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OSVALDO ROMBERG
From Paradise to Paradise
(un hypertexte sur l’amour)
GALERIE LINA DAVIDOV, Paris
24 novembre 2005 – 7 janvier 2006
Christine Frérot
Située boulevard Saint-Germain, à quelques mètres de la Galerie Denise René Rive
Gauche (qui présentait au même moment Cildo Meireles), la Galerie Lina Davidov a une politique
d’exposition qu’il convient de souligner. Le choix de l’artiste, guidé par une vraie passion, semble
répondre avant tout à des critères de qualité et à un esprit d’éclectisme -au sens positif du termequi est plutôt vivifiant dans une période d’homogénéisation esthétique où la création artistique
se veut immédiatement compréhensible. La galerie peut ainsi cultiver (même si cela représente
un risque financier) une liberté salutaire pour le public et le critique, sans être aliénée par les
contraintes du marché ni esclave d’un conformisme formel auquel nombre de ses confrères sont les
débiteurs permanents. De Severo Sarduy (exposition de dessins, 1993 et 1999) à Jorge Damonte
(photographies aquarellées, 2002), d’Anabell Guerrero (photographies, 2005), à Carlos Ginzburg
(peinture/collage, 2005 et 2006) et Osvaldo Romberg aujourd’hui, l’art des artistes originaires de
l’Amérique latine occupe un espace non négligeable dans la programmation de la galerie.
La Galerie Lina Davidov est un lieu de taille modeste où l’exposition, articulée conceptuellement
autour de la vidéo (qui a donné son nom à l’exposition), était constituée de quatorze photographies
tirées de la vidéo, retravaillées par l’artiste dans un esprit dadaïste avec découpage, insertion de
collage, scotch, et dessin. C’est à l’occasion de l’exposition de Paris que j’ai fait la connaissance
d’Osvaldo Romberg qui était aussi en France pour l’inauguration de son exposition personnelle
d’aquarelles au Musée d’Art moderne de Saint-Etienne. Au cours de ces deux heures passées avec
l’artiste argentin, j’ai du appréhender des années de création et comprendre, sinon saisir au plus
près leur fil conducteur. Pour rappeler la riche diversité du travail de cet artiste et intellectuel prolixe
et talentueux (né en Argentine en 1937 et résidant aux Etats-Unis et au Brésil), je dirai seulement que
de la peinture, de l’aquarelle et du collage au cinéma, de la vidéo à la photographie, de la critique
d’art au commissariat d’exposition, Romberg n’a jamais cessé de construire des questionnements
liés à l’art, à son histoire et à l’espace et a su garder une ligne de recherche cohérente autant
conceptuelle qu’esthétique qui a à voir avec une philosophie personnelle d’être artiste au monde.
S’il se revendique comme « un artiste libre », s’il confirme « qu’il voit l’artiste comme un scientifique
qui se consacre à penser », c’est pour mieux conjuguer le savoir et le plaisir et « sensualiser »,
comme il l’explique, « les problème sociaux ». Les préoccupations essentielles de Romberg sont
énoncées clairement, et elles concernent autant l’art que la vie qui y sont entremêlés.
La vidéo (42 minutes) constituée de trois parties a été réalisée en 2000 (pour le Festival de
Salzbourg), complétée en 2001, et présentée comme on la voit aujourd’hui en octobre 2002 pour
l’ouverture de la Slought Foundation à Philadelphie* . Le son y a une grande importance, surtout
dans la première partie intitulée « Besame mucho ». Cette épopée sur l’amour et son utopie
met en scène des sortes de petits personnages-robots transparents en acrylique, « muñecos »
manipulés par des fils, eux aussi transparents qui rappellent les figures du « Ballet triadique »
d’Oscar Schlemmer (1923) ou celles du « Ballet mécanique » de Fernand Léger (1924). Leurs
vagabondages programmés narrent les atermoiements amoureux de deux personnages fictifs,
Carlos et Isadora, clin d’oeil possible aux deux héros de bidonvilles mis en scène par Antonio
(*)Dont il est l’un des curateurs avec Aaron Lévy et Jean-Michel Baraté.
Berni quelques décennies auparavant, Ramona et Juanito Laguna.
Dans ce » bal » d’amour-passion où la relation se tisse puis se défait entre l’homme et la femme
au rythme des musiques et des images, les mouvements des « muñecos » sont accompagnés de
chansons emblématiques espagnoles, brésiliennes, argentines ou françaises, les saynètes étant
entrecoupées de « cartons » écrits introduisant la scène suivante comme dans le cinéma muet.
La Vénus de Botticelli se construit et se déconstruit avec la voix d’Edith Piaf (« Non, je ne regrette
rien»), alors que le héros désemparé (Carlos) pense à la mort face au Caravage. Dans la deuxième
partie intitulée « Rondo caprichoso », les portraits du Fayoum (Egypte) défilent et alternent avec
le mysticisme juif de la Kabbale, des images du David de Michel-Ange et de la Vénus de Botticelli.
Des références emblématiques, des associations provocatrices qui inspirent autant la réflexion que
l’émotion. Osvaldo Romberg nous dit qu’il « se sent comme un ingénieur d’émotions et que ce qui
est important pour un artiste ce n’est pas ce qu’il sent mais ce qu’il fait sentir aux autres». Dans
la troisième partie intitulée « Es brent » (en yiddish le village brûle), Romberg dit que la relation
physique n’existe plus. La sexualité qui est en jeu n’est plus que virtuelle. Sur une musique de
Wagner, il joue avec les images de l’art et des images conçues par ordinateur où les muñecoshommes font l’amour avec des muñecos-femmes ou avec des hommes empruntés aux oeuvres
picturales choisies.
Un peu à part dans l’exposition, mais assez énigmatique, un poisson rouge, une espèce tropicale
qui ne tolère aucun autre pensionnaire aquatique, fluctue dans un bocal transparent. Métaphore
de la solitude inéluctable de l’homme (ou de la femme), métaphore de l’amour impossible qui
finalement imprègne toute l’exposition ?...... La nostalgie semble être, aussi, ailleurs. Ne serait-elle
pas celle de l’Argentine où il est un artiste (presque ou trop) méconnu ?