aspects experimentaux de la blessure medullaire

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aspects experimentaux de la blessure medullaire
ASPECTS EXPERIMENTAUX
DE LA BLESSURE MEDULLAIRE
EXPERIMENTAL DATA
OF THE TRAUMATIC SPINAL CORD INJURY
E. Emery
Service de Neurochirurgie (Pr Jean Michel Derlon), CHU de Caen,
avenue de la Côte de Nacre, 14033 Caen Cédex.
Résumé
Summary
es lésions traumatiques de la moelle épinière
(ME) sont associées à un pronostic fonctionnel
dramatique avec des conséquences graves tant
pout l’individu, les proches que pour la société.
Actuellement, aucune thérapeutique réparatrice de la
ME n’est validée en clinique.
Néanmoins, la recherche expérimentale a formidablement progresser tant dans la compréhension des mécanismes physiopathologiques et histopathologiques,
que dans la mise au point de stratégies thérapeutiques,
dont les objectifs principaux sont la neuroprotection et
la réparation du site lésionnel.
La lésion évolue en lésion primaire (déterminant le
déficit neurologique immédiat) et en lésion secondaire. La lésion secondaire englobe toute une cascade
d’évènements biochimiques cytotoxiques complexes
dont la conséquence est une aggravation des lésions
tissulaires primaires. Outre l’hypoperfusion tissulaire
avec pour corollaire l’ischémie au site lésionnel, les
évènements métaboliques reconnus sont l’hypoxie,
pinal cord injury (SCI) is a devastating neurologic disorder and is still considered as irreversible. Experimental studies have clarified
the histopathological events and the physiopathology
of this complex injury. The histopathological studies of
SCI have determined three phases : the acute one with
hemorrhage at the epicentre of the lesion which will
become a necrotic lesion, the subacute with the invasion of the spinal tissue by inflammatory cells which
will deterge the necrotic debris while a cavity will
appear. The chronic stage is marked with a glial scar
all around the cystic cavity which prevents any regeneration of the injured axons. From a physiopathological point of view, SCI is divided into primary and
secondary injuries. The primary injury which occurred
at the time of the accident determines the neurological
deficit of the patient. Secondary injury is an association of complex events with a biochemical cascade
which will at the end worsen the primary lesion. It is
the conjunction of hypoxia, hypovolemia, ischemia,
S
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RACHIS - Vol. 15, n°3, Septembre/Octobre 2003.
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DOSSIER
Article original
E. Emery
l’oédème vasogénique par atteinte de la barrière hématoencéphalique, des troubles ioniques (augmentation
du calcium intracellulaire, élévation du potassium
extracellulaire), l’hydrolyse des phospholipides et la
formation de radicaux libres, la mise en circulation
d’acides aminés excitotoxiques (glutamate, aspartate)
et la survenue d’une réaction inflammatoire.
Les stratégies thérapeutiques reposent d’une part sur la
neuroprotection pharmacologique, d’autre part la restauration. Dans cette dernière optique, sont expliquées
les stratégies de transplantations cellulaires et de thérapie génique, actuellement les plus prometteuses pour
une application clinique.
ionic disturbances, excitotocicity, free radicals,
inflammation and apoptosis.
Comprehension of the mechanisms has led researchers
to develop pharmacological therapies to confer neuprotection but also other strategies such as cell
transplantations, neurotrophic factors infusion, gene
therapy so as to promote regeneration of the injured
spinal cord in animal models before going to the clinical application.
Mots-clefs : Lésion médullaire - Lésion primaire - Lésion secondaire - Cascade neurochimique - Neuroprotection - Transplantation
cellulaire - Thérapie génique.
Key-words : Spinal cord injury - Primary injury - Secondary injury Neurochemical cascade - Neuroprotection - Cell transplantation Gene therapy.
es traumatismes de la moelle épinière (ME)
sont fréquents en pathologie humaine. En
France, environ 35 000 personnes souffrent
d’une lésion médullaire d’origine traumatique avec
une incidence de 1000 nouveaux cas par an. Il s’agit
dans 70% des cas d’une population jeune essentiellement masculine (sex ratio : 3/1). Les traumatismes surviennent dans 60% des cas au niveau cervical et plus
de 50% des patients atteints de traumatisme médullaire ont un déficit neurologique complet irréversible.
Devant le pronostic dramatique associé aux lésions
médullaires traumatiques, de nombreuses équipes de
chercheurs et de cliniciens se sont donné pour objectifs d’élucider les mécanismes physiopathologiques et
de mettre au point, à partir de modèles expérimentaux,
des protocoles thérapeutiques qui pourraient être
transposés à l’homme.
D’un point de vue clinique, les traumatismes rachidiens et médullaires sont bien codifiés et l’IRM permet une meilleure analyse des lésions à la phase initiale du traumatisme et pendant son évolution.
Cependant, l’IRM n’est pas actuellement suffisamment performante pour connaître la nature des modifications tissulaires consécutives au traumatisme. Ainsi,
les mécanismes physiopathologiques d’une part, la
nature et l’évolution des lésions histopathologiques
d’autre part, ont été appréhendés à partir de différents
modèles animaux. Cela étant, les mécanismes lésionnels rencontrés en traumatologie médullaire humaine
sont complexes et différents pour chaque cas (association à des degrés variables de flexion, extension, rotation et compression), ce qui implique la nécessité de
connaître la nature des lésions histopathologiques, biochimiques et leur évolution chez l’homme.
L
RACHIS - Vol. 15, n°3, Septembre/Octobre 2003.
Les modèles expérimentaux ont été étudiés sur différentes espèces animales (chat, chien, primate) avec
une étude prédominante des rongeurs (rat, souris) (19).
Les modèles de lésion ont utilisé différentes stratégies,
avec néanmoins le caractère indispensable de leur
standardisation et de leur parfaite reproductibilité.
Reproduire les lésions observées chez l’homme est
d’une extrême difficulté tant les lésions sont multifactorielles. Ainsi, alors que les compressions antérieures
de la ME (burst-fracture) ou circonférentielles (fractures-dislocations) sont les plus fréquentes en pathologie humaine, la plupart des modèles animaux utilisent
une approche postérieure avec laminectomie pour
créer une lésion médullaire. Le modèle le plus répandu est celui du “weight-drop”, sur la ME dorsale après
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Aspects expérimentaux de la blessure médullaire
non expansive, la présence d’un tissu cicatriciel dense
essentiellement d’origine gliale, la migration de cellules de Schwann vers la moelle, la mise en évidence
d’une dégénérescence wallérienne dans les faisceaux
ascendants et descendants, la démyélinisation d’axones préservés et la remyélinisation ausi bien par les
oligodendrocytes que par les cellules de Schwann
ayant migré à partir des racines vers le tissu médullaire résiduel (5, 23).
laminectomie. Le principe est la chute d’un poids
d’une hauteur prédéterminée avec calcul de la vélocité et de la force d’impact sur la moelle épinière à
rachis ouvert, afin de s’approcher du mécanisme biomécanique de contusion observée en clinique (2). Les
autres modèles sont la compression massive par gonflement d’un ballonnet dans l’espace extra-dural ou
par clip vasculaire, la lésion photochimique (lésion
vasculaire) servant autant à comprendre les mécanismes physiopathologiques biochimiques qu’à appréhender les stratégies thérapeutiques pharmacologiques
de neuroprotection. La transection complète de la ME
est utilisée dans le but de stratégies thérapeutiques
réparatrices (greffes de tissus ou de cellules) (42).
Les mécanismes
physiopathologiques
Les travaux expérimentaux ont permis d’établir que
les lésions traumatiques de la ME évoluaient en deux
temps. Tout d’abord apparaît la lésion primaire, c’est à
dire la destruction tissulaire immédiatement consécutive à l’accident, puis la lésion secondaire englobant
toute une cascade d’évènements biochimiques cytotoxiques complexes dont la conséquence est une
aggravation des lésions tissulaires primaires. Outre
l’hypoperfusion tissulaire avec pour corollaire l’ischémie au site lésionnel, les évènements métaboliques
reconnus sont l’hypoxie, l’oédème vasogénique par
atteinte de la barrière hématoencéphalique, des troubles ioniques (augmentation du calcium intracellulaire, élévation du potassium extracellulaire), l’hydrolyse
des phospholipides et la formation de radicaux libres,
la mise en circulation d’acides aminés excitotoxiques
(glutamate, aspartate) et la survenue d’une réaction
inflammatoire. Cette réaction inflammatoire a pour
conséquence une augmentation de la perméabilité vasculaire, la libération de médiateurs de l’inflammation
et l’afflux de cellules inflammatoires (52).
Les lésions
histopathologiques
Les études expérimentales (confirmées par des observations cliniques) ont permis d’établir que les modifications histopathologiques consécutives au traumatisme suivent une évolution temporelle en phases aigüe,
subaigüe et chronique. A la phase aigüe, il a été mis en
évidence une altération de la microvascularisation au
niveau de la substance grise centrale, avec des foyers
d’hémorragies pétéchiales à l’épicentre lésionnel laissant rapidement place à une nécrose hémorragique
centromédullaire dont l’étendue rostrocaudale est
directement liée à la sévérité du traumatisme (1). La
substance blanche contigüe à la substance grise est
également le siège d’une nécrose tissulaire mais aussi
d’oédème s’étendant de façon centrifuge vers la piemère. La phase subaigüe est essentiellement caractérisée par l’afflux de cellules inflammatoires (granulocytes, macrophages et microglie réactive) qui phagocytent les débris nécrotiques et laissent progressivement
place à une cavité liquidienne centromédullaire (34). Il
est alors observé une réaction astrocytaire nette avec
prolifération des astrocytes au niveau lésionnel. Ces
astrocytes réactifs (hypertrophie des astrocytes avec de
nombreux prolongements cytoplasmiques) s’accumulent aux confins de la lésion et en bordure de la cavité
néoformée pour former une cicatrice gliale dense
considérée comme une barrière à toute régénération
axonale spontanée ou stimulée par des facteurs exogènes (32, 40). La phase chronique est marquée par la
disparition progressive des macrophages en quelques
semaines, la présence d’une cavité liquidienne stable
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La lésion primaire
La lésion primaire définit la gravité du déficit neurologique. En clinique, quatre mécanismes de lésion primaire ont été établis :
● l’impact avec compression persistante ;
● l’impact avec compression transitoire ;
● la distraction ;
● la lacération et/ou transection.
L’impact avec compression persistante est le mécanisme le plus fréquent. Il correspond aux “burst-fracture”
avec rétropulsion de fragments osseux dans le canal
comprimant fortement le fourreau dural. Les fractu151
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augmentation de la fréquence de décharge cellulaire.
Ainsi, le glutamate intervient dans la plasticité synaptique et la potentiation à long terme. Dans la lésion
médullaire traumatique, les neurotransmetteurs excitateurs (principalement le glutamate, mais aussi l’aspartate) sont libérés dans le milieu extra-cellulaire avec
activation (surstimulation) des récepteurs glutamatergiques NMDA et AMPA-kainate et déclenche des processus cellulaires délétères dont une accumulation de
sodium intra-cellulaire, un oédème cytotoxique et une
acidose intra-cellulaire. De plus la défaillance de la
pompe NA+-K+ ATPase aggrave l’accumulation intracellulaire de sodium et d’eau avec une perte extracellulaire de potassium. De façon concommittante, se
produit une accumulation intracellulaire de calcium
(par suractivation des récepteurs NMDA) qui conduit,
par une cascade d’évènements biochimiques à une
mort cellulaire programmée (apoptose) (12). La
neurotoxicité du glutamate est également provoquée
lors du stress oxydatif par l’accumulation de radicaux
libres. Les radicaux libres sont des molécules intermédiaires normalement produites dans chaque cellule
lors des processus biologiques essentiels comme la
consommation d’oxygène et le métabolisme énergétique. Ces intermédiaires sont très réactifs (O2-, H2O2)
et sont en conditions physiologiques neutralisés par
des mécanismes anti-oxydants (gluthation, superoxyde
dismutase, catalase). Dans la cascade d’évènements
biochimiques de la lésion médullaire traumatique, les
radicaux libres détruisent les lipides membranaires, les
chaines d’ADN et des protéines (13). Ceci permet l’initiation de la péroxidation lipidique, l’inactivation
des canaux membranaires à sodium, l’inhibition des
enzymes de la chaîne respiratoire intramitochondriale
et l’augmentation intracellulaire du calcium libre.
L’accumulation intra-cellulaire de Ca2+ dont le mécanisme est multiple (défaillance de pompe à Ca2+, des
canaux à Ca2+, relargage du Ca2+ d’organelles intracellulaires) a des effets néfastes sur de multiples fonctions cellulaires et explique largement la mort cellulaire programmée. L’accumulation de Ca2+ stimule la
mise en route de protéases et lipase calcium dépendantes, telles que les calpaines, les phospholipases C
et A2, la lipoxygénase et la cycloxygénase. Les calpaines dont l’activité est augmentée dans la zone de
pénombre de la lésion initiale ont la capacité de détruire des protéines de structure de l’unité axone-myéline
(43). D’autres protéases calcium dépendantes détruisent les membranes cellulaires et les composants intracellulaires tels que les neurofilaments. Les lipase,
res-luxations et les hernies discales post-traumatiques
répondent au même mécanisme. L’impact avec compression transitoire est le plus souvent observé dans
les lésions en hyperextension chez des patients ayant
une pathologie dégénérative rachidienne sous-jascente
(discarthrose cervicale avec canal cervical étroit).
La lésion primaire atteint de façon prédominante la
substance grise et peut épargner la substance blanche
périphérique. Il a été estimé que la substance grise est
lésée de façon irreversible dès la première heure du
traumatisme, tandis que la substance blanche est irreversiblement lésée dans les 72 heures après l’accident
(14).
La lésion secondaire
Immédiatement secondaire à la lésion primaire survient le choc neurogénique sous la forme d’une bradycardie avec hypotension, vasoplégie et diminution du
débit sanguin avec comme conséquence immédiate
une hypoperfusion tissulaire et ischémie médullaire.
L’ischémie locale est aggravée par le vasospame et les
microthrombi intra-vaculaires à l’épicentre lésionnel.
A l’hypoperfusion tissulaire succède l’hyperémie (ou
perfusion de luxe) liée à une modification du pH local
(accumulation de lactates) qui favorise la libération de
radicaux libres en provenance du stress oxydatif.
L’interruption de petits vaisseaux intra-tissulaires et de
la barrière hémato-encéphalique conduit à la formation de l’œdème vasogénique, observé à l’épicentre
lésionnel et s’étendant de façon centrifuge dans la substance blanche (46, 47).
Les altérations neurochimiques provoquées par la
lésion médullaire initiale sont d’une extrême complexité et peuvent inclure des modifications de libération et de réabsorption de neurotransmetteurs, impliquant à la fois les neurones et la glie, et/ou des récepteurs pré et post-synaptiques. D’autres altérations
impliquent des mouvements ioniques, un déséquilibre
de l’oxydoréduction, donnant naissance à des facteurs
hautement toxiques pour le tissu neural tels que les
espèces réactives de l’oxygène (radicaux libres) et les
intermédiaires réactifs de l’azote, une libération de
facteurs inflammatoires (cytokines), et des modifications de l’apport normal de facteurs trophiques (28).
L’excitoxicité liée aux acides aminés excitateurs et au
stress oxydatif est un mécanisme très important d’aggravation des lésions tissulaires (33). En conditions
physiologiques, la libération du L-glutamate active un
certain nombre de récepteurs neuronaux et induit une
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Aspects expérimentaux de la blessure médullaire
lipoxygénase et cycloxygénase augmentent la dégradation de l’acide arachidonique en thromboxanes, prostaglandines et leukotriènes, favorisant l’oédème
extracellulaire et entraînent une dimunution du débit
sanguin par aggrégation plaquettaire et vasoconstriction (27, 41). Ces molécules contribuent aussi à la
réaction inflammatoire et à la péroxidation lipidique.
D’autres mouvements ioniques sont délétères : l’accumulation de potassium extracellulaire entraîne une
dépolarisation excessive des neurones et une diminution de la conduction axonale ; la déplétion de magnésium intracellulaire a un effet négatif sur les processus
métaboliques tels que glycolyse, le phosphorylation
oxydative, la synthèse protéique. Le magnésium serait
également impliqué dans le processus de neuroprotection par le blocage de récepteurs NMDA, ce qui diminuerait l’excitotoxicité.
Divers évènements tels que l’inflammation, la libération
de cytokines, l’accumulation de radicaux libres et les
mécanismes d’excitoxicité mettent en oeuvre la cascade
biochimique (activation des caspases) de mort cellulaire programmée, l’apoptose. L’apoptose a été observée
au niveau des neurones, des oligodendrocytes et de la
microglie réactive. L’apoptose des oligodendrocytes
contribue à aggraver la démyélinisation d’axones situés
en périphérie de la lésion primaire (16, 29, 44, 45).
Il s’agit de stratégies de neuroprotection.
- Comment favoriser la régénération axonale spontanée mais abortive ?
Il s’agit de stratégies de modifications du microenvironnement cellulaire et extracellulaire.
- Comment favoriser la restauration fonctionnelle au
niveau de la ME sous-lésionnelle ?
Il s’agit de stratégies d’implantations de neurones
monoaminergiques ou de contrôle pharmacologique
de la motricité.
De nombreuses équipes de laboratoire ont travaillé sur
la mise au point de traitements pharmacologiques ayant
pour but la neuroprotection (15). Parmi les cibles
potentielles, des traitements visant à réduire la toxicité
du glutamate en antagonisant les récepteurs NMDA et
non- NMDA ont été testés en expérimentation animale.
Les agents les mieux connus sont le dizocilpine (MK801) et la gacyclidine (GK-11) et ont montré une
réduction du dommage tissulaire (17, 18, 21, 25). Des
protocoles cliniques utilisant la methylprednisolone à
fortes doses à la phase aigüe du traumatisme (NASCIS
II, III) semblent avoir conduit à une amélioration fonctionnelle (7, 8). D’autres thérapeutiques visant à inhiber les différentes molécules de l’inflammation (interleukine 10 - cytokine anti-inflammatoire), à limiter
l’effet cytotoxique des radicaux libres ou à lutter contre l’apoptose (anti-protéases) ont été étudiées en expérimentation animale (3, 31). Il est désormais clair qu’une neuroprotection pharmacologique optimale suite à
une lésion médullaire traumatique ne pourra être envisagée que par une combinaison de molécules thérapeutiques dirigées vers plusieurs cibles physiopathologiques dans le temps et dans l’espace : piégeurs de
radicaux libres, antagonistes des récepteurs NMDA,
antagonistes des récepteurs AMPA-kainate, inhibiteurs
ou activateurs de cytokines...
Cependant, la complexité et la diversité de la réponse
du système nerveux au traumatisme imposent une
intervention à plusieurs niveaux. Ainsi, les stratégies
favorisant la régénération axonale et/ou de transplantation cellulaire sont complémentaires à la neuroprotection pharmacologique.
Les stratégies visant à améliorer la repousse axonale
se concentrent essentiellement à la modification du
microenvironnement cellulaire et extracellulaire.
Les expérimentations animales ont montré que les
obstacles principaux à la régénération axonale sont
d’une part la présence d’une cicatrice astro-gliale non
permissive, la présence de protéines de la myéline
Implications
thérapeutiques
Les modèles expérimentaux de lésion médullaire ont
fait progresser les connaissances sur les mécanismes
fondamentaux de lésion secondaire dans le traumatisme de la ME. Ils ont permis de développer des stratégies thérapeutiques à visée neuroprotectrice et/ou réparatrice (6, 22). Bien que des phénomènes de repousse
axonale se produisent à partir d’axones situés dans la
zone lésionnelle et dont les corps cellulaires sont localisés soit dans la moelle soit dans les structures
supraspinales, il est démontré que cette régénération
axonale est considérée comme spontanément abortive
en raison d’un micro-environnement défavorable.
Les stratégies de réparation des lésions traumatiques
de la ME sont nombreuses en expérimentation animale et tentent d’apporter des solutions à trois questions
fondamentales :
- Comment préserver les tissus périlésionnels non
endommagés par le traumatisme ?
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(nogo-A) et de molécules de la matrice extra-cellulaire (protéoglycanes) inhibitrices, d’autre part la présence insuffisante de facteurs neurotrophiques et neurotropiques (42). La suppression des proteines de la
myéline inhibitrices a pu être obtenue par l’utilisation
d’un anticorps monoclonal (IN1 dirigé contre nogo-A)
avec démonstration d’une régénération axonale et
même de récupération fonctionnelle sur des modèles
de lésion partielle de la ME (50).
La modification du microenvironnement cellulaire et
extra-cellulaire dans un sens permissif à la repousse
axonale a pu être obtenue par la transplantation de cellules ou de nerfs périphériques (10, 26). De nombreux
travaux ont montré l’intérêt des cellules de Schwann
utilisées seules ou associées à des facteurs neurotrophiques ou à d’autres types cellulaires pour permettre
la régénération axonale de neurones propriospinaux,
de neurones ganglionnaires et de neurones supraspinaux (9, 51). Cependant, les stratégies de transplantation cellulaire actuellement les plus prometteuses
concernent l’utilisation des cellules gliales olfactives,
les macrophages activés, les cellules souches (30, 35,
36, 38, 39). Les cellules gliales olfactives ont un effet
promoteur net sur la régénération axonale, de part la
secrétion de facteurs neurotrophiques mais aussi par
leur capacité à migrer le long des faisceaux et accompagner les axones régénérés à travers la substance
blanche inhibitrice et au delà de la cicatrice gliale (37).
De nombreuses expérimentations concernent également la transplantation de cellules souches pluripoten-
tes d’origine embryonnaire, visant à remplacer le pool
de cellules perdues et réétablir des réseaux neuronaux.
Au delà du délicat problème éthique, les cellules souches neuronales peuvent se différencier en neurones
ou cellules gliales. Une fois transplantées in situ dans
le foyer lésionnel, différents auteurs ont montré qu’une majorité de cellules se différenciait en lignée gliale
(11, 20, 30). Le risque de transformation tumorale
n’est pas complètement exclu.
La dernière approche thérapeutique actuellement en
vogue est celle de la thérapie génique (4, 48). Le principe est d’utiliser un vecteur (viral le plus souvent) au sein
de cellules transplantées (cellules de schwann, fibroblastes...) pour qu’elles secrètent in situ les facteurs
neurotrophiques nécessaires à la régénération axonale
(neurotrophine 3, BDNF, GDNF, NGF). Les résultats
apportés par cette stratégie ont montré une repousse
axonale avec récupération fonctionnelle (24, 49).
L’expérimentation animale a permis de développer un
arsenal thérapeutique diversifié qui répond aux mécanismes physiopathologiques de la lésion médullaire
traumatique. Certes, les situations pathologiques rencontrées en clinique ont des mécanismes lésionnels
bien plus complexes, expliquant probablement le peu
de retentissement des premiers essais thérapeutiques
en recherche clinique. Néanmoins, l’espoir d’apporter
un jour une solution thérapeutique raisonnable ne relève plus de l’utopie.
■
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