Saint-Gobain en Allemagne

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Saint-Gobain en Allemagne
Saint-Gobain en Allemagne
Résumé de « Saint-Gobain en Allemagne. De 1853 à nos jours. L’histoire
d’une entreprise européenne », Horst Möller, C. H. Beck Verlag München
Dans « Saint-Gobain en Allemagne. De 1853 à nos jours. L’histoire d’une entreprise européenne », Horst Möller présente au fil de 221 pages le développement d’une entreprise française en Allemagne, de son implantation au milieu du XIXe siècle à sa situation actuelle de
leader dans plusieurs métiers sur le marché allemand et international.
L’auteur décrit l’histoire de l’entreprise en y distinguant les époques suivantes : La Confédération germanique de 1853 à 1870, l’empire de 1871 à 1914, la première guerre mondiale de
1914 à 1918, l’entre-deux-guerres de 1918 à 1933, l’autonomie apparente de 1933 à 1938,
l’Allemagne et la France en guerre de 1939 à 1945, la reconstruction et la réorganisation de
1945 à 1950, ainsi que la poursuite de la tradition et les innovations depuis 1950. Dans un
souci de clarté, les différentes époques de l’ouvrage original sont présentées ici de manière
synthétique.
I.
L’implantation et les premiers obstacles (1853 à 1918)
Depuis sa fondation en 1665 par Colbert, alors ministre des finances de Louis XIV,
l’entreprise Saint-Gobain est profondément enracinée dans la tradition française. Plus tard, la
décision de Saint-Gobain de s’établir sur le marché allemand a correspondu à l’aboutissement
d’une réflexion stratégique et commerciale. En effet, alors que le marché français arrivait à
saturation, le marché allemand comportait quant à lui un important potentiel de croissance :
dans l’Allemagne du milieu du XIXe siècle, la production de glace pour miroirs était
technologiquement dépassée et d’une qualité relativement médiocre. La réduction de frais
réalisée en évitant les droits de douane et taxes de transit qui étaient prélevés aux frontières
extérieures de l’Allemagne depuis l’union douanière de 1834 joua également un rôle
important dans la décision d’internationalisation de l’entreprise.
L'objectif de l'union douanière
allemande était de constituer une entité
économique pour faire échec à la
concurrence étrangère. Après la
fondation du Reich en 1871, la
politique douanière fut maintenue.
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Saint-Gobain en Allemagne
L’engagement de Saint-Gobain en Allemagne commença en 1853 avec l’achat de terrains
dans la région de Mannheim. Quelque temps plus tard, Saint-Gobain fit construire sa première
manufacture de glaces sur le domaine Waldhof près de Mannheim. Cette initiative incomba,
en fait, à une société rivale, la Manufacture de Saint-Quirin, mais très vite fusionnée avec elle,
dès 1858.
Waldhof près de Mannheim est la plus
ancienne glacerie de Saint-Gobain en
Allemagne
L’auteur ne se contente pas de décrire les débuts de la production. Il souligne également
l’engagement social de la direction de l’entreprise vis-à-vis de ses salariés. Outre de logements ouvriers exemplaires, ceux-ci bénéficièrent également d’une caisse d’assurance maladie, accidents et retraite, propre à l’entreprise et mise en place en 1857, devançant ainsi d’une
vingtaine d’années le système de sécurité sociale de Bismarck créé dans les années 1880.
Logements ouvriers - un alignement de maisons
modèles appartenant à la manufacture de glaces de
Mannheim-Waldhof.
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Saint-Gobain en Allemagne
Dès le début, la stratégie de l’entreprise consista à se développer par l’acquisition
d’entreprises dans des métiers identiques ou similaires. C’est ainsi que la Compagnie de
Saint-Gobain continua de s’agrandir en Allemagne en acquérant en 1857 la manufacture de
glaces d’Aix-la-Chapelle. Grâce à la modernisation des procédés, des équipements et de
l’organisation des sites, cette entreprise, en difficulté à l’origine, devint florissante. Outre le
développement des sites de production existants, Saint-Gobain maintint sa politique
d’expansion.
Par ce document bilingue, FrédéricGuillaume, roi de Prusse, grand-duc du Rhin
inférieur etc., confirma le 23/01/1858 à
Saint-Gobain l'autorisation provisoire
accordée antérieurement pour la reprise de la
manufacture de glaces d'Aix-la-Chapelle.
La manufacture de glaces de Stolberg en 1919-20
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Saint-Gobain en Allemagne
Politique d’agrandissement jusqu'en 1905
1853
1857
1858
Acquisition du domaine Waldhof et création d’une
manufacture de glaces par Saint-Quirin
Reprise à bail de l'Aachener Spiegelmanufaktur
par Saint-Gobain avec les usines de
Münsterbusch et d’Aix-la-Chapelle
Fusion de Saint-Quirin et de Saint-Gobain en
« Société Anonyme des Manufactures des
Glaces et Produits Chimiques de Saint-Gobain,
Chauny & Cirey»
1863
Achat de l'usine Münsterbusch et transfert de
l’usine de Schorrenfeld à Stolberg
1866
Premier atelier de verre coulé en Allemagne à
Stolberg
Création d’une succursale de vente à Cologne
Création du syndicat de vente « Verein Deutscher
Spiegelglasfabriken »
Participation de 50% dans la glacerie d'Altwasser
en Silésie
Création du syndicat international de vente
« Convention Internationale des Glaceries » à
Bruxelles
1866
1894
1900
1904
1905
Participation de 50% dans la manufacture de
glaces de Herzogenrath
Four à Waldhof à la fin du
XIXe siècle
Table de coulée à la fin du XIXe siècle. Le
procédé de fabrication du verre plat consistait
à l'époque à couler et laminer le verre liquide
sur une table pour ensuite le refroidir, le
poncer et le polir.
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Saint-Gobain en Allemagne
L’éclatement de la guerre franco-allemande en 1870 qui entraîna une pénurie de matières
premières et de main-d’œuvre ainsi que l’annulation de commandes provoquèrent une courte
baisse d'activité. Le succès à longue échéance des entreprises de Saint-Gobain en Allemagne
ne fut cependant pas menacé grâce aux innovations technologiques constantes telles que le
four régénératif des frères Siemens, le four à bassin ou bien le procédé Bicheroux.
Le procédé Bicheroux, introduit à
Herzogenrath entre 1910 et 1914 :
le verre en fusion se déverse du creuset sur
une trémie, alimentant l’espace situé entre
deux rouleaux lamineurs qui le débitent en
feuille ayant l'épaisseur souhaitée.
Remplaçant la coulée, le laminage permet
d'obtenir des vitres d'une épaisseur fine,
régulière, à surface plane, et de réduire ainsi
considérablement les opérations de
doucissage.
Max Bicheroux, Dr. Ing. e.h.,
Herzogenrath
La première guerre mondiale, en revanche, plaça Saint-Gobain dans une situation périlleuse,
car les sites de production de l’entreprise en Allemagne étaient considérés « patrimoine ennemi ». La manufacture de glaces de Waldhof fut vendue par adjudication forcée en juillet
1917, Stolberg fut placé sous séquestre judiciaire et les participations détenues par SaintGobain dans les usines de Herzogenrath et de Sindorf firent l’objet d’une aliénation. Le site
d’Altwasser continua d’abord de fonctionner sous la direction de salariés fidèles à SaintGobain, mais ne put finalement échapper à la vente forcée.
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Saint-Gobain en Allemagne
II.
L’entre-deux-guerres : restitution, expansion, modernisation et nouvelles menaces
(1918 à 1939)
Après la fin de la guerre, Saint-Gobain parvint à recouvrer contre remboursement du prix de
vente les sites de production dont l’entreprise avait été dépossédée. Par ailleurs, l’acquisition
de nouvelles usines telles que Deutsche Spiegelglas AG à Freden (1922) et la verrerie de
Torgau (1925) confirmèrent le succès que l’entreprise connaissait à nouveau en dépit de facteurs économiques difficiles.
L’avantage de Saint-Gobain en Allemagne était de ne pas manquer de capitaux malgré la dépression économique d’après-guerre, car le siège de l'entreprise à Paris disposait de suffisamment de moyens. Ces capitaux furent utilisés pour installer les nouvelles technologies de
l’époque dans les usines de Saint-Gobain : le procédé de Fourcault ou bien celui de LibbeyOwens. Ainsi, neuf fours de type Fourcault entrèrent en exploitation en 1928 sur le site de
Porz près de Cologne.
En 1919-1920, Saint-Gobain ouvrit un bureau central pour l’Allemagne dont le siège se
trouva tout d’abord à Stolberg, puis fut transféré en 1924 à Aix-la-Chapelle, sur la
Viktoriaallee, où il se trouve encore aujourd’hui. Désormais, c’est ici que furent coordonnés
et contrôlés les intérêts de Saint-Gobain en Allemagne. Le bureau central était dirigé par Peter
Schrader, Directeur Général et Délégué Général, avec Adam Lambertz comme responsable
des finances.
Bureaux de Saint-Gobain sur la Viktoriaallee
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Saint-Gobain en Allemagne
Peter (Pierre) Schrader, Délégué Général et
Directeur Général pendant de longues années.
Adam Lambertz, chargé des finances
et de la gestion commerciale.
À l’origine, le bureau ne devait pas constituer une entité administrative supplémentaire dans
la structure de Saint-Gobain. Mais après l’expérience de la première guerre mondiale, durant
laquelle la comptabilité des activités allemandes était gérée par Paris et la réglementation des
devises en période de guerre avait empêché le bon fonctionnement des opérations, SaintGobain décida cette fois-ci de mettre en place un système efficace qui coordonnerait aussi
bien les établissements allemands que les participations de la société en Tchécoslovaquie, en
Roumanie, en Pologne et en Hongrie.
L’année 1936 constitua aussi une nouvelle étape importante pour l’organisation de la société.
Les usines de Stolberg, la Spiegelmanufaktur Waldhof AG, les Herzogenrather Glaswerke
Bicheroux & Co. GmbH et la verrerie Weber & Fortemps GmbH de Sindorf furent regroupées en une seule et même société. Ces sociétés jusqu’alors juridiquement autonomes furent
intégrées à la succursale allemande de Saint-Gobain sous le nom de « Vereinigte Glaswerke
Aachen. Zweigniederlassung der Aktiengesellschaft der Spiegelmanufakturen und chemischen Fabriken von St. Gobain, Chauny & Cirey ».1
1
Pour éviter tout malentendu, il faut noter qu'aujourd'hui le nom «Vereinigte Glaswerke Aachen », soit
l'abréviation VEGLA, se rapporte à une filiale créée en 1971 qui appartient à 100 % à Saint-Gobain. Il s'agit
d'une société à responsabilité limitée, créée dans le cadre d'une restructuration du Groupe par branches et
chargée aujourd'hui des activités vitrage de Saint-Gobain en Allemagne.
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Saint-Gobain en Allemagne
Avec le début de la crise économique mondiale en 1929, la négociation de conventions collectives devint plus tendue en Allemagne. Dans ce contexte, l’auteur souligne la position particulière de Saint-Gobain dans le pays. L’entreprise introduisit des mesures complémentaires
à la sécurité sociale obligatoire. En 1923 par exemple, en pleine inflation, elle fit pour ses salariés imprimer une monnaie propre à l'entreprise. En 1926, elle créa la « Pensionskassen-Aktien-Gesellschaft der Deutschen Saint-Gobain-Gruppe » (Caisse de retraite, S.A., du Groupe
Saint-Gobain en Allemagne).
La gestion de style patriarcal de l’entreprise s’enrichit d’un système d’assistance sociale au
bénéfice des salariés, ce qui entraîna un taux d'ancienneté inhabituellement élevé. On observe
un lien sur plusieurs générations d’une famille entre les salariés et l’entreprise. L’auteur y voit
le reflet de la culture franco-allemande de l’entreprise.
La politique sociale de l’entreprise favorable aux salariés, associée à un souci d'innovations et
à une stratégie de prospective, constitua la base du succès futur de Saint-Gobain :
Au milieu des années 30, la direction de l’entreprise choisit de se lancer dans la fibre de verre.
Cette décision stratégique se révéla décisive sur le long terme. Alors que, dans les années 30
et 40, la fibre de verre était utilisée principalement pour l’isolation des sous-marins, on la
trouve aujourd’hui dans tous les secteurs de l’industrie, qu’il s’agisse d’électronique, de
construction mécanique et automobile, d’aviation, du bâtiment ou de meubles. La production
démarra à Herzogenrath, dans la nouvelle division « F-Glas » (Fibre de verre) créée sur le site
actuel de Vetrotex.
Les fils de soie de verre sont enroulés sur de
grosses bobines et stockés avant
transformation.
Laine de verre à Bergisch Gladbach : les
femmes fabriquent un matelassé rembourré de
fibre de verre.
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Saint-Gobain en Allemagne
Les 50 % de participation dans la société « Glaswatte GmbH » de Bergisch Gladbach se révélèrent être également un succès économique. Dans les années qui suivirent, la laine de verre
remplaça de plus en plus les matériaux isolants traditionnels tels que le liège, l’amiante ou
bien le kieselgur??.
L’expansion de Saint-Gobain se poursuivit avec la création, en 1936, de Sekurit-Glaswerke
GmbH à Herzogenrath. Avec le boom automobile venu des États-Unis en Europe, la production de vitres automobiles en verre trempé ne cessa d’augmenter.
Prototype de Coccinelle décapotable, Volkswagen, 1938
III. L’Allemagne et la France en guerre (1939 à 1945)
L’éclatement de la deuxième guerre mondiale et l’occupation de la moitié nord de la France
en particulier entraînèrent des difficultés pour la direction du Groupe Saint-Gobain. La
communication entre les usines réparties en France dans diverses zones d’occupation, peu
coordonnées entre elles, ainsi qu’avec la succursale allemande était quasiment impossible.
Les salariés allemands se trouvaient déchirés entre l’idéologie nazie et leur loyauté vis-à-vis
de leur employeur de longue date.
Comme ce fut déjà le cas de la première guerre mondiale, Saint-Gobain Allemagne fut de
nouveau placé sous séquestre. Dès 1940-1941, Werner Kehl, Directeur Général de SaintGobain Allemagne, agissant en tant qu’administrateur judiciaire, parvint à défendre les
intérêts de la société face au ministère de l’économie du Reich. Cette mission était loin d’être
facile étant donné les tensions politiques croissantes et les structures du pouvoir changeantes
qui requéraient beaucoup de doigté. Kehl disposait des qualités nécessaires et s’était fixé
comme objectif prioritaire de protéger l’autonomie de Saint-Gobain face à l’autorité nazie.
Kehl se dévoua entièrement à cette tâche jusqu’à sa mort en 1943.
Après deux années de pseudo-autonomie, Alexander Pohlmann fut nommé administrateur judiciaire par le ministère de l’économie du Reich. Depuis 1943, Adam Lambertz exerçait les
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Saint-Gobain en Allemagne
fonctions de Directeur Général et son champ d’activité était limitée. Mais contrairement à la
première guerre mondiale, aucune entreprise de Saint-Gobain en Allemagne ne fut expropriée.
Comme toutes les entreprises de l’époque, Saint-Gobain Allemagne souffrit du manque de
main-d’œuvre causé par la guerre. On trouve toutefois peu de traces concernant l’emploi de
travailleurs forcés. Certes une grande partie des archives du bureau central d’Aix-la-Chapelle
fut détruite lors d’un raid aérien par les alliés en 1943, mais les documents qui demeurent
permettent à l’auteur de conclure que Saint-Gobain n’employait qu’un très petit nombre de
travailleurs forcés.
Pour faire face à l’absence de main-d’œuvre et maintenir la production, le Directeur Général,
Werner Kehl, encouragea la recherche active d’anciens salariés de Saint-Gobain parmi les prisonniers de guerre en captivité en Allemagne. À l’initiative d’Adam Lambertz, un prêtre français, l'abbé Maurice Rondeau, fut employé officiellement alors qu’il s’occupait en réalité des
prisonniers de guerre français dans les camps voisins.
L'ecclésiastique Maurice Rondeau fut démasqué
en 1944. Il fut arrêté et mourut tragiquement des
suites de son emprisonnement quelques jours
avant la fin de la guerre.
Courrier du siège parisien de
Saint-Gobain à Aix-la-Chapelle
concernant la priorité des tâches
à la fin de la guerre. Cette lettre
fut passée clandestinement,
cachée dans la chaussure de
M. Lamesch.
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Saint-Gobain en Allemagne
IV. Tradition et innovation depuis 1945: l’évolution vers les temps présents
Après la fin de la guerre, la reconstruction des installations de production passa au premier
plan des activités de l’entreprise. Avec succès, car Saint-Gobain fut l’une des premières entreprises à reprendre la production du verre après la deuxième guerre mondiale.
Dans les années 50 et 60, deux phénomènes influencèrent essentiellement l’évolution de
Saint-Gobain : le développement vertigineux de l’industrie automobile qui entraîna une poussée considérable de la demande en vitres pour automobiles et l'utilisation de plus en plus
fréquente du verre dans l’architecture moderne européenne. Afin de répondre aux exigences
du marché, l’entreprise poursuivit le développement technologique des activités vitrage de
Saint-Gobain Allemagne en s'orientant aux besoins du marché allemand.
Une conséquence directe de la mise en application résolue de cette stratégie fut aussi le
développement du procédé TEL par les chercheurs de Saint-Gobain en France. Celui-ci
permit d’améliorer considérablement la qualité et la productivité de la fabrication de laine de
verre. Le procédé TEL fut appliqué pour la première fois en 1960 à Bergisch Gladbach. De
même, pour la production de verre plat, la mise en service de la première installation
allemande de verre flotté à Porz en 1966 constitua une nouvelle innovation. Grâce à ces
nouveaux procédés de production, le processus de fabrication et surtout la production en
grande série purent être optimisés.
Inauguration de l'installation de la ligne
float à Herzogenrath en 1971
(de gauche à droite : Jean-Marc Parrot,
Franz Claßen, Petrus Neeteson, Délégué
Général et Directeur Général, sa fille
Arine, Aaltje Neeteson et Mario Roth)
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Saint-Gobain en Allemagne
La fusion de Saint-Gobain et de Pont-à-Mousson en 1970 apporta un changement historique
radical suivi également de restructurations importantes dans la succursale allemande. D’une
part, la gamme de produits s’agrandit avec les tuyaux en fonte pour l'adduction d’eau, d’autre
part, la fusion obligea le Groupe et sa succursale à adopter de plus en plus une approche
internationale. En outre, le Groupe dut être réorganisé par branches en raison de son
agrandissement. La nouvelle structure fut mise en place avec succès par Saint-Gobain.
Dans les années 70 et 80, les décisions stratégiques majeures de l’entreprise dépendirent
largement de facteurs extérieurs. La crise du pétrole de 1973 et l’augmentation du prix des
combustibles qui en résulta imposèrent des innovations technologiques en matière d’isolation
thermique et d’économie d’énergie.
Les entreprises agissent toujours dans un cadre juridique déterminé. Des événements ou des
décisions politiques peuvent avoir un impact considérable. C’est ainsi que l’élection de
François Mitterrand en France en 1981 joua un rôle décisif dans l’histoire de l’entreprise
Saint-Gobain. Sous le gouvernement d'union de la gauche, des groupes tels que Saint-Gobain
furent nationalisés.
Ce n’est qu’avec la victoire des partis de droite lors des élections parlementaires de 1986 que
la reprivatisation eut lieu. Selon Jean-Louis Beffa, Président du Groupe Saint-Gobain, l’année
1986 constitua un "nouveau départ". La nouvelle stratégie annoncée par Beffa convainquit
plus d’1,5 millions d’Européens d'acheter des actions Saint-Gobain. Beffa organisa le
développement futur du Groupe autour de quatre axes.
Comme par le passé, le développement des métiers traditionnels de Saint-Gobain, notamment
par le biais des innovations technologiques, demeurait une priorité stratégique. Mais
l’expansion vers de nouvelles branches fut désormais également partie des objectifs. Il fallait
que l’Europe devienne un « marché régional pour Saint-Gobain » et que le Groupe se développe sur les autres marchés de croissance extra-européens.
À la fin des années 80, Saint-Gobain offrait une gamme de produits élargie mais concentrée
néanmoins sur ses activités essentielles. L’engagement de Saint-Gobain dans les matériaux
isolants, qui avait commencé dans les années 30 avec la reprise de Glaswatte GmbH à
Bergisch Gladbach, fut renforcée dès 1972 par l’acquisition de Grünzweig + Hartmann, entreprise de tradition, à la renommée acquise depuis la fin du XIXe siècle dans le domaine des
matériaux isolants.
Construction moderne entièrement
isolée par Grünzweig + Hartmann.
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Saint-Gobain en Allemagne
1990 fut l’année de l'acquisition du Groupe Norton et l'entrée réussie dans des activités de
proximité : les céramiques industrielles et les abrasifs. La même année, Saint-Gobain prit une
participation dans Oberland Glas AG à Bad Wurzach, entreprise détenant de solides positions
dans le verre d'emballage.
Dans les années 90, Saint-Gobain ajouta un nouveau domaine d’activités en s'engageant dans
les matériaux de construction et la distribution spécialisée dans le bâtiment. La même stratégie d’entreprise qui s’était avérée efficace jusqu’alors fut suivie et Saint-Gobain acquit des
entreprises leaders dans les branches concernées. Le lancement des activités dans la distribution-bâtiment eut lieu en 1996 avec l’achat de Poliet (Weber & Broutin, Point P, Lapeyre) et
se poursuivit en l’an 2000 avec la reprise de Raab Karcher. Pour Saint-Gobain Allemagne,
Raab Karcher était l’acquisition la plus lourde et la plus importante depuis la guerre, grâce à
laquelle la Compagnie devint le plus grand distributeur de matériaux de construction en
Allemagne.
À la suite de la chute du rideau de fer en 1989-91, Saint-Gobain renforça son engagement
dans les pays d’Europe centrale et de l’Est. L'extension en l’an 2000 de la Délégation Générale pour l'Allemagne à l'Europe centrale et orientale constitua l’achèvement de cette
expansion au niveau de l’organisation.
Selon l’auteur, la loyauté des salariés envers leur entreprise est l’une des constantes que l’on
retrouve aux différentes époques de l’histoire complexe de Saint-Gobain Allemagne. D’après
lui, cet attachement particulier des salariés à Saint-Gobain est dû aux vastes mesures sociales
et aux nombreuses offres de formation.
La collaboration entre Français et Allemands se heurta à des obstacles fréquents au cours de
l’histoire : la guerre de 1870-71 par exemple, ou bien les deux guerres mondiales. Une politique interne, axée sur l’entente entre les salariés, permit néanmoins de réussir cet exercice périlleux de sorte que les filiales françaises de Saint-Gobain en Allemagne devinrent une
« entreprise allemande d’origine française ».
Le pont de Pont-à-Mousson aux arches caractéristiques sert aujourd'hui de
modèle pour le logo utilisé par Saint-Gobain dans le monde entier et
auquel peuvent s'identifier tous les salariés.
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Saint-Gobain en Allemagne
Entretien avec l’auteur, le professeur Horst Möller, Dr. Dr. h.c.
Horst Möller, Prof. Dr. Dr. h. c.
Né en 1943 à Wroclaw, il étudie l’histoire, la philosophie, et la
langue, la littérature et la civilisation allemandes.
Il est professeur titulaire d’une chaire d’histoire moderne et
contemporaine à l’université de Munich et, depuis 1992,
directeur de l’Institut d’Histoire Contemporaine. Horst Möller
est docteur honoris causa de l’université de Bordeaux et décoré
de la croix fédérale du mérite de première classe. En 1996, il
reçoit le prix France-Allemagne et le prix Lémonon de l’Académie des Sciences morales et
politiques de Paris. Il a publié environ 200 articles et 10 ouvrages traitant de l’histoire
allemande, française et européenne du XVIIe à la fin du XXe siècle.
Professeur Möller, en quoi la rédaction de l’histoire de Saint-Gobain en Allemagne a-telle suscité votre intérêt ?
Selon moi, l’histoire de l’entreprise Saint-Gobain est particulièrement intéressante car il s’agit
d’une histoire franco-allemande qui, du milieu du XIXe à la fin du XXe siècle, couvre des
époques très différentes et constitue un microcosme social montrant les problèmes majeurs de
la politique, de la société, de l’économie et de la technologie comme au travers d’une loupe.
Par ailleurs, l’histoire "culturelle" du verre, dont il est particulièrement question au cours des
cent premières années de la société, est tout aussi intéressante au regard de l’histoire de
l’architecture et de l’art. Une telle diversité convient parfaitement à mon intérêt pour les
thèmes interdisciplinaires.
Quand avez-vous commencé vos travaux ?
En 1997 après quelques travaux préliminaires, et de manière plus intensive depuis 1998.
Quelles furent vos sources d’information ?
Saint-Gobain possède à Blois un centre d'archives extrêmement bien organisé qui fut créé par
Maurice Hamon. On y trouve non seulement tous les documents concernant la centrale mais
aussi de nombreuses sources d’information d’ordre général (courriers, bilans, rapports de
travail, écrits sur la stratégie, la technologie etc.) et sur les entreprises allemandes de Saint14
Saint-Gobain en Allemagne
Gobain. Ces archives sont gérées professionnellement et parfaitement aménagées. Le personnel sur place nous a beaucoup aidés dans nos travaux, de même que les sociétés allemandes, à
commencer par VEGLA à Aix-la-Chapelle, qui nous mirent gracieusement à disposition une
profusion de renseignements et d’informations inédits.
Quel était votre concept ?
J’ai tout d’abord suivi un plan chronologique en établissant les liens entre les événements politiques et l’histoire de l’entreprise. Dans cette chronologie, les évolutions à long terme ainsi
que les changements marquants de l’entreprise se trouvaient au premier plan. Il s’agit par
exemple des grandes transformations dues à l’évolution politique des rapports franco-allemands, des acquisitions principales élargissant la gamme de produits, du développement économique de l’entreprise et de son niveau de rentabilité, des innovations technologiques, de
l’engagement socio-politique et des mesures sociales, à commencer par les logements
ouvriers au XIXe siècle.
Vous avez écrit cet ouvrage en collaboration avec votre épouse. Quel rôle a-t-elle joué ?
Nous avons réalisé certain travaux seuls, d’autres en commun. C’est ainsi que nous avons rassemblé, étudié et évalué les sources d’information ensemble. J’ai rédigé l’ouvrage bien entendu seul et ma femme s’est occupée des aspects techniques, de la mise en page, du choix
des photos et de la majeure partie des légendes. À cela s’ajoutent d’autres activités communes, comme par exemple la correction des nombreuses épreuves. La rédaction d’un ouvrage scientifique comporte de nombreuses étapes, inconnues du lecteur et dont l’auteur doit
le décharger. Naturellement, un livre profite des discussions permanentes de l’auteur avec un
interlocuteur connaissant aussi bien le sujet.
Pouvez-vous résumer en quelques mots l’histoire de Saint-Gobain ?
Cela est difficile en quelques mots, car il faut éveiller l’intérêt et inciter le lecteur à lire
l’ouvrage. Je peux néanmoins vous citer quelques éléments clés : très tôt, le Groupe SaintGobain a réagi à la production insuffisante de verre sur le marché allemand, de même qu’à la
création de l’union monétaire (l’union douanière allemande). A noter aussi le développement
technologique optimal des entreprises, les innovations permanentes profitant à l'approche du
marché et à la stratégie de l’entreprise, la mise en place des réseaux de vente et de distribution. Et le Groupe exerça très tôt ses activités au-delà des frontières comme multinationale. La
gamme de produits fut élargie de manière réfléchie, tout d’abord dans un domaine limité, puis
sur des segments de marché avoisinants. Le Groupe fut pionnier en matière de sécurité sociale
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Saint-Gobain en Allemagne
pour ses salariés, mais aussi en termes de mondialisation. Il a investi en Allemagne à une
époque où le pays constituait un site d’implantation économique peu sûr. Depuis 1990, il s’est
développé dans les nouveaux Länder ainsi qu’en Europe centrale et orientale. Il a à la fois
conservé ses traditions, phénomène fascinant pour un historien, et s’est préparé à l’avenir, ce
qui impressionne l’économiste.
Quelles furent les événements les plus marquants au cours des 150 années de SaintGobain en Allemagne ?
Tout cela dépend du domaine considéré : si l’on considère l’histoire politique, on est
extrêmement frappé par la manière dont l’entreprise a surmonté toutes les crises extérieures et
les guerres touchant la France et l’Allemagne. En ce qui concerne l’histoire de l’entreprise au
sens plus restreint, il faut souligner la création de sociétés et le rachat d’entreprises,
notamment l’expansion colossale dans la distribution des matériaux de construction avec
Point P, Meyer International et surtout Raab Karcher. Du point de vue technologique, il
convient de rappeler l'amélioration constante des procédés de production du verre ou de la
laine de verre, au niveau des produits p.ex. le développement et le perfectionnement constant
du verre feuilleté Sekurit pour automobiles.
Quel fut l’impact des deux guerres mondiales sur le Groupe ?
Les deux guerres mondiales eurent un impact fortement négatif à cause des facteurs multiples:
le placement sous administration judiciaire et la vente forcée d’entreprises par celle-ci, la
réduction ou l'arrêt de la production. Le paradoxe était que ces mesures de rétorsion furent
plus nombreuses lors de la première guerre mondiale que lors de la seconde : en effet, bien
que le régime national-socialiste, pour des raisons idéologiques, appliquait la politique de
vente forcée au profit d’acheteurs allemands, la direction française de la société à Paris
parvint, avec le soutien des cadres allemands, à bloquer régulièrement les manœuvres du
ministère de l’économie du Reich et, ainsi, à protéger l’intégrité de la succursale allemande.
Bien entendu, il y eut, après un début de période encore profitable, une chute massive des
résultats vers la fin de la guerre et une extrême réduction du personnel en raison de la pénurie
de main-d’œuvre, des chutes de production, des reculs de bénéfices et des destructions dues à
la guerre.
Mais, comme après la première guerre mondiale, le Groupe connut ensuite une ascension
extrêmement rapide. Il était « indestructible » et prit encore plus d’extension après ces
catastrophes.
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Saint-Gobain en Allemagne
Quelles personnalités marquèrent l’histoire de Saint-Gobain plus particulièrement ?
Il est manifeste que, même en période conflictuelle grave, Saint-Gobain bénéficia de la
loyauté de ses salariés, en particulier de ses dirigeants. « Papa » Julius Meyer, Hector Biver et
Carl Arbenz en furent des exemples au XIXe siècle, Peter Schrader dans l’entre-deux-guerres,
Werner Kehl et Adam Lambertz pendant la deuxième guerre mondiale et la période qui suivit,
et enfin Jean-Louis Schrader et Petrus A. Neeteson qui gérèrent l’évolution vigoureuse de
Saint-Gobain sous le régime de la République fédérale d’Allemagne. L’extrême modernisation qui eut lieu au cours des dix dernières années fut toutefois l’œuvre de Jean Barbey, de
Hans Gehle et surtout de Marc Van Ossel.
Dans votre livre, le verre joue un rôle essentiel. Pourriez-vous résumer l’histoire du
verre au cours des cent dernières années ?
D’un produit de luxe accessible à de rares personnes, le verre est devenu un bien de consommation pour tous. Il est devenu indispensable aujourd’hui, qu’il s’agisse de vitrage automobile
ou de verre pour l'architecture moderne. Ce produit artisanal, artistique et de manufacture individuelle est devenu un produit fabriqué en série. Mais c’est plus qu’un simple matériau de
construction. Du miroir aux réalisations architecturales, de la voiture au mobilier, de la bouteille au verre de vin, il possède son esthétique propre et symbolise la transparence du monde
moderne.
Quels livres avez-vous déjà écrits ?
Jusqu’à présent, outre 200 études et articles, j’ai écrit dix ouvrages sur l’histoire allemande,
française et européenne du XVIIe à la fin du XXe siècle. Outre des analyses générales du
XVIIIe siècle, de la République de Weimar et de l’Europe au cours de l’entre-deux-guerres,
j’ai rédigé des études thématiques sur l'histoire de la politique, des partis politiques et de la
constitution, l’histoire sociale et économique, l’histoire des idées et de la civilisation. Aujourd’hui, je me concentre sur le XXe siècle, c’est-à-dire sur l’histoire contemporaine, en particulier celle de la France et de l’Allemagne depuis la première guerre mondiale.
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