une reinterpretation sociale et spatiale d`un - CRH

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une reinterpretation sociale et spatiale d`un - CRH
Le colloque international Patrimoine et Horizons
Les nouvelles méthodes de connaissance, de compréhension et de conservation
du patrimoine
Tunis, 5,6 et 7 novembre 2014.
UNE REINTERPRETATION SOCIALE ET SPATIALE D’UN PATRIMOINE
MILLENAIRE: LE NOUVEAU KSAR TAFILELT DANS LA VALLEE M’ZAB.
Nora GUELIANE LAHROUCHE
Architecte, doctorante à l’EHESS.
Centre de Recherches Historiques (CRH/ CNRS), équipe LaDéHis.
Mob: 00213557339543. Email : [email protected]
Résumé :
Le nouveau ksar Tafilelt est construit avec une volonté de réinterpréter, partager et transmettre les
valeurs patrimoniales du M’Zab. Sa particularité réside dans l’esprit communautaire qui l’a motivé. Ce
qui nous amène à nous interroger sur la solidarité mozabite, son rôle dans la production du cadre bâti
ainsi que sur la reproduction et la transmission du patrimoine de la vallée. Il s’agit d’étudier Tafilelt,
son contexte d’apparition; ses acteurs et les particularités qu’il présente.
Mots clé : M’Zab, solidarité, patrimoine, nouveau ksar, Tafilelt.
Introduction.
La vallée du M'Zab est situé à 600 km au sud d’Alger, elle s'est peuplée dans des conditions
particulières, d’une part à cause d’un climat désertique et de l’autre elle a constitué un refuge
pour un groupe minoritaire : les mozabites ; des Berbères Zénètes adoptant l’école ibadite de
l’islam. La vallée est connue pour ses ksour classés patrimoine mondial ainsi que pour la
cohésion de ses habitants. Le communautarisme a joué un rôle primordial dans la survie du
groupe et l’édification de ses cités mais aussi dans la création des nouveaux ksour.
Ces nouvelles extensions ont été entreprises à partir des années 1990 afin de résoudre des
problèmes en matière de logements mais aussi avec une volonté de réinterpréter, de partager
et de transmettre le patrimoine bâti de la région. La particularité de cette entreprise réside
dans l’esprit communautaire qui l’a motivé et qui continue de l’animer dans tous ses aspects
pratiques. C’est ce constat qui nous a conduits à nous interroger sur les pratiques de la
solidarité mozabite, l’effet qu’exerce celle-ci sur la reproduction et la transmission des valeurs
patrimoniales. Nous nous attacherons donc à étudier comment les pratiques de solidarité ont
conduit à la mise en valeur du patrimoine mozabite. Pour notre démonstration, nous
procèderons, dans le cadre d’une étude comparative, à une étude de cas détaillée.
L’ancien et le nouveau; étude comparative : Béni Isguen et Tafilelt.
Tafilelt a été initiée en 1997 par la fondation Amidoul. C’est un prolongement du ksar
historique de Béni Isguen. L’objectif était de réaliser des logements à des prix accessibles aux
habitants de la classe moyenne de Béni Isguen, de préserver l’écosystème ksourien fragilisé
par les nouvelles extensions ainsi que la transmission et le partage du patrimoine bâti
mozabite. En outre, il visait la réhabilitation de valeurs ancestrales comme l’entraide et la
solidarité. Il a été inauguré en 2004 avec 718 logements et achevé en 2011 avec 1050
logements sur un site de 25 hectares. A part la fonction résidentielle, le ksar est équipé d’une
bibliothèque, d’une salle de prière, d’une madrasa, d’un centre culturel, d’une salle de sport,
d’une salle des fêtes, de bureaux et d’un parc écologique en cours de réalisation.
 L’aspect urbain.
Le ksar1 historique est caractérisé par la « symbiose de son urbanisme avec le cadre
environnemental »2, il est une sorte de « module reproductible à plusieurs exemplaires sur
courte distance »3. Chaque module est autonome, limité, organisé en trilogie; ksar (bâti),
palmeraie (verdure) et l’oued (l’eau).4 Le ksar est situé sur un piton ou une croupe dominant la
vallée, répondant ainsi à un intérêt défensif mais qui permet également la préservation des
ressources hydriques, des sols fertiles et protège la cité du risque d’inondation. La surface du
Ksar est délimitée par un rempart pourvu de portes et de tours de guet, un dispositif défensif
et « symbole de fermeture idéologique de la cité »5.
Le ksar est un groupement radioconcentrique, ayant une morphologie compacte conçue dans
un esprit d'économie de foncier et d’intégration climatique et sociale. Il est doté d’une
centralité mythique concrétisée par la mosquée, qui structure et oriente le bâti mais également
la communauté. La mosquée est construite sur le point le plus haut du piton, dont la
domination est renforcée par un minaret de forme pyramidale. Les circulations se font par un
réseau de rues, ruelles et impasses, régies par une hiérarchisation spatiale. Ces ruelles sont
étroites, généralement couvertes afin de se protéger du soleil. La hiérarchie spatiale est
doublée par une hiérarchie fonctionnelle : les fonctions publiques sont rejetées dans l’espace
profane situé à la périphérie comme c’est le cas du souk (place du marché). Quant au centre ;
l’espace noble, il est réservé à la mosquée et à l’activité résidentielle.
Tafilelt ne présente pas la même morphologie urbaine que celle de Béni Isguen. Il est organisé
en un tracé orthogonal régulier, sans centralité (mosquée), ni palmeraie, la trilogie (bâti,
verdure, eau) se voit donc rompue. On constate également un changement au niveau du
parcellaire. Les voies sont plus larges6, ces changements sont dus à la mécanisation du ksar.
1
Un village saharien fortifié, il est interprété par le mot arabe quasar/palais ou par le mot berbère agsir/ une pente de
montagne donnant accès à des habitations. Les mozabites utilisent aussi le mot ayrem/ayermen pour désigner ces ensembles.
2
Marc Côte, « une ville remplit sa vallée: Ghardaïa », Méditerranée, Tome 99, 3-4-2002. Le Sahara, cette « autre
Méditerranée », pp.107-110, p.107.
3
Ibid.
4
Ibid.
5
Catherine et Pierre Donnadieu, Didillon Henriette et Jean Marc, Habiter le désert, les maisons mozabites, Bruxelles, Éd.
Mardaga, 1977, p.44.
6
Les voies principales sont de 9.50m, les voies secondaires de 5.80 m et les voies tertiaires de 3.80 m.
On constate également l’apparition de nouveaux espaces : le parc écologique, le zoo, le
musée, salle de sport et les espaces de loisirs.
Malgré ces différences, la ressemblance se constate dans le développement en « multiplication
des noyaux »7 et le choix du site d’implantation; un monticule rocheux d’aucune valeur
agricole, exprimant ainsi le souci de préservation de la palmeraie. En revanche, si le choix du
site correspond à la typologie traditionnelle, ce dernier a subi de grands travaux de
terrassements. Tafilelt reprend également le principe de limitation du développement du ksar,
afin d’avoir un milieu gérable; de préserver l’écosystème ksourien et s’assurer de la bonne
cohabitation entre les habitants. En revanche, malgré l’adoption de ce principe il n y’a aucun
obstacle réel à l’extension urbaine du ksar, à part le rempart et la ceinture verte. Nous avons
d’ailleurs pu constater la progression du nombre de logements à Tafilelt de 360 logements au
début du projet à 1050 logements à sa fin. La question qui se pose désormais, est la possibilité
de voir Tafilelt s’étendre et rompre ainsi avec un des principes de l’urbanisme ksourien.
La rationalité dans l’utilisation de l’espace reste, comme dans l’ancien ksar, un des principes
fondamentaux de Tafilelt, les maisons sont accolées l’une à l’autre en occupant la totalité de
la parcelle, ce qui donne un tissu compact. Le ksar reprend également les éléments de base de
la typologie traditionnelle : les gabarits, le prospect, la hiérarchie des espaces, l’intégration
visuelle du projet dans son site naturel. Les éléments symboliques de l’ancien ksar ont été
utilisés mais en leur affectant un nouvel usage, à l’image de la tour de guet utilisé comme
siège de l’association Amidoul8.
 L’aspect architectural.
L’architecture de Béni Isguen est caractérisée par la simplicité, la sobriété et l’intégration au
contexte culturel, économique et naturel de la région. Ainsi que par une unité architecturale,
marquée par des formes organiques aux lignes pures et une harmonie de couleurs et de
textures. Deux facteurs ont influencé l'organisation spatiale de la maison traditionnelle, le
premier, étant socioreligieux, dicte les pratiques menées et les espaces qui leurs sont
appropriés. Le deuxième est d'ordre technique, il s'agit des matériaux et des techniques
employés dans la construction. C. Bousquet définit deux variables influentes quant à la
pratique de l’espace du domicile mozabite, le sexe et la saison9.
La maison mozabite est réservée sur elle-même, close par des façades aveugles « c'est au ciel
que la ville s'ouvre, et à l'intérieur que les façades s'exposent »10. Elle est également marquée
par la sobriété et la limitation au strict minimum soit en espace ou en façades. Le principe
d’organisation est le même pour toutes les maisons du ksar, avec des variations de plans
suivant les besoins du ménage et le site d’implantation. L'entrée est marquée par une porte
massive en bois de palmier, un seuil et une skifa (entrée en chicane) garantissant ainsi
l'intimité des occupants, même quand la porte est ouverte11. L’entrée, donne accès à un espace
7
Nassima Dris, Patrimoine et développement durable ressources-enjeux-lien social, Rennes, Éd. PUR, 2012, p.163.
Association à but non lucratif, elle se présente comme une coopérative immobilière à caractère social.
9
Christian Bousquet, « l'habitat mozabite au m'zab », Editions du CNRS, Annuaire de l'Afrique du Nord, Tome XYV.1986,
p.263.
10
Brahim Benyoucef, le M'Zab espace et société, Alger, Éd. IBD, 1992, p.128.
11
Catherine et Pierre Donnadieu, Didillon Henriette et Jean Marc, Habiter le désert, op.cit., p.75.
8
central polyvalent amas n’teddart (patio) dans lequel se déroule une grande partie de la vie
quotidienne. Une ouverture dans le plafond couverte par un chebeq (grille) assure aération et
éclairage de cet espace. Le patio est entouré de pièces servant d'espace de travail pour les
femmes; coin de cuisson, écurie et le tisefri (salon de femmes). Le rez-de-chaussée devient en
cas d'absence de cave l'espace de séjour le plus frais durant l'été.
Au premier étage sont aménagés chambres et réserve, ces pièces sont opaques vers l'extérieur
et s'ouvrent sur une galerie appelée ikomar et une partie découverte tigharghart (cour du
haut). L’étage dispose d’escaliers menant vers la terrasse, celle-ci est réservée uniquement
aux femmes, elle est utilisée pour dormir durant l’été, pour cela elle est entourée d’un haut
acrotère. Enfin, une pièce bien meublée d’un accès indépendant est réservée aux hommes, elle
leur est aménagée soit au rez-de-chaussée duaira ou à l’étage laali.
Une maison ne doit jamais surplomber une autre ou l'ombrer, de ce fait la hauteur ne dépasse
guère 8m. Il est proscrit d'afficher sa richesse à travers les matériaux ou le traitement de la
façade de sa maison. En revanche, la richesse se déploie à l'intérieur des demeures. Les
matériaux de construction utilisés sont issus du site, ce qui leur confère deux caractéristiques.
D'un côté « ils assurent l'intégration de la forme bâtie à son site par le biais de l'harmonie
chromique »12. Ce qui implique une concordance générale entre le bâtiment et le paysage
général. D’un autre côté, cela garanti une concordance entre le climat du lieu et « les
propriétés thermo-physique » 13 du matériau. Les mozabites utilisent principalement la pierre,
la timchent, la chaux et le bois.
Les cellules à Tafilelt reproduisent l’organisation spatiale traditionnelle. La maison est
organisée en R+1 avec une terrasse accessible, la hauteur ne dépasse pas celle recommandée
par le code mozabite. L’entrée est marquée par une skifa qui donne un accès direct au salon
d’homme, elle renvoie également au patio marqué par un chebeq percé dans le plafond, mais
qui ne semble pas être efficace. Tisefri a été également reproduite, elle est ouverte sur le patio
et la cuisine. Au niveau de l’étage, ikoumar et tigherghert sont remplacés par des chambres
avec une occupation totale de l’étage. La terrasse garde la même fonction, celle-ci est équipée
d’une buanderie. La cour a été introduite afin d’assurer éclairage et aération, en revanche, si
on admet l’hypothèse que la maison traditionnelle mozabite est issue du modèle
méditerranéen occidental. Celle-ci avait un patio qui fut couvert au M’Zab afin de diminuer
l'intensité des rayons solaires.14 Donc une cour à ciel ouvert était jugée par les anciens
mozabites comme inadaptée aux conditions climatiques de la région. Ce constat, nous pousse
à nous interroger sur l’efficacité des cours à Tafilelt et leurs effets sur le confort thermique
des maisons.
Trois variantes de cellules ont été proposées; des F3 d’une surface de 60m², des F4 d’une
surface de 90m² et des F5 d’une surface de 130m². Les façades sont harmonieuses, unies,
caractérisées par des textures et des couleurs intégrées au site. La maison à Tafilelt reste
introvertie malgré les ouvertures plus grandes et plus nombreuses, celles-ci sont protégées par
12
Marc Côte, la ville et le désert le bas-Sahara algérien, Paris, Éd. Karthala, 2005, p.193.
Ibid.
14
André Ravereau, le M'Zab une leçon d'architecture, Arles, Éd. Actes Sud-Sindbad, 2003, p.97.
13
des moucharabiés. La forme de la maison est régulière, avec un haut niveau de finition et de
détail, contrairement aux formes organiques sans un vrai souci de finition des maisons
traditionnelles. Pour le système constructif et les matériaux de construction utilisés, on
enregistre l’emploi d’un système mixte, murs porteurs en pierres avec des chaînages en béton
armé. Parpaings et briques de terre cuite ont été utilisés dans la réalisation des cloisons ainsi
que la chaux, le plâtre et le ciment. L’utilisation de matériaux comme le béton, la brique et le
parpaing nous pousse à nous interroger sur les effets que ceux-ci peuvent avoir sur
l’intégration climatique des maisons de Tafilelt.
 Le ksar une œuvre collective.
Les conditions naturelles et historiques du M’zab « imposaient aux hommes l’observation de
la solidarité pour la survie »15. Nous avons, pour le moment, identifié trois facteurs
définissant la pratique de la solidarité au M’zab. Le premier étant l’appartenance à l’ibadisme
« comprise comme un sentiment de dépendance mutuelle inéluctable qui implique des
obligations de solidarité est d’entraide, et une commune responsabilité morale quant à la
sauvegarde de la collectivité et au maintien de l’éthique coranique »16. Cette forme de
solidarité est matérialisée par la halaqa des azzabas (le conseil des dignitaires religieux). Le
deuxième facteur est l’appartenance à une communauté ethnique, cette solidarité est mise en
œuvre par le conseil des notables et les achairs. Dans les conditions ordinaires les gens sont
animés d’une loyauté plus locale de nature communautaire. Mais lors des circonstances
particulières d’intérêts communs ou de conflit, cette solidarité devient plus globale.
Le dernier facteur est celui d’une solidarité liée au droit à la ville; « si la nécessité d’intégrer
un groupe ou une famille hôte se justifie, par rapport aux besoins de la cité et à ses capacités
d’accueil, le groupe est d’abord intégré aux familles pour pouvoir jouir de la propriété
familiale et du droit de cité »17. Ce processus de naturalisation a permis l’intégration d’une
main d’œuvre spécialisée et la création d’une solidarité économique. Ce qui nous conduit à
envisager que la solidarité mozabite est plus qu’un sentiment religieux ou clanique mais
qu’elle s’élève au rang d’une solidarité sociale encadrée et sanctionnée par des institutions.
A propos du rapport entre la solidarité et l’acte de bâtir, le ksar est dans sa totalité un produit
collectif. C’est ainsi qu’il est difficile de savoir le prix d’une maison « car tout le ksar est bâti
sur la base des actes de bienfaisance »18. La propriété foncière est d’un caractère familial et
social19, les matériaux de construction sont extraits du site et les travailleurs sont les habitants,
eux-mêmes, organisés dans le cadre de touiza; improprement traduit en français par le mot
corvée, elle est « une forme de coopération où un groupe social se charge à construire une
habitation pour une personne dans une situation de nécessité. Ce groupe se crée et se
structure chaque fois que le besoin se fait sentir »20.
15
Baelhadj Merghoub, Le développement politique en Algérie, Paris, Éd. A. Colin, 1972, p.36.
Nadir Marouf, identité-communauté, Paris, Ed. Le Harmattan, 1995, p. 156.
17
http://brbenyoucef.blogspot.com
18
Mohamed Addad, Toufik Mazouz, « Les anciens et nouveaux ksour: étude comparative. Cas du M’zab », Courrier du
Savoir –N°16, octobre 2013, pp.77-87, p.81.
19
Ibid.
20
Mohamed Adad, entraide et participation dans l'habitat cas de Biskra et du M'Zab, Algérie, Éd. Bahaeddine. 2012, p.109.
16
Chaque achira occupe un quartier déterminé, la famille se projette ainsi dans l’espace et en
devient « l’ordonnatrice »21. La maison est conçue sur des principes communs, ainsi
l’organisation spatiale reste la même pour toutes les maisons du ksar. De même pour les
façades, qui font partie du domaine public, elles ne doivent en aucun cas afficher le rang
social ou le niveau économique de leurs propriétaires, répondant ainsi à un prétexte d'égalité
et de solidarité. Pendant longtemps des amendes pécuniaires infligées par les azzabas au
bénéfice de la collectivité, frappaient les contrevenants. C’est ce genre de sanctions qui
rendent extrêmement tangibles et efficaces les règles de solidarité.
En outre, l’idée des nouveaux ksour, renvoie en elle-même à un profond sentiment de
solidarité. D’un côté envers les classes moyennes en mettant à leur disposition des logements
adaptés à leurs situations financières, de l’autre, à une solidarité entre les générations
exprimée par la volonté de transmettre, de partager et d’assurer la continuité de l’héritage
mozabite. Quand l’idée de Tafilelt est née, elle fut exposée aux habitants de Béni Isguen. Un
comité social composé de notables de la ville a été créé. Il eut pour mission la sélection des
bénéficiaires22 en collaboration avec la fondation et les différentes achairs. Le comité joue
aussi le rôle de médiateur entre les habitants et les gestionnaires du projet. Il encourage
également les jeunes à honorer leurs engagements financiers. Enfin, il est un garant auprès des
préteurs et favorise l’échange social entre les concernés et leurs proches plus aisés.
Après l’établissement de la liste des bénéficiaires, la fondation entame les procédures
administratives, le permis de construire puis la réalisation des travaux. Une fois sur le site, la
conception est adaptée aux contraintes réelles. C’est sur le terrain que le choix des matériaux
et du système constructif sont faits. Apres la réalisation d’une première tranche de 50
logements, le promoteur a lancé une compagne d’évaluation, d’avis et de critiques. Les
résultats ont permis d’effectuer des améliorations sur le projet. Durant le chantier la fondation
a mis en place une école pour l’enseignement des techniques de constructions car la plupart
des ouvriers ne maitrisaient pas les anciennes techniques. Une expérience très intéressante
puisqu’elle permet d’assurer la transmission et la valorisation du savoir-faire Mozabite.
Pour démarrer le projet, la fondation a eu recours à des prêts ; de la part de bienfaiteurs, le
temps de recevoir l’aide étatique et une partie de la contribution de la population. Ainsi, les
acteurs principaux étaient les bénéficiaires et l’Etat23, les achairs et des bienfaiteurs anonymes
ont également pris en charge quelques bénéficiaires peu solvables. Une petite partie du projet
a également été réalisée dans le cadre de touiza, celle-ci concerne la construction des parties
communes: Al bordj, le rempart, le boisement, l’aménagement des espaces extérieurs. Quand
le besoin s’en fait sentir, la fondation Amidoul suggère l’organisation d’une touiza. Elle fixe
les modalités des travaux et prépare le matériel, elle contacte ensuite les bénéficiaires. Ce type
d’opération se déroule généralement en fin de semaine. La touiza ne s’est pas arrêter avec la
réalisation du projet mais elle continue avec la gestion du ksar; le nettoyage, le boisement et
les travaux d’intérêt général.
21
Ibid.
Le bénéficiaire doit répondre à une liste de conditions: être marié, ne pas avoir de propriétés en son nom et n’avoir reçu
aucune aide financière pour le logement.
23
Un quart du budget était attribué par la Caisse Nationale du Logement.
22
Avec l’achèvement de la construction d’une tranche, une opération de distribution est
programmée. Le rendez-vous est fixé dans une maison d’achira à Béni Isguen en présence des
habitants, des représentants des institutions traditionnelles ainsi que ceux des autorités locales.
La cérémonie commence par une lecture de versets de Coran, des interventions de la part des
responsables puis un tirage au sort. Jusque-là aucun problème n’est survenu lors de
l’opération de distribution, confirme un de nos interlocuteurs. Ainsi les échanges des maisons
entre bénéficiaires restent possibles à condition que cela se fasse de façon réglementaire. Une
fois le ksar occupé, une charte est mise en application. Elle est un contrat établie entre
l’habitant et la fondation, inspirée du code d’urbanisme traditionnel de Béni Isguen ( ‫فقه‬
‫)العمران‬. Elle contient des recommandations concernant les règles du vivre ensemble, le respect
du voisinage et des indications à propos de la maison occupée24. La charte signale également
que chaque personne est dans l’obligation de planter au moins un palmier, un arabe
d’ornementation et un arbre fruitier. Ainsi, dans chaque ilot du ksar et à tour de rôle, une
famille prend en charge la propreté du quartier.
Conclusion.
Les problèmes que connaît la vallée sur le plan urbain, architectural et environnemental ont
remis au premier plan le savoir-faire traditionnel qui a réussi à produire un urbanisme
fonctionnel, rigoureux et respectueux de la donnée locale. Ainsi était le point de départ des
nouveaux ksour; une nouvelle approche de l’occupation de l’espace mobilisant les principes
du patrimoine bâti et les valeurs sociales mozabites.
Sur le plan urbain et architectural, Tafilelt adopte une démarche de multiplication de noyaux
ayant pour objectif la préservation de l’écosystème ksourien et la création d’un espace limité
et gérable. Il opte également pour la valorisation de l’héritage bâti mozabite dans le choix du
site, des gabarits, des couleurs, des façades ainsi que dans l’organisation spatiale des maisons.
En outre, le ksar dispose d’équipements nécessaires afin d’assurer une vie décente à ses
habitants. En revanche, les interrogations se pressent concernant les limites de la reproduction
des éléments traditionnels; les concepteurs de Tafilelt ont-ils imité intégralement
l’architecture traditionnelle ? Quelle est l’empreinte de l’architecte mozabite dans ce projet ?
Est-ce que ceux-ci ne se sont pas focalisés sur la reproduction des formes au détriment de
questions plus fondamentales comme le génie climatique de l’habitat ksourienne ?
Sur le plan social, Tafilelt bénéficie d’une sorte de légitimité grâce à l’implication des
institutions traditionnelles dans les différentes étapes du projet. Cette implication permet de
transférer les valeurs sociales vers le nouveau ksar et d’éviter le déracinement de la
population assurant ainsi la cohésion du groupe. En outre, Tafilelt s’est basé sur une démarche
participative par l’implication des habitants dans la création de leur espace de vie. Et cela aux
différentes étapes du projet: soit directement lors de la conception et lors des touiza, soit
indirectement par l’intermédiaire des achairs et des associations. Cela a créé un climat de
cohésion entre les habitants. En revanche, la mixité sociale reste un objectif loin d’atteinte. Ce
24
Le bénéficiaire est autorisé d’intervenir sur l’espace intérieur de sa maison, en revanche, toutes les modifications pouvant
altérer à l’aspect architectural de la maison sont interdites.(L’ajout des ouvertures, les extensions verticales, changement de
peinture, installation de grillages, une climatisation apparente, parabole…etc.).
constat impose un ensemble d’interrogations concernant les raisons de l’absence d’une mixité
sociale dans le ksar et est-ce que cela peut réduire, Tafilelt à une sorte d’enclave territoriale ?
Comme tous les projets à caractère social, Tafilelt a dû faire face à de nombreuses contraintes,
notamment d’ordre budgétaire. Ces dernières ont conduit à un montage financier impliquant
plusieurs acteurs; l’Etat, les bénéficiaires et les acteurs des touiza. Mais l’inertie du système
administratif a également entravé ce projet. Reste enfin des difficultés liées au manque de la
main d’œuvre qualifiée et aux fluctuations considérables des prix des matériaux de
construction.
Enfin, les nouveaux ksour sont le choix de la communauté mozabite, ils témoignent
incontestablement à la fois d’un haut niveau d’organisation et d’une très forte cohésion
sociale, ainsi ils sont considérés comme un prolongement des anciennes cités, conçu dans un
souci de valorisation, de partage et de transmission d’un héritage milliaire.
Bibliographie.
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