Faire et défaire les frontières indigènes : Terres et

Transcription

Faire et défaire les frontières indigènes : Terres et
Faire et défaire les frontières indigènes : Terres et Corumbiara
Fazer e desfazer fronteiras indígenas: Terres e Corumbiara
Doing and undoing indigenous borders: Terres and Corumbiara
Hacer y deshacer fronteras indígenas: Terras y Corumbiara
Vitor Zan
L’Université Paris III – Sorbonne-Nouvelle, France.
Résumé
Le présent article analyse et compare deux films brésiliens contemporains dans l'intention
d'approfondir la réflexion à propos de différentes manières dont le cinéma s'est emparé des
frontières amazonienne situées dans des régions habitées par des peuples indigènes. Dans le
documentaire intitulé Terres, dont la plasticité est originale et minutieuse, les frontières sont
vouées à être oblitérées par des interactions à la fois humaines et environnementales. Sa
"poétique de l'imbrication" semble, toutefois, renier les tensions géopolitiques présentes
dans l'histoire des lieux représentés dans le film. À son tour, le film Corumbiara subordonne
le souci esthétique à l'engagement vis-à-vis des droits des populations indigènes, mobilisant
les outils cinématographiques afin d'imposer une frontière aux avancées des propriétaires
fonciers vers les terres habitées par des populations autochtones. Le cinéma, de Terres à
Corumbiara, est affirmé comme l'un des agents qui constituent le territoire, plus précisément
celui des terres indigènes en Amazonie.
Mots-clés: Documentaire; Indigène; Frontière; Terres; Corumbiara.
Resumo
O presente artigo analisa e coteja dois filmes brasileiros contemporâneos, com o intuito de
adensar a reflexão sobre as diferentes formas como o cinema se apropriou e interferiu em
fronteiras amazônicas situadas em regiões habitadas por populações indígenas. No
documentário intitulado Terras, cuja plasticidade é original e minuciosa, as fronteiras estão
fadadas a serem obliteradas por interações tanto humanas quanto do próprio meio-ambiente.
Sua "poética da imbricação" parece desconsiderar, entretanto, as tensões geopolíticas que
marcaram a história do local retratado pelo filme. O filme Corumbiara, por sua vez,
subordina a preocupação estética à defesa dos direitos das populações indígenas,
mobilizando o aparato cinematográfico para impor uma fronteira ao avanço de latifundiários
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em direção a terras habitadas por povos autóctones. O cinema, de Terras a Corumbiara, se
afirma como um dos agentes constituintes do território, no caso aquele balizado por
fronteiras indígenas na região amazônica.
Palavras-chave: Documentário; Indígena; Fronteira; Terras; Corumbiara.
Abstract
This article analyses and compares two contemporary Brazilian films with a view to
deepening reflection on ways cinema has portrayed the Amazonian borders located in areas
inhabited by indigenous people. In the documentary called Terras, in which plasticity is
original and thorough, borders are doomed to be obliterated, both by human and
environmental interactions. However, its "aesthetic of entanglement" seems to ignore the
geopolitical tensions of the history of the places depicted in the film. By contrast, aesthetic
care in Corumbiara is subordinated to a commitment vis-à-vis the rights of indigenous
populations. Cinematic apparatus is mobilized here to impose a border limit to the
landowners' invasions of the indigenous territory. Thus the film takes sides within the
unequal forces that have been constantly reshaping the concerned territory. From Terras to
Corumbiara, cinema represents an agent that constitutes the territory of indigenous people in
Amazonia.
Keywords: Documentary; Indigenous; Boundary; Terras; Corumbiara.
Resumen
El presente artículo analiza y coteja dos películas brasileras contemporáneas, con el intuito
de adensar la reflexión acerca de las diferentes maneras como el cine se apropió e interfirió
en las fronteras amazónicas ubicadas en las regiones habitadas por poblaciones indígenas.
En el documentario intitulado Terras, cuya plasticidad es original y minuciosa, las fronteras
están predestinadas a ser obliteradas por interacciones tanto humanas cuanto del propio
medio ambiente. La película Corumbiara, a su vez, subordina la preocupación estética a la
defensa de los derechos de las poblaciones indígenas, movilizando el aparato
cinematográfico para imponer una frontera al avanzo de los terratenientes en dirección a
tierras habitadas por nuevos pueblos autóctonos. Tratase de tomar partido en el seno de las
desproporcionales líneas de fuerza que reconfiguran incesantemente el territorio abordado.
El cine, de Terras a la Corumbiara, se afirma un agente que constituye el territorio de las
poblaciones indígenas de la región de Amazonía.
Palabras Clave: Documentario; Indígena; Frontera; Terras; Corumbiara.
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Faire et défaire les frontières
opérateurs à de nombreux pays du globe
indigènes: Terres et Corumbiara
ou bien lorsqu'Albert Khan conçoit les
Archives de la planète, le cinéma franchit
Les innocents du Leblon
des frontières afin de rendre visible
n'ont pas vu le bateau arriver.
d'autres territoires.
Dans le contexte des indigènes
Transportait-il des danseuses?
Transportait-il des immigrants?
brésiliens, les images de ces peuples,
Transportait-il un gramme de radium?
surtout celles tournées dans la première
Les innocents, définitivement innocents,
moitié du XXe siècle, sont historiquement
ignorent tout,
liées à une vaste démarche colonisatrice,
mais le sable est chaud et il y a l'huile douce
où le contact avec l'autre s'établit dans un
qu'ils mettent sur leur dos, et oublient.
cadre
d'expansion
territoriale.
Les
innocents
du
Leblon1.
Carlos
Drummond de Andrade
Ainsi,
la
économique
et
figuration
des
frontières est un élément central dans
l'histoire de la représentation des indigènes
au cinéma. Le film Autour du Brésil:
Introduction
aspects de l'intérieur et des frontières
brésiliennes, réalisé par Luiz Thomaz Reis
Depuis l'invention des caméras
en 1932, en est un bon exemple. Pour ne
légères 16mm et surtout depuis l'arrivée de
citer que les deux précurseurs du cinéma
la vidéo, le cinéma documentaire n'a
ethnographique brésilien, il convient de
jamais cessé de réfléchir et d'agir sur les
noter que Luiz Thomaz Reis est au service
frontières. Un exemple récent tout à fait
de l'armée et Silvino Santos financé par un
remarquable est Cinq caméras brisées
marchand de latex. Ils représentent, ainsi,
(2011), dans lequel le paysan Emad Burnat
deux entités ayant été terriblement néfastes
n'utilise que des caméras d'amateur pour
aux indiens : le colonialisme national d'une
s'opposer à des Israéliens en train de
part et la force exploratrice du commerce
construire une muraille qui spolie les
d'autre part. Au sein de ces deux pôles
villageois palestiniens d'une grande partie
d'expansion, l'indigène est soit ausculté, de
de leurs terres. Mais bien avant cela,
manière similaire à celle utilisée par les
lorsque les frères Lumière envoient des
géographes pour décortiquer les aspects du
territoire, soit traité comme l'une des
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richesses naturelles que l'on s'engage à
tout au long du XXe siècle. En effet, une
exploiter.
partie du cinéma contemporain portant sur
S'attachant
à
décrire
leur
physionomie, ces images de l'aurore du
les
cinéma ethnographique font écran aux
survivances d'une histoire catastrophique,
véritables
questions
comme le montrent Serres du Désordre ou
indigènes.
Au
concernant
lieu
les
d'utiliser
indigènes
est
traversé
par
les
Parallèle 103.
l'enregistrement cinématographique pour
L'année 2009 a vu sortir deux
aider à assurer leurs droits et à comprendre
documentaires sur la question des terres
leur culture, ce sont contradictoirement des
indigènes: Corumbiara, de Vincent Carelli
images anthropométriques qui émergent,
et Terres de Maya Da-Rin. Tandis que
comme si l'essentiel dans la connaissance
Corumbiara
de l'autre pouvait passer par la surface et
historique, retraçant vingt ans de luttes en
par les mesures de son corps. Dans de
faveur des indigènes, Terres s'attache à la
telles circonstances, et tout au long du
situation
vingtième siècle, les questions territoriales
majorité des terres indigènes a déjà été
ou frontalières s'imposent, étant présentes
démarquée), cherchant à dévoiler les
dans la quasi totalité des films sur les
spécificités d'une société interculturelle.
peuples autochtones (voir figures 1 et 2).
intègre
actuelle
une
(quand
l'immense
Face
à
Il a fallu attendre jusqu'aux années
hétérogènes
sur
1970 pour que le cinéma puisse rendre
relativement
analogues,
compte de la gravité de ce qui était en jeu,
consacre à délimiter les contours de ces
l'envisageant
d'abord
poétiquement,
à
poétiques concernant les indigènes et la
travers
œuvres
allégoriques
et
question foncière qui est intrinsèquement
des
mélancoliques,
comme
l'a
dit
Edgar
deux
approche
des
perspectives
problématiques
l'analyse
se
liée à leur histoire.
Teodoro da Cunha2. C'est seulement dans
les années 1980 que certains réalisateurs
TERRES (2009), de Maya Da-Rin
ont essayé d'intervenir directement dans la
réalité des indigènes en prenant parti pour
La motivation première de Maya
ceux-ci. C'est le cas de Sérgio Bianchi et
Da-Rin est commune à de nombreuses
de Vincent Carelli. Ce type d'initiative est
œuvres d'art contemporain. La réalisatrice
donc arrivé, hélas, très tardivement, bien
envisage d'explorer les lieux de passage,
après l'usage de la figure de l'indigène dans
les interstices, ou encore les entre-lieux.
de discours nationalistes et surtout après de
C'est par le biais de cette thématique que
nombreux massacres qui se sont produits
Maya Da-Rin arrive pour la première fois à
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la ville de Leticia, en 2005, pour y passer
du film, qui consiste à produire des images
deux
ville
dont le contenu conteste visuellement la
colombienne fait frontière avec la ville
fonction isolatrice des frontières. Le film
brésilienne de Tabatinga, là où l'Avenue de
s'attache
l'Amitié devient Avenue Internationale. La
mouvements, particulièrement à ceux qui
conurbation de ces deux villes fait aussi
suggèrent l'idée d'une traversée. D'où la
frontière avec le Pérou, de l'autre côté du
récurrence d'autant de moyens de transport
fleuve
y
: voitures, vélos et bateaux cadencent le
seulement
rythme du film, auquel s'ajoute les piétons
mois
en
repérage.
Amazonas.
présente
La
n'est
La
confluence
pas
ainsi
toutes
ethnique,
la
s'entremêlent dans le chassé-croisé du
(peuple
centre-ville. À ce titre, il est opportun de
amérindien), une grande partie de la
remarquer que 5 sur les 7 personnes
population est métisse.
interviewées sont en mouvement en même
prépondérance
des
Ticuna
de
L'intérêt que Maya Da-Rin porte
aux
particularités
engendrées
par
le
temps
qu'elles
concernent
ponts
de
qui
dépit
des
sortes
géographique, mais aussi linguistique et
puisqu'en
traversent
à
parlent.
plus
et
Ces
qui
plans
particulièrement
les
métissage et par les échanges culturels,
frontières dites naturelles. Si les distances
thèmes centraux du film, détermine la
et les obstacles font partie de l'espace
façon dont elle s'adresse à l'autre (du choix
physique de la vie courante, l'homme les
des personnages à la manière dont elle
transgresse continuellement.
découpe l'espace filmique). Le récit ne se
Cette première manœuvre va de
limite pas aux témoignages recueillis, il
pair avec la deuxième, qui s'appuie sur le
puise sa force dans l'association de trois
témoignage de membres de la population
régimes d'images directement liés à la
locale. L'argumentation verbale s'agence
question de la frontière.
avec l'argumentation visuelle précédente.
La figuration de la frontière comme
Le
film
privilégie,
globalement,
des
lieu de passage annonce dès la première
personnages qui franchissent les frontières
séquence du film une constatation mise en
quotidiennement, ce qui tend à les rendre
valeur par la réalisatrice. L'accent est mis
critiques envers les frontières. C'est le cas
sur le fait que, paradoxalement, même là
des deux chauffeurs de taxi et du chauffeur
où autant de limites visent à marquer des
du bateau-taxi, dont le travail implique ces
séparations, une permutation d'objets et
allers-retours. Ceux-ci font comprendre,
d'individus se produit inlassablement. Cela
comme
correspond au premier régime de visibilité
représente pour eux soit un empêchement
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escompté,
que
la
frontière
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de circuler librement, soit une conception
terre qui appartiendrait véritablement aux
abstraite incompatible avec leur réalité.
Ticuna, où ceux-ci pourraient même
Concernant
frontières
envisager de constituer une nouvelle
géopolitiques, cette deuxième stratégie
nation. Ce faisant, ce dernier est le seul à
filmique dénonce des mécanismes de
aller dans le contre-courant du reste du
contrôle qui restreignent la liberté des
film, car au lieu d'envisager les frontières
citadins (qui en l'occurrence ne constituent
comme quelque chose dont il vaudrait
qu'un seul peuple, selon l'avis de l'un des
mieux se défaire, il souhaite plutôt les
personnages).
renforcer. Curieusement, il est également
davantage
Toujours
dans
les
la
logique
de
le seul à envisager la situation dans une
l'entretien, Terres présente au spectateur
perspective
deux
directement les conséquences du processus
personnages
indigènes
(qui
se
revendiquent en tant que tels). Maya Da-
historique,
évoquant
de colonisation.
Rin s'avère être consciente du fait que si
Ces deux premières instances du
l'on parle de l'aire de l'Alto Solimões, il est
film indiquent que si d'une part il promeut
difficile d'occulter la problématique des
une imagerie nettement antiraciste, d'autre
terres indigènes. Elle cherche ainsi à
part il se constitue à partir de l'oubli, où
recueillir les points de vue d'indigènes sur
l'éloignement du contexte historique écarte
la question. Le premier est celui d'Irene
du même mouvement les conflits inhérents
Ipuchima, qui conteste l'idée de la frontière
au sujet qu'il traite (voir figures 3).
à
travers
l'idéalisation
de
l'ethos
Alors
que
relèvent
les
deux
d'un
premiers
traditionnel qui supposément était jadis
régimes
celui de son ethnie. Selon le personnage,
cinématographique
étant donné que l'environnement représente
troisième fait preuve d'originalité. C'est là
l'entité sacrée de la mère, la notion de
où se confondent la plus grande beauté du
frontière n'a aucun sens pour les indigènes.
film et son aspect le plus problématique.
Il serait donc inconcevable de découper, de
Maya Da-Rin développe une manière très
partager ou de posséder la terre.
personnelle de filmer la nature. Les images
assez
lexique
commun,
le
Le deuxième personnage indigène,
de la flore amazonienne diffèrent du
vivant dans un village ticuna, à proximité
paysage classique, dont la composition se
de Tabatinga, révèle son inquiétude à
fait habituellement en plan d'ensemble.
propos du statut de leurs terres, qui
Alors que le paysage a traditionnellement
intègrent,
le
une tendance panoramique, Maya Da-Rin
patrimoine de l'État brésilien. Il rêve d'une
plonge dans l'intimité de la nature,
en
dernière
instance,
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examinant ses détails avec sa caméra,
l'hybridation apparait comme l'axe qui
révélant
des
guide tout le regard du film, jalonnant les
intersections à peine perceptibles. Les
trois types d'images qui le composent.
plans
à
Ainsi, l'originalité du film concerne la mise
l'homogénéisation et à la domination qui
en forme d'une syntaxe cinématographique
intègrent
indigène
diversifiée, où l'aspect plastique joue un
notamment à travers les vues aériennes.
rôle central, et où chaque régime visuel
Les micro-paysages de Terres, tournés en
investit son point de vue de manière
caméra
distincte.
ainsi
de
des
textures
détail
et
s'opposent
l'iconographie
fixe,
prennent
une
valeur
particulière parmi autant de mouvements.
Cette
originalité
esthétique
On y découvre des textures, des couleurs,
enveloppe, néanmoins, des propositions
des feintes et surtout des imbrications.
qui
Encore une fois, le film met l'accent, cette
montage parallèle entre les transgressions
fois-ci
la
de barrières dans le monde des hommes et
connectivité de toute chose, malgré les
dans celui de la nature semble engendrer
fissures.
un certain déterminisme, selon lequel
à
travers
la
nature,
sur
méritent
d'être
questionnées.
Le
Outre la composition de ces plans,
l'omniprésence de l'hybridation dans la
leurs durées, assez longues, induit le
flore environnante indiquerait que ce
spectateur à dégager de significations
processus serait également « naturel » dans
complémentaires à partir de l'expérience
la vie humaine. Ce rapprochement devient
esthétique.
des
d'autant plus évident à la fin du film,
processus mentaux, comme la description
lorsque dans une longue séquence de
et l'association (avec d'autres séquences du
portraits, des individus aux traits métissés
film), on s'aperçoit que l'intérêt par la
sont filmés de la même façon avec laquelle
diversité
remarqué
la réalisatrice avait filmé la nature. Le
auparavant résonne également dans ces
pouvoir argumentatif de ces images tend à
micro-paysages
Tout
naturaliser le métissage, ce qui pose
comme les différentes sortes de frontières
essentiellement deux problèmes. D'un côté,
sont franchies par les personnages, les
au-delà d'avoir conduit à des théories
feintes de ces portions de nature sont
déterministes, la tentative d'essentialiser
montrées en train d'être transgressées par
les caractéristiques anthropologiques et
des fourmis et des araignées. Au travers de
sociales à travers l'observation de la nature
ces indices de plus en plus flagrants, la
constitue une contrainte à l'harmonie
dissolution des frontières en faveur de
raciale, comme l'a montré Michael Banton4
C'est
que
ainsi
l'on
que
avait
par
rhizomatiques.
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(à partir d'un tout autre contexte). D'un
gouvernement
colombien
estime
que
autre côté, et surtout, cette construction
quatre indigènes de la région sur cinq ont
reste hermétique aux rapports de pouvoir
été exterminés pendant les deux premières
qui sont en jeu lorsqu'il s'agit de frontières
décennies du XXe siècle.
en général, et des frontières amazoniennes
À mesure que les images d'un film
en particulier. Loin de réactiver l'histoire
se révèlent, elles l'inscrivent, malgré lui,
pour montrer que certains aspects de
dans différentes histoires, qui sont aussi
domination sont toujours en cours, le
des histoires d'images, comme celle de la
caractère amnésique du film maintient le
représentation des indigènes au cinéma.
statu
C'est pourquoi on a souvent dit que les
quo,
autorisant
un
regard
contemplatif, voire optimiste, sur les
significations
sont
très
difficilement
(non)frontières.
maîtrisables au cinéma. À ce sujet, l'on
Observer les rapports sociaux liés
pourrait affirmer que les plans serrés qui
au territoire avec un regard non-critique
permettent à Terres de dévoiler les
serait oublier non seulement l'histoire du
singularités propres à la région frontalière
siècle
offusquent,
dernier,
mais
les
histoires
en
contrepartie,
la
vue
spécifiques du film : celle des frontières de
d'ensemble et la prise de recul, comme si le
l'Alto Solimões, de Tabatinga, de Leticia,
découpage spatial et thématique du film
des Ticuna, ou encore de l'acculturation
éjectait
colonisatrice5. Si l'on devait absolument
historiques et politiques.
promptement
les
dimensions
faire la relation entre ces frontières et la
nature, il aurait fallu souligner que dans la
CORUMBIARA (2009), de Vincent
nature on trouve à la fois des rapports de
Carelli
symbiose et de prédation.
La ville de Tabatinga, par exemple,
Corumbiara n'était pas à l'origine
surgit au XVIIIe siècle, de la jonction d'un
un projet de film. Vincent Carelli raconte
village jésuite avec les locaux d'une
que
douane mise en place afin de surveiller les
expériences cinématographiques de ce qui
frontières avec le Pérou et la Colombie.
est devenu par la suite l'association Vidéo
Leticia, pour sa part, ne prend son essor
dans les villages, Marcelo Santos lui avait
qu'au début du XXe siècle, avec la
demandé d'enregistrer les vestiges d'un
construction d'un port destiné notamment à
massacre d'indigènes qui aurait été commis
exporter l'hévéa que les indigènes étaient
sous l'ordre des propriétaires du territoire.
forcés
Les
à
extraire.
Dû
à
cela,
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le
lorsqu'il
images
faisait
de
les
Corumbiara
premières
auraient
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d'abord eu une fonction de document,
Corumbiara, cela se fait notamment par
destinées à attester de la présence de
des commentaires en voix off, mais aussi
peuples indigènes dans le territoire, ainsi
par le montage, ou encore par la réalisation
que de la violence qui leur était infligée.
de nouveaux enregistrements mettant à
Cela avait pour but de garantir à la
jour les sujets traités. Le procédé du
population autochtone le droit sur leur
remploi trouve son analogie au sein même
terre, et de permettre que les responsables
du film. Lors de la visite de Vincent
du crime soient punis.
Carelli à Marcelo Santos, ce qui est déjà un
N'ayant
atteindre
dispositif de réactivation, celui-ci sort un
entièrement ses objectifs, Vincent Carelli
vieux dossier rempli de documents portant
décide de reprendre les images qu'il avait
sur les événements traités par le film.
tournées
décennies
Ceux-ci étant à l'état brut, leur usage n'est
précédentes pour en faire un film malgré
possible qu'à partir d'un long processus de
tout.
d'envisager
révision, de sélection et de recyclage. En
Corumbiara comme un film de remploi : il
effet, la visite à Marcelo Santos permet au
y a d'abord la constitution d'un réservoir
réalisateur, non seulement d'évoquer des
d'images, ensuite l'écart temporel entre
souvenirs et d'affects partagés, mais aussi
l'enregistrement et l'utilisation, et enfin le
de rendre évident le déplacement effectué
déplacement du sens premier que l'on
par le geste créateur de la reprise.
cherche à accorder aux images au moment
Désormais, affirme Carelli, « il ne s'agit
où elles ont été prises. Ce déplacement est
plus de prouver ou pas, il s'agit de raconter
possible grâce à l'intervalle qui sépare ces
l'histoire. »7 (Voir figure 4).
deux
pas
durant
Ce
les
procédé
pu
deux
permet
temporalités,
permettant
au
Tenir compte de l'échec d'où les
réalisateur de faire, entre autre, une
images sont issues permet de comprendre
révision de lui-même.6 C'est aussi la
les caractéristiques liées à leur nature : la
maturité de son activité d'indianiste qui
recherche de traces, la frontalité des
permet à Vincent Carelli de prendre du
compositions visuelles, la valorisation des
recul par rapport au processus dans lequel
témoignages et même l'usage de la caméra
il cherchait à intervenir.
cachée.
Dans
un
premier
temps,
Le passage du domaine judiciaire
Corumbiara témoigne d'une militance de
au domaine cinématographique implique la
premier ordre, envisageant d'intervenir
constitution
nouvelle,
directement sur un problème territorial. Si
propre aux images, capable de faire vivre
la comparaison fréquente entre la caméra
les archives filmiques. Dans le cas de
et le fusil se manifeste nettement vers la fin
d'une
stratégie
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du
film,
l'objet
belliqueux
que
n'était, en théorie, pas aussi insensé que la
représenterait le mieux la caméra de
manière dont il a été mis en pratique. Alors
Vincent Carelli serait sûrement le bouclier,
qu'en principe la protection des indigènes
visant à protéger les tribus par la
et de l'environnement était prévue, celle-ci
revendication
a été largement ignorée sur le terrain.
d'une
barrière
capable
d'empêcher l'avancée colonisatrice.
L'écart, toujours présent, entre les lois et
« Le sud de Rondônia c'est le front
leur application est d'autant plus important
d'expansion du moment », dit Carelli au
lorsqu'il s'agit de l'histoire des indigènes,
début du film. La phrase employée par le
ce qui est très visible dans le récit de
réalisateur
suggère
Corumbiara.
problème
territorial
la
constance
dans
du
Dès
le
début
de
la
l'histoire
colonisation, la législation concernant les
brésilienne, alors qu'aujourd'hui c'est le sud
peuples autochtones semble vouloir avant
de Rondônia, hier c'était une autre région
tout soulager la conscience des colons, et
et demain une autre. Rondônia, appelé
non pas garantir le bien-être de ces
ainsi en hommage au maréchal Cândido
populations.
Rondon, porte dans son nom le signe d'un
colonialisme
progressiste
Le
lorsque Vincent Carelli commence le
contexte dans lequel le projet de Vincent
tournage, la restructuration de la politique
Carelli s'insère fait suite à l'énorme
concernant les indigènes isolés, conçue en
croissance économique et démographique
1987, n'est pas encore mise en place. Outre
ayant eu lieu dans la région entre les
cela, la FUNAI8 présentait à l'époque un
années 1960 et 1980. Cela résulte de la
grand nombre de déficiences, révélées et
politique
régime
analysées par Alfredo Wagner de Almeida
militaire, qui a pris des mesures visant à
et João Pacheco de Oliveira en 19859.
développer
que
Parmi celles-ci, figurent l'absence d'une
l'investissement dans la construction de
archive centralisée et d'une méthode de
routes,
les
travail clairement établie. Les auteurs
entreprises locales, la mise aux enchères
affirment en outre que « malgré les
des terres de la région et l'installation des
nombreuses initiatives prises entre 1975 et
Centres de colonisation prévus dans le
1979, la préoccupation systématique avec
Statut de la Terre de 1964 (soit la première
la régularisation des terres indigènes est
année de la dictature de 1964 à 1985).
bien plus récente »10, ce qui fait tout à fait
Malgré
écho aux difficultés éprouvées par Marcelo
de
colonisation
la
la
région,
baisse
la
tardif.
Il est important de mentionner que
du
telles
d'impôts
logique
pour
manifestement
colonisatrice de ce dernier, le programme
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Santos et Vincent Carelli à Rondônia.
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L'intervention de Vincent Carelli
lors, quelque chose de l'ordre d'un combat
dans cette problématique confirme que le
iconographique
et
pouvoir des images peut figurer parmi les
s'ajouter au procès judiciaire. La contre-
nombreux pouvoirs qui s'exercent sur les
attaque des propriétaires consiste à accuser
terres indigènes (politique, symbolique,
Marcelo Santos et Vincent Carelli des
territoriaux, sociaux, etc.). Le réalisateur
crimes qu'ils auraient commis, en utilisant
précise, avec sarcasme, que « l'indien
les mêmes moyens que ceux-ci, à savoir, le
n'existera légalement que si nous le
médiatique, manipulant des images et des
filmons. Un indien que personne n'a vu
témoignages. Deux faux témoignages ont
n'est qu'une rumeur ». Ce système force
été enregistrés au Cartório regional de
Vincent Carelli à côtoyer une pratique dont
Vilhena,
il aimerait s'éloigner, celle qui autrefois
aujourd'hui le cabinet de Flauzino. Il
s'est inspirée de l'anthropométrie judiciaire
convient de souligner que l'un de ces
ville
où
médiatique
se
trouve
vient
encore
d'Alphonse
Bertillon,11
ayant
utilisé
témoignages est celui d'Osny Ferreira,
l'appareil
cinématographique
pour
licencié de la FUNAI et accusé de s'être
ausculter les indigènes indépendamment de
associé à des marchands de bois. Celui-ci
leur accord. Afin d'assurer leur droit sur la
reproche à son tour Marcelo Santos d'avoir
terre, Vincent Carelli a du « envahir » leur
implanté des indiens dans la région dans le
territoire.
but d'extraire du bois lorsque la terre leur
L'enregistrement des deux indiens
serait accordée. D'ailleurs, ce même Osny
de la tribu Canoê a eu un impact direct sur
Ferreira, accompagné d'indiens d'une autre
le contexte du litige, surtout à partir du
tribu (Cinta-larga) s'est rendu au village
moment
Canoê
où
les
images
ont
été
pour
offrir
des
vêtements
à
nationalement diffusées par l'émission
Tiramantu et à sa mère afin de prendre des
télévisuelle
pouvoir
photographies qui prouveraient qu'elles
médiatique entra en jeu, contribuant à ce
vivaient en bon voisinage avec les blancs.
que
L'argument
la
Fantástico.
Police
Le
Fédérale
interdise
de
l'inauthenticité
des
l'exploitation de la région. Représentés par
indigènes se fonde principalement sur la
l'avocat Flauzinho (Odair Flauzino de
manière dont ils sont habillés. Aux mots de
Moraes), les propriétaires contestent la
Vincent Carelli suggérant qu'aux yeux
décision judicaire en s'inspirant de la
(naïfs ou corrompus) de la loi, l'indigène
stratégie de Vincent Carelli. De cette
qui n'a pas été filmé n'existe pas, l'on
façon, les deux camps de cette bataille
pourrait ajouter que l'appartenance de
s'emparent du pouvoir des images. Dès
l'indigène à son peuple est jugée en
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Zan, V.
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fonction des vêtements qu'il porte (ou pas),
constituent
ce qui indique l'ampleur du décalage entre
l'encontre de Flauzino et des intérêts qu'il
la politique, ou le pouvoir législatif, et
représente. La puissance critique des
l'anthropologie, déjà assez développée à
archives filmiques est alors employée
l'époque. En d'autres termes, selon le point
contre l'oubli et l'impunité des coupables,
de vu des propriétaires fonciers, « nu »
tout en se manifestant en faveur de
voulait dire « indigène » et « habillé » était
l'histoire des victimes.
synonyme de « civilisé ».
La
une
lutte
critique
pour
virulente
démarquer
à
les
La presse, qui avait auparavant
frontières des terres indigènes devient dans
contribué à la démarche des indianistes,
le film une réflexion sur l'indianisme et sur
publie cette nouvelle version des faits, sans
la représentation de l'indigène. La révision
faire le moindre effort de vérification à
de Vincent Carelli intègre aussi une
l'égard de sa véracité. En classant ensuite
autocritique, dans laquelle il constate qu'il
la situation comme polémique, les médias
avait tendance à idéaliser l'image des
refusent de publier des enregistrements
indigènes. Le réalisateur se défait de cet
postérieurs, comme ceux des indiens de la
idéal, en exposant dans le film plusieurs
tribu Akunsu, contactés ultérieurement par
événements qui le contredisent, comme la
l'équipe
combat
rivalité entre les Akunsu et les Canoê (qui
iconographique se poursuit en 1995,
se sentent supérieurs), la frontière en bois
lorsque Vincent Carelli retourne à Vilhena
construite par Tiramantu pour empêcher
pour enregistrer une conversation avec
les Akunsu de passer, le meurtre de
Flauzino, l'avocat des propriétaires. Carelli
l'indigène Canoê par les Akunsu, etc.
s'aperçoit que Flauzino ne se souvient pas
Ainsi,
de lui, contrairement aux indigènes qui ne
seulement à l'image médiatique falsifiée
cessent de faire revivre leurs mémoires
par le lobby des propriétaires, mais aussi
tragiques dans leurs témoignages. Cet
aux figures idylliques de l'indien, qui
oubli inattendu de l'ennemi permettra au
prennent leur essor au lendemain de
réalisateur de le filmer, ce qui est rarement
l'indépendance
possible lorsque celui-ci est conscient de
notamment avec le Romantisme littéraire
l'intention de la personne qui le filme.
(dont la première génération fait de
Ainsi, le bourreau expose la logique
l'indigène un mythe national12).
du
film.
Le
Vincent
Carelli
du
s'oppose
Brésil
non
(1822),
(absurde) qui guide ses actions. Repris dix
Corumbiara se donne pour tâche de
ans après, lors de la réalisation de
bâtir une histoire capable d'envisager les
Corumbiara,
terres
ces
séquences
filmiques
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du
sud
de
Rondônia
| 165
(et
Zan, V.
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indirectement celles de tout le Brésil) à
naïf de sa part de croire que les massacres
partir du point de vue de l'autre, cherchant
de Corumbiara n'avaient qu'un coupable. Il
à renverser les paradigmes officiels sur la
s'est rendu compte, par la suite, qu'il
question. Le récit du film permet de
s'agissait d'une grande chaîne d'omissions,
réactiver
dimension
de négligences et de violences touchant
catastrophique de l'histoire des indigènes.
différents cercles de la société. Cela élargit
La circulation d'images et de thèmes qui se
la gamme de responsables de cette contre-
répètent incite le spectateur à comprendre
histoire qui ne peut même pas être
les événements du film non pas comme
racontée.
isolés, mais comme un long processus
criminelles évoquées par Carelli sont
toujours en cours. Pour ne prendre que
analogues à celles qui ont peuplées
quelques exemples : Passaká et le chef
l'histoire de l'État de Rondônia, ou même
Akunsu ont été blessés par balle ; un
celle du Brésil dans sa globalité. Du point
tracteur rase les constructions de leur
de vue de l'indigène, toute la panoplie
village ; Manuzinho raconte qu'il a perdu
colonisatrice, de l'impérialisme portugais
toute sa famille, victime de la rougeole ;
au colonialisme national s'inscrit dans une
l'indigène du trou, dernier membre de sa
même lignée. La résignation personnelle
tribu, est condamné à errer seul dans la
du réalisateur prend part à un processus de
jungle. La mise en rapport de ces histoires
conscientisation historique, en cheminant
individuelles
vers un partage des responsabilités.
affectivement
permet
la
d'entrevoir
une
Les
nombreuses
actions
histoire plus vaste où les personnages du
film
(tout
d'aujourd'hui)
comme
sont
les
des
indigènes
Conclusion
survivants,
autrement dit, des rescapés d'un massacre
décentralisé et à grande échelle.
Que peut le cinéma à présent vis-àvis des indigènes et de leurs terres ? Sans
En dépit de l'irréversibilité de la
oublier que les enjeux de la situation
tragédie, le ton de résignation adopté par
présentée dans chacun des films son assez
Vincent Carelli ne veut pas pour autant
dissemblables, l'on peut constater que
dire que rien ne reste à faire. Au contraire,
Terres et Corumbiara répondent de façon
le réalisateur s'investit de plusieurs façons,
contrastée à cette question, sans toutefois
dont le cinéma, où le récit qu'il met en
s'opposer.
œuvre prend des dimensions critiques,
Terres se penche sur le métissage
ethnographiques, poétiques et historiques.
afin d'appréhender les nouveautés qui en
Il déclare qu'au début du tournage c'était
découlent. Sa démarche est légitime, et à
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Zan, V.
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certains égards, fructueuse. L'imagerie du
partialement ses objectifs. Concrètement,
film s'approche du mouvement perpétuel
les images de Corumbiara ont contribué à
par lequel les organismes vivants se
faire en sorte que les terres indigènes
contaminent entre eux. Les barrières sont
soient
rarement infranchissables ; l'isolement se
symboliquement, elles composent un récit
soumet à l'interaction ; l'état de pureté est
qui s'approchant des intérêts des indigènes
invraisemblable. De ce point de vue, qui
remet en question différents aspects des
fait l'éloge de tout métissage, la notion de
discours dominants à propos du territoire
frontière, et surtout son application dans la
du Brésil en général et de Rondônia en
réalité, se vide de sens. Les frontières
particulier. La révision proposée à partir de
territoriales seraient donc vaines, puisque
la micro-histoire du film est extensible à
contraires au sens naturel de la vie dans ses
des instances plus larges, fondatrices de ce
différentes formes. Le film opère alors le
qu'est le Brésil, aussi bien dans la
rapprochement iconographique entre les
tangibilité de son espace que dans le noyau
imbrications de la végétation amazonienne
de son imaginaire, au sein duquel les
et celles des visages métisses de la
populations autochtones occupent une
population locale, comme si les enjeux de
place considérable. Quelle est la légitimité
ces deux instances étaient du même ordre.
d'une nation qui anéantit les peuples
Cependant, son approche n'est possible
indigènes tout en faisant d'eux son mythe
qu'à partir d'un certain présentisme qui ne
premier ? La question prend force dans le
tient pas compte de multiples rapports de
chagrin de Vincent Carelli, qui jovialement
force qui agissent sur le territoire. En effet,
poursuit sa quête interminable.
ce qui fait défaut à Terres est justement ce
que propose Corumbiara.
légalement
reconnues
;
et
Le présent article ne soutient pas
que toute représentation relative aux
Le geste cinématographique de
indigènes doive forcément intégrer cet
Vincent Carelli vise à faire frontière, car
aspect tragique de l'histoire. Il s'agit plutôt
les frontières peuvent servir à empêcher les
de mettre l'accent sur la mise en scène des
minorités
frontières amazoniennes, qui ayant suscité
d'être
englouties
par
des
puissances hégémoniques. Le contexte
autant
dans lequel il intervient ne lui permet pas
s'enrichir lorsqu'elle embrasse une vision
d'ignorer le pouvoir qui s'exerce sur les
plus dialectique des enjeux du Brésil
limites territoriales. L'ennemi auquel il fait
contemporain. Dans ce contexte, l'oubli,
face est, toutefois, bien plus puissant que
ainsi que des prétentions universalistes,
lui, ce qui ne l'empêche d'atteindre
peuvent
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d'injustices
oblitérer
récentes,
ces
semble
problématiques
| 167
Zan, V.
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toujours en cours. Si cette histoire avait été
6
suffisamment débattue, si elle avait été
Oliveira compare Corumbiara à Santiago,
largement intégrée en tant que tragédie
de João Moreira Salles. Voir Índio que
fondatrice de l'histoire et de la géopolitique
ninguém viu é boato, disponible sur le site
brésiliennes, il serait important de passer à
web:
autre chose. Ceci est pourtant loin d'être le
gramado09dia4a.htm
cas13.
7
Au
contraire,
le
discours
Quant à cela, le critique Rodrigo de
http://www.revistacinetica.com.br/
Voix off de Vincent Carelli.
national(iste), qui se veut opposé au
8 Fondation nationale de l'Indigène.
colonialisme, refoule toujours ses erreurs,
9
ou, pire encore, se considère comme
que quatre ans plus tard : Pacheco de
victime. En effet, le soi de la nation
Oliveira, J.
brésilienne (largement répandu dans la
(dir., 1989). Os poderes e as terras dos
population) continue à envisager la figure
Índios. Cópias Heliográficas Av. Central,
de
Museu Nacional
l'indigène
comme
un
ancêtre
La publication de cette étude ne s'est faite
.
symbolique, revendiquant celui-ci comme
10
étant « le premier brésilien ».
poderes e as terras dos Índios. Cópias
Pacheco de Oliveira, J. (dir., 1989). Os
Heliográficas
11
2
Central,
Museu
Nacional, p. 18.
Notes
1
Av.
Ma traduction
Cunha,
E;
Bertillon, A. (1893) Identification
anthropométrique,
Barbosa,
T.
(2006)
signalétiques.
instructions
Melun,
impression
Antropologia e Imagem. 1. ed. Rio de
administrative.
Janeiro: Jorge Zahar Editor.
12
3
Alencar ou bien de Gonçalves Dias.
Documentaire réalisé en 2012 par Silvio
Da-Rin
concernant
les
populations
indigènes du sud de l'État de l'Acre.
4
Banton,
(1985).
Promoting
13
Voir, par exemple, l'œuvre de José de
Même si quelques mesures allant dans
ce sens ont été prises récemment :
racial
l'apprentissage de l'histoire indigène est
harmony. Cambridge University Press.
devenu depuis peu obligatoire dans les
5
collèges brésiliens.
Voir Pacheco de Oliveira, J. (2012)
Formas de dominação sobre o indígena na
fronteira amazônica: Alto Solimões, de
1650 a 1910. Caderno CRH, Salvador, v.
25, n. 64, jan./abr., p. 17-31.
Rev. Polis e Psique, 2015; 5(1): 154 – 172
| 168
Zan, V.
________________________________________________________________________
Sobre a Funai. Os poderes e as
Références
terras dos índios. Rio de Janeiro,
Museu Nacional, v. 14, pp. 13-75.
Banton, Michael (1985). Promoting racial
harmony. Cambridge, Cambridge
Oliveira Filho, J. P. (2012). Formas de
dominação sobre o indígena na
University Press.
fronteira
Camilo, Janaina (2011). Em busca do País
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fronteira. Paraty, RJ, Simpósio
jan./abr, pp. 17-31.
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Padilha, Solange. O Imaginário da nação
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Oliveira Filho, J. P., Almeida, A. W. B.
(1989).
Demarcação
e
Reafirmação Étnica: Um Ensaio
Rev. Polis e Psique, 2015; 5(1): 154 – 172
Vitor
Zan
est
doctorant
en
études
cinématographiques à l’Université Paris III
| 169
Zan, V.
________________________________________________________________________
–
Sorbonne-Nouvelle,
France.
Il
est
rattaché au laboratoire IRCAV et sa thèse
porte sur les territoires urbains dans le
cinéma
s'intéresse
brésilien
également
contemporain.
aux
Il
territoires
indigènes, dont l'analyse esthétique ne peut
manquer de faire appel à l'anthropologie.
Email: [email protected]
Vitor Zan é doutorando em estudos
cinematográficos pela Université Paris III
– Sorbonne-Nouvelle, França. Ele integra
o laboratório IRCAV.
Email: [email protected]
Enviado em: 10/12/2013 – Aceito em: 20/06/2014
Rev. Polis e Psique, 2015; 5(1): 154 – 172
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Zan, V.
________________________________________________________________________
Figures
Figures 1 et 2: Luiz Thomaz Reis, In VASCONCELOS, F. T. P. Vicente. Expedição ao Rio
Ronuro. Imprensa Nacional, 1945.
Figure 3: Photogrammes de Terras, de Maya Da-Rin, 2009.
Rev. Polis e Psique, 2015; 5(1): 154 – 172
| 171
Zan, V.
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Figure 4: Photogrammes de Corumbiara, de Vincent Carelli, 2009.
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