttes internes entre acteurs d’inégal poids pour la définition de l’identité collective.
Qu’ils s’inscrivent dans l’un ou l’autre de ces cadres théoriques, certains travaux ont
cependant contribué, par leurs apports, à mieux comprendre la genèse des émeutes.
L’ORIGINE
DES ÉMEUTES DE LA PREMIÈRE MOITIÉ DE LA DÉCENNIE QUATRE-VINGT
:
LA
RACIALISATION DU PROBLÈME CRIMINEL
Plusieurs éclairages ont été donnés des émeutes de Brixton. Certains se sont attachés
à y voir le produit d’un conflit de cultures, d’autres celui d’un « racisme » policier, d’autres
encore se sont penchés sur leur dimension spatio-temporelle, à travers une approche
ethnographique articulée autour du concept de lignes de front. Dans le prolongement
de ceux qui se sont interrogés sur l’ensemble des facteurs à la source de ce problème, comme
D. Waddington, par exemple, et sa théorie des Flashpoints, d’autres, enfin, ont axé leur réflexion
sur les facteurs liés à la production d’un certain type de policing et à ses effets pervers. Au
demeurant, nombreuses sont les études qui font état de relations dégradées police / « public »,
s’agissant notamment des « jeunes » et des membres des « minorités ethniques » (graphiques
n°s 1 et 2), pour lesquels certaines pratiques policières, telles que la fouille sur place, par
exemple, sont perçues comme une forme de harcèlement50.
48 Taine y voit l’expression d’une contagion mentale, Tarde le produit de l’imitation et Le Bon celui d’une folie
collective. Loi psychologique, l’unité mentale entrainerait l’homogénéisation des éléments qui pourraient
connaître des différences sociales ou culturelles, sur ces divers aspects de l’action collective, Ollitrault, 1996.
49 Certains auteurs ont mis l’accent sur la rationalité de l’acteur et ses capacités stratégiques (calcul coûts / avantages),
Oberschall, 1973 ; Olson, 1987 ; Tilly, 1978.
50 Smith, 1983 ; Reiner, 1992 ; Benyon, 1986.
31
Graphique n° 1 : évolution du taux de satisfaction du « public » vis-à-vis du travail de la police
Source : Home Office, 1996
Graphique n° 2 : proportion de personnes se déclarant « assez » ou « très satisfaites »
du travail de la police
Source : Home Office, 1996.
Les émeutes comme produits d’un “ conflit de cultures ”
Si certains mettent l’emphase sur la réponse sub-culturelle des jeunes Afro-Caribéens,
d’autres insistent, soit sur le processus de construction identitaire des émeutiers, soit sur la
culture professionnelle particulière des policiers, soit sur l’existence d’un conflit de cultures
entre émeutiers et policiers.
Les émeutes comme produits de la réponse sub-culturelle des jeunes Afro-Caribéens
Plus que les événements déclencheurs, ce sont les notions de sub-culture de culture,
des émeutiers, mais aussi des policiers, et de “ conflits de cultures ” qui sont à la base des travaux
de Brake (1985), Muncie (1984), Lea et Young (1982) et Monet (1992). Selon ces auteurs, il
convient de comprendre la nature de la réponse sub-culturelle donnée par les jeunes
Afro-Caribéens, lorsqu’ils sont face à des conditions extrêmes de frustrations, de désavantages
et de discriminations.
32
Pour Brake (1985), cette réponse sub-culturelle est une synthèse des cultures rude boy51
et rastafarienne52 importées de Jamaïque. Muncie (1984) avance que cette combinaison recèle
en elle-même un potentiel de confrontations avec la police. Ces « jeunes » consomment de la
marijuana, considérée comme une drogue sacrée, dans des circonstances où ils vont rencontrer
la police et utilisent les rues comme autant de lieux de rassemblements, ce qui a pour effet de
renforcer la visibilité de leur déviance53. L’auteur explique que les relations entre les Rastas et
la police se sont détériorées au cours de la décennie soixante-dix, en raison de la construction,
par les agences de contrôle sous « domination blanche », d’un stéréotype suivant lequel tous les
« jeunes » répondant aux mêmes codes vestimentaires seraient des délinquants54.
Lea et Young partent de l’idée que
l’hostilité entre les jeunes Noirs et la police est inextricablement liée à la frustration
relative vécue par la seconde génération d’Afro-Caribéens en Grande Bretagne.
Alors que les parents de cette génération s’attendaient à de faibles niveaux de vie,
leurs enfants, nés dans le pays de parents immigrés, sont conditionnés par l’école
dans l’esprit qu’ils seront égaux en termes d’emploi, par les médias [dans l’esprit]
qu’ils auront accès à la consommation [...]mais ils se rendent compte, lorsqu’ils se
comparent aux jeunes du même âge, qu’ils sont tout à fait inégaux (Lea, Young, 1982, 7).
A l’instar d’autres théoriciens de la sub-culture, Lea et Young avancent que la fin de la
décennie soixante-dix a vu naître une contre-culture de rue noire, basée sur des éléments
empruntés à l’Inde occidentale. Mais ils éclairent, plus que d’autres, le caractère foncièrement
anti-social de cette contre-culture :
Une contre-culture du mécontentement implique des éléments contradictoires. De
même que ces contre-cultures comprennent une quête positive d’identité et de survie
dans les conditions difficiles des quartiers des grandes villes, elles comportent des
aspects négatifs. La culture de rue peut être compétitive, désorganisée,
anti-sociale, autant que l’inverse [...]C’est une erreur commune de la gauche de
s’imaginer que les délinquants de voie publique sont des espèces de Robin des Bois
des grandes villes. En réalité, les victimes de ces crimes sont généralement pauvres
et peu capables d’assurer elles-mêmes leur défense (Lea, Young, 1982, 8-9).
Se rapportant à l’augmentation rapide des actes de délinquance de voie publique impliquant
des jeunes Afro-Caribéens - augmentation qui a donné naissance à l’opération Swamp 81 à
Brixton -, les auteurs affirment que la situation aurait été différente si ces adolescents n’avaient
pas été en situation marginale. En l’absence d’organisations politiques capables de relayer
leurs revendications ou de défendre leurs intérêts et de politiques viables les concernant, une
contre-culture se serait développée, de manière anarchique et incontrôlée.
51 Les rudies ou rude boys sont des groupes de « jeunes » de l’ouest de Kingston, qui on choisi de vivre
d’expédients, plutôt que d’être au chômage ou d’accepter un emploi mal rémunéré. Hebdige affirme que ces
rudies ont leurs propres styles vestimentaire et de vie. Les jeunes Antillais ont épousé la culture des rude boys
à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix, Hebdige, 1987, 23.
52 Ce mouvement, qui prône la libération des « Noirs » et dont la figure de proue est Marcus Garvey, a attiré de
nombreux jeunes Afro-Anglais, qui souhaitent retourner aux sources de la culture « noire » (musique reggae,
dreadlocks, vêtements aux couleurs du drapeau éthiopien) en attendant la chute de la « société capitaliste
blanche » (Babylone) qui n’a cessé, selon eux, de les exploiter.
53 Muncie, 1984, 123.
54 Ibid.
33
Ces prémisses ont servi de fondement à l’élaboration d’un modèle reposant sur la notion
« d’effondrement du consensus sur le policing » (Collapse of Consensus Policing), qui aurait,
selon certains auteurs (Lea, Young, 1982, 13 ; Kinsey et al., 1986, 42), largement contribué au
déclenchement des émeutes des années quatre-vingts. Cette théorie montre comment la police
tend à passer progressivement d’un style de policing doux, consensuel, à des stratégies plus
dures, impliquant, par exemple, une surveillance rapprochée et des contrôles aléatoires de
certaines catégories de population jugées « à risques » (stops and searches), lorsque les statistiques
policières font état d’une hausse du taux de criminalité (schéma n° 2). A la suite de Reiner (1992),
pour qui l’excès de confiance accordée à la police au début de la décennie quatre-vingts pour
résoudre les conflits aurait conduit à une dégradation de ses méthodes dans les zones urbaines,
Lea et Young ont élaboré un modèle, qui illustre l’auto-renforcement de ce qu’ils appellent des
méthodes de police militaires. D’après ce modèle, l’accroissement de la criminalité (et plus
spécialement de la délinquance de voie publique) résulterait du chômage et de la pauvreté. La
réponse de la police consisterait à adopter des stratégies énergiques. Ce type d’actions
engendrerait la désapprobation des membres de la « communauté » et une réticence à coopérer
avec les forces de l’ordre. Du coup, la police recevrait moins d’informations et peinerait à juguler
la criminalité. Il en découlerait un durcissement de ses méthodes, suivi de l’antipathie de la
population locale, d’un apport de renseignements moindre, etc. Les dangers d’un tel
changement de stratégie policière sont soulignés par Lea et Young, pour lesquels
une fois que les actions de la police ne font plus la distinction entre suspect et
innocent, la communauté tend à percevoir toute tentative d’arrestation comme une
attaque symbolique, de sorte qu’émerge un phénomène de résistance collective.
Partant de là, le problème des émeutes est mis à l’agenda. Les événements prennent
la forme d’un cercle vicieux né de l’accumulation de causes multiples. La dégradation
des relations entre la police et la communauté entraîne un assèchement de l’information
qui va servir de point d’ancrage au développement d’un style de policing militarisé
plus agressif. Ce phénomène renforce la tendance à la disparition de la communauté
comme source d’informations. L’aliénation générale qui en découle mine les fondements
du consensus sur le policing, laissant apparaître toute action policière militarisée
comme la seule stratégie viable pour la police (Lea, Young, 1982, 12).
Schéma n° 2 : l’effondrement du consensus sur le policing (Collapse of Consensus Policing)
Discriminations et frustrations
Augmentation de la délinquance de voie publique
Revirement de stratégie : adoption d’un style de policing militarisé
" Aliénation " de la communauté
Mobilisation des " laissés-pour-compte "
réduction du flux d’informations pour la police
Effondrement du consensus sur le policing
34
Bien que l’explication fournie par Lea et Young soit suffisamment extensive pour
englober les conditions sociales et la dynamique de production des émeutes, en y insérant des
variables culturelles, leur démarche donne l’impression d’idéaliser les rapports préexistants
entre les jeunes Afro-Caribéens et la police. Scraton (1985) ne voit ainsi dans cette analyse
aucune réflexion sur la manière dont les communautés noires ont été discriminées
par la police, aucune référence aux stratégies de renforcement juridique sélectif et
au ciblage de groupes particuliers (Scraton, 1985, 98-99).
Dans le prolongement de ces réflexions, d’autres ont mis l’accent sur le processus
de construction identitaire des émeutiers.
Le processus de construction identitaire des émeutiers
Selon Monet (1992), l’hostilité des jeunes Afro-Caribéens à la police ferait partie de
l’affirmation de l’identité d’un groupe. Elle aurait pris son essor dans un contexte où le
contrôle de l’immigration55, la discrimination raciale, le fort taux de chômage des Antillais et
le nombre important des agressions racistes auraient été prégnants.
Si des travaux ont mis en évidence des taux de chômage plus élevés chez les « Noirs »
que les « Blancs », notamment dans les inner-cities56 et dans les quartiers à forte concentration
ethnique, on assiste, depuis 1986, à une diminution régulière de ce taux au plan national et dans
les inner-cities.
Néanmoins, des taux de chômage élevés et croissants sont allés de pair avec la détérioration des
relations entre la police et des Afro-Caribéens dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Et les
chômeurs auraient plus de chances d’entretenir des rapports conflictuels avec la police et d’être
arrêtés que les autres (Smith and Gray, 1981). D’après des recherches, dont celles du Policy
Studies Institute (1984), les discriminations observées seraient importantes sur le marché de
l’emploi pour les « minorités ethniques ». Le taux de chômage des « Noirs » et des « Indiens de
l’Ouest » serait beaucoup plus élevé que celui des « Blancs » (Stevens, Willis, 1979). Malgré le
caractère controversé d’une éventuelle corrélation entre chômage et crime, une étude indique que
les zones dotées de forts taux de chômage auraient aussi des taux d’arrestations élevés (Stevens,
Willis, 1979). Un tel phénomène ne serait pas dû au fait que davantage de crimes seraient commis,
mais au fait que ces quartiers attireraient davantage l’attention de la police, qui y percevrait certains
problèmes. En effet, celle-ci ferait des patrouilles plus rigoureuses dans les zones où le taux de
chômage est élevé, dans l’idée que le taux de criminalité est plus important dans ces quartiers.
En conséquence, les populations résidentes se plaindraient d’être harcelées par les policiers.
Les « minorités ethniques » seraient d’autant plus enclines à se définir en termes d’identité
de groupe et à mettre l’accent sur ce qui accroît l’appartenance au groupe, dans un cadre
d’antagonisme de groupe, qu’elles seraient marginalisées (Monet, 1992). Etant donnés le
peu de policiers d’origine étrangère57 et la faiblesse du policing, les victimes placeraient les agresseurs
dans le même groupe que la police et percevraient celle-ci comme le symbole de l’oppression blanche.
Au terme de ce processus, la police serait définie comme un « ennemi ».
55 Lois sur les relations raciales (Race Relations Acts, 1965, 1968, 1976).
56 Développé par l’écologie urbaine et l’école de Chicago, ce concept désigne les quartiers, au sein des grandes
agglomérations, cumulant toute une série de handicaps sociaux (pauvreté, chômage, discrimination, relégation,
etc.), voir supra.
57 Voir infra.
35
On assisterait alors à un processus classique, où une collection d’individus dissemblables
se forgeraient une identité collective en reprenant un trait distinctif de leurs adversaires pour les
stigmatiser (une fonction identitaire remplie, ici, par le facteur ethnique). Perçues comme provocatrices
par la société environnante, ces manifestations contribueraient à une racialisation du problème
criminel et fourniraient une base de légitimation au renforcement des contrôles policiers.
Avec le durcissement de la répression, les relations entre la police et la « communauté »
se dégraderaient. La première cesserait de faire des patrouilles dans les rues, deviendrait moins
accessible à la seconde et commencerait à utiliser des blanket tactics (descentes de policiers pour
chercher et arrêter des suspects potentiels dans les rues ou les centres sociaux). En retour, les
jeunes Afro-Caribéens commenceraient à se sentir harcelés et à avoir le sentiment que l’action de
la police repose sur des préjugés raciaux.
Progressivement, s’enclencherait un processus de double marginalisation à travers lequel
la « communauté » cesserait d’être une source d’informations pour le « public », tandis que la
police s’éloignerait de plus en plus de celui-ci. A partir d’une situation de conflit latent, la
perception des protagonistes deviendrait de plus en plus simpliste et leur attitude vis-à-vis de
l’autre de plus en plus négative (méfiance mutuelle, manque de « respect », etc.). D’où une
polarisation du groupe : le moindre incident viendrait faire dégénérer le conflit latent en conflit
manifeste.
Si certains se sont concentrés sur le profil et l’identité des émeutiers, d’autres ont mis en
exergue l’importance de la culture professionnelle des policiers dans le surgissement des émeutes.
Les émeutes comme produits de la culture professionnelle particulière des policiers
Il a également été suggéré que les croyances, normes et principes d’action inhérents à
la culture policière étaient fondamentaux pour éclairer les relations conflictuelles entre la police
et les « minorités ».
Holdaway (1983) et Reiner (1992) soutiennent que les rangs les moins élevés dans la
hiérarchie policière accordent beaucoup d’importance à l’action, au défi et à l’excitation,
recherchant une opportunité pour une poursuite en voiture ou une confrontation. Cet avis est
partagé par Smith et Gray (1985), pour qui
la perspective d’un incident violent ou d’une émeute est intéressante et
stimulante pour de nombreux agents de police (Smith, Gray, 1985, 341).
Alors que ces interprétations mettent l’accent soit sur les émeutiers, soit sur les policiers,
d’autres ont cherché à faire l’articulation entre les deux perspectives en appréhendant les
affrontements comme la conséquence d’un conflit de cultures.
L’antagonisme culture des émeutiers / culture professionnelle des policiers : les émeutes
comme produits d’un «conflit de cultures »
Kettle et Hodges (1982) affirment que les émeutes des années quatre-vingt résultent d’un
conflit de cultures :
L’émeute était raciale en ce sens qu’elle commença par un affrontement entre des
habitants Noirs et des policiers Blancs sur une portion de territoire considérée
36
comme appartenant aux premiers. Elle était la manifestation d’un conflit de cultures :
un style de vie, issu de l’Inde occidentale, axé sur la consommation de cannabis et de
boissons illicites, contre des valeurs anglaises blanches condamnant un tel
comportement (Kettle, Hodges, 1982, 30).
L’apport de ces recherches réside dans l’accent placé sur l’importance de la culture des
acteurs impliqués dans les émeutes, leurs perceptions, croyances et valeurs, la manière dont leur
action est informée par leurs représentations. Toutefois, elles ne prennent pas suffisamment en
compte le contexte dans lequel les confrontations entre la police et les manifestants voient le jour.
D’autres y ont vu la conséquence d’un « racisme » policier.
Les émeutes comme produits du « racisme » policier
Ce seraient les pratiques jugées discriminatoires et racistes de la police, laquelle aurait
construit une géographie criminelle en ciblant ses actions sur des groupes perçus comme
potentiellement délinquants, qui auraient contribué à la dégradation des relations entre la police
et les « jeunes » issus des « minorités ethniques » et au déclenchement des émeutes de la
première moitié de la décennie quatre-vingt.
La construction d’une géographie criminelle par la police
Selon Monet (1992), les émeutes se produiraient toujours :
1. dans des secteurs urbains où prévalent des rapports conflictuels entre la police et des
« minorités culturelles » ;
2. à la suite d’une action policière, le plus souvent banale et routinière ;
3. à la suite de rumeurs, qui joueraient un rôle essentiel dans le processus de mobilisation
collective des résidents.
La police ne serait que l’étincelle qui mettrait le feu aux poudres. En multipliant les opérations
de représailles, les policiers provoqueraient le surgissement de nouvelles émeutes. Les émeutiers
éprouveraient une hostilité extrême à l’égard de la police, de ses pratiques et de ce qu’elle
représente. L’expression de cette hostilité s’organiserait autour de trois griefs :
1. des contrôles incessants et discriminatoires ;
2. des comportements violents et racistes ;
3. l’absence de protection offerte aux victimes d’attaques raciales58.
Ces violences collectives seraient, avant tout, des émeutes anti-policières. Nées d’une
accumulation de frustrations socio-économiques, elles seraient une réaction en vue d’affirmer
une identité collective construite en contrepoint d’une société blanche, dont la police serait le
symbole le plus visible.
Selon l’auteur, la police constituerait une géographie criminelle en ciblant des « zones
à risques », touchées par la marginalisation sociale. Cette géographie criminelle justifierait,
dans un second temps, la mise en œuvre de stratégies agressives appuyées sur des unités
spécialisées (Special Patrol Groups59). Ces opérations alimenteraient de façon substantielle
les statistiques d’arrestations.
58 Voir infra.
59 Groupes de patrouilles spéciales, voir supra.
37
Ces stratégies seraient d’autant plus discriminatoires que les policiers n’opèreraient pas
de la même manière et n’utiliseraient pas les mêmes techniques que dans les quartiers blancs.
Elles témoigneraient du passage d’une discrimination statistique à une discrimination raciale,
de même qu’elles mettraient en évidence le racisme institutionnalisé de la police60. Il se
formerait un sentiment d’insécurité partagé, qui reposerait sur un processus d’identification et
de solidarisation vécues sur le mode émotionnel. La contestation de l’autorité des policiers par
un groupe social ayant pour effet immédiat de renforcer la suspicion et la pression policières
sur les contestataires, il se mettrait en place une prophétie auto-réalisatrice61, qui s’alimenterait
des deux côtés.
Du reste, nombreux sont les travaux qui pointent la médiocrité des relations entre la
police et les « jeunes » issus des « minorités ethniques ».
De médiocres relations entre la police et les « jeunes » issus des « minorités ethniques »
La plupart des recherches effectuées indiquent que ce sont surtout les « jeunes » et les
membres des « minorités ethniques » qui s’avouent les plus mécontents de la police, qu’ils
soupçonnent de ne pas s’intéresser à leurs problèmes (Bradley, 1998 ; Bucke, 1997 ; Skogan,
1994 ; Southgate, Ekblom, 1984).
Outre que les divers « groupes ethniques » ont des perceptions variables des forces de
l’ordre, ce seraient les « Indiens »62 et les « Afro-Caribéens » qui s’en plaindraient le plus
(Mirlees-Black, Budd, 1997 ; Smith, 1983). Toutefois, des études empiriques montrent que les
conflits avec la police sont plutôt rares, même dans les quartiers marqués par un fort taux de
criminalité (Sichel et al., 1978).
D’après une analyse des données fournies par le British Crime Survey (Southgate,
Ekblom, 1984), une personne sur six aurait eu un mauvais contact avec la police, après avoir été
traitée comme un suspect potentiel. Une étude du Policy Studies Institute est parvenue à des
conclusions similaires : l’hostilité des « Afro-Caribéens » à la police serait ancrée dans leur
expérience, c’est-à-dire dans des exemples concrets de mauvaises conduites policières (Kinsey,
1985 ; Skogan, 1990 a et b ; Smith, 1991 ; Smith, Gray, 1985). Les Antillais seraient d’autant
plus critiques qu’ils feraient l’objet de contrôles réitérés, lorsqu’ils sont en voiture ou à pieds
(Brown, 1997 ; Bucke, 1995 ; Mirlees-Black, Budd, 1997 ; Willis, 1983) et seraient plus
recherchés que les « Blancs » ou les « Asiatiques » (Mirlees-Black, Budd, 1997). D’où le
sentiment d’être victimes d’un harcèlement policier. Allié aux agressions racistes qu’ils subiraient,
par ailleurs, ce type de comportement les conforterait dans leur perception qu’ils sont
vulnérables et menacés63 (Smith, 1983). Une recherche sur les automobilistes a, de
même, mis en évidence le caractère problématique de ces rencontres.
60 Voir infra.
61 Sur ce point, voir Festinger, 1957 ; Festinger et al., 1956.
62 Ces catégories sont reprises entre guillemets, dans la mesure où elles sont institutionnalisées en
Grande Bretagne, voir infra.
63 Des enquêtes indiquent que ces groupes réclameraient une plus grande visibilité des patrouilles de police.
38
Parmi les rares travaux qui se sont efforcés de saisir la nature des interactions police /
« public » comme processus plutôt qu’événement, le système classificatoire de Bailey et Bittner
(1985) permet de distinguer, à travers un découpage séquentiel de la rencontre police / « public »,
un processus en trois phases (contact / processus / sortie) et, pour chacune d’elles, un éventail de
choix tactiques pour le policier. Dans le cas de fouilles de véhicules, par exemple, les auteurs
relèvent dix possibilités d’action au moment de la prise de contact (dire au conducteur de sortir
de son véhicule, lui demander ses papiers, etc.), sept au moment du déroulement des opérations
de contrôle du conducteur et du véhicule (faire passer au conducteur un test d’alcoolémie, le
fouiller, fouiller le véhicule, etc.) et onze à la fin de la rencontre (émettre un avertissement, arrêter
le conducteur, mettre le véhicule à la fourrière, etc.). Alors que la phase d’entrée en contact
serait prépondérante pour éviter confusions et malentendus, la phase intermédiaire exigerait le
« respect » des personnes contrôlées et la maîtrise de la situation, tandis que la phase finale
devrait inciter le policier à lever toute situation équivoque, susceptible d’engendrer du ressentiment
(Southgate, Ekblom, 1986).
Sykes et al. ont relevé la difficulté à prédire les conséquences de la rencontre en ayant
recours à des variables personnelles, démograhiques ou situationnelles, dans la mesure où
celles-ci peuvent être neutralisées ou amplifiées par des événements se produisant au cours
de la rencontre elle-même (Sykes, Clark, 1975 ; Sykes, Brent, 1983).
Les travaux de Sykes et Brent portent surtout sur les interactions verbales, mais il convient
également de prendre en compte des éléments de communication non verbale, comme le révèlent
les résultats de l’expérience de Garatt et al. (1981)64, qui mettent en évidence, d’une part,
l’importance d’un langage spécifique, lié à la culture, dans ces interactions ; d’autre part,
l’influence d’attentes sur ces dernières. Or, ces attentes sont le plus souvent déçues, d’autant
que les policiers ont une nette propension à traiter les affaires afférentes à des questions
juridiques, plutôt qu’à des demandes sociales ou de services65 (Southgate, Ekblom, 1986).
Les membres des « minorités ethniques » (Antillais, Bangladais, Somaliens, etc.), se
plaignent d’un manque d’intérêt de la police pour leurs difficultés, et plus spécialement du fait
qu’ils sont, plus que d’autres, victimes d’agressions racistes66 (Philipps, 1988 ; Sampson,
Philipps, 1992).
Une enquête du Home Office (1981), réalisée dans treize quartiers, souligne que les « Indiens
de l’Ouest » auraient trente-six fois plus de chances que les « Blancs » de faire l’objet de telles
agressions. Ces résultats ont été corroborés par une étude plus récente (Home Office, 1996),
suivant laquelle les membres des « minorités ethniques » seraient plus susceptibles d’être
victimes d’atteintes aux biens et aux personnes que les « Blancs ».
D’autres ont fait remarquer que les familles n’avaient souvent pas le choix de leur lieu de
résidence. Elles étaient généralement affectées dans des quartiers caractérisés par un taux élevé
de harcèlement racial (Forrester et al., 1988). Ainsi, les personnes les moins capables d’assurer
leur défense tendaient à être logées dans des appartements les plus exposés à la délinquance de
par leur isolement.
64 Des sujets « noirs » ont été soumis à des entretiens de routine menés par des officiers de police « blancs ». Ces
derniers avaient été formés pour réaliser les interviews dans un style « anglais » ou « afro-anglais », les différences
résidant dans la manière dont le policier entrait dans la pièce, regardait le sujet et entrait en contact avec lui. Après
avoir été interrogés sur ce point, les sujets eurent à remplir un questionnaire. Ceux-ci affichaient systématiquement
une préférence pour le policier qui les avait interviewés dans un style « afro-anglais ».
65 Ce point a été pris en compte dans la formation des policiers, voir infra.
66 Se pose, néanmoins, la question des critères objectifs qui permettraient de distinguer un comportement raciste
d’un comportement qui ne l’est pas.
39
Ces approches ont été complétées par des recherches qui mettent en relief l’aspect
ethnographique et spatial des affrontements.
Le lieu de production des émeutes : les émeutes comme expression d’un conflit autour de lignes de front
A l’opposé d’auteurs dits « réalistes de gauche », comme Lea et Young, Keith (1993)
propose une explication de type ethnographique, qui inclut des considérations géographiques
et historiques. Selon lui, il existe des lignes de front, telles que Railton Road à Brixton,
Sandringham Road à Hackney et All Saints Roads à Notting Hill. Ces lignes sont des
lieux de rassemblement, où le rôle et la représentation qu’a la population noire
d’elle-même sont jouées, rejouées, définies et redéfinies quotidiennement (Keith,
1993, 159).
Elles constituent
le théâtre dans lequel le ressentiment au sujet des rapports de pouvoir se transforment
en résistance à ces rapports de pouvoir (Keith, 1993, 159).
Pour Keith, la distinction synchronique / diachronique est pertinente pour comprendre les
conditions sociales de production des émeutes, car l’histoire pèse sur le présent67. Le temps
est un facteur prégnant, au sens où le processus qui conduit de la reconnaissance de la police
comme autorité légitime par les membres des « communautés noires » à une mobilisation
collective contre ses agents est long et progressif.
Cette théorie a été approfondie par les recherches de Waddington, dont le modèle prend
en compte cette dimension tout en l’enrichissant d’autres considérations.
La théorie des Flashpoints
Elaborée par D. Waddington (1992), cette théorie, qui peut être appliquée aux émeutes
de Brixton, comprend six niveaux :
1. Structurel : un segment de la société se sent dépossédé d’une chose qu’il estime légitime
d’avoir (discriminations, absence de représentation politique, etc.).
2. Politique / idéologique : le groupe se sent coupé des principales institutions d’Etat, notamment
des systèmes judiciaire et politique ; ses exigences ne sont pas prises en compte par les politiques
et les « médias » et ses actes sont condamnés par des fractions influentes du « public ».
3. Culturel : des membres du groupe adoptent des comportements qui, bien que considérés
comme légitimes dans leur propre culture, sont définis comme inacceptables par la police.
Chaque partie a une image négative de l’autre.
4. Contextuel : les rencontres avec la police sont généralement explosives ; la violence est
anticipée. La police et le groupe se préparent aux troubles et réagissent vivement à des incidents
mineurs, sauf si une négociation a lieu entre les représentants des deux parties. Cette variable
englobe les aspects à court et long termes de la rupture de communication entre la police et les
membres de la « communauté noire » de Brixton.
5. Situationnel : certains lieux sont perçus par les groupes comme des territoires et / ou par les
policiers comme des espaces à contrôler. La disposition d’un ou des deux côtés est « lue » par
la partie adverse comme une intention de s’engager dans des comportements illégitimes.
67 Keith, 1993, 160.
40
L’aspect situationnel met en exergue la signification spatiale et symbolique de la ligne de front
de Railton Road à Brixton comme lieu d’attroupements et d’activités culturelles.
6. Interactionnel : ce niveau souligne la nature problématique de certaines interventions de
police. Une rencontre explosive symbolise un « manque de respect » de la police vis-à-vis
du groupe et inversement. La survenance d’un incident indique qu’une des parties n’a pas
l’intention de s’engager avec les objectifs de l’autre ou de partager sa définition d’un
comportement conforme. Une fois que l’incident a eu lieu, aucune des parties ne veut
désamorcer / normaliser la relation. D’où une spirale de récriminations mutuelles et
l’escalade de la violence. Ce niveau implique la violation de ce qu’un groupe perçoit comme
relevant de ses droits dans une situation donnée (droit de se tenir dans une zone déterminée,
par exemple). Le problème pouvant être arrangé dans le cadre de conduites tacites, des incidents
révèlent une absence ou un manque d’arrangements.
D’autres auteurs ont davantage insisté sur le rôle du policing sur le déclenchement des émeutes.
Le rôle du policing dans le déclenchement des émeutes
D’après Jefferson et Grimshaw (1984) et Brogden et al. (1988), ce serait le style militaire
du policing adopté dans la gestion des émeutes de Brixton qui serait en cause dans les événements
des années quatre-vingt.
Pour Jefferson et Grimshaw (1984), ce type de policing a été encouragé par l’effet
conjugué de trois facteurs, qui ont influé sur la façon dont les dirigeants policiers ont adapté
leur réponse : des chiffres élevés concernant la criminalité, les sentences prononcées par les
cours et des sondages « d’opinion publique ».
En effet, un taux de criminalité élevé stimule généralement l’activité policière, afin de lutter
contre des critiques de laxisme (Monet, 1992). Par ailleurs, d’autres facteurs pèsent sur les
choix de stratégie des policiers, en particulier la mise en scène de l’information par les médias
(Jefferson, Grimshaw, 1984 ; Chibnall, 1977 ; Hall et al., 1978). En définitive,
c’est l’effet conjugué d’un taux de criminalité important, de la construction de
l’opinion publique comme « apeurée et concernée » et de l’attitude sévère,
intransigeante, des cours vis-à-vis des délinquants labellisés comme faisant partie
du problème de la délinquance de voie publique68, qui constituent la toile de
fond sur laquelle va se développer une stratégie policière particulière (Jefferson,
Grimshaw, 1984, 89).
Certains ont fait observer que les médias jouaient un rôle central dans l’apparition et l’essor
d’une panique morale69 (Cohen, 1980). Dans le même sens que Cohen, Chinall (1977) met l’accent
68 Par délinquance de voie publique, nous entendons, au sens large, des infractions ou délits commis par des
piétons dans des espaces publics, où les biens des victimes sont pris à la dérobée, avec menaces ou violences,
Jefferson, Grimshaw, 1984, 85.
69 L’auteur définit le concept de moral panic comme condition, épisode, personne ou groupe de personnes définis
comme menaces aux valeurs sociétales et intérêts [du groupe dominant]; elle [la panique morale]est présentée sous
une forme stylisée et stéréotypée par les mass médias ; les barrières morales sont véhiculées par des éditeurs, des
évêques, des politiques et d’autres acteurs séduits par une idéologie conservatrice ; des experts socialement
autorisés présentent leur diagnostic et leurs solutions ; des manières de gérer le problème sont développées
(ou plus souvent) utilisées ; de sorte que la condition disparaît, se noie ou se dégrade et acquiert davantage de crédibilité.
Parfois, l’objet de la panique est assez nouveau ; d’autres fois, il existe depuis longtemps, mais éclate au grand jour.
Parfois, la panique est surmontée et oubliée, hormis dans le folklore et la mémoire collective ; d’autres fois, elle a
des répercussions plus sérieuses et de plus longue durée et peut produire des changements sur les politiques menées
en matière sociale et juridique ou sur la manière dont la société se conçoit elle-même, Cohen, 1980.
41
sur les menaces pessimistes émises par certains quotidiens70, si rien n’est fait pour enrayer le mal,
autant d’appels visant à renforcer l’arsenal répressif et à appliquer des peines exemplaires.
D’après Jefferson et Grimshaw, le « sentiment d’insécurité » consécutif du « public »
et la vigilance de la police sont de nature à inciter la population à signaler à cette dernière les
actes de mugging, ce qui a pour effet de faire augmenter le taux de plaintes enregistrées et les
demandes de durcissement des politiques publiques de sécurité. Cet indicateur stratégique est
utilisé afin d’engager une action positive :
La police est encouragée à exploiter les larges pouvoirs légaux dont elle dispose pour
dissuader les [...] groupes d’adolescents que les représentations répandues par les
médias (et qui expriment une préoccupation du public) et que les statistiques de police identifient comme le problème de la population (Jefferson, Grimshaw, 1984, 98-99).
Les auteurs expliquent qu’à la fin des années soixante-dix, la police métropolitaine a mis en
œuvre une stratégie proactive largement basée sur l’utilisation extensive de ses pouvoirs en
matière de stop and search et l’envoi de patrouilles mobiles (Special Patrol Groups), en vue
de combattre la recrudescence supposée de la délinquance de voie publique. Comme Lea et
Young, Jefferson et Grimshaw insistent sur les effets pervers de telles pratiques, en particulier
concernant les émeutes de Brixton :
Bien plus, l’hostilité des jeunes Noirs à l’encontre de la police, qui était la conséquence
directe de la campagne orchestrée par la police elle-même, a indubitablement accrû la
tâche des policiers (Jefferson, Grimshaw, 1984, 99-100).
Remis au contexte, on comprend mieux comment la tension au sein de la « communauté
noire » a crû parallèlement à l’imposition de l’opération Swamp 81.
Dans le même sens, Brogden et al. (1988) montrent comment, durant la récession, les
policiers ont accentué la répression de divers groupes dissidents, lesquels
tendaient à devenir victimes, non seulement parce qu’ils étaient les seuls ciblés, mais
aussi parce que les pratiques policières s’étaient durcies (Brogden et al., 1988, 141).
De sorte que les jeunes Afro-Caribéens éprouvent un ressentiment croissant contre la police, qu’ils
tiennent pour responsables de leur situation marginale et qu’ils accusent d’oppression. Il en résulte
un cercle vicieux, car la police s’attend à rencontrer des troubles et y pallie préventivement avec
agressivité, et réciproquement.
L’apport des travaux de Jefferson et de ses collègues réside dans la capacité à combiner
des variables explicatives différentes (politiques, culturelles, idéologiques, etc.), afin d’éclairer
comment celles-ci peuvent influer sur les relations de face-à-face entre la police et les membres
des « communautés noires » et les conflits éventuels qui peuvent en découler. Ils éclairent quels
sont les processus à l’œuvre dans la construction du délinquant par les institutions de contrôle
(police / justice) et les effets émergents que peut entraîner le renforcement de la répression
engendré par ces pratiques71. A la différence d’études axées sur les événements, la recherche
de Jefferson et Grimshaw sur les causes sous-jacentes des émeutes de Brixton fournit une
explication globale, dynamique, en termes de processus.
70 Ainsi, par exemple, de quotidiens populaires nationaux, Daily Express, 17 août 1972 ; Sun, 18 août 1972 ;
Daily Mail, 26 septembre 1972.
71 Voir infra.
42
En dépit d’une approche intéressante sur les conditions de production de la violence collective,
elle ne restitue peut-être pas toute sa place aux acteurs sociaux, à leurs positions et dispositions,
à l’hétérogénéité de leurs intérêts, aux coalitions d’intérêts (opposition monolithique police /
« minorités ethniques »), etc.
Si les émeutes du début de la décennie quatre-vingts ont vu leur traitement se
caractériser par une racialisation du problème criminel, celles de la décennie suivante
ont plus été abordées en termes sociaux qu’ethniques.
L’ORIGINE DES ÉMEUTES DU DÉBUT DE LA DÉCENNIE QUATRE-VINGT-DIX : DE LA RACIALISATION
DU PROBLÈME CRIMINEL AU PRIMAT DU FACTEUR SOCIAL DANS L’ANALYSE DES TROUBLES
Malgré des analyses similaires (frustrations relatives, aliénation, dépossession des plus
démunis), on distingue schématiquement trois types d’explications : la première met en lumière
l’évolution du profil social des émeutiers et la nature, plutôt économique et sociale, des
émeutes au cours de cette période ; la deuxième se concentre sur la construction identitaire des
acteurs, non plus sur une base ethnique, mais sociale ; la troisième met l’emphase sur
l’impuissance des institutions de contrôle, et en particulier de la police, à réguler les troubles
et les conséquences de ce phénomène sur l’aggravation de la délinquance.
Le rapport Rowntree (1997) : la prépondérance du facteur économique dans l’émergence des troubles
A. Power et R. Tunstall (1997) ont étudié treize émeutes, qui se sont produites entre
1991 et 1992. Commandité par le gouvernement britannique, le rapport qui en résulta montra
qu’en dépit de variations, en nature et en intensité, dans diverses régions du pays, les troubles
naissaient toujours dans des quartiers affectés par des difficultés économiques et souffrant
d’une mauvaise réputation.
A une exception près, toutes s’étaient produites dans des cités d’habitats sociaux
localisées dans des quartiers périphériques :
Les quartiers où ont éclaté les troubles du début de la décennie quatre-vingt-dix
étaient le plus souvent étendus, marginaux, avec de faibles budgets, une mauvaise
réputation, un fort taux de chômage et de nombreux enfants et adolescents, issus
le plus souvent de familles monoparentales. Ils [ces enfants et adolescents]
vivaient éloignés de Londres, parfois dans des quartiers en déclin avec une faible
demande en matière de logement. Ils [ces quartiers]étaient bien construits, c’étaient
des cités résidentielles séduisantes, dotées de jardins. Ils étaient principalement
habités par des familles britanniques de couleur blanche. Mais ils étaient stigmatisés
et impopulaires. Les garçons, en particulier, étaient touchés par le déclin des
emplois industriels et étaient en situation d’échec scolaire (Power, Tunstall, 1997, 12).
La plupart de ces cités avaient été construites dans le cadre de projets de démolition de
bidonvilles dans les années trente, quarante et cinquante. Elles étaient essentiellement peuplées
de résidents « blancs ». Les auteurs soulignent le changement, au cours de la décennie quatre-vingt,
dans la composition sociale des habitants et l’évolution de leur situation dans le sens d’une pauvreté
et d’une précarité accrues (schéma n° 3). Impopulaires et stigmatisées, ces cités étaient à l’abandon.
Le taux de chômage, et plus spécialement celui des « jeunes », était plus élevé que la moyenne
nationale ; une majorité de foyers dépendaient de soutiens étatiques, les garçons connaissaient un
fort taux d’échec scolaire, la moitié des foyers était constituée de familles monoparentales. De
sorte qu’on assistait à un phénomène de rotation rapide des habitants.
43
Schéma n° 3 : exclusion et émeutes
Emeutes
Pouvoir alternatif
Luttes pour le contrôle du territoire
Actes de violence dans des espaces publics
Aliénation
" Jeunes ", exclus de la famille,
de l’école, du travail, des loisirs
Perte de contrôle
Absence de contrôle
Défis à la police
Climat tendu
Démonstrations de force
Moyens d’expression alternatifs
Formation de gangs
Dureté
Intimidation
Violation des lois
Prestige, notoriété
Le plus souvent, c’étaient des garçons et des adolescents âgés de 10 à 19 ans qui étaient
impliqués dans les émeutes. Celles-ci étaient généralement précédées de prodromes, une phase de
« tensions latentes » (rumbling disorder) ou « d’émeutes à basse intensité »
(slow rioting) - des incidents spasmodiques mais récurrents de violence et de troubles,
qui ne sont pas jugés suffisamment sérieux pour être classés dans la catégorie des
émeutes à grande échelle (full-scale riots), mais suffisamment constants pour créer
une atmosphère de malaise et de troubles, d’affrontements et d’explosions
occasionnelles (Power, Tunstall, 1997, 14).
A l’instar des événements de 1991, ceux de 1992 impliquaient des jeunes « Blancs »,
issus du milieu ouvrier (King et Brearley, 1996). Elles eurent, par ailleurs, presque toujours
lieu en réaction à une intervention de police contre des « jeunes » faisant du joyriding72. A
Ordsall et Salford, des troubles éclatèrent, lorsque la police lança une opération destinée à arrêter
des vols de véhicules. A Hartcliffe et Bristol, deux joyriders conduisant un véhicule de police volé
trouvèrent la mort, après avoir percuté un autre véhicule de fonction, ce qui donna lieu à trois
nuits d’émeutes.
Outre des frustrations, la négligence de la police et son incapacité à résoudre le problème
de la délinquance dans chaque quartier apparaissent comme des éléments fondamentaux dans la
dynamique des émeutes (schémas n°s 4 et 5) : la police ne parvient pas à imposer son autorité
sans violence et ses tentatives en vue de rétablir l’ordre dans un secteur sont perçues par les
jeunes gens comme un défi auquel il faut répondre (Power, Tunstall, 1997, 15-16).
72 Le joyriding consiste à dérober des voitures pour se livrer à des virées entre amis. Alors que les émeutes
de la première moitié de la décennie quatre-vingts semblaient, selon l’interprétation dominante axée sur
l’ethnicité, résulter de pratiques policières discriminatoires liées au stop and search, celles du début des
années quatre-vingts-dix sont davantage analysées comme une réaction des « jeunes » à des opérations de
police visant à contrôler le joyriding.
44
Schéma n° 4 : anatomie d’une émeute
Jeunes " aliénés " – enfreignent les lois
Les parents / la police constatent une recrudescence de la délinquance
Un policing faible et sporadique ne parvient pas à contenir la montée des troubles
Les relations dans la communauté se dégradent – les délinquants sont victimes
d’un phénomène de marginalisation accrue
Tensions latentes, larvées (rumbling disorder) / émeutes à basse intensité (slow rioting)
L’intervention de la police est provoquée, généralement à la demande des résidents les plus anciens
Des adolescents ripostent / résistent à la tentative de la police de rétablir l’ordre
D’autres " jeunes " se joignent à eux
Des émeutes éclatent, lorsque la police tente de reprendre en main la situation
Eventuel apaisement des troubles – persistance d’un climat tendu (rumbling disorder)
45
Schéma n° 5 : une « échelle de mesure de l’intensité des troubles »
Luttes de
territoire,
démonstrations
de force
Facteurs d’explosion
Descentes de police,
bagarres de rue
Changement
de stratégie
policière,
durcissement
inattendu
Transgression
ostentatoire,
défi aux autorités
Protestation des résidents les plus
anciens, intervention
de la police
Manque de pouvoir engendre des
réactions de violence, violations
de la loi, faible maintien de l’ordre
Jeunes rebelles,
leadership de
jeunes hommes
Conflits de générations,
faibles liens dans et hors
de la communauté
Exclusion
d’adolescents
en difficulté
Déclin
économique
Paupérisation,
chômage,
déqualification
démotivation
Stigmatisation, rotation
rapide, importante
population jeune
Quartiers
défavorisés,
ménages
à faibles revenus
Phases de développement des troubles
Les travaux de Power et Tunstall apportent des éléments significatifs dans la compréhension
des émeutes, des incidents à l’origine de leur déclenchement, du profil des émeutiers et de leurs
motivations. Ils mettent en lumière l’existence d’une violence aussi latente que constante dans des
cités à l’abandon ainsi que le lent processus d’accumulation et d’accroissement des tensions dans
ces mêmes espaces. Outre la mise en relief de populations blanches dans l’émergence des troubles,
ils ont, avec d’autres, enrichi cette approche en faisant porter leur attention sur les phénomènes de
construction identitaire à l’œuvre dans les comportements des adolescents.
46
La construction sociale de l’identité collective des émeutiers : des jeunes hommes en quête
d’affirmation et attachés aux valeurs viriles
La plupart des auteurs (Power et Tunstall, 1997 ; Waddington, 1992 ; Campbell, 1993)
s’accordent à reconnaître que les troubles sont principalement le fait de jeunes hommes
soucieux d’affirmer leur virilité auprès du groupe des pairs.
Power et Tunstall (1997) corroborent ce constat, les femmes ne jouant qu’un rôle de
spectatrices ou de témoins. Selon eux, cette disparité s’expliquerait par les meilleures
performances des filles à l’école et sur le marché du travail. A la différence de celles-ci,
les jeunes hommes seraient exclus de telles sources de légitimité et d’estime73. D’où une
attitude hostile vis-à-vis des adultes et le rejet de leur autorité74. Parmi les aînés, nombreux
seraient ceux qui chercheraient à accroître leur notoriété auprès du groupe des pairs en
adoptant une attitude de provocation et de défi à l’égard de la police 75 . L’impuissance
de cette dernière à établir son contrôle sur les adolescents aurait pour effet de susciter les
critiques nourries des résidents les plus anciens.
Contrairement à la position de P. A. J. Waddington (1992), Power et Tunstall perçoivent cet
échec en matière de policing local comme la source d’une forme de dépression et de retrait de la
communauté. Ils prétendent que les leaders des « communautés » de ces quartiers auraient fait des
efforts assidus afin de communiquer et de réintégrer les garçons dans la « communauté ». Ces
efforts auraient été progressivement découragés, lorsqu’ils ont dû faire face à des agressions
émanant de « jeunes » incontrôlés.
Comme Bui-Trong en France, Power et Tunstall ont établi une « échelle de mesure de l’intensité
des émeutes »76, qui illustre le processus par lequel le déclin de l’activité économique dans les
quartiers où se produisent les troubles engendrerait des activités criminelles parmi les « jeunes » :
L’absence de reconnaissance d’un statut élémentaire ou d’une reconnaissance, le
relâchement du contrôle social et le manque de représentation politique amènent
des jeunes hommes incontrôlés, victimes de marginalisation, à revendiquer du
pouvoir en portant leurs attaques contre la société. Leur agressivité, leur jeunesse
et leur ego de mâle les empêchent habituellement de sombrer dans la dépression.
Aux yeux de la société, leur comportement peut être considéré comme répréhensible,
irrationnel ou éphémère, mais vu à travers le prisme d’une absence d’issue ou
d’avenir, il peut offrir un soulagement immédiat en servant d’exutoire à l’expression
de sentiments indicibles (Power, Tunstall, 1997, 53).
Dans la même veine, Waddington (1992) soutient que les événements de 1991 impliquaient
des bandes d’adolescents confrontés à la perspective d’un avenir incertain, avec le sentiment que les
institutions publiques faisaient peu de cas de leur état77. Aliénés et dépossédés, ces derniers auraient
trouvé des critères alternatifs d’affirmation d’eux-mêmes centrés sur la dureté et la territorialité.
73 Power, Tunstall, 1997, 51.
74 Ibid., 43.
75 Ibid., 45.
76 Voir supra.
77 Dans le même sens, Field et Southgate, 1982, 33.
47
La naissance d’un sentiment raciste, qui aurait servi d’exutoire à leurs problèmes, aurait
suscité la plainte des habitants, une surveillance policière accrue et la dégradation des
relations entre la police et la « communauté ». Dans des situations très tendues, des incidents
tendraient à se produire lorsque des griefs persistants dégénèrent en conflits autour de la
défense ou la conquête d’un territoire :
De plus en plus assurés de n’avoir aucune place dans la société et aucune perspective
d’en avoir une et étant traités de « vaurien » et de « rebut de la société », ces jeunes
se solidarisèrent et découvrirent des critères alternatifs d’évaluation d’eux-mêmes.
Leur réponse fut de mettre l’accent sur la dureté et la territorialité et de placer la
voiture au centre de poursuites ludiques et improvisées, en guise de provocations
et de défis (Waddington, 1992, 211-212).
Ce fut la hausse du nombre de véhicules volés révélée par les statistiques de police et
des demandes de la population pour que des mesures soient prises contre les adolescents en
cause que des interventions de police furent subitement mises en œuvre, générant immédiatement
l’instauration de lignes de bataille pour la défense ou la conquête du territoire78.
Comme bien d’autres, Campbell (1993) reconnaît que les troubles ont eu lieu dans des
quartiers défavorisés, marqués par la frustration et un fort taux de chômage, des hommes en
particulier.
Elle réfute, néanmoins, l’argument des théoriciens de la Nouvelle droite, suivant lequel le
manque de structures familiales traditionnelles et un affaiblissement de l’autorité parentale
seraient, en partie, responsables du déclenchement des émeutes79. En effet, le vol et les rodéos
de voitures qui les précèdent seraient une réaffirmation du pouvoir et du statut de ces adolescents.
Cette réaffirmation prendrait la forme de conquêtes de territoires dans la « communauté ». Le
comportement de ces jeunes hommes serait lié à la construction d’une identité masculine
associée à la puissance, qui leur est autrement déniée en raison de l’absence d’emploi
rémunéré. En l’absence de telles perspectives, ces derniers seraient soucieux de se forger une
identité masculine alternative en s’appropriant certaines portions de territoire et en usant de
nouvelles formes de loisirs (joyriding), leur culture les incitant à se prouver qu’ils sont
capables d’abuser de l’alcool, d’être des conducteurs performants, de chercher la bagarre
en permanence, etc80. De même qu’apparaître dans une cour de justice ou être condamné à
une amende serait une source de prestige de nature à obtenir le respect du groupe des pairs81.
Par ailleurs, la police jouerait un rôle prépondérant dans la survenance des incidents, la police
et les « jeunes » représentant deux cultures masculines, qui ont besoin l’une de l’autre pour
conforter leur image de virilité et de dureté.
En attirant l’attention sur les valeurs et les représentations des jeunes hommes impliqués
dans les troubles, ces thèses nous éclairent sur la manière dont le groupe construit son identité,
se définit et se positionne par rapport à un autre, symbolisant l’autorité des adultes. Cet aspect
est intéressant pour saisir les normes qui structurent une bande d’adolescents à l’abandon,
victimes de marginalisation sociale et soucieux de se forger une identité virile, mais ne suffit
pas à mettre en lumière la dynamique de la mobilisation et du conflit entre les acteurs.
78 Waddington, 1992, 211-212.
79 Campbell, 1993, 303.
80 Ibid., 201.
81 Ibid., 268.
48
Contrairement aux études qui mettent l’accent sur l’existence de normes internes au
groupe ou à la plupart des modèles, qui insistent sur le poids de l’exclusion politique et sociale
dans l’apparition des émeutes, Waddington préfère voir dans le déclin d’autres types de
normes, les normes publiques locales, l’une des causes de la violence collective.
Les émeutes comme produits d’un déclin du voisinage : la théorie de la vitre cassée (Broken Windows)
Dans un article du Times82 relatif aux émeutes de 1991, P. A. J. Waddington établit un
lien entre la dégradation du voisinage, une recrudescence du taux de criminalité et des conflits
entre bandes de « jeunes » du quartier. Son explication s’inspire de la théorie de la vitre cassée,
développée par deux criminologues américains, James K. Wilson et G. Kelling (1982), qui
suppose l’existence d’une relation de cause à effet entre un début d’accroissement des “ incivilités ”
et l’affaiblissement des normes publiques locales :
Une portion de territoire est abandonnée, des mauvaises herbes poussent, une
vitre est brisée. Les adultes cessent de réprimander les enfants qui chahutent ; les
enfants, enhardis, deviennent de plus en plus mal élevés. Des familles déménagent,
des adultes vivant en union libre emménagent. Des adolescents se rassemblent
devant le magasin du coin. Les commerçants leur demandent de partir, ils refusent.
Des coups de feu sont tirés. Les détritus s’accumulent. Des gens commencent à
boire en face de l’épicerie ; en même temps, un ivrogne tombe sur le trottoir et on
le laisse cuver son vin (Wilson, Kelling, 1982, cit. in Matthews, 1992, 32).
Dans cette optique, où tout va à vau-l’eau, les bonnes familles déménagent, laissant le
quartier devenir une cible privilégiée pour le développement d’activités criminelles83. Les codes
de bonne conduite qui prévalaient antérieurement ne sont plus respectés et, comme le crime commence
à proliférer, des méthodes de policing plus dures sont à l’ordre du jour. Les quartiers qui résistent
à la dégénérescence sont ceux dont les habitants refusent de supporter les incivilités.
S’il est vrai que des difficultés socio-économiques accumulées dans des espaces relégués, au
centre (inner cities) ou à la périphérie des grandes villes (banlieues), peuvent être génératrices de
délinquance, cette interprétation pessimiste donne le sentiment que se créent des « zones de non
droit », en marge de la société dominante, que la situation ne peut qu’empirer, compte tenu de
l’échelle de gravité croissante et inexorable qui conduisait des “ incivilités ”, transgressions
mineures, à des actes criminels de plus grande envergure et que seule une politique de law et order
permettra de résoudre le problème. Or, cette évolution décadente vers une « criminalisation » accrue
de la société, qui résulterait d’un pis-aller et d’un relâchement des normes publiques, semble d’autant
moins évidente qu’elle n’est pas le fruit d’un processus nécessaire, mécanique, linéaire et unilatéral.
Quatre modèles explicatifs ont été passés en revue. La théorie de la « vitre brisée » considère
les émeutes comme émanant d’un processus de déclin du voisinage. Ce déclin s’ancrerait dans
l’échec des habitants du quartier à mettre un terme aux “ incivilités ” des « jeunes » et des
« vandales ». Contrairement aux trois autres théories, cette interprétation rejette l’argument
selon lequel l’exclusion économique et / ou sociale serait à l’origine des troubles. Les autres
approches soutiennent qu’il existerait chez les émeutiers une quête d’identité masculine, due à
l’absence de perspectives professionnelles. Cette absence de perspectives serait à la base du
comportement délinquant qui opposerait une fraction des adolescents à la police.
82 Times, 11 septembre 1991.
83 Matthews, 1992, 20.
49
Contrairement aux recherches relatives aux émeutes des années quatre-vingt et malgré la
persistance d’une littérature pléthorique sur le « problème racial » (différences culturelles,
« racisme » policier, violence raciste et victimisation des « minorités ethniques », etc.), on a assisté
à un changement de paradigme au cours de la décennie quatre-vingt-dix. Les « questions
raciales » subsistent, certes, mais ne constituent plus l’axe focal d’une analyse, dont certains
auteurs (Jefferson, Shapland, 1991) ont fait observer, à juste titre, qu’elle était biaisée, le problème
étant toujours posé dans les mêmes termes (discrimination / sur-délinquance)84. On constate
toujours des considérations en termes de frustrations relatives, condition peut-être nécessaire,
jamais suffisante pour épuiser la complexité du phénomène. La réflexion s’est, toutefois, enrichie
d’approches moins antagonistes que complémentaires, chacune apportant son écot à une meilleure
intelligibilité de la violence collective à travers un éclairage particulier, qu’il s’agisse des
événements déclencheurs (réaction à une opération de police : stop and search, joyriding ;
pratiques discriminatoires, etc.), des conflits de cultures, des effets pervers générés par l’adoption
d’un style de policing militarisé, de l’affaiblissement des modes de régulation sociale traditionnels,
des normes publiques, etc.
Si la littérature fait relativement peu de cas des acteurs (problème soulevé en termes
dichotomiques et indifférenciés, qu’il porte sur le couple police / « minorités ethniques »85 ou
police / « jeunes ») et des processus (conditions sociales de possibilité d’une action collective),
elle donne, en revanche, de nombreuses indications sur la manière dont les émeutes ont été
régulées par les pouvoirs publics.
84 Ou les jeunes Afro-Caribéens feraient l’objet d’une discrimination du système pénal, ou leur sur-représentation
dans les chiffres des interpellations et arrestations ou dans les prisons serait la manifestation d’une plus grande
propension à succomber à la délinquance, Jefferson, Shapland, 1991, 195, 200.
85 On pourrait dire de même de l’usage répété de certaines catégories conçues comme homogènes, telles
qu’ « Asiatique », « Blanc », etc. Parce qu’elles renvoient précisément à des réalités hétérogènes complexes, ces
catégories mériteraient d’être sériées, différenciées. Outre leur fétichisation, on ne sait pas de quels acteurs concrets
on parle, de quelles strates sociales il s’agit. La littérature existante, institutionnelle en particulier, mais pas seulement,
ne nous apprend pas grand-chose sur les processus d’identification des individus à l’action collective. Or, celle-ci
n’est pas monolithique, pas plus qu’elle n’est impulsée par des individus égaux. Et les luttes internes pour imposer
la définition dominante de l’identité sont liées à la question de la socialisation, de la trajectoire sociale des acteurs.
En plus des enjeux que présentent la construction et l’usage de telles catégories, on peut poser la question de la
pertinence des statistiques ethniques. La catégorie « Indiens », par exemple, est loin d’être homogène,
puisqu’elle recouvre des courants religieux (islam, hindouisme, sikhisme), une grande variété linguistique et une
importante minorité de réfugiés provenant d’Afrique de l’Est. La même critique pourrait être formulée concernant
les populations blanches : s’agit-il des minorités blanches issues du Royaume Uni (Anglais, Gallois, Ecossais,
Irlandais du Nord) ? Des minorités blanches non issues du Royaume Uni (Européens, Américains) ? Ajoutée
aux amalgames, à la difficulté de collecter des données sur les populations dites flottantes (« jeunes » ,
étudiants) et au taux important de non réponses à des questions ayant trait à l’origine ethnique des
interviewés, une telle classification ne permet pas l’identification des personnes d’origine mixte et de leurs
enfants. A la différence de la France, ces catégories sont institutionnalisées en Grande Bretagne depuis le
recensement de 1991. Intégrées dans les statistiques policières, il en est fait un large usage depuis cette date,
pour une analyse critique, Lassalle, 1998.
50
51
52
CHAPITRE II
LES DISPOSITIFS MIS EN PLACE :
LES POLITIQUES PUBLIQUES DE SÉCURITÉ
53
A la suite des émeutes, celles de Brixton notamment, et des débats auxquels elles ont
donné lieu, le gouvernement britannique a décidé de prendre des mesures en vue de résoudre
le problème. Dans cette optique, les dispositifs de prévention ont été assortis d’un certain
nombre de réformes législatives tant en matière de politique criminelle que de politique
publique de sécurité.
LES DISPOSITIFS DE PRÉVENTION
Alliées à la mise en place de politiques urbaines86, comme le Priority Estate
Programme (PEP, 1979) ou le renforcement de la politique Inner Cities et City Challenge, par
exemple (1990), des initiatives ont été lancés à partir de grands programmes nationaux, dont
le plus célèbre est Safer Cities (Pour des villes plus sûres)87.
Si le gouvernement a cherché à promouvoir la coopération entre agences et une plus
grande implication des membres de la « communauté » dans la lutte contre la délinquance et
le crime, on observe, depuis quelques années, une tendance à une centralisation des programmes
et à des stratégies du centre, afin de réduire les prérogatives du local en matière de prévention du
crime. A ces mesures s’est ajoutée l’instauration de dispositifs plus ciblés en direction des
« minorités ethniques ».
UNE COOPÉRATION
« COMMUNAUTÉ »
INTER-AGENCES ET UNE IMPLICATION ACCRUES DES MEMBRES DE LA
L’ensemble des dispositifs de prévention reposent sur l’idée que la lutte contre la
délinquance nécessite l’adhésion et la participation des habitants, une bonne coopération
entre les différents services (communaux, police, justice, institutions publiques ou privées),
en même temps qu’ils mettent l’accent sur la réparation (travaux d’utilité collective). Pour
le gouvernement, il s’agit de développer les expériences de police de proximité tout en
encourageant les mesures de surveillance de voisinage (Neighbourhood Watch) et plus
généralement les régulations dans et par la « communauté ».
Depuis les années soixante, les approches du contrôle social du crime sont basées sur
la « communauté ». Ces approches, qui constituent le trait principal des stratégies libérales et
progressistes en matière de politique pénale, reposent sur l’hypothèse selon laquelle le
meilleur moyen de faire baisser le nombre de crimes, en matière de délinquance juvénile
notamment et pour les infracteurs les moins dangereux, consiste à traiter l’infracteur au sein
de la « communauté » (surveillance du délinquant, travaux d’utilité publique, etc.). La
mobilisation de la « communauté » autour de la prévention du crime est renforcée par
l’implication de travailleurs sociaux et d’agents de probation dans le processus pénal.
86 Depuis 1979, de nombreuses initiatives visant à encourager la régénération urbaine des quartiers défavorisés
ont été prises (Derelict Land Grants, Urban Development Grants, Urban Renewal Grants, Commercial and
Industrial Improvement Areas, Enterprise Zones, Simplifies Planning Zones, Urban Development Corporations,
Partnership and Programme Authorities, Task Force, City Action Teams, etc.). L’intention du gouvernement était
de créer les conditions d’une renaissance de l’entreprise privée et d’un marché florissant, sur ces politiques,
Jacquier, 1994.
87 Ce programme est mis en œuvre par les collectivités locales, avec, cependant, une tendance récente à la
centralisation par le Home Office, sur la stratégie de reprise en main de la politique de prévention de la
délinquance par le centre, voir infra.
54
Si, depuis les émeutes des années quatre-vingt, on assiste à un renforcement des
moyens de la police en matière de maintien de l’ordre, il est aussi demandé à cette dernière
d’avoir un comportement qui lui permette d’obtenir le soutien de la population dans des
actions de prévention de la délinquance (contacts rapprochés avec les habitants, îlotage,
Community Policing), en partenariat avec les « communautés » de base, les institutions
(services sociaux, écoles, etc.), les entreprises et les associations.
Concernant les régulations dans et par la « communauté », les deux lois sur la justice
criminelle (Criminal Justice Acts), promulguées en 1987-1988, traduisent bien la volonté politique
et stratégique du gouvernement de promouvoir des actions de prévention du crime en collaboration
avec la « communauté » (Crime Control and the Community). Le Livre blanc sur le crime, la
justice et la protection du public (White Paper Crime, Justice and Protecting the Public), daté
de 1990, établit une nouvelle forme de sanction à l’intérieur de la « communauté » et attribue
aux réseaux communautaires le contrôle du crime (Savage, Robins, 1990). Ce document
reprend l’idée, déjà répandue par le Livre vert sur la sanction, la prison et la communauté
(Green Paper on Punishment, Custody and the Community, juillet 1988), selon laquelle
l’incarcération pourrait aggraver les risques de récidive. D’où la nécessité de ne réserver
l’emprisonnement qu’aux délits particulièrement graves, violents, et de trouver des alternatives
à la prison.
Depuis 1987 a été introduit un programme de prévention national, le Crime Concern, qui repose
sur l’idée que le meilleur moyen de réduire le crime est de réduire les opportunités qu’un crime
soit commis (prévention situationnelle : amélioration de l’éclairage des rues, de l’architecture
des bâtiments, etc.). En 1988, ont également été mises en œuvre des opérations d’autocontrôle
ou de surveillance de voisinage par les habitants eux-mêmes88 (Neighbourhood Watch
Programmes). Malgré une certaine popularité, ces programmes ont été critiqués pour s’être
développés dans des quartiers où le niveau de délinquance était relativement bas (Gorgeon,
1995 ; De Calan, 1995). Ils souffrent, de surcroît, d’une baisse du nombre de leurs adhérents
au fil des ans, notamment dans les quartiers multiraciaux (Dowds, Mayhew, 1994).
La recrudescence des crimes depuis 1990 et l’échec des stratégies de contrôle traditionnelles
ont, néanmoins, conduit le gouvernement à concentrer ses efforts sur la prévention du crime.
UNE TENDANCE RÉCENTE À LA REPRISE EN MAIN DES PROGRAMMES DE PRÉVENTION PAR LE CENTRE
Selon certains auteurs (Savage, Robins, 1990 ; Loveday, 1994), le gouvernement central
aurait cherché à court-circuiter le gouvernement local, plus à même de jouer un rôle de
coordination en matière de prévention du crime à travers des initiatives dans ce domaine.
Ainsi, par exemple, au cours de la décennie quatre-vingt, le Home Office s’est engagé
à développer la surveillance de voisinage et à étendre les responsabilités de la police à la
prévention du crime. Le gouvernement mettait l’accent sur la notion de responsabilité89 et la
nécessité de promouvoir l’implication du secteur privé90, avec pour objectif implicite de
marginaliser le gouvernement local.
88 Avec l’aide de la police, les habitants s’organisent entre eux afin de défendre leur quartier.
89 Responsabilité individuelle vis-à-vis : de sa propre propriété (prévention du crime), de la « communauté »
(Neighbourhood Watch) et des conséquences de l’acte criminel (restrictions de liberté, travaux d’utilité publique,
amendes, etc.).
90 Le Livre vert sur l’implication du secteur privé (Green Paper, Private Sector Involvement in the Remand
System, 1988) mentionne explicitement le rôle potentiel des organismes privés dans la phase du pré-jugement.
Ces sociétés ont également été sollicitées dans le cadre du projet gouvernemental relatif à la construction de
prisons privées, Savage, Robins, 1990.
55
En réponse à la difficulté croissante de coordonner les politiques de prévention du crime, le
Home Office a établi un groupe de travail, composé d’experts et présidé par J. Morgan, afin
d’évaluer les initiatives prises dans ce domaine et de faire des recommandations à ce sujet91.
Après avoir identifié le rôle clé joué par les autorités locales dans la promotion de la sécurité
locale, le rapport Morgan insistait sur la nécessité de promouvoir les responsabilités de ces
instances ainsi qu’une meilleure coopération avec les services de police. Outre l’importance
d’une approche multi-agences, il convenait de trouver des fonds privés. Le rapport fut combattu
par les ministres du gouvernement, tout programme impliquant le gouvernement local sapant
la politique à long terme des gouvernements Thatcher et Major. Cette politique, qui consistait
à réduire les prérogatives du gouvernement local en Angleterre et au Pays de Galles, se serait
poursuivie jusque vers le milieu des années quatre-vingt-dix.
Parallèlement à ces dispositifs, des mesures plus ciblées ont été prises, afin de répondre
aux critiques faisant état de pratiques discriminatoires de la police à l’encontre des membres des
« minorités ethniques ».
LA MISE EN PLACE DE DISPOSITIFS CIBLÉS EN DIRECTION DES « MINORITÉS ETHNIQUES »
Ces mesures sont de trois types : la première est juridique, la deuxième porte sur le
recrutement de policiers de couleur, la troisième sur la formation et la sensibilisation des
agents de police aux problèmes de gestion des rapports avec les membres des « minorités
ethniques ».
Sur le plan juridique, la loi sur la police et la preuve criminelle de 198492 (Police and
Criminal Evidence Act) incrimine des comportements définis comme discriminatoires en en
faisant des délits disciplinaires et rend obligatoire un système de consultations entre la police
et les « communautés ». Dans les zones à forte concentration ethnique, une liaison doit être
effectuée entre la police, les autorités locales et les « communautés » de couleur.
Afin d’améliorer la communication avec les « minorités ethniques », la police cherche
également à favoriser le recrutement du personnel de couleur. Outre la faible proportion de nouvelles
recrues ayant ce profil, une étude du Home Office (Bland, Mundy, Russel, Tuffin, 1999) met,
néanmoins, en évidence l’existence de différences significatives, en terme de carrière
(recrutement, ancienneté, promotion, sélection pour des postes spécialisés), chez les policiers
d’origine étrangère et leurs homologues « blancs ». Les premiers mettraient, ainsi, plus de temps
à gravir la hiérarchie (graphique n° 3) et seraient plus prompts à démissionner (graphique n° 4).
Par ailleurs, si les disparités constatées, au plan national, concernant la proportion de ces
policiers ne sont pas criantes, leur faiblesse numérique dans les services spécialisés n’en est pas
moins patente (graphique n° 5). Pour les auteurs de cette recherche, ces éléments sont suffisants
pour conclure au poids d’un racisme institutionnel dans le déroulement des carrières des
officiers de police issus des « minorités ethniques ».
91 Ces recommandations avaient pour objet d’améliorer la recherche, la formation et la production d’informations
dans le cadre de l’élaboration de stratégies dans le domaine de la prévention de la délinquance.
92 Cette loi est entrée en vigueur début 1986.
56
Graphique n° 3 : durée pour accéder au grade de sergent
Source : Home Office, 1999.
Graphique n° 4 : proportion de départs chez les policiers
Source : Home Office, 1999.
57
Graphique n° 5 : proportion de policiers d’origine étrangère dans les services de police
spécialisés (gestion du trafic routier)
Source : Home Office, 1999.
Pour compléter ce dispositif, des formations visant à sensibiliser les policiers aux
problèmes qu’ils peuvent être amenés à rencontrer dans la gestion de populations d’origine
érangère sont dispensées (Bradley, 1998).
Ce type de formation, datée des années soixante, est devenue systématique dans les années
quatre-vingt (Oakley, 1990). Ces enseignements s’étaient, jusqu’alors, surtout centrés sur les
aspects juridiques et procéduraux de la profession, aux dépens de ceux relatifs aux rapports
humains (Southgate, Ekblom, 1986). Un manque de formation adéquate pouvant contribuer à
faire naître des conflits entre la police et ceux qu’elle est censée protéger, un effort important
a été consenti, depuis 1983, en matière d’égalité des chances (Equal Opportunities), de
« communauté » et de relations raciales (Community and Race Relations).
L’initiative revenait au Conseil national de la police nationale (National Police Training Council),
qui avait établi un groupe de travail pour passer en revue l’état actuel de la police et des formations
sur les « minorités ethniques ». Composé de policiers, de représentants du gouvernement, des
« communautés noires » et d’autres « minorités », ce groupe de travail a émis un rapport, en 1983,
intitulé Formation sur la communauté et les relations raciales pour la police (Community and Race
Relations Training for the Police). Ce document posait la question du racisme comme produit social
- et non comme produit de l’attitude personnelle des policiers - tout en s’interrogeant sur l’existence
d’une possible discrimination institutionnelle. Plusieurs initiatives s’en sont suivies, parmi
lesquelles la création, par le Home Office, d’un Centre pour l’étude de la communauté et
des relations raciales93 (Centre for the Study of Community and Race Relations), sans toutefois
produire de résultats concluants sur le système de formation de la police (Oakley, 1990).
Le Home Office a également publié, en 1989, une circulaire enjoignant à tous les commissaires
de faire appliquer aux membres des « minorités » un traitement égal au sein de leur équipe
(Equal Opportunity Policy).
93 Ce premier centre a fermé en 1988, après cinq ans de fonctionnement.
58
En dépit de ces efforts, ces formations paraissent n’avoir eu que des effets très limités sur les
connaissances et les attitudes, les rapports entre la police et les « minorités ethniques », en
particulier dans les zones multiraciales, ne semblant pas s’être améliorés (Oakley, 1990).
Le gouvernement britannique a pris diverses mesures, afin de prévenir les émeutes :
politiques de rénovation urbaine en direction des quartiers relégués et délabrés, programmes
locaux et nationaux de lutte contre la délinquance (Crime Concern, Neighbourhood Watch,
etc.), partenariats entre les différents acteurs de la sécurité (Community Policing), mesures en
direction des membres des « minorités ethniques » pour lutter contre les discriminations
raciales et encourager de meilleures relations police / « public »94. A côté de ces dispositifs de
prévention, des réformes législatives95 ont vu le jour en matière de politique criminelle et de
politique publique de sécurité.
LES RÉFORMES LÉGISLATIVES EN MATIÈRE DE POLITIQUE
CRIMINELLE ET DE POLITIQUE PUBLIQUE DE SÉCURITÉ
Si le gouvernement britannique a oscillé entre prévention et répression, l’évolution de
la politique criminelle après les émeutes de ces deux dernières décennies paraît s’être orientée
vers un durcissement de l’arsenal répressif. Ce durcissement s’articule autour de deux axes :
le premier vise les mineurs délinquants ; le second consacre une extension importante des
pouvoirs discrétionnaires de la police.
LE TRAITEMENT DE LA DÉLINQUANCE JUVÉNILE : ENTRE PRÉVENTION ET RÉPRESSION
Après les émeutes urbaines sous le premier gouvernement Thatcher et la publication
du rapport Scarman (1981), le dispositif pénal a été consolidé par la production de réformes
législatives destinées à prévenir la récidive des mineurs tout en accentuant la répression de
cette catégorie particulière d’infracteurs.
En application des propositions du Livre blanc sur les délinquants juvéniles (White
Paper Young Offenders), une loi sur la justice criminelle (Criminal Justice Act) a été promulguée
dès 1982. Ce texte établissait de nouvelles peines, des courtes peines96, dans des centres de
détention dotés d’un régime disciplinaire plus sévère97 (Savage, Robins, 1990)98. Du reste, le
renforcement de l’arsenal législatif pénal se serait traduit dans la pratique judiciaire dès le
début de la décennie quatre-vingt dix, si l’on en croit le rapport de Power et Tunstall (1997) et
les chiffres produits par les services de statistiques du Home Office99 (graphiques n°s 6 et 7).
94 Voir supra.
95 Pour un bilan de ces réformes, voir notamment Savage, 1990.
96 Ces peines allaient de vingt-et-un jours à quatre mois.
97 Un régime en forme de choc court et sévère (Short, Sharp, Shock).
98 Dans le même temps, un contrôle accru des manifestations fut organisé à travers la promulgation d’une loi
tendant à lutter contre la violence dans les stades (réglementation de la consommation d’alcool, etc.).
99 Avec les réserves qui s’imposent concernant le processus de production et les usages sociaux des statistiques
en général, et des statistiques officielles en particulier.
59
Graphique n° 6 : condamnations pour troubles à l’ordre public en Angleterre et au
Pays de Galles
Source : Home Office, 1999.
Graphique n° 7 : condamnations et avertissements prononcés à la suite des émeutes en
Angleterre et au Pays de Galles
Source : Home Office, 1993100
En mai 1996, le parti travailliste a publié un examen détaillé des carences de l’actuel système
de justice criminelle dans un document intitulé Tackling Youth Crime : Reforming Youth Justice
(Traiter la délinquance juvénile : réformer la justice des mineurs)101. En novembre 1996, la
commission de spécialistes mise en place par le gouvernement faisait le même constat :
100 Ibid.
101 Cf. également la loi sur la délinquance juvénile et la preuve criminelle, Home Office, 1997a et b, 1999 ; http : //
homeoffice. gov. uk / cpd / jou / tyc. htm ; http : // www. homeoffice. gov. uk / cpd / jou / nmes.htm ; http : www //
homeoffice. gov. uk/ yousys/ youth. htm ; http : // www. homeoffice. gov. uk / yjceact / yjceact.htm.
60
Le système actuel [concernant la délinquance juvénile] est inefficace et dispendieux et
bien peu de choses sont faites en vue de résoudre le problème. Le dispositif actuel ne
parvient pas à détourner les jeunes de la délinquance vers des activités constructives [...]
et il mène à un gaspillage, qui prend des formes multiples, telles que la perte de temps,
puisque les magistrats ne cessent de voir les jeunes délinquants revenir devant les
courts (Home Office, 1997a, 1).
Tackling Youth Crime était le premier volet des trois consultations orchestrées par le gouvernement
en vue de réformer la justice des mineurs en Angleterre et au Pays de Galles. Ces consultations ont
été suivies d’un livre blanc sur le projet du gouvernement102 (27 novembre 1997), dont nombre de
propositions ont été mises en œuvre dans la loi sur le crime et le désordre, votée par les travaillistes
en 1998, entrée en vigueur depuis juillet 1999 (Crime and Disorder Act, 1998)103.
Les réformes proposées104 visaient à s’attaquer à un noyau dur de jeunes délinquants
récidivistes, afin de prévenir les infractions et réduire le taux de récidive à travers l’accélération de
la procédure judiciaire105, l’introduction de partenariats locaux obligatoires (mise en place
d’équipes regroupant services sociaux, éducatifs, de police, de probation et de santé), voire
l’incarcération des adolescents âgés de 16-17 ans. Elles étaient centrées sur les notions d’efficacité
du système et de responsabilité du délinquant106 (abolition de la règle de doli incapax)107. Ainsi, un
préadolescent de 10 ans, dont le comportement était jugé antisocial par un magistrat pouvait
être soumis à un régime de liberté surveillée extrêmement sévère : restrictions de ses déplacements,
présentation régulière au commissariat, etc. En cas de transgression de la règle qui lui avait été
imposée, l’enfant pouvait faire l’objet d’une peine d’enfermement de cinq ans maximum. Dans le
même temps, la responsabilité parentale était renforcée108 (New Parenting Order). Si, pour les
délinquants primaires, il incombait aux parents de résoudre le problème avec l’aide d’assistants
sociaux, les mineurs ayant commis des crimes ou convaincus de délinquance chronique pouvaient
faire l’objet d’une unique mise en garde par la police, avant d’être renvoyés devant un tribunal, afin
de lutter contre les avertissements sans fin. Dans le même esprit, les tribunaux pouvaient placer les
jeunes délinquants de 12 à 14 ans (et, dans certains cas, en dessous de 10 ans) dans des centres jusqu’à leur jugement, au lieu de les renvoyer chez eux avec une simple mise en garde. Des pouvoirs
étendus étaient attribués aux institutions de contrôle, afin de protéger les enfants de moins de dix ans
contre un éventuel « entraînement » dans la délinquance et les comportements anti-sociaux. Ainsi,
par exemple, le Child Safety Order permettait d’exiger de ceux-ci qu’ils soient chez leurs parents à
des heures spécifiques ou tenus éloignés de certains endroits. Tandis que les autorités locales et la
police pouvaient déclarer le couvre-feu109 pour les enfants de moins de dix ans pendant une
période de quatre-vingt-dix jours110 (Local Child Curfew).
102 Sur ce document, http://www.homeoffice.gov.uk/nme/htm.103 http : // www. homeoffice. gov. uk / cdact / index. htm.
104 Outre les réformes relatives au traitement de la délinquance juvénile, cette loi définit de nouveaux délits
d’agression et de harcèlement avec aggravation raciste et peines sensiblement alourdies ; contraint les autorités
locales et la police à mettre au point et à faire appliquer des stratégies de lutte contre la criminalité et les troubles
à l’ordre public ; prévoit, pour les toxicomanes, l’obligation de soins et de mise à l’épreuve ; allonge le contrôle
judiciaire, après incarcération pour agression sexuelle ou violence.
105 Adressée aux jeunes « récalcitrants », cette mesure avait pour but de diminuer de moitié la durée moyenne
de la procédure entre l’arrestation et la condamnation (qui est de quatre mois actuellement).
106 Elles consacrent la fin de la présomption d’irresponsabilité pour les délinquants mineurs, excepté pour les
mineurs de moins de 12 ans.
107 Règle selon laquelle les enfants de moins de 14 ans seraient incapables de discerner le bien du mal.
108 Les juges pouvant contraindre les parents, dont la progéniture aurait enfreint la loi, à suivre une formation
éducative, à vérifier que leurs enfants vont bien à l’école ou à rembourser les dégâts occasionnés.
109 A Hamilton, près de Glasgow, trois expériences de couvre-feu ont été menées par la police pour les jeunes
de moins de 16 ans, Le Monde, 5 novembre 1997.
110 La police pouvait arrêter et ramener au domicile parental tout enfant ne respectant pas le couvre-feu. A
l’expérimentation, ces mesures devraient être généralisées à l’ensemble du territoire britannique en l’an 2000.
61
L’établissement de nouvelles sanctions par la « communauté » (Action Plan Order) avait pour but
de combattre contre toute forme de récidive. Il convenait de combiner punition, réparation111
(New Reparation Order) et réhabilitation112. En cas d’échec de la « communauté » et pour les
jeunes délinquants coupables d’infractions graves, des amendes113 et des travaux d’utilité
publique (Custodial Penalties, Community Penalties) étaient préconisés.
Parallèlement, un programme fut instauré, afin de lutter contre l’absentéisme scolaire
et la toxicomanie, promouvoir des dispositifs de rénovation du voisinage, des mesures en
faveur de l’emploi, des sorties pour les adolescents en détention préventive ou sous la surveillance
des services de probation.
Si le traitement de la délinquance juvénile et le souci de prévenir la récidive des
mineurs étaient au cœur de ce dispositif législatif, l’autre volet concernait le renforcement de
l’arsenal policier.
LE RENFORCEMENT DE L’ARSENAL POLICIER : VERS UNE EXTENSION DES POUVOIRS POLICIERS
Le renforcement des pouvoirs policiers a été consacré par la promulgation de la loi sur
la police et la preuve criminelle en 1984. Toutefois, un certain nombre d’incidents et la
résurgence d’émeutes en 1985 ont entraîné une vive controverse dans le champ scientifique
sur ses éventuels effets pervers ainsi que l’introduction de réformes visant à accroître le
contrôle de ces pouvoirs.
La loi sur la police et la preuve criminelle (1984)
En 1981, la Commission royale chargée de la réforme de la procédure criminelle
(Royal Commission on Criminal Procedure), mise en place par les travaillistes, a recommandé
une réforme systématique de la procédure criminelle relative aux recherches policières. Elle a
souligné la nécessité de trouver un équilibre satisfaisant entre les pouvoirs et les droits de la
police, d’un côté, ceux du suspect, de l’autre. La loi sur la police et la preuve criminelle de
1984 (Police and Criminal Evidence Act) est le produit du rapport de la commission.
La PACE établit un cadre statutaire pour mener des investigations policières et rationalise
les pouvoirs d’arrestation. Elle créé de nouveaux pouvoirs en matière d’arrestations et de
poursuites (stop and search) et donne à la police le droit de rechercher et de fouiller des individus
ou des véhicules dans le cadre de la recherche de produits volés ou prohibés, de perquisitionner des
locaux et de saisir des preuves, etc. Elle établit de nouvelles procédures concernant les pouvoirs
d’interrogation114 et de détention115. Parmi les garanties assurées au suspect figurent le critère de
suspicion raisonnable (reasonable suspicion), le devoir d’informer celui-ci des motifs de son
arrestation, le droit à des conseils juridiques et la possibilité de prévenir quelqu’un de son
entourage de sa détention.
111 Réparation directe ou via des travaux d’intérêt général.
112 Les adolescents étaient exhortés à se repentir et à se soumettre à un programme de réhabilitation. Dans certains
cas, les juges peuvent les obliger à s’excuser, par écrit ou oral, auprès de leur victime et à réparer les dégâts causés.
113 Les délinquants ne présentant aucune excuse raisonnable pouvaient être condamnés à payer une amende d’un
montant pouvant aller jusqu’à 9000 F.
114 Elle requiert, notamment, des enregistrements précis des interrogatoires policiers.
115 Avec des durées de détention qui vont de 24 à 96 heures.
62
Néanmoins, l’extension considérable des pouvoirs de police permise par la loi de 1984
a suscité de nombreuses réactions et donné lieu à une polémique dans le milieu scientifique
entre ses partisans et détracteurs.
La controverse autour de la para-militarisation de la police britannique : facteur de pacification
ou d’exacerbation du désordre ?
Bien que les pouvoirs de stop and search, à l’origine de la polémique sur la discrimination
des Afro-Caribéens et du débat sur l’ethnicité et la « race »116, aient été redéfinis dans le cadre de
la loi sur la police et la preuve criminelle de 1984, qui inclut un code de déontologie, de
nombreuses critiques ont été formulées sur la procédure et les problèmes soulevés en termes
de libertés individuelles. Si certains auteurs y voient un facteur efficace de maintien de
l’ordre, d’autres s’attachent à en montrer les effets pervers, le style militarisée du policing
étant vu comme un facteur de déclenchement et d’aggravation des conflits.
La PACE : une loi contestable au plan des libertés individuelles
Brown (1997) pose la question d’une définition opératoire et non problématique de la
notion de suspicion raisonnable au fondement de la pratique de stop and search.
En effet, les investigations peuvent être menées avec le consentement du suspect, sans
que celui-ci soit bien informé.
Et des travaux mettent en évidence le plus fort degré de probabilité pour les “ Afro-Caribéens ”
d’être arrêtés que les “ Blancs ” ou les “ Asiatiques ”. Les “ Afro-Caribéens ” seraient, de
surcroît, plus susceptibles de faire l’objet d’arrestations répétées que les “ Blancs ”.
Certes, la loi de 1984 prévoit des dispositions spéciales pour les personnes dites vulnérables
(adolescents, malades mentaux), mais les adolescents, qui représentent environ 1/5 des suspects,
ont moins de chances que les adultes d’avoir accès à une entière information sur leurs droits et
de faire appel à un conseil juridique. Ils sont aussi plus enclins à passer aux aveux.
Si la PACE prévoit des consultations avec les habitants sur les questions de policing, des problèmes
demeurent quant à garantir une représentation adéquate des « jeunes » et des membres des
« minorités ethniques ».
Il est, en outre, difficile d’obtenir révision et réparation après l’événement, l’intervention du policier
s’étant faite avec le consentement du suspect et la révision étant tributaire de la qualité des enregistrements.
Enfin et surtout, nombreuses sont les recherches qui font état d’une utilisation accrue des
pouvoirs d’investigation et d’arrestation (stop and search) depuis leur introduction, en particulier
par la police métropolitaine. L’usage, jugé extensif, de cette pratique aurait été l’une des causes de
la mésentente entre la police et les « minorités » et des émeutes qui s’en seraient suivies.
Bien que problématique, certains auteurs préfèrent mettre l’accent sur l’efficacité de la
PACE dans la gestion des troubles.
La PACE comme facteur de pacification du désordre
Dans le même sens que Das (1988), qui souligne le paradoxe entre l’image et la tradition
non violentes de la police britannique, d’un côté, et l’extension de ses moyens d’intervention, de
l’autre (renforcement de ses équipements, notamment), Waddington (1997b) montre que le processus
de pacification à l’œuvre en matière de maintien de l’ordre est contingent et réversible.
116 Apparue au XIXe siècle et utilisée dans les luttes politiques, cette notion reste controversée dans le champ scientifique.
63
L’abandon des traditions établies depuis la première moitié du XXe siècle, l’évolution de la
gestion des troubles publics dans le sens d’une euphémisation de la violence et le renversement
de style de policing auquel on a assisté depuis les années soixante, plus encore après les
émeutes du début de la décennie quatre-vingt, avec la consolidation de l’arsenal policier, ont
suscité une controverse parmi les spécialistes sur la question de la para-militarisation de la
police britannique (Waddington P. A. J., 1987, 1993, 1997a et b ; Waddington D., 1987,
Jefferson, 1987, 1990, 1992).
A partir de 1980, la police a répondu aux manifestations par l’adoption d’un équipement
anti-émeutes (eau, CS gaz, balles à blanc, bouclier)117. Avec le développement des émeutes
en 1981 et leur caractère de plus en plus violent, les policiers ont été munis de tenues protectrices,
de casques en plastique et de gaz lacrymogènes, les canons à eau demeurant interdits, à la suite
de procès. Après l’épisode de Broadwater Farm en 1985, au cours duquel des émeutiers se
servirent d’armes à feu, une réforme finale a été introduite : la police a été dotée de land rovers
blindées et de nouvelles tactiques ont été élaborées pour parer des situations de « guerre civile ».
Loin d’une évolution à sens unique vers la convergence des pratiques, la police aurait donc
connu deux évolutions, simultanément (Waddington, 1997b). S’interrogeant sur le point de
savoir si l’émergence de corps spécialisés de police avait eu pour effet de réduire les chances
de survenance des désordres publics dans les manifestations de rue, Waddington défend la
thèse de la pacification de la violence. S’il est vrai que la confrontation de la police à des
émeutiers a pu entraîner une déstabilisation des forces de l’ordre et une réaction disproportionnée
de leur part, on ne peut déduire une corrélation forte entre l’apparition de violences et des
techniques militarisées :
En fait, lorsque la police militarisée n’est pas utilisée, de sérieux troubles transforment
la manifestation en quasi-émeute. Par contre, lorsque les forces de police sont
nombreuses et épaulées d’unités spécialisées, la violence est moindre [...] Une
préparation intense, grâce à la prise en compte de toutes les éventualités, permet une
prévision efficace des désordres (Waddington, 1997b, 183-196).
De sorte que ce serait lorsque les situations seraient « sur-policés » que les troubles auraient le
moins de possibilités de se produire.
La thèse de la PACE comme facteur de pacification du désordre est, néanmoins, remise en
cause par d’autres, pour qui elle apparaît, à l’inverse, comme un facteur d’exacerbation des troubles.
La PACE comme facteur d’exacerbation des troubles
A contrario, Jefferson (1987, 1990, 1993, 1997) pense que
le maintien de l’ordre para-militarisé porte en lui une tendance inhérente à exacerber
et à amplifier les problèmes de violence et de désordre (Jefferson, 1990, 82).
D’une part, la contradiction entre l’exigence de forte productivité (mesurée en nombre
d’arrestations) et celle d’un stricte respect de la loi demandées à la police engendre une culture
professionnelle, qui laisse une place endémique à des pratiques illégales.
117 Certains auteurs voient dans cette évolution du style de policing le prolongement de la gestion des troubles
en Irlande du nord vers la fin de la décennie soixante-dix et de la grève des mineurs en Grande Bretagne en
1984-1985. Pour beaucoup, la police aurait constitué une pièce essentielle dans la stratégie du gouvernement
conservateur qui a conduit à la défaite des mineurs, Waddington, 1992 ; Journès, 1987.
64
D’autre part, la déviance policière est le corollaire d’une structure juridique, qui reconnaît une
grande autonomie et un pouvoir discrétionnaire aux policiers. D’où l’absence de véritable
politique opérationnelle et la situation paradoxale de ces unités militarisées, qui sont à la fois
très encadrées et responsables de nombreux incidents.
Le recours à des moyens de police militarisés aggrave le problème du désordre, la militarisation
pouvant être perçue comme une provocation par les manifestants. Ces désordres apparaîtraient
selon une séquence typique d’événements, composée de quatre phases : la préparation, la maîtrise
de l’espace, la maîtrise de la foule, le dégagement de la voie publique. L’approche militarisée
s’attacherait à préparer ses agents au pire. Or, une préparation à la pire des éventualités tendrait à
créer les conditions de réalisation de cette même éventualité (prophétie auto-réalisatrice). D’où le
risque d’un engrenage de la violence. S’y ajouteraient des facteurs d’amplification : une activité
policière rapportée au nombre d’arrestations, le recrutement et la sélection d’hommes jeunes et
zélés, une conception du maintien de l’ordre imprégnée de valeurs viriles (Jefferson, 1990), etc.
Les débats engendrés par la PACE ont incité le gouvernement à prendre des dispositions
en vue d’accroître son contrôle sur la police.
Des mesures pour contrôler les pouvoirs policiers
A côté de l’extension des prérogatives policières et des controverses engagées concernant
d’éventuels abus impunis, des mesures ont été prises depuis 1981, afin d’éviter que la police
fasse un usage étendu de ses pouvoirs discrétionnaires.
Outre l’abrogation du délit de vagabondage (Vagrancy Act)118, la loi sur la poursuite des
délinquants (Prosecution of Offenders Act) retirait, en 1985, la responsabilité des poursuites des
mains de la police et créait un service spécial, « indépendant » : le service des poursuites de la
Couronne (Crown Prosecution Service).
A la suite de « bavures » policières en 1986, Sir Kenneth Newman, préfet de la police
métropolitaine et auteur d’un rapport sur la stratégie policière à Londres119, a, de même,
élaboré un programme de réformes prévoyant, entre autres, des tâches quotidiennes spécifiques
aux unités de soutien ; la réorganisation, en vue d’une surveillance accrue, des « réserves
mobiles » ; la réforme de la procédure disciplinaire, l’instauration d’une nouvelle procédure
pour les plaintes, etc. Ces dernières étaient, en effet, gérées par la police elle-même, avec,
comme conséquence, des biais et un traitement lent et inefficace. La loi sur la police et la
preuve criminelle a institué une nouvelle procédure, qui utilise la médiation pour les plaintes
les moins graves et qui implique une enquête « indépendante » pour les cas les plus graves.
118 Selon la loi réprimant le vagabondage de 1824, la police détient le pouvoir d’arrêter des suspects, si elle
estime qu’un crime est sur le point d’être commis. Ce pouvoir serait relativement discrétionnaire. Outre que
les taux d’arrestations concernant le délit de vagabondage auraient été beaucoup plus élevés pour les « Noirs »
que pour les « Blancs », ces prérogatives auraient été utilisées de façon assez discriminatoire, Demuth, 1978 ;
Willis, 1985.
119 Ce document mettait en garde le ministre de l’Intérieur contre le manque de confiance des populations
« noires » et « asiatiques » (indienne, pakistanaise) en la police.
65
CONCLUSION GÉNÉRALE
Si le problème a été posé en termes raciaux / ethniques en 1981-1985, ce sont les
facteurs économiques et sociaux qui ont attiré l’attention des commentateurs en 1991-1992.
Alors que la première vague d’émeutes impliquait des populations marginalisées d’origine
afro-caribéenne résidant dans les quartiers défavorisés des grandes villes (inner cities), la
seconde mettait aux prises les policiers avec des populations blanches, ouvrières, vivant à
la périphérie (banlieues)120.
Bien qu’une analyse en termes ethniques semble avoir cédé la place à des explications
centrées sur les causes socio-économiques des troubles de la décennie quatre-vingt-dix, la
question de la « race » n’a pas été totalement évacuée pour autant.
Outre le nombre non négligeable de recherches en cours portant sur ce thème121, le décès d’un
lycéen de dix-huit ans d’origine jamaïcaine, Stephen Lawrence, par des adolescents “ Blancs ”
le 22 avril 1993 à Eltham, dans le sud est de Londres, et l’absence de sanctions prises contre
les coupables ont relancé la discussion sur les pratiques discriminatoires et “ racistes ” de la
police, la police londonnienne étant accusée d’avoir permis, par son « laxisme », aux cinq meurtriers
présumés d’échapper à la justice122.
Peu après les élections générales de mai 1993, le Premier Ministre britannique, Tony Blair, a
diligenté une enquête (rapport Macpherson, 1999)123, afin que toute la lumière soit faite sur
cette affaire124. Publié le 24 février 1999, le rapport officiel mettait en cause l’existence d’un
racisme institutionnalisé125 et insidieux au sein de la police.
120 La tendance actuelle est, en effet, au déplacement des populations les plus démunies vers la périphérie avec la création
de cités HLM, entretien avec Adam Edwards, lecturer en politique et criminologie, au Centre Scarman pour l’étude des
problèmes d’ordre public (Scarman Centre for the Study of Public Order) de l’Université de Leicester, 29 juillet 1999.
121 Ainsi, par exemple, des travaux commandités par le Home Office sur les relations entre la police et les minorités
ethniques, l’enregistrement par la police des incidents à caractère racial (le problème étant d’éclairer la manière dont cette
dernière enregistre ce type d’incidents et d’expliquer leur apparente sous-représentation), la proportion de jeunes délinquants
par groupe ethnique et leur rapport au système de justice criminelle (disparités des taux d’emprisonnement et expérience
du système de justice criminelle par ces « jeunes »), la réalisation d’études pilotes à partir des données existantes sur les
condamnations des « jeunes » d’origine étrangère, leur place dans une société multiethnique (question de l’articulation
relations raciales / exclusion sociale à travers l’examen du profil social de « jeunes » provenant de divers groupes
ethniques), etc., http://www.homeoffice.gov.uk/rds/prog.htm.
122 Sur les cinq présumés coupables, deux ont bénéficié d’un non-lieu en 1993, faute de preuves, les trois autres
ont été acquittés en 1996 pour irrecevabilité des preuves, The Independent, 12 février 1999 ; Le Temps international,
1er mars 1999.
123 Pour une lecture intégrale de ce rapport et des vicissitudes de l’enquête, http : // www. official-documents.
co. uk / document / cm42 / 4262 / sli-47.htm.
124 Cette enquête a été présidée par Sir William Macpherson of Cluny, un ancien juge de la Haute Cour à la retraite.
125 Ce racisme est défini dans le rapport comme l’échec collectif d’une organisation à apporter un service
approprié et professionnel à des citoyens en raison de leur couleur, culture ou origine ethnique. Ce mal est
décelable dans certaines attitudes qui s’apparentent à de la discrimination et sont liées à des préjugés, à
l’ignorance et à des stéréotypes, Le Monde, 25 février 1999.
66
Le racisme institutionnel de la police métropolitaine, révélé, selon ce document, par les multiples
problèmes qui se sont posés lors de l’investigation126, aurait constitué un facteur clé dans
l’échec de la police à appréhender les meurtriers de S. Lawrence. Le rapport Macpherson a émis
soixante-dix recommandations relatives au policing et aux relations raciales en
Grande Bretagne, parmi lesquelles : l’incrimination du racisme verbal, « l’éducation » des
jeunes enfants et des policiers, afin de changer l’attitude de ceux usant de tels propos ou
comportements ; l’extension des pouvoirs de la Cour d’appel, afin de permettre l’enclenchement
de poursuites judiciaires, après un acquittement précédent, si des preuves sont produites ; la
possibilité d’engager une action disciplinaire cinq ans après le départ à la retraite ; le
renforcement de la loi sur les relations raciales de 1976 (Race Relations Act), de manière à ce
qu’elle inclue les policiers, qui sont actuellement exempts de ses principales dispositions,
lorsqu’ils sont en exercice127 ; la possibilité pour la commission pour l’égalité raciale d’enquêter sur des actes commis par des fonctionnaires de police, l’inspection immédiate de la police
métropolitaine par Her Majesty Inspectorate of Constabulary ; l’indépendance des enquêtes
émanant de plaintes contre la police ; la responsabilisation de la hiérarchie policière vis-à-vis
des actes de ses subordonnés128. Dans le même sens que Scarman en 1981, Macpherson
préconise le recrutement et la promotion des policiers d’origine étrangère dans la police
métropolitaine, en vue d’améliorer la confiance des « communautés ethniques » dans la
police129. Toutefois, il ne recommande pas une restriction des pouvoirs de stop and search130.
Par ailleurs, l’aspect spectaculaire et très publicisé des émeutes de 1981-1985 contraste
avec le caractère discret, latent, mais constant des événements de 1991-1992 (des émeutes de
basse intensité, selon Power).
Depuis les émeutes des années 1991-1992, seules des explosions sporadiques ont eu
lieu. Power dénombre, ainsi, 4 émeutes graves (moins causées par des facteurs raciaux que
sociaux : pauvreté, promiscuité, éclatement de la cellule familiale, etc.) en quelques semaines
en 1995 contre 13 en 1991-1992131. Le 13 décembre 1995, la ville de Brixton s’embrasa à
nouveau. Des véhicules furent incendiés et des magasins pillés. Un meeting de protestation fut
organisé contre les « violences policières », afin de faire toute la lumière sur la mort de
Brian Douglas, un jeune technicien antillais suspecté de vol, décédé en mai 1995, alors qu’il
était détenu au commissariat de Brixton132.
126 La police métropolitaine aurait refusé d’admettre que le meurtre était racialement motivé (racially motivated),
ignoré le témoignage de plusieurs témoins, égaré des pièces et retardé des mises en arrestation. Un rapport de
l’autorité chargée de gérer les plaintes contre la police (Police Complaints Authority) aurait identifié, en 1997,
une douzaine d’opportunités manquées d’arrêter les coupables. L’enquête aurait été qualif iée par
Lord Macpherson de catalogue d’erreurs et d’incompétence.
127 Cette mesure vise à permettre aux individus d’engager des actions en justice pour conduite raciste ou
discriminatoire. Tous les fonctionnaires britanniques sans exception (personnel pénitentiaire, services de l’immigration,
police, justice, enseignement, santé publique, administrations locales, etc.) pourront donc être poursuivis pour
délit raciste dans l’exercice de leurs fonctions. L’individu aura à prouver qu’une personne appartenant à un autre
groupe ethnique aurait été traitée différemment dans des circonstances similaires. Les experts judiciaires pensent
qu’il ne sera pas nécessaire de prouver que la discrimination du policier résulte de ses intentions, mais de ses
actions, The Independent, 22 février 1999 ; The Economist, 27 février 1999.
128 The Independent, 25 février 1999.
129 Si la police londonienne est encouragée à embaucher des agents d’origine étrangère, on ne peut que douter
de l’efficacité de telles mesures, au vu des recherches menées à ce sujet (faiblesse numérique des nouvelles
recrues, inégalités de carrières entre policiers « Blancs » et policiers de couleur, etc.), voir supra.
130 Il demande, néanmoins, que ces opérations soient enregistrées et incluses dans les statistiques, de même que
l’origine ethnique de la personne contrôlée.
131 Le Monde, 3 décembre 1996.
132 The Independent, 15 décembre 1995 ; Le Monde, 3 janvier 1996.
67
Une manifestation de soutien aux dockers de Merseyside vira à l’émeute à Trafalgar Square
(Londres) en 1997. Les troubles donnèrent lieu à l’arrestation de 29 personnes pour atteinte à
l’ordre public et à l’inculpation de 16 autres, tandis que 8 policiers et 5 personnes furent
blessés133. Les derniers incidents en date remontent au 5 novembre 1999, où des émeutes
éclatèrent à Bradford. L’ensemble des émeutes de la décennie quatre-vingt-dix a incité le
gouvernement britannique à prendre des mesures répressives, comme en témoigne la loi sur
le crime et le désordre de 1998.
Depuis, le gouvernement britannique a durci le système répressif, qu’il s’agisse du
traitement du terrorisme, de la législation sur le droit d’asile, du projet de suppression des jurys
populaires134, de la délinquance juvénile135 ou de l’extension des pouvoirs policiers. En
réponse à des actions terroristes de l’IRA, datées de février 1996, et vraisemblablement dans la
perspective des élections législatives du printemps 1997, le Parlement britannique a donné à la
police des pouvoirs sans précédent pour fouiller des suspects dans la rue136. Toute personne
refusant de subir ces fouilles peut être arrêtée, emprisonnée ou verbalisée. Le texte permet aux
dirigeants policiers de désigner certains périmètres géographiques pour y déployer des opérations
étendues de stop and search pendant 28 jours, avec possibilité de renouvellement. Elle donne
également à la police le droit de faire des perquisitions dans d’autres espaces que le domicile,
parkings ou immeubles, par exemple.
Redéfini en termes de comportements anti-sociaux137, le problème reste, de manière
récurrente, un enjeu politique, comme le montre la campagne qui a présidé au vote de la loi
sur le crime et le désordre de 1998.
Il semblerait que les mesures prises par le gouvernement britannique en vue de promouvoir
une meilleure intégration sociale des immigrés (travaux de la commission pour l’égalité raciale,
allocation de ressources financières, incitation à un meilleur accès à l’éducation, politiques de
rénovation urbaine, etc.) aient porté leurs fruits, même s’il conviendrait, à travers des recherches
appropriées, de dégager l’ensemble des facteurs qui ont pu contribuer à la relative pacification
de la société britannique depuis l993. Facteur parmi d’autres, ces politiques sociales ont
probablement joué. Encore faut-il pouvoir en mesurer l’influence réelle.
133 The Guardian, 14 avril 1997.
134 Ce projet a été annoncé, le 18 mai 1999, devant une assemblée de policiers. Le gouvernement britannique
plaide pour un transfert des affaires aux magistrats du parquet, un jugement par des professionnels étant considéré
moins onéreux que par un jury populaire et plus efficace contre la récidive. Des avocats, dont l’Association
nationale des avocats, des magistrats, des journalistes ainsi que des groupes de défense des droits civiques
(Liberty, Legal Action Group, etc.) ont manifesté leur opposition à cette mesure, Le Monde, 23 mai 1999.
135 Faute d’établissements spécialisés, de nombreux adolescents âgés de 15 à 17 ans sont incarcérés dans des
prisons pour adultes. Dans le prolongement de la politique libérale des gouvernements Thatcher et Major, le
gouvernement travailliste de T. Blair a engagé une politique de privatisations afin de créer des établissements pour
les mineurs délinquants. Un contrat public pour la construction et la gestion de cinq établissements, dits
d’apprentissage sécurisé, a été signé avec la société privée de sécurité Rebound. La première prison pour
adolescents, ouverte au printemps 1998 à Midway dans le Kent, a donné lieu à des émeutes, trois mois plus
tard, contre la dureté du règlement, des mauvais traitements (punitions, coups), l’absence d’activités et de sorties
dans la cour. D’après un rapport d’inspection commandité par le gouvernement, l’effet cumulatif d’un recours
excessif à la force et l’inefficacité du traitement des interessés semble renforcer l’attitude criminogène des jeunes
détenus. L’ouverture d’un deuxième centre sécurisé, géré par la même société, est prévu en mai 1999, Le Monde,
27 janvier 1999.
136 La loi a été votée par 244 voix contre 21 par les conservateurs et les travaillistes, The International Herald
Tribune, 4 avril 1996.
137 Concernant le Crime and Disorder Act (1998), le Home Office relie la lutte contre la délinquance et le crime à la
lutte contre les comportements anti-sociaux (Combatting Crime and Anti-social Behaviour, Anti-social Behaviour
Order, automne 1998), http : // www. homeoffice. gov. uk / cdact / index. htm.
68
Le renforcement du système répressif, tant dans son volet policier que pénal, et le dispositif
visant les mineurs délinquants récidivistes ne peuvent, selon nous, que masquer les véritables
problèmes qui sont à la source des émeutes, voire, ce qui serait pire encore, les aggraver en
consacrant une rupture avec les « publics » que les politiques publiques de sécurité sont censées
protéger. Par ailleurs, on peut s’interroger, à l’instar des spécialistes anglais, sur les éventuels
effets pervers d’une police à la fois plus visible et plus équipée. Si, en Grande Bretagne, les
membres des « minorités ethniques » sont pour une plus grande présence policière, en raison du
fort taux d’agressions dont ils sont victimes et de la nécessité qu’ils éprouvent à être rassurés,
une présence policière accrue pourrait être perçue comme inquiétante, voire agressive, pour
d’autres segments de la population, une fraction de la jeunesse pouvant y voir une menace.
Bien que le gouvernement ait intérêt à sécuriser son électorat, de telles mesures ne risquent-elles
pas d’aggraver le malentendu persistant entre une partie des adolescents et les policiers, à
conforter les premiers dans leur sentiment d’être exclus et à entraîner une dynamique d’opposition ?
Pour reprendre les termes du débat anglais, le durcissement de la répression est-il, dans cette
optique, un facteur de pacification ou d’amplification du désordre ?
Du reste, la plupart des mesures prises en Angleterre face au problème des « violences
urbaines » existent déjà, sont à l’étude ou en cours d’expérimentation, qu’il s’agisse des mises
en garde, des amendes, des travaux d’intérêt général138, du couvre-feu139, des centres de
détention pour mineurs récidivistes (UEER)140, de la police de proximité, des dispositifs de
prévention situationnelle141 ou de la formation et de la sensibilisation des policiers à la
psychologie des adolescents ou aux différences culturelles.
Si l’expérience britannique est intéressante au regard de la gestion des « violences
urbaines », il demeure, toutefois, malaisé de recommander « l’importation » de ce modèle
ou d’une partie de ses composantes en France, tant les différences culturelles sont importantes
ici et là. Certaines approches du traitement de la délinquance juvénile sont, en effet, très
enracinées dans la culture anglo-saxonne.
138 Institué par la loi du 10 juin 1983, le travail d’intérêt général est une peine qui peut être prononcée
par le tribunal pour enfants à l’encontre des mineurs de plus de 16 ans, en répression d’un délit ou d’une
contravention (art. 20-5 de l’ordonnance de 1945). Cette peine, qui permet de prononcer une sanction
effective sans les effets néfastes de l’emprisonnement, vise à transformer le délinquant de sujet passif en
sujet actif de sa condamnation en lui faisant prendre conscience de sa responsabilité et réparer la faute
commise tout en favorisant sa réinsertion sociale.
139 Des expériences de couvre-feu ont été réalisées au cours de ces dernières années, notamment dans la ville de
Beauvais, où la police nationale a, dans le cadre des contrats locaux de sécurité, la charge de raccompagner les
mineurs présents dans la rue à une heure tardive chez leurs parents. A Noisy-le-Grand, depuis la rentrée scolaire
1998-1999, les mineurs trouvés sur la voie publique, après 23 heures en période scolaire, par les services de police
sont invités à regagner le domicile parental après vérification de leur identité. En cas de réitération, la brigade des
mineurs peut prendre contact avec les parents et informer, si nécessaire, le Parquet, qui s’engagera à traiter les
situations signalées par une convocation pour entretien. La municipalité de Montfermeil envisage, au printemps
1999, de renforcer la responsabilité parentale en incitant les adolescents à regagner leur domicile en période
scolaire et en obligeant les parents à mieux les surveiller.
140 Conçues en 1996 dans le cadre du Pacte de relance pour la ville, afin de prendre en charge les mineurs
délinquants récidivistes, les unités à encadrement éducatif renforcé se voulaient le chaînon manquant entre les
foyers d’hébergement classique et l’incarcération. Unités à faible effectif (4-5 mineurs), elles sont fortement
encadrées (4-5 éducateurs) et ont pour objet la prise en charge individualisée, intensive, contraignante et continue
des mineurs délinquants récidivistes pendant trois mois environ. Elles consacrent le principe du séjour de rupture,
l’idée étant d’instaurer une rupture avec le mode de vie traditionnel de ces adolescents, dans un cadre fort en
termes de repères sociaux (règles de vie collective, contraintes diverses liées au projet de la structure, etc.). Les
unités à encadrement éducatif renforcé sont devenues, en 1998, les dispositifs éducatifs renforcés. Leur existence
est, toutefois, controversée, la crainte étant de voir se créer une sorte de « bagne » pour enfants.
141 La ville de Montfermeil prévoit la mise en place d’un dispositif de vidéosurveillance avec enregistrement
vidéo dans et aux abords des écoles, gymnases, commerces et places publiques.
69
Ainsi, par exemple, de l’autorégulation dans et par la « communauté » (prise en charge et
gestion de la délinquance par la « communauté »).
La notion de « communauté » est elle-même particulière et repose sur une dimension ethnique,
qui sépare l’Angleterre de la France. S’il est vrai que l’on assiste en France à un phénomène
similaire de rotation des habitants d’un quartier et au départ des populations plus aisées au
profit de celles qui le sont moins, l’aspect « ethnique » n’est qu’un aspect parmi d’autres (d’où
la réticence de chercheurs et / ou universitaires à parler de ghettoïsation), dont il convient de
mesurer la portée. Certes, les contrôles d’identité en France ont pu donner lieu à des récriminations
individuelles relatives à une discrimination au faciès, mais elles n’ont pas débouché sur des
émeutes d’adolescents d’origine étrangère contre les pratiques policières, comme en
Grande Bretagne en 1981.
Dans la même veine, il n’est pas évident que l’introduction, en France, d’un dispositif de
surveillance de voisinage produise les mêmes résultats qu’en Angleterre, où le système de
Neighbourhood Watch a une certaine popularité. Au moment des attentats terroristes de la fin
des années quatre-vingt en France (1986-1988), des affiches d’individus recherchés par la
police ont été placardées sur les murs du métro de Paris, sans que cette mesure se soit
véritablement accompagnée d’effets. Si, dans les pays anglo-saxons, le fait de coopérer avec
les forces de l’ordre est perçu comme une démarche « citoyenne », ce type de comportement
est perçu, en France, comme le contraire (attitude suspecte, délation), en raison des souvenirs
associés aux périodes sombres de l’histoire de France (Collaboration). Cette expérience a été
critiquée et a soulevé de vifs débats sur la notion de « citoyenneté » et d’atteintes aux libertés.
Ces réserves mises à part, certaines mesures peuvent être préconisées et renforcées.
PRÉCONISATIONS
Il conviendrait notamment :
1. de développer les dispositifs de prévention, avec une focalisation sur l’ensemble des
mesures qui permettraient de favoriser l’intégration socioprofessionnelle des « jeunes » (accès
à la culture, l’éducation, la formation, l’emploi, etc.), et une meilleure articulation entre les
politiques locales de sécurité et les politiques d’insertion. Les adolescents impliqués dans les
émeutes étant le plus souvent issus de milieux sociaux défavorisés, de telles mesures aideraient
ceux-ci à construire leurs projets sur d’autres modèles que ceux dont ils disposent dans leur
environnement direct. Ceci semble d’autant plus souhaitable que ces « jeunes » sont, pour la
plupart, désireux de s’insérer dans la société et d’y trouver une place. Ils adhèrent, d’ailleurs,
à ses valeurs dominantes, consuméristes en particulier (accès aux biens, à la propriété, etc.).
Dans cette optique, mais plus axée sur le versant judiciaire, l’ensemble des peines
alternatives à l’emprisonnement peuvent y contribuer (travail d’intérêt général, mesures de
réparation diverses). Il importe, à cet égard, de combiner les approches et de conserver un large
éventail de sanctions possibles, afin de s’adapter au profil de chaque mineur délinquant
(individualisation de la peine). Si certaines mesures peuvent produire des résultats encourageants
pour certains, il n’en est pas de même pour d’autres, qui nécessiteraient peut-être un traitement
particulier ;
2. de développer le partenariat entre la police et les autres acteurs de la sécurité (autres
administrations, municipalités, responsables d’habitats sociaux, travailleurs sociaux, transporteurs),
afin de favoriser une meilleure mise en œuvre des politiques publiques de prévention et de
sécurité, notamment à l’égard de ces adolescents. Il convient, cependant, de veiller aux
partenariats trop sophistiqués et institutionnels, auxquels la population n’est pas associée.
70
Il serait judicieux d’y inclure des acteurs de la prévention et de l’insertion professionnelle, et
plus spécialement des associations de « jeunes », l’ANPE, le Conseil général, etc. Il serait
souhaitable de promouvoir des politiques plus globales, afin de dépasser le clivage politique
sociale / politique locale de sécurité. Certes, un tel projet se heurte à des difficultés tenant aux
logiques particulières de chaque acteur et à la nécessité de coordonner ces actions. Toutefois,
une coopération accrue entre les acteurs de la sécurité reste un moyen d’apporter une réponse
au problème par une approche globale et combinée ;
3. d’améliorer la communication avec la population, de manière à l’informer des politiques de
prévention et de sécurité qui vont être mises en place et qui lui sont adressées, afin d’éviter
toute confusion ou malentendu sur leur objet, leurs cibles, etc. ;
4. de renforcer la formation des policiers en matière, par exemple de psychologie juvénile,
de différences culturelles ou d’histoire des quartiers. Dans les deux premiers cas, de tels
enseignements présenteraient l’intérêt de faciliter la compréhension des agents des
populations auxquelles ils ont à faire face et de réduire, ainsi, les malentendus engendrés
par des différences de cultures. Dans le troisième, des modules de formation permettraient de
réconcilier les habitants avec l’histoire de leur quartier en faisant un travail de mémoire collective. Il
importe, en effet, de dépasser le stade des rancoeurs accumulées et du blocage psychologique
en évitant une cristallisation sur les événements qui se sont produits dans ces quartiers et leur
fixation dans l’inconscient des résidents pour mieux dédramatiser ;
5. de recruter des « jeunes » d’origine étrangère issus des quartiers cibles de l’action publique,
qui seraient plus à même de servir de courroie de transmission avec des adolescents plus jeunes
en faisant office de « grands frères » (comme à la RATP). Pour y être nés ou y avoir grandi,
ils connaissent parfaitement le fonctionnement du quartier, ses codes, ses règles ;
6. de promouvoir des réformes concernant l’aménagement de l’espace urbain. Des efforts
conséquents ont été déployés en matière d’urbanisme, plus particulièrement en matière de
dédensification. Durant l’après guerre, il s’agissait alors de restructurer les villes de façon à
éviter le cloisonnement de certains quartiers, d’effectuer une meilleure répartition de la charge
des populations dites « difficiles » entre les quartiers et les villes. Des expériences menées à
Mantes-la-Jolie et à la Courneuve142, où des tours et des barres ont été démolies, semblent
avoir produit des résultats encourageants, malgré l’attachement des habitants à leur quartier et
les résistances auxquelles ce projet a pu se heurter au départ ;
7. de promouvoir des réformes visant à désenclaver les quartiers relégués, de manière à éviter
la concentration de populations cumulant de nombreux handicaps sociaux dans un même espace
et à favoriser la mobilité des « jeunes » hors de cet espace (irrigation de ces quartiers par la
création d’artères, transports en commun) ;
8. d’encourager les recherches sur ce thème, car c’est en comprenant mieux les mécanismes
qui sous-tendent les « violences collectives » et la dynamique dont elles procèdent que l’on
pourra y apporter des réponses plus adéquates et faire des expérimentations sur le terrain ;
142 Entretien en date du 17 novembre avec M. Jean-François Herdhuin, commissaire divisionnaire adjoint au
Directeur départemental de la sécurité publique de l’Essonne.
71
9. de réviser le système de mesure des violences urbaines établi par les services des Renseignements
généraux français à l’aune du modèle anglais. On pourrait, ainsi, judicieusement s’inspirer de
l’échelle de « mesure de l’intensité des émeutes » produite par Power et Tunstall, afin d’améliorer
l’échelle Bui-Trong sur les causes des émeutes (déclin économique, déstructuration du quartier,
construction identitaire, etc.) ;
10. de renforcer la déontologie policière (transparence, redevabilité, responsabilité) et mettre
en place un système qui permettrait un contrôle et une gestion extérieurs des plaintes portées
contre des policiers. L’expérience anglaise, est à ce titre, intéressante. La PACE prévoit, en effet,
le transfert des compétences en la matière du Police Complaints Authority à la Crown
Prosecution Service (passage d’une autorité policière à une autorité judiciaire), là où l’IGPN
semble avoir une position de monopole à ce sujet (traitement interne). Cette question, récurrente,
a récemment été posée et débattue lors de l’affaire S. Lawrence. La mise en place d’un dispositif
de contrôle « indépendant » (un conseil de déontologie, par exemple) présenterait l’avantage de ne
pas laisser planer de doutes sur d’éventuelles « bavures » policières.
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CHRONOLOGIE SOMMAIRE
(1979-1999)
1979 : accession de Margaret Thatcher au pouvoir
1980 : émeutes à St Paul’s, Bristol
Livre blanc sur les jeunes délinquants (White Paper Young Offenders)
1981 : émeutes urbaines
2 / 03 / 81 : Black’s People Day of Action
avril 1981 : Brixton
juillet 1981 : Southall, Liverpool (Toxteth), Moss Side (Manchester), West Midlands
1982 : rapport Scarman
loi sur la justice criminelle (Criminal Justice Act)
1984 : grève des mineurs
loi sur la police et la preuve criminelle (Police and Criminal evidence Act - PACE)
1985 : émeutes urbaines (Tottenham)
septembre 1985 : émeutes dans les quartiers Lozells et Handsworth à Birmingham
octobre 1985 : émeutes de Broadwater Farm
Loi sur la poursuite des délinquants (Prosecution of Offenders Act)
1986 : Livre blanc sur la justice criminelle : projet de réforme (White Paper Criminal Justice
Plans for Legislation)
1987-1988 : Lois sur la justice criminelle (Criminal Justice Acts)
réformes judiciaires étendues (en matière d’extradition, de preuve, d’aide aux victimes,
de jurys, de délinquance juvénile ; introduction d’une nouvelle gradation de l’échelle
des peines et renforcement des peines au maximum pour certains crimes et délits)
Crime Concern
programmes de surveillance de voisinage (Neighbourhood Watch Schemes)
Livre vert sur la sanction, l’amende et la communauté (Green Paper on Punishment,
Custody and the Community - juillet 1988)
Lois sur la justice criminelle (Criminal Justice Acts, 1987-1988)
1990 : Livre blanc sur le crime, la justice et la protection du public, qui prévoit l’aggravation,
par l’emprisonnement, de la récidive (White Paper Crime, Justice and Protecting
the Public)
1991-1992 : treize émeutes éclatent en Angleterre et au Pays de Galles
1994 : Loi sur la justice criminelle et l’ordre public (Criminal Justice and Public Order Act)
1996 : affaire Stephen Lawrence
1999 : rapport Macpherson sur le racisme institutionnalisé de la police
79
LISTE DES SCHEMAS
Schéma n° 1 : le cercle vicieux du dénuement et de l’agitation ..........................29
Schéma n° 2 : l’effondrement du consensus sur le policing ................................34
Schéma n° 3 : exclusion et émeutes .....................................................................44
Schéma n° 4 : anatomie d’une émeute .................................................................45
Schéma n° 5 : une « échelle de mesure de l’intensité des troubles »...................46
80
LISTE DES TABLEAUX
Tableau n° 1 : différentes approches de la loi et l’ordre .................................................. 25
Tableau n° 2 : causes et éléments déclencheurs des émeutes en Grande Bretagne
depuis 1980 ........................................................................................................................26
81
LISTE DES GRAPHIQUES
Graphique n° 1 : évolution du taux de satisfaction du « public »
vis-à-vis du travail de la police .............................................................................32
Graphique n° 2 : proportion de personnes se déclarant « assez »
ou « très satisfaites » du travail de la police .........................................................32
Graphique n° 3 : durée pour accéder au grade de sergent ..................................57
Graphique n° 4 : proportion de départs chez les policiers .................................57
Graphique n° 5 : proportion de policiers d’origine étrangère
dans les services de police spécialisés (gestion du trafic routier) ........................58
Graphique n° 6 : condamnations pour troubles à l’ordre public
en Angleterre et au Pays de Galles ...................................................................... 60
Graphique n° 7 : condamnations et avertissements prononcés
à la suite des émeutes en Angleterre et au Pays de Galles ...................................60
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Deuxième partie
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Violences Urbaines
en Belgique
Bilan des connaissances
Hugues-Olivier HUBERT
Aspirant FNRS
(En collaboration avec Juliette VILET)
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SOMMAIRE
INTRODUCTION ........................................................................................................... 90
CHAPITRE I
LES ANNÉES 1980
CHAPITRE II
LES ANNÉES 1990
1990 ................................................................................................................ 100
OPÉRATION ÉTÉ-JEUNES .............................................................................................................. 100
POLITIQUE D’INTÉGRATION ET DE COHABITATION HARMONIEUSE
DES COMMUNAUTÉS LOCALES ....................................................................................................... 101
VLAAMS FONDS INTEGRATIE KANSARMEN ................................................................................. 101
DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE PARLEMENTAIRE SUR LES “TUEURS DU BRABANT WALLON”
AU PLAN DE PENTECÔTE ET AUX PROJETS PILOTES DE PRÉVENTION INTÉGRÉE
DE LA DÉLINQUANCE ........................................................................................................... 101
Commission d’enquête parlementaire sur les “tueurs du Brabant wallon” ..................... 102
Plan de Pentecôte .............................................................................................................. 102
Projets pilotes de prévention intégrée de la délinquance ................................................. 103
1991 ............................................................................................................................................ 105
LE DÉCRET RELATIF À L’AIDE À LA JEUNESSE EN COMMUNAUTÉ FRANÇAISE ........................ 106
LES ÉMEUTES DE MAI 1991 .......................................................................................................... 106
LES DÉCISIONS POLITIQUES DANS L’URGENCE : ASSISTANTS DE CONCERTATION,
AUXILIAIRES DE POLICE, MÉDIATEURS COMMUNAUX, FIPI,... .................................................... 107
LA MONTÉE DE L’EXTRÊME DROITE AUX ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DE NOVEMBRE 1991 ........ 109
1992 ................................................................................................................ 109
LES CONTRATS DE SÉCURITÉ ....................................................................................................... 109
88
1993 ................................................................................................................ 115
PLAN GLOBAL POUR L’EMPLOI, LA COMPÉTITIVITÉ ET LA SÉCURITÉ SOCIALE ......................... 115
1994 ................................................................................................................ 116
LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, MÉDIATION PÉNALE ET TRAVAIL D’INTÉRÊT GÉNÉRAL ................ 116
1995 ................................................................................................................ 118
PLAN D’ACTION TOXICOMANIE-DROGUE ...................................................................................... 118
CONTRATS DE SÉCURITÉ ET DE SOCIÉTÉ ...................................................................................... 118
1996 - 1997 - 1998............................................................................................. 119
QUARTIERS D’INITIATIVES ............................................................................................................. 119
PLANS SOCIAUX INTÉGRÉS ............................................................................................................ 119
1999 ................................................................................................................ 120
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ................................................................................................ 122
LISTE DES ABRÉVIATIONS .............................................................................................................. 137
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INTRODUCTION
Incapable d’infléchir sensiblement les orientations majeures du développement des sociétés
modernes, le monde politique recherche une légitimité dans sa capacité de s’adapter à des
transformations dont la maîtrise lui échappe. Il tente de convaincre de la validité de ses
options en s’appuyant sur la rationalité scientifique. [...] Ce sont bien des criminologues
universitaires qui ont conçu les Contrats de sécurité tout comme l’encadrement des supporters
de football par des ‘stewards’. En concevant techniquement ces dispositifs, ils leur octroient
de facto la légitimité de la science. Les préoccupations sécuritaires occupent une place croissante
dans la recherche en sciences sociales, tant au niveau des appels d’offre européens, nationaux
et communautaires qu’à celui des offres des chercheurs eux-mêmes, qui peuvent avoir
tendance à anticiper les attentes, réelles ou supposées, des pouvoirs publics. Mais la participation
d’une partie du monde scientifique à la construction de la solution sécuritaire passe, pour une
large part, par des voies plus indirectes et plus difficiles à saisir. L’une d’elles est l’acceptation
quotidiennement renouvelée par les universitaires eux-mêmes de discuter les problèmes sociaux
tels qu’ils sont préalablement définis par le monde politique et les médias, sans s’interroger sur
le mode de construction de ces ‘problèmes’ : l’insécurité, la pédophilie, la toxicomanie, etc. Et
sans se demander si un examen plus rigoureux n’inciterait pas à en faire valoir davantage
quelques autres, comme la pénalisation croissante de l’exclusion, le partage du travail,
l’incapacité de l’Europe à se construire sur d’autres bases qu’économiques1, ...
Dans cette idée, amené à produire un travail bibliographique sur les violences urbaines en
Belgique, nous avons commencé notre réflexion en nous demandant ce que pouvait recouvrir
cette notion dans la réalité belge. Si l’on entend par violences urbaines, l’acception qu’en
donne le rapport Lazerges-Balduyck, les actes commis en groupe, et dirigés contre les institutions
ou à caractère identitaire2, alors, effectivement, quelques événements de ce type, regroupant
des jeunes - souvent d’origine immigrée - s’exprimant violemment dans un mouvement
collectif dans l’espace public, ont eu lieu dans le courant des années 1990 en Belgique. On
les a plus communément appelés les “émeutes”.
On le verra dans le courant de ce travail, l’intérêt de ces événements ne sont pas les événements
en soi, mais leur inscription dans un contexte politique et scientifique plus général.
1 VAN CAMPENHOUDT L., “L’insécurité est moins un problème qu’une solution”, in CARTUYVELS Y.,
MARY Ph., L’État face à l’insécurité. Dérives politiques des années 90, Bruxelles, Labor, 1999, pp ; 61-62.
2 LAZERGE-BALDUYCK, Réponses à la délinquance des mineurs, La Documentation française, 1998, p. 90.
90
Les émeutes ont joué un rôle dans le renforcement de la politique de surveillance de l’Etat.
Non pas que la mise en place des dispositifs socio-sécuritaires et / ou socio-pénaux aient été
mécaniquement provoqués par les émeutes, sous le mode de la causalité linéaire. Ce mouvement
sécuritaire était déjà amorcé et sensible avant les premières émeutes. Certains auteurs3 vont
même jusqu’à souligner le fait que ces émeutes commencent toujours à l’occasion d’une relation
entre des agents des forces de l’ordre et des jeunes. Le renforcement préalable, dans les années
1980, surtout dans le chef de la gendarmerie, d’une prévention policière offensive, par la
multiplication des patrouilles et des contrôles, constitue une hypothèse explicative des causes
de ces émeutes.
Nous ne désirons pas nous poser la question de l’oeuf ou de la poule. Nous défendons l’idée
que les deux réalités politiques et événementielles interagissent dans la construction d’une
même problématique, celle de “l’insécurité”.
Les scientifiques participent aussi à cette construction sociale, en problématisant et en
produisant des interprétations, à la fois des événements et des politiques mises en oeuvre.
Nous proposons donc au lecteur de suivre un fil conducteur historique, décrivant depuis les
années 1980 jusqu’à aujourd’hui, l’évolution de la politique de prévention en Belgique.
Signalons qu’un bilan des recherches criminologiques en Belgique, déjà très complet et très
clairement présenté, a été réalisé par MARY Ph. et publié en 19984. Il propose, par ailleurs,
deux autres recensions, l’une par PONSAERS P., JANSSEN Ch. 5 , en 1993 et de
HEBBERECHT P. 6 , en 1991.
Précisons, enfin, que ce travail ne prétend nullement à l’exhaustivité des travaux scientifiques. Il
se peut qu’en fonction de notre localisation, de nos relations professionnelles, de nos préférences,
de notre langue maternelle7, nous n’ayons pas eu connaissance de certains ouvrages intéressants,
qui auraient mérité d’être cités ici. D’avance, nous nous en excusons auprès des auteurs.
Néanmoins, ce travail donne un aperçu assez fin et assez global de la littérature belge concernant
les formes de criminalités et violences urbaines et les politiques de prévention. Il offre, en outre,
une perspective historique et politique, qui permet de contextualiser les productions scientifiques.
3 REA A., Immigration, État et citoyenneté. La formation de la politique d’intégration des immigrés en Belgique,
Thèse de doctorat en sociologie, Université Libre de Bruxelles, 1999.
4 “La recherche criminologique, le chercheur, le politique et les événements”, in MARY Ph., Délinquant,
délinquance et insécurité. Un demi siècle de traitement en Belgique (1944-1997), Bruxelles, Bruylant, 1998,
pp. 488-506.
5 PONSAERS P., JANSSEN Ch., “Les travaux de recherche sur la production de l’ordre et le contrôle pénal en
Belgique : bilan des années 80”, in VAN OUTRIVE L., ROBERT Ph., dir, Crime et justice en Europe. Etat des
recherches, évaluations et recommandations, Paris, L’Harmattan, 1993, pp. 39-79.
6 HEBBERECHT P., “Bilan des connaissances en Belgique”, in ROBERT Ph., Les politiques de prévention de la
délinquance à l’aune de la recherche. Bilan international, Paris, L’Harmattan, 1991, pp. 130-137.
7 Les traductions du néerlandais au français ont été réalisées par nous-mêmes. Les parfaits bilingues nous
excuseront pour les imperfections.
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CHAPITRE I
LES ANNÉES 1980
93
Dans le courant des années 1980, la prévention de la criminalité changea progressivement en
Belgique. La prévention classique de la criminalité, organisée comme une prévention du passage
à l’acte délinquant, dans la conception individualisante propre à la loi du 8 avril 1965 sur la
Protection de la jeunesse, accusa divers coups de boutoir. Dans le champ théorique, d’un côté,
un courant de pénologie réaliste émit des doutes quant aux impacts dissuasifs de cette politique ;
de l’autre, les perspectives de la réaction sociale et celles de criminologies critiques plus
radicales, critiquèrent son interventionnisme. Dans le champ politique, des conflits communautaires
entre Flamands et Wallons se soldèrent par diverses réformes institutionnelles dans la
Constitution en 1970, 1980, 1988 et 1993. La “jeunesse” devint une compétence communautaire,
régie de manière autonome par la Communauté flamande, la Communauté française et la
Communauté germanophone. Sur le plan national, la gendarmerie, puis la police, développèrent
des activités de prévention.
En effet, après l’indépendance de la Belgique (1830) et l’adoption de la Constitution, la langue
française avait bénéficié d’un monopole en matière d’administration, d’enseignement, d’armée
et de justice. Même en Flandre, le français était la langue de la bourgeoisie.
Suite aux mouvements de revendications flamands, qui demandaient la construction de pouvoirs
intermédiaires entre l’Etat unitaire et les provinces et communes, qui constituaient les niveaux
de pouvoir à l’époque, diverses réformes modifièrent les institutions belges.
En 1970, la révision de la Constitution introduisit les nouveaux échelons des régions et
communautés culturelles.
En 1980, les communautés culturelles furent nommées Communautés. Les Communautés
néerlandophone et allemande furent respectivement rebaptisées flamande et germanophone.
Les compétences des communautés sont, avec quelques exceptions, les matières culturelles
complétées par les formations pré-scolaires, post-scolaires et parascolaires, artistiques,
intellectuelles, morales et sociales, de la promotion sociale, de la reconversion et du recyclage
professionnels, ainsi que les “matières personnalisables”, incluant certains aspects de la
politique de santé - soins et éducation sanitaire - et de l’aide aux personnes - politique, familiale,
aide sociale, accueil et intégration des immigrés, handicapés, troisième âge, Protection de la
jeunesse et aide sociale pénitentiaire et post-pénitentiaire et la recherche dans ces domaines.
Les compétences des régions sont, avec quelques exceptions, l’aménagement du territoire,
l’environnement, la rénovation rurale et la conservation de la nature, le logement, la politique
de l’énergie, les pouvoirs subordonnés, la politique de l’emploi et la recherche dans ces
domaines.
Huit ans plus tard, nouvelle révision : Les compétences des communautés et des régions ont
été considérablement accrues en 1988, par la révision d’articles de la Constitution et par la
loi spéciale du 8 août 1988. Les compétences des communautés ont été étendues en matière
d’enseignement [...] ainsi qu’en matière d’aide à la presse écrite et en matière de publicité
commerciale par la radio et la télévision. [...] Les compétences des régions ont été, elles,
principalement étendues en matière économique (les anciens ‘secteurs nationaux’ - sidérurgie,
charbonnages, industrie textile, réparations et constructions navales, industrie du verre creux
d’emballage - passant désormais sous leur autorité) ainsi qu’en matière de transports et de
travaux publics8. Par ailleurs, le contentieux bruxellois est résolu.
8 Mabille X., Histoire politique de la Belgique. Facteurs et acteurs de changement, Bruxelles, CRISP, 1997, p. 386.
94
En 1993, l’Etat belge unitaire n’existe plus. La Belgique est un Etat fédéral composé de
régions et de communautés. La province du Brabant est scindée en Brabant flamand et Brabant
wallon. Les communautés et les régions deviennent “visibles” sur le plan international. Elles
peuvent, par exemple, être présentes, comme telles, dans des institutions internationales, conclure
des traités. Ceci profite en particulier, aux régions qui se voient attribuer de nouvelles
compétences en matière de commerce extérieur.
Depuis le début des années 1980, une évolution des références à la responsabilité policière
dans les discours, le développement de nouvelles activités policières, la formation et l’éducation
permanente des agents de police, indiquent la grande priorité attribuée à la prévention de la
criminalité. Cette tendance fut entamée par la gendarmerie, avant les corps de police
communale”9. Quelques hypothèses expliquent cette impulsion par la gendarmerie. Entre
autres, nous retiendrons, le déclin du “péril communiste” et une nécessité moins grande de
garantir l’ordre public contre les mouvements contestataires radicaux de gauche. La question
de l’augmentation des délits enregistrés contre les biens, que traduisaient les statistiques
criminelles - dont seul disposait, à l’époque, le bureau central des recherches de la gendarmerie -,
apparaissait davantage comme la priorité. D’autant plus que la gendarmerie était confrontée, dans
le courant des années 1970, à une perte progressive de légitimité auprès de la classe moyenne et à
une diminution du taux d’élucidation des délits. Par ailleurs, il s’agissait pour elle de se positionner
au sein de la concurrence : d’une part, la guerre des polices qui opposait la gendarmerie aux
polices communales et judiciaires10 ; d’autre part, l’extension d’un marché libre de la sécurité.
L’accès d’un nombre croissant de néerlandophones au rang d’officier supérieur ouvrait la
Belgique aux politiques de prévention policière des Pays-Bas et de Grande-Bretagne. Une prévention
policière situationnelle et pro-active apparaissait comme la meilleure stratégie pour endiguer la
montée de la criminalité. Les moyens accordés à la gendarmerie, au détriment des autres polices,
par les gouvernements des années 1960 et 1970, l’avaient gratifiée d’effectifs et de pouvoirs11
suffisants pour mettre en œuvre sa propre politique de prévention.
Deux types de prévention furent mises en oeuvre par la gendarmerie. D’une part, une approche
“douce” visait la prévention de comportements déviants auprès des jeunes - donnant lieu,
localement, à des tentatives de partenariat avec des écoles, des clubs de jeunes... - et, surtout,
la prévention de la victimisation, par la diffusion de conseils techniques aux victimes potentielles.
D’autre part, une approche “dure” prévoyait le renforcement de la répression par la multiplication
des patrouilles et des contrôles d’identité dans les quartiers populaires ou à fort taux d’immigration.
Le mouvement était impulsé. En concurrence, les polices communales s’appliquaient aussi à
imaginer des préventions, principalement à la victimisation.
Parallèlement, des événements “traumatisaient” la Belgique, tant par leur violence que par leur
couverture médiatique : les attentats terroristes des Cellules Communistes Combattantes, le
drame du stade de football du Heizel et le grand banditisme des “tueurs du Brabant wallon”.
9 Sinds het begin van de tachtiger jaren wijzen een aantal ontwikkelingen in het betoog van politieverantwoordelijken,
de ontplooiing van nieuwe politieactiviteiten, de opleiding en permanente vorming van politiemensen, op een grotere
prioriteit die aan preventie van criminaliteit wordt toebedeeld. Deze trend werd eerder ingezet bij de rijkswacht dan bij de
Gemeentelijke Korpsen. De beklemtoning van de preventie is nooit helemaal afwezig geweest in het betoog, gehouden
door Gemeentelijke Politie en Rijkswachtofficieren. HEBBERCHT P., “Het belgisch politioneel preventiebeleid”
(La politique de prévention policière en Belgique), in ELIAERTS C., ENHUS E., SENDEN R. (eds), Politie in
beweging. Bijdrage tot de discussie over de politie van morgen (La police en mouvement. Contribution au débat sur
la police de demain), Antwerpen / Arnhem, Kluwer / Gouda Quint, 1990, p. 81.
10 VAN OUTRIVE L., CARTUYVELS Y., PONSAERS P., Les polices en Belgique. Histoire socio-politique du
système policier de 1794 à nos jours, Bruxelles, Editions Vie Ouvrière, 1991.
11 Au point qu’on en parla comme d’un Etat dans l’Etat.
95
Acculées par ces circonstances, les instances politiques semblaient être, à leur tour, entraînées
dans le sillage de la prévention policière. La seconde moitié des années 1980 fut une période
de réflexion et de maturation politique sur la question de la prévention. Le 15 avril 1985,
l’Institut Supérieur de Police, créé l’année précédente, organisait une journée d’étude sur la
prévention de la criminalité12. Cinq mois plus tard, C.-F. Nothomb (socio-chrétien francophone),
ministre de l’Intérieur, instituait une structure nationale de prévention de la criminalité. Son
Arrêté Royal du 6 août 1985 créait les Commissions provinciales de prévention de la
criminalité et le Conseil supérieur de prévention de la criminalité (à l’échelle nationale) installé en 1988 par L. Michel (libéral francophone), modifié en 1991 par L. Tobback
(socialiste flamand), en léthargie depuis l’été 1992.
En 1986, le ministère de l’Intérieur lançait un programme de recherches concernant la police
et la sécurité du citoyen (pour reprendre le nom de la collection où les recherches réalisées
dans le cadre de ce programme furent publiées, dès 1989, chez Politeia, association sans but
lucratif, émanant du ministère de l’Intérieur). Ce programme de recherches s’organisait en cinq
axes, parmi lesquels : l’amélioration de la qualité des services rendus, par une meilleure
organisation et de meilleures relations avec la population ; l’étude diagnostique de situations
problématiques, afin de mieux les contrôler et les prévenir ; une réflexion approfondie sur
la prévention13.
12 INSTITUT SUPERIEUR DE POLICE, La prévention de la criminalité, Bruxelles, ministère de l’Intérieur, 1985.
13 Les deux axes qui nous concernent moins directement sont : l’accès à des données fiables et analysables par
l’organisation de statistiques criminelles et la privatisation de la sécurité.
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98
CHAPITRE II
LES ANNÉES 1990
99
1990
Le gouvernement démocrate-chrétien-libéral, Martens-Gol démissionnaire (1985-88) céda le
pouvoir au gouvernement de centre gauche Martens-Spitaels, le 9 mai 1988, suite aux
élections législatives du 13 décembre 1987.
OPÉRATION ÉTÉ-JEUNES (COMMUNAUTÉ FRANÇAISE, 1988)
En 1988, V. Féau (socialiste francophone), ministre-Président de la Communauté française,
lance les Opérations Été-Jeunes. REA14 (1999) voit dans cette politique les prémisses du
rapprochement des thèmes de la jeunesse et de l’immigration de celui de la sécurité, qui
caractérise les dispositifs des années 1990. Une étude de BRION et al15 (1989) conforte cette
idée, puisqu’en étudiant les principes d’une concertation locale autour des politiques de
prévention, les auteurs analysent cette politique. En effet, dans le communiqué de presse où
il présentait les Opérations Été-jeunes, le ministre-Président, définissait les objectifs de la
manière suivante : permettre à la jeunesse d’éviter le désoeuvrement, source de recrudescence
de la petite délinquance pendant la période des vacances scolaires.
Fin des années 1980, les autorités belges marquent leur volonté d’impulser des politiques de
prévention au niveau local, intégrant une prévention policière situationnelle et une
prévention sociale.
Néanmoins, après avoir observé différentes initiatives (les Opérations Été-jeunes, la circulaire du
ministère de l’Intérieur du 12 novembre 1990 sur la prévention de la criminalité, les projets
propres aux communes de St Gilles et de Schaerbeek), BRION et al16 pointent l’absence d’un
véritable sentiment de solidarité sur le plan local et la difficulté de créer un partenariat effectif
entre travailleurs sociaux et forces de police.
En France et au Royaume-Uni, les “émeutes urbaines” et les rapports respectifs Bonnemaison
et Scarman ont accéléré ces politiques.
Les politiques belges, dans les années 1990, se sont inspirées assez clairement des politiques
voisines : la Flandre, principalement des Pays-bas et du Royaume-Uni et les socialistes
francophones, plutôt de la France, gratifiant une fois de plus notre petit pays d’une politique
mixée et riche d’influences germaniques et latines.
Le gouvernement français, socialiste depuis le début des années 1980, avait impulsé une
politique de prévention reposant sur une contractualisation entre l’Etat central et les municipalités,
une perspective pragmatique et une concertation ou un décloisonnement institutionnel.
Les Opérations Eté-chaud (françaises) furent traduites en Opérations Été-jeunes, en Belgique.
Les Conseils communaux de prévention de la délinquance, les Missions locales, les Zones
d’Education Prioritaire, allaient trouver aussi leur place dans les politiques belges des
années 1990.
14 REA A., Immigration, État et citoyenneté. La formation de la politique d’intégration des immigrés en
Belgique, Thèse de doctorat en sociologie, Université Libre de Bruxelles, 1999.
15 BRION F., DUPONT A., POULET I., Prévention et concertation au niveau local. Une étude sur la prévention
intégrée dans quelques communes bruxelloises, Bruges, Vanden Broele, Politeia, 1991.
16 Ibidem
100
POLITIQUE D’INTÉGRATION ET DE COHABITATION HARMONIEUSE DES COMMUNAUTÉS LOCALES
(RÉGION BRUXELLES-CAPITALE, 1990)
En 1990, en Région bruxelloise, le ministre Ch. Picqué (socialiste francophone), qui avait dans
ses compétences l’emploi, l’aménagement du territoire et les pouvoirs locaux, initiait la
Politique d’Intégration et de Cohabitation harmonieuse des Communautés locales (Arrêté
de l’Exécutif de la Région bruxelloise du 11/10/90). Bien que cette politique ne vise pas, à
l’époque, la prévention de la criminalité, elle apparaît, pour POULET17, comme une des
politiques initiatrices des nouvelles politiques de prévention. Son organisation s’inscrit
effectivement dans les premiers pas des politiques de partenariat et de concertation locale. Des
moyens financiers étaient octroyés par la Région pour des actions visant soit l’intégration,
entendue comme une coexistence respectueuse et des relations positives entre les différentes
communautés locales, soit l’insertion économique, sociale et culturelle des populations
étrangères dans la vie locale. Les communes devaient jouer un rôle moteur. Sur base d’un
état des lieux et d’un recensement des initiatives et associations déjà actives sur le terrain, elles
devaient concevoir des actions, obligatoirement en concertation avec des partenaires locaux
privés ou publics. L’Arrêté prévoyait la constitution d’une concertation locale, coordonnant, au
moyen d’une réunion mensuelle, les actions d’intégration et de cohabitation. Une répartition
des 19 communes bruxelloises en trois catégories constituait un premier critère d’accessibilité
et de répartition du budget en fonction d’indicateurs statistiques, tels que taux d’immigration,
taux de chômage, revenu moyen, révélateurs des situations socio-économico-démographiques.
VLAAMS FONDS INTEGRATIE KANSARMEN - FONDS FLAMAND POUR L’INTÉGRATION
DES DÉFAVORISÉS (COMMUNAUTÉ FLAMANDE, 1990)
Du côté flamand, un fonds d’aide aux communes et un fonds pour l’intégration des démunis,
tous deux constitués en 1990, fusionnaient en 1991 pour former le Vlaams Fonds Integratie
Kansarmen (Fonds Flamand pour l’Intégration des défavorisés), dont près d’un tiers du budget
était consacré spécifiquement aux actions ciblant les immigrés. Là aussi, les communes répondant
à des critères socio-économico-démographiques similaires pouvaient introduire des projets.
DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE PARLEMENTAIRE SUR LES “TUEURS DU BRABANT WALLON” AU
PLAN DE PENTECÔTE ET AUX PROJETS PILOTES DE PRÉVENTION INTÉGRÉE DE LA DÉLINQUANCE
(NATIONAL, 1990)
Au gouvernement national, suite aux élections de 1988, L. Tobback devint ministre de
l’Intérieur. Le moment était venu, pour les socialistes, de concrétiser le programme “sécurité”
qu’ils avaient élaboré dans l’opposition, prévoyant une réforme de la police et une politique de
prévention de la criminalité plus sociale et locale.
17 POULET I., Les nouvelles politiques de prévention. Une nouvelle forme d’action publique ?, Bruxelles,
SSTC, 1995.
101
Commission d’enquête parlementaire sur les “tueurs du Brabant Wallon”
L’enquête sur les “tueurs du Brabant Wallon” piétine. En mai 1988, alors que le rapport
d’audit des services de polices, commandité en 198518, vient d’être publié, une commission
parlementaire est chargée d’enquêter sur les causes des défaillances des corps de police et de
la justice dans la lutte contre le terrorisme et le grand banditisme.
En 1990, MOTTARD et HAQUIN publient un rapport sur cette enquête parlementaire19. Deux
enseignements principaux ressortent de cette enquête. Premièrement, les forces de police
nécessitent quelques réformes. La Commission d’enquête pointera le manque de définition
d’une politique explicite à l’égard de la délinquance et de l’ordre social, de lignes directrices
précisant le rôle et les modalités d’intervention de la police, l’ineffectivité du contrôle de ses
activités, ces différents éléments étant considérés comme de nature à mettre sérieusement en
danger sa légitimité démocratique, d’autant que l’on s’interrogera sur l’autonomie de
l’appareil policier par rapport au politique et sur l’importance de la relation de confiance
avec le public. La Commission d’enquête parlementaire, bien que s’intéressant peu à la police
communale, soulignera que la première mission de la police réside dans la prévention des
infractions20. Les polices communales, en particulier, devraient être plus proches du citoyen.
Deuxièmement, et bizarrement, alors que le sujet d’enquête était le “grand banditisme”, la
petite délinquance apparut comme une préoccupation première dans le rapport. Les conclusions
servirent de base à deux concrétisations politiques : le Plan de pentecôte et les Projets pilotes
de prévention de la criminalité.
Plan de Pentecôte
Dès le 26 avril 1990, une circulaire (OOP 13) portait sur les directives générales relatives à la
coordination de l’intervention de la police communale et de la gendarmerie, dans le cadre de
la police administrative. Une concertation pentagonale (en grande partie inspirée, jusqu’à la
référence géométrique, du driehoeksoverleg - la concertation triangulaire - des Pays-Bas) était
mise en place permettant au bourgmestre, à la police communale, à la gendarmerie, à la police
judiciaire et au parquet de se coordonner sur le plan local et provincial.
Le Plan de Pentecôte du 5 juin 1990 constituait la réponse du gouvernement au rapport de la
Commission. Il esquissait les lignes d’une nouvelle politique policière, censée apporter des
solutions aux problèmes des forces de l’ordre. Globalement, il prévoyait un projet de loi sur la
fonction de police pour asseoir, dans un cadre légal, les relations entre les autorités administratives,
le ministère public et les différents services de police, ainsi que les droits et devoirs des
fonctionnaires de police dans leurs tâches et leurs services à la population. Bien que la
Commission se soit relativement peu intéressée à la police communale, le plan gouvernemental
18 TEAM CONSULT, Les services de police en Belgique, Rapport au ministre de l’Intérieur, Police Générale du
Royaume (PGR), Bruxelles, 1988 ; voir aussi FIJNAUT C., BRUGGEMANS W., DENIS F., NUYST Ch., De
politiediensten in Belgïe. Vier commentairen op het rapport van Team Consult (Les services de police en
Belgique. Quatre commentaires à propos du rapport Team Consult), Antwerpen, Kluwer Rechtwetenschappen,
1989. Et, DE VALKENEER Ch., “Analyse de l’audit réalisé par les services de police en Belgique”, Journal des
Procès, 21/04/89, n° 149, pp. 10-13, 05/05/89, n° 150, pp. 17-20.
19 MOTTARD J., HAQUIN R., Les tueries du Brabant Wallon. Enquête parlementaire, Bruxelles, Edition Complexe, 1990.
20 HENDRICKX T., LEMONNE A., SMEETS S., STREBELLE C., MARY Ph., Police de proximité et Contrats
de sécurité. Evaluation des Contrats de sécurité de Charleroi, La Louvière, Liège, Mons, Namur, Seraing, Tournai
et Verviers, rapport relatif aux deux années de recherche (1996-1998), à la demande du ministère de l’Intérieur,
1998, pp. 38-39.
102
affirmait l’importance d’une revalorisation de la police communale et de la responsabilité du
bourgmestre21 en matière de sécurité et d’ordre public. Entre autres, il paraissait primordial
d’augmenter l’efficacité de la police, sa capacité d’accueil, d’améliorer équipement, organisation,
recrutement et formation. Le rôle de la police dans une politique globale de prévention était
fermement affirmé. Une mesure qui permettait au ministère de l’Intérieur de mieux coordonner
sa politique en matière de police administrative et de prévention globale de la criminalité était
de démilitariser la gendarmerie. En outre, un service commun aux différents services devait
faciliter leur coopération, les statuts et compétences des différents fonctionnaires de police
devaient être harmonisés et un organisme de contrôle devait garantir les droits des citoyens et
réconforter leur confiance dans les forces de l’ordre22.
Projets pilotes de prévention intégrée de la délinquance
Par une Circulaire du 12 novembre 1990 - complétée, le 30 novembre, par une “brochure
circonstanciée” précisant la philosophie de la prévention intégrée dans laquelle s’inscrivait la
circulaire -, le ministre de l’Intérieur instaurait les projets pilotes de prévention intégrée de la
délinquance. Il s’agissait de déployer au niveau local et conjointement avec les communes, un
certain nombre d’initiatives en matière de prévention de la criminalité23 La volonté d ’ e n raciner
la prévention de la criminalité au niveau local, c’est-à-dire au niveau des communes et des
quartiers, faisait des pouvoirs communaux un point de passage obligé24. Les autorités
communales devaient jouer un rôle moteur dans le projet. Le choix politique de tenir compte
des processus sociaux et culturels dont la criminalité n’est qu’une conséquence25 nécessitait
une intégration des approches techniques et situationnelles et des approches sociales de la
prévention. De ce fait, tout en restant un partenaire important, la police ne pouvait être l’acteur
central du projet. Il convenait, au contraire, d’encourager un partenariat entre les différents
acteurs concernés par cette lecture globale de la prévention de la criminalité (services communaux,
police, associations de quartier, aide sociale, enseignement, logement, emploi,...). A cet effet,
le ministre encourageait les communes - sans l’imposer - à instaurer un Conseil communal
de Prévention de la Délinquance, comme organe de coordination, d’information et de
consultation démocratique, regroupant ces différents acteurs de la prévention. Les projets
de prévention devaient cibler en priorité les personnes socialement faibles que les processus
sociaux et culturels avaient amenées à être plus facilement exposées à être victimes ou auteurs
d’actes délinquants. Concrètement, le ministère de l’Intérieur mettait, pour une durée d’un an,
renouvelable une fois, deux assistants de prévention (agents contractuels subventionnés)
à la disposition des communes dans lesquelles le projet était accepté. En tout, 27 projets
pilotes furent retenus.
L’utilisation de l’expression personnes socialement faibles et la logique sur laquelle s’organise
cette nouvelle politique fait clairement référence au concept de vulnérabilité sociétale développé,
dans les années 1980, par L. WALGRAVE, professeur à la Katolieke Universiteit van Leuven.
Toutefois, elle ne s’appuie que sur une partie de sa démonstration : celle relative aux effets
sociaux criminogènes plutôt que celle relative aux effets pervers de la stigmatisation.
21 Equivalent du ‘maire’, en France.
22 Voir à ce sujet, HACOURT G., LACROIX J., TANGE C., Évaluation des Contrats de sécurité bruxellois. T.1.
Police de proximité. Rapport relatif aux deux années de recherche (1996-1998), à la demande du ministère de
l’Intérieur, Bruxelles, 1998, pp. 21-22 ; voir aussi HENDRICKX T., LEMONNE A., SMEETS S., STREBELLE
C., MARY Ph., Police de proximité et Contrats de sécurité, op.cit., 1998, pp. 39-42.
23 Circulaire, p.1.
24 POULET I., Les nouvelles politiques de prévention. Une nouvelle forme d’action publique ?, 1995.
25 Brochure, p. 4
103
Dans son livre daté de 1992, WALGRAVE tente de formuler une théorie étiologique de la
délinquance juvénile, qui intègre les criminologies du passage à l’acte et de la réaction sociale.
Il énonce quatre thèses :
- la définition de la délinquance des jeunes est une construction sociale influencée par le
jeu des inégalités de pouvoir ;
- il y a plus de probabilités que les “ jeunes ” issus des milieux socio-culturels les plus
défavorisés développent une délinquance persistante et grave ;
- si l’absence de liens sociaux ne suffit pas à expliquer la délinquance, il n’en est pas
moins vrai que les liens sociaux facilitent une inhibition de la délinquance ;
- les réactions sociales à la délinquance des jeunes peuvent favoriser la persistance de leur
délinquance.
Analysant l’impact d’expériences scolaires négatives et de situations d’échec et d’impuissance,
de parcours sociaux de rejet et de stigmatisation sur les risques de glissement vers la
délinquance, WALGRAVE montre que certaines catégories de population vivant dans des
quartiers, où les conditions de vie sont défavorables et où se développe une sous-culture
de “perdants”, souffrent de vulnérabilité sociétale. Pour ces personnes, le risque est plus
grand d’être confrontées aux dimensions discriminatoires, de contrôles et de sanctions
des institutions sociales. Or, ces acteurs ne disposent pas du pouvoir nécessaire pour
corriger la situation et se défendre contre les stéréotypes négatifs qui les stigmatisent.
Leur trajectoire est donc assimilable à une spirale négative où les confrontations négatives
aux institutions aggravent la persistance de la trajectoire délinquante, augmentant les
risques de nouvelles confrontations à la justice et de marginalisation.
Trois perspectives sont développées en matière de politique de prévention :
- une politique préventive radicale, qui lutterait contre les inégalités matérielles et structurelles ;
- une politique de prévention offensive, qui stimulerait et soutiendrait les groupes à haute
vulnérabilité sociétale à sortir, par eux-mêmes, de leur situation à risques (il donne
l’exemple d’une expérience anversoise de fan coaching comme politique de prévention
auprès des hooligans) ;
- des interventions psychosociales, qui s’appuieraient sur le vécu des “ jeunes ” et
viseraient des objectifs réalistes, contrôlables et atteignables à court terme.
Enfin, la justice devrait être “restauratrice” plus que “rétributive” ou “réhabilitative”, afin
de réparer à la fois les dommages causés et la relation à la société. C’est dans cette
perspective que devraient se penser médiation pénale, travail d’intérêt général,...
MARY a exprimé diverses critiques à la théorie de la vulnérabilité sociétale. La principale
porte sur le primat de la variable socio-culturelle qui ne permet pas de prendre en considération
des déterminations plus dures telles que les variables socio-économiques26.
Il reste une question en suspens : celle de l’impact réel du concept de vulnérabilité sociétale
et de l’élaboration théorique de WALGRAVE sur la conception des nouvelles politiques
belges de prévention de la criminalité. Les autorités politiques semblent en avoir retenu
la cible, c’est-à-dire les populations fragilisées (traduites en personnes socialement
26 Mary Ph., La vulnérabilité sociétale: remarques critiques sur l’opérationnalisation du concept dans une perspective
macro-sociologique en criminologie ”, Revue de Droit Pénal et de Criminologie, avril 1998, pp. 470-483.
104
faibles dans les politiques gouvernementales), sur lesquelles focaliser une prévention offensive
de type policière et sociale. Mais il semblerait qu’un pan entier de l’argumentation de
WALGRAVE soit passé à la trappe, celui ayant trait à la réaction sociale qui contient une charge
de stigmatisation qui, combinée à d’autres mécanismes, peut favoriser une chronicisation des
trajectoires délinquantes. Cet usage politique tronqué d’une théorie, a priori critique, intégrant,
dans une perspective étiologique certes, une criminologie du passage à l’acte et de la réaction
sociale, est, selon moi, à l’image de la prévention intégrée qu’elle a servi à légitimer.
1991
LE DÉCRET RELATIF À L’AIDE À LA JEUNESSE EN COMMUNAUTÉ FRANÇAISE
Le 4 mars 1991, le Décret relatif à l’aide à la jeunesse, en Communauté française, organisait
un système de Protection de la jeunesse “déjudiciarisé”. Régie depuis la loi du 8 avril 1965, la
Protection de la jeunesse avait glissé progressivement de l’Etat aux Communautés, suite aux
réformes institutionnelles successives de 1980 et 1988. En 1980, la Loi Spéciale de réformes
institutionnelles attribuait les “matières personnalisables” à la compétence des Communautés
et, au sein de celles-ci, la Protection de la jeunesse, à l’exception des matières relevant du droit
civil, du droit pénal et du droit judiciaire. Cependant, un large flou planait sur les définitions
de ces matières et elles donnèrent lieu à diverses interprétations. L’avant-projet de décret
Montfils pour la Communauté française et l’avant-projet de décret Steyaert pour la
Communauté flamande ainsi que l’avant-projet de loi Gol pour l’exécutif national faisaient
l’objet de contestations en 1982. En 1984, le Conseil d’Etat rendait un avis reconnaissant aux
communautés la compétence exclusive en matière de protection sociale, mais leur refusant le
pouvoir de prendre des mesures de contrainte. En 1985, sans tenir compte de cet avis, la
Flandre adoptait un décret relatif à l’Assistance spéciale de la jeunesse (het Steyaert Decreet).
Considérant que le gouvernement flamand n’avait pas tenu compte de la répartition des
compétences, le gouvernement national soumettait ce décret à la Cour d’arbitrage, en vue d’un
recours en annulation. L’arrêt du 30 juin 1988 se détachait de l’avis rendu quatre ans plus tôt
par le Conseil d’Etat en affirmant que la compétence des Communautés ne se limitait pas à
l’aide consentie, mais concernait aussi l’aide imposée. La Loi Spéciale de réformes institutionnelles
de 1988 précisait explicitement que la Protection de la jeunesse comprenait la protection sociale et
la protection judiciaire, à quelques exceptions près. Ceci impliquait une réduction de l’intervention
des tribunaux de la jeunesse. Ces derniers restaient compétents en matière d’aide contrainte,
mais une fois la médiation ou la décision arrêtée, les institutions créées par les Communautés
prenaient le relais pour mettre en oeuvre les mesures d’aide (négociées ou contraintes). Mises
à part quelques modifications, ces grands principes (philosophie et organisation) établissent
toujours le cadre général de la politique d’Aide à la jeunesse. Le Décret de la Communauté
française de 1991 prévoit deux types d’aide. L’aide spécialisée, soit négociée et acceptée, soit
contrainte, est complémentaire et supplétive à l’aide sociale générale dispensée par des services
de première ligne, au caractère généraliste et travaillant sur base de demandes d’aide spontanées.
Il s’agit donc bien d’affirmer l’importance et la nécessité des services de première ligne.
L’objectif primordial de prévention est reconnu - toutes les structures communautaires créées
dans le cadre de ce décret y contribuent directement ou indirectement - et encouragé. [...] C’est
aussi encourager l’aide en milieu ouvert, l’action sur le terrain. Prévenir toute marginalisation
future, c’est éviter tant que faire se peut la rupture avec le milieu social et familial. L’hébergement,
dont la nécessité et l’efficacité dans certains cas ne sont plus à démontrer, doit rester l’exception27.
27 MINISTÈRE DE LA COMMUNAUTÉ FRANCAISE, Le décret 91. Les nouveaux chemins de l’aide à la
jeunesse et de la protection de la jeunesse, 1998, pp. 13-14.
105
La prévention promue dans ce cadre est très clairement générale et sociale. Dans ce sens, un
nouvel organe fut institué par ce décret, le Conseil d’Arrondissement de l’Aide à la Jeunesse
(CAAJ), clef de voûte de la prévention générale28, dont les missions sont d’étudier une
programmation des besoins de l’arrondissement judiciaire, stimuler la création de nouveaux
dispositifs, éventuellement par des subventions, coordonner et superviser les actions entreprises
en ce domaine, informer les autorités publiques sur les carences et réussites en matière de prévention.
LES ÉMEUTES DE MAI 1991
L’année 1991 fut marquée par un événement important. Du 10 au 15 mai 1991, les communes
bruxelloises de Forest, St Gilles, Molenbeek et Schaerbeek furent le théâtre d’émeutes.
Le vendredi 10 mai 1991 début de soirée, place St Antoine à Forest, un jeune Marocain à moto
fut interpellé par une patrouille de police. La plaque d’immatriculation de son véhicule était,
semble-t-il, peu lisible. Le ministre-Président de la Région bruxelloise expliqua, a posteriori
que la police cherchait à mettre fin aux agissements de motards qui faisaient un bruit fou dans
le voisinage et provoquaient la population29. D’après la police, le “ jeune ” s’était rebellé et
la patrouille s’était retrouvée encerclée par d’autres “ jeunes ”. Selon ces derniers, les policiers
auraient été violents et provocants. Le père et les soeurs du “ jeune ”, venus calmer la situation,
auraient été matraqués et jetés à terre. Bref, le contrôle avait mal tourné. Les policiers appelèrent
des renforts et diverses unités convergèrent vers le lieu. Le “ jeune ” fut emmené au commissariat.
Mais, rapidement, les forces de l’ordre comptèrent près de 200 “ jeunes ” sur la place. La
pression monta, des policiers furent agressés, des voitures détruites, des pavés volèrent et
brisèrent des vitres, notamment des vitraux de l’Eglise St Antoine. La discothèque
“Bains-baden”, dont avaient été exclus des jeunes marocains du quartier, subit leurs assauts.
La gendarmerie intervint à son tour. Face à cette démonstration de force et aux puissants jets
d’eau d’une autopompe, les “ jeunes ” se dispersèrent et la place retrouva sa quiétude vers une
heure du matin.
Le samedi 11 mai 1991, le commissariat de St Gilles, commune avoisinante, proche de la place
St Antoine, fut la cible d’un groupe d’une cinquantaine de “ jeunes ” qui jetèrent des pierres.
Les forces de l’ordre dispersèrent les “ jeunes ”, mais ceux-ci se regroupèrent quelques instants
plus tard sur la place St Antoine. Les événements furent plus violents que la veille : barres de
fer, cocktails Molotov, destructions diverses, plusieurs blessés, dont un policier et un cameraman.
La situation se calma vers deux heures du matin. Les premières images furent diffusées dans les
journaux télévisés. La presse écrite, par contre, n’eut pas eu le temps d’inclure l’information
dans l’édition du samedi.
Le dimanche 12 mai 1991, alors que, vers 22 heures, de nombreuses personnes s’étaient réunies
sur la place – “ jeunes ”, mais aussi riverains, parents, enfants, curieux -, les forces de l’ordre
procédèrent à un encerclement et une “ chasse à l’homme ”, jusque dans les maisons. En tout,
204 personnes furent rassemblées sur la place, menottées et emmenées de force au manège de
la Légion mobile de la gendarmerie, où elles furent séparées en trois concentrations clôturées
par des chevaux de frise. Durant 24 heures, après avoir subi fouilles, interrogatoires, photo et
empreinte digitale, elles furent libérées par petits groupes. Vers 1 heure du matin, sur la place
St Antoine, des cocktails Molotov furent lancés d’une voiture sur des gendarmes.
28 Ibid, p. 29.
29 La Dernière Heure, 13 mai 1991.
106
Le lundi 13 mai 1991, des parents et “grands frères” calmèrent des groupes d’adolescents, qui
se dirigeaient vers la place. La nuit fut calme. Les événements du week-end furent relatés, pour
la première fois, dans l’édition de la presse écrite.
Le mardi 14 mai 1991, un adolescent marocain, du quartier St Antoine, fut retrouvé mort, écrasé
par un train, à la gare de Genval, commune proche de la Région bruxelloise. La rumeur d’une
bavure judiciaire déguisée se répandit, parmi les “ jeunes ”. La police judiciaire conclut
quelques jours plus tard à un accident. D’autre part, un tract du Vlaams Block (parti flamand
d’extrême droite) appelait à un rassemblement contre les immigrés criminels et pour un retour
à l’ordre. Un appel à une contre-manifestation fut lancé. Malgré l’interdiction de la manifestation
d’extrême droite, entre 200 et 600 “ jeunes ” (selon les médias), convergèrent vers la maison
communale et le commissariat de police de la commune de Molenbeek. Des projectiles, dont
des cocktails Molotov, furent lancés sur les deux bâtiments ainsi que dans les vitrines de
commerces avoisinants. La gendarmerie et les polices de communes proches pourchassèrent
les jeunes. Vers minuit, tout le quartier fut en état de siège. La nuit fut, néanmoins, encore
perturbée par quelques jets de cocktails Molotov et actes de pillage.
Le mercredi 15 mai 1991, c’était l’hôtel communal30 de Schaerbeek et, presque simultanément,
le restaurant du personnel de la gare du Nord qui furent visés par quelques cocktails Molotov.
Ce furent les derniers événements qui se produisirent dans la rue. Mais l’onde de choc s’était
répandue au monde politique qui se devait de prendre des mesures, dans l’urgence, des mesures
provisoires qui allaient se stabiliser progressivement et se structurer dans des politiques globales
et intégrées de sécurité. En réalité, il serait incorrect de prétendre que les émeutes de 1991
seraient à l’origine des nouvelles politiques socio-pénales. Nous avons vu que ces dernières
s’inscrivaient dans une tendance déjà visible, en partie, dès la fin des années 1980. Néanmoins,
si l’évènement n’a pas suscité les nouvelles politiques de prévention de manière causaliste,
simple et mécanique, il a servi de détonateur, accélérant sans doute le mouvement.
LES
DÉCISIONS POLITIQUES... DANS L’URGENCE
: ASSISTANTS
DE CONCERTATION, AUXILIAIRES DE
POLICE, MÉDIATEURS COMMUNAUX, FIPI...
Diverses décisions politiques ont accompagné, puis suivi, ces événements.
Dès le 13 mai 1991, le ministre-Président de la Région bruxelloise réunit la Commission
Régionale de Sécurité. Lors de cette réunion, deux problèmes furent pointés, essentiellement
et uniquement d’ordre policier. Le premier était celui de la coordination entre polices
communales des 19 communes bruxelloises. Le second concernait le déficit des cadres
organiques policiers communaux (déficit de près de 600 agents pour la Région), en raison
des difficultés de recrutement liées à l’obligation de bilinguisme.
Le 16 mai 1991, la constitution d’une structure de collaboration, baptisée Centre Opérationnel
de Coordination et d’Information, devait fournir une solution au premier problème.
Le 17 mai 1991, le Conseil (national) des ministres constitua un groupe de travail interministériel
chargé de concevoir un programme d’intégration sociale des immigrés pour le 30 juin, au plus
tard. Une première conférence interministérielle eut lieu le 23 mai 1991 et trois groupes de
travail furent organisés : commune et sécurité, intégration socio-culturelle et enseignement,
30 Equivalent de la ‘mairie” en France.
107
formation et intégration professionnelle. En outre, le 17 mai 1991, le ministre de l’Intérieur
mit, d’office, à la disposition de chacune des huit communes à risques, deux assistants de
concertation, chargés de promouvoir une bonne relation entre police et populations immigrées.
ARIMONT et LACROIX 31 montrent très clairement comment cette nouvelle fonction
s’inspire de pratiques similaires en Grande Bretagne et aux Pays-Bas. Cette politique s’inscrit
aussi dans une réflexion belge, présente déjà dans les écrits de 1987 et 1989 sur les relations
entre police et population, auxquels s’ajoutent deux travaux de 199132. Ce même Conseil des
ministres prévoyait, pour la gendarmerie, l’installation d’un service permanent d’information,
le développement du nombre de patrouilles de surveillance et de la réserve d’intervention,
ainsi que cinq contractuels subventionnés pour mettre sur pied une cellule multiculturelle.
Une circulaire ministérielle de la Région de Bruxelles-Capitale du 11 juin 1991 relative à des
mesures visant à améliorer le climat de sécurité et l’encadrement social dans certaines communes
de la Région, créait deux “nouveaux métiers”. Le premier volet concernait l’engagement, avec des dérogations à certaines conditions d’engagement, notamment linguistiques - de
contractuels subventionnés (au nombre total de 60), appelés auxiliaires de police, chargés
de soulager le travail des agents de diverses tâches administratives pour leur permettre d’être
plus présents sur le terrain. Cette mesure devait pallier le déficit de cadres organiques policiers.
Le second volet prévoyait l’engagement de médiateurs communaux (au nombre total de 16),
assistants sociaux chargés de faciliter les relations entre les pouvoirs publics et les “communautés locales”. Comme pour les politiques mises en place en 1990, c’était la commune qui gérait
ces deux nouveaux dispositifs. Les auxiliaires de police et médiateurs communaux étaient
soumis à l’autorité du bourgmestre par l’intermédiaire du commissaire en chef pour les
premiers et du secrétaire communal pour les seconds. La circulaire prévoyait, par ailleurs,
qu’un rapport des activités des médiateurs et des auxiliaires fût présenté par le bourgmestre
aux réunions mensuelles de concertation locale, s’intégrant ainsi au dispositif existant de
la politique d’intégration et de cohabitation harmonieuse des communautés locales (de 1990).
Ces mesures concernaient les huit communes, définies à risques, caractérisées par un
taux particulièrement élevé d’immigrés.
La Conférence interministérielle de la politique de l’immigration du 13 juin 1991 et l’Arrêté
royal du 5 août 1991 instituaient le Fonds d’Impulsion à la Politique des Immigrés (FIPI). Ce
fonds d’urgence, constitué sur base des bénéfices de la Loterie Nationale, devait, pour une
période limitée, aider la réalisation de projets spécifiques à l’intégration des immigrés
s’inscrivant dans un des quatre axes : dépenses d’investissement pour l’infrastructure
sportive et la jeunesse, au service des “ jeunes ” du quartier ; lutte contre le décrochage scolaire ;
emploi des jeunes immigrés confrontés à des problèmes majeurs d’insertion socio-professionnelle ;
prévention de la délinquance juvénile 33 . Les projets pouvaient être introduits par des
institutions et services publics (gouvernement national, communautés et régions, communes,
CPAS,...) et des auteurs privés (associations sans but lucratif,...), à condition de figurer dans
une des Zones d’Action Prioritaire (ZAP), déterminées en fonction de critères statistiques, tels
que la population étrangère de 6 à 25 ans, les demandeurs d’emploi, les bénéficiaires d’une
aide sociale et du minimum de moyens d’existence, l’état des conditions du logement, le taux
d’échec et d’absentéisme scolaire, entre autres. Comme le Fonds d’Impulsion à la Politique des
31 ARIMONT I., LACROIX J., REA A (dir.), Les assistants de concertation. Rapport final, évaluation à la
demande du ministère de l’Intérieur, Synergie, 1994.
32 Dont, VERHELLEN E., CAPPELAERE G., VANDEKERCHOVE A., Politie en jeugd. Een inventarisstudie
omtrent de relatie politie-minderjarigen (Police et jeunesse. Un inventaire des relations police-mineurs), Bruges,
Vanden Broele, Politeia, 1991.
33 Conférence interministérielle de la politique de l’immigration. Fonds d’Impulsion pour la Politique de
l’Immigration, dispositions pour 1993, Moniteur Belge, 23 mars 1993.
108
Immigrés n’était pas destiné à être structurel (ni récurrent), il ne devait couvrir que des dépenses
d’infrastructure ou des frais de fonctionnement exclusivement liés au développement du projet
subsidié, ou encore, une partie des charges salariales, à condition qu’elles ne soient pas
structurelles. Ce fut le Commissariat Royal à la Politique des Immigrés qui en assura le
secrétariat jusqu’en 1993, année à laquelle le Centre pour l’Egalité des Chances et la Lutte
contre le Racisme, fraîchement créé, prit le relais. Suite à de nombreuses critiques - particulièrement
du monde associatif - et au développement des contrats de sécurité (voir infra), en 1995, la
prévention de la délinquance juvénile fut finalement rayée de la liste des priorités du FIPI.
LA MONTÉE DE L’EXTRÊME DROITE AUX ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DE NOVEMBRE 1991.
Le 24 novembre constitua aussi une date importante de cette année 1991. Les élections
législatives furent marquées par le sceau de l’extrême droite. Du côté flamand surtout, avec ses
479.917 voix (3.5 fois son score de 1987), le Vlaams Block (V. B.) atteignit les 10% de
suffrages en Flandre. Douze députés V.B. occupèrent un siège de parlementaire (sur 212).
Déjà troisième parti à Anvers, aux élections communales de 1988, il devint, en 1991, le premier
parti de l’arrondissement d’Anvers. Vote xénophobe, en raison du caractère raciste de la
campagne, vote communautaire radical, en raison du caractère séparatiste du parti, ou encore
“vote-sanction” des partis traditionnels, diverses interprétations furent formulées, que nous ne
développerons pas ici.
Du côté francophone, dans une moindre mesure, le Front National bénéficia d’une avancée notable
par rapport aux élections de 1987, passant de 7.596 à 64.992 voix. Il obtint un siège au parlement.
Les journaux flamands baptisèrent ce jour le zwarte zondag (dimanche noir). L’accès démocratique
au gouvernement du parti REX, en 1936, revint en mémoire et les partis traditionnels sanctionnés,
et tout bonnement menacés, déjà pressés par les récentes émeutes, devaient réagir.
1992
LES CONTRATS DE SÉCURITÉ
En janvier 1992, M. Wathelet (socio-chrétien francophone), nommé informateur, suite aux élections
de 1991, rédigea une note sous le titre de Pari pour une nouvelle citoyenneté, comme pour
réconcilier les citoyens et la vie politique, après le zwarte zondag. La notion de Contrat de sécurité,
qui y figurait était reprise dans la déclaration gouvernementale du 9 mars 199234. Celle-ci proposait
une analyse de la montée de l’extrême droite. De nombreux citoyens se seraient sentis menacés,
parce qu’ils seraient devenus vulnérables, suite à l’évolution rapide de leur environnement, aux
changements sociaux et au contact inévitable avec d’autres cultures. Dès lors, de nouvelles tâches
apparaissent aux autorités par rapport aux aspirations du citoyen à trouver des solutions au
sentiment d’insécurité accru, aux problèmes de la drogue, de l’isolement, de l’exclusion [...], à
l’aide aux victimes et à la maîtrise de l’immigration35. Cette interprétation liant la montée de
l’extrême droite et du sentiment d’insécurité nécessitait une réponse ferme et rapide, un
programme d’urgence. La lutte contre l’insécurité devint une priorité et la prévention fut à nouveau
mobilisée. La restauration d’une vie normale dans les grandes entités urbaines implique la poursuite
et le renforcement des actions de prévention contre la petite criminalité36.
34 Déclaration gouvernementale prononcée par le Premier ministre devant le Parlement, le 9 mars 1992,
Bruxelles, Inbel, 1992.
35 ibidem, p 4.
36 Ibidem, p.21
109
Les interprétations courantes des émeutes dans les champs médiatiques et politiques ont fait
l’objet de critiques. A travers une analyse des discours médiatiques et politiques produits suite
aux émeutes37, REA met en évidence deux formes d’interprétation des événements. La première
se décline sur le mode du “ law and order ” et la seconde du “ déficit d’intégration ”. Cette analyse
l’amène à ajouter une troisième interprétation en termes de déficit de reconnaissance symbolique
et de légitimité politique. Pour l’auteur, les contrôles d’identité abusifs et les propos blessants
n’épuisent pas toutes les causes des flambées de violence. Les émeutes de Forest sont emblématiques
en ce sens qu’elles révèlent les effets de sédimentations des pratiques arbitraires que les immigrés
ont vécues durant les années de racisme politique et institutionnel38.
Le 19 juin 1992, les ministres de l’Intérieur, L. Tobback, et de la Justice, M. Wathelet,
proposèrent leur Note sur la sécurité du citoyen39 au Conseil des ministres. Cette note
signa l’acte de naissance de la politique des Contrats de sécurité.
Conclus entre l’Etat, les régions et les communes, ces contrats s’inscrivaient dans la ligne des
nouvelles politiques et des priorités qui, depuis la fin des années 1980, étaient devenues des
“évidences”. Il était devenu “évident” qu’il était nécessaire de consolider la sécurité des
citoyens, gravement menacée par la (petite) criminalité urbaine. Le traitement de cette criminalité
devait passer par un accroissement de l’efficacité des polices dans leurs tâches de répression, mais
aussi de prévention situationnelle et administrative. Mais, plus profondément, elle nécessitait
une prévention sociale spécialisée, ciblée sur des territoires définis à risques et des populations
fragilisées, susceptibles d’être menacées (victimes) ou menaçantes (agresseurs). Il était donc
prévu de promouvoir des actions coordonnées à travers deux volets : un volet policier et un
volet social. Il était devenu “évident” également que l’efficacité d’une action publique
dépendait de son implantation locale. En ce sens, les communes offraient l’assise administrative
la plus proche du terrain. L’Etat et les régions (pour les communes qui les concernent) impulsaient
la politique et les communes étaient chargées d’adapter celle-ci à leurs besoins particuliers. Le
bourgmestre et la police constituaient le point de gravité de la politique de sécurité. En fait de
régions, il s’agissait plus précisément des Régions Bruxelles-Capitale et Wallonie. Cette
dernière, qui, jusqu’alors, n’avait pas initié de nouvelles politiques comme celles de Flandre et
Bruxelles-Capitale, lançait son Programme de lutte contre l’exclusion sociale et pour la sécurité
(Arrêté de l’Exécutif régional wallon, du 16 juillet 1992), définissant cinq objectifs : favoriser
la cohabitation des communautés, l’insertion sociale, professionnelle et culturelle des jeunes,
la prévention des délinquances, toxicomanies et petites criminalités, la réinsertion des
délinquants et l’aide aux victimes. La contribution financière de la Wallonie aux Contrats
de sécurité était exclusivement destinée aux actions de prévention sociale, tandis que la
Région de Bruxelles-Capitale constituait un ‘pot commun’ avec le ministère de l’Intérieur,
restant indifférente à la destination de sa participation financière, pour les volets socio-préventifs
ou policiers.
S’inscrivant donc à la suite des projets pilotes de prévention, dans une logique largement
situationnelle et policière, malgré la volonté d’intégrer une dimension plus sociale,
différents dispositifs furent intégrés, d’autres mis en place.
37 BRION F., REA A., “La construction politique et médiatique des émeutes urbaines”, L’Année sociale, 1991,
pp. 285-305.
38 REA A., op. cit.,1999, p. 801.
39 Sécurité et citoyen : police et sécurité, Bruxelles, Inbel, 1992.
110
Les dispositifs médiateurs sociaux et assistants de concertation furent intégrés aux Contrats
de sécurité par une lettre commune du ministre de l’Intérieur et de la Région de
Bruxelles-Capitale du 14 décembre 1992. Les premiers figuraient dans le volet social et
les seconds dans une sorte d’intersection avec le volet policier. Leurs missions ne changaient
pas par rapport à 1991 (certains médiateurs sociaux furent, toutefois, réorientés vers la
prévention du décrochage scolaire).
Concernant le volet social, notons entre autres, la création :
- de Bureaux d’Aide aux Victimes (BAV), chargés, selon les communes, de l’accueil et de
l’accompagnement juridique, social et / ou psychologique des victimes, de promouvoir des
campagnes de prévention auprès de publics “menacés” (personnes âgées,...), présentant des
stratégies d’évitement, de l’accès aux technopréventions,... ;
- d’équipes de travailleurs de rue, chargés, selon les communes, de l’animation et de l’occupation
des jeunes (à risques) ; occasionnellement, d’accompagnements psycho-sociaux,... ;
- d’équipes de prévention de la toxicomanie, chargées, selon les communes, de la formation et
de la coordination de travailleurs sociaux spécialisés dans ce domaine, de campagnes de
prévention dans les écoles, d’accompagnements psycho-sociaux,... ;
- d’équipes de fan coaching, chargées de l’encadrement des supporters dans les matchs de football,...
Concernant le volet policier, diverses initiatives devaient permettre une efficacité accrue des
polices communales, une meilleure disponibilité et un rapprochement des citoyens. Il
s’agissait, entre autres :
- de moderniser les commissariats (notamment l’infrastructure d’accueil) et l’équipement ;
- d’ouvrir des commissariats “décentralisés” ou de quartier ;
- d’optimiser les engagements, en vue de remplir les cadres organiques ;
- de poursuivre l’engagement d’auxiliaires de police pour soulager les agents de certaines tâches
administratives et accroître leur présence sur le terrain ;
- de promouvoir des formes de police de quartier sur le modèle anglo-saxon du community
policing, telles que brigades canines, îlotiers,...
On note aussi des projets “hybrides”, tels que :
- politique sociale de l’emploi et politique de surveillance : création d’équipes d’Assistants de
Prévention et de Sécurité (APS) - travailleurs au statut plus que précaire, dans le cadre des
Agences Locales pour l’Emploi (ALE), dont l’objectif est d’offrir aux minimexés un “petit
boulot” à court terme susceptible de leur permettre, après quelques mois, de quitter le régime
minimex (le “minimum d’existence”, équivalent belge du RMI) et de “remonter” sur le régime
du chômage -, chargés, selon les communes, de la surveillance de parcs et parkings, de la sécurité
routière à la sortie des écoles et, plus largement, d’assurer une présence dans les rues... ;
- à la fois policier et social : par exemple, mise en place, au sein de dispositifs de lutte contre
le décrochage scolaire, d’Assistants de police ou de civils “attachés” à des Services Famille
Jeunesse de la police - dont la pratique la plus répandue est l’organisation ponctuelle d’opérations
“brosse”40 visant à contrôler l’âge des “ jeunes ” présents dans l’espace public pendant les heures
scolaires et, s’ils sont mineurs, à cerner les motifs de leur absence de l’école - et de médiateurs
sociaux, sociaux-scolaires, scolaires, scolaires communaux (selon les communes) ;
- la mise en place de moyens techniques, tels que vidéo-surveillance, éclairage public,...
40 Equivalent de sécher les cours, en France
111
En vue d’une meilleure coordination entre les volets social et policier des Contrats locaux de
sécurité, les communes devaient obligatoirement (alors qu’en 1990, il ne s’agissait que d’une
proposition vivement conseillée) se doter d’un Conseil Communal de Prévention de la
Criminalité et d’un fonctionnaire de prévention chargé du suivi administratif et de la
coordination des initiatives locales.
En réalité, les sources de financement et le type d’organisation reflètent concrètement la
tendance “sécuritaire” de cette politique globale. Il s’agit en priorité de répondre aux problèmes
posés par la délinquance, c’est-à-dire de préférer les actions destinées à prévenir ces problèmes
plutôt qu’à les guérir. Même si des initiatives peuvent être prises dans le but d’améliorer les
conditions de vie, par le biais d’interventions structurelles dans les entités locales en matière
d’urbanisme, d’amélioration des lieux d’habitation, d’aménagements plus sûrs des espaces
libres et de rénovation urbaine [...] ces initiatives ne seront pas compensées par une intervention
de l’Etat bien qu’elles participent d’un effort commun pour la sécurité. [...] Le ministère de
l’Intérieur n’interviendra financièrement que pour des initiatives ayant un lien direct avec le
maintien de l’ordre public41. Ces domaines sociaux de fond devaient donc être pris en charge
par les Régions. Or, les contributions des Régions étaient, de loin, inférieures à celles du
ministère de l’Intérieur. Concrètement, la répartition budgétaire moyenne, entre volets
policier et social, pour les communes, était proche de deux tiers / un tiers.
Avec les ‘Contrats de sécurité’, on assiste à un changement de vocabulaire. Le discours du
ministère de l’Intérieur sur les problèmes visés, l’association étroite qui est continuellement
affirmée entre la ‘sécurité du citoyen’ et la délinquance, la ‘revalorisation policière’ qui est un
des motifs centraux de ce programme contribuent à promouvoir un intérêt sécuritaire. Ils le
renforcent là où il existait déjà, ils le créent là où il n’existait pas. Les auteurs de ce discours
prétendent qu’ils ne font que répondre à l’appel du citoyen (quel citoyen ?). C’est oublier à
quel point la représentation d’un problème dépend de l’interprétation qu’on en donne et des
moyens annexes au discours qui sont mobilisés pour promouvoir cette interprétation42. Ce
positionnement constructiviste de POULET mérite d’être prolongé pour interroger aussi la
production scientifique qui consolide les “évidences” sécuritaires.
Divers travaux scientifiques de criminologues, proposant des solutions pragmatiques (sans
jamais interroger, sur base de paradigmes critiques, ces “évidences” d’ordre politique, médiatique,
voire idéologique), allaient largement modeler les grands axes et les actions développées dans la
politique des Contrats de sécurité. Notons, par exemple, que le haut fonctionnaire, à la tête du
Secrétariat Permanent à la Politique de Prévention (SPPP), K. Van Limberghen, avait été
l’assistant du professeur WALGRAVE de la KUL. Quelques autres de ses assistants ont occupé
un poste dans le cabinet du ministre Tobback. Or, le SPPP était chargé de soutenir la politique
de prévention et les initiatives locales prises dans ce cadre. Il devait, notamment, diffuser des
conseils pour faciliter la conception des actions de prévention par les opérateurs locaux. Le
SPPP constituait donc un lieu stratégique où se jouaient, à la fois, l’accès à un pouvoir d’ordre
technocratique et la légitimation scientifique des nouvelles politiques de sécurité. De plus en
plus, il s’est concentré sur la conception d’actions de prévention de plus en plus fantasques sur
des thèmes tels que les mégadancing, les smart drugs et boissons énergisantes,... [...] Avant
même la fin de son premier mandat, le VSPP (traduction flamande du SPPP) semble avoir
41 “Note ‘police et sécurité’, cité in POULET I., op. cit., 1995, p. 46.
42 POULET I., ibid, p. 49
112
perdu presque toute crédibilité dans nombre de milieux concernés, tenus d’ailleurs généralement
éloignés de ces initiatives de plus en plus farfelues, de sorte que la politique de prévention en
Belgique continue de naviguer à vue43.
L’accroissement de la politique sécuritaire et son élargissement à des champs d’intervention
qui n’étaient traditionnellement pas les siens ne fit pas l’unanimité.
Dans le champ du travail social, en particulier celui de l’Aide à la Jeunesse, ainsi que dans le
champ scientifique, des voix s’élevèrent.
Sans entrer dans le détail, on notera que [le Décret de 1991 relatif à l’Aide à la Jeunesse]
traduit un certain nombre d’orientations fondamentales qui structurent un idéal de
prévention offensive et émancipatrice. Axé sur la reconnaissance des droits des jeunes
et sur le primat de l’Aide à la Jeunesse et d’une clarification des rôles et des fonctions. Il est
à cet égard une audacieuse invitation à un changement des mentalités et des pratiques.
S’appuyant sur cet état d’esprit émancipateur, une partie importante des travailleurs de
l’Aide à la Jeunesse (et principalement de l’aide en milieu ouvert) s’inquiètent face à
l’émergence d’une autre politique de la jeunesse concernée par les Contrats de sécurité, dont la
philosophie, axée sur le court terme et le spectaculaire, la technique et le management, l’intégration
du social-policier-judiciaire, semble traduire une sensibilité bien différente44.
D’autres résistances se firent aussi sentir dans le secteur socio-sanitaire autour de l’enjeu “toxicomanie”.
Les tenants de la politique des Contrats de sécurité qualifièrent ces oppositions de crispation
corporatiste. En effet, tandis que les budgets de l’enseignement et de la culture étaient rabotés
en Communauté française, ceux de la justice et de la gendarmerie augmentaient de 40 % en
10 ans45. Mais en réalité, on peut y voir aussi des positionnements relatifs à une philosophie
(téléologie, déontologie,...) du travail social. L’instauration du nouveau dispositif des Contrats
de sécurité a considérablement modifié le champ de la prévention à destination du public
‘jeune’ dans son contenu et dans les rapports entre les acteurs. Auparavant il était essentiellement
occupé par des associations (associations d’Aide en Milieu Ouvert - AMO - et les centres de
jeunes). Ces associations dépendent de la Communauté française de Belgique et, plus
précisément du secteur de l’Aide à la Jeunesse” 46.
Les deux logiques, celle, fédérale des Contrats de sécurité et celle, “fédérée”, communautaire de
l’Aide à la Jeunesse, vont dans deux sens opposés. La première s’intègre dans une ‘logique
descendante’. Le ministère de l’Intérieur définit dans les grandes lignes les objectifs de
l’action, les volets dans lesquels l’argent est investi, les fonctions à pourvoir. Reconnue comme
opérateur légitime, la commune choisit les actions dans lesquelles elle va investir, les quartiers
prioritaires, les publics-cibles, et engage les travailleurs de terrain. [...] On peut parler, dans le
cas des Contrats de sécurité étudiés lors du travail de terrain, de la prééminence du dispositif, des
services et actions qu’il propose, de la structure et des fonctions qui le concrétisent, sur la
demande des gens et sur l’analyse de leurs besoins47.
43 MARY Ph., Délinquant, délinquance et insécurité. Un demi-siècle de traitement en Belgique (1944-1997),
op. cit. 1998, p. 632.
44 CARTUYVELS Y., “Insécurité et prévention en Belgique : les ambiguïtés d’un modèle ‘global intégré’ entre
concertation partenariale et intégration verticale”, Déviance et Société, 1996, 20, 2, p.160
45 VANCAMPENHOUDT, “L’insécurité est moins un problème qu’une solution”, in CARTUYVELS Y., MARY
Ph., dir, L’État face à l’insécurité. Dérives politiques des années 90, Bruxelles, Labor, 1999, p.58
46 SCHAUT Ch., “Les Contrats de sécurité, l’Aide à la jeunesse : une coexistence difficile ?”, in CARTUYVELS
Y., MARY Ph, dir, L’État face à l’insécurité. Dérives politiques des années 90, Bruxelles, Labor, 1999, p.70
47 Ibidem, p.85-86
113
La seconde logique, celle du dispositif de l’Aide à la jeunesse, s’inscrit dans une ‘logique
ascendante’. Il [le dispositif de l’Aide à la jeunesse] doit partir du sujet et de son
environnement et travaille avec eux à faire émerger des demandes, à faire naître des
projets communautaires et à faire entendre à leur sujet une parole politique48.
Pris dans la coexistence de ces deux dispositifs, alors qu’un partenariat est, sinon imposé,
fortement recommandé, (voire forcé, dans les faits, par les subventionnements), les travailleurs
sociaux des Contrats de sécurité doivent se positionner. Les professionnels des nouveaux
dispositifs doivent, souvent, imaginer un contenu concret à leur fonction, imaginer leur
profession, dans un cadre qui ne facilite pas ou ne permet pas d’utiliser les “outils
traditionnels” du travail social 49. Ils ont à faire face aux critiques de “ceux d’en face”,
ceux de l’Aide à la Jeunesse qui les accusent de compromission avec les forces de l’ordre
et de “brouiller les frontières du social” par une confusion des rôles. Mais le marché de
l’emploi étant ce qu’il est, s’agit-il d’un choix ?
Plus largement, un marché qui met en concurrence les deux modèles, se dessine. Le pragmatisme
gestionnaire des Contrats de sécurité tend à s’imposer et met à mal un modèle, représenté
ici par l’Aide à la Jeunesse, porteuse, du moins dans le Décret de 1991, d’un projet
socio-politique, mais qui, sous couvert d’absence de moyens budgétaires, concrétise
difficilement les termes mêmes du décret et est dans un rapport de force défavorable pour
résister au nouveau dispositif ou négocier avec lui50.
Pour appréhender les interactions entre les deux dispositifs, SCHAUT s’inspire d’une typologie
construite par VAN CAMPENHOUDT, sur le croisement de deux axes : un axe
“coopération/non-coopération” et un axe conflit/non-conflit”. L’idée de coopération renvoie
à celle d’un travail collectif mené par différents acteurs autour de la production et de la
réalisation d’un projet commun. La non-coopération sous-entend, quant à elle, l’idée de
juxtaposition des expériences locales des deux dispositifs, voire de recouvrement concurrentiel.
L’axe ‘conflit / non-conflit’ suppose la capacité ou non d’entrer en conflit même si la position
est inégale dans le jeu des acteurs. Le conflit exprime la capacité de s’opposer, de résister,
de négocier, d’établir des jeux de contre-emprise, etc. [...] Dans la réalité concrète, des
situations intermédiaires situées sur les axes peuvent exister. Ainsi, entre coopération effective
et non-coopération totale se dessinent aussi des situations de reconnaissance des
spécificités de chacun des dispositifs et de leur complémentarité51 (p. 75-76). Elle
présente, sur base d’exemples concrets, chacun des types de “coopération non-conflictuelle”,
“non-coopération non-conflictuelle”, “non-coopération conflictuelle” et un modèle à inventer (?)
celui de la “coopération conflictuelle”.
SCHAUT montre que le modèle des Contrats de sécurité transforme la nature du travail
social. Il s’agit moins pour le travailleur social d’être un acteur de socialisation et de
changement qu’un agent de régulation sociale chargé de gérer la désaffiliation, d’en contrôler
les processus et d’éviter les effets ‘secondaires’ 52. Elle souligne le fait que la coexistence de
deux modèles en concurrence attise la logique consumériste des “ jeunes ” tant décriée et
la difficulté corrélaire de travailler sur le long terme. Elle pointe aussi les effets stigmatisants
des discours qui gravitent autour des nouvelles politiques de prévention. Que dire d’un
48 Ibidem, p.85
49 Voir, à ce sujet, HACOURT G., LACROIX J., TANGE C., POULET I., Évaluation des Contrats de sécurité et
de société bruxellois. Rapport final, à la demande du ministère de l’Intérieur, Bruxelles, Synergie, 1999.
50 SCHAUT Ch., op.cit., 1999, pp. 74-75.
51 Ibidem, pp.75-76
52 ibidem, p.87
114
journal communal présentant une activité de jardinage destinée aux jeunes enfants sous le
titre ‘la prévention par le jardinage’ laissant à penser que ces enfants sont des délinquants
potentiels ? [...] A cet égard, L. Wacquant parle de complicité objective’ avec les policiers,
les journalistes mais aussi parfois avec les chercheurs : chacun manipule l’autre et se laisse
manipuler par lui. Ces mises en scène peuvent se révéler très efficaces mais contribuent en
même temps à renforcer le sentiment d’insécurité et la production d’images menaçantes du
quartier et des populations qui y habitent53.
Dans la concrétisation des politiques, les scissions entre les deux modèles ne sont pas toujours
aussi simples. Des effets de contagion peuvent jouer dans les deux sens. Il peut arriver
d’observer des projets de nature pragmatico-gestionnaire dans l’Aide à la Jeunesse et des projets
émancipatoires dans les Contrats de sécurité. Une sorte de “ consensus mou ” amènerait même
quelques-uns à affirmer qu’en réalité, dans la pratique, “tous les travailleurs sociaux sont des
travailleurs sociaux” et que le travail réalisé est équivalent. Ceux-ci déplorent, comme
MAHIEU54 (par ailleurs, gestionnaire de ce dispositif dans une ville wallonne), que le terme
de “Contrat de sécurité” fasse référence à une symbolique malheureuse, qui ne facilite pas
l’implantation de cette nouvelle politique dans le champ social et ne correspond pas
nécessairement aux actions de terrain qu’elle recouvre. Ce à quoi DE BOEVE (coordinateur
d’une AMO du secteur de l’Aide à la Jeunesse et un des leaders de la résistance aux Contrats
de sécurité) répond : Je pense que le débat le plus important est ‘quelles orientations la société
veut-elle donner à la prévention, à l’action sociale ? C’est un débat politique, ce n’est pas un
débat de praticiens. Les praticiens peuvent se rencontrer et il y a différentes initiatives où les
Contrats de sécurité et les praticiens se rencontrent. Mais ce n’est pas en restant à nos
pratiques que nous arriverons à dépasser le débat, à le faire évoluer55.
Il rejoint ainsi les critiques qu’opposent certains scientifiques aux Contrats de société en
les interrogeant, plus fondamentalement, sur leurs dimensions macro-sociales, politiques et
philosophiques.
1993
PLAN GLOBAL POUR L’EMPLOI, LA COMPÉTITIVITÉ ET LA SÉCURITÉ SOCIALE
Fin 1993, le gouvernement élabora un Plan global pour l’emploi, la compétitivité et la
sécurité sociale. La priorité était de prendre des mesures en faveur de l’emploi. Dans ce cadre,
les ministres de la Justice et de l’Intérieur avaient prévu, dans un point concernant la promotion
de l’emploi pour une meilleure qualité de la vie, l’élargissement des Contrats de sécurité par
la création de 520 emplois nouveaux auprès des services de police locaux. Le plan prévoyait aussi
la constitution d’un Fonds de sécurité de 36 milliards de francs belges.
53 Ibidem, p.91
54 MAHIEU G., “Prendre en compte l’extrême. Table ronde Sécurité et citoyenneté”, in AIDE A LA JEUNESSE,
Sous le signe du lien. Actes des premières Assises de l’aide à la jeunesse, Bruxelles, Ministère de la Communauté
française, 1995, pp. 155-182.
55 de BOEVE E., “L’action en milieu ouvert”, in L’Aide à la jeunesse et les Contrats de sécurité. Quelles
perspectives pour les nouveaux Contrats de société ?, Actes du colloque CEFORM, La Marlagne, 21 juin 1996.
115
1994
LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, MÉDIATION PÉNALE ET TRAVAIL D’INTÉRÊT GÉNÉRAL
Sur le plan de la justice, des mesures furent arrêtées pour lutter contre le “sentiment d’impunité”,
corollaire au sentiment d’insécurité.
Le 10 février 1994, deux lois furent votées : l’une introduisait la procédure de médiation pénale
dans le code d’instruction criminelle, l’autre modifiait la loi de 1964 sur la suspension, le sursis
et la probation, les travaux d’intérêt général (TIG).
La médiation pénale vise un accord avec le prévenu sur un certain nombre de conditions
(indemnisation de la victime, suivi thérapeutique, travail d’intérêt général,...), dont le respect
permet l’extinction de l’action publique. Il s’agit d’une manifestation rapide de la réaction
sociale face à un délit de gravité relative. Sans recours au juge, priorité est donnée aux
intérêts des victimes56.
Le TIG constitue une mesure probatoire. Un nouveau point spécifie qu’en cas de suspension
ou lorsque le sursis à l’exécution est ordonné pour l’intégralité d’une peine d’emprisonnement,
les conditions particulières peuvent notamment consister en l’obligation d’exécuter, dans les
douze mois qui suivent la date à laquelle le jugement ou l’arrêt est passé en force de chose
jugée, des travaux d’intérêt général d’une durée de vingt heures au moins et de deux cent quarante
heures au plus, ou de suivre une formation déterminée.
La loi du 11 juillet 1994, relative aux tribunaux de police et portant certaines dispositions
relatives à l’accélération et à la modernisation de la justice pénale, introduisait la procédure
accélérée. Elle officialisait, en réalité, une pratique que le Parquet de Bruxelles avait initiée en
1991, quelques mois après les émeutes, et mise en oeuvre à travers sa Cellule bande organisée
- procédure accélérée. Il s’agissait à l’époque, d’une optique organisationnelle et pragmatique,
permettant à la section famille du Parquet de se décharger des dossiers à charge de délinquants
difficiles et récidivistes. La procédure accélérée autorise le ministère public à convoquer une
personne qui est arrêtée en application des articles 1 et 2 de la loi du 20 juillet relative à la
détention préventive ou qui se présente devant lui, à comparaître devant le tribunal de police
ou le tribunal correctionnel dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours, ni supérieur à
deux mois”. DEVRESSE et GUILLAIN affirment que loin d’être exclusive dans l’application
de la médiation pénale, cette procédure en est le complément. Elle permet au Parquet de diversifier
les formes de réaction face à des faits peu graves, et d’éviter ici le recours trop fréquent au classement
sans suite qui serait à l’origine du sentiment d’impunité. La procédure de comparution immédiate
peut ainsi s’appliquer en cas d’échec de la médiation pénale. En offrant un autre choix que
celui de la mise à l’instruction ou de la mise en liberté de l’individu, le gouvernement entend
ainsi réagir à une délinquance urbaine dite fréquente et répétitive, dont le jugement rapide
permettrait de maintenir la crédibilité et l’efficacité de la justice57.
56 WATHELET M. (Vice-premier ministre et ministre de la Justice), Accélération et modernisation de la
procédure pénale. Note politique, Bruxelles, INBEL, 1992, pp. 23-24.
57 DEVRESSE M-S., GUILLAIN Ch., “Les nouvelles politiques socio-pénales en matière de toxicomanie”, in
CARTUYVELS Y., MARY Ph. (sld), L’État face à la sécurité. Dérives politiques des années 90, Bruxelles, Labor,
1999, p. 125.
116
Des critiques furent soulevées. Certains s’interrogèrent sur le respect du droit de la défense58.d’autres
pointèrent l’effet de net-widening, d’extension du filet du champ pénal59. En réalité, des
procédures et des mesures imaginées dans l’optique d’une alternative à l’emprisonnement
seraient détournées en pratiques d’alternative au classement sans suite.
Par ailleurs, cette alternative serait particulièrement ciblée. S’intéressant à la prise en charge
pénale des toxicomanes, DEVRESSE et GUILLAIN observent qu’il semblerait que le
ministère public ait fait le choix, dans un premier temps, de ne pas viser les usagers de
drogues pour s’attacher essentiellement aux vols qualifiés ou avec violences et aux faits
d’outrage et de rébellion, touchant ainsi de jeunes délinquants le plus souvent d’origine
étrangère dans leurs relations avec les autorités de police60.
D’après les substituts VANDER NOOT et VANDER STRAETEN, leur cellule bande organisée
a envoyé, pour l’année judiciaire 1994-1995, 255 personnes devant la chambre 58 dont 68 %
sont de jeunes Africains - sans doute bon nombre de Marocains. Parmi les cas traités, 7 % (18
dossiers) concernent les qualifications d’incitation à l’émeute et de rébellion. S’il existe des
“ bandes organisées ”, il semblerait que cette cellule “organise des bandes”, agrégeant dans des
ensembles les dossiers d’individus (pour délit ou pour information) provenant d’un même
territoire. S’agirait-il d’un moyen, en cas de débordements ou de débuts d’émeutes dans un
quartier – où, effectivement, des jeunes se regrouperont - de disposer, a priori, d’une
information sur la plupart des jeunes immigrés de ce quartier ? Quoi de plus éloquent que cette
référence de REA à G.T. Marx : En parlant de ‘société de sécurité maximale’, G.T. Marx énonce
la nécessité pour des institutions de corriger anticipativement par des techniques appropriées
des personnes ou des groupes ‘en tant que membres d’une catégorie statistique avec une
probabilité donnée d’agir d’une manière prévisible dans l’avenir’61, catégories statistiques
parmi lesquelles figurent les immigrés62.
Approche intégrée du problème de la drogue
Dans le cadre du Plan global (fin 1993), les communes pouvaient développer des actions
spécifiques en matière de toxicomanie. Le 28 septembre 1994, une note de politique générale
précisait ce que le gouvernement entendait par politique intégrée en matière de drogue. Cette
note exprimait très péremptoirement une corrélation certaine entre la croissance de la
consommation de drogue chez les jeunes et une mutation de la criminalité, avec l’apparition
d’une petite et moyenne délinquance fréquente et répétitive.
58 ROGGEN F., “Autour de la répression : brève réflexion d’avocat”, Télex, (magazine de l’ULB),1996, n°116,
pp. 5-6.
59 MARY Ph., Délinquant, délinquance et insécurité. Un demi-siècle de traitement en Belgique (1944-1997),
Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 637-661.
60 DEVRESSE M-S., GUILLAIN Ch., op. cit., 1999, p.126
61 MARX G.T., “La société de sécurité maximale”, Déviance et société, 1988, Vol. XVII, 2, p. 153.
62 REA A., op. cit., p. 909
117
1995
PLAN D’ACTION TOXICOMANIE-DROGUE
Le 3 février 1995, le Conseil des ministres approuvait le Plan d’action toxicomanie-drogue. De
nombreuses priorités et initiatives y étaient listées. Nous ne les préciserons pas ici. S’il ne s’agit
pas directement de la question des violences urbaines, les politiques belges sont telles que des
connections furent établies entre toxicomanie, petite criminalité et ordre. Retenons l’instauration
de MASS (Maisons d’Accueil Socio-Sanitaires), dont la raison d’être est la prescription de
thérapies de substitution et l’objectif de réduire les risques de comportements déviants des
toxicomanes. KAMINSKI voit, en quelque sorte, dans cette politique, une sorte d’extension
de la toxicomanie à la politique. Identité et unité : la politique globale et intégrée de lutte contre
la toxicomanie ressemble étrangement à la politique psychique du toxicomane63. Il précise : la
drogue est un tel ciment politique qu’il semble bien que nous y ayons tous pris goût au point de ne
plus pouvoir nous en passer, jusque dans l’établissement des priorités publiques. Entre soumission du
toxicomane à l’ordre de la drogue, et la soumission de tous à la drogue de l’ordre (j’entends par
là le postulat de la drogue comme cause du désordre), peu de différence : le toxicomane, le
public et l’homme politique accordent la même confiance à l’objet (en l’occurrence la drogue)
pour en faire leur cause (la cause du bonheur ou du malheur individuel ou collectif”64.
LES CONTRATS DE SÉCURITÉ ET DE SOCIÉTÉ
L’Etat n’est pas resté sourd aux nombreuses critiques65 formulées dans les champs de l’intervention
sociale et psycho-sociale, ainsi que dans le champ scientifique, notamment à travers les évaluations
des contrats de sécurité66 et divers articles polémiques67. En 1995, il décida de transformer les
Contrats de sécurité en Contrats de sécurité et de société. Ces derniers englobent cinq volets :
police, prévention, toxicomanie, sanctions alternatives et assistants de prévention et de sécurité.
Les moyens budgétaires sont augmentés, et s’élèvent à partir de 1997 à 3 milliards de francs
[belges] pour toute la Belgique. Poursuivant l’approche globale du projet, le ministre de
l’Intérieur, J. Vande Lanotte, propose que 200 millions de francs soient réservés au ‘renouveau
urbain’. Il s’agit en l’occurrence de financer des projets de lutte contre la pauvreté (notamment le
surendettement), d’amélioration de l’environnement urbain (la lutte contre le délabrement) et le
développement social intégré (animation, formation et promotion de l’emploi des jeunes). A
l’intérieur d’une politique de plus en plus ample et multiforme naît ainsi une politique de la ville”68.
63 KAMINSKI D., “La toxicomanie comme menace pour l’Europe”, in TULKENS Fr., BOSLY H., (Sld), La justice
pénale et l’Europe, Actes des XVèmes journées juridiques Jean Dabin, Bruylant, Bruxelles, 1996, pp. 287-309.
64 KAMINSKI D., “Approche globale et intégrée : de l’usage politique des drogues”, in CARTUYVELS Y., MARY
PH., L’État face à l’insécurité. Dérives politiques des années 90, Bruxelles, Labor, 1990, pp. 101-114.
65 Parallèlement, l’Etat fédéral supprima la prévention de la délinquance juvénile de la liste des priorités du FIPI.
66 DE FRAENE D., LALIEUX K., SMEETS S., MARY Ph. ,dir., Les Contrats de sécurité dans la Région de
Bruxelles-Capitale, Bruxelles, BRES, 1997 ; LACROIX J., TANGE C., Évaluation des Contrats de sécurité bruxellois
Conseil de prévention, police de proximité, lutte contre l’absentéisme et le décrochage scolaires, prévention intégrée,
pour le compte du ministère de l’Intérieur, Bruxelles, Synergie, avril 1997 ; VAN DEN BROECK T., ELIAERTS
Ch., “ ‘A tale of two cities’. De veiligheidscontracten in Gent en Antwerpen, een stand van zaken na de evaluatie
- deel 1 (Les Contrats de sécurité à Gand et à Anvers, état des lieux et évaluation - partie 1)”, Panopticon, 1997,
4, pp. 353-369 ; et VAN DEN BROECK T., ELIAERTS Ch.,’A tale of two cities’. De veiligheidscontracten in
Gent en Antwerpen, een stand van zaken na de evaluatie - deel 2 (Les Contrats de sécurité à Gand et à Anvers,
état des lieux et évaluation - partie 2)”, Panopticon, 1997, 5, pp. 480-506.
67 Voir les Cahiers Marxistes, nov.-déc. 1995,
68 REA A., op. cit., 1999, p. 903.
118
En réalité, si l’on pouvait espérer un rééquilibrage budgétaire, au moins équivalent au
rééquilibrage lexical, entre les volets sécuritaire et social, on peut craindre que, cette fois
encore, le ministère de l’Intérieur ait subrepticement élargi ses plates-bandes et que d’autres
domaines soient englobés dans une logique sécuritaire.
En mai 1995, une émeute éclata à Molenbeek, commune de la Région Bruxelles-Capitale.
1996 - 1997 - 1998
Pas grand-chose de marquant pour 1996. Retenons, côté flamand, le changement de nom du
Vlaams Fond Integratie Kansarmen (1991) en Sociaal Impuls Fonds, utilisé pour le
développement local.
QUARTIERS D’INITIATIVES
Au cours des années qui suivirent les événements de Molenbeek en 1995, d’autres émeutes
produisirent. En septembre 1996, à Farciennes (Wallonie) ; en avril et novembre 1997 à
Clabecq (Wallonie) et à Anderlecht (Région Bruxelloise)...
Au cours des années qui suivirent les événements de Molenbeek en 1995, d’autres émeutes se
produisirent. En septembre 1996, à Farciennes (Wallonie) ; en avril et novembre 1997, à
Clabecq (Wallonie) et à Anderlecht (Région Bruxelloise)...
Suite aux événements d’Anderlecht, toujours dans le contexte de l’expérimentation et de la
généralisation des nouvelles politiques locales engagées dans les années 1990, la Région
Bruxelloise adopta, le 15 janvier 1998, le programme Quartiers d’initiative. L’objectif est
d’intensifier des actions classiques et de renforcer et compléter des dispositifs d’insertion
territorialisés existants, dans le domaine de ‘l’amélioration du cadre de vie’ et du ‘renforcement
de la cohésion sociale’69. La sécurité intervient, dans cette nouvelle politique, comme facteur
déterminant le choix des quartiers, au même titre que la composition de la population, le niveau
d’éducation, le taux de chômage, des déficiences du logement et des équipements collectifs,...
Au lendemain des évènements de Schaerbeek, SCHAUT écrivait : Si certains en profitent pour
demander des moyens supplémentaires aux Contrats de sécurité, d’autres y voient la manifestation
de l’échec des Contrats de sécurité, d’une erreur d’analyse de leurs promoteurs. On ne traite pas
la détresse des jeunes, leur absence d’avenir, leur rage, par des actions de sécurité policière ni par
une escouade de travailleurs sociaux. Il faut saisir cet événement, somme toute fort prévisible, pour
réinterpeller le politique dans ces différentes instances. Ce n’est certainement pas chose aisée
quand on voit comment, actuellement, chacune de ces instances se renvoie la balle. Cette interpellation
doit aussi se faire au niveau des travailleurs sociaux qui ne doivent pas lire ce qui s’est passé comme
une preuve de leur incompétence, mais comme une occasion de déplacer les responsabilités au plan
politique. Pour ce faire, le politique doit peut-être repenser l’articulation de l’action sociale avec
les champs de l’économie (l’emploi) et du politique (le droit de vote) et accepter de laisser
s’organiser un travail social et politique en dehors de lui-même et en ‘toute’ autonomie70.
L’appel aurait-il été entendu ?...
69 HAMZAOUI M., “Quartiers d’initiative : un ‘nouveau’ programme ciblé et territorialisé”, L’année sociale,
1998, p. 241.
70 SCHAUT Ch., “Les contrats de sécurité, l’aide à la jeunesse : une coexistence difficile ?”, in CARTUYVELS Y.,
MARY Ph., (Sld), L’État face à l’insécurité. Dérives politiques des années 90, Bruxelles, Labor, 1999, p. 98-99.
119
PLANS SOCIAUX INTÉGRÉS
Un même mouvement pouvait être observé dans la Région wallonne où, au fur et à mesure,
sous la pression de certaines associations chargées de mener les actions sociales et les élus
locaux, la politique initiale de la Région wallonne (les Programmes de lutte contre l’exclusion
et pour la sécurité) est revue, séparant davantage ce qui relève spécifiquement de la lutte
contre les infractions et la délinquance et les programmes plus sociaux, rassemblés dans les
‘Plans sociaux intégrés71.
1999
Même si les Régions wallonne et bruxelloise continuent à participer au financement des
Contrats de sécurité, les politiques récemment mises en place par ces Régions semblent se
distancier de la stricte question de la sécurité.
Il n’en est pas de même au niveau fédéral. Remarquons, entre autres, un avant-projet de loi
insérant la procédure de comparution immédiate dans le code d’instruction criminelle,
déposé par le ministre de la Justice, M. Verwilghen (ex-Président de la commission
parlementaire d’enquête sur les dysfonctionnements des polices et de la justice dans l’affaire
Dutroux), accélérant l’actuelle procédure. En suivant ce mouvement, on pourra bientôt
parler de “pré-condamnation”. Certains penseurs de la prévention ne promeuvent-ils pas
une prévention de plus en plus précoce de la criminalité ? Mais, en cela, nous n’inventons pas
grand-chose. D. Dugléry, directeur central de la sécurité publique en France, dans un entretien
avec l’IHESI, n’affirmait-il pas, déjà en 1997, que les mesures coercitives prises à l’égard des
mineurs, n’ont valeur de sanction que si la décision et l’exécution interviennent immédiatement.
[...] Le traitement en temps réel par les Parquets constitue également un facteur d’accélération
de la procédure72. Propos révélateur d’une logique de surveillance élargie à l’ensemble de la
jeunesse, il ajoutait un peu plus loin : Quant aux jeunes qui n’ont pas encore franchi un
certain nombre de caps dans le domaine de la délinquance, ils relèvent d’un traitement
préventif. Là, il faut que tous les partenaires se mobilisent : enseignants, éducateurs, policiers
etc..., pour les maintenir dans le cercle et faire en sorte qu’ils ne débordent pas [non dans une
optique d’émancipation ou d’éducation ou de socialisation,...]. C’est une action préventive très
forte qui est à mener, et cela dès le plus jeune âge. Quand certains enseignants sont capables
de dire, quels sont, parmi des enfants de six ou sept ans, ceux qui seront en échec scolaire et
sur la voie de la délinquance dix ans plus tard, il convient de se mobiliser dès lors que l’on
détecte ces prémices de l’échec futur73. On va jusqu’à parler de pré-délinquants74.[...]
Par ailleurs, les Contrats de sécurité et de société sont toujours présents. Des enquêtes de terrain
visant à une analyse fine des nouvelles politiques socio-pénales tendent à montrer que bon nombre
de pratiques et d’actes de surveillance et de contrôle posés au quotidien (contrôles d’identité,
tests d’urine, rétention d’informations au sein des forces de l’ordre et des Parquets) confirment
le déplacement du maintien de l’ordre public - qui, avant, passait surtout par la confrontation
directe, lors de manifestations - à un maintien ex ante de l’ordre public, par une infiltration
insidieuse et “banale” de la société civile. Dans cette optique, si la focalisation sur les incivilités
71 REA A., 1999, op. cit., p. 900.
72 IHESI, “L’adaptation des stratégies policières. Entretien avec D.DUGLERY, Directeur Central de la sécurité
publique”, Les Cahiers de la sécurité intérieure, Paris; IHESI, n°23, 1996, p. 119.
73 Ibidem, p. 120.
74 ROCHE S., “Les incivilités vues du côté des institutions : perceptions, traitements et enjeux”, Les Cahiers de
la sécurité intérieure, Paris; IHESI, 1996 ; n°23, p. 90.
120
et la délinquance quotidiennes permettent de gérer l’ordre dans l’espace public75, ici et
maintenant, elle semble permettre aussi, par un accroissement de la proximité et d’une
surveillance quotidienne, d’amasser et de systématiser de l’information pour accroître les
marges de certitude des autorités, informations susceptibles d’être mobilisées, en cas
d’éventuels débordements de violence urbaine76.
Parallèlement, les nouveaux métiers de prévention sociale (médiateurs,...) semblent plus
tendre vers une pacification des quartiers que vers la recréation de dynamiques constructives
de solidarité. Sans doute serait-il plus correct de parler de “prévention des conflits”, entendue
comme l’évitement des conflits, et de leur expression dans l’espace public - au sens que lui
donne Habermas.
Nous conclurons, avec MARY, que sans dimension sociale, le meilleur Etat de droit ne peut
que galvauder, voire fouler aux pieds, la liberté dont il se veut le protecteur ; bref, sans
politique de solidarité, il ne saurait y avoir de liberté77...
Nous retiendrons enfin que les années 1990 furent le théâtre de tensions et de jeux de pouvoirs,
de coopérations et de conflits, entre les niveaux de pouvoirs (fédéral, communautaires, régional
et communal) ; dans le champ du travail social entre les travailleurs liés à l’associatif ou aux
Communautés et les travailleurs des nouveaux dispositifs socio-surveillants ; ainsi que dans le
champ scientifique, entre des perspectives plus pragmatiques au conseil du prince et d’autres
plus critiques. Ces positionnements ont participé, en s’articulant aux événements, à la
construction d’une problématique de la “ violence urbaine ” en Belgique ; même si celle-ci
reste encore très éclatée et pour le moins nébuleuse.
75 HUBERT H.-O., LACROIX J., TANGE C., “Des incivilités aux incivilités. Du contrôle d’identité comme
technique de gestion de l’espace et des interactions et résistances sociales”, Revue de Droit Pénal et de
Criminologie, février 1999.
76 Voir, à ce sujet, les résultats, dans deux livres à paraître, de la recherche VAN CAMPENHOUDT L.,
CARTUYVELS T., DIGNEFFE Fr., KAMINSKI D., MARY Ph., REA A., POULET I., L’impact des nouvelles
politiques socio-pénales sur les relations sociales et le sentiment d’insécurité en milieu urbain,
FUSL-UCL-ULB-Synergie, 1995-2000.
77 MARY Ph., “Le travail d’intérêt général et la médiation pénale face à la crise de l’Etat social”, in
CARTUYVELS Y., MARY Ph., L’État face à l’insécurité. Dérives politiques des années 90, Bruxelles, Labor,
1999, p. 147.
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136
LISTE DES ABRÉVIATIONS
A. S. B. L. : Association sans but lucratif
B. I. S. : Bruxelles, Informations sociales
B. R. E. S. : Bruxelles économique et social
C. A. A. J. : Conseil d’Arrondissement de l’Aide à la jeunesse
C. E. S. : Centre d’études sociologiques
C. O. C. O. F. : Conseil Communautaire francophone
C. R. I. S. P. : Centre de recherches et d’informations socio-politiques
F. I. P. I. : Fonds d’Impulsion pour la Politique des Immigrés
F. N. D. P. : Facultés Notre Dame de la Paix (Namur)
F. U. S. L. : Facultés Universitaire St Louis (Bruxelles)
J. D. J. : Journal Droit des Jeunes
K. U. L. : Katholieke Universiteit van Leuven
P. G. R. : Police générale du Royaume
R. D. P. C. : Revue de droit pénal et de criminologie
R. U. G. : Rijksuniversiteit van Gent
S. P. P. P. : Secrétariat permanent à la politique de prévention
U. C. L. : Université Catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve)
U. L. B. : Université Libre de Bruxelles
U. Lg. : Université de Liège
V. U. B. : Vrije Universiteit Brussel
137
138
Troisième partie
139
140
Violences Urbaines
en Espagne
Bilan des connaissances
William GENIEYS
Chargée de recherche au CEPEL
141
SOMMAIRE
INTRODUCTION ........................................................................................................... 144
VIOLENCE(S) URBAINE(S) : ENTRE LE PLURIEL ET L’IMPARFAIT .... 145
LES LIMITES DU « MIMÉTISME » : LA VIOLENCE URBAINE N’EXISTE PAS ? ............................... 145
EFFET DE RETOUR : LA VIOLENCE URBAINE EST FORCÉMENT PLURIELLE ! ...................... 147
UN RAPPEL SOCIO-HISTORIQUE SUR LA VIOLENCE POLITIQUE
DANS LA SOCIÉTÉ ESPAGNOLE ............................................................................... 149
LES CONDITIONS DE L’ÉMERGENCE D’UNE FORME DIFFÉRENCIÉE DE VIOLENCE ...................... 149
LES SÉQUENCES HISTORIQUES DE LA VIOLENCE POLITIQUE ....................................................... 150
LES FORMES DE LA VIOLENCE POLITIQUE DANS
UNE CONFIGURATION DE CONSOLIDATION DÉMOCRATIQUE ........... 152
LE TERRORISME EN ESPAGNE : LA CONSTRUCTION DE LA PARTICULARITÉ BASQUE ................. 153
LE RETOUR DU REFOULÉ : LA VIOLENCE URBAINE DES « CABEZAS RAPADAS ».......................... 157
CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ................................................................................................ 160
142
143
INTRODUCTION
La réalisation de ce bilan de connaissances consiste à faire état de la bibliographie
sociologique, historique et politologique sur la question des violences urbaines en Espagne.
Ces phénomènes doivent être appréhendés autour de la série d’interrogations suivante : l’histoire
de la montée des violences urbaines et le sens qu’on lui donne en Espagne ; l’appréciation
qualitative et quantitative de ces phénomènes et la répartition géographique sur le territoire
espagnol ; une analyse critique de la production des statistiques policières, par exemple, les
réponses publiques organisées (police, justice, acteurs sociaux) : spécificité, ruptures, innovations
institutionnelles et, enfin, une évaluation critique des dispositifs mis en oeuvre. Selon les
termes du mandat, le bilan doit s’efforcer de synthétiser ces éléments, afin de dégager des
idées centrales sur différentes dimensions des phénomènes de violence urbaine depuis une
vingtaine d’années dans la péninsule ibérique1. Cependant, il me semble qu’au regard de ma
connaissance du terrain, un tel questionnement ne peut être mené à bien que si l’on intègre les
questions du changement de régimes et les dynamiques que cela induit sur le politique, mais
aussi dans les politiques2. En effet, une interrogation sur la violence urbaine au Pays Basque
espagnol ne peut aujourd’hui se comprendre sans prendre en compte l’héritage du passé, tant
du point de vue des pratiques mobilisées que des effets politico-sociaux recherchés. De même,
les réponses apportées à travers les dispositifs de prévention et de répression de ce type de
manifestation troublant l’ordre s’inscrivent dans la configuration particulière de la
consolidation des institutions politiques de la jeune démocratie espagnole.
1 Je me permet de rappeler que le présent travail n’a pu être réalisé sans l’aide de Silvia Planet et du centre de
documentation, le CEDOCPOL, de l’Ecole de Police de Catalogne, qui nous ont permis de récupérer les éléments
bibliographiques nécessaires à la réalisation de ce bilan de connaissances. Par ailleurs, nous avons réalisé, avec
Philippe Maffre, un entretien avec le directeur de l’Ecole de Police, qui nous a permis de saisir la spécificité de
l’Espagne dans les domaines de recherche, dont il est question ici (le 29/06/1999). Je remercie aussi
Marie-Claude Hérédia, la bibliothécaire du CEPEL pour ces relectures toujours précieuses.
2 W. Genieys, Les élites face à l’Etat. Changements de régimes politiques et dynamiques centre-périphéries,
Paris, L’Harmattan, 1997.
144
VIOLENCE(S) URBAINE(S) : ENTRE LE PLURIEL ET L’IMPARFAIT.
LES LIMITES DU « MIMÉTISME » : LA VIOLENCE URBAINE N’EXISTE PAS ?
Avant d’entrer plus précisément dans la discussion sur le fond de la problématique des
violences urbaines, il est nécessaire d’effectuer une précaution méthodologique, qui n’est pas
sans importance, pour bien comprendre la suite de notre réflexion. La notion de violences
urbaines n’a pas de sens pratique pour les chercheurs en sciences sociales espagnols, qui
s’interrogent plus généralement sur la violence politique (terrorisme, etc.). Partant de ce
constat, nous avons trouvé les balbutiements d’une réflexion sur la thématique de la violencia
urbana dans les revues professionnelles spécialisées, dont la dominante normative pose problème
lorsqu’on souhaite y poser un regard sociologique3. Précisons aussi que cette introduction dans
la littérature spécialisée est très récente4. Auparavant, la littérature de type professionnel
s’intéressant à l’aspect sécuritaire dans la société espagnole privilégiait une réflexion sur la
thématique de la delincuencia urbana (délinquance urbaine)5. Ce constat nous amène à nous
interroger sur les raisons récentes de l’introduction de la notion de violences urbaines dans ce
champ spécifique. Autrement dit, d’ou vient elle ? A quelle réalité sociale renvoie-t-elle ?
Dans quelle mesure est-elle ou bien n’est elle pas opératoire ? Une première intuition consiste
à avancer l’hypothèse selon laquelle le concept a été introduit dans le débat en Espagne au
terme de ce que l’on pourrait qualifier de phénomène d’importation. Il va de soi qu’aujourd’hui,
les acteurs espagnols intervenant dans les politiques relevant du secteur de la sécurité publique
sont en réseaux, au moins au niveau européen avec leurs homologues français, anglo-saxons,
italiens ou encore allemands. Partant de là, les thématiques discutées dans un pays se diffusent
plus ou moins rapidement chez ses voisins. L’entretien que nous avons réalisé avec le directeur
de l’Ecole de Police catalane répond partiellement à cette question : Elle [la violence urbaine] est
très peu développée en Espagne. C’est une problématique propre à la France, elle est introduite
un peu par mimétisme, car l’Espagne cherche souvent sa voie en s’inspirant alternativement (et
non exclusivement) des modèles français et / ou anglo-saxons. Je dois préciser que nous
n’avons pas le même problème de voitures brûlées dans les banlieues, comme en France. Nous
n’avons pas le même problème de minorité ethnique. Avec l’Amérique latine, le métissage est
évident [ ... ]6. On pourrait, bien entendu, discuter sur le fond certaines de ces affirmations, et
montrer, du moins, que ce phénomène est plus ou moins émergent, même si l’Espagne est en
train de découvrir avec, certes, un peu de retard les problèmes d’intégration liés à l’immigration7.
Dès lors, il convient de voir dans quels termes le débat sur la violence urbaine a été formalisé
très récemment en Espagne dans la littérature spécialisée.
3 On citera, par exemple, les revues suivantes : Estudios de Ciencia Policial ; Prevencio. Quadern d’estudis i
documentacio et, enfin, la dernière créée, où l’on trouve un effort de « scientificité » dans les contributions
proposées : Revista Catalana de Seguretat Publica. On peut déjà remarquer, à ce propos, que la Catalogne semble
être une communauté autonome particulièrement bien positionnée en Espagne dans ce domaine de réflexion. On
trouvera dans notre bibliographie exhaustive, en fin de document, les références recensées sur la question.
4 En fait, nous avons recensé deux publications qui font explicitement référence à la thématique de la violence
urbaine, A. Pérez Arévalo, « La prevencion general del delito y de la violencia urbana », Estudios de Ciencia
Policial, sept.-oct. 1996, pp. 41-74, A. Camara Arias, « Nuevos radicalismos violentos », Estudios de Ciencia
Policial, 1998, 43, pp. 57-68.
5 Cf. Repuesta a una encuesta de PREVENCIO, « Seis ayuntamientos opinan sobre la delincuencia urbana »,
PREVENCIO, 1991, 6, pp. 41-44.
6 Entretien avec A. Recanses y Brunet, directeur de l’Ecole de Police catalane en date du 29 / 06 / 1999.
7 On renvoie le lecteur au numéro thématique de la revue POLE SUD consacré aux « Enjeux migratoires en
Europe du Sud », Pôle Sud, 1999, 11.
145
Comme nous l’avons mentionné précédemment, nous avons découvert la notion dans
un article d’une revue spécialisée présenté sous la forme d’une discussion, qui faisait le point
sur la prévention générale du délit et de la violence urbaine en Espagne8. Le texte dont il est
question traite, de façon générale, des problèmes de prévention au regard des types de violence
rencontrés aujourd’hui dans la société espagnole en reconnaissant d’entrée de jeu : Si l’on sait
bien qu’il n’existe pas de prévention spéciale pour chaque type de délinquance, on se doit de
préciser quel type de délinquance doit faire l’objet d’un traitement spécial et l’auteur ajoute
dans la foulée : Ce n’est pas facile de construire de façon précise le concept de violence urbaine9
qui est avancé dans certains Etat de l’Union Européenne10. Par la suite, José Antonio Pérez
Arévalo s’essaye à dresser le contour d’une possible définition de la violence urbaine : La
violence urbaine réside dans tout acte de violence commis contre une personne ; les biens ou
les symboles des institutions, par un groupe généralement jeune, organisé ou non, commis sur
un territoire concret, dans une forme spontanée ou concertée. Dans son commentaire, l’auteur
remarque que certains préfèrent mettre en relation le terme de violence urbaine avec la typologie
délictuelle conceptualisée comme un synonyme de petit délit, où la dimension criminelle est
minorée au profit de la fréquence et de la répercussion sociale, créant ainsi chez le citoyen un
sentiment réel ou psychologique de peur généralisée ou de sensation d’insécurité collective.
L’auteur conclut ensuite que la typologie générique de petit délit a l’avantage d’être facile à
concrétiser dans une terminologie technique-juridique précise. Le texte, par la suite très
normatif, n’aborde plus la question. En revenant sur le contenu de cette définition, on observe
que la généralité à laquelle elle renvoie en parlant de tout acte de violence sur tous les objets
possibles (personne, biens, symboles) émanant de groupes de jeunes qui situent leur action sur
un territoire donné correspond, à bien des égards, à celle que l’on avance en France11. Mais
elle peut aussi servir à qualifier d’autre phénomènes de violence. L’exemple le plus singulier
est celui du Pays Basque, où l’on assiste au harcèlement des forces de sécurité par des groupes
de jeunes liés à l’E.T.A. (Borroka). Ce type de violence en milieu urbain n’a pas le même sens
que la violence urbaine à la française et surtout elle ne débouche pas sur le même type de
traitement en matière de politique (au sens de politics). En Espagne, le traitement social et politique
de cette forme de mobilisation, certes cantonnée au Pays Basque, s’est traduit par le développement
d’une problématisation générale sur la question de la violence politique. Ce type de pratique
est lié à l’évolution de la configuration politique et institutionnelle du régime politique
espagnol12. En outre, ce texte confirme notre hypothèse de la diffusion via les réseaux et
les interconnections actuelles entre les formes de violences dans les sociétés occidentales,
mais nous y voyons aussi ses limites, du moins au jour d’aujourd’hui, quand la société
historique13 dont il est question est confrontée à une réalité sociale légèrement différente.
8 J. A. Pérez Arevalo, « La prevencion general del delito y de la violencia urbana », Estudios de Ciencia Policial
1996, 38, pp. 41-50.
9 Les italiques sont de notre propre fait car, dans la version espagnole, ce sont les guillemets qui sont utilisés pour
souligner les problèmes de définition propres à ce concept importé.
10 Ibid., p. 45.
11 Voir les travaux généraux de Ch. Bachman, N. Le Guennec, Violences urbaines, Paris, Albin Michel, 1997 ;
M. Wieviorka, Violence en France, Paris, Seuil, 1999.
12 W. Genieys, « Les élites périphériques espagnoles face au changement de régime », Revue française de
science politique, 1996, XXXXVI, 4, pp. 650-680.
13 La terminologie est de Dominique Schnapper. Celle-ci propose d’inscrire la compréhension des conduites des
individus dans une analyse plus large et plus historique des sociétés. Dans notre étude particulière, cela reviendrait à dire
que la société espagnole ne connaît qu’un type violence urbaine dans la forme ou elle se développe en France aujourd’hui,
cf. D. Schnapper, La compréhension sociologique. Démarche de l’analyse typologique, Paris, PUF, 1999, p. 5.
146
Cela nous incite à affiner notre hypothèse de départ en interrogeant notre objet à deux
niveaux : le premier consiste a admettre que les conditions sociétales en Espagne renvoient
à une réalité sociologique radicalement différente de celle que connaît la France ; la seconde,
plus analytique, nous renvoie à une interrogation en retour sur les limites « à l’exportation »
d’un concept, comme celui de violence urbaine, comme singularité française.
EFFET DE RETOUR : LA VIOLENCE URBAINE EST FORCÉMENT PLURIELLE !
Avant de répondre plus précisément à ces questions, il convient de s’interroger sur la façon
dont la violence urbaine se définit en France. Il est clair qu’en France, la notion commence déjà
à être fortement ancrée dans la littérature professionnelle14, mais aussi chez certains
sociologues spécialisés dans ces questions. Il ressort que ce concept a été mobilisé, en
grande partie, pour qualifier la détérioration du climat social des grands ensembles urbains
français. La problématique du devenir de l’urbain et de la ville y est fortement liée. Toutefois, on
peut dire qu’aujourd’hui cette notion ne pas fait l’unanimité dans la communauté scientifique ;
certains y voient un simple effet de construction médiatique15, alors que d’autres insistent sur la
forme plurielle des violences urbaines. Dans une tentative de recherche de sens sur la violence
urbaine en France et aux U.S.A, Sophie Body-Gendrot dresse l’ébauche de ce qui est désigné par
ce concept16. La sociologue pose d’emblée les limites de son propos dans les termes suivants :
Parler de violence urbaine apparaît comme une tâche utopique, sinon impossible. On ne sait pas
comment définir la violence, sinon par la démonstration que l’on tente de mener, le terme est
polysémique et les outils soumis aux champs disciplinaires qui en bornent l’usage. Que
désigne-t-on par violence urbaine, objet de notre propos ? La stigmatisation de populations et
d’espaces dits dangereux dans la ville n’a-t-elle pas toujours existé ? Sommes-nous alors dans
la continuité historique ou dans la rupture ? Et si la seconde hypothèse est avérée, qu’y a-t-il
de véritablement nouveau dans les phénomènes de violence et de désordres urbains, tels qu’ils
se présentent aujourd’hui dans nos pays développés17 ? L’auteur souligne, d’une part, la polysémie
de la notion et, d’autre part, les usages socio-politiques ou encore disciplinaires qui peuvent en être
faits. Elle précise, ensuite, les limites de son propos sur l’opérationnalité limitée du concept de
violence urbaine : La violence est le produit d’une histoire et elle ne s’exprime pas de la même
manière d’un lieu à l’autre. Toute ville, tout quartier, en raison de son passé, de sa situation
économique, de sa démographie et d’autres dynamiques, requièrent un traitement spécifique.
En soulignant la pluralité des formes de violences en milieu urbain, l’auteur met l’accent sur
historicité du processus. Dans cette perspective, il va de soi qu’en Espagne, le poids de
l’histoire se traduit par la formation d’un type de violence politique à dominante terroriste, qui
empêche de rendre saillant (salient issues) d’autres pratiques de la violence. Par contre, en
France, la représentation de la violence urbaine se construit tout d’abord sur le paradoxe de
l’insécurité et sur le procès d’un urbanisme déshumanisé. Sur ce dernier point, une remarque
s’impose. L’urbanisation est au moins aussi « déshumanisée » de l’autre côté des Pyrénées et,
pourtant, ses effets ne semblent pas a priori être les mêmes en matière de violence.
14 La vision policière de la violence urbaine s’est développée à partir de l’observation empirique dans les
années 1990 de l’évolution de certaines « banlieues à risques ». Ainsi s’est dégagée, à partir de juin 1991, grâce
à une étude nationale sur 800 quartiers perçus localement comme « sensibles », une analyse des risques d’émeutes
à l’échelle de la violence urbaine. L’échelle « Bui Trong » doit permettre de mesurer l’intensité de cette violence,
cf. L. Bui Trong, « Les violences urbaines à l’échelle des renseignements généraux. Un état des lieux pour 1998 »,
Les Cahiers de la Sécurité intérieure, 1998, 33, pp. 215-224.
15 P. Champagne, « La construction médiatique des malaises sociaux », Actes de la recherche en sciences
sociales, 1991, 90, pp. 64-75.
16 S. Body-Gendrot, « Violence urbaine : recherche de sens (France et U.S.A) », Lignes, 1995, 25, pp. 70-86.
17 Ibid., p. 70.
147
En effet, la politique d’urbanisation est un modèle du genre aussi bien autour des grandes
villes, comme Madrid, Barcelone ou encore Bilbao, que sur le littoral. De ce point de vue là,
essayer d’expliquer ce phénomène à partir de l’isolement territorial et de l’urbanisation de la
ville nous paraît quelque peu limité car, dans ce cas de figure, l’Espagne devrait figurer en
bonne position dans le palmarès de la violence urbaine. Dès lors, la violence urbaine relève
t-elle plutôt d’une question sociale ou d’une question urbaine ?
Il est difficile de trancher le débat, tant dans la réalité empirique, le social et le spatial sont
inextricablement liés. D’autres auteurs interprètent les violences urbaines comme le résultat
d’une contrainte externe englobant tout de go, la crise économique, les phénomènes de
dérégulation ou encore la crise de l’Etat au niveau local18. Partant de ce constat global,
mais en interprétant de façon personnelle la violence des « banlieues » françaises, Sophie Body-Gendrot
propose une interprétation stimulante du phénomène, comme celle qui relève d’une culture de l’émeute
comme logique d’intimidation en prélude à toute négociation19. La sociologue insiste sur le fait
que dans les banlieues, la violence est un moyen rapide d’entrer dans les jeux politiques, de
s’imposer comme un acteur, d’adresser un message, d’influencer un système, qui tend à éliminer
les conflits et à imposer la loi et l’ordre. Les jeunes savent que les voitures brûlées, les rixes
avec la police attirent mieux l’attention sur eux que tous les rapports d’experts de la terre. Ils
veulent plus que des gymnases, des lycées professionnels ou des maisons de jeunes pour avoir
leur chance de s’intégrer dans la société20. L’auteur souligne le rôle des médias dans la
politisation du phénomène. Or, les autorités publiques sensibilisées au traitement médiatique
des conflits urbains promettent des procédures d’urgence, qui sont rarement mises en œuvre et
qui entretiennent, par voie de conséquence, les frustrations et les conditions de reproduction de
ce type de désordres. Dans cette perspective, le processus de politisation du problème des
banlieues via la violence urbaine relève d’un répertoire de mobilisation politique que l’on peut
retrouver en Espagne. Il convient, toutefois, de distinguer, dans le cas espagnol, ce qui relève de
la « délinquance urbaine » ( vols, trafic de stupéfiants, etc.), laquelle est traitée par des
politiques de prévention et de répression classiques, de ce qui relève de la violence
attribuée au terrorisme. Sur ce deuxième point, la différence semble porter tant sur la qualification
du problème que sur les modalités pratiques de son expression. En effet, la violence terroriste
est considérée a priori par l’Etat espagnol comme relevant d’un registre politique
(le séparatisme, l’indépendantisme, etc.) et les réponses qui y sont apportées sont avant tout
politiques (plus d’autonomie, statut et résidence des prisonniers politiques, etc.). Certains
sociologues espagnols montrent que cette violence est quasiment devenue une partie intégrante
de la culture politique au Pays Basque21. Il ressort, au total, que la notion de violence urbaine
est relativisée quelque peu en France. Son opérationnalité, sans être vraiment remise en cause,
est, cependant, suspendue aux critiques et aux précautions avancées par certains spécialistes.
18 Voir, à ce propos, l’étude de Jean-Paul Grémy sur les conditions de production de la violence urbaine dans
certains « quartiers sensibles » en France, J. P. Gremy, Les violences urbaines, Paris, IHESI, coll. « Etudes et
recherches », 1996.
19 Cette sociologue démontre dans certains de ses travaux que parmi les formes de violence urbaine, telle que la
recherche de bagarres par les délinquants “endurcis”, la conduite des individus asociaux, les dérapages des 8-12 ans,
les quêtes d’identité et de reconnaissance débouchant sur un durcissement des particularisme et pouvant donner lieu
à des conflits interethniques, la violence domestique et celle qu’exercent les toxicomanes sur les proches et leur quartier
traduisent bien souvent une forme de politisation de la violence à des fins instrumentales. Celle-ci visant alors à
mettre en scène des griefs et à construire une cause afin de contraindre les autorités à réagir, cf. S. Body-Gendrot,
“Violence urbaine : recherche de sens (France et U.S.A.)”, op. cit., p. 79.
20 Ibid., p. 80.
21 F. J. Llera, Les vascos y la politica, Bilbao, Universidad del Pais Basco, 1994.
148
Partant de là, son « importation » en Espagne est doublement problématique, car elle repose,
d’une part, sur une pluralité de situations locales, voire territorialisées, ayant souvent leurs propres
logiques et, d’autre part, sur le poids d’une histoire globale de la violence sociétale en milieu
urbain. De ce point de vue, l’Espagne, à l’instar de la France, a connu la violence urbaine de façon
précoce même si, aujourd’hui, le problème n’est plus posé en ces termes.
UN RAPPEL SOCIO-HISTORIQUE SUR LA VIOLENCE POLITIQUE
DANS LA SOCIÉTÉ ESPAGNOLE.
Un regard socio-historique rapide sur les formes de violences urbaines en Espagne nous
amène à poser, comme postulat, la pluralité territoriale de ce type de mobilisation. Rappelons,
au passage, que la violence dans sa forme la plus variée est très présente dans ce pays, qui l’a
connue successivement à travers les guerres carlistes (dominante rurale), le développement du
mouvement anarchiste (milieu urbain), la guerre civile (1936-39). La réponse politique à cette
singularité de la société espagnole est l’institutionnalisation quasi structurelle de régimes
autoritaires22. Dès lors, il est nécessaire de revenir, d’une part, sur les conditions socio-historiques
de la production de la violence politique en Espagne et, d’autre part, sur les modalités
d’institutionnalisation de la violence politique dans l’Espagne du XXème siècle.
LES CONDITIONS DE L’ÉMERGENCE D’UNE FORME DIFFÉRENCIÉE DE VIOLENCE.
Bien entendu, s’il ne s’agit pas de développer tous les aspects d’une contingence
historique permettant de comprendre pourquoi, aujourd’hui, une problématisation de la
violence urbaine en Espagne est quasiment inexistante. Dans une contribution intéressante, un
spécialiste espagnol, Julio Arostegui, revient sur les conditions de l’historicité de la violence
politique dans ce pays23. Il s’agit, pour l’auteur, de souligner les déterminants socio-politiques
les plus significatifs dans le processus de production d’une violence politique quasiment endémique.
Le premier trait le plus caractéristique de cette situation est que l’Espagne a connu, lors des
XIXème et XXème siècles, « trois guerres civiles d’identité » (tres guerras civiles de entitad)
— 1833, 1872, 1936 — et bon nombre de conflits armés localisés24. Le terrorisme est un
phénomène constant dans la vie politique espagnole moderne. Les phénomènes d’insurrection
armée (pronunciamento) et la répression qu’ils induisent sont courants. Pour la plupart des
observateurs, cette situation politique particulière s’explique par la difficulté à construire un
Etat doté d’une capacité d’action efficace, légitime et non répressive25. La gestion par l’Etat
de la modernisation de la société espagnole au XIXème siècle se traduit par la formation de conflits,
qui se pérennisent tant en milieu rural qu’en milieu urbain. L’anarchisme y trouve un substrat
social particulièrement propice. Le développement tardif de nationalismes périphériques ne
fait que renforcer ce phénomène. Tout se passe comme si, d’un côté, on assiste au développement
d’un Etat qui trouve dans l’autoritarisme un moyen politique pour s’institutionnaliser et, de
l’autre côté, une société civile qui trouve comme unique moyen d’expression la violence politique
dans ses formes les plus radicales. Cette pratique de la violence politique est une constante
22 W. Genieys, Les élites espagnoles face à l’Etat, op. cit.
23 L’auteur, en guise de préalable, rappelle que ce champ d’étude est peu couvert en Espagne et qu’il vient de faire
l’objet d’un développement récent lors de la transition démocratique. Toutefois, certains intellectuels espagnols,
comme Ortega y Gasset, ont consacré de nombreux écrits à la question, cf. J. Arostégui, « La especificacion de lo
generico : la violencia politica en perspectiva historica », SISTEMA, 1996, 132-133, pp. 9-40.
24 Ibid., p. 31.
25 Nous avons montré dans notre analyse du rôle des élites espagnoles dans la formation d’un Etat moderne que
l’armée s’impose comme le pilier d’un ordre politique en quête de légitimité, cf. W. Genieys, Les élites espagnoles
face à l’Etat, op. cit., pp. 87 et suiv.
149
contemporaine qu’il convient de mieux cerner, afin de comprendre pourquoi la violence
urbaine n’est pas considérée aujourd’hui en Espagne comme un phénomène social
émergeant et dominant par les pouvoirs publics et dans les sciences sociales.
LES SÉQUENCES HISTORIQUES DE LA VIOLENCE POLITIQUE.
Il convient, dès lors, de revenir sur les quatre grands cycles de développement de la
violence en Espagne au XXème siècle. Une approche à partir du prisme de l’analyse du
substrat social de la violence autorise le découpage suivant : le premier s’étend de la fin du
XIXème, les années quatre-vingt jusqu’à la grande crise de 1917 ; le second, de la fin de cette
crise à la fin de la guerre civile en 1936-1939 ; le troisième correspond à la séquence
historique du régime franquiste (1939-1975) ; et le dernier renvoie à la transition
démocratique et au développement de l’Espagne démocratique 26 .
— 1890-1917 : « la rébellion des classes subordonnées ».
De nombreux travaux ont montré que les origines de la violence politique en Espagne remontent
à la fin du XIXème siècle avec la rébellion des classes dominées. Dans cette perspective, la
violence collective se traduit par l’apparition, sur la scène historique espagnole, d’une contestation
explicite de l’ordre social instauré par le régime de la Restauration par les classes sociales les plus
pauvres. Cette forme de contestation s’inscrit aussi dans une forte opposition entre le rural et
l’urbain. La ville est perçue comme la seule bénéficiaire des avantages imputables au développement.
L’anarchisme rural en Andalousie est le premier fait marquant de la violence politique
espagnole27. Ce phénomène s’étend au milieu urbain en 1909 avec la « semaine tragique » à
Barcelone, où l’insurrection populaire, antimilitariste et anticléricale transforme la ville en champ
de bataille pendant six jours. On trouve ici les germes d’une nouvelle forme d’action collective,
où la violence politique se traduit par une action planifiée de la terreur en milieu urbain.
— 1918-1939 : « la répression des classes laborieuses ».
Le développement d’une violence politique portée par les classes sociales dominées va de pair
avec l’introduction de cycles de répression. Ainsi, l’intervention de l’armée dans le jeu politique
est quasiment institutionnalisée en tant que réponse à la violence politique. L’instauration de la
dictature du général Primo de Rivera et celle du général Franco relève, en grande partie, de cette
logique. Le point culminant de cette période est atteint sous la IIème République, où l’ordre politique
est confronté, d’une part, à la violence des conflits sociaux qui opposent les bourgeoisies aux
classes dominées et, d’autre part, au nationalismes périphériques catalan et basque, qui se
surajoutent (au sens de overlap). C’est sur ces multiples lignes de clivages que la violence politique
se développe. Le cycle rébellion-répression dégénère assez rapidement dans une forme dépassant
la violence politique : la guerre civile. Ainsi, la contestation continue via la violence politique de
l’ordre social libéral-oligarchique rend problématique l’instauration d’un régime politique pluraliste.
Dans ce contexte politique singulier, l’institutionnalisation du régime autoritaire franquiste
constitue une réponse partiale aux phénomènes de violence politique.
— 1939-1975 : « L’oppression et les nouvelles réponses violentes ».
Le régime de Franco affiche clairement dans son idéologie la volonté politique de mettre fin à
la violence politique endémique en Espagne. L’Etat franquiste s’appuie sur un système de
répression juridictionnalisée sans précédent dans l’histoire politique de ce pays.
26 J. Arostégui, « La especificacion de lo generico : la violencia politica en perspectiva historica », op. cit.,
pp. 34 à 39.
27 Il s’agit principalement du phénomène de la « main noire » (Mano Negra), qui se traduit par de nombreux
assassinats, dont on a du mal à identifier les exécutants, cf. R. Nuñez Florencio, El terrorismo anarquista
(1888-1909), Madrid, Siglo XXI, 1986.
150
Il est intéressant de noter que si ce régime connaît des évolutions du point de vue économique,
l’appareil répressif reste en l’état jusqu’en 1975. Cependant, dans les années soixante, un
nouveau type de violence politique voit le jour. Elle est portée alternativement par l’extrême
gauche et le nationalisme périphérique renaissant. En effet, si le régime franquiste arrive à mettre
définitivement fin à la guérilla rurale (guerrilla rural) antifranquiste héritée de la guerre civile,
il doit faire face dans les années soixante à un retour de la violence politique à travers une forme
nouvelle de terrorisme urbain28. Cette nouvelle forme d’action violente devient de fait l’unique
forme pratiquée lors de la période du tardiofranquismo. Ce phénomène du terrorisme lié au
nationalisme basque est personnalisé à travers l’action de l’E.T.A. (Euzkadi ta askatasuna). Ce
type de terrorisme urbain trouve sa source d’inspiration dans les modes d’action de l’extrême
gauche d’inspiration marxiste, tendance maoïste. C’est en réponse à ce type de violence que
le régime franquiste instaure en 1963 le Tribunal de l’Ordre Public29.
— 1975-1995 : « société démocratique et terrorisme »
Avec le changement de régime, on assiste progressivement à la disparition du terrorisme urbain
lié à l’extrême gauche, alors que celui qui est lié à la mouvance nationaliste s’affirme. En effet,
les mouvements d’extrême gauche, comme le FRAP (Frente Revolucionario Antifascista y
Patriota) et le GRAPO (Grupos Revolucionarios Antifascistas Primo de Octubre), voient leur
objectif, la chute du régime franquiste, quasiment atteint avec l’ouverture du processus de
transition à la démocratie30. De plus, leur pratique du terrorisme urbain risquerait d’avoir pour
effet pervers de remettre en question la logique même du changement en favorisant un retour
de l’armée sur la scène politique. Ainsi, la lutte contre la répression fasciste cesse d’elle-même.
Il en va différemment pour le Pays Basque, où l’ETA se lance dans une surenchère en matière
de demande politique : autonomie versus indépendance. Dans cette perspective, la violence
politique s’affirme essentiellement contre l’Etat espagnol. Elle se rapproche, à bien des égards,
des formes de mobilisation politique que l’on retrouve dans certains pays qui connaissent des
processus de modernisation politique particuliers31. Toutefois, il est nécessaire d’insister sur le
fait que la période dite de « transition à la démocratie » (1975-1982) se caractérise par une
euphémisation momentanée du recours à la violence politique. En effet, la plupart des travaux
de recherche sur ce type de situation politique montrent que des pratiques, comme la négociation
officielle, mais surtout officieuse, prennent le pas sur toutes les formes de violence. De ce
point de vue, l’analyse du cas espagnol montre qu’à l’exception notoire de la situation au Pays
Basque, cette tendance est observable dans la réalité sociale.
Il ressort de cette mise en perspective socio-historique de la violence politique dans la
société espagnole un certain nombre de points permettant d’éclairer notre questionnement sur
la problématique de la violence urbaine. Tout d’abord, on peut souligner que la violence
politique en milieu urbain s’est développée de façon précoce, mais que les réponses qui lui ont
été apportées au XXèmesiècle dépassent largement le cadre de la mise en œuvre de simple politiques
publiques, comme ce fut le cas dans certaines démocraties européennes (Grande-Bretagne ou encore
France). En effet, c’est l’institutionnalisation de régimes politiques autoritaires, c’est-à-dire un
mode d’exercice du pouvoir, où dominent la coercition et la répression, qui en résulte.
28 Julio Arostegui insiste particulièrement sur l’apparition de cette nouvelle forme de violence politique, le terrorisme
urbain, qui, aujourd’hui, est encore structurante pour comprendre l’approche générale de la violence en Espagne, cf.
J. Arostégui, « La especificacion de lo generico : la violencia politica en perspectiva historica », op. cit., p. 38.
29 M. Ballbé, Orden publico y militarismo en la España constitutional (1812-1983), Madrid, Alianza, 1983.
30 F. Reinares, « Democratizacion y terrorismo en el caso español », in J. F. Tezanos, R. Cotarelo, A. de Blas,
eds., La transicion democratica española, Madrid, Sistema ed., 1989, pp. 611-644.
31 D. E. Apter, Pour l’Etat, contre l’Etat, Paris, Economica, 1988.
151
Par ailleurs, la violence politique s’inscrit dans une logique de différentiation territoriale que le
terrorisme de l’ETA ne fait que confirmer. De ce point de vue, il est essentiel de comprendre
que si le terrorisme urbain constitue une manifestation singulière de la renaissance des
nationalismes périphériques en Espagne, il n’en demeure pas moins une réalité fortement
ancrée dans le devenir politique du territoire basque. Bien sur, s’il arrive que des activistes
basques développent leurs pratiques sur l’ensemble du territoire espagnol (attentats, prise
d’otage, assassinats, etc.), entraînant la mise en place de dispositifs de répression particuliers,
c’est essentiellement sur le territoire historique du Pays Basque que le terrorisme urbain est
implanté. En effet, en Catalogne, en Galice et, a fortiori, en Extrémadure, pour ne citer que ces
communautés autonomes, le terrorisme urbain n’est pas ancré dans une réalité sociale objective.
Ceci n’est pas sans effet quant à l’émergence de dispositifs de gestion de la violence (préventifs
ou répressifs). On assiste alors au développement d’un mode dual de gestion avec, d’un côté,
l’Etat affirmant son rôle en matière de contrainte au niveau central, mais aussi l’émergence
d’outils spécifiques au niveau des communautés autonomes. Le développement au Pays Basque
de l’Ertzantza, police anti-émeutes, en est l’exemple le plus significatif. Enfin, le dernier
élément qui nous paraît important relève de la fin de la « trêve », imposée par la période de
transition en matière violence urbaine, portée par les mouvements politiques d’extrême gauche.
Il semble qu’aujourd’hui, certaines formes de néo-fascisme voient le jour dans certains grands
ensembles urbains. Ce phénomène est doublement problématique, car il renvoie, d’une part, à
une réalité socio-politique refoulée de l’extrême droite espagnole et, d’autre part, il traduit une
monté de la xénophobie et du racisme pas toujours très bien assumée dans ce pays.
LES FORMES DE LA VIOLENCE POLITIQUE
DANS UNE CONFIGURATION DE CONSOLIDATION DÉMOCRATIQUE.
Il existe, aujourd’hui, en Espagne plusieurs formes de violence en milieu urbain. Ainsi,
on peut distinguer certaines formes singulières, comme celle du terrorisme au Pays Basque et
celle développée par les bandes néo-fascistes de skinheads (cabezas rapadas) dans les banlieues
de Madrid ou Barcelone, à une forme plus routinière de la délinquance urbaine liée aux petits
délits (vols de voiture, trafics de drogue, etc.). Il convient, dès lors, dans une perspective
analytique, d’opposer la richesse des travaux sociologiques que l’on trouve sur la question des
formes singulières de la violence en milieu urbain à la faiblesse, voire l’inexistance, de ceux
qui traitent de la délinquance urbaine. En effet, les premiers relèvent d’un domaine, où les
controverses propres aux sciences sociales trouvent un terrain d’expression privilégié, alors
que les secondes se limitent à l’analyse des statistiques policières. Il convient de préciser que
la question de la délinquance urbaine est peu abordée par les spécialistes espagnols des
sciences sociales. Domingo Comas Arnau attire notre attention la dessus en précisant qu’il
n’existe pas, à l’heure actuelle, de définition sociologique du problème32. Pour ce chercheur,
cette carence s’explique, en partie, par des circonstances particulières et significatives. La plus
importante est qu’il existe de très importantes données statistiques sur les délinquants et les
présumés délinquants utilisées à des fins de contrôle social par l’appareil judiciaire.
Cependant, si ces données empiriques sont utilisées à des fins politiques, elle ne permettent
pas de jeter les bases d’une sociologie de la délinquance, en tant que processus social particulier.
32 L’auteur montre que, du point de vue de la recherche sociologique, il existe très peu de recherches empiriques sur
ce thème et que la majorité de la réflexion doit s’effectuer à partir d’une carence manifeste de culture sociologique
sur la délinquance en Espagne, cf. D. Comas Arnau, « Delincuencia e inseguridad ciudadana », in S. Giner, ed.,
España. Sociedad y politica, Madrid, Espasa-Calpe, 1990, pp. 611-632.
152
L’analyse de l’émergence de nouvelles formes de délits, des caractéristiques réelles du délit, de
ses conséquences, etc. n’a connu qu’un très faible développement, lors de la transition vers la
démocratie. Il existe donc un décalage frappant pour l’observateur étranger entre la faiblesse
de ce qui relève de la délimitation sociologique de ce phénomène social (encuestas de victimizacion)
et les très nombreuses données offertes par les statistiques judiciaires (estadisticas judiciales)33. Ces
données statistiques posent un réel problème pour l’analyse, car la façon dont elles sont
construites ne permet pas de jeter les bases de l’enquête, selon les règles de la méthode
sociologique. En effet, l’approche est « minimaliste » et « nominative ». Le délinquant est
« saisi » par la statistique quand il entre en contact avec l’appareil judiciaire et / ou quand
il est celui à qui on impute un délit. Cette perception est inscrite dans une vieille tradition
historique, propre à l’Espagne, que les différents régimes autoritaires n’ont pas manqué de
renforcer. Ce n’est que depuis le début des années quatre-vingt-dix que l’on peut observer
quelques changements progressifs en la matière. Les sciences sociales ont attiré l’attention
sur le fait qu’il fallait prendre en compte la caractérisation de l’incidence sociale du délit.
En s’intéressant plus au sens donné à la délinquance, le champ de la réflexion s’est élargi
aux délits contre les personnes et contre la propriété. Si c’est dans ce cadre là que la question
de la délinquance en milieu urbain commence à se poser, il existe, néanmoins, d’autres
domaines de recherche, où la réflexion est beaucoup plus développée.
LE TERRORISME EN ESPAGNE : LA CONSTRUCTION DE LA PARTICULARITÉ BASQUE.
Il est nécessaire de souligner, en guise d’introduction à ce développement, que les
travaux sur la question du terrorisme en Espagne à travers le prisme des rapports violence et
politique sont de bonne qualité34. Dans le cadre de ces débats, de nombreux chercheurs étrangers,
notamment anglo-saxons, sont mobilisés35. La problématique du terrorisme en milieu urbain,
en tant que forme de violence politique, est déclinée sous tous ses aspects. Le premier point
sur lequel il semble nécessaire de s’arrêter plus longuement est celui de la territorialisation
des pratiques terroristes au Pays Basque.
Dans le numéro thématique de la revue Sistema consacré au thème « violence et politique »,
la contribution de l’anthropologue de l’Université de Chicago, David D. Laitin, apporte une réponse
convaincante36. L’auteur construit sa réflexion autour du questionnement suivant : Pourquoi
certains mouvements nationalistes reposent sur des stratégies pacifiques alors que d’autres
reposent sur la violence physique? Après avoir passé en revue toute la littérature
macrosociologique sur le nationalisme (Gellner, Deutsh, Bendix, Hobsbawn, Anderson,
Smith, etc. ), David Laitin propose sa propre lecture à partir d’une analyse comparée des
différentes formulations de la violence nationaliste dans les sociétés modernes. A cette fin,
l’auteur présuppose un certain nombre de variables indépendantes, comme le capitalisme, les
interruptions du processus de modernisation, le post-colonialisme, la pauvreté, la privation relative
et le statut d’infériorité qui, au terme d’une application empirique, doivent produire des variables
dépendantes. Son étude empirique de la violence politique en Catalogne et au Pays Basque
pose, comme variable indépendante, le haut niveau de violence au sein du mouvement basque
et le faible niveau de violence des Catalans. L’auteur affiche aussi comme ambition d’intégrer
la théorie des jeux à son analyse comparée. Tout d’abord, David Laitin rappelle les aléas du
processus de construction étatique dans les régions basques et catalanes au XIXème siècle.
33 Ibid., p. 614.
34 Les sociologues espagnols les plus représentatifs de ce champ d’investigation sont Julio Arostegui et
Fernando Reinares, cf. notre bibliographie en fin de document.
35 A notre avis, le numéro spécial « Violencia y politica » de la revue de sciences sociales Sistema en constitue
un modèle du genre, cf. Sistema, 1996, 132-133, 304 p.
36 D. D. Laitin, « Resurgimientos nacionalistas y violencia », Sistema, 1996, 132-133, pp. 193-230.
153
Rappelant les principaux apports de la sociologie historique sur la question, il reproche à
certains auteurs (Linz, Diez Medrano) de privilégier des explications a posteriori, qui laissent
de côté la variable indépendante (le rôle des groupes sociaux dominants dans le mouvement
nationaliste) et la variable dépendante (le degré de violence comme stratégie finalisée par l’imposition
de leurs revendications politiques). Il réfute ainsi la capacité du courant macro-historique à expliquer
les différents niveaux de violence dans les mouvements nationalistes37. Pour Laitin, la démarche
analytique la plus pertinente pour répondre à cette question est celle de l’anthropologie.
Celle-ci permet d’appréhender la production et la reproduction culturelle et symbolique de la
violence qui caractérise le Pays Basque. Une telle perspective permet de montrer qu’à la fin
du régime franquiste, il existe au Pays Basque une « cause sociale », qui unit le Pays Basque
rural à l’ETA, alors qu’en Catalogne se construit progressivement un « répertoire culturel »,
fondé sur la « rébellion héroïque ». Ce qui montre que le recours potentiel à la violence
politique existe de façon égale en Catalogne et au Pays Basque. Partant de ce constat novateur,
David Laitin avance trois variables explicatives permettant de comprendre l’inclination ou non
des mouvements nationalistes vers la violence politique.
— a/ les mouvements violents s’appuient sur « une structure rurale dense ». Pour l’auteur, la
pratique de la violence repose sur des acteurs, qui proviennent d’une strate sociale où la
violence « est un répertoire culturel habituel ». L’action de guérilla nationaliste se développe
plus aisément dans les sociétés rurales riches en groupes sociaux de référence.
— b/ pour expliquer la capacité attractive de la violence, l’auteur avance l’hypothèse, selon
laquelle il s’agit d’un phénomène de jeux inclinés (Th. Schelling). Ce détour par la théorie du
jeu lui permet d’analyser la dynamique du recrutement pour cause nationale. Pour interpréter
le mécanisme d’inclination, il faut suivre la transformation du répertoire de langage des leaders
nationalistes, car ce sont les leaders qui optent ou non pour la tactique de la violence38.
— c/ Laitin montre qu’il existe des mécanismes de maintien des conditions rendant potentielle
la violence (ex : un succès aléatoire, la valeur des petites victoires retentissantes, la tyrannie des
coûts implicites et la culture de la violence)39.
L’application de ce modèle issu de la théorie des jeux permet de repenser « le renouveau
nationaliste » basque et catalan. Le processus de différenciation de deux formes de régionalisme
peut s’analyser autour de trois dimensions essentielles :
— « Le rôle de la structure sociale » :
Pratiquement toutes les interprétations anthropologiques montrent que la société basque se
singularise par la présence de nombreux petits groupes sociaux à base rurale.
37 David Laitin souligne aussi les limites des enquêtes d’opinion dans l’explication des formes de nationalismes. Tout
en soulignant l’utilité de cette méthode pour éliminer les théories qui ont bonne réputation pour expliquer les différences
entre les répertoires stratégiques basque et catalan, il en souligne l’ambiguïté, dans la mesure où l’analyse des
attitudes et des valeurs constitue plus une réponse à des faits qu’une explication de ceux-ci, ibid., p. 198.
38 Dans cette perspective, il faut donc restituer le calcul politique qui permet de réaliser l’inversion d’un répertoire
établi dans l’idiome dominant de la nation dans un répertoire constitué autour de la langue régionale. Celle-ci se
fonde sur : a/ la compensation économique pour apprendre la langue régionale ; b/ le statut acquis et perdu dans la
société régionale d’apprendre ou non la langue régionale ; c/ les changements qui surviennent entre a et b et qui
sont basés sur le pourcentage de citoyens de la région convertis (inversion) à la langue régionale comme idiome de
la future « nation », ibid., p. 199.
39 Pour que celle-ci se maintienne, trois conditions doivent être réunies : 1/ que la population régionale
perçoive la victoire tactique ; 2/ que les coûts d’abandonner l’action terroriste soient élevés ; 3/ que la
culture de la violence s’institutionnalise, ibid., p. 200.
154
Chaque village a son club de montagne (mendigoitzale), au sein duquel circule l’intrigue politique.
Par ailleurs, les jeunes se structurent en bandes (6 à 10 membres), porteuses de « répertoires
d’activité ». Si, dans sa première formulation, l’ETA se compose d’intellectuels urbains et
d’universitaires, l’ouverture à l’action terroriste correspond au processus d’intégration de
groupes structurés, issus de la jeunesse basque. Lors de la transition, l’ETA se voit dépassée
par le PNV, qui négocie avec l’État central. C’est le début du processus de marginalisation de la
mouvance politique Herri Batasuna de l’ETA, qui se traduit par la radicalisation des masses qui
la soutiennent. Il en va différemment de la Catalogne, où c’est l’importance des relations
existantes entre les groupes sociaux à base économique qui compte (les syndicats). De plus,
l’organisation de la lutte contre le franquisme a permis une institutionnalisation clandestine
de l’opposition au sein des syndicats et de l’Église. Ces organisations deviennent, lors de la
transition, les piliers sur lesquels se constituent le jeu démocratique et la revendication
nationaliste. Par ailleurs, la reconversion du caciquisme local catalan au sein de partis,
comme la CiU, empêche la formation de groupes sociaux locaux susceptibles de recourir à la violence
politique. L’évidence anthropologique montre que les conditions sociales pour la formation d’une
structure de type commando pratiquant le terrorisme urbain est improbable en Catalogne.
— « Le phénomène d’inclination » :
La sociologie historique a identifié comme hégémonique l’élite nationaliste catalane et comme
divisée l’élite nationaliste basque40. Toutefois, quels sont les mécanismes qui transforment la
division des élites en violence et l’unité des élites en négociation ? La théorie des jeux inclinés
apporte un début d’explication. Si, au Pays Basque, les nationalistes radicaux de la première
époque ont gagné un certain crédit auprès de la population locale sur la question de l’abertzale
(perspective de libération nationale), il n’en demeure pas moins que la majorité des Basques
trouvent un coût trop élevé à la rupture des amarres avec le reste de l’Espagne. Par ailleurs,
l’investissement dans l’apprentissage de la langue basque s’avère problématique, alors qu’en
Catalogne la maîtrise de l’idiome régional s’impose comme légitime pour les différentes
strates de la société. Dès lors, les Basques radicaux s’enferment dans une situation difficile
pour essayer « d’incliner » leur région vers une culture essentiellement basque. C’est dans ce
contexte que se développe le recours à la violence.
— « Les mécanismes de maintien du recours potentiel à la violence politique » :
Créée depuis 1959, l’ETA, se pose comme une organisation d’opposition au régime autoritaire
plus efficace que le PNV. Bénéficiant de la dynamique de la « spirale action-répression-action »
imposée par Franco, l’utilisation de la violence s’impose progressivement comme un mode
d’expression politique légitime face à la répression de l’État.
En concluant son travail, David Laitin admet que les cultures de la violence ne sont pas
immuables et qu’elles ne constituent pas non plus le monopole d’un groupe social donné41. En
effet, les Catalans, qui ont été de violents anarchistes au début du XXème siècle, sont devenus
les régionalistes pacifiques de cette fin de siècle.
40 En effet, à la différence du Pays Basque, la Catalogne a un gouvernement en exil, qui fonctionne sous la
présidence de Tarradellas, et qui devient un symbole pour beaucoup de Catalans. Cette dimension s’accroît lors
de la transition avec les négociations directes qui s’établissent avec le président de la Généralité de retour d’exil
et Adolfo Suarez. Pour les régionalistes basques, les divisions apparues sous la IIème République se trouvent
exacerbées par la lutte politique entre HB et le PNV lors du changement de régime, ibid., p. 201.
41 D. D. Laitin, « Resurgimientos nacionalistas y violencia », op. cit., pp. 229-230.
155
Par contre, au Pays Basque, la combinaison entre une certaine forme d’organisation sociale et
le succès aléatoire de « certaines tactiques politiques » (enlèvement, guérilla urbaine) peut
entraîner la genèse d’un style de vie, au sein duquel les terroristes passent pour des héros, alors
que les citoyens sont immunisés contre la violence. Ainsi, l’apport de cet « anthropologue-rationalisateur »,
à travers son attrait pour la théorie des jeux, paraît être de première importance pour l’interprétation de
ce type de phénomène. Bien entendu, il serait aisé de critiquer certains points de son hypothèse,
comme la réification culturaliste ou encore les limites de la logique de rationalisation des choix.
On s’économisera ce détour pour souligner plutôt la dimension la plus stimulante de son travail. Du point de vue analytique, celle-ci réside dans la dualité de son « outillage théorique »,
qui lui permet de neutraliser les effets du culturalisme et du choix rationnel. D’un point de vue
pratique, son travail explique de façon originale la différentiation territoriale de la violence
terroriste liée au nationalisme. Enfin, on peut s’interroger sur la question de savoir si ce type
de démarche ne mériterait pas d’être développée en France pour mieux cerner les particularités
des violences urbaines.
Le choix de présenter aussi longuement la recherche de D. Laitin nous conduit à réduire
la présentation des travaux de sciences sociales sur la violence et le terrorisme en Espagne. Les
deux termes sont extrêmement liés. La violence politique constitue, quelque part, le cadre
théorique qui fait l’objet de débats et de controverses théoriques42. La violence ou, du moins,
ses effets politiques sont devenus des phénomènes que l’on mesure, surtout au Pays Basque,
par des enquêtes d’opinion publique43. D’autres chercheurs insistent sur le fait que la violence
au Pays Basque est devenue un phénomène quasiment ritualisé, où tout se passe comme une
véritable « mise en scène ritualisée », lorsque les jeunes Basques s’opposent aux forces de
police44. Dans cette perspective, la jeunesse basque semble faire l’objet d’une attention
particulière, car elle constitue tout à la fois le creuset humain où les acteurs de la violence
politique sont recrutés et un groupe social qui en subit directement les conséquences45. Les
travaux sur le terrorisme complètent ce champ d’investigation en insistant sur le fait que cette
pratique constitue, en quelque sorte, la forme la plus aboutie de la violence politique en
Espagne. La définition avancée par Fernando Reinares est explicite de ce point de vue :
Le terrorisme peut se définir, dans une perspective sociologique, comme une forme d’action
collective caractérisée par le recours systématique et exclusif à la violence armée,
potentielle ou effective, imputable à des organisations clandestines à dimension réduite,
dont l’intention est d’affecter le système politique, au niveau national ou international46.
Les spécialistes de la question soulignent que le terrorisme originel, qui se développe lors du
tardio franquismo, s’est profondément modifié. En effet, en même temps que l’on passait d’un
terrorisme contre le régime politique franquiste à un terrorisme contre la forme actuelle de
l’Etat, on est passé d’un terrorisme pluriel (substrat social et territorial) au terrorisme moniste
des Basques. Avec la consolidation de la démocratie, on assiste à la mise en place d’une véritable
politique antiterroriste autour de la constitution de corps de police spéciaux. A cette fin, sont créés :
le commandement unique pour la lutte anti-terroriste (MULC) ; le groupe spécial des opérations
(GEO), au sein de la police nationale, et les unités anti-terroristes rurales (UAR), au sein de la garde
civile47. De même, les compétences de la police autonome, la ertzanta, se trouve renforcées.
42 Si, dans leur grande majorité, les travaux mobilisés soulignent l’hétérogénéité des formes historiques et sociologiques
de la violence en Espagne, ils s’accordent aussi sur le fait qu’elle constitue un phénomène politique particulier,
cf. J. Arostegui, ed., Violencia y politica en España, Madrid, Marcial Pons, 1994.
43 Le politologue Francisco J. Llera, dans son ouvrage sur les Basques et la politique, consacre un chapitre à cette
question. Il montre comment l’opinion publique s’impose progressivement comme un acteur entre la politique et
les rituels collectifs propres à la violence terroriste, cf. F. J. Llera, Les vascos y la politica, op. cit., p. 97.
44 J. Zulaika, Violencia vasca. Metafora y sacramento, Madrid, Nerea, 1988.
45 J. Elzo, « Manifestaciones de la violencia en Euskadi », HARLAX, 1996, 16-17, pp. 197-209.
46 F. Reinares, « Socioénesis y evolucion del terrorismo en España », op. cit., p. 353.
47 Ibid., p. 389.
156
Par ailleurs, des dispositifs de réinsertion sociale des terroristes qui laissent les armes sont
mis en place. Les succès de cette politique durant la dernière décennie sont assez probants, même
si ETA militaire continue son action en alternant les périodes de trève et de lutte. Toutefois, le
registre du terrorisme politique semble s’être modifié au Pays Basque durant cette période avec
la systématisation du recours à la violence de rue (kale borroka), entendue comme pratique
alternative à l’affaiblissement de la politique de lutte armée de l’ETA48. Enfin, de récentes
enquêtes socio-démographiques sur le profil social des nouveaux intégrants de l’ETA montrent
que les adolescents qui l’intègrent sont issus de l’immigration interne au Pays Basque49. Pour
certains sociologues, ce déplacement traduit une banalisation de l’Etat, qui, aujourd’hui, serait
porteuse d’une violence anomique ou urbaine qui est observable dans les majeures parties des
pays européens sous des traits idéologiques différents50. Ainsi, cette nouvelle forme de
radicalisme se rapprocherait du développement de mouvements totalitaires néonazis, que
l’on rencontre à l’heure actuelle en Europe occidentale.
LE RETOUR DU REFOULÉ : LA VIOLENCE URBAINE DES CABEZAS RAPADAS.
Comme nous l’avons déjà précisé, la période de transition à la démocratie constitue un
moment particulier de l’histoire de la société espagnole, où le politique s’est évertué à donner
une image respectable de l’Espagne, que l’héritage franquiste pouvait brouiller. Cependant,
depuis la fin des années quatre-vingt, autour des groupes de supporters de football des
grands clubs madrilènes et barcelonais (les ultras) s’est développé un substrat social, à
partir duquel s’est construite la violence en milieu urbain51. Si, dans un premier temps, la
violence se manifeste à l’occasion de confrontations sportives entre ces différents clubs,
elle s’étend rapidement à une lutte plus générale contre les étrangers. La xénophobie et les
actes de violence raciste qui y sont liés apparaissent de façon émergente avec l’assassinat,
dans la banlieue de Madrid en 1992, de la jeune dominicaine Lucrecia Pérez
(Sud-Américaine). Comme le souligne justement, à ce propos, Hubert Peres, la violence
propagée par les cabezas rapadas est, dans un premier temps, assimilée à celle qui affecte
l’Europe développée en général et prouve même, en quelque sorte, l’européanisation de
l’Espagne52. Il est nécessaire de souligner, ici, le décalage entre le développement concret
d’une violence urbaine à l’encontre des immigrés et sa reconnaissance en tant que terrain
d’investigation sociologique légitime. En effet, reconnaître socialement l’existence et les pratiques
des groupuscules propageant une idéologie d’extrême droite ramène symboliquement à la
surface à la fois le syndrome d’une Espagne refoulée, contre laquelle l’Espagne démocratique
s’édifie [...], alors que, plus que d’autres, en raison de son passé, elle devrait y échapper »53.
48 La stratégie de la kale borroka obéit à deux logiques complémentaires : la première vise à introduire dans la
société basque un potentiel de déstabilisation à partir d’actions insurrectionnelles et crée un sentiment
d’instabilité politique et d’affrontement social ouvert, la seconde a pour objectif de compenser l’affaiblissement
des bandes armées dans certaines provinces, cf. J. de la Morena Bustillo, « El fenomeno terrorista y su incidencia
en España », Estudios de Ciencia Policial, 1998, 43, p. 48.
49 L’étude montre que les territoires telle que les provinces rurales de Guipuzcoa et Viscaya, historiquement
creusets de l’ETA, déclinent au profit de la Navarre. Il souligne aussi l’urbanisation et la métropolisation du
recrutement des jeunes militants, cf. F. Reinares Nestares, « Rasgos sociodemograficos de los integrantes de
ETA », Estudios de Ciencia Policial, 1998, 43, pp. 103-116.
50 Ibid., p. 116.
51 T. Adan Revilla, Ultras y Skinheads : Imagenes, estilos y conflictos de las subculturas juveniles en España,
Madrid, Nobel ed., 1996.
52 Ce politologue souligne le fait que la presse essaye de présenter ce phénomène comme le résultat d’une part maudite
de l’européanisation car il est insupportable qu’elle renvoie l’Espagne aux démons de son histoire, cf. H. Peres,
« L’Europe commence à Gibraltar. Le dilemme espagnol face à l’immigration », Pôle Sud, 1999, 11, p. 12.
53 Ibid., p. 12.
157
Toutefois, les dispositifs policiers qui ont été mis en place pour contenir cette forme de
violence urbaine dans l’enceinte même des stades de football et alentours, la recherche
commence à aborder frontalement cette question. Ainsi, il ressort des premières analyses
sociologiques portant sur les groupes de skinheads une typologie des nouveaux radicalismes
violents (nuevos radicalismos violentos) : les traditionalistes (catholiques intégristes
proches du mouvement du « 18 juillet »), les Phalangistes (héritiers du mouvement franquiste),
les nationalistes et les néo-nazis national révolutionnaire54. Ces groupes reprennent à leur
compte la thématique de l’unité de l’Espagne, la défense de la souveraineté nationale et la
question de l’immigration. Par ailleurs, c’est au sein des grandes métropoles que ces groupes
de “jeunes”, organisés selon le mode de la tribu urbaine, pratiquent la violence. Celle-ci est
essentiellement orientée à l’encontre des Maghrébins, notamment Marocains. A travers leurs
exactions xénophobes et racistes, ces néo-fascistes cherchent à capter l’attention des médias.
On retrouve, ici, un des objectifs des groupes sociaux porteurs de violences urbaines en
France. Dans une même perspective, on peut noter que la mise en place progressive d’une
police de proximité en Espagne est perçue comme un moyen de prévention et aussi une réponse
au développement de cette forme de violence en milieu urbain55.
54 A. Camaras Arias, « Nuevos radicalismos violentos », Estudios de Ciencia Policial, 1998, 43, pp. 57-68.
55 Ph. Maffre, Appareil policier et police de proximité. L’exemple de l’Espagne, Paris, IHESI (rapport), 1999.
158
CONCLUSION
En bref, il convient de rappeler que la problématique de la violence urbaine à la
française commence à apparaître dans la « littérature policière ». Toutefois, encore moins
qu’en France, elle n’a fait l’objet d’un travail de définition sociologique conséquent.
Néanmoins, la transformation actuelle des formes de violence politique traditionnelle à
l’Espagne, comme le terrorisme basque ou encore l’apparition récente du phénomène des
cabezas rapadas, tend à montrer les indices d’un processus d’européanisation des pratiques et
des modalités d’expression de la violence en milieu urbain. En effet, qu’il s’agisse des jeunes
Basques pratiquant la kale borroka ou encore les bandes de skinheads intentant des actions
xénophobes, c’est essentiellement en milieu urbain et principalement dans les métropoles
comme Bilbao, Barcelone ou encore Madrid, que se développe le phénomène. Afin de mieux
saisir ces phénomènes complexes, bien souvent à la frontière de la lutte sociale et politique, il
paraît aujourd’hui nécessaire de mobiliser tous les outils des sciences sociales. Ici, et peut être
bien plus qu’ailleurs, les analyses de science politique, mais aussi l’anthropologie, doivent se
compléter, afin que les politiques qui sont formulées par les pouvoirs publics en la matière
soient plus opérationnelles. Enfin, un réel effort en matière d’analyse comparée de ce type de
phénomène doit être envisagé dans une optique européenne. Dans cette perspective, la
différentiation territoriale des phénomènes de violence en Espagne et les modes de gestion
qu’elle impose peuvent être sources d’enseignements pour les pouvoirs publics français, qui
refusent la réalité sociologique plurielle de la violence urbaine. De même, il semble que le
traitement par l’élargissement des formes de la citoyenneté politique pose aussi des
problèmes de nature inversée en France et en Espagne. En effet, la violence urbaine qui
se développe actuellement en Espagne est portée par des groupuscules d’extrême droite,
parfois relayés par des populations locales, contre les communautés issues de l’immigration
maghrébine, alors qu’en France, c’est bien souvent dans ces populations en mal d’intégration
sociale et politique que le phénomène se développe.
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Documents pareils