Article sur la leishmaniose canine en France
Transcription
Article sur la leishmaniose canine en France
Dossier Santé & Prévention La leishmaniose canine en France Par Maud PARIS La leishmaniose est une maladie vectorielle dûe à un parasite protozoaire (Leishmania Infantum), transmis à son hôte par de petits insectes diptères du genre phlebotomus. La leishmaniose canine, qui est diagnostiquée en France sur 40 000 chiens chaque année, est d’importance préoccupante et croissante. En effet cette maladie grave est fréquemment mortelle chez le chien, son diagnostic est difficile, son traitement délicat et aléatoire, sa prévention exigeante. Et surtout il s’agit d’une zoonose en raison de sa transmissibilité à l’homme. Si un certain nombre de mammifères peuvent être infectés (dont l’homme), seul le chien (et peut-être les canidés sauvages) constitue un réservoir démontré de parasites. Répartition géographique Les changements climatiques et l’augmentation des déplacements des animaux de compagnie influencent l’épidémiologie actuelle de cette maladie vectorielle en France, du fait de l’importation d’animaux infectés et de la propagation des vecteurs et des agents pathogènes vers des zones jusque là indemnes. En France les phlébotomes vecteurs des leishmanies sont largement répandus en région méditerranéenne et peuvent être retrouvés jusqu’au nord de la France. Ainsi, la maladie qui est endémique sur le pourtour méditerranéen (notamment dans 14 départements français 04-06-07-11-12-13-20-26-30-34-48-66-83-84), se propage vers le nord par la vallée du Rhône et vers l’ouest (voir cartes). Par ailleurs des cas importés sont régulièrement décrits dans des zones supposées indemnes. Une cartographie précise des cas recensés suite à une étude dans les cabinets vétérinaires est disponible sur le site internet de Virbac : http://www.virbac.fr/home/chiens/leishmaniose.html Transmission du parasite Les leishmanies sont transmises à leurs hôtes vertébrés (chien ou homme…) par les phlébotomes femelles, lors du repas de sang sur ces hôtes : piqûre d’un hôte infecté avec contamination du phlébotome, multiplication et transformation du parasite à l’intérieur du phlébotome pendant une quinzaine de jours, puis piqûre d’un hôte sain à qui le parasite infestant est transmis. L’activité de l’insecte vecteur est maximale à la tombée du jour et à des températures minimales de 18 - 22 °C. Aucun autre arthropode n’est impliqué dans la transmission naturelle de Leishmania infantum, même si l’implication des tiques et des puces est suspectée, mais non prouvée. Il n’y a pas de contagion directe du chien infecté à un autre chien ou à l’Homme. Cependant, la transmission verticale du SLAG Mai 2015 Page 43 parasite de la chienne aux chiots, ainsi que par transfusion sanguine et par accouplement (transmission par le mâle à la femelle) est démontrée ; la transmission par morsure est suspectée mais non prouvée. Le risque principal de transmission en zone d’enzootie est en relation avec l’exposition aux piqûres de phlébotomes et l’abondance des réservoirs (notamment les chiens vivant à l’extérieur, les chiens errants, les chiens adoptés provenant de refuges situés en zone d’enzootie, les chiens de chasse et sans doute les carnivores sauvages). Expression de la maladie Il s’agit d’une maladie chronique évoluant sur plusieurs mois, difficile à diagnostiquer et à traiter et de pronostic parfois réservé. De nombreux chiens infectés sont asymptomatiques, et constituent le réservoir du parasite. L’incubation est généralement longue (plusieurs mois, voire plusieurs années), et les facteurs qui conduisent à l’expression clinique de la leishmaniose demeurent méconnus. Après une multiplication au niveau du site d’inoculation, le parasite est disséminé dans tout le corps. L’expression clinique de la leishmaniose canine est extrêmement variable ce qui rend son diagnostic difficile ; parfois un seul symptôme est présent : - état général dégradé : abattement, amaigrissement, anorexie ; - signes cutanés : alopécie, squamosis, ulcères ; - poly-adénomégalie (noeuds lymphatiques profonds et superficiels), splénomégalie ; - modifications sanguines : anémie, lymphopénie, thrombopénie, hyperprotéinémie ; - dysfonctionnement rénal : urémie et créatininémie, protéinurie. C’est souvent l’insuffisance rénale qui la cause de la mort de l’animal ; - congestion et ulcères muqueux, épistaxis ; - uvéite bilatérale ; - atteinte des griffes : croissance anormale (onychogryphose) ; - atteinte de la truffe (décoloration, ulcère) ; - atteinte articulaire et osseuse (arthrites, ostéolyse), boiteries ; - colite hémorragique ; - manifestations nerveuses épileptiformes ; - pyodermite ou dermatose nodulaire (nodules riches en parasites). Diagnostic L’objectif du diagnostic est de pouvoir entreprendre un traitement précoce et d’éviter la transmission du parasite aux autres chiens et à l’Homme. Dans un contexte épidémiologique et clinique évocateur, l’hypothèse de leishmaniose peut être confirmée par divers examens complémentaires constituant un faisceau de preuves : - des examens biologiques non spécifiques : numération et formule sanguines, électrophorèse des protéines sériques , exploration de la fonction rénale ; en outre, ces analyses sont utiles pour préciser le pronostic et assurer le suivi de l’animal après le traitement ; - des examens directs révélant la présence du parasite, c’est le seul diagnostic de certitude : * ponction de ganglions ou de tissus et observation du parasite au microscope après coloration * PCR (polymerase chain reaction), à partir de ponction de ganglions ou de tissus pour révéler la présence d’ADN parasitaire dans le prélèvement analysé, ce qui n’est pas synonyme de parasites vivants en multiplication. Le sang peut être à l’origine de faux négatifs car il y a peu de leishmanies dans le sang chez le chien. - des examens sérologiques révélant la présence d’anticorps : * immunofluorescence indirecte quantitative, utile pour le suivi de l’animal, en particulier pour le dépistage de rechutes (augmentation d’au moins deux titres en anticorps) ; * ELISA (hautes sensibilité et spécificité) * tests rapides à réaliser en quelques minutes chez le vétérinaire (sensibilité parfois insuffisante : un « résultat négatif » ne doit pas exclure l’hypothèse). SLAG Mai 2015 Page 44 Un résultat sérologique positif ne fait que révéler la réponse immunitaire à une inoculation de parasites mais n’est pas synonyme de maladie. C’est l’association d’arguments épidémiologiques, cliniques et parasitologiques qui permet d’établir un diagnostic de certitude et une base pronostique. Pronostic Le pronostic est toujours réservé et dépend du stade de la maladie. Avant la mise en place d’un traitement spécifique, les propriétaires de chiens doivent être informés par le vétérinaire du pronostic réservé, du coût, de la fréquence des rechutes et du fait que les chiens restent infectés en dépit du traitement et ce, même si une amélioration clinique est obtenue. En outre, le caractère zoonotique (transmissible à l’Homme) de la leishmaniose doit être expliqué au propriétaire, pouvant ainsi conduire celui-ci à décider de l’euthanasie de son animal (par exemple en présence au sein du foyer d’un individu immunodéprimé). Traitement Le traitement de consensus de la leishmaniose canine est l’association de l’antimoniate de méglumine à la dose de 100 mg/kg/j par voie intramusculaire ou sous cutanée pendant 4 semaines, et de l’allopurinol à la dose de 20-50 mg/kg/j par voie orale à vie pour diminuer les risques de rechute. Une intolérance à l’antimoniate de méglumine est parfois observée, conséquence d’une insuffisance rénale. Si le moindre effet secondaire (vomissement, apathie…) apparaît, la correction de l’insuffisance rénale doit être instaurée dès que possible. Les rechutes sont fréquentes. Le traitement n’élimine pas le parasite. En Espagne et en Italie, la miltéfosine a été testée pour le traitement de chiens naturellement infectés par Leishmania infantum, montrant une efficacité comparable à celle de l’antimoniate de méglumine. Mais se pose la question éthique de l’utilisation de cette molécule prescrite chez l’Homme : son utilisation chez l’animal risque de favoriser l’émergence de souches résistantes susceptibles d’être transmises ensuite à l’Homme. C’est la raison pour laquelle son utilisation est interdite pour le traitement des chiens en France. C’est également le cas pour l’amphotéricine B, qui est à la base du traitement leishmanicide chez l’Homme. Prévention La prévention des piqûres de phlébotomes par l’application d’insectifuges/insecticides sur les chiens, sous forme de colliers, de sprays ou de spot-on est une stratégie efficace. L’objectif est d’interrompre la transmission des leishmanies et ainsi de prévenir l’infection des chiens. La saison à risque démarre en général en avril et se termine fin novembre avec un pic en juillet-août. De nombreuses études ont permis de prouver l’efficacité des pyréthrinoïdes vis-àvis des phlébotomes. Les colliers imprégnés de deltaméthrine (par exemple Scalibor ND) possèdent une action répulsive contre les phlébotomes à partir d’une semaine après la pose, et durant environ 5 mois. L’application de spot-on à base de perméthrine (par exemple Advantix ND), permet une protection contre les piqûres de phlébotomes à partir de 24 heures suivant l’application et SLAG Mai 2015 Page 45 pour une durée de 2 à 3 semaines. Aucune résistance des phlébotomes aux pyréthrinoïdes n’a été rapportée jusqu’ici. Attention, les pyréthrinoïdes sont toxiques chez le chat. D’autres mesures de protection sont efficaces dans la réduction de la transmission de la maladie : notamment le fait de garder les chiens à l’intérieur pendant la nuit pendant la saison à risque (en particulier à la tombée du jour et à l’aube, périodes d’activité plus importantes du phlébotome), l’utilisation de sprays insecticides dans les bâtiments, la mise en place de moustiquaires (mailles de 0,3-0,4 mm²) sur les portes et fenêtres des habitations, ou l’utilisation de moustiquaires imprégnées de pyréthrinoïdes autour des zones de couchage. Toutes ces mesures permettent une diminution significative des populations de phlébotomes pouvant contaminer les chiens. Les chiens infectés doivent également être protégés afin de diminuer la transmission du parasite. Il existe également depuis 2012 en France un vaccin contre la leishmaniose (Canileish ND), qui permet de diviser par 4 le risque d’infection. Le vaccin n’est cependant pas efficace à 100% et nécessite donc des mesures de prévention complémentaires. Son coût est important notamment la première année (le protocole vaccinal nécessitant un test de dépistage et une primovaccination en 3 injections). Les effets secondaires locaux ou généraux peuvent être importants chez certains chiens. Santé publique La leishmaniose viscérale humaine est une zoonose majeure dans le sud de l’Europe. L’issue de la leishmaniose humaine est très souvent fatale en l’absence de traitement, en particulier chez les enfants et les patients immunodéprimés. À l’inverse, la plupart des personnes immunocompétentes infectées ne développent pas la maladie et acquièrent une protection immunologique efficace. En France métropolitaine, on dénombre chaque année une trentaine de cas de leishmaniose humaine dûe à Leishmania infantum. Conclusion La leishmaniose canine est une maladie grave à de nombreux égards qui prend de l’importance en France. La responsabilité des vétérinaires praticiens et des propriétaires de chiens réside dans la gestion des animaux infectés et la réduction de la transmission du parasite par la protection des chiens, la population canine étant le réservoir de parasites potentiellement transmis à l’Homme. Pour éviter une extension des zones d’enzootie, les chiens infectés par Leishmania infantum ne doivent pas être déplacés vers les zones indemnes. A ce sujet on ne peut que regretter l’attitude parfois irresponsable de certaines associations de protection animale présentant la leishmaniose comme une maladie anodine et facile à traiter en se gardant bien d’évoquer sa transmissibilité à l’Homme, et proposant le placement de chiens espagnols infectés dans des départements français indemnes. Maud Paris – mars 2015 Sources : Traitement et prévention des parasitoses des carnivores domestiques ; recommandations d’un groupe d’experts européens – ESCCAP (european scientific counsel companion animal parasite) – Guide de bonnes pratiques volume 4 - novembre 2011 Thèse pour le diplôme d’Etat de docteur vétérinaire présentée et soutenue publiquement le 29 octobre 2014 devant la faculté de médecine de Nantes par Emma Monge : Epidémiologie de la leishmaniose canine en France et ses particularités : bilan de l’enquête nationale 2010 SLAG Mai 2015 Page 46 Quelques questions à Maud Paris… MG : Bonjour Maud, vous êtes biologiste et juriste, et vous travaillez dans le domaine de la qualité et de la sécurité alimentaire. Propriétaires de deux galgos espagnols, Evita à la Cour du Roi Boulou et Escada del Ninos Vencedores, et d’une whippet, vous êtes particulièrement sensible à tout ce qui relève de la prévention sur le plan de la santé. Je vous remercie d’avoir accepté de rédiger pour nous cet exposé très complet, qui fait le point sur la leishmaniose, sa transmission, son traitement et sa prévention… La leishmaniose est donc une maladie inoculée par un petit insecte volant, le phlébotome, qui ne provoque pas lui-même la maladie, mais qui est l’intermédiaire qui transporte les agents pathogènes d’un sujet à un autre sujet. C’est également une zoonose… MP : On qualifie de « zoonose » toute maladie animale transmissible à l’Homme : par exemple, la rage que l’on attrape en étant mordu par un chien enragé, la brucellose qu'on attrape en côtoyant des brebis malades ou en mangeant du fromage au lait cru, ou l'influenza aviaire (grippe aviaire) dont certaines variantes mutées du virus sont transmissibles à l'Homme à partir des oiseaux. La fameuse "grippe espagnole" de 1918 qui a fait tant de morts serait d'origine aviaire. Lorsqu'elles sont graves pour l'Homme ces maladies font l'objet d'un plan d'intervention d'urgence et de police sanitaire mis en oeuvre par les Etats : si un foyer apparaît, tous les animaux ayant été en contact avec les animaux malades sont abattus pour enrayer la propagation de la maladie et empêcher sa transmission à des humains. MG : Quelle est l’apparence du phlébotome? MP : Il s’agit d’un petit insecte diptère (avec une paire d’ailes, comme le sont les mouches et les moustiques) mesurant 2 à 4mm et très velu. On utilise souvent le terme de « moustique » à son sujet, mais le phlébotome n’est pas un moustique même s’il lui ressemble. MG : Dans votre exposé, vous indiquez qu’il n’y a pas de contagion directe entre le chien infecté et un autre chien ou l’homme (par la salive, le contact direct…). Concrètement, comment se passe alors la transmission de la maladie? Si j’ai bien compris, il faut forcément qu’un phlébotome de type L. Infantum pique le chien déjà contaminé et pique ensuite un autre chien ou une personne. S’il n’y a pas le « bon » phlébotome, il n’y aurait donc pas de transmission ? MP : Oui, c'est ça. Le parasite a besoin d'un insecte intermédiaire pour passer d’un hôte à l'autre (de chien à chien ou du chien à l'Homme). Mais comme le chien infecté est un réservoir de parasites, ce chien infecté transmet des parasites aux phlébotomes quand il se fait piquer, et ensuite ces phlébotomes infectés transmettent la maladie en piquant un chien sain ou un Homme. Donc plus il y a de chiens infectés et plus il y a de phlébotomes dans l'entourage, plus le risque d'attraper la maladie est important pour le chien ou l'Homme. Théoriquement, s'il n'y a pas de phlébotomes, il n'y a pas de transmission de la maladie. Mais les parasites s'adaptent à beaucoup de choses, donc il n'est pas impossible qu'ils s'adaptent à d'autres arthropodes vecteurs comme les tiques et les puces, hypothèse suspectée mais non prouvée pour l'instant. SLAG Mai 2015 Page 47 C'est ce qui s'est passé avec la fièvre catharrale ovine, maladie exotique du mouton, dont le virus n'était adapté qu'à un seul type d’insecte (notamment Cullicoïdes imicola) qui n'était présent en Europe que dans les pays méditerranéens et en France continentale que dans le Var. Contre toute attente, la fièvre catharrale ovine est apparue en 2006 au nord de l’Europe (suite à une importation d’animaux infectés) et a ensuite balayé toute l'Europe Occidentale. Le seul département continental français où il n'y en a pas eu c'est... le Var!! Le virus s'est adapté très rapidement à de nouveaux vecteurs présents dans toute l'Europe, et a pris de court les biologistes qui ne l’attendaient certainement pas en Europe du Nord ! C'est aussi pour cela que le meilleur mode de prévention en zone infestée est la lutte contre les insectes vecteur avec les colliers et les pipettes, à mettre sur les chiens sains pour les protéger d'une contamination, mais aussi et surtout sur les chiens infectés pour éviter qu'ils transmettent le parasite (or les gens ont souvent le réflexe de protéger un animal sain, mais pas forcément un animal malade en pensant que ça ne sert plus à rien puisqu'il est déjà malade!). MG : Vous nous dites que le pronostic est réservé quant à l’évolution de la maladie …. MP : Pour le pronostic il y a en fait 4 stades selon la gravité des symptômes et le titrage sérologique. Si un chien n'a aucun signe d'atteinte générale mais juste des signes cutanés avec une sérologie faiblement positive par exemple, le pronostic sera bien meilleur que s'il est en insuffisance rénale aigüe. La gravité dépend du stade d'évolution de la maladie, au plus la maladie est détectée précocement avec des symptômes discrets, meilleur le pronostic est. En plus chaque chien réagit différemment au parasite et au traitement, donc il n'y a aucune règle générale. MG : Outre l’indispensable prévention, quels conseils peut-on donner aux propriétaires dont l’état de santé du chien se dégrade de façon inexpliquée, en particulier suite à un séjour dans le sud ? MP : Le conseil qu'on peut donner aux propriétaires, c'est bien sûr de bien protéger leurs chiens de la contamination en zone d'enzootie et s'ils partent en vacances dans ces zones. Mais également de penser à la leishmaniose sur un chien qui "bricole" : amaigrissement inexpliqué, plaie qui ne guérit pas... car plus le traitement est débuté tôt, plus le chien a de probabilité d'avoir une bonne qualité de vie pendant encore plusieurs années. Si on attend l'insuffisance rénale aiguë pour diagnostiquer la maladie, c'est trop tard. Les vétérinaires des zones indemnes ne sont pas habitués à la maladie et n'y pensent pas forcément. Il faut donc évoquer l'hypothèse avec eux si le chien a pu se contaminer lors d'un séjour dans une zone endémique, même ancien. MG : Merci Maud pour toutes ces précisions… Avec le retour des beaux jours, il est donc indispensable de redoubler de prudence et de protéger efficacement nos chiens. Répartition de la leishmaniose canine en 2010 SLAG Mai 2015 Page 48