Mon père, ce héros

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Mon père, ce héros
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Centenaire 14-18 Le 3 août 1914, France-Victoire Chiclet vit le jour en même temps que la déclaration de guerre.
À l’occasion de son centenaire, elle se souvient de son père, combattant dès l’aube. Tous deux ne se rencontreront jamais
Mon père, ce héros
Vesoul. Dans ses appartements à la Maison des combattants de Vesoul, FranceVictoire Chiclet est assise
confortablement dans son
fauteuil aux côtés de Daniel,
l’un de ses enfants, venu lui
rendre visite. A l’évocation
de ses 100 ans, France-Victoire réagit aussitôt : « Cet
anniversaire me donne des
ailes et je suis très heureuse.
Heureuse de retrouver ma
famille, mon sang ! Je suis
très fière ! » Les mots sont
forts. France-Victoire resplendit et fait oublier son
âge. Elle illumine son entourage aussitôt par sa vivacité
d’esprit. Les souvenirs fusent. Précis.
La Vésulienne a été enseignante jusqu’à l’âge de 75
ans et sa matière grise n’a
pris aucune ride. Seule une
cécité et une légère surdité
affectent son quotidien.
Questionnée sur son prénom peu courant, elle répond spontanément : « J’en
suis fière. J’aime l’entendre
résonner. » Pas de surnom
« France » ou encore moins
« Victoire », non ! La centenaire tient à ce qu’il soit dit
en entier : « C’est mon papa,
Henry Ferron, mort au
champ d’honneur le 20 septembre 1914 qui me l’a donné par anticipation à la victoire de la France ! »
Un papa né en 1888 à Lure,
moniteur sportif à l’école de
Saint-Cyr, puis élevé rapidement au grade d’adjudant
suite à ses actes de bravoure
dès le début de la guerre.
Malheureusement, 47
France-Victoire
en cent ans
E Août 1914 : naissance à
Lure, fille d’Alice Marchal et de
Henry Ferron.
E 1935 : s’installe à Vesoul et
épouse Pierre Chiclet, décédé
en 1990, à l’âge de 80 ans.
E Six enfants (quatre filles et
deux garçons), qui portent
tous un prénom composé de
Marie.
E 1992, décès d’une de ses
filles, Marie-Hélène.
E Onze petits-enfants, vingt
arrière-petits-enfants.
E Jusqu’à 85 ans, elle se consacre à la peinture, la sculpture, le modelage et prend régulièrement l’avion pour des
voyages.
E Médaille d’or des donneurs
de sang.
K Malgré un grand vide, France-Victoire Chiclet, 100 ans, n’a jamais exprimé de rancune vis-à-vis de la
E Elle entre à 98 ans à la
guerre qui lui a pris son papa.
Maison des combattants à
Vesoul.
jours après la naissance de
sa fille, il est emporté par un
obus ennemi à la ferme de
Paissy, dans l’Aisne. Le
temps lui a cruellement
manqué pour découvrir le
visage de sa fille unique.
À l’évocation de cette page
sombre, les yeux de FranceVictoire brillent et les mots
s’espacent, évocateurs
d’une douleur encore vive :
« Vous savez, je n’ai jamais
connu mon papa autrement
qu’en photo, de la bouche de
ma maman ou de ceux qui le
connaissaient. Oui, il m’a
terriblement manqué toute
Photo Bruno GRANDJEAN
ma vie. Encore aujourd’hui,
il n’y a pas de mot pour exprimer le manque que j’ai
ressenti. »
Sa main cherche en douceur le bras de son fils :
« Vous savez, il est là mon
papa. Il est présent en chacun de mes enfants, de ma
famille entière aussi. Au
fond, je l’ai tellement cristallisé que c’est un peu comme
si je l’avais connu. »
L’amour
pour rester jeune
Si la guerre lui a enlevé son
père, elle n’a jamais exprimé
de rancune, ni envers ce
conflit « d’une terrible inutilité », selon ses mots, ni
même vis-à-vis des soldats
allemands qu’elle croise à 25
ans durant la Seconde Guerre. Bien au contraire, toute
son existence avec son mari
Pierre Chiclet, ils n’ont eu de
cesse de rapprocher les peuples dans le cadre d’échanges internationaux. Pas de
place pour la rancune. Seuls
les sentiments et la générosité priment.
« L’amour est le seul remède pour bien vieillir. Celui
que l’on donne et celui que
l’on reçoit », confie-t-elle.
Côté physique, elle doit ses
bonnes jambes aux nombreux kilomètres réalisés à
vélo pour rejoindre, chaque
jour et par n’importe quelle
météo, l’école de Valleroisle-Bois depuis Vesoul. « Ça
m’a donné des mollets solides », s’amuse-t-elle en joignant le geste à la parole. Un
esprit sain dans un corps
sain, ça existe aussi, même à
100 ans. Joyeux anniversaire, France-Victoire !
De notre correspondant local
Étienne COLIN