une reinterpretation sociale et spatiale d`un - CRH
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une reinterpretation sociale et spatiale d`un - CRH
Le colloque international Patrimoine et Horizons Les nouvelles méthodes de connaissance, de compréhension et de conservation du patrimoine Tunis, 5,6 et 7 novembre 2014. UNE REINTERPRETATION SOCIALE ET SPATIALE D’UN PATRIMOINE MILLENAIRE: LE NOUVEAU KSAR TAFILELT DANS LA VALLEE M’ZAB. Nora GUELIANE LAHROUCHE Architecte, doctorante à l’EHESS. Centre de Recherches Historiques (CRH/ CNRS), équipe LaDéHis. Mob: 00213557339543. Email : [email protected] Résumé : Le nouveau ksar Tafilelt est construit avec une volonté de réinterpréter, partager et transmettre les valeurs patrimoniales du M’Zab. Sa particularité réside dans l’esprit communautaire qui l’a motivé. Ce qui nous amène à nous interroger sur la solidarité mozabite, son rôle dans la production du cadre bâti ainsi que sur la reproduction et la transmission du patrimoine de la vallée. Il s’agit d’étudier Tafilelt, son contexte d’apparition; ses acteurs et les particularités qu’il présente. Mots clé : M’Zab, solidarité, patrimoine, nouveau ksar, Tafilelt. Introduction. La vallée du M'Zab est situé à 600 km au sud d’Alger, elle s'est peuplée dans des conditions particulières, d’une part à cause d’un climat désertique et de l’autre elle a constitué un refuge pour un groupe minoritaire : les mozabites ; des Berbères Zénètes adoptant l’école ibadite de l’islam. La vallée est connue pour ses ksour classés patrimoine mondial ainsi que pour la cohésion de ses habitants. Le communautarisme a joué un rôle primordial dans la survie du groupe et l’édification de ses cités mais aussi dans la création des nouveaux ksour. Ces nouvelles extensions ont été entreprises à partir des années 1990 afin de résoudre des problèmes en matière de logements mais aussi avec une volonté de réinterpréter, de partager et de transmettre le patrimoine bâti de la région. La particularité de cette entreprise réside dans l’esprit communautaire qui l’a motivé et qui continue de l’animer dans tous ses aspects pratiques. C’est ce constat qui nous a conduits à nous interroger sur les pratiques de la solidarité mozabite, l’effet qu’exerce celle-ci sur la reproduction et la transmission des valeurs patrimoniales. Nous nous attacherons donc à étudier comment les pratiques de solidarité ont conduit à la mise en valeur du patrimoine mozabite. Pour notre démonstration, nous procèderons, dans le cadre d’une étude comparative, à une étude de cas détaillée. L’ancien et le nouveau; étude comparative : Béni Isguen et Tafilelt. Tafilelt a été initiée en 1997 par la fondation Amidoul. C’est un prolongement du ksar historique de Béni Isguen. L’objectif était de réaliser des logements à des prix accessibles aux habitants de la classe moyenne de Béni Isguen, de préserver l’écosystème ksourien fragilisé par les nouvelles extensions ainsi que la transmission et le partage du patrimoine bâti mozabite. En outre, il visait la réhabilitation de valeurs ancestrales comme l’entraide et la solidarité. Il a été inauguré en 2004 avec 718 logements et achevé en 2011 avec 1050 logements sur un site de 25 hectares. A part la fonction résidentielle, le ksar est équipé d’une bibliothèque, d’une salle de prière, d’une madrasa, d’un centre culturel, d’une salle de sport, d’une salle des fêtes, de bureaux et d’un parc écologique en cours de réalisation. L’aspect urbain. Le ksar1 historique est caractérisé par la « symbiose de son urbanisme avec le cadre environnemental »2, il est une sorte de « module reproductible à plusieurs exemplaires sur courte distance »3. Chaque module est autonome, limité, organisé en trilogie; ksar (bâti), palmeraie (verdure) et l’oued (l’eau).4 Le ksar est situé sur un piton ou une croupe dominant la vallée, répondant ainsi à un intérêt défensif mais qui permet également la préservation des ressources hydriques, des sols fertiles et protège la cité du risque d’inondation. La surface du Ksar est délimitée par un rempart pourvu de portes et de tours de guet, un dispositif défensif et « symbole de fermeture idéologique de la cité »5. Le ksar est un groupement radioconcentrique, ayant une morphologie compacte conçue dans un esprit d'économie de foncier et d’intégration climatique et sociale. Il est doté d’une centralité mythique concrétisée par la mosquée, qui structure et oriente le bâti mais également la communauté. La mosquée est construite sur le point le plus haut du piton, dont la domination est renforcée par un minaret de forme pyramidale. Les circulations se font par un réseau de rues, ruelles et impasses, régies par une hiérarchisation spatiale. Ces ruelles sont étroites, généralement couvertes afin de se protéger du soleil. La hiérarchie spatiale est doublée par une hiérarchie fonctionnelle : les fonctions publiques sont rejetées dans l’espace profane situé à la périphérie comme c’est le cas du souk (place du marché). Quant au centre ; l’espace noble, il est réservé à la mosquée et à l’activité résidentielle. Tafilelt ne présente pas la même morphologie urbaine que celle de Béni Isguen. Il est organisé en un tracé orthogonal régulier, sans centralité (mosquée), ni palmeraie, la trilogie (bâti, verdure, eau) se voit donc rompue. On constate également un changement au niveau du parcellaire. Les voies sont plus larges6, ces changements sont dus à la mécanisation du ksar. 1 Un village saharien fortifié, il est interprété par le mot arabe quasar/palais ou par le mot berbère agsir/ une pente de montagne donnant accès à des habitations. Les mozabites utilisent aussi le mot ayrem/ayermen pour désigner ces ensembles. 2 Marc Côte, « une ville remplit sa vallée: Ghardaïa », Méditerranée, Tome 99, 3-4-2002. Le Sahara, cette « autre Méditerranée », pp.107-110, p.107. 3 Ibid. 4 Ibid. 5 Catherine et Pierre Donnadieu, Didillon Henriette et Jean Marc, Habiter le désert, les maisons mozabites, Bruxelles, Éd. Mardaga, 1977, p.44. 6 Les voies principales sont de 9.50m, les voies secondaires de 5.80 m et les voies tertiaires de 3.80 m. On constate également l’apparition de nouveaux espaces : le parc écologique, le zoo, le musée, salle de sport et les espaces de loisirs. Malgré ces différences, la ressemblance se constate dans le développement en « multiplication des noyaux »7 et le choix du site d’implantation; un monticule rocheux d’aucune valeur agricole, exprimant ainsi le souci de préservation de la palmeraie. En revanche, si le choix du site correspond à la typologie traditionnelle, ce dernier a subi de grands travaux de terrassements. Tafilelt reprend également le principe de limitation du développement du ksar, afin d’avoir un milieu gérable; de préserver l’écosystème ksourien et s’assurer de la bonne cohabitation entre les habitants. En revanche, malgré l’adoption de ce principe il n y’a aucun obstacle réel à l’extension urbaine du ksar, à part le rempart et la ceinture verte. Nous avons d’ailleurs pu constater la progression du nombre de logements à Tafilelt de 360 logements au début du projet à 1050 logements à sa fin. La question qui se pose désormais, est la possibilité de voir Tafilelt s’étendre et rompre ainsi avec un des principes de l’urbanisme ksourien. La rationalité dans l’utilisation de l’espace reste, comme dans l’ancien ksar, un des principes fondamentaux de Tafilelt, les maisons sont accolées l’une à l’autre en occupant la totalité de la parcelle, ce qui donne un tissu compact. Le ksar reprend également les éléments de base de la typologie traditionnelle : les gabarits, le prospect, la hiérarchie des espaces, l’intégration visuelle du projet dans son site naturel. Les éléments symboliques de l’ancien ksar ont été utilisés mais en leur affectant un nouvel usage, à l’image de la tour de guet utilisé comme siège de l’association Amidoul8. L’aspect architectural. L’architecture de Béni Isguen est caractérisée par la simplicité, la sobriété et l’intégration au contexte culturel, économique et naturel de la région. Ainsi que par une unité architecturale, marquée par des formes organiques aux lignes pures et une harmonie de couleurs et de textures. Deux facteurs ont influencé l'organisation spatiale de la maison traditionnelle, le premier, étant socioreligieux, dicte les pratiques menées et les espaces qui leurs sont appropriés. Le deuxième est d'ordre technique, il s'agit des matériaux et des techniques employés dans la construction. C. Bousquet définit deux variables influentes quant à la pratique de l’espace du domicile mozabite, le sexe et la saison9. La maison mozabite est réservée sur elle-même, close par des façades aveugles « c'est au ciel que la ville s'ouvre, et à l'intérieur que les façades s'exposent »10. Elle est également marquée par la sobriété et la limitation au strict minimum soit en espace ou en façades. Le principe d’organisation est le même pour toutes les maisons du ksar, avec des variations de plans suivant les besoins du ménage et le site d’implantation. L'entrée est marquée par une porte massive en bois de palmier, un seuil et une skifa (entrée en chicane) garantissant ainsi l'intimité des occupants, même quand la porte est ouverte11. L’entrée, donne accès à un espace 7 Nassima Dris, Patrimoine et développement durable ressources-enjeux-lien social, Rennes, Éd. PUR, 2012, p.163. Association à but non lucratif, elle se présente comme une coopérative immobilière à caractère social. 9 Christian Bousquet, « l'habitat mozabite au m'zab », Editions du CNRS, Annuaire de l'Afrique du Nord, Tome XYV.1986, p.263. 10 Brahim Benyoucef, le M'Zab espace et société, Alger, Éd. IBD, 1992, p.128. 11 Catherine et Pierre Donnadieu, Didillon Henriette et Jean Marc, Habiter le désert, op.cit., p.75. 8 central polyvalent amas n’teddart (patio) dans lequel se déroule une grande partie de la vie quotidienne. Une ouverture dans le plafond couverte par un chebeq (grille) assure aération et éclairage de cet espace. Le patio est entouré de pièces servant d'espace de travail pour les femmes; coin de cuisson, écurie et le tisefri (salon de femmes). Le rez-de-chaussée devient en cas d'absence de cave l'espace de séjour le plus frais durant l'été. Au premier étage sont aménagés chambres et réserve, ces pièces sont opaques vers l'extérieur et s'ouvrent sur une galerie appelée ikomar et une partie découverte tigharghart (cour du haut). L’étage dispose d’escaliers menant vers la terrasse, celle-ci est réservée uniquement aux femmes, elle est utilisée pour dormir durant l’été, pour cela elle est entourée d’un haut acrotère. Enfin, une pièce bien meublée d’un accès indépendant est réservée aux hommes, elle leur est aménagée soit au rez-de-chaussée duaira ou à l’étage laali. Une maison ne doit jamais surplomber une autre ou l'ombrer, de ce fait la hauteur ne dépasse guère 8m. Il est proscrit d'afficher sa richesse à travers les matériaux ou le traitement de la façade de sa maison. En revanche, la richesse se déploie à l'intérieur des demeures. Les matériaux de construction utilisés sont issus du site, ce qui leur confère deux caractéristiques. D'un côté « ils assurent l'intégration de la forme bâtie à son site par le biais de l'harmonie chromique »12. Ce qui implique une concordance générale entre le bâtiment et le paysage général. D’un autre côté, cela garanti une concordance entre le climat du lieu et « les propriétés thermo-physique » 13 du matériau. Les mozabites utilisent principalement la pierre, la timchent, la chaux et le bois. Les cellules à Tafilelt reproduisent l’organisation spatiale traditionnelle. La maison est organisée en R+1 avec une terrasse accessible, la hauteur ne dépasse pas celle recommandée par le code mozabite. L’entrée est marquée par une skifa qui donne un accès direct au salon d’homme, elle renvoie également au patio marqué par un chebeq percé dans le plafond, mais qui ne semble pas être efficace. Tisefri a été également reproduite, elle est ouverte sur le patio et la cuisine. Au niveau de l’étage, ikoumar et tigherghert sont remplacés par des chambres avec une occupation totale de l’étage. La terrasse garde la même fonction, celle-ci est équipée d’une buanderie. La cour a été introduite afin d’assurer éclairage et aération, en revanche, si on admet l’hypothèse que la maison traditionnelle mozabite est issue du modèle méditerranéen occidental. Celle-ci avait un patio qui fut couvert au M’Zab afin de diminuer l'intensité des rayons solaires.14 Donc une cour à ciel ouvert était jugée par les anciens mozabites comme inadaptée aux conditions climatiques de la région. Ce constat, nous pousse à nous interroger sur l’efficacité des cours à Tafilelt et leurs effets sur le confort thermique des maisons. Trois variantes de cellules ont été proposées; des F3 d’une surface de 60m², des F4 d’une surface de 90m² et des F5 d’une surface de 130m². Les façades sont harmonieuses, unies, caractérisées par des textures et des couleurs intégrées au site. La maison à Tafilelt reste introvertie malgré les ouvertures plus grandes et plus nombreuses, celles-ci sont protégées par 12 Marc Côte, la ville et le désert le bas-Sahara algérien, Paris, Éd. Karthala, 2005, p.193. Ibid. 14 André Ravereau, le M'Zab une leçon d'architecture, Arles, Éd. Actes Sud-Sindbad, 2003, p.97. 13 des moucharabiés. La forme de la maison est régulière, avec un haut niveau de finition et de détail, contrairement aux formes organiques sans un vrai souci de finition des maisons traditionnelles. Pour le système constructif et les matériaux de construction utilisés, on enregistre l’emploi d’un système mixte, murs porteurs en pierres avec des chaînages en béton armé. Parpaings et briques de terre cuite ont été utilisés dans la réalisation des cloisons ainsi que la chaux, le plâtre et le ciment. L’utilisation de matériaux comme le béton, la brique et le parpaing nous pousse à nous interroger sur les effets que ceux-ci peuvent avoir sur l’intégration climatique des maisons de Tafilelt. Le ksar une œuvre collective. Les conditions naturelles et historiques du M’zab « imposaient aux hommes l’observation de la solidarité pour la survie »15. Nous avons, pour le moment, identifié trois facteurs définissant la pratique de la solidarité au M’zab. Le premier étant l’appartenance à l’ibadisme « comprise comme un sentiment de dépendance mutuelle inéluctable qui implique des obligations de solidarité est d’entraide, et une commune responsabilité morale quant à la sauvegarde de la collectivité et au maintien de l’éthique coranique »16. Cette forme de solidarité est matérialisée par la halaqa des azzabas (le conseil des dignitaires religieux). Le deuxième facteur est l’appartenance à une communauté ethnique, cette solidarité est mise en œuvre par le conseil des notables et les achairs. Dans les conditions ordinaires les gens sont animés d’une loyauté plus locale de nature communautaire. Mais lors des circonstances particulières d’intérêts communs ou de conflit, cette solidarité devient plus globale. Le dernier facteur est celui d’une solidarité liée au droit à la ville; « si la nécessité d’intégrer un groupe ou une famille hôte se justifie, par rapport aux besoins de la cité et à ses capacités d’accueil, le groupe est d’abord intégré aux familles pour pouvoir jouir de la propriété familiale et du droit de cité »17. Ce processus de naturalisation a permis l’intégration d’une main d’œuvre spécialisée et la création d’une solidarité économique. Ce qui nous conduit à envisager que la solidarité mozabite est plus qu’un sentiment religieux ou clanique mais qu’elle s’élève au rang d’une solidarité sociale encadrée et sanctionnée par des institutions. A propos du rapport entre la solidarité et l’acte de bâtir, le ksar est dans sa totalité un produit collectif. C’est ainsi qu’il est difficile de savoir le prix d’une maison « car tout le ksar est bâti sur la base des actes de bienfaisance »18. La propriété foncière est d’un caractère familial et social19, les matériaux de construction sont extraits du site et les travailleurs sont les habitants, eux-mêmes, organisés dans le cadre de touiza; improprement traduit en français par le mot corvée, elle est « une forme de coopération où un groupe social se charge à construire une habitation pour une personne dans une situation de nécessité. Ce groupe se crée et se structure chaque fois que le besoin se fait sentir »20. 15 Baelhadj Merghoub, Le développement politique en Algérie, Paris, Éd. A. Colin, 1972, p.36. Nadir Marouf, identité-communauté, Paris, Ed. Le Harmattan, 1995, p. 156. 17 http://brbenyoucef.blogspot.com 18 Mohamed Addad, Toufik Mazouz, « Les anciens et nouveaux ksour: étude comparative. Cas du M’zab », Courrier du Savoir –N°16, octobre 2013, pp.77-87, p.81. 19 Ibid. 20 Mohamed Adad, entraide et participation dans l'habitat cas de Biskra et du M'Zab, Algérie, Éd. Bahaeddine. 2012, p.109. 16 Chaque achira occupe un quartier déterminé, la famille se projette ainsi dans l’espace et en devient « l’ordonnatrice »21. La maison est conçue sur des principes communs, ainsi l’organisation spatiale reste la même pour toutes les maisons du ksar. De même pour les façades, qui font partie du domaine public, elles ne doivent en aucun cas afficher le rang social ou le niveau économique de leurs propriétaires, répondant ainsi à un prétexte d'égalité et de solidarité. Pendant longtemps des amendes pécuniaires infligées par les azzabas au bénéfice de la collectivité, frappaient les contrevenants. C’est ce genre de sanctions qui rendent extrêmement tangibles et efficaces les règles de solidarité. En outre, l’idée des nouveaux ksour, renvoie en elle-même à un profond sentiment de solidarité. D’un côté envers les classes moyennes en mettant à leur disposition des logements adaptés à leurs situations financières, de l’autre, à une solidarité entre les générations exprimée par la volonté de transmettre, de partager et d’assurer la continuité de l’héritage mozabite. Quand l’idée de Tafilelt est née, elle fut exposée aux habitants de Béni Isguen. Un comité social composé de notables de la ville a été créé. Il eut pour mission la sélection des bénéficiaires22 en collaboration avec la fondation et les différentes achairs. Le comité joue aussi le rôle de médiateur entre les habitants et les gestionnaires du projet. Il encourage également les jeunes à honorer leurs engagements financiers. Enfin, il est un garant auprès des préteurs et favorise l’échange social entre les concernés et leurs proches plus aisés. Après l’établissement de la liste des bénéficiaires, la fondation entame les procédures administratives, le permis de construire puis la réalisation des travaux. Une fois sur le site, la conception est adaptée aux contraintes réelles. C’est sur le terrain que le choix des matériaux et du système constructif sont faits. Apres la réalisation d’une première tranche de 50 logements, le promoteur a lancé une compagne d’évaluation, d’avis et de critiques. Les résultats ont permis d’effectuer des améliorations sur le projet. Durant le chantier la fondation a mis en place une école pour l’enseignement des techniques de constructions car la plupart des ouvriers ne maitrisaient pas les anciennes techniques. Une expérience très intéressante puisqu’elle permet d’assurer la transmission et la valorisation du savoir-faire Mozabite. Pour démarrer le projet, la fondation a eu recours à des prêts ; de la part de bienfaiteurs, le temps de recevoir l’aide étatique et une partie de la contribution de la population. Ainsi, les acteurs principaux étaient les bénéficiaires et l’Etat23, les achairs et des bienfaiteurs anonymes ont également pris en charge quelques bénéficiaires peu solvables. Une petite partie du projet a également été réalisée dans le cadre de touiza, celle-ci concerne la construction des parties communes: Al bordj, le rempart, le boisement, l’aménagement des espaces extérieurs. Quand le besoin s’en fait sentir, la fondation Amidoul suggère l’organisation d’une touiza. Elle fixe les modalités des travaux et prépare le matériel, elle contacte ensuite les bénéficiaires. Ce type d’opération se déroule généralement en fin de semaine. La touiza ne s’est pas arrêter avec la réalisation du projet mais elle continue avec la gestion du ksar; le nettoyage, le boisement et les travaux d’intérêt général. 21 Ibid. Le bénéficiaire doit répondre à une liste de conditions: être marié, ne pas avoir de propriétés en son nom et n’avoir reçu aucune aide financière pour le logement. 23 Un quart du budget était attribué par la Caisse Nationale du Logement. 22 Avec l’achèvement de la construction d’une tranche, une opération de distribution est programmée. Le rendez-vous est fixé dans une maison d’achira à Béni Isguen en présence des habitants, des représentants des institutions traditionnelles ainsi que ceux des autorités locales. La cérémonie commence par une lecture de versets de Coran, des interventions de la part des responsables puis un tirage au sort. Jusque-là aucun problème n’est survenu lors de l’opération de distribution, confirme un de nos interlocuteurs. Ainsi les échanges des maisons entre bénéficiaires restent possibles à condition que cela se fasse de façon réglementaire. Une fois le ksar occupé, une charte est mise en application. Elle est un contrat établie entre l’habitant et la fondation, inspirée du code d’urbanisme traditionnel de Béni Isguen ( فقه )العمران. Elle contient des recommandations concernant les règles du vivre ensemble, le respect du voisinage et des indications à propos de la maison occupée24. La charte signale également que chaque personne est dans l’obligation de planter au moins un palmier, un arabe d’ornementation et un arbre fruitier. Ainsi, dans chaque ilot du ksar et à tour de rôle, une famille prend en charge la propreté du quartier. Conclusion. Les problèmes que connaît la vallée sur le plan urbain, architectural et environnemental ont remis au premier plan le savoir-faire traditionnel qui a réussi à produire un urbanisme fonctionnel, rigoureux et respectueux de la donnée locale. Ainsi était le point de départ des nouveaux ksour; une nouvelle approche de l’occupation de l’espace mobilisant les principes du patrimoine bâti et les valeurs sociales mozabites. Sur le plan urbain et architectural, Tafilelt adopte une démarche de multiplication de noyaux ayant pour objectif la préservation de l’écosystème ksourien et la création d’un espace limité et gérable. Il opte également pour la valorisation de l’héritage bâti mozabite dans le choix du site, des gabarits, des couleurs, des façades ainsi que dans l’organisation spatiale des maisons. En outre, le ksar dispose d’équipements nécessaires afin d’assurer une vie décente à ses habitants. En revanche, les interrogations se pressent concernant les limites de la reproduction des éléments traditionnels; les concepteurs de Tafilelt ont-ils imité intégralement l’architecture traditionnelle ? Quelle est l’empreinte de l’architecte mozabite dans ce projet ? Est-ce que ceux-ci ne se sont pas focalisés sur la reproduction des formes au détriment de questions plus fondamentales comme le génie climatique de l’habitat ksourienne ? Sur le plan social, Tafilelt bénéficie d’une sorte de légitimité grâce à l’implication des institutions traditionnelles dans les différentes étapes du projet. Cette implication permet de transférer les valeurs sociales vers le nouveau ksar et d’éviter le déracinement de la population assurant ainsi la cohésion du groupe. En outre, Tafilelt s’est basé sur une démarche participative par l’implication des habitants dans la création de leur espace de vie. Et cela aux différentes étapes du projet: soit directement lors de la conception et lors des touiza, soit indirectement par l’intermédiaire des achairs et des associations. Cela a créé un climat de cohésion entre les habitants. En revanche, la mixité sociale reste un objectif loin d’atteinte. Ce 24 Le bénéficiaire est autorisé d’intervenir sur l’espace intérieur de sa maison, en revanche, toutes les modifications pouvant altérer à l’aspect architectural de la maison sont interdites.(L’ajout des ouvertures, les extensions verticales, changement de peinture, installation de grillages, une climatisation apparente, parabole…etc.). constat impose un ensemble d’interrogations concernant les raisons de l’absence d’une mixité sociale dans le ksar et est-ce que cela peut réduire, Tafilelt à une sorte d’enclave territoriale ? Comme tous les projets à caractère social, Tafilelt a dû faire face à de nombreuses contraintes, notamment d’ordre budgétaire. Ces dernières ont conduit à un montage financier impliquant plusieurs acteurs; l’Etat, les bénéficiaires et les acteurs des touiza. Mais l’inertie du système administratif a également entravé ce projet. Reste enfin des difficultés liées au manque de la main d’œuvre qualifiée et aux fluctuations considérables des prix des matériaux de construction. Enfin, les nouveaux ksour sont le choix de la communauté mozabite, ils témoignent incontestablement à la fois d’un haut niveau d’organisation et d’une très forte cohésion sociale, ainsi ils sont considérés comme un prolongement des anciennes cités, conçu dans un souci de valorisation, de partage et de transmission d’un héritage milliaire. Bibliographie. Addad Mohamed, entraide et participation dans l'habitat cas de Biskra et du M'Zab, Algérie, Éd. Bahaeddine. 2012. Addad Mohamed, Mazouz Toufik, « Les anciens et nouveaux ksour: étude comparative. Cas du M’zab », Courrier du Savoir –N°16, octobre 2013, pp.77-87. Baelhadj Merghoub, Le développement politique en Algérie, Paris, Éd. A. Colin, 1972. Barbas Maria Gravari, Habiter le patrimoine, enjeux - approche -vécu. Rennes, Éd. Presse universitaire de Rennes, 2005. Benyoucef Brahim, le M'Zab espace et société, Alger, Éd. IBD, 1992. Boumaza Nadir, relations interethniques dans l’habitat et dans la ville, agir contre la discrimination, promouvoir les cultures résidentielles, Paris; Budapest; Torino, Le Harmattan, 2003. Bousquet Christian, « l'habitat mozabite au m'zab », Editions du CNRS, Annuaire de l'Afrique du Nord, Tome XYV.1986. Chirifi Brahim, sous la direction de Pierre Philippe Rey, études d’anthropologie historique et culturelle sur le M’Zab, thèse de doctorat, Paris 8, 2003. Côte, Marc « une ville remplit sa vallée: Ghardaïa », Méditerranée, Tome 99, 3-42002. Le Sahara, cette « autre Méditerranée », pp.107-110. Côte Marc, la ville et le désert le bas-Sahara algérien, Paris, Éd. Karthala, 2005. Donnadieu Catherine et Pierre, Didillon Henriette et Jean Marc, Habiter le désert, les maisons mozabites, Bruxelles, Éd. Mardaga, 1977. Dris Nassima, Patrimoine et développement durable ressources-enjeux-lien social, Rennes, Éd. PUR, 2012. DONNADIEU Catherine et Pierre, DIDILLON Henriette et Jean Marc, Habiter le désert, les maisons mozabites, Bruxelles, Éd. P. Mardaga, 1986. Marouf Nadir, identité-communauté, Paris, Ed. Le Harmattan, 1995. Mourad Marcel, les kanouns du M’Zab, Alger, Ed. Adolphe Jourdan, 1903. Ravereau André, le M'Zab une leçon d'architecture, Arles, Éd. Actes Sud-Sindbad, 2003.