Voir le texte ici. - Marie
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La mélancolie de l’impossible retour: le sens de la racine i.-e. *nes- Abstract According to ancient Greek and Latin texts, as well as to modern testimonies, the return of a hero is often linked to a loss. Indeed, when he is back home, he does not receive the warm welcome he expected from his family or his compatriots: he thus realizes that his return is actually impossible and falls into a deep state of melancholy. Whereas this consequence is clearly underlined in Greek and Latin texts, modern translators tend to minimize it. Through the comparison of the feelings experienced by Odysseus and Scipio, we have proposed new translations, closer to the original texts than the previous ones, both from the epic and the human point of view. It therefore seemed that the Indo-European (and perhaps Afro-Asiatic) root *nes- was only associated with the idea of a ‘good’ return because of the strong desire of the hero to be warmly welcome home: all the ancient texts however only support the meaning of a ‘bad’ return. We finally argue that the original meaning of this root was simply ‘to go back home’.1 Keywords Odyssey, Root *nes-, translation, Subjectification Un des sentiments grâce auxquels l’homme tient à la guerre est celui de l’espérance d’un doux retour. Or, que ce soit dans les textes anciens ou dans les témoignages modernes de guerriers ou d’otages de retour chez eux, on trouve un motif récurrent: celui de la ‘perte’ du retour.2 Ce sont même les premiers mots de l’Odyssée. Que perd-on précisément au retour? L’homme n’est plus celui qu’il était à son départ, au point qu’il ne parvient pas à retrouver la place qu’il occupait auparavant au sein de son foyer et de sa patrie et qu’il tombe dans une indicible mélancolie, presque aussi accablante que les maux endurés. Nous comparerons ainsi deux retours mélancoliques: celui d’Ulysse, qui doit reprendre les armes dès son retour et auquel sa fidèle Pénélope réserve un accueil des plus glacials, en regard de celui de Scipion l’Africain, accablé de reproches par ses compatriotes alors qu’il rentre grand vainqueur. Il ne reste plus au guerrier qu’à partir de nouveau. Celui qui revient espérait pourtant de tout son cœur un bon retour, mais l’aède ou l’historien qui relate l’événement évoque toujours un mauvais retour. Or, on lie souvent la racine indo-européenne du ‘retour’, celle du grec νόστος, à des termes ou des expressions signifiant le ‘bon retour’. L’ouvrage de Frame (1978) et un article récent de Lamberterie (2014) nous ont inspiré l’idée suivante: le qualificatif de ‘bon’ dans l’interprétation sémantique de la racine *nes- ne relèverait-il pas d’un jugement à la fois subjectif et cognitif du sujet, que la linguistique moderne a reproduit? Le retour doit plutôt être défini comme un ‘retour dans la maison’, ultérieurement connoté: en nous fondant sur skr. ásta-, nous montrerons que νόστος est parfois bien proche de ‘foyer’. 1 Je remercie vivement de Ch. de Lamberterie pour sa relecture précise et attentive de cet article. Pour un témoignage moderne, pensons à celui de l’otage Ingrid Bettancourt, entendu en 2012 sur la chaîne de radio Europe 1 : ‘j’avais perdu beaucoup de choses : j’avais perdu mes enfants quand ils étaient encore petits, Lorenzo avait 13 ans et Mélanie en avait 16, et j’ai retrouvé des adultes. (…) j’ai perdu mon père, donc j’ai retrouvé ma mère veuve et plus âgée. (…) entre ces années de captivité, j’ai perdu mon mari, mon partenaire de vie, et j’ai perdu aussi mon travail". 2 1 1. Entre espoirs et désespoirs Le retour du guerrier fait souvent l’objet de représentations rituelles sur des vases appelés Nestoris, c’est-à-dire ‘coupe de Nestor’, 3 ou sur des tombes italiques. La matière littéraire pour sa part s’intéresse fort peu au retour du guerrier lorsqu’il a atteint sa patrie au regard de la pléthore de récits de combats. Avant le retour en lui-même, il est remarquable de lire fréquemment le vif désir du guerrier de retrouver les bras de sa bien-aimée et sa chère patrie, alors même qu’il pressent que ce vœu est utopique. Chez Quintus de Smyrne, aux vers 669-673, les guerriers espèrent après les bras d’une belle compagne, mais le retour constitue un renoncement violent pour Achille, comme le suggère le neutre adverbialisé ἀλίαστον qui suit la désignation même d’Achille: Πολλοὶ δ’ εὐχετόωντο κατ’ οἰκία νοστήσαντες τοίης τῆσδ’ ἀλόχοιο παρὰ λεχέεσσιν ἰαῦσαι. Καὶ δ’ Ἀχιλεὺς ἀλίαστον ἑῷ ἐνετείρετο θυμῷ, οὕνεκά μιν κατέπεφνε καὶ οὐκ ἄγε δῖαν ἄκοιτιν Φθίην εἰς εὔπωλον… ‘Et beaucoup souhaitaient, après être revenus dans leurs maisons, dormir dans le lit d’une compagne telle que celle-ci. Et même Achille violemment était tourmenté dans son cœur parce qu’il l’(= Penthésilée) avait tuée et qu’il ne pouvait pas l’emmener, divine épouse, dans la Phthie féconde en poulains (…).’ (trad. pers.) Chez Horace (Ep. 13.6-7), le Centaure souhaite un bon retour à Achille, son élève: l’adjectif benigna qui qualifie uice, ‘par un bon retour’, projette le désir d’un retour qui engendre la sympathie, l’amitié des proches d’Achille, puisque benignus est composé de bene et de gignere ‘engendrer’. Cependant l’adverbe fortasse, qui est placé judicieusement devant benigna, remet en cause la réalisation d’un bon retour: … deus haec fortasse benigna reducet in sedem uice (…). ‘(…) un dieu, par un retour peut-être suscitant la sympathie, remettra-t-il les choses en l’état’. (trad. pers.) Il ne reste plus au héros qu’à alléger sa tristesse mélancolique, ‘qui défigure’, par du vin et des chants (Epod. 13.17-18). Il semble que l’Ode 1.7.30-32 donne une explication à ce désespoir, à partir du mot curas, dont le sens doit être plus fort que le simple ‘souci’ puisqu’il répond au comparatif peiora ‘de pires épreuves’ (probablement sous-entendu ‘que les épreuves du retour’): O fortes peioraque passi mecum saepe uiri, nunc uino pellite curas; cras ingens iterabimus aequor. ‘Ô braves guerriers qui avez subi avec moi souvent de pires épreuves, maintenant avec du vin chassez les inquiétudes; demain, sur l’immense plaine de la mer nous repartirons.’ (trad. pers.) Le guerrier part avec ses peines causées par la guerre, il revient pour en trouver d’autres. Ce qu’Horace dit de son livre (Ep. 1.20.6) s’appliquerait aussi bien au guerrier dont 3 Nestor est un nom d’agent sur la racine grecque du retour, celle de νόστος, νέομαι. 2 le retour est impossible: non erit emisso reditus tibi, ‘Il n’y aura pas de retour pour toi une fois parti’. Même si le guerrier espère son retour, il vaut mieux parfois pour lui ne pas revenir, souvent parce que le pouvoir est occupé par un autre ou parce que c’est dans le sang que le retour se fera. Phèdre rappelle à son époux le malheur associé à chacun de ses retours, tandis que Jocaste suggère à Polynice que l’exil lui sera meilleur: O dure Theseu semper, o numquam tuis tuto reuerse: gnatus et genitor nece reditus tuos luere; peruertis domum amore semper coniugum aut odio nocens. (Sen. Phaed. 1164-1167) ‘Ô cruel Thésée toujours, qui jamais n’es revenu sans mettre en danger les tiens: ton fils et ton père par leur mort violente ont racheté ton retour; tu détruis ta famille, nuisant à cause de l’amour toujours ou la haine d’épouses.’ (trad. pers.) Melius exsilium est tibi, Quam reditus iste: crimine alieno exsulas, Tuo redibis. (…) (Sen. Phoen. 617-619) ‘Meilleur est pour toi l’exil que ton retour: par le crime d’un autre tu es exilé, par un crime qui sera le tien tu reviendras.’ (trad. pers.) Le désespoir du guerrier qui ne peut retrouver sa patrie telle qu’il l’a quittée ou dont le retour est rendu impossible s’extériorise assez souvent dans les larmes qu’il verse ou les gémissements qu’il pousse. Ovide manifeste une mélancolie larmoyante dans les Tristes ou les Pontiques. Chez les héros tragiques également, l’abattement n’est pas exclu. Le verbe luget et les trois adjectifs tristis, maestos et flebile sont les symptômes évidents de la profonde mélancolie qu’éprouve Thésée dans les vers suivants au centre desquels apparaît l’expression d’un mauvais retour, maestos reditus: Hic qui clari sidera mundi nitidumque diem nocte relicta luget maestos tristis reditus ipsoque magis flebile Auerno sedis patriae uidet hospitium. (Sen. Phaed. 1144-1148) ‘Ce héros qui pleure les étoiles du monde clair et le jour brillant, après avoir quitté la nuit, tout affligé, voit son mauvais retour et le toit de la maison paternelle, qui le fait plus pleurer que l’Averne même.’ (trad. pers.) Le héros qui revient s’attend plus ou moins à de nouvelles épreuves chez lui, mais l’homme prend rarement conscience des changements physiques ou psychologiques qui l’ont affecté en son absence, comme si l’espoir du retour brouillait la perception du réel. Ce fut le cas pour deux grands guerriers victorieux de l’Antiquité, Ulysse et Scipion l’Africain, mal reçus à leur retour, l’un par une fidèle épouse, l’autre par une patrie d’ordinaire reconnaissante. 2. Mélancolie d’Ulysse en Ithaque La moitié de l’Odyssée, des chants 13 à 24, constitue le retour d’Ulysse dans son foyer: 12 chants sont nécessaires pour raconter son parcours du port au palais. Ce retour est une mini-épopée tant les maux endurés sont importants puisqu’il est touché en son cœur même: son fils est absent, sa femme ne le reconnaît pas, il a été trahi par une partie de ses 3 esclaves, sa mère est morte et son père est croulant. Il manque d’être attaqué par les chiens de son porcher, qui, sans le reconnaître, lui réserve l’unique accueil chaleureux. Seul son chien Argos le reconnaît immédiatement mais il meurt à l’instant même; comme l’animal symbolise la cellule familiale, sa mort préfigure la fin de la cellule familiale ancienne. Ces retrouvailles de courte durée en inaugurent d’autres non moins tristes, qui plongent Ulysse dans une profonde mélancolie et le conduisent à être très dur avec sa femme. 2.1. Un souhait ambivalent Dès les premiers vers de l’Odyssée (1.11-13), le retour est souhaité par Ulysse, avec un zeugma étrange qui associe ‘le retour et l’épouse’ et suggère ainsi de comprendre νόστου comme le ‘foyer’, vers lequel le héros aspire à retourner (cf. aussi, sur la même racine, gr. ναίω ‘habiter, demeurer’, νεώς ‘maison du dieu’, skr. ásta- ‘maison’): τὸν δ’ οἶον, νόστου κεχρημένον ἠδὲ γυναικός ‘mais lui seul, désirant le retour (le foyer) et son épouse’. Selon un schéma récurrent, le guerrier manifeste d’abord son profond désir de rentrer (Od. 13.28-30 : μενέαινε νέεσθαι) et de retrouver les siens (Od. 13.42-43); Ulysse les espère sains et saufs car en vingt ans il a pu se passer une multitude d’événements malheureux: ... ἀμύμονα δ᾽ οἴκοι ἄκοιτιν νοστήσας εὕροιμι σὺν ἀρτεμέεσσι φίλοισιν. ‘et de retour au logis, puissé-je trouver ma femme/une femme irréprochable ma femme avec les miens sains et saufs.’ (trad. pers.) Mais pour sa femme ἄκοιτιν, Ulysse recourt au qualificatif ἀμύμονα ‘irréprochable’. L’absence d’article dans le dialecte homérique n’étant pas significatif, on peut penser qu’il souhaite retrouver sa femme irréprochable, ἀμύμονα étant alors une épithète valorisante; on peut aussi penser qu’il souhaite la trouver irréprochable, avec ἀμύμονα attribut du complément d’objet direct: il préférerait alors qu’elle n’ait pas été adultère. Cette deuxième analyse semble préférable car ἄκοιτις désigne clairement Pénélope en tant que la femme qui partage la couche (κοίτη).4 Ulysse pense peut-être au leuamentum uxorium ‘le soulagement procuré par son épouse’ au retour de la guerre dont parle Valérius Messalinus chez Tacite (Ann. 3.34). Ce désir de retour heureux est initialement voué à l’échec: Ulysse sait depuis le début de son odyssée que même dans son Ithaque et dans les bras des siens, il n’allait pas trouver la fin de ses épreuves : ἀλλ’ ὅτε δὴ ἔτος ἦλθε περιπλομένων ἐνιαυτῶν, τῷ οἱ ἐπεκλώσαντο θεοὶ οἶκόνδε νέεσθαι εἰς Ἰθάκην, οὐδ’ ἔνθα πεφυγμένος ἦεν ἀέθλων καὶ μετὰ οἷσι φίλοισι… (Od. 1.17-19) ‘Mais lorsqu’enfin le temps fut venu, au terme de son cycle, selon le décret fixé par les dieux de son retour dans son maison à Ithaque, pas même alors il n’allait échapper aux luttes, même au milieu des siens.’ (trad. pers.) En outre, si comme l’affirme le DELG, s.u. ἄκοιτις, le mot "semble employé avec quelque intention ironique", Ulysse devient un goujat. 4 4 Le texte parle explicitement des soucis qu’il aura avec les siens, ses compatriotes ou ses proches. Il n’a donc pas tort de craindre ses retrouvailles avec Pénélope: l’accueil que lui réserve sa fidèle épouse sera on ne peut plus glacial. Cette annonce d’un retour difficile parmi les siens doit rester à l’esprit dans l’analyse du retour d’Ulysse, au sujet lequel nous tentons l’hypothèse d’une double lecture, à la fois épique et humaine. 2.2. Un retour ambivalent La présentation du retour d’Ulysse apparaît ambivalente si on s’en tient à une lecture très proche du texte grec. Il me semble que nous avons une représentation moderne d’Ulysse et de Pénélope assez idéalisée; en fait, l’Odyssée suggère une double lecture permanente de la présentation de ces deux personnages, finalement un peu plus humains qu’on ne le croit. Il faut partir de la prophétie de Tirésias, puis de Circé, faite à Ulysse juste avant qu’il mette un pied sur son île: ὀψὲ κακῶς νεῖαι… (Od. 11.114 = 12.141) ‘c’est tard (dans un âge avancé) en triste état (pas beau) que tu retourneras chez toi (…).’ L’adverbe ὀψέ peut désigner en grec ‘longtemps après’ (sous-entendu ‘ton départ’ ou ‘la guerre de Troie’), mais il désigne aussi ‘dans un âge avancé’; Ulysse a au moins quarante ans à son retour sur l’île, ce qui est vieux à l’époque. L’autre adverbe κακῶς servant parfois d’antonyme à καλῶς pourrait être traduit littéralement par ‘pas beau’. Un Grec pouvait donc entendre avec ὀψὲ κακῶς νεῖαι ‘tard misérablement’ ou ‘vieux pas beau tu retourneras chez toi’. Si notre supposition se révèle juste, il est possible d’envisager une double lecture du texte, selon la perspective humaine et selon son traitement épique. Selon la première, il est attendu en 13.187-191 qu’Ulysse peine à reconnaître sa patrie en arrivant (cf. le polyptote ἄγνωστον / οὐδέ μιν ἔγνω) en raison de sa longue absence; mais la matière épique donne une tournure plus merveilleuse à ce souvenir flou grâce à la nuée d’Athéna: ... ὁ δ᾽ ἔγρετο δῖος Ὀδυσσεὺς εὕδων ἐν γαίῃ πατρωΐῃ, οὐδέ μιν ἔγνω ἤδη δὴν ἀπεών· περὶ γὰρ <τέ οἱ> ἠέρα χεῦε Παλλὰς Ἀθηναίη, κούρη Διός, ὄφρα μιν αὐτῷ ἄγνωστον τεύξειεν ἕκαστά τε μυθήσαιτο. ‘Ulysse s’éveillait de son premier sommeil sur la terre natale, mais sans la reconnaître après sa longue absence; car Pallas Athéna, cette fille de Zeus, avait autour de lui versé une nuée, afin que, de ces lieux, il ne reconnût rien et qu’il apprît tout d’elle.’ (trad. Bérard) Un autre indice de cette perspective humaine au sein de l’épopée repose sur l’allusion au caractère le plus profond que garde notre héros dès son retour. Athéna lui dit: ‘Tu rentres au pays et ne penses encore qu’aux contes de brigands, aux mensonges chers à ton cœur depuis l’enfance’ (13.294-295). Ulysse est effectivement resté au stade de l’homme qu’il était vingt ans auparavant, puisqu’en outre il formule à l’adresse des nymphes deux vœux au caractère absurde, pour lui de vivre, pour son fils de grandir (Od. 13.359-360). Mais âgé de plus de vingt ans, Télémaque a fini de grandir. De la même manière, lorsqu’Athéna (Od. 13.429-438) transforme avec sa baguette magique (ῥάβδῳ) Ulysse en un vieillard à la peau ridée (κάρψε répété avec ῥάκος et redoublé par παλαιοῦ γέροντος ‘un vieux vieux’), portant des habits déchirés, sales, souillés d’une 5 fumée hideuse et un bâton (σκῆπτρον), elle réalise ce que le poète accomplit lui-même par la magie de ses vers: une transposition épique et héroïque de la matière humaine, créant ainsi un mélange réussi de réalisme et de fantaisie. Athéna flétrit sa peau mais elle l’est déjà par les années écoulées et les séquelles de la guerre. Au-delà du réalisme humain, il s’agit de signifier sur le plan épique qu’Ulysse n’a pas encore retrouvé les fonctions anciennes qu’il occupait avant son départ: un bâton à la place du sceptre royal, des haillons à la place de la robe royale. Il doit tout reconquérir: sa fonction royale et religieuse, ses armes et son épouse, selon les fonctions tri-partites indo-européennes mises en évidence par Dumézil. Un élément humain important est aussi à acquérir par Ulysse: sa relation affective avec Télémaque, son fils qui ne l’a pas connu. C’est le porcher Eumée qui réserve un accueil chaleureux à Télémaque, qu’il appelle ‘son fils chéri’ (en 16.25, φίλον τέκος, à partir d’une racine signifiant ‘enfanter’), en présence du père tout juste revenu, et le texte le souligne avec une douloureuse ironie (16.15-18)5. Télémaque s’installe à table avec le porcher et son père, sans qu’il le reconnaisse, et lui dit aimablement qu’il est en manque d’affection paternelle (Od. 16.120): μοῦνον ἔμ᾽ ἐν μεγάροισι τεκὼν λίπεν οὐδ᾽ ἀπόνητο. ‘(Ulysse) ne laissa qu’un fils unique – moi, dont il n’a pas joui !’ (trad. Bérard) Une fois qu’Ulysse a la certitude d’être attendu de son fils, Athéna − le double épique d’Homère − lui remet grâce encore à sa baguette une robe et une écharpe fraîchement lavées et lui rend sa jeunesse et sa belle allure. Sur le plan humain, l’homme s’est fait beau et retrouve une seconde jeunesse à l’idée d’embrasser son fils. Même ainsi Télémaque ne le reconnaît pas. Ulysse lui apprend qu’il est son père et la réaction du fils, celle d’un rejet violent fortement marqué par la position initiale de la négation, ne présente qu’un intérêt léger dans le traitement épique des retrouvailles mais est lourde de sens dans l’analyse psychologique du personnage auquel Homère s’attache (Od. 16.194): οὐ σύ γ᾽ Ὀδυσσεύς ἐσσι, πατὴρ ἐμός... ‘Non, toi tu n’es pas Ulysse, mon père.’ Télémaque se laisse finalement fléchir et pardonne à son père son absence. Alors tous deux se répandent en larmes – larmes bien humaines. Ceux qui étaient proches d’Ulysse avant son départ à la guerre ne le reconnaissent pas plus, ce qui paraît évident puisque les traits de son visage ont inévitablement changé avec le temps. Euryclée le reconnaît seulement à sa démarche, sa voix, ses pieds, ses mains, qui sont tous autant les uns que les autres des éléments que le temps ne modifie pas profondément. De même, Eumée et le bouvier reconnaissent leur maître grâce à sa cicatrice, par un signe donc qui ne s’efface pas avec le temps. La personne qui connaissait le mieux Ulysse et aurait pu le reconnaître immédiatement est Pénélope. 6 Or sa première réaction à l’annonce du retour de son époux, dont elle connaissait bien l’anatomie, est précisément de douter de ses capacités physiques. Elle prononce alors une parole terrible qui met fin à tout espoir de bon retour, si Ulysse espérait encore (Od. 23.67-68): 5 6 La comparaison reste peut-être bancale en raison de la référence à une absence de ‘dix ans’. Cantarella (2003, 85) souligne le fait que "Pénélope est, en réalité, un personnage complexe". 6 …αὐτὰρ Ὀδυσσεὺς ὤλεσε τηλοῦ νόστον Ἀχαιΐδος, ὤλετο δ᾽ αὐτός. ‘Mais loin de l’Achaïe, Ulysse a perdu la journée du retour et s’est perdu lui-même.’ (trad. Bérard) Le verbe ὄλλυμι ‘perdre’ est répété deux fois.7 Dans l’esprit de Pénélope, le jeune Ulysse est mort, celui qu’elle a en face d’elle n’est plus le même, il a changé physiquement. À sa vue, Pénélope s’assoit, se tait et reste longtemps à le considérer, sans manifester aucune joie. Aussi Télémaque et Ulysse lui reprochent-ils sa cruauté (cf. aussi 23.97-103): Δαιμονίη περί σοί γε γυναικῶν θηλυτεράων κῆρ ἀτέραμνον ἔθηκαν Ὀλύμπια δώματ᾽ ἔχοντες· ἀλλ᾽ ἄγε μοι, μαῖα, στόρεσον λέχος, ὄφρα καὶ αὐτὸς λέξομαι· ἦ γὰρ τῇ γε σιδήρεον ἐν φρεσὶ ἦτορ. (Od. 23.166-167 et 171-172) ‘Malheureuse ! jamais, en une faible femme, les habitants des manoirs de l’Olympe, n’ont mis un cœur plus sec… C’est bien !... Nourrice, à toi de me dresser un lit: j’irai dormir tout seul; car elle a un cœur de fer dans sa poitrine.’ (trad. Bérard légèrement modifiée) La tristesse d’Ulysse, qui n’est peut-être pas encore mélancolique, transparaît dans la désignation qui sert à qualifier son épouse, Δαιμονίη...γυναικῶν θηλυτεράων, littéralement ‘misérable parmi les femmes particulièrement femelles’. Bérard traduit par ‘faible femme’, mais en fait il s’agit d’une injure, qui équivaut à celle du français ‘chienne!’. Pénélope a du répondant, puisqu’elle recourt pour son mari au même vocatif, δαιμόνιε, souvent utilisé avec mépris (Il. 2.190, 200, etc.): Δαιμόνι᾽, οὔτ᾽ ἄρ τι μεγαλίζομαι οὔτ᾽ ἀθερίζω οὔτε λίην ἄγαμαι, μάλα δ᾽ εὖ οἶδ᾽ οἷος ἔησθα ἐξ Ἰθάκης ἐπὶ νηὸς ἰὼν δολιχηρέτμοιο. (Od. 23.174-179) ‘Misérable, je ne suis ni hystérique ni méprisante, ni trop admirative, car/mais je sais fort bien quel homme tu étais en partant d’Ithaque sur un navire aux longues rames.’ (trad. pers.) L’expression μάλα δ᾽ εὖ οἶδ᾽ οἷος ἔησθα ‘je sais fort bien quel homme tu étais’ est lourde de sous-entendus (un homme volage, menteur…). Malgré tout, le dernier vers de l’Odyssée ancienne achève le poème sur les retrouvailles physiques des époux mais dans un vers encore ambivalent: ἀσπάζομαι signifie d’abord ‘accueillir avec affection’ et on ignore si θεσμός, terme apparenté à θέμις ‘ordre de la maison et de la famille’, désigne le droit ou la coutume du lit. Même si Ulysse recouvre sa troisième fonction, celle de la fécondité, 8 la L’expression ‘perdre son retour’ est récurrente (Od. 1.114 ; 19.85 ; 24.528), au point que l’on peut envisager que le retour était déjà, dans l’Antiquité, associé à une perte: de son ancienne position politique et/ou sociale, de sa relation conjugale et familiale, de ses amis (Ulysse perd tous ses compagnons avant d’arriver sur l’île d’Ithaque). La suite de l’Odyssée, la Télégonie d’Eugammon de Cyrène, confirme cette perte puisque Pénélope ne parvient pas à retenir Ulysse, qui repart en Élide puis chez les Thesprotes. 8 Ulysse recouvre cette fonction progressivement: comme l’a montré Christol (2015, 130), "la toile, loin d’être un motif erratique mal intégré et retenu uniquement comme ornement d’une narration qui n’en a pas besoin, est une étape indispensable dans un processus de reconquête de Pénélope par Ulysse, selon un rite de mariage qui a des parallèles ailleurs et singulièrement en Inde". 7 7 passion amoureuse est absente de ces retrouvailles, d’autant plus en comparaison des expressions qu’Homère utilise à l’endroit des femmes aimées d’Ulysse (Od. 5.226-227, avec Calyspo: τερπέσθην φιλότητι ‘ils jouirent de l’amour’): ἀσπάσιοι λέκτροιο παλαιοῦ θεσμὸν ἵκοντο· (Od. 23.296) ‘joyeux/en guise de bienvenue, ils retrouvèrent le droit/la coutume du lit d’autrefois.’ (trad. pers.) L’adjectif παλαιοῦ est un dernier rappel des vingt années qui se sont écoulées, un rappel qui n’est pas superflu. Quelles sont les raisons qui pourraient en effet justifier cette froideur chez Pénélope lors des retrouvailles avec son mari? La première repose sur cette distance marquée dans le temps: Pénélope a le souvenir du jeune Ulysse et ne parvient pas à oublier cette image probablement idéalisée par le temps écoulé; c’est d’ailleurs ainsi qu’elle le voit dans son songe avant qu’il revienne (Od. 20.88-89): τῇδε γὰρ αὖ μοι νυκτὶ παρέδραθεν εἴκελος αὐτῷ, τοῖος ἐὼν οἷος ᾖεν ἅμα στρατῷ· … ‘Cette nuit, il était à dormir près de moi ! je le retrouvais tel qu’il partit pour l’armée!’ (trad. Bérard) Une deuxième raison pourrait être avancée pour justifier ce désaccord tacite entre les deux. Pénélope est peut-être jalouse: elle se doute que son cher et tendre n’est pas resté fidèle et qu’elle n’a pas fait le poids devant ses grandes conquêtes féminines. C’est ce que suggère la première Héroïde d’Ovide (1.75-78): Haec ego dum stulte metuo, quae uestra libido est, esse peregrino captus amore potes. Forsitan et narres, quam sit tibi rustica coniunx, quae tantum lanas non sinat esse rudes. ‘Moi, tandis que je redoute sottement ce qu’est votre libido, tu peux avoir été retenu par un amour pour une étrangère. Peut-être racontes-tu aussi combien ton épouse est rustique, une femme capable seulement de dégrossir la laine.’ (trad. pers.) Il n’est pas exclu que notre traduction de libido soit exagérée mais le mot s’accompagne d’un uestra qui généralise: c’est la libido des hommes. Ovide rend compte des sentiments de jalousie et de dévalorisation qu’a pu ressentir Pénélope devant Ulysse tout juste revenu, lui qui l’a peut-être trouvée rustica, simple, au regard de la magicienne Circé experte en drogues ou de la princesse Nausicaa, ce beau brin de fille (Od. 6.157, τοιόνδε θάλος). Dans l’Odyssée même, il est dit que Pénélope doit craindre la comparaison esthétique avec des rivales, telle la nymphe Calypso: après sept années d’amour, Ulysse ‘pleure le retour’ (5.153) et la quitte en précisant qu’il n’y a pas de comparaison possible entre elle et Pénélope. Une troisième raison trouverait sa source dans une probable infidélité de Pénélope: des traditions posthomériques veulent que Pénélope ait cédé à ses cent vingt-neuf prétendants et qu’elle en ait conçu le dieu Pan (cf. Pausanias 8.12.5, Apollodore 7.38, Cicéron N.D. 3.22.56). Néanmoins, pendant longtemps dans l’histoire de la littérature, Pénélope restera glorifiée comme la personnification de la vertu conjugale (cf. Mactoux, 1975). 8 Athéna elle-même suggère à son protégé que sa femme n’est pas au-dessus de tout soupçon, puisqu’elle envoie ‘à chacun promesses et messages’ (Od. 13.380-381). 9 C’est justement quand elle apprend que le retour d’Ulysse est imminent qu’elle organise le concours de tir à l’arc pour prendre un nouveau mari. Si Pénélope le teste en lui suggérant qu’elle a déplacé son lit et donc qu’elle lui a été infidèle (23.178-180), c’est au moins pour instiller le doute en lui. L’Odyssée suggère encore l’infidélité probable de Pénélope en remettant en cause la paternité de Télémaque, à quatre reprises; en 16.300, Ulysse en personne doute de cette paternité (cf. aussi 1.215-216 ; 3.122-123; 2.274-275).10 C’est le caractère insistant de ce doute, plus que le doute en lui-même, qui suggère l’infidélité. Une ultime raison qui pourrait expliquer la froideur de Pénélope, c’est son âge. Elle aussi a beaucoup vieilli: elle est une anus, selon le terme qu’emploie Ovide à la fin de sa lettre (Ep. 1.116). Pourquoi donc Ulysse devait-il forcément revenir à Ithaque, cette île exiguë, où il avait à reconquérir trois éléments fondamentaux: un nom, des armes, sa femme (cf. Meulder, 2002)? Est-ce là la vraie raison de sa mélancolie? Le héros a perdu son statut de roi et d’époux, par une mort sociale. Il doit regagner sa femme, qui maintenant est vieille et a peutêtre été infidèle. Son fils Télémaque, adulte désormais, n’a aucun souvenir de son père. Les biens d’Ulysse ont été pillés, le palais est occupé par de rivaux arrogants. Aucun de ses proches ne le reconnaît immédiatement, ni son fils, ni sa femme, ni son père (chant 24): il est méconnaissable à cause des haillons qu’il porte et qui le font ressembler au ‘pire des vieux pauvres’, à un ‘revenant’ (24.156). Lui-même n’est plus le même, en raison des longues années écoulées et des ravages psychologiques et physiques causés par la guerre. Il était utopique de croire à un retour au ‘même’, de faire abstraction des vingt années qui séparent le départ du retour. Avant qu’Ulysse atteigne son île, Athéna verse sur lui un ‘sommeil pareil à la paix de la mort’ (13.79-80), ce qui est une façon de traduire les étapes d’un retour: il faut d’abord oublier les maux de la guerre et l’homme qu’on était, avant de connaître une nouvelle aurore. De ce fait, l’arrivée d’Ulysse au lever de l’Aurore n’est pas anodine (13.93-95): c’est le symbole du nouveau départ qu’il prend. C’est bien un nouvel homme qui rentre chez lui comme le porcher le prédit sans le savoir: ‘ce n’est pas l’Ulysse d’avant qui reviendra’ (14.167). C’est peut-être aussi pourquoi Pénélope, dont le nom désigne l’oie-renarde, 11 est maîtresse de vingt oies et serait restée fidèle vingt ans. Cet amour devait fatalement trouver son terme au retour d’Ulysse. Dans un songe, Pénélope voit un aigle – Ulysse – tuer ses vingt oies qui sont confondues avec les prétendants: en même temps que ses rivaux, Ulysse tue son amour de jeunesse. L’Odyssée s’achève sur les pleurs d’Ulysse (23.231-232), expression de sa profonde mélancolie. Ceux-ci, d’abord suscités par la cruauté de sa femme, sont ensuite versés tard dans la nuit alors qu’Ulysse annonce à Pénélope qu’il doit repartir rapidement. La mélancolie gagne dès lors tous les proches du héros. 3. Nostalgie de Scipion l’Africain à Rome Scipion l’Africain est comparable à Ulysse en ce qu’il rentre lui aussi grand vainqueur des Carthaginois grâce à la bataille de Zama en -202, mais le général romain a pour lui ce que Pour Cantarella (2003, 96 et 97), "l’insoupçonnable Pénélope mène double jeu", voire "triple jeu". Voir l’article de Létoublon (2010), qui commente les problèmes d’identité qu’éprouve Télémaque, "comme c’est normal pour un jeune homme qui n’a jamais connu son père, parti quand il était encore au berceau". 11 Voir Bader (1998). 9 10 9 n’avait pas le roitelet grec: la jeunesse et une carrière politique extraordinaire devant lui. Malgré sa victoire, ses ennemis à Rome s’organisent: les attaques contre les agissements des deux frères, accusés de détournement d’une partie du tribut de guerre imposé à Antiochos, aboutissent à l’ouverture du procès des Scipion (de 187 à 184 avant J.-C.) qui met fin à leur carrière politique. L’ingratitude et l’hostilité dont Scipion fut l’objet de la part de ses concitoyens après ses exploits ont été relevées par les historiens dès l’Antiquité. Ceux-ci parlent de lui comme d’une victime de l’inuidia que suscita sa gloire, tout aussi paradoxal que cela parût aux yeux mêmes de Tite-Live par exemple (38.50.7) : Duas maximas orbis terrarum urbes ingratas uno prope tempore in principes inuentas, Romam ingratiorem, si quidem uicta Carthago uictum Hannibalem in exsilium expulisset, Roma uictrix uictorem Africanum expellat. ‘(Les uns disaient que) les deux plus grandes villes du monde étaient trouvées ingrates dans le même temps presque contre les principaux citoyens, mais que Rome était la plus ingrate des deux: quand bien même, vaincue, Carthage aurait chassé Hannibal vaincu en exil, Rome victorieuse chasse l’Africain vainqueur.’ (trad. pers.) Le scandale est souligné par l’historien: Rome expulse Scipion (expellat). En réalité, il s’est retiré de lui-même, en se réfugiant à Liternum, en Campanie, avant même sa comparution. À ses yeux, il n’avait pas à se justifier, ce qui pourrait être interprété comme la décision d’une âme forte (Liv. 38.53.8-11): Silentium deinde de Africano fuit. Vitam Literni egit sine desiderio urbis; morientem rure eo ipso loco sepeliri se iussisse ferunt monumentumque ibi aedificari, ne funus sibi in ingrata patria fieret. Vir memorabilis, bellicis tamen quam pacis artibus memorabilior, prima pars uitae quam postrema fuit, quia in iuuenta bella adsidue gesta, cum senecta res quoque defloruere, nec praebita est materia ingenio. Quid ad primum consulatum secundus, etiamsi censuram adicias? Quid Asiatica legatio, et ualetudine aduersa inutilis et filii casu deformata et post reditum necessitate aut subeundi iudicii aut simul cum patria deserendi? ‘Ensuite, on ne parla plus de l’Africain. Il acheva sa vie à Liternum, sans regretter la ville. On raconte que pendant qu’il agonisait à la campagne il ordonna d’être enterré sur le lieu même et d’y élever son monument, pour que ses funérailles ne se fissent pas dans une ingrate patrie. Homme mémorable, plus mémorable cependant par ses talents pour la guerre que pour la paix, la première partie de sa vie plus mémorable que la seconde, parce que dans sa jeunesse il passa tout son temps à faire la guerre, avec la vieillesse ses actions se flétrissent comme le reste, et aucune occasion ne fut proposée à son génie. Que fut par rapport à son premier consulat le second, même si on ajoute sa censure? Que fut la lieutenance d’Asie, rendue inutile par sa mauvaise santé, rendue stérile par le malheur de son fils, et, après son retour, par la nécessité ou de subir un jugement ou de rompre en même temps avec sa patrie?’ (trad. pers.) Pourtant, comme le suggère l’épitaphe que lui rédige Tite-Live dans une phrase nominale jouant habilement sur un polyptote (uir memorabilis… memorabilior), il fut plus grand dans la guerre que dans la paix. Qui formule cette évaluation subjective (cf. aussi defloruere fortement connoté), l’historien ou Scipion? On peut légitimement se le demander, étant donné que les deux questions en quid semblent relever d’un questionnement intérieur de l’ancien général dressant le bilan des deux parties de sa vie: il ressent l’ingratitude de Rome à son égard et énumère tout ce qu’il a perdu à son retour, malgré ses hauts faits de guerre. 10 Contrairement au poète épique à propos d’Ulysse, l’historien ne brosse aucun portrait ambigu de Scipion, caractérisé d’une manière laudative par son ingenium opposé au iudicium de la patrie. Autant Pénélope avait des raisons d’en vouloir à l’infidèle Ulysse, autant Rome n’avait aucun élément à charge contre Scipion. Contre ce dernier les compatriotes éprouvaient de la jalousie pure, alors que celle de Pénélope était de la jalousie féminine sans volonté de nuire aux rivales. Comme Ulysse, Scipion doit quitter sa chère patrie et le lapidaire exeo ‘je pars’ de l’extrait suivant (Sen. Ep. 86.2) suggère combien ce départ lui est amer. Le discours direct que lui prête Sénèque, en visite chez Scipion à Liternum, accentue la violence de cette amertume: ‘Nihil, inquit, uolo derogare legibus, nihil institutis. Aequum inter omnes ciues ius sit: utere sine mebeneficio meo, patria. Causa tibi libertatis fui, ero et argumentum: exeo, si plus quam tibi expedit, creui’. ‘Loin de moi, dit-il, la pensée de toucher aux lois, aux institutions. Que l’égalité demeure entière entre tous les citoyens. Jouis sans moi, ô ma patrie, du bienfait que tu as reçu de moi. J’ai été l’agent effectif de ton indépendance, je serai aussi la preuve effective de ta liberté: je pars, si tu estimes que j’ai atteint plus haut qu’il ne te convient.’ (trad. Noblot) Alors qu’on prête à Ulysse une longue vie, Scipion meurt à 53 ans, dans les aboiements de ses ennemis: Tite-Live recourt au verbe adlatrare ‘aboyer’ pour désigner les calomnies, les injures qui ont continué d’être proférées après sa mort par ses compatriotes, sans doute pour nous faire mieux percevoir la profonde douleur de Scipion (Liv. 38.54.1). Les commentaires d’historiens livrent donc de précieux témoignages sur la mélancolie de Scipion dont la fin de vie est sans rapport avec la gloire du jeune général. Cette mélancolie, l’acerbitas dont parle Valère-Maxime (5.3.2b), a été emportée jusque dans son tombeau puisqu’il y fit inscrire l’amère épitaphe suivante: Ingrata patria, ne ossa quidem mea habes, ‘Patrie ingrate, tu n’as même pas mes ossements’. Cette épitaphe est l’expression d’une profonde déception, presque d’une dépression nerveuse, étant donné qu’il meurt dans le même état de néant que celui dans lequel il a vécu la deuxième partie de sa vie. Dans une de ses lettres, Sénèque souligne, avec une étrange insistance, dans quel état de saleté se trouvait ce général si exceptionnel: il sentait mauvais, était sale. S’il est calamitosus ‘homme pouilleux, abattu, désespéré, en dépression nerveuse’, c’est parce qu’il n’a pas su vivre (Ep. 86.11). Tandis qu’Ulysse en repartant a su se trouver un toit royal pour finir sa vie, Scipion n’a eu droit qu’à un angulo, un tecto sordido (Ep. 86.5), c’est-à-dire une maison dans un état de délabrement semblable à celui de son esprit. Les prétendants au trône d’Ulysse convoitaient le pouvoir royal et l’épouse du roi. Que pouvaient bien jalouser ou craindre les compatriotes de Scipion? Le poids politique et la jeunesse ont pu inquiéter l’autorité sénatoriale, craignant la figure flamboyante de Scipion, du moins telle qu’elle apparaît dans le récit livien: Scipion était en effet présenté comme un jeune ambitieux dès l’année 205 devant le Sénat et ainsi caractérisé de impiger de manière très ironique.12 Comment les Anciens, qui ont su transcrire la mélancolie d’un retour associé explicitement à une ‘perte’, auraient-ils pu concevoir le nostos comme ‘le bon retour’, selon l’interprétation qu’en propose la linguistique moderne? En fait, ce n’est pas le ‘bon retour’ qui est perdu, c’est le retour en lui-même. 12 Voir Cimolino-Brebion (2004, 107). 11 4. *nes-: un ‘bon retour’? Le substantif νόστος appartient à la même famille étymologique que le nom d’agent Νέστωρ ou le verbe νέομαι,13 que les dictionnaires étymologiques associent à une racine i.-e. *nes- dont le sens premier serait ‘retour heureux, salut’ ou ‘survivre’.14 À l’appui, on cite skr. Nā́ satyā ‘(dieu) guérisseur’, v.-h.-a. nerian ‘sauver, guérir, nourrir’, v.-ang. ge-nesan ‘survivre, échapper au danger, être guéri, sauvé’, mots sur lesquels nous reviendrons. Or, tous les autres mots cités par la littérature appartenant à la même racine signifient ‘revenir’, avec plus ou moins de spécifications selon les auteurs (‘bien revenir, revenir de la mort, revenir vers la vie’…). Le latin red-itus, le français re-tour, l’anglais re-turn, l’espagnol re-greso, l’italien ri-torno, qui dénotent seulement le fait de revenir en arrière, ne sont pas faits sur le même modèle que le gr. νόσ-τος, qui semble apporter une précision supplémentaire par la racine même dont il dérive. Dans l’Antiquité déjà, on espérait un bon retour, mais c’est un adjectif qui peut porter la notion positive de ‘bon’: reditus… dulcis ‘un doux retour’ (Hor. Epod. 16.35), νόστος ἐτήτυμος ‘un vrai retour’ (Od. 3.241), νόστος ἀπήμων ‘un retour sans malheurs’ (Od. 4.519), νόστον… μελιηδέα ‘un retour doux comme le miel’ (Od. 11.100), φίλον … νόστον ‘un bon retour’ (Il. 16.82). L’évaluation subjective est portée explicitement par μελιηδέα et φίλον qui expriment le désir de celui qui revient de trouver dans sa maison l’affection qui lui a manqué. Nous formulons l’hypothèse qu’il s’agit là d’une association syntagmatique et cognitive constituée du nom du ‘retour’ et d’un qualificatif positif, qui n’est pas inhérente à la racine mais contextuelle. D’ailleurs, un retour peut être ‘mauvais’: celui des Grecs est décrit par Phémius comme ‘malheureux’ dans Od. 1.327-328, νόστον… / λυγρόν. Quand un héros s’en retourne, il ne précise pas qu’il ‘rentre heureux’, ainsi Ulysse faisant ses adieux à Arété (Od. 13.61): αὐτὰρ ἐγὼ νέομαι· σὺ δὲ τέρπεο τῷδ᾽ ἐνὶ οἴκῳ ‘De mon côté, je rentre chez moi; pour ta part, fais ta vie dans cette maison.’ (trad. pers.) L’article de Lamberterie (2014, 196), qui étudie le dérivé ἄσμενος, fait sur cette même racine *nes-, établit par des preuves philologiques irréfutables que le sens initial de ce participe ne comportait aucune notion subjective: "De fait, l’expression ἄσμενοι ἐκ θανάτοιο signifiait proprement, au départ, ‘étant revenus de la mort’, c’est-à-dire ‘ayant échappé à la mort’ (cf. φύγομεν θάνατον). Rien n’empêche assurément de continuer à traduire ‘heureux d’avoir échappé à la mort’, en suivant la tradition, mais l’essentiel est de suivre à la trace la filière sémantique dont l’aboutissement est, de fait, la ‘joie du salut’, comme le prouve le lien, assorti d’un écho verbal, entre ἄσμενοι et ἀσπασίως". Cet article nous a inspiré l’idée de vérifier l’absence de la notion d’une ‘joie’ ou d’un ‘salut’ dans le sémème initial de cette famille étymologique. Les deux mots sont associés aux deux extrémités d’un même vers de l’Odyssée, 1.87, νόστον Ὀδυσσῆος ταλασίφρονος, ὥς κε νέηται. 14 Pokorny (IEW, 766) *nes- ‘sich vereinigen, geborgen sein’ ; Mayrhofer (KEWA, II, 146) násate ‘tritt heran, nähert sich, sucht jmd. auf, vereinigt sich’ ; Chantraine (DELG, 744-745) "le sens original de la racine est la notion de retour heureux, de salut" ; Benveniste (1966, 172) ; Ruijgh (1967, 369-372) ; Frisk (GEW, 304-306) ; Frame (1978, passim) *nes- ‘to return from death and darkness’, comme l’attesterait en outre νόος ‘return from death’ ; Bader (1986, 483-483) : *nes- ‘survivre’ ; LIV2 (454455) ; García Ramón (2004) ; Kölligan (2007, 373-376). Malzahn (2007, 238), toutefois, postule un sens premier de ‘to approach/get near in joyful anticipation’, à partir notamment du tokh. B ñ(y)ās, A ñās « désir ». 13 12 Plusieurs indices suggèrent en effet qu’il y a eu probablement extrapolation, ou plutôt subjectivation15 dans l’évolution sémantique de *nes- que les langues ont connue dans leur histoire même (par un facteur sans doute cognitif), et reproduite telle quelle dans la restitution sémantique de cette racine au stade du proto-indo-européen par la linguistique moderne. Il semble préférable de supposer qu’au départ *nes- signifiait simplement ‘revenir à la maison’, sans notion subjective d’une joie ou d’un salut associés à ce retour16 et qu’ultérieurement s’est développé un rapport entre ‘revenir à la maison’ et ‘être sauvé’. On peut penser qu’au retour fut adjointe l’espérance de joies retrouvées et d’un salut assuré, même si les retours dans l’Antiquité (et sans doute aussi modernes) étaient rarement salutaires et heureux. Nous nous demandons s’il ne serait pas plus pertinent de considérer l’emploi de la racine dans la religion: elle a servi à désigner la maison (dans le monde grec) ou le trône (dans le monde égyptien) comme symbole du lieu où l’on revient vers son dieu pour être sauvé. C’est d’ailleurs cette racine qui a été choisie dans la bible gotique pour traduire le grec σῴζω, avec got. nasjan ‘sauver’. Plutôt qu’un ‘retour de la mort’, comme le pense Frame (1978, 128), on peut envisager un retour à d/Dieu, à sa maison originelle qu’est le Paradis, par une rédemption salutaire: saint Marc 5, 23, gr. ἵνα σωθῇ καὶ ζήσῃ = got. ei ganisai jah libai ‘pour qu’elle [ma fille] soit sauvée et vive’. De même, véd. Nā́ satyā ‘Guérisseur’ désigne peut-être initialement, en admettant qu’il ait un sens transitif et une forme de singulier comme le suppose Frame (1978, 138), un dieu ‘qui ramène’ (l’homme dans sa maison), donc ‘qui sauve’, selon une conception religieuse très ancienne du dieu solaire. 4.1. la formule homérique (ϝ)οἶκόνδε νέεσθαι # ‘rentrer chez soi’17 La formule homérique associant le nom de la maison à l’accusatif directif, ‘revenir à la maison’, est très fréquente et connaît de nombreuses variantes morphologiques et lexicales. Dans tous les contextes, il est question d’avoir la possibilité de retrouver sa maison, non d’y rentrer sain et sauf: Il. 2.354, 357, etc., οἶκον δὲ νέεσθαι; Il. 5.687, νοστήσας οἶκον; Od. 14.424, νοστῆσαι … δόμονδε; etc. Pour Frame (2009, 39), les deux notions, de ‘revenir’ et ‘à la maison’, sont portées respectivement par le verbe et le nom de la maison. Or, si la racine *nes- a donné à elle seule des noms de la ‘maison’ comme véd. ásta- ou gr. νεώς, il n’est pas improbable que la locution homérique οἶκόνδε νέεσθαι soit redondante; cette redondance pourrait s’expliquer par le lien très éloigné, à date historique (déjà en grec archaïque), entre la racine et la notion de ‘revenir à la maison’. 4.2. l’adjectif ἄσμενος Frame (1978, 10) avait émis l’hypothèque que le participe ἄσμενος n’avait pas initialement de valeur subjective, mais la restitution sémantique de la racine qu’il propose 15 Cette notion a été définie en linguistique par Traugott (1995, 31-35) et a été précisée par Traugott et Dasher (2002, 30): c’est un phénomène par lequel l’attitude ou les volontés du locuteur sont appliquées à des termes qui en soi ne portaient pas de charge subjective. L’opération de subjectivation concernant ἄσμενος ‘étant revenu’ interprété comme ‘étant sauvé, heureux’ correspond à la tendance sémantico-pragmatique III (Traugott, 1995, 31): le signifié tend à devenir de plus en plus l’expression de l’attitude subjective du locuteur à l’égard de la situation. 16 La reconstruction du sens original du gr. νέομαι ou du skr. násate par Benveniste (1966, 172) n’induisait aucune notion de ‘joie’ puisqu’il accordait à cette famille le sens originel de ‘revenir à un état familier. Stefanelli (2004, 197-198) considère aussi que le rapport des formes issues de la racine *nes- avec la notion de salut serait secondaire. La notice de Führer (LfgrE, III, col. 433-4, s.u. νόστος) traduit souvent νόστος par ‘Heimkehr’, ‘retour à la maison’, sans qualificatif. 17 Frame (2009, 39); Lamberterie (2014, 194). 13 reproduit une forme de subjectivité, tantôt positive, tantôt négative sur le retour (1978, 25 et 29): ‘return from death and darkness.’/‘return to life and light’. Lamberterie (2014, 196 et 198) a fourni l’explication à la subjectivation de cette famille de mots en montrant que l’adjectif ἄσμενος était initialement un participe de la même famille que νέομαι ‘étant revenu’, puis qu’il a exprimé la joie de rentrer chez soi: "évolution qui s’explique par la perspective subjective d’une heureuse issue du combat: ‘il en est revenu alors qu’il aurait pu y rester’". Nous ajouterons qu’il est d’ailleurs assez étrange que l’on puisse envisager de revenir de la mort sain et sauf. 4.3. l’adverbe νόσφι Dieu (2010, 51) reprend les deux hypothèses sémantiques qui ont été proposées au sujet de l’adverbe νόσφι: ‘sur le chemin du retour > en arrière’ ou ‘en lieu sûr > à l’écart’. Les données philologiques donneraient raison à la seconde interprétation parce que "νόσφι se rencontre majoritairement dans des contextes où l’éloignement se fait par rapport à une réalité dangereuse, ou pénible". N’est-ce pas la matière essentielle de l’épopée: les dangers, les tempêtes, la mort...? Il n’est pas exclu que ce soit la préposition suivie du génitif ou le génitif seul qui portent la valeur de l’éloignement. L’expression νόσφιν... πολέμοιο ‘loin de la bataille’ (Il. 6.443) est en effet initialement comparable à νοστησέμεν ἐκ πολέμοιο (Il. 17.240) ‘revenir du combat’, d’où ‘revenir sain et sauf du combat’. L’idée de sûreté peut être associée à une désignation initiale de la maison: envisager une action ‘par un retour à la maison’, c’est se mettre ‘en sécurité’, à l’écart du champ de bataille et d’autres maux. De même que le participe ἄσμενος, de ‘étant revenu’, a pris le sens de ‘s’étant sauvé, heureux’, de même νόσφιν fait sur un nom-racine *νώς issu de la racine *nes-18 a pu évoluer d’un instrumental ‘par le retour à la maison’ à l’adverbe-préposition ‘à l’abri, loin des maux’. Pour preuve, le formulaire homérique οἶκόνδε νέεσθαι # ‘revenir à la maison’ est comparable à l’expression νόσφι βεϐήκει # (Od. 13.164) ‘il s’en retourne à la maison’. Si l’on admet qu’il y a eu subjectivation de l’adverbe, il serait nécessaire de reprendre toutes les occurrences du mot, par exemple pour le vers cité plus haut, par lequel Hector dit à son épouse qu’il doit faire la guerre à l’extérieur des remparts de Troie: Il. 6.443, αἴ κε κακὸς ὣς νόσφιν ἀλυσκάζω πολέμοιο· ‘si comme un lâche, par un retour à la maison (> à l’abri, en sécurité), j’évite la guerre’. 4.4. le présent gr. ναίω, le substantif gr. νεώς et véd. ástaPlusieurs formes du grec et du sanskrit ont été liées depuis longtemps à l’idée de la ‘maison’ vue comme un ‘lieu de retour’. Fait sur le degré zéro remanié de la racine *nes-, *n°s- a donné naissance à un présent gr. ναίω ‘habiter, demeurer’, à un substantif gr. νεώς ‘temple’ < ‘demeure du dieu’). Le sanskrit atteste le présent radical thématique *nés-e/o- dans násate ‘retrouver les siens’, le présent redoublé *ní-ns- dans níṁs- ‘retrouver sa demeure’. Lamberterie (2014, 193) rend compte du sens des formes verbales: "Du point de vue de l’aspect verbal, ‘demeurer, habiter’ est le corollaire statique et résultatif du sens de ‘revenir chez soi’ que présentent les thèmes verbaux à valeur dynamique". Sur le degré réduit, le substantif neutre véd. ásta- a connu la même subjectivation que les mots grecs cités en 4.2. et 4.3.: ‘le séjour, la demeure’ ont été conçus comme des lieux d’accueil, notamment comme ‘lieux de retour, de paix, de joie’. Il est donc préférable de partir d’une racine signifiant simplement ‘revenir à la maison’, et non pas ‘revenir sain ou sauf ou heureux’. Il est juste question de rentrer chez soi, accessoirement en vie si possible. Selon la reconstruction appuyée par de nombreux arguments de Dieu (2010, 74). L’interprétation de l’instrumental ‘par un retour à la maison’ est de moi. 18 14 Le lien est si fort dans toutes les formes appartenant à la racine *nes- entre le ‘retour’ et la ‘maison’ (il est toujours question de revenir chez soi, auprès des siens) qu’il nous paraît plus pertinent de considérer que la racine contenait déjà le sème de ‘maison’. D’autres mots appartenant à des langues modernes ou à d’autres familles de langues que celle indo-européenne pourraient relever d’une racine *nes-, liée à la notion de la ‘maison’ vue comme le ‘lieu du retour’: 4.5. l’albanais knełem ‘je reviens à moi’. 4.6. sémitique *nwḫ ‘habiter’: hébreu biblique nåwåḥ ‘habiter, demeurer, se reposer’, naweh ‘habitation, lieu de repos, temple’. 4.7. moyen-égyptien: ns.t ‘siège, habitation > trône’. Conclusion La mélancolie, qu’elle soit celle d’Ulysse, de Scipion ou d’Ingrid Bettancourt, est la même. On ne peut revenir de la guerre comme on est parti. Les traumatismes sont autant physiques que psychologiques, et Homère qui le savait déjà en joue habilement, autant dans les traits physiques que dans les mots qu’il attribue au héros, à son épouse ou à son fils. Le retour ne peut être bon car le ‘revenant’ doit oublier l’homme du passé, acquérir une nouvelle légitimité sociale, politique et familiale, faire avec les traumatismes du passé et ceux du présent. La racine *nes- indo-européenne (ne se trouve-t-elle pas aussi dans des langues afroasiatiques?) n’a pas été choisie au hasard pour désigner ce retour particulier: alors qu’une langue comme le français ou l’anglais peuvent se contenter de dénoter le mouvement en arrière, le re-tour, le grec, le sanskrit, l’hébreu, l’égyptien précisent que ce retour se fait dans sa maison. Cette racine signifie donc plus probablement ‘revenir à la maison’. Cette maison, ce ‘chez soi’ devient un lieu de repos, de sécurité, autant qu’un lieu de retour à soi – ou à un nouveau soi. 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