LA RECONNAISSANCE DES RÉALISATEURS : ESSENTIELLE À

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LA RECONNAISSANCE DES RÉALISATEURS : ESSENTIELLE À
 LA RECONNAISSANCE DES RÉALISATEURS : ESSENTIELLE À LA SANTÉ DU CINÉMA QUÉBÉCOIS Mémoire Présenté par l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ) REPRÉSENTANTS DE L’ARRQ François Côté, président Gabriel Pelletier, vice-­‐président Caroline Fortier, directrice générale 18 juillet 2013 L’ARRQ L'ARRQ est une association professionnelle de réalisateurs et réalisatrices pigistes œuvrant principalement en français dans les domaines du cinéma et de la télévision et qui compte plus de 650 membres. L'ARRQ s'emploie à la défense des intérêts et des droits professionnels, économiques, culturels, sociaux et moraux de tous les réalisateurs et réalisatrices du Québec. L'ARRQ se positionne sur la scène culturelle québécoise et canadienne en s’impliquant auprès des principales instances et défend le rôle des créateurs. Parmi les actions vouées à la défense des droits des réalisateurs et au respect de leurs conditions de création, l'association négocie des ententes collectives avec divers producteurs. Résumé La « crise du cinéma québécois », essentiellement liée à une chute circonstancielle du box-­‐
office en 2012, s’inscrit dans le contexte d’une baisse générale du box-­‐office mondial devant la concurrence de la télévision sur demande et de la diffusion du contenu par internet. De plus, au Québec, la concentration de la propriété des entreprises de distribution, la mainmise des intégrateurs sur les exploitants de salles et la situation précaire des petits distributeurs viennent rétrécir les fenêtres de distribution et de diffusion de nos œuvres cinématographiques. En opposition à cette « crise », notre cinéma rayonne plus que jamais à l’étranger. C’est dans ce contexte que l’ARRQ propose au groupe de travail une série de recommandations à l’égard des enjeux de développement, de production, de financement et de distribution. Ces recommandations reposent sur un ensemble d’énoncés qui font l’objet d’un consensus auprès de nos membres. L’ARRQ estime que les réalisateurs doivent occuper une place prépondérante et être des interlocuteurs reconnus des institutions de financement puisqu’ils sont au centre du succès des œuvres cinématographiques. La participation de l’ARRQ est fondamentale par sa vision de l’ensemble du métier de réalisateur. Miser uniquement sur des entreprises et tenter de prévoir la demande du marché est une erreur, il n’y a pas de recette pour le succès et généralement il est le fruit d’une démarche singulière de création. La qualité de la création — réalisation et scénario — et de ses créateurs est la meilleure garantie du succès d’un film. La meilleure garantie de survie et de développement de notre cinématographie réside dans sa variété et enfin, les œuvres culturelles plutôt que les entreprises culturelles doivent être au cœur des objectifs de la Sodec. Pour l’ARRQ, il est essentiel de tout mettre en œuvre dès maintenant pour que nos films profitent des meilleures conditions de création et de production; que l’argent public investi soit réellement perceptible à l’écran; que les acteurs privés qui profitent de la consommation cinématographique investissent dans notre cinéma et qu’il puisse réellement rejoindre le public québécois en lui garantissant un accès adéquat aux salles et autres plateformes de diffusion. 2 Introduction Les réalisateurs sont parmi ceux qui ressentent le plus directement les changements qui s’opèrent à l’heure actuelle par leur position centrale et névralgique dans le processus de création dont le résultat relève, au final, de leur responsabilité. L’ARRQ qui les représente souhaite par le dépôt de ce mémoire contribuer de façon concrète à la réflexion du Groupe de travail sur les enjeux du cinéma québécois. Voici donc dans un premier temps quelques réflexions sur certains énoncés contenus dans le guide de consultation suivies de notre position sur des enjeux spécifiques à notre association et ses membres puis, nos recommandations relativement aux enjeux de développement, de financement et production, et de distribution. Précisons que nous avons volontairement exclu le documentaire de ce mémoire; les enjeux sur lesquels le groupe de travail a sollicité des avis étaient, selon notre compréhension, reliés au cinéma de fiction. Réflexions D’entrée de jeu, nous estimons qu’il n’y a pas, en ce moment, de « crise » du cinéma québécois, mais plutôt une baisse du box-­‐office pour une période qui est circonscrite dans le temps, l’année 2012, dans le contexte plus global d’une baisse générale du box-­‐office mondial devant la concurrence de la télévision sur demande et de la diffusion de contenu par internet. En effet, les résultats décevants des revenus générés par les films québécois en salles en 2012 sont principalement dus à la mauvaise performance de quelques films desquels on attendait des recettes plus importantes. Paradoxalement, les films québécois profitent plus que jamais d’une importante reconnaissance dans les festivals et autres manifestations destinées à récompenser la production cinématographique, qu’il suffise de mentionner la présence de films québécois à titre de finalistes aux Oscar au cours des trois dernières années, une performance dont peu de pays peuvent se vanter. Ce qui nous amène à nous demander à juste titre pourquoi nos films réussissent à capter l’intérêt des cinéphiles étrangers alors que notre population semblerait les bouder. Les films qui ont du succès et qui se paient au box-­‐office sont le plus souvent le produit de l’industrie du divertissement et ces films proviennent très majoritairement des majors américaines en occupant l’essentiel des écrans disponibles au Québec. Ce type de cinéma coûte extrêmement cher parce qu’il utilise les plus grandes vedettes, les plus récents effets spéciaux et les technologies les plus pointues de projection et de « simulation d’expérience ». Nous devons admettre une fois pour toutes que notre cinéma subventionné ne pourra jamais concurrencer ce marché à armes égales. Ce que nous pouvons nous offrir collectivement est un cinéma qui se démarque par sa créativité et qui est représentatif de notre spécificité culturelle, car le cinéma québécois a fait ses preuves à travers le temps en osant et en innovant, notamment en matière de réalisation. Soyons confiants, mais réalistes, et œuvrons collectivement à mettre enfin nos forces en valeur pour tirer le meilleur parti de nos acquis en cette période où il est de plus en plus nécessaire de nous démarquer. 3 Les problématiques soulevées par le Groupe de travail relativement à l’évolution des modes de consommation du cinéma au Québec ne sont pas exclusives à notre territoire. Ces phénomènes sont présents dans tous les pays où se multiplient les nouvelles plateformes. Le Québec n’est pas différent en cela des autres. À ce chapitre, il est utile de souligner la pauvreté des outils de mesure pour les nouvelles fenêtres de diffusion ainsi que les pratiques de piratage qui nous empêchent d’avoir une image juste du succès réel — ou de l’insuccès — de notre cinématographie. Aussi, les ménages québécois investissent davantage dans les coûts de services ou les équipements et appareils en vue d’accéder à la culture que dans la consommation de la culture elle-­‐même. Les fournisseurs d’accès opérant sur notre territoire et qui profitent de ces investissements doivent être mis à contribution pour soutenir notre cinématographie nationale. Contrairement aux entreprises de production, les entreprises de distribution québécoises n’ont pas profité du soutien financier continu de l’État. L’écosystème québécois de la distribution a donc évolué en fonction des lois du marché et continue d’être outrageusement dominé par les entreprises étrangères. La concentration de la propriété d’entreprises de distribution actives au Québec, dont les plus importantes sont aujourd’hui contrôlées par eOne qui, si l’on se fie au mémoire du Regroupement des distributeurs indépendants du Québec, est une compagnie dont la majorité des actifs sont basés à l’étranger et dont le siège social canadien est à Toronto, vient exacerber une situation déjà préoccupante pour bon nombre d’acteurs de l’industrie, dont les réalisateurs. Cette prise de contrôle par des entités hors Québec ou étrangères risque d’accentuer davantage les lacunes au niveau des investissements dans la promotion de nos films sur notre territoire, au profit des films américains qui profitent déjà de budgets de promotion colossaux. Cette consolidation crée un géant avec lequel les petits distributeurs ne peuvent pas concurrencer tant du point de vue des investissements en promotion que ceux destinés au financement des films. Le monopole d’eOne lui confère également un immense pouvoir de négociation sur les exploitants de salles et lui permet d’accroître encore plus sa mainmise sur les écrans québécois pour les films qu’elle distribue. Pour les réalisateurs, ce sont autant de portes qui se ferment. Aussi, dans le cadre de la négociation avec les distributeurs pour obtenir du financement, ils ne peuvent plus tirer parti d’une saine concurrence. S’ajoute à ce portrait le cas de Métropole Films qui, sous la gouverne de Mongrel et profitant d’une entente exclusive avec Sony Picture Classic, contourne les ententes St-­‐Pierre-­‐
Glickman sur la distribution au Québec et ses objectifs d’assurer aux distributeurs de propriété québécoise un meilleur accès aux films et matériel vidéo en provenance de toutes les parties du monde autres que les États-­‐Unis. Cette irrégularité ferme le marché et place ces distributeurs dans une situation financière intenable. Leur capacité de profiter des revenus des films étrangers étant ainsi grandement réduite, ils sont moins en mesure de contribuer adéquatement au financement et à la promotion de nos films, en particulier, les films d’auteur. Autre constatation inquiétante : la mainmise des intégrateurs sur les exploitants de salles qui ont profité de la numérisation des écrans pour imposer par le biais d’ententes confidentielles avec les majors américains un contrôle encore plus strict sur les films qui seront présentés et dont nous craignons que les films québécois fassent encore les frais. 4 Conclusion En définitive, les sources de financement et de promotion des films québécois sont trop limitées, de sorte que nos films sont généralement mal promus et de plus en plus sous représentés en salles, ne profitant souvent, que de sorties confidentielles. Quels que soient les efforts des réalisateurs et réalisatrices pour produire les meilleurs films, s’ils n’ont pas l’opportunité de créer et cultiver leur public, il est illusoire de penser que le cinéma québécois ait un quelconque avenir sur son territoire. Si l’État québécois a décidé un jour de mettre en place des mesures pour financer son cinéma et en assurer l’existence, ce n’est certainement pas pour nourrir un club sélect de producteurs et de distributeurs, mais bien pour permettre à la société entière d’accéder à cette forme de culture dans la plus grande diversité des genres. Pour l’ARRQ, il essentiel de tout mettre en œuvre dès maintenant pour que nos films profitent des meilleures conditions de création et de production; que l’argent public investi soit réellement perceptible à l’écran; que l’ensemble des acteurs privés qui profitent de la consommation cinématographique investissent dans notre cinéma et qu’il puisse réellement rejoindre le public québécois en lui garantissant un accès adéquat aux salles et autres plateformes de diffusion. Position de l’ARRQ et ses membres • Les réalisateurs doivent occuper une place prépondérante et être des interlocuteurs reconnus des institutions de financement puisqu’ils sont au centre du succès des œuvres cinématographiques, au même titre que les producteurs, et ce, à tous les niveaux (au CA, sur les comités de réflexion et de sélection de la Sodec). • La participation de l’ARRQ est fondamentale par sa vision de l’ensemble du métier de réalisateur. On ne peut s’attendre à ce qu’un individu porte l’ensemble de la vision d’un secteur à moins d’avoir été mandaté pour ce faire. • Miser uniquement sur des entreprises et tenter de prévoir la demande du marché est une erreur, il n’y a pas de recette pour le succès et généralement il est le fruit d’une démarche singulière de création. • La qualité de la création (réalisation et scénario) et de ses créateurs est la meilleure garantie du succès d’un film. • La meilleure garantie de survie et de développement de notre cinématographie réside dans sa variété. • Les œuvres culturelles plutôt que les entreprises culturelles doivent être au cœur des objectifs de la Sodec. Recommandations concernant les enjeux de développement : L’ARRQ fait les recommandations suivantes à l’égard des enjeux de développement en considérant que le réalisateur est le maître d’œuvre du film et le responsable ultime de sa réussite. Il doit donc être présent à toutes les étapes de la création, y compris au développement du scénario. Par ailleurs, les producteurs étant rémunérés à même les 5 budgets de production et non pas à partir des revenus d’exploitation, ils sont donc souvent contraints de produire pour maintenir leur niveau d’activité et toute phase additionnelle de développement qui retarde le début de la production peut être considérée comme superflue.  Ajouter une dépense admissible pour le réalisateur à toutes les phases de développement de manière à encourager l’implication et l’intégration précoce de la vision du réalisateur dans le but d’anticiper les besoins de production, d’obtenir une meilleure adéquation entre les moyens de production et le scénario et d’éviter de dénaturer le scénario par des solutions de dernière minute adoptées pour des raisons budgétaires.  Augmenter le financement destiné au développement et recourir à toutes les phases de développement.  Maintenir et augmenter l’accessibilité au dépôt de scénarios par des individus (scénaristes et réalisateurs) pour assurer une plus grande diversité des films.  Des réalisateurs doivent faire partie des comités de sélection des projets. Recommandations concernant les enjeux de financement et de production : L’ARRQ appuie les recommandations qui suivent à l’égard des enjeux de financement et de production en considérant que les câblodistributeurs et les télédiffuseurs publics et privés opérant dans la province doivent davantage soutenir la production et la diffusion de films québécois, plus particulièrement Télé-­‐Québec, à titre de télévision éducative et culturelle. Les exploitants de salles et les fournisseurs d’accès à internet devraient aussi contribuer au financement des films. Les entreprises de production ont eu, au cours des quarante dernières années, tous les appuis nécessaires à l’établissement d’assises financières solides et au développement de leurs compétences.  Pour les premières œuvres, le financement devrait être destiné au projet.  Garantir une diversité des genres.  Conserver un financement adéquat pour la production artisanale qui nous donne, bon an mal an, des films remarquables et remarqués, réalisés très souvent grâce aux investissements personnels des créateurs et artisans.  Avoir une politique de l’œuvre sur le long terme pour encourager les carrières des réalisateurs.  Favoriser les investissements privés par le biais de mesures incitatives (crédit d’impôt, mesures fiscales encourageant la philanthropie culturelle).  Assurer une implication accrue des diffuseurs et câblodistributeurs au financement des films québécois.  Créer un fonds spécial pour la production et la promotion du cinéma québécois à partir d’une taxe spécifique ou des taxes existantes sur les entrées, les DVD et la vidéo sur demande (télévision et internet).  Assurer que les fournisseurs d’accès internet, qui profitent des investissements des Québécois, contribuent financièrement à notre cinématographie nationale.  Mettre en place des directives pour accorder le financement aux entreprises en règle avec les associations d’artistes et leurs ententes collectives. 6 Recommandations concernant les enjeux de distribution : L’ARRQ appuie les recommandations qui suivent à l’égard des enjeux de distribution en considérant la concentration de la propriété des entreprises de distribution actives au Québec, le contournement des ententes St-­‐Pierre–Glickman qui est contraire à l’esprit de la Loi sur le cinéma, la situation précaire des distributeurs de propriété québécoise qui en résulte et enfin, l’accès limité des films québécois aux salles.  Adopter des mesures de contingentement à l’écran (quotas) en faveur des films québécois.  Exercer un contrôle des entreprises de distribution et des liens qu’elles établissent avec les grandes chaînes de cinéma.  Soutenir les distributeurs de propriété québécoise pour assurer leur pérennité et une saine concurrence dans le milieu de la distribution. Une situation de quasi-­‐
monopole est contre-­‐productive pour le cinéma québécois.  Adopter des mesures pour éviter que des entreprises de distribution actives au Québec contournent les objectifs des ententes St-­‐Pierre–Glickman.  Négocier un frais de copie virtuelle (FCV) moins élevé pour les films québécois.  Appuyer la création d’une plateforme publique de diffusion numérique des films québécois et s’assurer que les ayants droit profitent de redevances.  Assurer une implication accrue des diffuseurs et câblodistributeurs à la diffusion des films québécois. 7