Parachutisme Les contraintes cardiovaculaires
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Parachutisme Les contraintes cardiovaculaires
27/07/07 10:42 Page 23 mise au point cets12-23a26 Parachutisme Les contraintes cardiovaculaires L’intensité des réactions psychiques et physiques surprend toujours lors des premiers sauts de parachustime car, que le pratiquant soit débutant ou confirmé, le système cardiovasculaire est particulièrement sollicité lors de cette activité anxiogène. Dr Jean-Michel Chevalier (Service de Cardiologie, Hôpital des Armées Robert Picqué, Bordeaux) L es premiers parachutistes ont d’abord été des militaires fantassins (pendant la seconde guerre mondiale), mis en place au plus près de l’ennemi pour un effet de surprise. Puis, tout en restant l’apanage de militaires d’élite, le parachutisme est devenu une activité sportive particulière, pratiquée en France par environ 14 000 personnes de façon régulière. On compte également 28 000 sauts occasionnels en tandem initiatique (Fig. 1). > Les contraintes du parachutisme « Le chuteur en parachute est un homme normal dans un environnement anormal » (1), avec un stress à 3 composantes : physique, environnementale et psychologique (2). La composante physique La composante physique reste modérée, représentée par les déplacements avec un équipement plus ou moins lourd, l’effort musculaire étant rarement intense et tout à fait acceptable pour un sujet normalement entraîné. Figure 1 - Saut à ouverture commandée. Les contraintes environnementales Les contraintes environnementales sont très variables, mais restent généralement modérées. L’altitude entraîne une hypoxie relative (3) et augmente le rythme cardiaque (2, 4, 5). Les variations de pression barométrique n’exerceraient pratiquement aucune influence jusqu’à 4 000 m. Le froid d’altitude, ajouté aux conditions météorologiques locales, est une agression d’autant plus importante que le vol en parachute dure plus long- 23 temps (saut à très grande altitude avec ouverture immédiate et dérive sous voile) (1). Le froid vif, conjugué à l’effet du vent sur le visage, est responsable de brusques accélérations et décélérations des rythmes respiratoire et cardiaque (2, 5-6). Ces modifications participent à l’agression, en modifiant l’hémodynamique cardiaque et la pression veineuse centrale. Enfin, si le silence en vol parachute ouvert est un plaisir recherché, le parachutiste est initialement agressé par le bruit et les vapeurs des moteurs de l’avion (8). Cardio&Sport • n°12 mise au point cets12-23a26 27/07/07 10:42 Page 24 Le stress psychologique Figure 2 - La physiologie du parachutiste est dominée de façon écrasante par le stress psychologique (9, 10). Il s’agit d’un stress intense et brutal, dont l’intensité dépend de l’émotivité du sujet, les premiers sauts étant souvent l’expérience la plus terrifiante du débutant (11). Il existe une adaptation émotionnelle, la peur s’estompant progressivement avec la répétition des sauts et l’expérience acquise (8, 12). La peur est multifactorielle : ● peur de ne pas sauter ; ● peur du vide ; ● peur de l’accident mécanique en l’air ; ● peur à l’atterrissage. Saut militaire Cependant, le parachutisme sportif semble nettement moins agressif que la pratique militaire. Mais le stress psychologique subsiste, quelle que soit l’expérience du sujet (2). La réaction d’alarme généralisée du débutant est progressivement remplacée par une réaction d’éveil plus sélective (anticipation mentale des gestes à effectuer lors de la chute libre), un saut réussi étant suivi par une phase d’euphorie tout aussi intense. Par ailleurs, la personnalité et la motivation du parachutiste sont très différentes. Certains recherchent des sensations fortes : « le sentiment d’être tout et l’évidence de n’être rien» (11). D’autres éprouvent un sentiment d’invulnérabilité après avoir triomphé de l’épreuve mortelle. Pour certains narcissiquement faibles, le risque sert de réassurance comme une revendication implicite de leur personnalité. > Réactions cardiovasculaires habituelles L’approche des réactions cardiovasculaires peut se faire par l’étude de la fréquence cardiaque (FC) et de Cardio&Sport • n°12 en automatique à partir d’un avion Transall. la pression artérielle (PA), au mieux par le recueil de façon continue, selon la méthode Holter. Des recueils de catécholamines urinaires ont été réalisés de façon occasionnelle (4, 13). Comme prévu, ces dosages ont confirmé l’hypersympathicotonie (Fig. 2). La fréquence cardiaque La prise de mesure La FC a été d’abord étudiée par simple prise manuelle du pouls, avant et après le saut. Elle a pu être suivie pendant toute la durée du saut, voire tout le nycthémère par télémétrie (4, 5), puis par cardiofréquencemètre (2) et, enfin, par la méthode Holter (2, 5, 7, 10). Lors de sauts à ouverture automatique (SOA), 39 Holters rythmiques ont été posés chez des parachutistes militaires (8). Résultats La FC moyenne est passée de 69 ± 8 bpm au repos à 158 ± 12 bpm au moment du saut, avec des extrêmes allant de 142 à 220 bpm. On note une anticipation du saut, puisqu’une heure avant, 92 % des sujets avaient une FC supérieure à 100 bpm. Après l’arrivée au sol, le retour au calme s’accompagne d’une baisse rapide (influence vagale), puis progressive de la FC, avec une valeur de repos atteinte en moyenne 1,5 heures après le saut. La récupération du rythme cardiaque initial est retardée si plu- 24 sieurs sauts sont effectués dans la même journée (2) ou si des incidents surviennent. Variations individuelles Bien sûr, il existe des variations individuelles importantes, notamment selon l’expérience, avec une FC moyenne au moment du saut à 161 ± 14 bpm chez les débutants et 150 ± 10 bpm chez les sujets expérimentés. Comme Jung (5), nous avons confirmé (2, 8) que la variation de FC, entre le repos et le saut, est pratiquement la même quelle que soit l’expérience du parachutiste. Seul le niveau basal de FC diffère (2, 9). Variations selon le type de saut Par ailleurs, les pics de tachycardie sont plus ou moins élevés selon le type de saut. En saut en automatique, la sortie de l’avion est le moment le plus pénible (Fig. 3). En saut retardé, ce sont les phases d’ouverture de voile et d’atterrissage qui sont les instants FC 220 bmc 200 Pliage 180 Sortie 160 140 "Debout accrochez" Embarquement 120 100 Attente assis 80 0.00 5 10 15 20 25 Figure 3 - Variations de la FC recueillie par cardiofréquencemètre chez un parachutiste effectuant un saut automatique (2). 30 Temps minute 27/07/07 10:42 Page 25 160 Jour Nuit 150 e Jour + Nuit 140 f 130 h i 120 a g c 110 Variation de la PA d 100 b 90 80 70 60 120 mm 96 mm 80 mm 60 mm 45 mm 30 mm 15 mm T0 0 mm 25 mm 45 mm 60 mm Figure 4 - Diagramme des FC de 28 sauts à ouverture commandée à très grande hauteur (1). a : long équipement au sol ; b : assis dans l’avion avec dénitrogénation en O2 pur ; c et d : lever et efforts en soute ; e : sortie de l’avion et ouverture immédiate ; f : vérification de l’azimut ; g : dérive sous voile ; h : atterrissage ; i : déséquipement. critiques (1, 5). Aigle (1) a posé 36 Holters rythmiques chez 18 parachutistes expérimentés, effectuant des sauts à très grande altitude (entre 4 500 et 6 500 m), avec ouverture immédiate du parachute et longue (15 à 30 minutes), dérive sous voile (10 à 40 km parcourus en l’air selon les vents). Il a pu enregistrer 16 sauts de jour et 12 sauts de nuit (Fig. 4). On peut nettement voir les variations de FC lors des différents évènements de ce saut en conditions extrêmes (en jaune : moyennes des 28 sauts ; en rouge : moyenne des 12 sauts de jour et des 16 sauts de nuit. Le stress émotionnel grandit avec : ● les fautes de pilotage ; ● les erreurs de largage ; ● les difficultés d’approche de la cible, comme le vent ; ● le manque de visibilité : pluie, nuit ; ● la compétition ; ● et, surtout, la survenue d’incidents matériels. Si un parachutiste effectue plusieurs sauts dans la même journée, les pics de FC maximale ont tendance à blets et/ou triplets supra-ventriculaires ont été observés. Aucun trouble de conduction n’a été noté. Aigle (1) fait les mêmes constatations. L’analyse du segment ST montre, parfois, un sous-décalage, mais il est toujours ascendant (1, 2). s’estomper (8, 9), mais la FC moyenne entre les sauts reste plus élevée, témoignant d’une certaine fatigue. Le raisonnable à ne pas dépasser, pour un parachutiste normalement entraîné, est de 4 sauts dans une journée. Les champions de voltige ou de précision d’atterrissage, par ailleurs athlètes de bon niveau, peuvent effectuer 8 à 10 sauts par jour, mais ils en ressortent épuisés. Après que Colomb (2) ait étudié, par sphygmomanomètre, les variations de la PA chez 3 parachutistes au cours de 18 SOA, nous avons réalisé un projet de recherche clinique “innovation”, avec mesure ambulatoire de la PA chez 29 parachutistes militaires expérimentés (2, 8). La PA systolique moyenne de repos était de 127 ± 7 mmHg. Elle est passée à 168 ± 35 mmHg au moment du saut (soit une augmentation de 41 mmHg de systolique). Six valeurs sont > 200 mmHg. L’élévation a débuté progressivement au moins 2 heures avant le saut (Fig. 5). Trente minutes après le saut, la PA systolique moyenne était de 132 ± 11 mmHg. Le retour à la PAS initiale ne se fait, chez certains, qu’en 1,5 heures. La PA diastolique moyenne est passée de 73 ± 8 mmHg à 58 ± 7 mmHg à l’atterrissage. Elle est inchangée 30 minutes avant et 30 minutes après le saut. Cet élargissement de la différentielle s’explique par la bonne compliance artérielle du sujet jeune. L’ECG L’ECG de repos du parachutiste, même très expérimenté, ne présente aucune anomalie particulière (2). Au cours du saut, tous les auteurs (5-7, 9, 10) ont enregistré une tachycardie sinusale avec d’assez fréquents battements cardiaques prématurés, essentiellement supra-ventriculaires. Il est difficile de les différencier des artefacts d’origine musculaire (1, 8). Dans le travail effectué chez les parachutistes sautant en automatique (8), seuls 2 sujets sur 28 ont présenté plus de 700 ES par 24 heures, avec un pic au moment du saut. Quelques dou- 25 Figure 5 - Enregistrement continu en ambulatoire de la pression artérielle et de la FC chez un parachutiste confirmé (38 ans) sautant de jour en automatique (2). SOA : saut à ouverture automatique ; PA : pression artérielle ; Fc : fréquence cardiaque ; PAS : pression artérielle systolique ; PAD : pression artérielle diastolique. Cardio&Sport • n°12 mise au point cets12-23a26 mise au point cets12-23a26 27/07/07 10:42 Page 26 > Risques cardiovasculaires La prévalence des accidents cardiovasculaires est excessivement faible en milieu militaire, essentiellement du fait de la rigueur des visites médicales de dépistage, de la bonne condition physique des parachutistes et de la sécurité des matériels permettant une confiance quasi absolue dans le matériel. De janvier 1990 à décembre 1994, 330 000 sauts en parachute (en automatique et en commandé) ont été réalisés à l’Ecole des Troupes Aéroportées de Pau. L’étude des registres d’hospitalisation à l’infirmerie (2) ne révèle que 5 accidents cardiovasculaires : ● 1 poussée tensionnelle, persistant 24 heures et s’estompant sans traitement de fond ; ● 1 angor d’effort, révélant une coronaropathie sévère (chez un champion du monde tabagique de 40 ans) ; ● 3 tachycardies soutenues chez des patients porteurs d’une pré-excitation (ultérieurement fulgurée avec succès). Dans la littérature, aucun travail n’a été publié sur les accidents cardiovasculaires en parachutisme. Les médecins de la fédération française de parachutisme n’ont eu connaissance que de cas anecdotiques. Le risque potentiel est cependant important chez le cardiaque connu ou latent. L’hyper-sympathicotonie peut déclencher ou aggraver des troubles du rythme aux 2 étages et favoriser un accident coronarien aigu. Une hypertension artérielle, une insuffisance coronarienne ou cardiaque peuvent se démasquer. Le risque veineux de varices (par hyperpression du harnais) ou de phlébite d’effort est très théorique et n’a jamais été rapporté. > Conclusion Sport à contrainte cardiovasculaire importante, le parachutisme professionnel ou sportif doit être interdit aux porteurs d’une cardiopathie connue, même stable sous traitement (14). Il impose une bonne condition physique MOTS CLÉS Parachutisme, stress, réactions cardiovasculaires Bibliographie 1. Aigle L. Stress au cours du saut opérationnel à très grande hauteur : apport du Holter ECG. Thèse Bordeaux II 2000 ; 52 : 89. 2. Colomb F, Chevalier JM, Beauche A. Réactions cardiovasculaires de stress du saut en parachute. Med Armées 1997 ; 25 : 229-35. 3. Marotte H, Bittel J. Conséquences psychomotrices de l’hypoxie aigüe d’altitude. Med sport 1995 ; 69 : 127-31. 4. Deroanne R, Cession-Fossion A, Juchmes J et al. Telemetric control of heart adaptation during automatic free-fall parachute jumps. Aviat Space Environ Med 1975 ; 46 : 128-31. 5. Jung K, Schulze J. Sport-medical studies on parachute jumpers with particular reference to the behaviour of heart rate. Bioteleme Patient Monit 1982 ; 9 : 238-50. 6. Reid DH, Doerr JE, Doshier HD, Ellertson DG. Heart rate and respirating rate response to parachuting: physiological studies of military parachutists via FM-FM telemetry II. Aerosp Med 1971 ; 42 : 1200-7. 7. Tak T, Cats VM, Dunning AJ. Ambulatory ECG recording during competitive parachute jumping in apparently healthy young men: more evidence for intermittent vagal dominance during enhanced sympathetic activity. Eur Heart J 1986 ; 7 : 110-4. 8. Chevalier JM. Réactions cardiovasculaires liées à la pratique du parachu- Vol au-dessus des nuages. Cardio&Sport • n°12 et une vérification annuelle de l’intégrité cardiovasculaire. Il convient de dissuader tout sujet non entraîné, a fortiori porteur de plusieurs facteurs de risque cardiovasculaire. Un examen clinique complet, un ECG de repos et du bon sens suffisent, le plus souvent, à préciser l’aptitude à pratiquer ce sport. Une épreuve d’effort n’est indiquée qu’après 45 ans et, plus particulièrement, chez le sédentaire à risque cardiovasculaire élevé. ❚ 26 tisme. Arch Mal Cœur Vais Pratique 1999 ; mars : 6-8. 9. Falk B, Bar-Eli M. The psycho-physiological response to parachuting among novice and experienced parachutists. Avia Space Environ Med 1995 ; 66 : 114-7. 10. Galante J, Hernandez A, Colin L et al. Continuous electrocardiographic recording during a first parachute jump. Arch Inst Cardiol Mex 1988 ; 58 : 325-31. 11. Vanuxem P, Astolfi A, Giuriato L, Duflot JC. Le parachutisme de l’extrême. Med Sport 1998 ; 72 : 73-7. 12. Schedlowski M, Tewes U. Physiological arousal and perception of bodily state during parachute jumping. 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