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La recréation de la paroisse :
les immigrants galiciens
à Buenos Aires (1900-1940)(1)
Entre 1838 et 1930, la Galice, l’une des plus grandes régions d’émigration, a envoyé
vers les grandes villes latino-américaines, et en particulier Buenos Aires, capitale de l’Argentine,
plus d’un million et demi d’immigrants. Regroupés en sociétés ou en associations,
selon leur territoire d’origine, ceux-ci ont exercé une influence considérable sous forme d’aide
financière et d’actions collectives en faveur de leur lieu d’origine, contribuant ainsi
à une plus grande organisation de la société civile.
par Xosé M.
Núñez Seixas,
université
de Saint-Jacquesde-Compostelle
1)- Cet article fait partie
du projet de recherche
BHA 2002-01644, financé
par le ministère
de l’Éducation espagnol.
6
Pas moins d’un million et demi de Galiciens ont pris le chemin de
l’émigration entre 1838 et 1930, dans leur grande majorité en direction
de l’Amérique, et tout particulièrement vers l’Argentine, Cuba, le
Brésil et l’Uruguay. Concrètement, ce sont plus de 1,7 million
d’hommes et femmes, parmi lesquels au moins 578 000 sont restés sur
les lieux de destination entre 1878 et 1930. Envisagée individuellement, la Galice ferait partie des pays européens dont les taux migratoires furent les plus élevés depuis 1880, avec l’Irlande et l’Italie. Les
grandes villes latino-américaines, en particulier Buenos Aires, La
Havane et Montevideo, ont été les principales réceptrices de ce flux
migratoire. Quelque cent cinquante mille émigrants galiciens résidaient en 1914 dans la capitale argentine qui devenait ainsi, pour le
nombre d’habitants, la plus importante cité galicienne du monde, loin
devant La Corogne, grande ville de Galice qui atteignait alors à peine
soixante mille habitants. L’émigration a eu des conséquences décisives
sur la société, l’économie et l’évolution politique de la Galice, devenant
le phénomène social qui, de façon transversale, a le plus influencé la
vie économique, sociale, politique et culturelle de la Galice jusqu’à la
fin du XXe siècle.
Cette influence s’est exercée à travers les envois individuels d’argent des émigrants à leur famille ; grâce aux apports que les émigrants
de retour ont réalisés dans le domaine des idées et des mentalités mais
aussi à travers un phénomène qui résulte d’une action collective : l’action éparse, mais multiple et omniprésente, dans la majeure partie du
territoire galicien, de plus de six cents associations d’émigrants galiciens, fondées à Buenos Aires, à La Havane et dans une moindre
mesure à Montevideo, New York et Rio de Janeiro, entre 1904 et 1936.
N° 1256 - Juillet-août 2005
Il s’agit d’associations plurifonctionnelles qui ont financé plus de deux
cent vingt-cinq écoles primaires, ont doté des écoles déjà existantes de
matériel pédagogique et scolaire, ont financé des chemins, des travaux
publics et locaux à caractère social, ont permis des progrès techniques
en agriculture, ont apporté des ressources pour l’articulation de formes
organisées de l’action collective dans les milieux ruraux et semiurbains (syndicats d’agriculteurs, journaux républicains et de lutte
contre le clientélisme politique, associations de pêcheurs, et, dans une
moindre mesure, syndicats ouvriers). Ces associations ont ainsi insufflé à la campagne galicienne une plus grande organisation de la société
civile, et ce processus, qui a porté ses fruits pendant la IIe République
espagnole (1931-1936), a été brusquement interrompu, comme tant
d’autres choses, par le coup d’État du 18 juillet 1936(2).
2)- Pour une vision
d’ensemble du phénomène,
je renvoie le lecteur
francophone à mes articles :
“Les paroisses d’outre-mer :
Politique, leadership
et associationnisme régional
galicien à Buenos Aires
et à La Havane (1890-1930)”,
in Exils et migrations
ibériques au XXe siècle,
1998, et “Révolutionnaires
ou conformistes ?
L’influence sociopolitique
de l’émigration américaine
de retour en Galice,
1900-1936”, in Studi
Emigrazione/Migration
Studies, 134, 1999.
Les identités territoriales d’origine
se reconstruisent dans les espaces d’émigration
© Archive de l’Émigration Galicienne, Saint-Jacques-de-Compostelle.
Il existe un certain consensus historiographique sur le fait que la présence de l’émigration dans la vie quotidienne et dans la réalité sociale
de la Galice s’est manifestée tout d’abord au niveau local et dans les
cadres les plus immédiats de relation sociale et d’organisation communautaire, qui étaient essentiellement ceux des paroisses. En 1919, il
y avait en Galice 322 communes et 3 785 paroisses, avec une moyenne
de 11 paroisses par commune et 545 habitants par paroisse. À leur tour,
les paroisses se constituaient par groupement de hameaux et de lieuxdits ou noyaux de population(3). La paroisse a constitué jusqu’à la fin du
XXe siècle le cadre d’interaction sociale le plus caractéristique de la
Galice rurale, bien qu’il ne soit pas le seul possible. Cette caractéris-
3)- D. Villar Grangel,
El Municipio en Galicia,
Barcelone : Seix Barral, 1919.
Des immigrants
galiciens assistent
à une représentation
du Orfeón Gallego.
Buenos Aires, 1910.
Les migrants et la démocratie dans les pays d’origine
7
4)- Pour une discussion sur
le rôle de la paroisse comme
cadre communautaire et
associatif, voir. P. Saavedra,
La vida cotidiana
en la Galicia del Antiguo
Régimen, Barcelone :
Crítica, 1994.
5)- J. A. Durán,
“La parroquia de acá y
de acolá en la Galicia
tradicional”, in Indianos.
Monografías de los
Cuadernos del Norte, 1982.
6)- Voir le mémoire
de maîtrise inédit
de J. R. Pereira Bernárdez,
“La emigración
de Salceda de Caselas
(1887-1920)”, Departamento
de Historia Contemporánea,
USC, 2001.
7)- X. Balboa, O monte
en Galicia, Vigo : Eds. Xerais,
1989.
8)- C’est un aspect
que l’on constate clairement
dans la correspondance
des familles des émigrants.
Pour une étude de cas,
voir X. M. Núñez Seixas
et R. Soutelo Vázquez,
As cartas do destino. Unha
familia galega entre dous
mundos (1919-1971),
Vigo : Galaxia, 2005.
9)- V. Peña Saavedra,
Éxodo, organización
comunitaria e intervención
escolar. La impronta
educativa de la emigración
transoceánica en Galicia,
Saint-Jacques-deCompostelle : Xunta de
Galicia, 1991, vol. I.
8
tique est due essentiellement à deux sortes de facteurs : d’une part,
l’organisation administrative ecclésiastique en vigueur depuis très
longtemps, qui avait favorisé des habitudes communautaires cimentées par différents rites, cultes, fêtes et activités, groupés autour de
l’église paroissiale ; d’autre part, la possession de ressources communes devant être gérées collectivement (essentiellement les forêts
en régime de propriété communale et l’eau), la régulation de la propriété et de la gestion privée et les systèmes d’aides mutuelles (collaborations entre voisins à des travaux agricoles, par exemple)(4).
Certains auteurs ont ainsi parlé de la paroisse “d’ici et de celle de làbas” pour décrire l’interaction de ces deux communautés locales séparées par l’océan, mais qui maintenaient leurs liens, renforcés par la
communication épistolaire, les envois d’argent et la circulation plus ou
moins périodique d’émigrants et de gens de retour à travers des
réseaux microsociaux(5). Tout cela constituait un espace caractéristique d’interaction sociale, dans lequel était diffusée de manière homogène l’information au sujet des opportunités de travail dans les destinations migratoires(6).
La paroisse, cependant, n’a pas toujours été une réalité objective.
Elle est souvent devenue au contraire une réalité imaginée, une
construction sociale plus qu’une communauté organique(7). Sa reproduction dans les lieux de destination de l’émigration transocéanique
ne cesse de présenter des problèmes. En effet, savoir si le hameau
(aldea) était une communauté plus unificatrice et organique que la
paroisse donne matière à discussion. D’ailleurs, souvent, les identités
territoriales d’origine se reconstruisaient et se redéfinissaient dans les
espaces d’émigration. Des divisions entre “ceux d’en haut” et “ceux
d’en bas”, “ceux de la forêt” et “ceux de la vallée”, etc. – incompréhensibles si l’on ne tient pas compte des divisions géographiques naturelles du lieu d’origine –, se reproduisaient aussi, généralement de
manière mimétique, à Buenos Aires ou à la Havane(8).
En tout cas, dans le contexte de l’associationnisme hispanique en
Amérique et en particulier à Buenos Aires, l’un des phénomènes qui sans
doute caractérise le mieux la collectivité galicienne, est la prolifération
d’associations ethniques au niveau microterritorial(9). Ces formes associatives reproduisaient comme cadre de référence les sphères de relations et d’interaction sociale d’origine des émigrants, à niveau inférieur
à celui de la province. Il s’agissait non seulement de la paroisse, mais
aussi de l’entité supracommunale et de la commune, et parfois de l’arrondissement ou du district (dénominations qui, dans de nombreux cas,
n’étaient pas dénuées d’une certaine imprécision spatiale). Ces associations sont apparues peu après ou pratiquement en même temps que se
formaient et se consolidaient les grands centres mutualistes, d’assistance et de bienfaisance d’origine galicienne ou espagnole (Centre galicien, Hôpital espagnol, Maison de la Galice, etc.).
N° 1256 - Juillet-août 2005
À Buenos Aires, les immigrants galiciens (comme la majorité des
Espagnols) se sont plutôt concentrés dans les quartiers du centre-ville
et les quartiers méridionaux de Barracas, Constitución et Parque
Patricios, ainsi que dans la ville voisine, Avellaneda, située au sud de la
capitale argentine(10). C’était dans ces quartiers que se trouvait la
majorité des commerces et des établissements régis par des petits propriétaires galiciens(11). De fait, dans des quartiers comme San Telmo et
Montserrat, la densité de petits commerces appartenant à des immigrants galiciens, vers 1915, était supérieure, dans plusieurs rues, à
deux voire trois fonds de commerce par pâté de maisons. Cette densité
favorisait sans doute une impression que corroborait plus d’un témoignage qualitatif : même si l’intérieur des conventillos (édifice avec une
cour où se concentraient de nombreux émigrants qui habitaient dans
des chambres individuelles) et des maisons de rapport était davantage
pluriethnique, l’espace public dans ces quartiers montrait de manière
assez visible la prépondérance des Galiciens.
Les associations locales
prolifèrent chez les Galiciens
C’est dans ce contexte qu’est né l’associationnisme microterritorial
et que s’implantèrent dans ces quartiers les premiers sièges des associations locales d’immigrants, souvent dénommées “sociétés d’instruction”. Il est cependant beaucoup plus problématique d’affirmer
qu’il existait, tout au long du premier tiers du XXe siècle, en plus des
quartiers plus ou moins galiciens (ou espagnols), des microquartiers
ethniques de natifs, mettons par exemple, de la municipalité de SaintJacques-de-Compostelle ou de la paroisse de Taragoña (Rianxo, Pontevedra). Il y avait tout au plus quelques quartiers ou îlots (cuadras) où
la concentration d’émigrants provenant d’une même paroisse ou d’une
même commune était relativement élevée à cause de la présence d’une
usine, d’un grand magasin, d’un petit hôtel, d’un bar, d’un centre pour
l’emploi ou d’un centre d’information, appartenant à un ou plusieurs
immigrants galiciens qui engageaient ou logeaient leurs compatriotes
ou les habitants de leur paroisse de référence.
L’associationnisme immigrant galicien fut, autant à Buenos Aires
qu’à La Havane, le résultat d’un processus de mobilisation sociopolitique dans lequel les influences de la société d’accueil, les besoins
concrets des émigrants et les encouragements du pays d’origine se sont
complétés mutuellement et ont permis ainsi l’apparition de formes
associatives qui, loin d’être des expressions de campanilismo (“paysants ignorants”), adoptaient des champs d’action en parfaite adéquation avec leurs objectifs : les loisirs (à travers l’organisation de fêtes et
de réunions), la pratique d’une action mutuelle limitée, la recréation
d’une sociabilité d’origine et, tout spécialement, l’intervention coor-
Les migrants et la démocratie dans les pays d’origine
10)- J. R. Scobie,
Buenos Aires. Del centro
a los barrios, 1870-1910,
Buenos Aires : Eds. Solar,
1986 [Oxford 1974] ;
J. C. Moya, Cousins and
Strangers. Spanish
Immigrants
in Buenos Aires, 1850-1930,
Berkeley et al. : Univ.
of California Press, 1998 ;
R.G. Farias Iglesias, “Mas alla
de los ‘cien barrios porteños’ :
la inmigración gallega en
Avellaneda, 1890-1920”,
mémoire de maîtrise,
université de Saint-Jacquesde-Compostelle, 2004.
11)- Élaboration personnelle
à partir des données de
G. Hervella García et Mª Seijas
Montero, “Aproximación a
la estructura socioeconómica
de la colectividad gallega en
Buenos Aires a través de
la prensa étnica, 1900-1930”,
rapport présenté à l’Encuentro
de Americanistas Españoles,
université de Séville,
8-12 juillet 2002.
9
12)- E. Franzina,
L’immaginario degli
emigranti, Paese :
Pagus, 1992 et S. Baily,
“Las dimensiones globales
de la migración italiana :
Siguiendo el rastro
de la diáspora a través
de las sociedades
italianas, 1835-1908”,
Estudios Migratorios
Latinoamericanos, 44, 2000.
donnée dans la vie économique, culturelle et sociopolitique des lieux
d’origine. C’est un aspect qui n’a évidemment pas été propre aux
Galiciens : vers 1900, par exemple, on dénombrait en Argentine
124 543 sociétaires italiens qui se répartissaient entre 302 associations
italiennes, dont 66 – qui seront 75 six ans plus tard – se trouvaient à
Buenos Aires(12). Malgré tout, parmi les Espagnols, la tendance à la prolifération de sociétés de caractère local et supracommunal touchait
davantage les Galiciens que les Asturiens, par exemple, lesquels
venaient également du milieu rural, et étaient à Cuba presque aussi
nombreux que les Galiciens. À quoi devait-on cette particularité ?
Étant donné que le nombre d’immigrants galiciens à Buenos Aires
était le plus important de toutes les régions de la péninsule (plus de
55 % des Espagnols entre 1878 et 1930), on peut théoriquement considérer qu’il facilitait la reproduction de schémas et de liens d’identité
collective semblables à ceux qui (soi-disant) existaient déjà dans le
pays natal. Cela ne se produisait que dans les villes où le nombre d’immigrés était assez important pour atteindre une “masse critique”, rendant possible la coexistence de plusieurs sphères de sociabilité. En ce
sens, les modèles associatifs des émigrants traduiraient simplement
une hiérarchisation de loyautés et d’identités qui n’ont rien de contradictoires. Beaucoup d’immigrants qui venaient d’arriver en Argentine
pouvaient s’associer au Centre galicien ou à l’Hôpital espagnol pour
bénéficier de services mutualistes et de consultations médicales ;
cependant, ils avaient aussi tendance à rechercher la compagnie de
leurs anciens voisins et, par ce biais, à fonder ou à adhérer à une
société communale, locale ou paroissiale, afin de reproduire en
Amérique les espaces d’interaction sociale qui leur étaient familiers.
Des paysans galiciens font appel
à leurs compatriotes d’Amérique
Les requêtes et les appels adressés aux émigrants (ou aux “voisins
absents”) par la société d’origine ont cependant joué un rôle très important. Les communautés d’émigrants n’exerçaient pas seulement leur
influence sur la Galice. La Galice aussi y exerçait son influence. Plus
d’une fois, le besoin de faire face à des nécessités conjoncturelles et
concrètes dans les communautés d’origine a poussé des voisins absents,
résidant à Buenos Aires (ou à La Havane), à s’associer. L’élément catalyseur pouvait être une demande d’aide adressée par les paroissiens ou les
habitants des lieux d’origine à leurs ressortissants résidant en Amérique,
par l’intermédiaire d’un ou de plusieurs émigrants ayant un certain prestige économique ou professionnel, et dans un but précis (par exemple
une collecte pour des travaux publics, pour réformer l’église ou bâtir un
nouveau cimetière). Ceux-ci formaient une commission provisoire ayant
pour but de réunir les fonds nécessaires, mettaient en marche une cer-
10
N° 1256 - Juillet-août 2005
taine dynamique d’action collective, et finissaient souvent par concevoir le projet de constituer une association communale ou paroissiale
dans laquelle ils figuraient automatiquement comme membres d’une
commission constitutive. Même si ces commissions ne débouchaient
pas toujours immédiatement sur la création d’une association, une
organisation de base non-officielle se maintenait et pouvait stimuler
dans certains cas l’action collective des émigrants en faveur de leur
lieu d’origine : les réseaux sociaux transposés, la solidarité communautaire et les aides financières locales ont formé une structure de
mobilisation appropriée qui a permis l’action collective des immigrants
galiciens(13). C’est ce que l’on observe depuis au moins 1898. D’autres
fois, il y avait des appels explicites
adressés par les syndicats ou les
associations de paysans d’un village
Les associations naissaient
ou d’une paroisse à leurs compasouvent suite à une demande d’aide
triotes d’Amérique pour qu’ils coladressée par des Galiciens restés au pays
laborent économiquement à leur
à leurs compatriotes d’Amérique.
action politique et sociale. L’arrivée
par vagues massives entre 1900 et
1929 d’émigrants originaires de
Galice n’a pas été l’unique influence. La prolifération d’associations
agraires et de syndicats paysans dans la campagne galicienne depuis
1900 et, parallèlement, le phénomène d’organisation de l’édifice social
qui avait lieu sur une grande partie du territoire rural de Galice ont joué
un rôle décisif. Il s’agissait du mouvement agraire (agrarista), grand
mouvement social, toutefois épars, qui a fortement contribué durant le
premier tiers du XXe siècle à la conquête de la pleine propriété de la 13)- Sur le rôle que
les réseaux sociaux
terre par les métayers, à l’amélioration de leur relation avec le marché, et communautaires
et qui a permis aux paysans d’affronter les élites traditionnelles du peuvent avoir au moment
d’offrir des structures
milieu rural. Les sociétés et les syndicats agraires ont, en effet, pris la de mobilisation, c’est-à-dire
paroisse comme base d’organisation. D’ailleurs, leur identification à cet des voies organisatrices
préalables à l’action
espace territorial a été telle que sociétés agraires et identité locale se collective qui diminuent
sont souvent superposées. D’autre part, les ressources matérielles et les coûts de l’initiative
individuelle, voir S. Tarrow,
immatérielles envoyées par les émigrants, ainsi que les émigrants de El poder en movimiento.
movimientos sociales,
retour qui apportaient leurs expériences et leurs économies, ont joué Los
la acción colectiva y la
un rôle décisif dans ce mouvement associatif(14).
política, Madrid : Alianza,
ainsi que M. Taylor
Un deuxième facteur a permis que ces initiatives voient le jour : il 1997,
et S. Singleton,
s’agit du relatif dynamisme de la presse des immigrants galiciens à “The Communal Resource :
Cost and
Buenos Aires, complémentaire de la presse espagnole. La presse immi- Transaction
the Solution of Collective
grante galicienne, et en particulier le séminaire Nova Galicia, a servi Action Problems”, in Politics
and Society, 21 : 4, 1993.
de support de diffusion et d’encouragement en faveur de la formation
de sociétés. Nova Galicia a été fondé en 1901 par le procureur, jour- 14)- M. Cabo Villaverde,
O agrarismo, Vigo : A Nosa
naliste et homme de lettres Fortunato Cruces (1870-1961), qui a été Terra, 1998, ainsi que
livre Emigrantes,
un solide promoteur de la constitution d’associations locales, face à la mon
caciques e indianos, Vigo :
méfiance d’autres journaux galiciens de Buenos Aires (par exemple, Eds. Xerais, 1998.
Les migrants et la démocratie dans les pays d’origine
11
Frontispice du journal
El Despertar Gallego
(Le Réveil galicien)
de Buenos Aires,
porte-parole
des associations locales
galiciennes, 1926.
© Archive de l’Émigration Galicienne, Saint-Jacques-de-Compostelle.
El Eco de Galicia, dirigé par l’exilé républicain Manuel Castro López)
et face à d’autres secteurs de l’élite de la communauté immigrante qui
ne voyaient en cela qu’un déploiement d’efforts inutiles. En effet, Nova
Galicia, dans sa propagande, recommandait avec insistance aux immigrants de s’associer à l’entité de leur lieu d’origine, de participer aux
fêtes et aux veillées sociales et de contribuer aux causes philanthropiques au profit de leur lieu de naissance.
En 1904 est créée la Concordia,
association des natifs de Fornelos
De très nombreuses sociétés galiciennes de portée paroissiale, municipale et supracommunale sont apparues à Buenos Aires et à La Havane,
entre 1904 et 1936, avec une période d’intensité maximale entre 1907 et
1925. Il est difficile d’en établir le nombre avec précision, en partie à
cause du manque de stabilité et du caractère éphémère de certaines
d’entre elles, des fusions fréquentes, des changements de nom, etc. Il est
cependant possible d’offrir une approximation fiable de leur portée territoriale d’action (voir le tableau n° 1, p. 14). Mis à part quelques précédents isolés, la première société d’instruction connue à Buenos Aires est
apparue en avril 1904. Il s’agissait de la Concordia, association des natifs
de la paroisse de Fornelos de Ribeira (commune de Salvaterra de Miño,
province de Pontevedra, en Galice). Lors de sa création, la Concordia
montrait clairement la réunion de circonstances qui permettrait le développement des sociétés microterritoriales : les réseaux microsociaux
entre voisins et parents opérant à Buenos Aires, la proximité résidentielle
et/ou du lieu de travail et la combinaison des intérêts au sein de leur
direction entre notables et activistes politiques, qui souvent étaient les
mêmes personnes. L’entité avait été créée à l’initiative de trente-sept
immigrés originaires de Fornelos, dont la majorité travaillait à l’usine
d’outils des frères Manuel et José M. González, eux aussi originaires de
Fornelos, et qui avaient pour but premier de doter la paroisse d’origine
12
N° 1256 - Juillet-août 2005
d’un nouveau cimetière civil et religieux. Le poids des émigrés qui avaient
réussi dans le comité de direction de la première société est significatif.
Manuel González a été nommé président, son frère trésorier, et le siège
social a été établi dans leur usine. Mais le commerçant Ricardo Sestelo,
membre actif de la Ligue républicaine espagnole de l’Argentine, figurait
comme vice-secrétaire. Lors de la constitution de l’association, ce que l’on
peut appeler le patronage informel des frères González, de Ricardo Sestelo, de son frère Constante ainsi que du notable originaire de Fornelos,
Rogelio Estévez Cambra (notaire et prestigieux juriste résidant à la ville
de Bahía Blanca) a continué à être primordial : à eux cinq, ils apportèrent
74,4 % des fonds réunis lors de la première souscription pour le cimetière
de leur paroisse de naissance. En 1906, la Concordia collaborait déjà à
l’entretien de l’école publique de son lieu d’origine et en 1907 elle avait
déjà versé un total de cinq mille pesetas à son délégué de Fornelos da
Ribeira pour participer à la construction du nouveau cimetière(15).
On constate de semblables dynamiques lors de la fondation d’autres
entités. La séquence est connue, omniprésente, et varie peu. Un ou plusieurs notables réunissaient les natifs d’une paroisse ou d’une municipalité et prêtaient le local de leur établissement comme siège provisoire, transformant ainsi en réseau associatif formel ce qui souvent
n’avait alors fonctionné que comme lieu de réunion informel des immigrants provenant d’un espace géographique précis de Galice. Le fait de
disposer d’un minimum de ressources (d’un local de réunion, de livres
de comptes rendus, de livres de comptes, de papier et de tampons) était
fondamental pour pouvoir commencer l’action de propagande et exigeait des initiateurs de l’entité un certain potentiel de sacrifice et d’altruisme, c’est-à-dire la capacité d’assumer un certain risque, souvent
récompensé par l’exercice des postes de direction. Ce qui était généralement difficile, c’était de passer le seuil de crédibilité et de rentabilité
en termes de confiance entre leurs compatriotes. Disposer d’un certain
capital relationnel était fondamental pour y parvenir.
15)- Mémorandum
de la Juventud Progresiva
Hijos de Fornelos y Anexos
de Buenos Aires (fondée
en 1920 et successeur
de la Concordia) à
la municipalité de Salvaterra
de Miño, Buenos Aires,
s. d. [vers 1925], dans
Archive de la Federación
de Sociedades Gallegas,
Buenos-Aires (AFSG) ;
Nova Galicia, 14 août 1904
et 5 août 1906.
348 associations galiciennes fondées
entre 1904 et 1936 à Buenos Aires
À partir de 1904, le nombre d’associations microterritoriales à Buenos
Aires augmenta de manière progressive : il passa de 12 en 1907 à 42 voire
50 en 1913, 98 en 1916 et 146 en 1926. Le rythme de fondation a atteint
son maximum pendant la première moitié des années vingt et retombe
pendant la deuxième moitié de cette décennie, pour se stabiliser à une
fréquence inférieure pendant les années trente. Au total, le chiffre global est de 348 sociétés fondées entre 1904 et 1936. Elles regroupent plus
de 60 % des municipalités galiciennes sur cette période (Tableau 1).
En regroupant les différentes sphères territoriales selon l’unité géographique et administrative prise comme base d’action, et en tenant compte
Les migrants et la démocratie dans les pays d’origine
13
du fait que les sociétés d’arrondissement ainsi que celles qui regroupent
deux communes ou plus peuvent être considérées comme des sociétés
supracommunales, on obtient le pourcentage de 31,6 % de sociétés basées
sur la paroisse, 50,86 % sur la commune et 15,79 % sur une entité supracommunale, alors que 2,58 % seulement étaient basées sur la province
(circonscription territoriale semblable au département français).
La pluralité de sphères territoriales de référence, plus variée qu’on
aurait pu le supposer a priori, nous informe d’emblée du fait que la soidisant subsistance de la paroisse, du hameau ou de l’entité supracommunale, lors de l’émigration, n’est pas automatique. Pourquoi dans certains cas fondait-on des sociétés paroissiales et dans d’autres cas des
sociétés supracommunales ou bien des sociétés communales ? Il
n’existe pas toujours une corrélation directe entre l’existence d’une
quantité suffisante d’émigrants originaires d’une paroisse ou d’une commune et la constitution d’une société paroissiale ou communale, et
encore moins une correspondance exacte entre la dimension relative de
la paroisse de Galice et la fondation en Amérique d’une association prenant comme base d’organisation ce cadre territorial. Des contrées ou des
paroisses galiciennes ayant une forte émigration vers Buenos Aires pendant la période considérée ne présentent pas chez leurs émigrants une
grande densité associative. Généralement, un catalyseur approprié, en
l’absence duquel il n’y avait aucun bénéfice, était indispensable. Une
élite qui assumait le rôle de direction avait cette responsabilité. Et
selon les préférences, les options et les divisions internes de cette élite,
les associations pouvaient s’appliquer à l’un ou l’autre espace géographique d’action et de référence, étant donné que les modèles d’organisation des communautés immigrées ne dérivent pas automatiquement
des liens d’origine transférés au nouveau monde, mais se caractérisent
beaucoup par la recréation et la stratégie instrumentale. Il y avait des
entités microterritoriales de trente-cinq adhérents et il y en avait de
six cents adhérents. L’existence d’associations de portées territoriales
Tableau n° 1 - Portée territoriale d’action des sociétés
d’instruction galiciennes de Buenos Aires (1904-1936)
H,
L-d
P
2P
ou +
C
2C
ou +
Arron.
Prov
La Corogne
1
37
7
59
2
10
1
117
Lugo
1
5
-
34
6
6
4
56
Ourense
-
14
-
25
4
5
3
51
Pontevedra
1
41
6
59
10
6
1
124
Province
GALICE
Pourcentage
Total
3
97
13
177
28
27
9
348
0,86
27,87
3,73
50,86
8,04
7,75
2,58
100
(H, L-d : hameau, lieu-dit ; P : paroisse ; C : commune ; Arron. : arrondissement ; Prov : province)
Source : Élaboration personnelle
14
N° 1256 - Juillet-août 2005
différentes, superposées, voire même rivales, s’expliquait surtout par
deux facteurs. Le premier d’entre eux est la présence de notables,
d’émigrants aisés qui parrainaient la fondation d’associations, et/ou d’activistes politiques, d’intellectuels et de journalistes intéressés aussi par la
promotion de l’associationnisme et qui avaient tendance à faire prévaloir
un cadre territorial d’action servant leurs
intérêts et leurs objectifs, et qu’ils pouL’associationnisme microterritorial
vaient manipuler à divers niveaux. Ainsi,
galicien était beaucoup plus
dans la majorité des cas connus, ce choix
ne reflétait pas nécessairement une fidéqu’une simple reproduction mimétique
lité inébranlable aux identités communaudes liens communautaires d’origine. Il s’agissait
taires ou aux cadres de sociabilités mainteaussi d’une recréation de l’espace social.
nus en Argentine. Au contraire, dans les
disputes pour le pouvoir, l’appel à des référents communautaires acquérait une géométrie variable selon les circonstances et les intérêts concrets. En second lieu, et comme nous
l’avons déjà dit, les mouvements sociaux et politiques existaient dans
les lieux d’origine. Ils conditionnaient, à certains moments, la création
de sociétés en Amérique, lesquelles avaient tendance à suivre les directives associatives en vigueur en Galice. Le niveau relatif d’organisation
de la société civile dans le milieu rural galicien se répétait dans la
société civile d’outre-mer, et vice versa.
Un certain corporatisme naît
au sein des associations
L’associationnisme microterritorial galicien était beaucoup plus qu’une
simple reproduction mimétique des liens communautaires d’origine. Il
s’agissait aussi d’une recréation de l’espace social, où se mêlaient le
souvenir du lieu d’origine et la construction d’une nouvelle identité,
superposée ou adjacente à d’autres sphères d’attribution collective.
Malgré tout, il est vrai que cette recréation ne pouvait jamais trop s’éloigner des sentiments d’identité communautaire de base locale (paroissiale ou supracommunale). Donc, bien que le contact avec la société
réceptrice ainsi qu’avec des Galiciens d’autres régions et avec le reste
des immigrants espagnols introduisît chez les émigrants une hiérarchie
d’identités superposées soumises à des codes particuliers, les traits de
fidélité aux espaces d’interaction sociale les plus immédiatement liés
au lieu d’origine ne disparaissaient pas, même dans les associations de
portée territoriale communale ou supracommunale. Au sein de ces dernières, les disputes paroissiales étaient fréquentes, les rivalités locales
se superposant aux problèmes internes de gestion et d’administration,
ou de définition sociopolitique(16). Phénomène, par ailleurs, inévitable
dans les associations volontaires à base ethnique, où l’appel à la solidarité communautaire ne peut éviter les cercles concentriques d’identifi-
Les migrants et la démocratie dans les pays d’origine
16)- Par exemple, c’est le cas
de l’association Unión
del Partido de Lalín, fondée
en 1921 (séparée de Hijos
del Partido de Lalín
et ayant des orientations
socialistes, évidentes chez
son leader, le tailleur
et ancien dirigeant agraire
en Galice, Jesús Blanco).
Des 242 sociétaires qui furent
admis dans l’entité entre
février 1921 et janvier 1925,
58,5 % (141) provenait
de quatre paroisses, toutes
situées dans la région
occidentale de la
municipalité de Lalín, qui
jusqu’alors avaient à peine
été représentées de manière
significative aux Hijos del
Partido de Lalín : Cristimil
(63, 26 %), Gresande (36,
14,8 %), Donsión (21, 8,6 %),
et Prado (21, 8,6 %).
Voir Libro de Socios de
Unión del Partido de Lalín,
Archives du Centro Lalín,
Buenos Aires (ACL).
15
17)- Voir les observations
de M. Hechter, D. Friedman
et M. Appelbaum, “A Theory
of Ethnic Collective Action”,
International Migration
Review, 16 : 2, 1982.
18)- Tel était le cas de Hijos
de Silleda, qui en 1931
faisait en sorte que
les instituteurs des écoles
en Galice soutenues
par l’association fassent
apparaître sur les listes
des élèves qu’ils envoyaient
régulièrement
à Buenos Aires le nom
et l’adresse des membres
de leur famille qui résidaient
en Argentine et cotisaient
dans l’entité. Voir Listas
de alumnos en septiembre
de 1931 (ACL) ;
Procès-verbal de l’assemblée
du 8.6.1924, dans Libro
de Actas de Asambleas
Generales de Hijos
de Silleda (1909-1936), ACL.
19)- R. Merton, Teoría
y estructura sociales
[1949], México : FCE, 1970.
cation(17). Si, dans certains cas, il s’agissait de rivalités locales transposées de la Galice en Amérique, dans d’autres cas il s’agissait de dissensions entre les adhérents qui préféraient faire passer en priorité des
objectifs d’instruction et d’intervention en Galice et ceux qui préféraient transformer les sociétés en entités mutualistes et de loisirs.
En partie pour surmonter ces tensions (entre instruction et loisirs,
entre bienfaisance et mutualisme), dans certaines entités d’émigrés une
orientation plus corporative est apparue progressivement au moment de
donner une priorité à ceux qui devaient bénéficier des investissements
dans le lieu d’origine. Pour encourager les émigrants à déposer de l’argent
dans les sociétés d’instruction et, en même temps, pour réussir à faire en
sorte que les familles des paroisses d’origine s’intéressent et participent
au succès des écoles qui recevaient des donations d’outre-mer, on avait
tendance, pour admettre un élève ou pour l’exonérer de frais d’inscription,
à accorder une préférence à ceux dont les parents avaient des membres
de leur famille en Amérique ou étaient membres ou collaborateurs de la
société des émigrants. La rhétorique communautaire agissait plus d’une
fois comme discours légitimant une praxis qui ressemblait sur certains
aspects au corporatisme syndical : on devait d’abord favoriser ceux qui
cotisaient (et leur famille) et ensuite les autres habitants. Le fait que les
enfants scolarisés dans les écoles financées depuis l’outre-mer avaient ou
non de la famille en Argentine et le fait que ces familles payaient ou non
une cotisation d’adhérent étaient pris en compte par les associations(18).
C’est également pour cela que l’importance des dissensions qui s’articulent autour de noyaux d’interaction sociale réduits se manifeste surtout
au moment de partager les ressources sous la forme d’initiatives de bienfaisance en Galice. Autrement dit, la solidarité paroissiale était beaucoup
plus évidente quand de l’argent entrait en jeu et quand celui-ci était destiné à la communauté ou au cadre de référence d’origine des émigrants,
pour parler dans les termes classiques de Robert Merton(19). Il arrivait souvent que les natifs d’une paroisse concrète constituent la majorité des fondateurs d’une société de portée municipale ou supranationale, car il fallait
par la suite établir dans quel lieu du “cher terroir” les fonds sociaux
seraient investis. Cela donnait lieu à de nombreuses disputes et à des solutions pragmatiques qui traduisaient, au-delà des objectifs idéalistes exprimés, les équilibres internes entre les natifs de plusieurs paroisses : en
effet, si un accord n’était pas conclu, le noyau paroissial le plus fort pouvait se séparer et fonder une société de portée territoriale inférieure.
Un associationnisme d’artisans et de commerçants
Dans la grande majorité des cas, la sphère territoriale proclamée par l’association cachait l’existence de claires prédominances internes de
sphères communautaires inférieures, qui ne correspondaient pas nécessairement à la répartition des résidents de Buenos Aires par paroisse
16
N° 1256 - Juillet-août 2005
d’origine. Ainsi, le Centro de Protección Agrícola (CPA) de Salceda de
Caselas (Pontevedra), fondé en 1913, comptait en 1914 cent vingt et un
adhérents, parmi lesquels 95 % étaient nés dans une des sept paroisses de
la commune de Salceda. Cependant, la prédominance de deux paroisses
sur les cinq autres est surprenante : les natifs de la paroisse de Salceda
atteignaient un total de quarante-huit (39,6 %), et ceux de la paroisse de
Entenza un total de cinquante-huit (47,9 %), le reste des adhérents se
partageant entre les autres paroisses de la commune d’origine. Cette surreprésentation s’est maintenue tout au long des années suivantes(20).
Les associations microterritoriales étaient par conséquent hétérogènes quant à la composition paroissiale. Elles l’étaient aussi en ce qui
concerne leur composition sociale. Selon les données qui sont à notre
disposition jusqu’à présent, nous pouvons offrir le tableau suivant, élaboré à partir des registres des associés de cinq associations galiciennes
de profils politiques et d’offres de services différents.
20)- Libro de Registro
de Socios (1914-24) du CPA
de Salceda de Caselas
en Buenos Aires (Archive
de la Casa de Tui-Salceda,
Buenos-Aires). En 1920,
394 habitants de Salceda
figuraient comme absents
résidant en Argentine, parmi
lesquels 65 % appartenaient
aux paroisses de Salceda
et Entenza, tandis que
les natifs des deux paroisses
constituaient régulièrement
90 % des associés du CPA.
Voir Pereira Bernárdez,
“La emigración”.
Tableau n° 2 - Composition socioprofessionnelle de cinq sociétés microterritoriales
de Buenos Aires, 1918-1944
Círculo
Villagarcía
de Arosa
(1933-37)
Centro
Renovación
Ponteareas
(1935-39)
Unión Progr.
Arrond. de
Covelo
(1926-44)
Círculo
Social
Valle Miñor
(1942-44)
Rentiers, industriels et propriétaires
3,6 %
0,64 %
4, 14 %
3%
2,09 %
Petits industriels, propriétaires
d’établissements artisanaux.
2,7 %
0,64 %
7, 25 %
3%
0,83%
-
0, 64 %
1, 03 %
2,63 %
2,51 %
Commerçants
18 %
10,96 %
32, 6 %
24,43 %
14,64 %
Fonctionnaires, instituteurs
1,8 %
1, 29 %
-
-
1,67 %
57,65 %
53,5 %
30,05 %
19,17 %
52,71 %
Ouvriers manuels sans qualification,
journaliers
2,7 %
10, 32 %
3, 62 %
22,18 %
3,76 %
Ouvriers qualifiés, non-manuels,
de métier.
7,2 %
7,09 %
14,5 %
13,9 %
19,66 %
Service domestique
4,5 %
9, 03 %
-
10,15 %
-
Retraités
-
1, 29 %
1,03 %
-
-
Étudiants
-
1, 93 %
5,69 %
1,5 %
1,67 %
1,8 %
2, 58 %
-
-
0,41 %
Groupe professionnel
Professions libérales
Employés de commerce
Autres
Total numérique de l’échantillon
111 (100 %)
155 (100 %)
193 (100 %)
Residentes
de Mos
(1918-41)
266 (100 %)
239 (100 %)
Source : Registre d’adhérents du Centro Renovación de Ponteareas (AFSG) ; fiches de demande de dépôt d’argent et Libro de Registro de
Socios de la UP del Distrito de Covelo (AFSG) ; fiches de demande de dépôt d’argent du Círculo Valle Miñor (Archives du Centro Valle
Miñor, Buenos-Aires) ; registre de Socios de Residentes de Mos (Archives de la société Residentes de Mos, Buenos-Aires) ; fiches de
demande de dépôt d’argent des adhérents du Círculo Villagarcía de Arosa (AFSG).
Les migrants et la démocratie dans les pays d’origine
17
Des sociétés différentes pour des profils
socioprofessionels différents
21)- Moya, Cousins
and Strangers, p. 288,
constate le même
phénomène pour l’AESM
en 1895 : si 35 %
des immigrants espagnols
à Buenos Aires cette annéelà étaient des travailleurs
non-qualifiés, le pourcentage
de cette catégorie
entre les associés de l’AESM
n’atteindrait pas les 26 %.
18
Avec les précautions d’usage, nous pouvons affirmer que la plus grande
partie de la clientèle se composait d’employés et de vendeurs, puis de
commerçants et d’ouvriers manuels qualifiés et sans qualification.
Nonobstant, il y a des nuances de quelque importance parmi ces
diverses entités. D’une part, l’entité Centro Renovación autant que
celle de l’Union progressiste (UP) de Covelo a un compromis politique
clair et actif en faveur de leurs lieux d’origine, auxquels elles
envoyaient régulièrement des fonds destinés aux entreprises politiques
liées à l’agrarisme local de tendance gauchiste, ayant par conséquent
une offre de services mutualistes et de loisirs de moindre importance.
D’autre part, Residentes de Mos était une société d’instruction, mais
elle avait un message d’intégration plus populaire basé sur le lien de
l’identité communautaire et, de ce fait, plus apolitique dans la praxis
que les sociétés antérieures. Elle proposait une offre plus grande en
couverture mutualiste et en loisirs, ce qui explique peut-être son taux
élevé d’ouvriers manuels qualifiés et sans qualification. Enfin, le
Círculo Social Valle Miñor et le Círculo Villagarcía de Arosa étaient
principalement des entités de loisirs, avec une offre très limitée en services mutualistes. On constate clairement que le pourcentage d’ouvriers manuels, avec ou sans qualification, et d’employé(e)s du service
domestique est plus important dans la société Mos (46,2 %) que dans
les autres, alors que seule la catégorie des employés descend en dessous des 20 % ; en revanche, les petits commerçants constituent presqu’un tiers des adhérents de Valle Miñor, auxquels s’ajoutait un pourcentage non négligeable d’adhérents issus de secteurs aisés et plutôt
riches (12,4 %), assez supérieur à celui des autres entités (pour celle
de Mos uniquement, il atteint 8,6 %).
Il convient de formuler quelques hypothèses, même partielles, à la
lumière de ces données. Tout d’abord, elles confirment le fait que les
ouvriers manuels et non qualifiés avaient tendance à ne s’associer que
très peu à des associations volontaires, mutualistes ou ethniques(21) ; et
s’ils le faisaient, ils cherchaient celles qui combinaient de façon plus ou
moins éclectique une offre mutualiste et de loisirs avec un certain type
de compromis d’investissement de ressources en Galice. En revanche,
les sociétés de gauche militante dont l’objectif était surtout la “régénération” politique de leurs municipalités d’origine attiraient plutôt les
employés, les commerçants et, dans une moindre mesure, les ouvriers et
les domestiques. On peut supposer que les ouvriers et les travailleurs
non-qualifiés aimaient mieux dans un premier temps déposer leur
argent dans des syndicats ou des associations qui proposaient une offre
d’assistance et de loisirs importante. Ils préféraient que le compromis
avec l’instruction et la mobilisation politique dans leurs lieux d’origine
N° 1256 - Juillet-août 2005
n’acquièrent de l’importance qu’une fois les besoins “primaires” satisfaits ou après quelques années, une fois parvenus à une certaine ascension sociale. De fait, les échantillons d’adhérents galiciens de la
mutuelle Asociación Española de Socorros Mutuos (AESM) de Buenos
Aires utilisés pour cette période offrent un pourcentage de travailleurs
manuels de 45 %. Un autre sondage effectué parmi les adhérents des
mille premiers affiliés du Centre galicien entre 1907 et 1912 qui déclarent leur profession donne un pourcentage d’ouvriers manuels de 23,72 %, alors
La solidarité paroissiale était
que les professions libérales atteignaient
beaucoup plus évidente
6,81 % et les vendeurs et les commerçants
quand de l’argent entrait en jeu,
66,32 %(22). Les adhérents de la UP de
Covelo présentent un profil intermédiaire,
et quand celui-ci était destiné
dans lequel on compte encore 26,4 % d’ouà la communauté d’origine des émigrants.
vriers et de personnel du service domestique, un grand pourcentage d’employés,
et un pourcentage plus réduit de commerçants, de rentiers et d’industriels. En revanche, dans le Círculo Social Valle Miñor, on se retrouve
avec un profil social bourgeois, dans lequel – en tenant compte du fait
qu’il s’agit des années quarante – figurent déjà des étudiants (fils
d’émigrés), et dont les échelons inférieurs de l’échelle sociale
(ouvriers manuels et domestiques) n’apparaissent qu’à peine, alors 22)- Données utilisées par
Fernández, “Los gallegos
que les classes moyennes sont légèrement sous-représentées et les sec- A.E.
dentro de la colectividad y
teurs aisés surreprésentés : il s’agissait d’une société qui n’offrait plus las asociaciones españolas
en el primer tercio del siglo
de services mutualistes.
XX”, in X. M. Núñez Seixas
D’autre part, les liens de voisinage étaient décisifs au moment de (ed.), La Galicia austral.
La inmigración gallega en
se mettre d’accord sur l’admission de nouveaux membres. Nombre la Argentina, Buenos Aires :
d’employés et d’ouvriers de l’entité de Valle Miñor le sont dans des Biblos, 2001, et A. Vázquez
González, “La emigración
négoces ou des établissements appartenant à des voisins et (dans la gallega a América, 1830majorité des cas) à des paroissiens compatriotes, comme le montrent 1930”, Thèse de doctorat,
université de Saint-Jacquesles données croisées du registre des adhérents, et déposent de l’argent de-Compostelle, 2000, vol. I.
dans l’entité à la demande de leur patron. On peut affirmer la même
chose pour les associés de Mos.
Les leaders des associations visent
l’ascension et la reconnaissance sociales
Quel était le profil social des leaders ? Au sein des comités de direction, prédominent les petits et moyens commerçants, surtout du secteur alimentaire et textile ; les petits industriels de la branche alimentaire ; les gérants et les administrateurs d’hôtels et de moyennes
entreprises ; les employés, les artisans et les travailleurs manuels qualifiés. Cela constituerait un profil social plus populaire(23) non seulement par rapport aux associations mutualistes de portée hispanique
mais aussi par rapport aux entités de portée régionale, comme le
Les migrants et la démocratie dans les pays d’origine
23)- F. Devoto et A. E.
Fernández, “Mutualismo
étnico, liderazgo
y participación política.
Algunas hipótesis de trabajo”,
in D. Armús (comp.),
Mundo urbano y cultura
popular, Buenos Aires :
Sudamericana, 1990.
19
25)- Voir R. Gandolfo,
“Las sociedades italianas
de socorros mutuos
de Buenos-Aires : Cuestiones
de clase y etnia dentro
de una comunidad
de inmigrantes (1880-1920)”,
dans F. J. Devoto
et E. J. Míguez (éds.),
Asociacionismo, trabajo
e identidad étnica.
Los Italianos en América
Latina en una perspectiva
comparada, Buenos Aires :
CEMLA, 1992.
26)- A. E. Fernández,
“El mutualismo español en
un barrio de Buenos-Aires :
San José de Flores (18901900)”, Estudios Migratorios
Latinoamericanos,
13 (1989) ; D. N. Marquiegui,
La inmigración española
de masas en Argentinas,
Buenos-Aires : CEDEAL,
1993 ; A. Alonso de Rocha,
Los Gallegos en Olavarría,
s.l. (Olavarría), s. éd., 2001 ;
El Diario Español,
12.10.1929.
© Archive de l’Émigration Galicienne, Saint-Jacques-de-Compostelle.
24)- J. Ruibal et D. Barros,
“Un palacio en la plaza :
El Centro Gallego
de Avellaneda, 1899-1919”,
Revista da Comisión
Galega do Quinto
Centenario, 5 (1989).
montre le cas du Centre galicien de la ville d’Avellaneda ou celui des
comités de direction du Centre galicien de Buenos Aires à partir de
1910-1911(24). C’est ce que l’on peut déduire de l’analyse comparée de
plusieurs comités de direction d’associations microterritoriales tout au
long du premier tiers du XXe siècle. Cependant, nous ne pensons pas
que les sociétés d’instruction galiciennes jouent un rôle instrumental
dont le but serait d’exercer un contrôle sur le conflit social au sein de
la communauté immigrante à travers l’encouragement de la solidarité
ethnique et/ou du mutualisme, comme l’ont fait plusieurs sociétés italiennes de Buenos Aires pour les intérêts des petits industriels et commerçants qui faisaient partie de leurs comités de direction(25). Les
grands noms de la collectivité, c’est-à-dire les commerçants importateurs qui avaient gravi l’échelle sociale au cours du dernier tiers du
XIXe siècle, les conseillers de banques de la collectivité espagnole, propriétaires ou actionnistes de grandes entreprises, se concentraient de
préférence dans les comités de direction des entités de portée territoriale galicienne (Union galicienne, Centre galicien, Maison de la
Galice) ou des entités espagnoles.
Le profil sociologique général des dirigeants de sociétés d’instruction était semblable à celui des leaders de l’Asociación Española de
Socorros Mutuos des quartiers périphériques de Buenos Aires (Flores
ou Belgrano, par exemple) au début du siècle ou des populations de la
province de Buenos Aires, telle que Luján à la même époque – pour ne
pas parler d’autres localités de l’intérieur argentin, telles que Deán
Funes (Córdoba), Olavarría ou Chivilcoy(26). Les leaders des entités
microterritoriales étaient souvent ceux qui ne pouvaient pas accéder à
court ou moyen terme aux comités de direction des grandes institutions galiciennes ou espagnoles. Leurs motivations étaient multiples
mais peuvent se résumer à quatre points.
Banquet offert
par le Centre galicien
de Buenos Aires
à l’ambassadeur
argentin en Espagne
avant son départ, 1918.
20
N° 1256 - Juillet-août 2005
– Le renforcement du capital symbolique des dirigeants en vue de
leur participation à la vie sociale argentine et en vue de l’accès aux
postes du pouvoir à l’intérieur de la communauté immigrante galicienne (et espagnole) ;
– l’attribution de réseaux de clients plus ou moins informels : l’accès des associés à des entités qui offrent de meilleurs services ou à des
opportunités de travail pouvait se voir favorisé par l’action intermédiaire des leaders des sociétés, lesquels agissaient en ce sens comme
de véritables notables ou patrons ;
– les perspectives d’un retour temporel ou définitif au lieu d’origine, où le fait d’être coparticipant de la gestion des entités qui accomplissaient un remarquable travail de bienfaisance et d’assistance
contribuait à élever leur prestige social ;
– l’agitation politique, au profit de différents courants allant du
républicanisme à l’agrarisme, au socialisme, au régionalisme et plus
tard au nationalisme galicien(27).
27)- Voir mon article
“Asociacionismo local
y movilización sociopolítica :
Notas sobre los Gallegos
en Buenos Aires (18901936)”, dans A. E. Fernández
et J. C. Moya (éds.),
La inmigración española
en la Argentina,
Buenos Aires : Biblos, 1999.
L’importance du réseau microsocial
pour la constitution des associations
On constate également le rôle crucial du comité de direction, et surtout des initiateurs, dans le fait qu’une grande part des sociétés d’instruction naissait du dynamisme social et de la mobilisation de contacts
et de réseaux de relations, à partir d’un noyau réduit de familles ou
d’individus. Des quatre cent huit sociétaires qui ont adhéré aux Hijos
del Partido de Lalín entre septembre 1908 et mai 1912, pas moins
de cent quatorze (27,9 %) ont été présentés par le sociétaire fondateur et petit industriel textile né à Lalín, Guillermo González(28). Ces
réseaux de relations étaient plus denses en descendant au niveau
paroissial : des deux cent trente et un membres qui se sont inscrits
entre 1930 et 1935 dans l’entité paroissiale Sociedad Instructiva y
Recreativa Pro-Escuela de Brocos y sus Contornos, fondée en juillet
1930 et qui regroupait les immigrants provenant de la paroisse de
Brocos (Agolada, Pontevedra), soixante-huit nouveaux associés, c’està-dire 29,4 % du total, ont été présentés par la famille Caramés, à la
tête de laquelle se trouvaient José Caramés et sa sœur Engracia
Caramés, cette dernière mariée à l’Argentin Amadeo Menghi. Les
Caramés, qui avaient fourni à eux seuls treize des deux cent trente et
un membres de l’association étaient, depuis leur fonds de commerce
situé rue Libertad 192, de véritables protecteurs des natifs de Brocos
qui venaient d’arriver dans la capitale argentine.
En plus de cela, Bautista Martínez, associé de commerce de José
Caramés, a obtenu l’inscription de vingt sociétaires de plus (8,65 %), et
l’importateur de tabac José Mouriño, qui habitait dans la même maison
que le couple Menghi/Caramés, quinze autres (6,5 %). Ainsi, le réseau
Les migrants et la démocratie dans les pays d’origine
28)- Élaboration personnelle
à partir du registre
des associés de la société
Hijos del Partido de Lalín,
1908-1912 (ACL).
21
29)- Élaboration personnelle
à partir du Libro de Socios
de la Sociedad Instructiva
Pro-Escuela de Brocos y sus
Contornos, 1930-1935, ACL.
30)- F. J. Devoto,
“Las sociedades italianas
de ayuda mutua en
Buenos Aires y Santa Fe.
Ideas y problemas”, Studi
Emigrazione/Études
Migrations, 75 (1984).
microsocial direct mis en place par la famille Caramés apportait au
minimum 44,55 % du total des associés(29).
On ne possède que des estimations, obtenues de manière très indirecte, en ce qui concerne l’implantation de ces formes associatives
microterritoriales pour l’ensemble des compatriotes immigrés à
Buenos Aires. Certains sondages partiels présentent un taux qui va de
33 à 50 %, dans le meilleur des cas. Les sociétés d’instruction ne parvenaient pas toutes au même niveau de représentation et d’acceptation parmi les émigrés de leur sphère géographique d’action, niveau
qui semblait dépendre beaucoup du charisme, de la personnalité et du
dynamisme des initiateurs – et par conséquent de leur capacité à
mettre en place des réseaux sociaux autour d’eux –, de l’orientation
sociopolitique de l’entité, des services mutualistes qu’elle offrait, de
son offre de loisirs et de la présence ou non de sociétés paroissiales qui
entraient en compétition avec une autre d’une portée géographique
plus grande (une municipalité ou un arrondissement). Pour ce qui est
des sociétés municipales, l’implantation atteinte était variable, quoiqu’inférieure aux paroisses, dont l’efficacité au moment d’attirer des
adhérents était généralement plus grande.
En outre, la faible participation des sociétaires lors des assemblées et lors du travail collectif était monnaie courante. Moins de 15 %
des inscrits sur le registre des associés se rendaient aux assemblées
mensuelles et une bonne partie des cotisations était acquittée de
façon très irrégulière. Malgré tout, l’intérêt des dirigeants pour
conserver l’affiliation théorique aux sociétés et pour continuer ainsi à
se présenter comme les élites de la collectivité, renforçant, de plus,
certaines relations de type clientéliste entre eux et la masse des associés, se maintenait. C’était seulement quand des disputes pour la
direction surgissaient ou quand des élections dans les entités locales
étaient convoquées afin d’élire les membres du Comité exécutif des
fédérations (comme cela arrivait au sein de la Fédération des associations galiciennes pendant la seconde moitié des années vingt) que
l’on encourageait réellement la participation des associés. Cependant,
on constate dans ces cas-là que la participation était plus élevée que
dans les grandes associations mutualistes de dimension galicienne ou
espagnole, et qu’elle se maintenait à des niveaux proches des participations italiennes(30).
Le retour de l’expérience associative vers la Galice
La paroisse d’outre-mer, figure rhétorique souvent utilisée dans l’opinion publique galicienne depuis la fin du XIXe siècle, n’était pas tant
une paroisse basée sur la proximité résidentielle mais plutôt une
construction rituelle et associative, en même temps qu’une idée qui
alimentait tout un maillage d’entités et d’initiatives orientées vers l’ac-
22
N° 1256 - Juillet-août 2005
tion préférentielle dans la société d’origine. Néanmoins, ces entités ont
maintenu une capacité spéciale pour faire perdurer l’idée d’une communauté symbolique, ainsi que pour catalyser la canalisation des initiatives sociopolitiques à travers l’associationnisme. Celui-ci n’apparaissait pas directement à partir de la reproduction spatiale des liens
de travail et de voisinage, mais surtout à partir de l’action consciente
des élites émigrantes, des stimuli reçus de la société de destination et
aussi d’origine, et de l’existence d’objectifs concrets à réaliser autant
en Amérique qu’en Galice. Il s’agissait en ce sens de formes d’action
collective pleinement rationnelles.
La société civile que les émigrants galiciens ont été capables de
créer dans le nouveau cadre urbain de Buenos Aires est intervenue de
façon décisive dans le processus d’articulation de l’action collective
dans le milieu rural galicien jusqu’en 1936. Grâce au réseau des associations galiciennes de Buenos Aires est apparue toute une génération d’activistes agraires, de socialistes, de républicains et de nationalistes galiciens qui, à leur retour dans leur pays d’origine, ont
contribué de manière décisive à l’apport de ressources matérielles et
immatérielles qui ont servi à la fondation de journaux, d’associations,
de syndicats et de coopératives. Des ressources matérielles destinées
au même objectif ont surgi grâce à l’action institutionnelle de ce
réseau. Il ne s’agissait donc pas uniquement de bienfaisance. C’était
également une manière d’investir rationnellement des ressources à
des fins concrètes, même si celles-ci revêtaient souvent une rhétorique communautariste (“le bien de la paroisse”). Et cette action a
été, en ce sens, polyvalente, autant en Amérique qu’en Galice. Ainsi,
le promoteur de la première association de la commune d’A Estrada
(Pontevedra) à Buenos Aires en 1908 demandait à ses compatriotes de
“réaliser quelque profit pour nous et pour les villages de notre inoubliable commune” dans le but d’établir l’union, les loisirs, la protection, le patriotisme et la bienfaisance locale, qui, en définitive,
aidaient à articuler la société civile, rendant la vie politique digne et
palliant les déficiences de l’action modernisatrice de l’État. Il disait :
[Les sociétés d’instruction] “envoient de l’aide à leurs villages ; soutiennent les bonnes autorités ; censurent les mauvaises ; encouragent les syndicats de paysans ; favorisent l’instruction en réclamant
de meilleures écoles et en essayant d’en fonder ; en unifiant et protégeant les natifs de ces mêmes lieux ; en faisant des souscriptions
pour construire des chemins vicinaux que l’État, qui nous oublie,
nous refuse ; en offrant leur concours moral et matériel à l’ensemble
des actes [sic !] de Galice ou d’Espagne et en organisant [des manifestations de] divertissement(31).”
Les sociétés microterritoriales ont survécu, mais après 1939 leurs
possibilités d’action en faveur des communautés locales d’origine ont
été pratiquement réduites au domaine de la bienfaisance. Cependant,
Les migrants et la démocratie dans les pays d’origine
31)- “Otra sociedad”,
Nova Galicia, 1.3.1908, p. 3.
23
32)- Voir notre article
“History and Collective
Memories of Migration
in a Land of Migrants :
The Case of Iberian Galicia”,
History and Memory,
14 : 1-2 (Fall 2002).
pour les émigrants, elles ont continué à jouer le rôle de lieux de sociabilité, et elles ont souvent intégré les enfants et les petits-enfants des
adhérents qui n’étaient pas repartis en Galice. Leur fonction a pu
changer au fil des années, mais ces institutions n’ont pas disparu pour
autant. En 2005, il y avait encore plus de quarante associations galiciennes dans la capitale argentine, outre le Centre galicien. Elles sont
devenues un objet préférentiel d’attention du gouvernement régional
galicien, qui utilise de son côté les réseaux des associations galiciennes
comme une machine assez efficace pour obtenir les votes des citoyens
galiciens à l’étranger ; ceci à travers une généreuse politique d’assistance médicale et un discours identitaire qui souvent fait appel à la
nostalgie, au sentiment ethnique et à la culture, dans le but de créer
un lien permanent entre les Galiciens d’outre-mer et ceux résidant en
Galice(32). Aujourd’hui, enfin, ce sont l’État et, plutôt, les institutions de
la région qui soutiennent les associations des émigrants. Voilà un paradoxe de l’histoire.
Dossier Vie associative, action citoyenne, n°1229, janvier-février 2001
A P U B L I É Dossier Migrants et solidarités Nord-Sud, n°1214, juillet-août 1998
Dossier Citoyenneté sans frontières, n° 1206, mars-avril 1997
24
N° 1256 - Juillet-août 2005

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