Panorama de la haine

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Panorama de la haine
Panorama de la haine
MAKEREEL CATHERINE
jeudi 25 mars 2010, 10:52
CRITIQUE
E
lfriede Jelinek fait partie de ces auteurs qui jettent sur notre monde une
giclée de venin propre à donner la nausée à tout nouveau-né
débarquant sur cette terre. Les Exclus, roman de jeunesse du Prix
Nobel autrichien, offre un panorama peu reluisant de la nature humaine.
Inspirée dʼun fait divers, Jelinek autopsie une bande de jeunes paumés, dont
lʼun ira jusquʼà tuer toute sa famille.
Adaptée par Jean-Bastien Tinant, la pièce pénètre au sein dʼune cellule
familiale, derrière les fenêtres fleuries, pour scruter les névroses filiales et
frustrations générationnelles. Il y a Rainer et sa sœur jumelle Anna, lycéens
dégoûtés par leurs parents. On les comprend : le père, violent, se prétend
artiste parce quʼil prend des photos pornos de sa femme, complètement
soumise. Il y a Sophie, jolie blonde issue dʼune famille nantie, quʼune
éducation raffinée nʼa pas détournée dʼun penchant pour les actes extrêmes.
Enfin, il y a Hans, lʼouvrier « rencontré en boîte » qui rêve de sʼaffranchir des
valeurs communistes de sa classe. Il se fera la jumelle, puis la blonde puis de
nouveau la jumelle pendant que Rainer, amoureux de la même blonde, trouve
la jouissance dans la lecture de Sartre, Camus, Sade ou Bataille. Des auteurs
que ces jeunes interprètent à leur manière, plutôt singulière. Des auteurs
comme ultimes bouées de secours pour des jeunes largués, sans repères,
entre un passé quʼon a voulu effacer et un présent individualiste marécageux.
Cette honte de leur passé, de leur famille, de leur milieu social, ils veulent
lʼexorciser dans le crime, surpassant ainsi lʼabsurdité de tout le reste.
Si le style heurté de Jelinek, avec ses incises imprévisibles, ses images
outrageuses et ses constructions narratives lunatiques, baigne fidèlement
cette adaptation, le jeu délibérément froid des comédiens, dirigés par Olivier
Boudon, nous met trop à distance de leurs enjeux.
Leur haine féroce aurait dû nous glacer, mais ce parti pris dʼune déclamation
détachée nous laisse juste froid. Pourtant, ce tableau dʼune jeunesse
narcissique et déboussolée ne peut que nous interpeller.
Jusquʼau 31 mars au Varia, 78 rue du Sceptre, Bruxelles. Tél. 02 640 82 58.


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