Lire le coup de gueule de Pierre Lacarrère

Transcription

Lire le coup de gueule de Pierre Lacarrère
 
Lointains confrères, facebookers, lindkiners, proches confrères, relations, collègues et chers amis, vous trouverez désormais, dans cette rubrique mensuelle, le gagnant du prix du meilleur « mutileur de la semaine ». Cette photo
est prise à l’aide d’un téléphone portable à Mougins (06) à proximité du Royal
Golf de Mougins.
Le résultat visuel illustre la honte de notre métier, le désespoir du professionnel, l’ignorance de l’opérateur et une vision triste du monde. Comment et
pourquoi, le propriétaire et le prestataire, c’est à dire les deux acteurs de ce
projet à vocation nécrophilie, (déboîter un cèdre) partagent-ils une conception nihiliste du monde ?
Comment expliquer à notre entourage l’innocuité de cette action ?
Comment s’étonner que la laideur marquée par une insolente ignorance s’im-
1
pose dans nos cantons comme étant une solution normée ? Comment des
élagueurs « coupeurs de branches » bénéficient-ils d’un crédit de sérieux et
de professionnalisme douteux pour accomplir des travaux de cette nature ?
Que faut-il y voir du point de vue du propriétaire et du point de vue de l’élagueur ?
La position académique de notre métier est encadrée par deux piliers,
deux lignes de force qui se complètent et restent indissociables. Cette qualification est intitulée « CS taille et soins des arbres ». Le premier pilier est incarné par une formation qui révèle la connaissance du système vivant de l’arbre
tandis que le second axe de connaissance consiste à acquérir la maitrise des
techniques d’ascension et de déplacement dans les arbres dans le respect
d’une réglementation sécurisante.
A la lumière de ces bases pédagogiques qui représentent un socle inaliénable de connaissances pertinentes, on peut légitiment imaginer que le respect de l’ensemble de ces connaissances ont pour objectif de protéger l’opérateur, c’est à dire l’élagueur et son support d’accès qui est représenté par
l’arbre.
Or, que voit-on dans nos paysages urbains et ruraux dans toutes les régions de France depuis une dizaine d’années ? Des contingents d’élagueurs
débarquent avec une débauche de matériel sur des territoires privés et publics pour mutiler les arbres. La fin de l’été est marqué par les hurlements des
tronçonneuses et des broyeurs de branches dans nos collines des pré alpes
de Grasse, et dont l’écho se fait un plaisir de rendre un gargouillis sonore
agressif et continuel. A ce sujet, il est fréquent de constater une corrélation
singulière entre la « qualité arboricole » qui se traduit par une intervention
respectueuse de l’arbre qu’il convient d’opposer à l’impressionnante pré-
2
sence du matériel bruyant et destructeur. Peut-on en déduire qu’il existe une
relation inversement professionnelle dans les aspects qui relèvent de la
connaissance, de la subtilité, de la finesse, dans les actions de taille sélective
et directionnelle à d’autres types d’intervention ? Ma réponse est définitivement affirmative : les arbres sont victimes d’attitude qui marquent la signature
d’une insolente et permanente incompétence. S’il s’agit d’identifier l’ignorance et le caractère insécable des idées reçues pour justifier, expliquer et
comprendre les passages des « idiots inutiles » dans les arbres, je pense
qu’une autre explication est à envisager : le progrès technique et la technologie caparaçonnent le savoir et la connaissance . Le matériel, toujours plus innovant et performant exerce une fascination pour l’élagueur. Il représente la
justification suprême dans la nature de l’intervention d’élagage, de sorte qu’il
emprisonne et isole la réflexion et le jugement. On ne voit plus un système vivant organisé et structuré mais une masse foliaire qu’il convient de supprimer
intégralement portée par des axes puissants et solides qui encombrent l’espace. Le résultat devient un désastre et une désolation esthétique car je
pense que c’est la machine qui crée la fonction.
Une réflexion pertinente de Paul Virilio (philosophe et urbaniste) nous
concerne : le Titanic invente le naufrage traumatisant du "Titanic", le
Concorde fabrique l'accident mortel du "Concorde", la vitesse du train génère le déraillement du TGV, tout cela s'inscrit dans une perception d'un
temps désormais perçu comme un "temps accidentel marqué par le traumatisme". L'arrivée de la tronçonneuse marque durablement notre époque et invente donc la mutilation des arbres. L'approche "conséquentialiste" (Hans Jonas et Jacques Ellul, philosophes) démontre que l'outil est désormais porteur
d'une intention et demeure le responsable de cet engouement qui impose
3
l'incompétence et la laideur comme réalité normative. Les comportements
humains sont déterminés par un ensemble d'éléments qui les justifient : outillage, EPI, contrainte de la réglementation. "Si ça existe, je suis légitimé à
commettre des actes qui vont dans le sens de la fonctionnalité des objets qui
m'encouragent à le faire".
Cependant, lorsque l’incompétence est expliquée et comprise par les réseaux de professionnels compétents, comment expliquer un développement
continuel de la « vertu du désastre » qui marque durablement les arbres de
nos communes ? Comment expliquer la satisfaction béate et incompréhensible du possesseur de son arbre lorsque celui-ci est transformé en poteau
polymorphe ? Faut-il chercher une réponse dans la gestion « clientéliste et
ringarde » de nos élus ? Faut-il comprendre que les équipes communales affichent une ignorance définitive sur le monde du vivant ? Faut-il admettre que
le processus de destruction arboricole ne connaitra pas de répit tant que
l’arbre restera un objet de droit au lieu de devenir un sujet de droit ?
J’envisage de créer une application pour smartphone afin de géo-localiser ces actions mutilantes et pointer du doigt les incompétences qui nuisent à
notre image de marque, notre professionnalisme et dévalorisent nos compétences.
Les arbres vont continuer à subir de funestes et inutiles mutilations.
Les élagueurs dépressifs et les coupeurs de branches nihilistes nuisent à
l’équilibre de notre environnement. Ils agissent contre la nature et leurs interventions installent l’arbre dans une spirale du déclin. Ne les laissez pas faire.
Agissez avec cordialité, prenez des photos et transmettez nous les informations. Le « délit environnemental » sur les arbres n’est pas considéré comme
un préjudice grave pour le moment. Or, des lignes de force se mettent en
4
place en France pour donner à l’arbre un statut différencié. Les lignes
avancent, avancez avec nous : « l’arbre est un système vivant - il est notre protecteur »
Pierre Lacarrère - Adhérent SEQUOIA
5