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La recréation de la paroisse : les immigrants galiciens à Buenos Aires (1900-1940)(1) Entre 1838 et 1930, la Galice, l’une des plus grandes régions d’émigration, a envoyé vers les grandes villes latino-américaines, et en particulier Buenos Aires, capitale de l’Argentine, plus d’un million et demi d’immigrants. Regroupés en sociétés ou en associations, selon leur territoire d’origine, ceux-ci ont exercé une influence considérable sous forme d’aide financière et d’actions collectives en faveur de leur lieu d’origine, contribuant ainsi à une plus grande organisation de la société civile. par Xosé M. Núñez Seixas, université de Saint-Jacquesde-Compostelle 1)- Cet article fait partie du projet de recherche BHA 2002-01644, financé par le ministère de l’Éducation espagnol. 6 Pas moins d’un million et demi de Galiciens ont pris le chemin de l’émigration entre 1838 et 1930, dans leur grande majorité en direction de l’Amérique, et tout particulièrement vers l’Argentine, Cuba, le Brésil et l’Uruguay. Concrètement, ce sont plus de 1,7 million d’hommes et femmes, parmi lesquels au moins 578 000 sont restés sur les lieux de destination entre 1878 et 1930. Envisagée individuellement, la Galice ferait partie des pays européens dont les taux migratoires furent les plus élevés depuis 1880, avec l’Irlande et l’Italie. Les grandes villes latino-américaines, en particulier Buenos Aires, La Havane et Montevideo, ont été les principales réceptrices de ce flux migratoire. Quelque cent cinquante mille émigrants galiciens résidaient en 1914 dans la capitale argentine qui devenait ainsi, pour le nombre d’habitants, la plus importante cité galicienne du monde, loin devant La Corogne, grande ville de Galice qui atteignait alors à peine soixante mille habitants. L’émigration a eu des conséquences décisives sur la société, l’économie et l’évolution politique de la Galice, devenant le phénomène social qui, de façon transversale, a le plus influencé la vie économique, sociale, politique et culturelle de la Galice jusqu’à la fin du XXe siècle. Cette influence s’est exercée à travers les envois individuels d’argent des émigrants à leur famille ; grâce aux apports que les émigrants de retour ont réalisés dans le domaine des idées et des mentalités mais aussi à travers un phénomène qui résulte d’une action collective : l’action éparse, mais multiple et omniprésente, dans la majeure partie du territoire galicien, de plus de six cents associations d’émigrants galiciens, fondées à Buenos Aires, à La Havane et dans une moindre mesure à Montevideo, New York et Rio de Janeiro, entre 1904 et 1936. N° 1256 - Juillet-août 2005 Il s’agit d’associations plurifonctionnelles qui ont financé plus de deux cent vingt-cinq écoles primaires, ont doté des écoles déjà existantes de matériel pédagogique et scolaire, ont financé des chemins, des travaux publics et locaux à caractère social, ont permis des progrès techniques en agriculture, ont apporté des ressources pour l’articulation de formes organisées de l’action collective dans les milieux ruraux et semiurbains (syndicats d’agriculteurs, journaux républicains et de lutte contre le clientélisme politique, associations de pêcheurs, et, dans une moindre mesure, syndicats ouvriers). Ces associations ont ainsi insufflé à la campagne galicienne une plus grande organisation de la société civile, et ce processus, qui a porté ses fruits pendant la IIe République espagnole (1931-1936), a été brusquement interrompu, comme tant d’autres choses, par le coup d’État du 18 juillet 1936(2). 2)- Pour une vision d’ensemble du phénomène, je renvoie le lecteur francophone à mes articles : “Les paroisses d’outre-mer : Politique, leadership et associationnisme régional galicien à Buenos Aires et à La Havane (1890-1930)”, in Exils et migrations ibériques au XXe siècle, 1998, et “Révolutionnaires ou conformistes ? L’influence sociopolitique de l’émigration américaine de retour en Galice, 1900-1936”, in Studi Emigrazione/Migration Studies, 134, 1999. Les identités territoriales d’origine se reconstruisent dans les espaces d’émigration © Archive de l’Émigration Galicienne, Saint-Jacques-de-Compostelle. Il existe un certain consensus historiographique sur le fait que la présence de l’émigration dans la vie quotidienne et dans la réalité sociale de la Galice s’est manifestée tout d’abord au niveau local et dans les cadres les plus immédiats de relation sociale et d’organisation communautaire, qui étaient essentiellement ceux des paroisses. En 1919, il y avait en Galice 322 communes et 3 785 paroisses, avec une moyenne de 11 paroisses par commune et 545 habitants par paroisse. À leur tour, les paroisses se constituaient par groupement de hameaux et de lieuxdits ou noyaux de population(3). La paroisse a constitué jusqu’à la fin du XXe siècle le cadre d’interaction sociale le plus caractéristique de la Galice rurale, bien qu’il ne soit pas le seul possible. Cette caractéris- 3)- D. Villar Grangel, El Municipio en Galicia, Barcelone : Seix Barral, 1919. Des immigrants galiciens assistent à une représentation du Orfeón Gallego. Buenos Aires, 1910. Les migrants et la démocratie dans les pays d’origine 7 4)- Pour une discussion sur le rôle de la paroisse comme cadre communautaire et associatif, voir. P. Saavedra, La vida cotidiana en la Galicia del Antiguo Régimen, Barcelone : Crítica, 1994. 5)- J. A. Durán, “La parroquia de acá y de acolá en la Galicia tradicional”, in Indianos. Monografías de los Cuadernos del Norte, 1982. 6)- Voir le mémoire de maîtrise inédit de J. R. Pereira Bernárdez, “La emigración de Salceda de Caselas (1887-1920)”, Departamento de Historia Contemporánea, USC, 2001. 7)- X. Balboa, O monte en Galicia, Vigo : Eds. Xerais, 1989. 8)- C’est un aspect que l’on constate clairement dans la correspondance des familles des émigrants. Pour une étude de cas, voir X. M. Núñez Seixas et R. Soutelo Vázquez, As cartas do destino. Unha familia galega entre dous mundos (1919-1971), Vigo : Galaxia, 2005. 9)- V. Peña Saavedra, Éxodo, organización comunitaria e intervención escolar. La impronta educativa de la emigración transoceánica en Galicia, Saint-Jacques-deCompostelle : Xunta de Galicia, 1991, vol. I. 8 tique est due essentiellement à deux sortes de facteurs : d’une part, l’organisation administrative ecclésiastique en vigueur depuis très longtemps, qui avait favorisé des habitudes communautaires cimentées par différents rites, cultes, fêtes et activités, groupés autour de l’église paroissiale ; d’autre part, la possession de ressources communes devant être gérées collectivement (essentiellement les forêts en régime de propriété communale et l’eau), la régulation de la propriété et de la gestion privée et les systèmes d’aides mutuelles (collaborations entre voisins à des travaux agricoles, par exemple)(4). Certains auteurs ont ainsi parlé de la paroisse “d’ici et de celle de làbas” pour décrire l’interaction de ces deux communautés locales séparées par l’océan, mais qui maintenaient leurs liens, renforcés par la communication épistolaire, les envois d’argent et la circulation plus ou moins périodique d’émigrants et de gens de retour à travers des réseaux microsociaux(5). Tout cela constituait un espace caractéristique d’interaction sociale, dans lequel était diffusée de manière homogène l’information au sujet des opportunités de travail dans les destinations migratoires(6). La paroisse, cependant, n’a pas toujours été une réalité objective. Elle est souvent devenue au contraire une réalité imaginée, une construction sociale plus qu’une communauté organique(7). Sa reproduction dans les lieux de destination de l’émigration transocéanique ne cesse de présenter des problèmes. En effet, savoir si le hameau (aldea) était une communauté plus unificatrice et organique que la paroisse donne matière à discussion. D’ailleurs, souvent, les identités territoriales d’origine se reconstruisaient et se redéfinissaient dans les espaces d’émigration. Des divisions entre “ceux d’en haut” et “ceux d’en bas”, “ceux de la forêt” et “ceux de la vallée”, etc. – incompréhensibles si l’on ne tient pas compte des divisions géographiques naturelles du lieu d’origine –, se reproduisaient aussi, généralement de manière mimétique, à Buenos Aires ou à la Havane(8). En tout cas, dans le contexte de l’associationnisme hispanique en Amérique et en particulier à Buenos Aires, l’un des phénomènes qui sans doute caractérise le mieux la collectivité galicienne, est la prolifération d’associations ethniques au niveau microterritorial(9). Ces formes associatives reproduisaient comme cadre de référence les sphères de relations et d’interaction sociale d’origine des émigrants, à niveau inférieur à celui de la province. Il s’agissait non seulement de la paroisse, mais aussi de l’entité supracommunale et de la commune, et parfois de l’arrondissement ou du district (dénominations qui, dans de nombreux cas, n’étaient pas dénuées d’une certaine imprécision spatiale). Ces associations sont apparues peu après ou pratiquement en même temps que se formaient et se consolidaient les grands centres mutualistes, d’assistance et de bienfaisance d’origine galicienne ou espagnole (Centre galicien, Hôpital espagnol, Maison de la Galice, etc.). N° 1256 - Juillet-août 2005 À Buenos Aires, les immigrants galiciens (comme la majorité des Espagnols) se sont plutôt concentrés dans les quartiers du centre-ville et les quartiers méridionaux de Barracas, Constitución et Parque Patricios, ainsi que dans la ville voisine, Avellaneda, située au sud de la capitale argentine(10). C’était dans ces quartiers que se trouvait la majorité des commerces et des établissements régis par des petits propriétaires galiciens(11). De fait, dans des quartiers comme San Telmo et Montserrat, la densité de petits commerces appartenant à des immigrants galiciens, vers 1915, était supérieure, dans plusieurs rues, à deux voire trois fonds de commerce par pâté de maisons. Cette densité favorisait sans doute une impression que corroborait plus d’un témoignage qualitatif : même si l’intérieur des conventillos (édifice avec une cour où se concentraient de nombreux émigrants qui habitaient dans des chambres individuelles) et des maisons de rapport était davantage pluriethnique, l’espace public dans ces quartiers montrait de manière assez visible la prépondérance des Galiciens. Les associations locales prolifèrent chez les Galiciens C’est dans ce contexte qu’est né l’associationnisme microterritorial et que s’implantèrent dans ces quartiers les premiers sièges des associations locales d’immigrants, souvent dénommées “sociétés d’instruction”. Il est cependant beaucoup plus problématique d’affirmer qu’il existait, tout au long du premier tiers du XXe siècle, en plus des quartiers plus ou moins galiciens (ou espagnols), des microquartiers ethniques de natifs, mettons par exemple, de la municipalité de SaintJacques-de-Compostelle ou de la paroisse de Taragoña (Rianxo, Pontevedra). Il y avait tout au plus quelques quartiers ou îlots (cuadras) où la concentration d’émigrants provenant d’une même paroisse ou d’une même commune était relativement élevée à cause de la présence d’une usine, d’un grand magasin, d’un petit hôtel, d’un bar, d’un centre pour l’emploi ou d’un centre d’information, appartenant à un ou plusieurs immigrants galiciens qui engageaient ou logeaient leurs compatriotes ou les habitants de leur paroisse de référence. L’associationnisme immigrant galicien fut, autant à Buenos Aires qu’à La Havane, le résultat d’un processus de mobilisation sociopolitique dans lequel les influences de la société d’accueil, les besoins concrets des émigrants et les encouragements du pays d’origine se sont complétés mutuellement et ont permis ainsi l’apparition de formes associatives qui, loin d’être des expressions de campanilismo (“paysants ignorants”), adoptaient des champs d’action en parfaite adéquation avec leurs objectifs : les loisirs (à travers l’organisation de fêtes et de réunions), la pratique d’une action mutuelle limitée, la recréation d’une sociabilité d’origine et, tout spécialement, l’intervention coor- Les migrants et la démocratie dans les pays d’origine 10)- J. R. Scobie, Buenos Aires. Del centro a los barrios, 1870-1910, Buenos Aires : Eds. Solar, 1986 [Oxford 1974] ; J. C. Moya, Cousins and Strangers. Spanish Immigrants in Buenos Aires, 1850-1930, Berkeley et al. : Univ. of California Press, 1998 ; R.G. Farias Iglesias, “Mas alla de los ‘cien barrios porteños’ : la inmigración gallega en Avellaneda, 1890-1920”, mémoire de maîtrise, université de Saint-Jacquesde-Compostelle, 2004. 11)- Élaboration personnelle à partir des données de G. Hervella García et Mª Seijas Montero, “Aproximación a la estructura socioeconómica de la colectividad gallega en Buenos Aires a través de la prensa étnica, 1900-1930”, rapport présenté à l’Encuentro de Americanistas Españoles, université de Séville, 8-12 juillet 2002. 9 12)- E. Franzina, L’immaginario degli emigranti, Paese : Pagus, 1992 et S. Baily, “Las dimensiones globales de la migración italiana : Siguiendo el rastro de la diáspora a través de las sociedades italianas, 1835-1908”, Estudios Migratorios Latinoamericanos, 44, 2000. donnée dans la vie économique, culturelle et sociopolitique des lieux d’origine. C’est un aspect qui n’a évidemment pas été propre aux Galiciens : vers 1900, par exemple, on dénombrait en Argentine 124 543 sociétaires italiens qui se répartissaient entre 302 associations italiennes, dont 66 – qui seront 75 six ans plus tard – se trouvaient à Buenos Aires(12). Malgré tout, parmi les Espagnols, la tendance à la prolifération de sociétés de caractère local et supracommunal touchait davantage les Galiciens que les Asturiens, par exemple, lesquels venaient également du milieu rural, et étaient à Cuba presque aussi nombreux que les Galiciens. À quoi devait-on cette particularité ? Étant donné que le nombre d’immigrants galiciens à Buenos Aires était le plus important de toutes les régions de la péninsule (plus de 55 % des Espagnols entre 1878 et 1930), on peut théoriquement considérer qu’il facilitait la reproduction de schémas et de liens d’identité collective semblables à ceux qui (soi-disant) existaient déjà dans le pays natal. Cela ne se produisait que dans les villes où le nombre d’immigrés était assez important pour atteindre une “masse critique”, rendant possible la coexistence de plusieurs sphères de sociabilité. En ce sens, les modèles associatifs des émigrants traduiraient simplement une hiérarchisation de loyautés et d’identités qui n’ont rien de contradictoires. Beaucoup d’immigrants qui venaient d’arriver en Argentine pouvaient s’associer au Centre galicien ou à l’Hôpital espagnol pour bénéficier de services mutualistes et de consultations médicales ; cependant, ils avaient aussi tendance à rechercher la compagnie de leurs anciens voisins et, par ce biais, à fonder ou à adhérer à une société communale, locale ou paroissiale, afin de reproduire en Amérique les espaces d’interaction sociale qui leur étaient familiers. Des paysans galiciens font appel à leurs compatriotes d’Amérique Les requêtes et les appels adressés aux émigrants (ou aux “voisins absents”) par la société d’origine ont cependant joué un rôle très important. Les communautés d’émigrants n’exerçaient pas seulement leur influence sur la Galice. La Galice aussi y exerçait son influence. Plus d’une fois, le besoin de faire face à des nécessités conjoncturelles et concrètes dans les communautés d’origine a poussé des voisins absents, résidant à Buenos Aires (ou à La Havane), à s’associer. L’élément catalyseur pouvait être une demande d’aide adressée par les paroissiens ou les habitants des lieux d’origine à leurs ressortissants résidant en Amérique, par l’intermédiaire d’un ou de plusieurs émigrants ayant un certain prestige économique ou professionnel, et dans un but précis (par exemple une collecte pour des travaux publics, pour réformer l’église ou bâtir un nouveau cimetière). Ceux-ci formaient une commission provisoire ayant pour but de réunir les fonds nécessaires, mettaient en marche une cer- 10 N° 1256 - Juillet-août 2005 taine dynamique d’action collective, et finissaient souvent par concevoir le projet de constituer une association communale ou paroissiale dans laquelle ils figuraient automatiquement comme membres d’une commission constitutive. Même si ces commissions ne débouchaient pas toujours immédiatement sur la création d’une association, une organisation de base non-officielle se maintenait et pouvait stimuler dans certains cas l’action collective des émigrants en faveur de leur lieu d’origine : les réseaux sociaux transposés, la solidarité communautaire et les aides financières locales ont formé une structure de mobilisation appropriée qui a permis l’action collective des immigrants galiciens(13). C’est ce que l’on observe depuis au moins 1898. D’autres fois, il y avait des appels explicites adressés par les syndicats ou les associations de paysans d’un village Les associations naissaient ou d’une paroisse à leurs compasouvent suite à une demande d’aide triotes d’Amérique pour qu’ils coladressée par des Galiciens restés au pays laborent économiquement à leur à leurs compatriotes d’Amérique. action politique et sociale. L’arrivée par vagues massives entre 1900 et 1929 d’émigrants originaires de Galice n’a pas été l’unique influence. La prolifération d’associations agraires et de syndicats paysans dans la campagne galicienne depuis 1900 et, parallèlement, le phénomène d’organisation de l’édifice social qui avait lieu sur une grande partie du territoire rural de Galice ont joué un rôle décisif. Il s’agissait du mouvement agraire (agrarista), grand mouvement social, toutefois épars, qui a fortement contribué durant le premier tiers du XXe siècle à la conquête de la pleine propriété de la 13)- Sur le rôle que les réseaux sociaux terre par les métayers, à l’amélioration de leur relation avec le marché, et communautaires et qui a permis aux paysans d’affronter les élites traditionnelles du peuvent avoir au moment d’offrir des structures milieu rural. Les sociétés et les syndicats agraires ont, en effet, pris la de mobilisation, c’est-à-dire paroisse comme base d’organisation. D’ailleurs, leur identification à cet des voies organisatrices préalables à l’action espace territorial a été telle que sociétés agraires et identité locale se collective qui diminuent sont souvent superposées. D’autre part, les ressources matérielles et les coûts de l’initiative individuelle, voir S. Tarrow, immatérielles envoyées par les émigrants, ainsi que les émigrants de El poder en movimiento. movimientos sociales, retour qui apportaient leurs expériences et leurs économies, ont joué Los la acción colectiva y la un rôle décisif dans ce mouvement associatif(14). política, Madrid : Alianza, ainsi que M. Taylor Un deuxième facteur a permis que ces initiatives voient le jour : il 1997, et S. Singleton, s’agit du relatif dynamisme de la presse des immigrants galiciens à “The Communal Resource : Cost and Buenos Aires, complémentaire de la presse espagnole. La presse immi- Transaction the Solution of Collective grante galicienne, et en particulier le séminaire Nova Galicia, a servi Action Problems”, in Politics and Society, 21 : 4, 1993. de support de diffusion et d’encouragement en faveur de la formation de sociétés. Nova Galicia a été fondé en 1901 par le procureur, jour- 14)- M. Cabo Villaverde, O agrarismo, Vigo : A Nosa naliste et homme de lettres Fortunato Cruces (1870-1961), qui a été Terra, 1998, ainsi que livre Emigrantes, un solide promoteur de la constitution d’associations locales, face à la mon caciques e indianos, Vigo : méfiance d’autres journaux galiciens de Buenos Aires (par exemple, Eds. Xerais, 1998. Les migrants et la démocratie dans les pays d’origine 11 Frontispice du journal El Despertar Gallego (Le Réveil galicien) de Buenos Aires, porte-parole des associations locales galiciennes, 1926. © Archive de l’Émigration Galicienne, Saint-Jacques-de-Compostelle. El Eco de Galicia, dirigé par l’exilé républicain Manuel Castro López) et face à d’autres secteurs de l’élite de la communauté immigrante qui ne voyaient en cela qu’un déploiement d’efforts inutiles. En effet, Nova Galicia, dans sa propagande, recommandait avec insistance aux immigrants de s’associer à l’entité de leur lieu d’origine, de participer aux fêtes et aux veillées sociales et de contribuer aux causes philanthropiques au profit de leur lieu de naissance. En 1904 est créée la Concordia, association des natifs de Fornelos De très nombreuses sociétés galiciennes de portée paroissiale, municipale et supracommunale sont apparues à Buenos Aires et à La Havane, entre 1904 et 1936, avec une période d’intensité maximale entre 1907 et 1925. Il est difficile d’en établir le nombre avec précision, en partie à cause du manque de stabilité et du caractère éphémère de certaines d’entre elles, des fusions fréquentes, des changements de nom, etc. Il est cependant possible d’offrir une approximation fiable de leur portée territoriale d’action (voir le tableau n° 1, p. 14). Mis à part quelques précédents isolés, la première société d’instruction connue à Buenos Aires est apparue en avril 1904. Il s’agissait de la Concordia, association des natifs de la paroisse de Fornelos de Ribeira (commune de Salvaterra de Miño, province de Pontevedra, en Galice). Lors de sa création, la Concordia montrait clairement la réunion de circonstances qui permettrait le développement des sociétés microterritoriales : les réseaux microsociaux entre voisins et parents opérant à Buenos Aires, la proximité résidentielle et/ou du lieu de travail et la combinaison des intérêts au sein de leur direction entre notables et activistes politiques, qui souvent étaient les mêmes personnes. L’entité avait été créée à l’initiative de trente-sept immigrés originaires de Fornelos, dont la majorité travaillait à l’usine d’outils des frères Manuel et José M. González, eux aussi originaires de Fornelos, et qui avaient pour but premier de doter la paroisse d’origine 12 N° 1256 - Juillet-août 2005 d’un nouveau cimetière civil et religieux. Le poids des émigrés qui avaient réussi dans le comité de direction de la première société est significatif. Manuel González a été nommé président, son frère trésorier, et le siège social a été établi dans leur usine. Mais le commerçant Ricardo Sestelo, membre actif de la Ligue républicaine espagnole de l’Argentine, figurait comme vice-secrétaire. Lors de la constitution de l’association, ce que l’on peut appeler le patronage informel des frères González, de Ricardo Sestelo, de son frère Constante ainsi que du notable originaire de Fornelos, Rogelio Estévez Cambra (notaire et prestigieux juriste résidant à la ville de Bahía Blanca) a continué à être primordial : à eux cinq, ils apportèrent 74,4 % des fonds réunis lors de la première souscription pour le cimetière de leur paroisse de naissance. En 1906, la Concordia collaborait déjà à l’entretien de l’école publique de son lieu d’origine et en 1907 elle avait déjà versé un total de cinq mille pesetas à son délégué de Fornelos da Ribeira pour participer à la construction du nouveau cimetière(15). On constate de semblables dynamiques lors de la fondation d’autres entités. La séquence est connue, omniprésente, et varie peu. Un ou plusieurs notables réunissaient les natifs d’une paroisse ou d’une municipalité et prêtaient le local de leur établissement comme siège provisoire, transformant ainsi en réseau associatif formel ce qui souvent n’avait alors fonctionné que comme lieu de réunion informel des immigrants provenant d’un espace géographique précis de Galice. Le fait de disposer d’un minimum de ressources (d’un local de réunion, de livres de comptes rendus, de livres de comptes, de papier et de tampons) était fondamental pour pouvoir commencer l’action de propagande et exigeait des initiateurs de l’entité un certain potentiel de sacrifice et d’altruisme, c’est-à-dire la capacité d’assumer un certain risque, souvent récompensé par l’exercice des postes de direction. Ce qui était généralement difficile, c’était de passer le seuil de crédibilité et de rentabilité en termes de confiance entre leurs compatriotes. Disposer d’un certain capital relationnel était fondamental pour y parvenir. 15)- Mémorandum de la Juventud Progresiva Hijos de Fornelos y Anexos de Buenos Aires (fondée en 1920 et successeur de la Concordia) à la municipalité de Salvaterra de Miño, Buenos Aires, s. d. [vers 1925], dans Archive de la Federación de Sociedades Gallegas, Buenos-Aires (AFSG) ; Nova Galicia, 14 août 1904 et 5 août 1906. 348 associations galiciennes fondées entre 1904 et 1936 à Buenos Aires À partir de 1904, le nombre d’associations microterritoriales à Buenos Aires augmenta de manière progressive : il passa de 12 en 1907 à 42 voire 50 en 1913, 98 en 1916 et 146 en 1926. Le rythme de fondation a atteint son maximum pendant la première moitié des années vingt et retombe pendant la deuxième moitié de cette décennie, pour se stabiliser à une fréquence inférieure pendant les années trente. Au total, le chiffre global est de 348 sociétés fondées entre 1904 et 1936. Elles regroupent plus de 60 % des municipalités galiciennes sur cette période (Tableau 1). En regroupant les différentes sphères territoriales selon l’unité géographique et administrative prise comme base d’action, et en tenant compte Les migrants et la démocratie dans les pays d’origine 13 du fait que les sociétés d’arrondissement ainsi que celles qui regroupent deux communes ou plus peuvent être considérées comme des sociétés supracommunales, on obtient le pourcentage de 31,6 % de sociétés basées sur la paroisse, 50,86 % sur la commune et 15,79 % sur une entité supracommunale, alors que 2,58 % seulement étaient basées sur la province (circonscription territoriale semblable au département français). La pluralité de sphères territoriales de référence, plus variée qu’on aurait pu le supposer a priori, nous informe d’emblée du fait que la soidisant subsistance de la paroisse, du hameau ou de l’entité supracommunale, lors de l’émigration, n’est pas automatique. Pourquoi dans certains cas fondait-on des sociétés paroissiales et dans d’autres cas des sociétés supracommunales ou bien des sociétés communales ? Il n’existe pas toujours une corrélation directe entre l’existence d’une quantité suffisante d’émigrants originaires d’une paroisse ou d’une commune et la constitution d’une société paroissiale ou communale, et encore moins une correspondance exacte entre la dimension relative de la paroisse de Galice et la fondation en Amérique d’une association prenant comme base d’organisation ce cadre territorial. Des contrées ou des paroisses galiciennes ayant une forte émigration vers Buenos Aires pendant la période considérée ne présentent pas chez leurs émigrants une grande densité associative. Généralement, un catalyseur approprié, en l’absence duquel il n’y avait aucun bénéfice, était indispensable. Une élite qui assumait le rôle de direction avait cette responsabilité. Et selon les préférences, les options et les divisions internes de cette élite, les associations pouvaient s’appliquer à l’un ou l’autre espace géographique d’action et de référence, étant donné que les modèles d’organisation des communautés immigrées ne dérivent pas automatiquement des liens d’origine transférés au nouveau monde, mais se caractérisent beaucoup par la recréation et la stratégie instrumentale. Il y avait des entités microterritoriales de trente-cinq adhérents et il y en avait de six cents adhérents. L’existence d’associations de portées territoriales Tableau n° 1 - Portée territoriale d’action des sociétés d’instruction galiciennes de Buenos Aires (1904-1936) H, L-d P 2P ou + C 2C ou + Arron. Prov La Corogne 1 37 7 59 2 10 1 117 Lugo 1 5 - 34 6 6 4 56 Ourense - 14 - 25 4 5 3 51 Pontevedra 1 41 6 59 10 6 1 124 Province GALICE Pourcentage Total 3 97 13 177 28 27 9 348 0,86 27,87 3,73 50,86 8,04 7,75 2,58 100 (H, L-d : hameau, lieu-dit ; P : paroisse ; C : commune ; Arron. : arrondissement ; Prov : province) Source : Élaboration personnelle 14 N° 1256 - Juillet-août 2005 différentes, superposées, voire même rivales, s’expliquait surtout par deux facteurs. Le premier d’entre eux est la présence de notables, d’émigrants aisés qui parrainaient la fondation d’associations, et/ou d’activistes politiques, d’intellectuels et de journalistes intéressés aussi par la promotion de l’associationnisme et qui avaient tendance à faire prévaloir un cadre territorial d’action servant leurs intérêts et leurs objectifs, et qu’ils pouL’associationnisme microterritorial vaient manipuler à divers niveaux. Ainsi, galicien était beaucoup plus dans la majorité des cas connus, ce choix ne reflétait pas nécessairement une fidéqu’une simple reproduction mimétique lité inébranlable aux identités communaudes liens communautaires d’origine. Il s’agissait taires ou aux cadres de sociabilités mainteaussi d’une recréation de l’espace social. nus en Argentine. Au contraire, dans les disputes pour le pouvoir, l’appel à des référents communautaires acquérait une géométrie variable selon les circonstances et les intérêts concrets. En second lieu, et comme nous l’avons déjà dit, les mouvements sociaux et politiques existaient dans les lieux d’origine. Ils conditionnaient, à certains moments, la création de sociétés en Amérique, lesquelles avaient tendance à suivre les directives associatives en vigueur en Galice. Le niveau relatif d’organisation de la société civile dans le milieu rural galicien se répétait dans la société civile d’outre-mer, et vice versa. Un certain corporatisme naît au sein des associations L’associationnisme microterritorial galicien était beaucoup plus qu’une simple reproduction mimétique des liens communautaires d’origine. Il s’agissait aussi d’une recréation de l’espace social, où se mêlaient le souvenir du lieu d’origine et la construction d’une nouvelle identité, superposée ou adjacente à d’autres sphères d’attribution collective. Malgré tout, il est vrai que cette recréation ne pouvait jamais trop s’éloigner des sentiments d’identité communautaire de base locale (paroissiale ou supracommunale). Donc, bien que le contact avec la société réceptrice ainsi qu’avec des Galiciens d’autres régions et avec le reste des immigrants espagnols introduisît chez les émigrants une hiérarchie d’identités superposées soumises à des codes particuliers, les traits de fidélité aux espaces d’interaction sociale les plus immédiatement liés au lieu d’origine ne disparaissaient pas, même dans les associations de portée territoriale communale ou supracommunale. Au sein de ces dernières, les disputes paroissiales étaient fréquentes, les rivalités locales se superposant aux problèmes internes de gestion et d’administration, ou de définition sociopolitique(16). Phénomène, par ailleurs, inévitable dans les associations volontaires à base ethnique, où l’appel à la solidarité communautaire ne peut éviter les cercles concentriques d’identifi- Les migrants et la démocratie dans les pays d’origine 16)- Par exemple, c’est le cas de l’association Unión del Partido de Lalín, fondée en 1921 (séparée de Hijos del Partido de Lalín et ayant des orientations socialistes, évidentes chez son leader, le tailleur et ancien dirigeant agraire en Galice, Jesús Blanco). Des 242 sociétaires qui furent admis dans l’entité entre février 1921 et janvier 1925, 58,5 % (141) provenait de quatre paroisses, toutes situées dans la région occidentale de la municipalité de Lalín, qui jusqu’alors avaient à peine été représentées de manière significative aux Hijos del Partido de Lalín : Cristimil (63, 26 %), Gresande (36, 14,8 %), Donsión (21, 8,6 %), et Prado (21, 8,6 %). Voir Libro de Socios de Unión del Partido de Lalín, Archives du Centro Lalín, Buenos Aires (ACL). 15 17)- Voir les observations de M. Hechter, D. Friedman et M. Appelbaum, “A Theory of Ethnic Collective Action”, International Migration Review, 16 : 2, 1982. 18)- Tel était le cas de Hijos de Silleda, qui en 1931 faisait en sorte que les instituteurs des écoles en Galice soutenues par l’association fassent apparaître sur les listes des élèves qu’ils envoyaient régulièrement à Buenos Aires le nom et l’adresse des membres de leur famille qui résidaient en Argentine et cotisaient dans l’entité. Voir Listas de alumnos en septiembre de 1931 (ACL) ; Procès-verbal de l’assemblée du 8.6.1924, dans Libro de Actas de Asambleas Generales de Hijos de Silleda (1909-1936), ACL. 19)- R. Merton, Teoría y estructura sociales [1949], México : FCE, 1970. cation(17). Si, dans certains cas, il s’agissait de rivalités locales transposées de la Galice en Amérique, dans d’autres cas il s’agissait de dissensions entre les adhérents qui préféraient faire passer en priorité des objectifs d’instruction et d’intervention en Galice et ceux qui préféraient transformer les sociétés en entités mutualistes et de loisirs. En partie pour surmonter ces tensions (entre instruction et loisirs, entre bienfaisance et mutualisme), dans certaines entités d’émigrés une orientation plus corporative est apparue progressivement au moment de donner une priorité à ceux qui devaient bénéficier des investissements dans le lieu d’origine. Pour encourager les émigrants à déposer de l’argent dans les sociétés d’instruction et, en même temps, pour réussir à faire en sorte que les familles des paroisses d’origine s’intéressent et participent au succès des écoles qui recevaient des donations d’outre-mer, on avait tendance, pour admettre un élève ou pour l’exonérer de frais d’inscription, à accorder une préférence à ceux dont les parents avaient des membres de leur famille en Amérique ou étaient membres ou collaborateurs de la société des émigrants. La rhétorique communautaire agissait plus d’une fois comme discours légitimant une praxis qui ressemblait sur certains aspects au corporatisme syndical : on devait d’abord favoriser ceux qui cotisaient (et leur famille) et ensuite les autres habitants. Le fait que les enfants scolarisés dans les écoles financées depuis l’outre-mer avaient ou non de la famille en Argentine et le fait que ces familles payaient ou non une cotisation d’adhérent étaient pris en compte par les associations(18). C’est également pour cela que l’importance des dissensions qui s’articulent autour de noyaux d’interaction sociale réduits se manifeste surtout au moment de partager les ressources sous la forme d’initiatives de bienfaisance en Galice. Autrement dit, la solidarité paroissiale était beaucoup plus évidente quand de l’argent entrait en jeu et quand celui-ci était destiné à la communauté ou au cadre de référence d’origine des émigrants, pour parler dans les termes classiques de Robert Merton(19). Il arrivait souvent que les natifs d’une paroisse concrète constituent la majorité des fondateurs d’une société de portée municipale ou supranationale, car il fallait par la suite établir dans quel lieu du “cher terroir” les fonds sociaux seraient investis. Cela donnait lieu à de nombreuses disputes et à des solutions pragmatiques qui traduisaient, au-delà des objectifs idéalistes exprimés, les équilibres internes entre les natifs de plusieurs paroisses : en effet, si un accord n’était pas conclu, le noyau paroissial le plus fort pouvait se séparer et fonder une société de portée territoriale inférieure. Un associationnisme d’artisans et de commerçants Dans la grande majorité des cas, la sphère territoriale proclamée par l’association cachait l’existence de claires prédominances internes de sphères communautaires inférieures, qui ne correspondaient pas nécessairement à la répartition des résidents de Buenos Aires par paroisse 16 N° 1256 - Juillet-août 2005 d’origine. Ainsi, le Centro de Protección Agrícola (CPA) de Salceda de Caselas (Pontevedra), fondé en 1913, comptait en 1914 cent vingt et un adhérents, parmi lesquels 95 % étaient nés dans une des sept paroisses de la commune de Salceda. Cependant, la prédominance de deux paroisses sur les cinq autres est surprenante : les natifs de la paroisse de Salceda atteignaient un total de quarante-huit (39,6 %), et ceux de la paroisse de Entenza un total de cinquante-huit (47,9 %), le reste des adhérents se partageant entre les autres paroisses de la commune d’origine. Cette surreprésentation s’est maintenue tout au long des années suivantes(20). Les associations microterritoriales étaient par conséquent hétérogènes quant à la composition paroissiale. Elles l’étaient aussi en ce qui concerne leur composition sociale. Selon les données qui sont à notre disposition jusqu’à présent, nous pouvons offrir le tableau suivant, élaboré à partir des registres des associés de cinq associations galiciennes de profils politiques et d’offres de services différents. 20)- Libro de Registro de Socios (1914-24) du CPA de Salceda de Caselas en Buenos Aires (Archive de la Casa de Tui-Salceda, Buenos-Aires). En 1920, 394 habitants de Salceda figuraient comme absents résidant en Argentine, parmi lesquels 65 % appartenaient aux paroisses de Salceda et Entenza, tandis que les natifs des deux paroisses constituaient régulièrement 90 % des associés du CPA. Voir Pereira Bernárdez, “La emigración”. Tableau n° 2 - Composition socioprofessionnelle de cinq sociétés microterritoriales de Buenos Aires, 1918-1944 Círculo Villagarcía de Arosa (1933-37) Centro Renovación Ponteareas (1935-39) Unión Progr. Arrond. de Covelo (1926-44) Círculo Social Valle Miñor (1942-44) Rentiers, industriels et propriétaires 3,6 % 0,64 % 4, 14 % 3% 2,09 % Petits industriels, propriétaires d’établissements artisanaux. 2,7 % 0,64 % 7, 25 % 3% 0,83% - 0, 64 % 1, 03 % 2,63 % 2,51 % Commerçants 18 % 10,96 % 32, 6 % 24,43 % 14,64 % Fonctionnaires, instituteurs 1,8 % 1, 29 % - - 1,67 % 57,65 % 53,5 % 30,05 % 19,17 % 52,71 % Ouvriers manuels sans qualification, journaliers 2,7 % 10, 32 % 3, 62 % 22,18 % 3,76 % Ouvriers qualifiés, non-manuels, de métier. 7,2 % 7,09 % 14,5 % 13,9 % 19,66 % Service domestique 4,5 % 9, 03 % - 10,15 % - Retraités - 1, 29 % 1,03 % - - Étudiants - 1, 93 % 5,69 % 1,5 % 1,67 % 1,8 % 2, 58 % - - 0,41 % Groupe professionnel Professions libérales Employés de commerce Autres Total numérique de l’échantillon 111 (100 %) 155 (100 %) 193 (100 %) Residentes de Mos (1918-41) 266 (100 %) 239 (100 %) Source : Registre d’adhérents du Centro Renovación de Ponteareas (AFSG) ; fiches de demande de dépôt d’argent et Libro de Registro de Socios de la UP del Distrito de Covelo (AFSG) ; fiches de demande de dépôt d’argent du Círculo Valle Miñor (Archives du Centro Valle Miñor, Buenos-Aires) ; registre de Socios de Residentes de Mos (Archives de la société Residentes de Mos, Buenos-Aires) ; fiches de demande de dépôt d’argent des adhérents du Círculo Villagarcía de Arosa (AFSG). Les migrants et la démocratie dans les pays d’origine 17 Des sociétés différentes pour des profils socioprofessionels différents 21)- Moya, Cousins and Strangers, p. 288, constate le même phénomène pour l’AESM en 1895 : si 35 % des immigrants espagnols à Buenos Aires cette annéelà étaient des travailleurs non-qualifiés, le pourcentage de cette catégorie entre les associés de l’AESM n’atteindrait pas les 26 %. 18 Avec les précautions d’usage, nous pouvons affirmer que la plus grande partie de la clientèle se composait d’employés et de vendeurs, puis de commerçants et d’ouvriers manuels qualifiés et sans qualification. Nonobstant, il y a des nuances de quelque importance parmi ces diverses entités. D’une part, l’entité Centro Renovación autant que celle de l’Union progressiste (UP) de Covelo a un compromis politique clair et actif en faveur de leurs lieux d’origine, auxquels elles envoyaient régulièrement des fonds destinés aux entreprises politiques liées à l’agrarisme local de tendance gauchiste, ayant par conséquent une offre de services mutualistes et de loisirs de moindre importance. D’autre part, Residentes de Mos était une société d’instruction, mais elle avait un message d’intégration plus populaire basé sur le lien de l’identité communautaire et, de ce fait, plus apolitique dans la praxis que les sociétés antérieures. Elle proposait une offre plus grande en couverture mutualiste et en loisirs, ce qui explique peut-être son taux élevé d’ouvriers manuels qualifiés et sans qualification. Enfin, le Círculo Social Valle Miñor et le Círculo Villagarcía de Arosa étaient principalement des entités de loisirs, avec une offre très limitée en services mutualistes. On constate clairement que le pourcentage d’ouvriers manuels, avec ou sans qualification, et d’employé(e)s du service domestique est plus important dans la société Mos (46,2 %) que dans les autres, alors que seule la catégorie des employés descend en dessous des 20 % ; en revanche, les petits commerçants constituent presqu’un tiers des adhérents de Valle Miñor, auxquels s’ajoutait un pourcentage non négligeable d’adhérents issus de secteurs aisés et plutôt riches (12,4 %), assez supérieur à celui des autres entités (pour celle de Mos uniquement, il atteint 8,6 %). Il convient de formuler quelques hypothèses, même partielles, à la lumière de ces données. Tout d’abord, elles confirment le fait que les ouvriers manuels et non qualifiés avaient tendance à ne s’associer que très peu à des associations volontaires, mutualistes ou ethniques(21) ; et s’ils le faisaient, ils cherchaient celles qui combinaient de façon plus ou moins éclectique une offre mutualiste et de loisirs avec un certain type de compromis d’investissement de ressources en Galice. En revanche, les sociétés de gauche militante dont l’objectif était surtout la “régénération” politique de leurs municipalités d’origine attiraient plutôt les employés, les commerçants et, dans une moindre mesure, les ouvriers et les domestiques. On peut supposer que les ouvriers et les travailleurs non-qualifiés aimaient mieux dans un premier temps déposer leur argent dans des syndicats ou des associations qui proposaient une offre d’assistance et de loisirs importante. Ils préféraient que le compromis avec l’instruction et la mobilisation politique dans leurs lieux d’origine N° 1256 - Juillet-août 2005 n’acquièrent de l’importance qu’une fois les besoins “primaires” satisfaits ou après quelques années, une fois parvenus à une certaine ascension sociale. De fait, les échantillons d’adhérents galiciens de la mutuelle Asociación Española de Socorros Mutuos (AESM) de Buenos Aires utilisés pour cette période offrent un pourcentage de travailleurs manuels de 45 %. Un autre sondage effectué parmi les adhérents des mille premiers affiliés du Centre galicien entre 1907 et 1912 qui déclarent leur profession donne un pourcentage d’ouvriers manuels de 23,72 %, alors La solidarité paroissiale était que les professions libérales atteignaient beaucoup plus évidente 6,81 % et les vendeurs et les commerçants quand de l’argent entrait en jeu, 66,32 %(22). Les adhérents de la UP de Covelo présentent un profil intermédiaire, et quand celui-ci était destiné dans lequel on compte encore 26,4 % d’ouà la communauté d’origine des émigrants. vriers et de personnel du service domestique, un grand pourcentage d’employés, et un pourcentage plus réduit de commerçants, de rentiers et d’industriels. En revanche, dans le Círculo Social Valle Miñor, on se retrouve avec un profil social bourgeois, dans lequel – en tenant compte du fait qu’il s’agit des années quarante – figurent déjà des étudiants (fils d’émigrés), et dont les échelons inférieurs de l’échelle sociale (ouvriers manuels et domestiques) n’apparaissent qu’à peine, alors 22)- Données utilisées par Fernández, “Los gallegos que les classes moyennes sont légèrement sous-représentées et les sec- A.E. dentro de la colectividad y teurs aisés surreprésentés : il s’agissait d’une société qui n’offrait plus las asociaciones españolas en el primer tercio del siglo de services mutualistes. XX”, in X. M. Núñez Seixas D’autre part, les liens de voisinage étaient décisifs au moment de (ed.), La Galicia austral. La inmigración gallega en se mettre d’accord sur l’admission de nouveaux membres. Nombre la Argentina, Buenos Aires : d’employés et d’ouvriers de l’entité de Valle Miñor le sont dans des Biblos, 2001, et A. Vázquez González, “La emigración négoces ou des établissements appartenant à des voisins et (dans la gallega a América, 1830majorité des cas) à des paroissiens compatriotes, comme le montrent 1930”, Thèse de doctorat, université de Saint-Jacquesles données croisées du registre des adhérents, et déposent de l’argent de-Compostelle, 2000, vol. I. dans l’entité à la demande de leur patron. On peut affirmer la même chose pour les associés de Mos. Les leaders des associations visent l’ascension et la reconnaissance sociales Quel était le profil social des leaders ? Au sein des comités de direction, prédominent les petits et moyens commerçants, surtout du secteur alimentaire et textile ; les petits industriels de la branche alimentaire ; les gérants et les administrateurs d’hôtels et de moyennes entreprises ; les employés, les artisans et les travailleurs manuels qualifiés. Cela constituerait un profil social plus populaire(23) non seulement par rapport aux associations mutualistes de portée hispanique mais aussi par rapport aux entités de portée régionale, comme le Les migrants et la démocratie dans les pays d’origine 23)- F. Devoto et A. E. Fernández, “Mutualismo étnico, liderazgo y participación política. Algunas hipótesis de trabajo”, in D. Armús (comp.), Mundo urbano y cultura popular, Buenos Aires : Sudamericana, 1990. 19 25)- Voir R. Gandolfo, “Las sociedades italianas de socorros mutuos de Buenos-Aires : Cuestiones de clase y etnia dentro de una comunidad de inmigrantes (1880-1920)”, dans F. J. Devoto et E. J. Míguez (éds.), Asociacionismo, trabajo e identidad étnica. Los Italianos en América Latina en una perspectiva comparada, Buenos Aires : CEMLA, 1992. 26)- A. E. Fernández, “El mutualismo español en un barrio de Buenos-Aires : San José de Flores (18901900)”, Estudios Migratorios Latinoamericanos, 13 (1989) ; D. N. Marquiegui, La inmigración española de masas en Argentinas, Buenos-Aires : CEDEAL, 1993 ; A. Alonso de Rocha, Los Gallegos en Olavarría, s.l. (Olavarría), s. éd., 2001 ; El Diario Español, 12.10.1929. © Archive de l’Émigration Galicienne, Saint-Jacques-de-Compostelle. 24)- J. Ruibal et D. Barros, “Un palacio en la plaza : El Centro Gallego de Avellaneda, 1899-1919”, Revista da Comisión Galega do Quinto Centenario, 5 (1989). montre le cas du Centre galicien de la ville d’Avellaneda ou celui des comités de direction du Centre galicien de Buenos Aires à partir de 1910-1911(24). C’est ce que l’on peut déduire de l’analyse comparée de plusieurs comités de direction d’associations microterritoriales tout au long du premier tiers du XXe siècle. Cependant, nous ne pensons pas que les sociétés d’instruction galiciennes jouent un rôle instrumental dont le but serait d’exercer un contrôle sur le conflit social au sein de la communauté immigrante à travers l’encouragement de la solidarité ethnique et/ou du mutualisme, comme l’ont fait plusieurs sociétés italiennes de Buenos Aires pour les intérêts des petits industriels et commerçants qui faisaient partie de leurs comités de direction(25). Les grands noms de la collectivité, c’est-à-dire les commerçants importateurs qui avaient gravi l’échelle sociale au cours du dernier tiers du XIXe siècle, les conseillers de banques de la collectivité espagnole, propriétaires ou actionnistes de grandes entreprises, se concentraient de préférence dans les comités de direction des entités de portée territoriale galicienne (Union galicienne, Centre galicien, Maison de la Galice) ou des entités espagnoles. Le profil sociologique général des dirigeants de sociétés d’instruction était semblable à celui des leaders de l’Asociación Española de Socorros Mutuos des quartiers périphériques de Buenos Aires (Flores ou Belgrano, par exemple) au début du siècle ou des populations de la province de Buenos Aires, telle que Luján à la même époque – pour ne pas parler d’autres localités de l’intérieur argentin, telles que Deán Funes (Córdoba), Olavarría ou Chivilcoy(26). Les leaders des entités microterritoriales étaient souvent ceux qui ne pouvaient pas accéder à court ou moyen terme aux comités de direction des grandes institutions galiciennes ou espagnoles. Leurs motivations étaient multiples mais peuvent se résumer à quatre points. Banquet offert par le Centre galicien de Buenos Aires à l’ambassadeur argentin en Espagne avant son départ, 1918. 20 N° 1256 - Juillet-août 2005 – Le renforcement du capital symbolique des dirigeants en vue de leur participation à la vie sociale argentine et en vue de l’accès aux postes du pouvoir à l’intérieur de la communauté immigrante galicienne (et espagnole) ; – l’attribution de réseaux de clients plus ou moins informels : l’accès des associés à des entités qui offrent de meilleurs services ou à des opportunités de travail pouvait se voir favorisé par l’action intermédiaire des leaders des sociétés, lesquels agissaient en ce sens comme de véritables notables ou patrons ; – les perspectives d’un retour temporel ou définitif au lieu d’origine, où le fait d’être coparticipant de la gestion des entités qui accomplissaient un remarquable travail de bienfaisance et d’assistance contribuait à élever leur prestige social ; – l’agitation politique, au profit de différents courants allant du républicanisme à l’agrarisme, au socialisme, au régionalisme et plus tard au nationalisme galicien(27). 27)- Voir mon article “Asociacionismo local y movilización sociopolítica : Notas sobre los Gallegos en Buenos Aires (18901936)”, dans A. E. Fernández et J. C. Moya (éds.), La inmigración española en la Argentina, Buenos Aires : Biblos, 1999. L’importance du réseau microsocial pour la constitution des associations On constate également le rôle crucial du comité de direction, et surtout des initiateurs, dans le fait qu’une grande part des sociétés d’instruction naissait du dynamisme social et de la mobilisation de contacts et de réseaux de relations, à partir d’un noyau réduit de familles ou d’individus. Des quatre cent huit sociétaires qui ont adhéré aux Hijos del Partido de Lalín entre septembre 1908 et mai 1912, pas moins de cent quatorze (27,9 %) ont été présentés par le sociétaire fondateur et petit industriel textile né à Lalín, Guillermo González(28). Ces réseaux de relations étaient plus denses en descendant au niveau paroissial : des deux cent trente et un membres qui se sont inscrits entre 1930 et 1935 dans l’entité paroissiale Sociedad Instructiva y Recreativa Pro-Escuela de Brocos y sus Contornos, fondée en juillet 1930 et qui regroupait les immigrants provenant de la paroisse de Brocos (Agolada, Pontevedra), soixante-huit nouveaux associés, c’està-dire 29,4 % du total, ont été présentés par la famille Caramés, à la tête de laquelle se trouvaient José Caramés et sa sœur Engracia Caramés, cette dernière mariée à l’Argentin Amadeo Menghi. Les Caramés, qui avaient fourni à eux seuls treize des deux cent trente et un membres de l’association étaient, depuis leur fonds de commerce situé rue Libertad 192, de véritables protecteurs des natifs de Brocos qui venaient d’arriver dans la capitale argentine. En plus de cela, Bautista Martínez, associé de commerce de José Caramés, a obtenu l’inscription de vingt sociétaires de plus (8,65 %), et l’importateur de tabac José Mouriño, qui habitait dans la même maison que le couple Menghi/Caramés, quinze autres (6,5 %). Ainsi, le réseau Les migrants et la démocratie dans les pays d’origine 28)- Élaboration personnelle à partir du registre des associés de la société Hijos del Partido de Lalín, 1908-1912 (ACL). 21 29)- Élaboration personnelle à partir du Libro de Socios de la Sociedad Instructiva Pro-Escuela de Brocos y sus Contornos, 1930-1935, ACL. 30)- F. J. Devoto, “Las sociedades italianas de ayuda mutua en Buenos Aires y Santa Fe. Ideas y problemas”, Studi Emigrazione/Études Migrations, 75 (1984). microsocial direct mis en place par la famille Caramés apportait au minimum 44,55 % du total des associés(29). On ne possède que des estimations, obtenues de manière très indirecte, en ce qui concerne l’implantation de ces formes associatives microterritoriales pour l’ensemble des compatriotes immigrés à Buenos Aires. Certains sondages partiels présentent un taux qui va de 33 à 50 %, dans le meilleur des cas. Les sociétés d’instruction ne parvenaient pas toutes au même niveau de représentation et d’acceptation parmi les émigrés de leur sphère géographique d’action, niveau qui semblait dépendre beaucoup du charisme, de la personnalité et du dynamisme des initiateurs – et par conséquent de leur capacité à mettre en place des réseaux sociaux autour d’eux –, de l’orientation sociopolitique de l’entité, des services mutualistes qu’elle offrait, de son offre de loisirs et de la présence ou non de sociétés paroissiales qui entraient en compétition avec une autre d’une portée géographique plus grande (une municipalité ou un arrondissement). Pour ce qui est des sociétés municipales, l’implantation atteinte était variable, quoiqu’inférieure aux paroisses, dont l’efficacité au moment d’attirer des adhérents était généralement plus grande. En outre, la faible participation des sociétaires lors des assemblées et lors du travail collectif était monnaie courante. Moins de 15 % des inscrits sur le registre des associés se rendaient aux assemblées mensuelles et une bonne partie des cotisations était acquittée de façon très irrégulière. Malgré tout, l’intérêt des dirigeants pour conserver l’affiliation théorique aux sociétés et pour continuer ainsi à se présenter comme les élites de la collectivité, renforçant, de plus, certaines relations de type clientéliste entre eux et la masse des associés, se maintenait. C’était seulement quand des disputes pour la direction surgissaient ou quand des élections dans les entités locales étaient convoquées afin d’élire les membres du Comité exécutif des fédérations (comme cela arrivait au sein de la Fédération des associations galiciennes pendant la seconde moitié des années vingt) que l’on encourageait réellement la participation des associés. Cependant, on constate dans ces cas-là que la participation était plus élevée que dans les grandes associations mutualistes de dimension galicienne ou espagnole, et qu’elle se maintenait à des niveaux proches des participations italiennes(30). Le retour de l’expérience associative vers la Galice La paroisse d’outre-mer, figure rhétorique souvent utilisée dans l’opinion publique galicienne depuis la fin du XIXe siècle, n’était pas tant une paroisse basée sur la proximité résidentielle mais plutôt une construction rituelle et associative, en même temps qu’une idée qui alimentait tout un maillage d’entités et d’initiatives orientées vers l’ac- 22 N° 1256 - Juillet-août 2005 tion préférentielle dans la société d’origine. Néanmoins, ces entités ont maintenu une capacité spéciale pour faire perdurer l’idée d’une communauté symbolique, ainsi que pour catalyser la canalisation des initiatives sociopolitiques à travers l’associationnisme. Celui-ci n’apparaissait pas directement à partir de la reproduction spatiale des liens de travail et de voisinage, mais surtout à partir de l’action consciente des élites émigrantes, des stimuli reçus de la société de destination et aussi d’origine, et de l’existence d’objectifs concrets à réaliser autant en Amérique qu’en Galice. Il s’agissait en ce sens de formes d’action collective pleinement rationnelles. La société civile que les émigrants galiciens ont été capables de créer dans le nouveau cadre urbain de Buenos Aires est intervenue de façon décisive dans le processus d’articulation de l’action collective dans le milieu rural galicien jusqu’en 1936. Grâce au réseau des associations galiciennes de Buenos Aires est apparue toute une génération d’activistes agraires, de socialistes, de républicains et de nationalistes galiciens qui, à leur retour dans leur pays d’origine, ont contribué de manière décisive à l’apport de ressources matérielles et immatérielles qui ont servi à la fondation de journaux, d’associations, de syndicats et de coopératives. Des ressources matérielles destinées au même objectif ont surgi grâce à l’action institutionnelle de ce réseau. Il ne s’agissait donc pas uniquement de bienfaisance. C’était également une manière d’investir rationnellement des ressources à des fins concrètes, même si celles-ci revêtaient souvent une rhétorique communautariste (“le bien de la paroisse”). Et cette action a été, en ce sens, polyvalente, autant en Amérique qu’en Galice. Ainsi, le promoteur de la première association de la commune d’A Estrada (Pontevedra) à Buenos Aires en 1908 demandait à ses compatriotes de “réaliser quelque profit pour nous et pour les villages de notre inoubliable commune” dans le but d’établir l’union, les loisirs, la protection, le patriotisme et la bienfaisance locale, qui, en définitive, aidaient à articuler la société civile, rendant la vie politique digne et palliant les déficiences de l’action modernisatrice de l’État. Il disait : [Les sociétés d’instruction] “envoient de l’aide à leurs villages ; soutiennent les bonnes autorités ; censurent les mauvaises ; encouragent les syndicats de paysans ; favorisent l’instruction en réclamant de meilleures écoles et en essayant d’en fonder ; en unifiant et protégeant les natifs de ces mêmes lieux ; en faisant des souscriptions pour construire des chemins vicinaux que l’État, qui nous oublie, nous refuse ; en offrant leur concours moral et matériel à l’ensemble des actes [sic !] de Galice ou d’Espagne et en organisant [des manifestations de] divertissement(31).” Les sociétés microterritoriales ont survécu, mais après 1939 leurs possibilités d’action en faveur des communautés locales d’origine ont été pratiquement réduites au domaine de la bienfaisance. Cependant, Les migrants et la démocratie dans les pays d’origine 31)- “Otra sociedad”, Nova Galicia, 1.3.1908, p. 3. 23 32)- Voir notre article “History and Collective Memories of Migration in a Land of Migrants : The Case of Iberian Galicia”, History and Memory, 14 : 1-2 (Fall 2002). pour les émigrants, elles ont continué à jouer le rôle de lieux de sociabilité, et elles ont souvent intégré les enfants et les petits-enfants des adhérents qui n’étaient pas repartis en Galice. Leur fonction a pu changer au fil des années, mais ces institutions n’ont pas disparu pour autant. En 2005, il y avait encore plus de quarante associations galiciennes dans la capitale argentine, outre le Centre galicien. Elles sont devenues un objet préférentiel d’attention du gouvernement régional galicien, qui utilise de son côté les réseaux des associations galiciennes comme une machine assez efficace pour obtenir les votes des citoyens galiciens à l’étranger ; ceci à travers une généreuse politique d’assistance médicale et un discours identitaire qui souvent fait appel à la nostalgie, au sentiment ethnique et à la culture, dans le but de créer un lien permanent entre les Galiciens d’outre-mer et ceux résidant en Galice(32). Aujourd’hui, enfin, ce sont l’État et, plutôt, les institutions de la région qui soutiennent les associations des émigrants. Voilà un paradoxe de l’histoire. Dossier Vie associative, action citoyenne, n°1229, janvier-février 2001 A P U B L I É Dossier Migrants et solidarités Nord-Sud, n°1214, juillet-août 1998 Dossier Citoyenneté sans frontières, n° 1206, mars-avril 1997 24 N° 1256 - Juillet-août 2005