Jean-Noël Pancrazi : écrivain de l`exil
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Jean-Noël Pancrazi : écrivain de l`exil
Les Lettres Jean-Noël Pancrazi : écrivain de l’exil J ean-Noël Pancrazi est certainement l’un des plus grands écrivains d’aujourd’hui. Connu pour son style particulier, caractérisé par de longues phrases garnies de 10 parenthèses, de cadratins et de métaphores, Jean-Noël Pancrazi a notamment obtenu le prix Médicis en 1990 pour Les quartiers d’hiver et le grand prix du roman de l’Académie française en 2003 pour Tout est passé si vite. Né en Algérie à la fin des années quarante, il y grandit avant de s’exiler à Perpignan d’abord, à Paris ensuite. C’est à partir de cette expérience de l’exil qu’il bâtira son œuvre. Jean-Noël était de passage à Bâle pour donner une conférence ; j’en ai profité pour rencontrer l’écrivain, visiter les musées en son aimable compagnie et recueillir quelques propos, dont voici une sélection. Je crois que l’on peut dire de tes écrits qu’ils sont autobiographiques. En lisant ta bibliographie, on constate que certains textes sont classés dans le registre du récit, d’autres dans celui du roman. Quelle distinction fais-tu entre les deux ? et quelle part d’imagination y a-t-il dans tes textes ? D’abord, je crois que je suis de moins en moins capable d’inventer. Plus j’écris et plus je tire ma matière de ma propre vie, donc plus c’est, comme on dit, autobiographique. Maintenant, plutôt que de parler d’imagination, je préfère le terme d’imaginaire. Même si on raconte ce que l’on a vécu, même si c’est directement autobiographique, ce qui peut-être rajoute quelque chose, c’est le fond imaginaire, c’est-à-dire un fond de couleurs, un fond de paysages qui accompagnent l’écriture et qui caractérisent, à mon sens, la littérature. Mais ce n’est pas de l’imagination, c’est la dimension imaginaire qui élargit l’autobiographie et qui lui donne la profondeur du roman. Mes écrits ne sont pas de l’autobiographie à l’état brut, mais plutôt un fait divers de ma propre vie. Pour ce qui est de la distinction entre le récit et le roman, ce sont des commodités d’éditeur. Mais, cela dit, par exemple si je prends Long séjour, consacré à mon père, et Renée Camps, consacré à ma mère, ce sont, en gros, si tu veux, des textes chronologiques. Par contre dans le roman, il y a toujours une recomposition du temps, un travail sur le temps romanesque, ou une dilatation ou une concentration. Il y a tout de même un arrangement du temps et puis il y a des personnages… enfin, si l’on veut faire une distinction entre le récit et le roman. Autant dans tes récits que dans tes romans, on retrouve des thèmes récurrents. Le plus grand, c’est l’exil, une sorte de déchirure. Est-ce que tu ne cherches pas quelque chose au travers de tes écrits ? © Les Lettres et les Arts Les Lettres et les Arts Ð n¡1 ProposÊdÕauteur J’ai cherché toute ma vie. (Rires.) Je trouve qu’il n’y a pas d’écriture et d’une certaine manière qu’il n’y pas d’art ou d’artiste sans un manque. Il faut un manque. Je n’ai pas fait de psychanalyse. Je ne suis jamais allé sur un divan, mais je sais qu’il y a un manque qui creuse un vide en moi. Je ne dis pas cela d’une manière négative ou désolée. Il y a un manque, on se sent à côté, à côté d’une certaine réalité. Ce manque est en toi tout le temps, c’est ce qui te fait écrire. Et avec le temps justement on s’en désole de moins en moins. Chez moi c’est, je crois, un manque affectif, comme s’il y avait quelque chose que je cherche tout le temps à combler, ou plutôt à rattraper. Ce qui ne se fera jamais et c’est ce vide qui me mène de livre en livre. C’est un manque que tout fait social n’arrive pas à combler, ni même les autres, je crois, il n’y a que le travail pour le combler, ou pour l’oublier, temporairement. Les Lettres « L’exil ce n’est pas simplement quitter un pays, l’exil aussi c’est ne jamais y revenir. » 11 Jean-Noël Pancrazi au bord du Rhin, derrière la cathédrale de Bâle, le 8 mars 2009. © Les Lettres et les Arts Jérôme Garcin aime rappeler que, selon toi, une belle phrase peut changer la vie. (Rires.) Oui, une belle phrase donne une illusion d’harmonie, elle donne une illusion de beauté. C’est quelque chose qui permet de dépasser le manque et de dire que, au fond, si demain je dois disparaître – ce qui peut arriver – j’aurai au moins fait cela de mon existence : j’aurai écrit de belles phrases. Ça forme comme une sorte de ciment, je trouve. De mon passage sur terre, il restera quelques belles phrases. Tu fais donc de la phrase une sorte de musique, une musique qui englobe tout et qui, de ce fait, emporte le récit… Avant tout. Belle phrase, le mot belle est un peu appliqué. Je parlerais plutôt de phrase musicale. Il n’y a pas de phrase sans musique. La littérature c’est cela, justement, la recherche d’une note juste, d’un son juste et donc d’une pensée juste. Dès qu’une pensée est mauvaise ou fausse, elle sonne faux. Ce que tu me dis est vrai, la musique et la cadence englobent tout. S’il y a une musique, on a des chances d’être dans la littérature. Mais pour être dans la littérature il faut quelque chose qui ne soit pas plat, dépourvu de profondeur romanesque. Et donc pour que tu aies cette musique dans tes romans, tu cherches une sorte d’équilibre entre l’intrigue et la beauté qui la met en avant… Comme tu disais, le style emporte le récit. C’est la musique qui fait parfois le récit ou rappelle les souvenirs. Le rythme d’une phrase amène d’autres plans, d’autres strates du temps. C’est parce qu’il y a une musique et une cadence qu’on a en- vie d’aller creuser dans les strates du passé. C’est la musique qui apporte les choses. Mais il ne faut pas ajuster la musique et l’intrigue. Parfois je dirais, à la limite, l’intrigue est sacrifiée à la musique. Et au fond, il vaut mieux que la musique l’emporte. Il ne faut pas être obsédé par l’intrigue en disant aïe aïe aïe il faut qu’il y ait un début, un climax, comme on dit, et une fin. En somme tu préfères une littérature de la musique… Oui, bien sûr. Après il faut qu’un texte soit cohérent avec lui-même, qu’il y ait un ajustement avec toutes les parties, un ajustement musical, plutôt qu’une suite logique d’événements. Venons-en à ton dernier roman, Montecristi. Comment expliquer que tu y exprimes de la colère, une sorte de rage, tout en restant calme ? Je reste toujours calme. Je reste calme parce que c’est une sorte de dignité du roman. Le calme permet de ne pas être injuste et de ne pas avoir des éclats soudains. Mais les victimes aussi sont calmes, les personnages de Montecristi sont des gens qui, malgré toutes les souffrances et les épreuves, ont conservé beaucoup de dignité. Comme Feliz par exemple… Oui. Feliz est marqué d’avoir l’oreille déchirée, mais ce n’est pas quelqu’un qui se lamente à longueur de journée… Quelqu’un me disait que le calme pouvait aussi être de la résignation, je ne sais pas, mais ça me semble un moyen pour dépasser les choses. Feliz dépasse son malheur en quelque sorte. Les Lettres et les Arts Ð n¡1 ProposÊdÕauteur Les Lettres ProposÊdÕauteur Les Lettres et les Arts Ð n¡1 « Il faut retrouver le détail, c’est ça le travail de l’écrivain. » La colère pourrait être une forme d’impuissance… Oui. À un moment donné j’ai même cessé d’écrire. Je n’ai presque rien écrit à Montecristi. Tout était assez infernal ; il y a des gens qui ont vécu des choses pires que moi, mais tout de même. Dans un sens comme dans l’autre, tout était aussi 12 important que ce que j’avais vécu à Sabana. La République dominicaine est très ancrée en moi-même. Les gens me disent qu’aujourd’hui c’est terminé, mais ce n’est pas facile ; je ne peux pas refermer une parenthèse comme ça et point final. Montecristi pourrait être une suite des Dollars des Sables… J’étais allé dans la forêt de Sabana et puis, volontairement, pour aller voir autre chose, je me suis rendu à Montecristi. Je suis souvent allé à Las Terenas, qui était une sorte d’Eden et où j’ai connu l’amour… Lorsque j’ai terminé Les Dollars des Sables, le livre est sorti, il a été bien accueilli, et, brusquement, je n’ai pas d’explication rationnelle à donner, je me suis dit : « Je veux aller à Montecristi ». Je savais que ce serait très différent de la Sabana ; j’ai su tout de suite, en y arrivant, que ça allait être l’enfer. Un enfer très rude. Mais j’y suis resté assez longtemps, des mois durant. Quelqu’un, lors d’une réception à l’ambassade de la République dominicaine, m’a dit qu’on ne fait que passer à Montecristi, qu’on y reste une heure, pas davantage. C’était une sorte de folie que de rester. Il y a eu une sorte de folie à rester, mais j’étais comme envoûté par la vie et j’y ai rencontré des gens formidables. Et puis, je m’imagine que Montecristi te rappelait Batna1… Peut-on établir un lien entre Batna et Montecristi, où l’on sent en quelque sorte que tu retrouves ton enfance ? Oui, mais par échos, par moments. Je ne suis pas resté pour ça seulement. Il y avait peut-être quelque chose de fini dans l’autre partie de l’île, alors je suis resté. La colère peut aussi être contre moi-même. Je ne savais pas que j’allais écrire un livre sur Montecristi, en y allant ni même en y restant. Plus tard, je l’ai écrit : « Mon véritable voyage de retour, il est ici. » Je n’ai jamais voulu retourner en Algérie et je n’ai pas cherché non plus dans le Moyen-Orient des impressions similaires. Ces impressions me sont revenues comme ça un jour à Montecristi parce qu’il me semblait qu’il y avait un écho entre les deux, dans ces paysages très rudes des Caraïbes. Peut-être que je n’y retourne pas aussi pour garder mon fond imaginaire. Je ne recherche pas à tout prix l’Algérie, mais l’Algérie revient. C’est tout de même un pays vers lequel je ne suis pas revenu. On ne peut pas avoir le même imaginaire si on est né au centre de Paris ou en Algérie. Ce manque est une chance. Parce que je peux garder cet arrière-fond imaginaire intact. Alors tu as plusieurs imaginaires : l’Algérie d’abord, Per- pignan ensuite et Paris enfin… Ce n’est pas la même chose que l’imaginaire d’Algérie qui est un imaginaire lointain, que j’ai perdu. Paris, j’y suis confronté puisque j’y vis ; Perpignan, c’est entre les deux, un imaginaire qui se perd de lui-même. Je crois vraiment que tout romancier peut revenir puiser dans l’enfance, toute sa vie durant, sans l’épuiser. Peut-être à cause d’une forme d’innocence… Je ne crois pas à l’innocence des enfants. J’ai toujours pensé que les enfants sont extrêmement lucides. Ils voient tout, ils ne savent pas tout bien sûr, mais il voient tout. Je crois que la formation de l’écrivain, ou sa déformation, se fait par ce qu’il a vu et ressenti lorsqu’il était enfant. On ne retrouve jamais autant de sensibilité que dans l’enfance. Les enfants ne disent rien parfois, mais ils sentent tout. Si tu étais né à Paris, peut-être que tu ne serais pas devenu écrivain, ou alors ton manque serait différent… Absolument. En tout cas, je n’aurais pas le même imaginaire. Disons que c’est l’accumulation des pas de côté qui pousse à devenir écrivain. Parce qu’un écrivain est à côté en quelque sorte. Julien Gracq disait : « il y a deux catégories d’écrivains en ce qui concerne les impressions visuelles. […] Il y a ceux qui sont myopes et ceux qui sont presbytes. Je ne crois pas que l’on puisse avoir les deux capacités à la fois2. » Je te classe évidemment dans les myopes puisque tu t’attardes sur le détail. Est-ce que le détail forme ton style et tes récits ? Oui, le détail est quelque chose de très important. Les détails remontent parfois à quelques années. Il faut retrouver le détail, c’est ça le travail de l’écrivain, parce qu’il y a des détails qui nous échappent. On ne peut se souvenir de quelqu’un que par le détail et c’est parce que sa chemise était jaune que l’on s’en souvient, le jaune reste ancré dans la rétine en quelque sorte. On ne peut pas se souvenir de quelqu’un qui avait une chemisette jaune et écrire qu’elle était rouge. Moi, en tout cas, je ne le peux pas, je ne peux pas dire « tant pis » et remplacer. On y retrouve les thèmes de ton œuvre : des petites choses qui reviennent sans cesse, comme la petite tour Eiffel de Chiquito, une musique… Tu sais, je crois qu’on aime quelqu’un pour un détail. En fait tu es un peu comme Proust… Je ne suis pas Proust… Je veux dire que tu reviens sur ton passé par le biais du détail. Oui, je crois fermement à cela. Ce n’est pas forcément évident : des gens s’aiment pour un détail, c’est pour cela que l’on ne sait jamais pourquoi on aime quelqu’un. Tout repose Les Lettres ProposÊdÕauteur © Les Lettres et les Arts 13 sur un détail. C’est pour cela aussi qu’il est très difficile de connaître la vie de quelqu’un parce qu’elle repose sur un détail. Virginia Wolf se souciait de l’intrigue ? Non ! Les vagues, La promenade au phare… Même dans la littérature française, le rythme importait avant tout. Et tu n’écris jamais au présent, comme si le détail n’appartenait qu’au passé… J’aime l’imparfait. Bergotte, dans la Recherche de Proust, disait que la douceur est la qualité suprême du style. Le temps de la douceur par excellence, c’est l’imparfait. On parlait de calme tout à l’heure, l’imparfait est un temps calme. Il y a quelques écrivains de ton genre : Julien Gracq évidemment, mais, plus contemporain Pierre Michon… Oui, Pierre Michon, c’est le rythme, la scansion, une sorte de lyrisme… En quelque sorte, dans le paysage littéraire contemporain, tu es un peu esseulé par ton style… Oui, parfois on me dit : « vos longues phrases… » Mais pourquoi pas ? Il n’y a pas une dictature de l’ellipse et de la phrase courte. C’est peut-être plus artificiel l’ellipse. Dans une phrase longue on essaie de rassembler plusieurs aspects en même temps, comme dans la vie. On n’isole pas. Je veux bien écrire : « Quelqu’un entre. » Mais ce n’est pas quelqu’un, c’est quelqu’un qui a un visage, une pensée, une manière d’être, et c’est aussi ce qu’on pense de celui qui entre dans la pièce. « Quelqu’un entre » sonne un peu artificiel. On a tout de même écrit des chef-d’œuvres comme ça, il ne faut pas l’oublier. Est-ce que le roman n’est pas comme le théâtre un espace artificiel ? Oui, mais un espace complètement libre. Il y a eu des époques pas si lointaines où tout reposait sur la musique. Est-ce que Au fond, c’est presque une école qui va à contre-courant… Une école, je ne sais pas, plutôt un mouvement. Quoi qu’il en soit je me sens complètement libre. Tout écrivain doit se sentir complètement libre et ne pas se laisser aller aux codes. S’il y a un espace libre, c’est bien le roman. Il ne manquerait plus que le roman ne soit plus libre ! Peut-être que la société le veut inconsciemment… mais le cinéma par exemple est très libre, le théâtre et la danse aussi. Le roman a ses propres critères, mais il devrait avoir autant de liberté que les autres formes d’art. La littérature est un lieu libre, sans exil. Propos recueillis par Niklaus Manuel Güdel Voir encore en page 14 –––––––––––––––– 1. C’est à Batna, au pied des Aurès, que Jean-Noël Pancrazi a grandi. On retrouve la ville notamment dans Madame Arnoul. 2. Julien Gracq, Entretiens, Paris, José Corti, 2002, page 36. Les Lettres et les Arts Ð n¡1 « La littérature est un lieu entièrement libre, un lieu sans exil. » Les Lettres Les Lettres et les Arts Ð n¡1 Contemporains Montecristi : une colre lyrique C elui qui s’attardera sur l’œuvre de Jean-Noël Pancrazi sentira bien qu’il y règne une par14 faite harmonie : c’est que l’homme est comme ses écrits. Son génie – c’est bien de génie dont il s’agit, et non pas d’un simple talent – demeure dans cette relation intense entre l’homme et sa pensée. Jean-Noël Pancrazi est de ces rares écrivains dont l’œuvre, bien que « personnelle », échappe à la médiocrité de l’anecdote et du fait divers ; en ce sens, on pourrait le classer du côté de Rousseau ou de Nerval. De ce fait, on ne saurait évoquer l’œuvre sans évoquer l’écrivain. Montecristi ne déroge pas à la règle. C’est l’histoire d’un petit cireur de chaussures, Chiquito, à Montecristi, à la frontière entre la République dominicaine et Haïti, que le narrateur accompagne sur un chemin difficile : celui de la mort. Un mal mystérieux, le « parasito » comme l’appellent les habitants de Montecristi, s’en prend à quelques-uns d’entre eux, dont le petit garçon. Cette affection vient de la mer : des cargos américains déchargent dans la nuit des fûts toxiques au large. La radioactivité de ces déchets les mène irrémédiablement à la mort. Le narrateur relate donc la lente et triste extinction du regard de Chiquito qui mourra en observant scintiller une petite tour Eiffel, comme celles que l’on vend avec une pile aux touristes sur le Champsde-Mars, que le narrateur lui a rapportée de Paris, comme pour refléter celle qui, en réplique se dresse sur la place du petit village dominicain – un hasard qui permet d’édifier tout un symbole à travers le roman. Autour de ce récit s’en articulent d’autres, non moins intéressants, qui traduisent la souffrance des Haïtiens exilés en République dominicaine, confrontés à l’homicide et au viol, et qui glorifient en même temps la dignité que ces pauvres gens pleins de malice ont su conserver dans leur misérable condition. On sent dans Montecristi une colère, faite de désillusion et d’indignation, de tristesse et de dépit, qui prend naissance dans une vaste blessure, celle de l’exilé d’abord, celle de la victime ensuite. Mais le cri, pourtant fort et retentissant, demeure calme et musical. On y retrouve le symbolisme éparpillé çà et là, et la métaphore, toujours présente, est calme et filante, comme pour poser sur tant d’horreur un filtre pour la rendre supportable. Un peu de beauté ne tuera personne. Montecristi, loin de n’être qu’un récit, est avant tout un long poème en prose ponctué d’une magnificence particulière à Pancrazi, une sorte d’aura – ou de nimbe, lorsqu’on croit en la littérature – d’excellence que l’on ne trouve que chez les grands écrivains. On reconnaît cette prose de haut-vol dans chaque page, dans chaque phrase, dans chaque mot qui, sous la plume de l’auteur comme dans sa bouche, prend un résonance douce et ronde. La République dominicaine, assez loin de n’être qu’une histoire d’amour, a fait ressurgir en lui toute une farandole de souvenirs, de détails, qui se manifestent sporadiquement tout au long de son roman. C’est au travers de ces détails que l’on lit Montecristi comme un polar ; mais au contraire du roman policier, on n’est guère emporté par l’intrigue, mais par le style. Le présent roman marque probablement un tournant dans l’œuvre de Pancrazi. Il n’aura pas la fonction de pierre tombale – comme Le temps retrouvé de Proust –, mais celle du liant qui, comme dans la peinture, assure l’homogénéité qui fera la force de ses prochains écrits. Loin d’être « cette grande putain morale [La République dominicaine] qui laissait mourir ses enfants », la littérature de Pancrazi nourrit et fait briller le patrimoine des lettres françaises, l’élevant haut dans le firmament de l’exigence, loin, très loin au-delà de la médiocrité habituelle de ces « écrivants » que l’on considère comme de véritables auteurs. Niklaus Manuel Güdel J.-N. Pancrazi, Montecristi, Gallimard, 131 pages, 12.90€ Jean-Noël Pancrazi en poche La mémoire brûlée, roman, 1979 (Points-Seuil) L’heure des adieux, roman, 1985 (Points-Seuil) Les quartiers d’hiver, roman, 1990 (Folio) Le silence des passions, roman, 1994 (Folio) Madame Arnoul, récit, 1995 (Folio) Long séjour, récit, 1998 (Folio) Renée Camps, récit, 2001 (Folio) Tout est passé si vite, roman, 2003 (Folio) Les dollars de sables, roman, 2006 (Folio)