jeu de role et analyse de pratique

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jeu de role et analyse de pratique
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JEU DE ROLE ET ANALYSE DE PRATIQUE
Jean-Loup Muller
[email protected]
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- cadre professionnel : entretiens d'embauche, négociations sur les
conditions de travail avec la hiérarchie, gestion de conflits avec des
collègues ou un patron, etc.
- cadre personnel : gestion d'une séparation, d'un projet, etc.
1. Origine et développement du jeu de rôle
"A Vienne, le 1er avril l921, dans un théâtre en rond, sans acteurs et sans pièce
écrite, Jacob-Levy MORENO (1889-1974) invite chacun des spectateurs à
monter sur scène spontanément, jouer les rôles du "Roman du Roi". Ce fut un
échec retentissant, mais qui ne l'empêchera pas de continuer à expérimenter dans
le domaine du théâtre…" (Anne Ancelin Schützenberger :
"Le jeu de rôle", p. 9 haut). Ainsi naissait la technique du jeu de rôle. Ajoutons
que ce sociologue et psychiatre viennois fut également le génial inventeur du
psychodrame et de la psychothérapie de groupe.
Après les premiers balbutiements des années 20, le jeu de rôle connut de
multiples applications et développements : entraînement à l'entretien
d'embauche, préparation d'examens oraux, gestion de projets, développement
personnel, etc. De manière générale, il est devenu un outil de la formation
continue des professionnels de la communication, qui s'est révélé utile pour la
gestion des conflits, l'affirmation de soi, la préparation à toute situation
relationnelle difficile.
Lorsque je me suis mis à mon compte, dès 1989, j'ai adapté cette technique à
mon nouveau champ de travail : psychothérapie, supervision, formation
d'adultes ou développement personnel.
Sur le plan méthodologique, je suis devenu de plus en plus attentif à mon propre
ressenti, pour choisir, parmi les outils que je possède, celui qui me conviendra le
mieux et sera le plus adéquat à la situation.
Par exemple, en individuel ou en animation de groupe, lorsque je ressens une
difficulté d'attention (mes carnets scolaires portaient souvent la remarque :
"élève distrait, dissipé, pas à son affaire…"), au lieu de m'efforcer de lutter pour
rester à l'écoute, je vais brancher cette écoute, pendant un instant, de manière
très égocentrique, sur ce que je ressens, qui ressemble parfois à de l'impatience,
de la lassitude, voire de l'ennui ! Ce faisant, je "débranche" évidemment du
contenu de ce qui se dit. Mais ça n'est pas grave, bien au contraire, car derrière
ma "distraction" se cache souvent mon besoin d'action, un besoin que quelque
chose bouge, peut-être de bouger moi-même. Mes observations des participants
à ce moment-là ou leurs feed-back montrent que souvent, d'autres avaient aussi
débranché et ressentaient le même besoin que moi, au même moment, ce qui,
naturellement apporte une sorte de légitimation à ma coupable inattention !
2. Mon expérience du jeu de rôle
Le jeu de rôle s'avère alors un moyen intéressant
C'est à la fin des années soixante que j'ai vécu pour la 1ère fois des jeux de rôles
en tant que participant à des séminaires de techniques d'entretien ou à d'autres
groupes de développement personnel. On plaisante parfois sur la fameuse phrase
"je me mets à votre place" lorsqu'on veut manifester notre empathie envers
quelqu'un : mais "si je me mets à sa place, où l'autre va-t-il se mettre ?? Le but
de ces entraînements était précisément de nous mettre réellement dans la peau de
l'autre, et réciproquement.
Comme psychologue en orientation scolaire et professionnelle, dès 1972, j'ai
utilisé occasionnellement le jeu de rôle en entretien individuel avec des
adolescents et des adultes dans des situations spécifiques telles que :
- cadre scolaire : préparation d'entretiens difficiles (enseignants,
camarades), d'examens oraux, d'exposés devant un groupe, etc.
- cadre familial :préparation de négociations avec les parents sur les
thèmes classiques: argent de poche, heures de rentrée, résultats scolaires,
sanctions, vacances, départ de la maison, etc.
1. de faire bouger le corps en changeant de place pour prendre le rôle d'un
autre;
2. de sortir ainsi de l'expression purement verbale gouvernée par l'intellect,
de quitter l'expression répétitive, de lâcher les attitudes défensives,
d'éviter les ascensions symétriques,…
3. d'introduire de la mobilité relationnelle en donnant du sens à ce qui se
passe, au-delà des mots, donc de s'approcher du but ainsi que des bonnes
pistes de réponses aux questions posées;
4. de substituer au "devoir d'attention" une activité ludique et créative.
Dans l'expression "écoute active", le mot "active" est souvent compris dans un
sens restreint, comme s'il ne s'appliquait qu'à l'activité mentale. Or, comme l'a
montré Jaques Dalcroze, le génial créateur de "la rythmique", la mobilisation du
corps facilite l'écoute engagée.
Le jeu de rôle engage à une écoute impliquée et vivante.
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3. Le jeu de rôle peut-il être un outil de l'APP ?
3.1. L 'animateur devient l'expert d'un outil
L'animateur d'analyse de pratique est un formateur au statut particulier :
facilitateur de synergies plutôt qu'expert en solutions, il se distingue en cela de
bien des superviseurs. Il anime des groupes de collègues et sa compétence est de
s'appuyer sur le groupe pour mobiliser les ressources disponibles, faciliter la
communication, réguler les relations, etc.
Il peut devenir bien sûr un expert des outils qu'il utilise s'il a l'occasion de les
entraîner souvent.
Le problème avec le jeu de rôle en APP c'est qu'il requiert de la part du meneur
de jeu une attitude très directive et une bonne connaissance de l'outil, ce qui
apparemment place l'animateur en position centrale alors qu'en principe, c'est le
groupe qui devrait occuper cette position !
Une objection à cette attitude hyper-prudente serait d'affirmer : pour acquérir
une compétence, il faut pratiquer. Celui ou celle qui se sent à l'aise avec cette
technique pourra en éviter les principaux écueils, sans nécessairement trahir
l'esprit de l'animation d'APP.
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l'APP. En revanche, si l'outil vous paraît approprié à la situation, vous
pouvez demander aux "résistants" s'ils seraient d'accord d'être
observateurs. Parfois les craintes s'apaisent en cours de jeu et un
observateur accepte de devenir acteur.
• La curiosité pour l'outil ainsi que l'expérience du jeu de rôle chez les
participants est naturellement une bonne indication pour entrer en matière.
• Une saturation de l'écoute, que vous ressentez et que vous observez chez
les participants pendant l'exposé de l'étape 2, peut faire l'objet d'un arrêt
sur image et éventuellement d'un recadrage vers une manière plus vivante
de poursuivre l'exposé. Le jeu de rôle est une de ces manières.
• Saisir la balle au bond : Ex.: une exposante, dans un groupe que j'animais,
se met d'emblée, en commençant sa présentation, à contrefaire la
participante qui lui posait problème, déclenchant ainsi une attention
soutenue et amusée de la part de tous ses collègues. Ce fut pour moi
l'occasion rêvée de lui proposer de poursuivre sa présentation en mettant
en scène les différents personnages, le scénario et un décor succinct.
Une brève négociation avec l'exposant peut s'avérer utile, mais attention à
ne pas couper l'énergie.
Sans vouloir trancher entre ces deux positions antagonistes, je soulignerai
seulement quelques précautions qui pourraient se révéler utiles aux futurs
"praticiens" intéressés à poursuivre l'exploration de cet outil. Ces
recommandations sont directement tirées de mon expérience vécue et de
discussions qui ont suivi. Fruit de mon expérience personnelle, elles n'ont
aucune valeur normative, même si j'emploie souvent le mode impératif. Elles
n'engagent que moi.
• Les étapes de l'APP propices au jeu de rôle : Le jeu de rôle ne s'applique
pas à toutes les étapes d'une analyse de situation. C'est surtout aux étapes
2 (présentation) et 4 (options et pistes d'actions) qu'il se révèle fécond. Il
arrive que l'exposant pose une demande qui ne porte pas sur une
recherche de pistes d'actions. Le jeu de rôle est alors sans objet pour cette
étape 4.
3.2.
• Les situations propices au jeu de rôle : L'intuition de l'animateur sera
déterminante, pour autant que celle-ci s'appuie également sur la prise en
compte des paramètres décrits ci-dessus.
Indications et contre-indications pour la mise en place d'un jeu de rôle
• Une atmosphère de confiance est une condition sine qua non à la mise en
place d'un jeu de rôle. L'annonce par l'animateur que l'on va organiser un
jeu de rôle peut provoquer des attitudes défensives. En effet, la
perspective que l'on va entrer dans le rôle de quelqu'un d'autre déclenche
parfois des appréhensions, car on s'avance vers l'inconnu et si cette
atmosphère de confiance fait défaut, on ne se sent guère protégé de la
critique. Par exemple, il est préférable d'éviter cette pratique avec des
participants n'ayant pas choisi librement la formation.
• Le jeu de rôle ne peut être imposé. Même si la confiance règne, il me
paraît dangereux (et inefficace) de "faire du forcing" face à un refus
déterminé, surtout si la résistance émane de l'exposant d'une situation.
Imposer un jeu de rôle me semble incompatible avec l'esprit même de
Exemples
Ex. 1 : Pour se prêter au jeu de rôle, une situation devra être
interactionnelle, c'est-à-dire mettre en jeu plusieurs acteurs.
Ex. 2 : En principe, pour une situation très complexe, avec une demande
floue ou mal explicitée, il vaudrait mieux passer du temps à expliciter la
demande que se précipiter dans un jeu de rôle, qui risque d'augmenter la
confusion plutôt que de la dissiper.
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4.
Proposition d'une marche à suivre
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ce qui implique de sa part une grande mobilité, laquelle sera constamment
encouragée et stimulée par l'animateur.
Lorsque les conditions optimales sont obtenues, on peut introduire le jeu de rôle
- soit à l'étape 2 seulement
- soit à l'étape 4 seulement
- soit aux étapes 2 et 4
4.1. Le jeu de rôle à l'étape 2 (présentation de la situation)
L'animateur est le meneur du jeu de rôle. Il oriente l'action de manière directive,
n'hésitant pas à couper, cadrer et structurer la parole, l'espace et le temps.
Phase 1 : présentation de la méthode
L'animateur présente la méthodologie qu'il va utiliser, (notons qu'une entrée
"sauvage" dans un jeu de rôle, sans avertissement, peut effaroucher des
participants et les mettre d'emblée sur la défensive).
Phase 2 : le décor
L'exposant est invité à mettre en place un décor simple, par ex. une salle de
réunion, une table et quelques chaises. Parfois, un objet important peut être
symbolisé par un autre objet disponible dans la salle de travail. Cette phase doit
se réaliser en peu de temps, elle est seulement fonctionnelle.
Phase 3 : le contexte
L'animateur invite l'exposant à situer en quelques mots le contexte (où, quand,
dans quelles circonstances ?).
Phase 4 : présentation des acteurs
Qui sont les acteurs ? Leurs prénoms, ou leurs noms, ou leur fonction dans le
système.
Phase 5 : L'exposant désigne des participants pour représenter les acteurs et
éventuellement des observateurs. Les acteurs ne participent pas verbalement à la
scène, car seul l'exposant a la parole.
L'animateur confie aux observateurs éventuels des tâches spécifiques telles que
- observer la gestuelle, les postures les mimiques de l'exposant
- observer les synergies (pendant que x fait ceci, l'assemblée remue
beaucoup…)
- noter des hypothèses sur des émotions éprouvées à partir de
comportements observés.
Phase 6 : L'exposant joue tous les rôles
L'exposant joue les rôles successifs des différentes personnes qui se sont
exprimées dans la réalité, dans l'ordre chronologique du déroulement des faits,
Phase 7 : L'exposant dit son ressenti, les observateurs relatent leurs observations
A la fin de la présentation, l'animateur remercie l'exposant et l'invite à exprimer
son ressenti, surtout si de fortes émotions ont été exprimées (colère, peur,
tristesse, joie). Puis les observateurs relatent leurs observations.
Phase 8 : Questions de clarification
Les participants peuvent poser des questions de clarification (comme dans le
déroulement habituel de l'APP).
Phase 9 : Retour méta sur la méthode
Avant de passer à l'étape 3 (analyse), un retour méta est sollicité sur la méthode.
4.2. Le jeu de rôle à l'étape 4 (pistes d'actions)
Les participants font des suggestions de pistes d'action, mais au lieu de le
formuler verbalement, ils les jouent. L'exposant est alors invité à quitter son
propre rôle pour entrer dans celui d'un des protagonistes. Chacun joue son idée.
Un grand nombre d'idées, donc d'acteurs est sollicité, de manière à offrir à
l'exposant une palette étendue de possibilités destinées à faciliter son choix et
son positionnement.
L'action se situant cette fois dans le futur, le décor sera imaginaire et les
scénarios supposés.
Selon les circonstances, l'exposant sera invité à reprendre son propre rôle et à
jouer ce qu'il envisage de faire.
L'inversion des rôles est une technique souvent pratiquée en jeu de rôle, car elle
permet à l'acteur principal de ressentir les effets de ses propres comportements
sur autrui.
A la fin de l'étape 4, un retour méta sur la méthode est proposé.
Conclusion
Le jeu de rôle, appliqué à l'APP comme à d'autres processus de formation,
présente la particularité de mobiliser des intelligences multiples : corporelle,
inter-personnelle, émotionnelle, visulo-spatiale, créative, intrapersonnelle,
hédoniste, en plus de l'intelligence verbale linguistique, logico-mathématique et
conceptuelle.