n°2 - La section clinique de Nantes
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n°2 - La section clinique de Nantes
Afin de préparer la rentrée des cartels à Rennes, qui se tiendra en présence de Rose-Paule Vinciguerra autour de son livre Femmes lacaniennes, des psychanalystes membres de l’École de la Cause freudienne, hommes et femmes, ont accepté de répondre à quelques-unes des questions que nous nous sommes posées pendant la préparation de ce rendez-vous à ne pas manquer. Qu’ils en soient ici vivement remerciés ! Aujourd’hui, les réponses de Caroline Doucet et Pierre-Gilles Guéguen. À lire également au fil de ces interviews, les contributions de l’équipe librairie emmenée par Françoise Morvan. Bonne lecture et rendez-vous le 15 octobre ! Aimee Mullins, « le non localisable de la jouissance féminine, excédant tout ordre phallique » 1 Pour le cartel préparatoire, Julien Berthomier, Anne Brunet, Noémie Jan, Simon Bouin et Danièle Olive, plus-un. RENCONTRES AUTOUR DE FEMMES LACANIENNES Née sans péronés, Aimee Mullins est amputée à l’âge d’un an et apprend à marcher avec des prothèses. Après des études en sciences politiques, elle multiplie les carrières : sportive, mannequin, actrice. « J’aurais pu devenir journaliste ou médecin mais j’ai choisi la voie de l’imagination, de la fantaisie, du pari »1. Aux jeux paralympiques de 1996 à Atlanta, Aimee Mullins bat trois records du monde avec des jambes en fibre de carbone inspirées des membres postérieurs d’un guépard. Trois ans plus tard, elle défile pour un couturier britannique avec une prothèse en frêne sculptée à la main et joue son premier film en 2002. Elle milite au sein de la fondation Women’s Sports qui vise à réconcilier les jeunes filles des quartiers défavorisés avec leur corps. En 2011, elle est choisie comme égérie de L’Oréal. « On voit [...] surgir [...] les remaniements des corps visant une humanité future libérée des contingences anatomiques »2. Aimee Mullins attribue à ses prothèses des qualités extraordinaires : vitesse, beauté et centimètres additionnels. Elles deviennent des accessoires : en bois, transparentes, voilées par des collants, perchées sur des talons… et fabriquées sur mesure. « Je ne vois pas pourquoi on aurait le choix entre douze couleurs d’iPhone et un seul type de prothèse ! », « Mon corps est devenu mon instrument ». À l’ère bionique, Aimee Mullins redéfinit la perception commune des limites du corps humain et demande à ceux qui inventent la prothétique de porter leur talent à la science et à l’art afin de défendre une autre vision de la beauté. Delphine Jézéquel 1. Vinciguerra R.-P., Femmes lacaniennes, Éditions Michèle, Paris, 2014, p. 221. 2. Cf., https://www.ted.com/talks/aimee_mullins_ prosthetic_aesthetics?language=fr 3 Vinciguerra R.-P., Femmes lacaniennes, op. cit., p. 222 CD : Cette question porte sur la distinction homme/femme et sur l’utilisation de l’article défini devant chacun de ces termes, point que souligne Lacan dans la leçon du 15 décembre 71 du Séminaire … Ou pire. Dans sa conférence « Féminité », Freud portait son attention sur la distinction masculinité féminité, soulignant les limites de l’anatomie et les impasses de la psychologie en la matière. Lacan reviendra sur ce point faisant valoir l’impossibilité d’établir une série mâle ou femme à partir d’attributs spécifiques, telle par exemple la recherche de « buts actifs » ou « passifs » par l’un ou l’autre sexe. On trouve chez Freud lui-même les limites d’une telle distinction lorsqu’il énonce une moindre capacité sublimatoire des femmes. Il est plus opérant de répondre à cette question à partir de la logique du fantasme, des structures de la sexuation et de la jouissance. Divers phénomènes, dont le projet d’émancipation des mouvements féministes à l’égard de l’ordre symbolique traditionnel, ont eu une incidence sur la place grandissante qu’occupent les femmes à notre époque. Cela n’est d’ailleurs pas sans susciter, comme le souligne Jacques-Alain Miller dans son cours « L’être et l’Un », une tentative des fondamentalistes à vouloir « ramener l’ordre androcentrique » (cours du 9/02/2011). Quant aux discours du maître et universitaire contemporains aux réponses universelles et conformisantes, ils n’ont que peu modifié les représentations collectives de la différence des sexes, jusqu’ici distribuées selon une norme phallocentrique et marquées par les différences de rôles. Mais sans doute faut-il rapporter la référence au devenir homme au fantasme qui institue le sujet et ce, quel que soit son sexe. Sur la scène du fantasme s’établit un refus de la féminité et une aspiration à la virilité pour les deux sexes (cf. Cours de J.-A. Miller, op. cit.). La virilité est de l’ordre du fantasme. Elle consiste à combler « la castration fondamentale de tout être parlant [...] par petit a ». Ainsi, la logique fantasmatique implique aujourd’hui encore d’un homme qu’il fasse preuve – comme tous les autres hommes – de virilité, qu’il montre qu’il en a. Côté femme, les choses sont plus complexes. « De tout temps les hommes se sont creusés la tête, écrit Freud, sur l’énigme de la féminité ». Les discours buttent sur la définition d’une identification féminine qui conviendrait à toutes. Impossible de constituer le groupe « femme » si ce n’est à réduire la femme à la fonction maternelle. Le mystère et l’originalité de la position féminine nécessitent, sans négliger pour autant la dimension identificatoire aujourd’hui touchée par la féminisation du monde, d’envisager le rapport qu’entretient le sujet avec la ou les jouissances, ses modes de jouir. De ce point de vue, se pose pour chaque être parlant la question de ce que veut une femme. Pas de norme ni de modèle en la matière, pas d’universel féminin ! Demander à une petite fille de devenir « une femme » reviendrait à glisser vers « comme toutes les autres », impossible de structure. De même qu’il n’y pas de nature qui déterminerait au devenir femme. CD : L’époque lacanienne de la psychanalyse est celle de l’inexistence de l’Autre, indique J-A Miller dans son cours « L’Autre qui n’existe pas » (Leçon 1, 20/11/96). « Époque, précise-t-il, de l’errance, des nondupes ». Les sujets contemporains ne sont plus dupes des Noms-du-Père ni de l’existence de l’Autre. D’où la perte de confiance dans les signifiants maîtres qui organisaient jusqu’alors l’ordre du monde, autorité, devoir, idéaux. Nos contemporains savent – plus ou moins – que l’Autre n’est qu’un semblant. Cela rapproche de la position féminine qui a des affinités avec le semblant et participe de la féminisation de l’époque. Mais J.-A. Miller fait également état d’une « aspiration contemporaine à la féminité » (Cours « l’Être et l’Un », leçon du 9/02/2011). Il propose ainsi de lire les grandes fractures auxquelles on assiste comme « l’ordre viril reculant devant la protestation féminine ». Au déclin du père s’ajoute une crise du viril déjà ancienne mais accentuée par la féminisation de l’époque. Force est de constater la place grandissante des femmes, notamment dans les sphères du pourvoir dont J.-A. Miller a montré qu’il féminise. CD : Lacan rend compte de l’affinité entre la position de l’analyste et la position féminine à partir de différents axes. Il évoque notamment une affinité des deux positions à l’égard des semblants ou une proximité relative au fait d’occuper pour l’une et l’autre de ces positions celle de semblant d’objet. Lacan rapproche également cette proximité à la révolte de la position féminine contre ce qui vaut pour tout x, « sa révolte contre un universel paresseux ». De ce point de vue, « un homme révolté contre l’universel, sa position n’est pas sans affinité avec celle des femmes ». Le trajet d’une analyse conduit à destituer le sujet de son fantasme phallique donc à s’approcher de la position féminine. Le pas-tout spécifique à la position féminine est une modalité de sortie à la fin de l’analyse, y compris pour un homme. Comme analyste, un homme peut trouver à se situer comme pas-tout. Que l’on soit un homme ou une femme analyste, « on ne peut pas être analyste en étant institué par le fantasme phallique » (J.-A. Miller, « L’Être et l’Un »). Cela étant, il n’y a pas pour autant de féminisation des psychanalystes. CD : Lacan considère que les psychanalystes femmes sont plus à l’aise à l’endroit de l’inconscient. Les femmes en sont moins empêtrées. Il précise dans son Séminaire « RSI » que les femmes « traitent ça avec une sauvagerie, une liberté d’allure qui est tout à fait saisissante » (leçon du11/02/75) et de citer le cas de Mélanie Klein. Néanmoins, qu’elles soient meilleures ou pires dépend de leur position quant au phallus. Elles sont meilleures si « elles ne se laissent pas étourdir d’une nature anti-phallique » (Lacan, Séminaire du 15 janvier 1980). Une femme analyste doit rester pas-toute relativement à la jouissance phallique. Moyennant quoi elle peut entendre ce qui, relevant de l’inconscient, résiste à se dire. Car les femmes ont structuralement à faire avec ce qui de la jouissance ne relève pas de l’interdiction, de la castration. Cette La passe… Fin de partie1 ? jouissance pas-toute, indicible, non œdipienne, « réduite à l’événement de corps » (J.-A. Miller, « L’Être et l’Un », cours du 2/03/2001) sur laquelle Lacan invite à se centrer dans la pratique analytique. Cela renvoie à la question de la fin de l’analyse et de la passe. L’analyse lacanienne conduit au-delà de l’Œdipe et de la logique phallique vers l’inconscient réel et la passe clinique convoque le sinthome existentiel qui a orienté S. Beckett nous plonge dans un univers réel, au sens la vie du sujet dans lequel s’originent les restes lacanien. Huit clos de quatre personnages, y transparaît symptomatiques. C’est peut-être pour cela qu’une l’impossible d’en finir avec le réel, la vie… un cinquième analyste femme est particulièrement à même d’orienter personnage apparaît : mirage ou reconstruction du récit ? la fin de l’analyse vers l’inconscient réel. Cela n’empêche pas un analyste homme d’analyser au-delà Hamm, invalide (aveugle et paraplégique) vit avec ses de l’Œdipe et de conduire une analyse jusqu’à la passe. parents estropiés, chacun logeant dans une poubelle. Ham aime raconter l’histoire ou des histoires. Clov, debout, n’en finit pas de se déplacer, de dire ce qu’il voit, tel le prolongement du corps de Hamm. Il donne le ton de la pièce entre le : « Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir »2 et le « Quelque chose qui suit son cours »3. PGG : Je ne sais pas si l’on dit encore à un jeune garçon « sois un homme ». Quoiqu’il en soit, le un de « un homme » désigne l’être dans son rapport au phallus, qui est le signifiant qui réfère à une jouissance qui manque et donc un homme se caractérise par un rapport de castration au dit phallus. Ceci fait de lui à la fois un parmi d’autres (tous pareils) et le rend particulièrement manquant. Rudyard Kipling, dans son fameux poème « Tu seras un homme mon fils », répond à cette définition de l’homme comme celui qui supporte stoïquement les coups et les traquenards de la vie... C’est dire que ce qui fait qu’un individu se place dans la classe « homme » c’est qu’il renonce à certaines jouissances, ce qui le rend particulièrement collectivisable par les idéaux et les grands principes. Longtemps la guerre était réservée aux hommes, qui apparaissaient comme tous semblables dans les défilés militaires, mais hiérarchiquement organisés. Ainsi les hommes produisent de l’être en vivant sous la menace de castration. C’est en quelque sorte leur uniforme. PGG: L’affaiblissement du Nom-du père a pour corollaire Quant à Hamm, il livre l’objet du désordre insoluble de l’existence : « Réfléchissez, mais réfléchissez, vous êtes sur terre, c’est sans remède !… La fin est dans le commencement et pourtant on continue. »4. On peut supposer que si la mort rôde, les personnages y ont une certaine responsabilité. D’ailleurs, S. Beckett soulève ce que tenir à la vie suppose… et à quel prix. Cette pièce de théâtre met en tension la fin de vie, le hors sens, le hors mot, qui ne sont pas sans résonance avec ce qu’est la fin de l’analyse. Si les personnages ne se désenlisent pas du réel de la vie, ils vivent et pourtant se cognent à leur fin inexorable. Si « Freud notait que la fin d’analyse se confondait avec le fait d’avoir fait son deuil de la castration imaginaire, avec l’assomption de sa propre finitude mortelle »5, J. Lacan « posait alors la question : la terminaison de l’analyse [...] ne doit-elle pas à son terme affronter celui qui la subit à la réalité de la condition humaine ? »6. Ainsi le sujet règlerait quelque chose de sa position face à cette « “stupide et ineffable existence”, un sans raison. Là est le point où mène une analyse. Quand il a rebroussé le chemin ayant fait de sa vie une histoire sans pareille, le sujet rencontre le sans paroles de son histoire, un “rien peut-être” »7. Françoise Morvan 1. Beckett S., Fin de partie, Éditions de Minuit, 1993. 2. Ibid., p.15. 3. Ibid.. p. 28. 4. Ibid.. p. 91. 5. Vinciguerra, R.-P., Femmes lacaniennes, Éditions Michèle, p. 99. 6. Ibid.. p. 99. 7. Ibid., p. 101. l’affaiblissement de l’autorité et des idéaux. Ainsi il peut être rendu responsable de la « féminisation » de l’époque entendue au sens où l’individualisme de masse accompagne une « montée au Zénith » de l’objet a. C’est-à-dire que l’incitation à la jouissance se fait plus présente sous toutes ses formes, qu’elle est portée par la forme capitaliste du marché appuyée par la technologie issue de la Science qui envahit le lien social et prend la place des anciennes « valeurs » en détruisant les idéaux. Sous ce régime la menace de castration comme effet du semblant phallique tend à s’atténuer voire à disparaître. Les régimes d’identification de ce fait sont davantage horizontaux que verticaux (on se range sous la bannière de modes de jouir communs ou de traits d’identification par le symptôme). Les communautarismes et leurs effets de ségrégation se multiplient. En revanche la frontière entre les sexes devient plus poreuse et leur ségrégation ancienne (supposément « domination » des femmes par les hommes) s’efface. PGG : La position féminine est à l’occasion définie par Lacan comme affine à celle de l’analyste dans la mesure où l’analyste n’opère pas à partir de l’autorité du père, ni comme représentant de « la loi » comme Lacan l’avait d’abord pensé, mais bien plutôt de sa place de sujet soumis à la castration réelle (c’est-à-dire déjà effectuée et non plus menace) qu’on peut encore définir comme une position d’objet a. Est analyste celui ou celle sur qui se transfèrent les fantasmes de l’analysant(e) et qui (homme ou femme) peut supporter de représenter l’objet du fantasme sous sa face de vide. Il ou elle opère à partir de cette position qui, en quelque sorte, permet un transfert de la jouissance en trop de l’analysant. Cette jouissance « en trop » se trouve ainsi « aspirée ». C’est du moins ce que Lacan visait avec l’élaboration de ses formules de la sexuation. Amoureux de la folie d’une femme1 PGG : La position féminine n’est pas donnée d’emblée au C’est l’histoire d’une rencontre amoureuse singulière, celle d’un homme sur le bord qui consent à la folie délibérée d’une femme. sujet féminin. (Cf. le célèbre adage de Simone de Beauvoir : On ne nait pas femme on le devient…). D’un côté une femme ne vit pas sous la menace de castration, ce qui rend plus aisé pour elle d’incarner l’objet a. D’un autre, elle peut dissimuler sa jouissance sous la forme de la revendication phallique, soit en restant fixée au père (hystérie) soit en incarnant celle qui a, et c’est la femme toute mère. Le sujet qui, devenu analyste, opère à partir de la revendication phallique dirigera la cure sous le régime de l’identification au père et, de ce fait, ne se trouvera pas dans la position adéquate, d’où la nécessité du contrôle. Il accueille, abrite et protège avec ré-jouissance sa jouissance à elle. Il y articule sa propre démesure. Leurs folies partagées offrent le spectacle fascinant d’une « jouissance toute », fantaisiste, joyeuse, poétique, débridée et inédite. Chaque matin cet homme habille l’aimée d’un prénom nouveau (Hortense, Marguerite, Joséphine…), point de départ d’une histoire réinventée chaque jour, comme une vie en métonymie. Et chaque jour de leur vie, une certitude sous la forme d’une danse, sur la musique d’En attendant Bojangles de Nina Simone, célébration par leur corps enlacés de leur être ensemble au monde. Deux rituels qui consacrent la rencontre d’un mythomane et d’une insatiable rêveuse dont le parti pris est de ne s’orienter que de « l’idéal de la complétude amoureuse »2. De quoi se font-ils serment, sinon de n’opposer à leurs désirs aucune limite, de s’aimer à la folie, jusqu’à la mort ? « Toute la dialectique du sujet à l’Autre est, dans l’amour, exclue et celui-ci vient, à cet égard, faire rejet de la castration »3 nous dit Rose-Paule Vinciguerra. Ces deux amoureux d’exception sont pris dans la folie de croire sans doute au rapport sexuel. Ils nous permettent d’apercevoir tout ce que la folie a de séduisant dans l’illusion de l’amour quand l’angoisse a un temps la délicatesse de se faire oublier… Isabelle Marchand Bourdeaut, O., En attendant Bojangles, Éditions Finitude, 2015. R.-P., Femmes lacaniennes, Éditions Michèle. p. 30. 3 Ibid., p. 51. 1 2 Vinciguerra