de l`actualite des metaregles en management de projet
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de l`actualite des metaregles en management de projet
DE L’ACTUALITE DES METAREGLES EN MANAGEMENT DE PROJET Gramaccia, Gino Professeur Université Bordeaux 1 Tél. : 05 56 84 58 20 – E-mail : [email protected] Gardère, Elizabeth Maître de Conférences Université Bordeaux 1 Tél. : 05 56 84 58 20 – E-mail : [email protected] Mots clés : Métarègle RESUME François Jolivet a introduit la notion de métarègle pour désigner, dans le management des projets, le principe de la plus grande responsabilité possible laissée à l’équipe projet, notamment dans le choix des personnes, des méthodes, des fournisseurs et de la forme organisationnelle la plus appropriée. Ce principe, dit de subsidiarité, fait la part belle à ce que l’auteur appelle des facteurs soft : l’autonomie, le leadership, la confiance, la réactivité, l’initiative, l’adhésion aux objectifs du projet… Si, aujourd’hui, la preuve est faite de l’efficacité de ce principe, il reste que, dans certains secteurs ou types d’entreprise, il ne peut être transposé de manière mécanique, globale et indifférenciée. Nous nous efforçons de montrer, dans cette étude, l’actualité, la pertinence et parfois les difficultés de mise en œuvre du modèle de management par les métarègles ou de modèles similaires. Gino Gramaccia/Elizabeth Gardère 1 / 10 INTRODUCTION La notion de métarègle a été élaborée chez Spie-Batignolles par François Jolivet au début des années 80 [Jolivet et Navarre, 1993 ; Jolivet, 2003] pour le management de grands projets (entre 50 et 1000 millions de dollars) caractérisés par des environnements instables, des délais de réalisations très courts, une forte interdépendance des techniques. L’analyse des facteurs de succès communs de plus de 100 projets a permis de dégager un nombre restreint de directives générales pour l’action. Le « Petit livre vert » de chez Spie se résume à 17 métarègles portant sur le découpage des responsabilités, le processus de développement du projet, une gestion de projet intégrée et proactive, un choix de méthodologies appropriées, une grande sensibilité aux facteurs humains. Le management par les métarègles a des implications très fortes en termes de rationalisation des activités puisqu’il s’agit de prévoir, du moins dans certaines industries, des modes de régulation qui permettent de conjuguer, dans des processus transversaux, des styles de délégation et de contrôle parfois contradictoires. La question se pose alors de l’autonomie réelle des acteurs individuels dans de tels dispositifs. Nous souhaiterions analyser, dans cette courte étude, les difficultés de mise en œuvre de métarègles dans des secteurs de l’industrie où les principes d’autorégulation, d’autonomie « balisée », d’autocontrôle sont à l’origine d’un certain paradoxe. Au principe d’autonomie, dit de subsidiarité [Jolivet, 2003] s’ajoute une très grande vigilance communicationnelle qui s’exprime en termes de transparence, d’accès immédiat aux informations critiques, de vitesse de transmission des mauvaises nouvelles, le tout contraignant chaque acteur à développer des capacités d’anticipation analytique dans des processus de changement techniques et organisationnels constamment déstabilisés par des événements extérieurs (marché) et intérieurs (pannes, défauts qualité, erreurs de conception…)1. 1. HYPOTHESE DE BASE : L’HYPERTELIE DES SYSTEMES Le contrôle d’un processus de changement ou d’innovation repose sur la maîtrise d’un événement irréductible : l’ajustement d’un système, quelle que soit sa taille ou sa fonction, à son environnement d’intégration ou méta-système. La notion susceptible de rendre compte d’une telle opération est à coup sûr celle proposée en son temps par le philosophe de la technique Gilbert Simondon, à savoir l’hypertélie. Emprunté à la Biologie, l’hypertélie est définie comme l’excroissance exagérée de certains organes susceptibles de provoquer une gêne. Les défenses de mammouth sont un exemple devenu classique d’hypertélie. Transposée à l’univers des objets techniques, cette notion peut expliquer les effets d’excroissance fonctionnelle propres à certaines machines, ou encore de cette quête infinie d’utilité motivée par l’hypothèse que se font les spécialistes du marketing des capacités du marché à absorber ces effets d’excroissance. Gilbert Simondon utilise l’expression en un sens négatif. Il dit que « l’évolution des objets techniques manifeste des phénomènes d’hypertélie qui donnent à chaque objet technique une spécialisation exagérée et le désadaptent par rapport à un changement même léger survenant dans des 1 Chatzis, C. (1999). De l’autonomie par l’indépendance à l’autonomie dans l’interaction. In L’autonomie dans les organisations : quoi de neuf ? Paris : L’Harmattan, p. 35. Gino Gramaccia/Elizabeth Gardère 2 / 10 conditions d’utilisation ou de fabrication »2. En somme, l’introduction d’une méthode de production nouvelle, la découverte d’une niche commerciale, l’exploitation d’une nouvelle matière première, les formes multiples qu’emprunte toute tentative d’adaptation d’un système technique ou organisationnel à un environnement spécifique sont des processus d’innovation présentant des risques d’hypertélie. En revanche, Simondon parle volontiers de progrès lorsque les objets techniques sont libres dans leur évolution et ne sont pas, par conséquent, entraînés dans une hypertélie fatale. Un nouvel organe ne se maintient que s’il réalise une convergence systématique et plurifonctionnelle avec d’autres organes. L’organe est la condition de lui-même. Dit comme cela, les relations fonctionnelles qu’entretiennent les objets entre eux sont susceptibles de produire un environnement « techno-géographique » qui constitue, après coup, la justification de cet objet. Appliquée aux organisations, cette notion serait pertinente pour rendre compte des impasses logiques qui résultent d’antagonismes ou de conflits susceptibles d’entraîner l’échec d’un projet ou, au pire, la mort de l’entreprise en dépit des efforts d’analyse préventive des risques. Nous parlerons d’hypertélie à propos d’analyse organisationnelle lorsque deux processus (au moins) entrent en conflit sur des critères de durée et de coûts : associée à la notion d’hyperfonction, qui impose à l’entreprise de fortes contraintes de flexibilité, l’hypertélie est un facteur de risque de désarticulation, de « non-jointure », dans les processus d’intégration technologique. D’où les risques de conflits logiques ou d’aporie entre les logiques espérées d’hyper fonction et les effets négatifs de l’hypertélie : il y a aporie lorsque l’hypertélie inhibe la résolution des problèmes liés à l’hyperfonction, sachant que cette impossibilité est toujours liée à des impératifs de temps et de coûts. Dans une étude plus vaste, il nous faudrait démontrer que, dans notre modernité, seule une population d’experts, parce qu’ils sont armés d’une compétence spécifique (caractérisée par une obsolescence rapide) est à même de résoudre sur le terrain les problèmes liés à l’hypertélie d’ordre technique ou organisationnel. En bref, une hypertélie non résolue explique, à un moment donné de la vie d’un système, ce qu’il est convenu d’appeler communément la complexité. En revanche, l’organisation classique, dite fonctionnelle, est moins sujette aux difficultés liées à l’hypertélie dans la mesure où elle est globalement déterminée par des opérations ou des processus répétitifs, objectivables et plus aisément contrôlables. L’émergence de risques hypertéliques expliquerait alors qu’on délègue sur le terrain des opérations des experts globalement contrôlés par des métarègles. D’où, corollairement, la disparition constatée de collectifs ouvriers définis seulement sur des critères professionnels au profit de « missionnaires » experts individuels recrutés et mandatés sur des critères de compétences pluridisciplinaires (ils conjuguent une compétence d’ingénierie, un savoir-faire gestionnaire et des qualités d’engagement, de réactivité et de loyauté). 2. LES CAS ETUDIES : THALES SYSTEMES AEROPORTES ET UPSA Nous appuierons nos réflexions sur deux enquêtes réalisées dans deux grandes entreprises implantées dans le Sud-Ouest de la France : Thalès Systèmes Aéroportés et UPSA (Groupe (Groupe Bristol-Myers Squibb). Le management de ces entreprises est aujourd’hui conforme aux normes Qualité ISO 9001. 2 SIMONDON, Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1989, p. 50. Gino Gramaccia/Elizabeth Gardère 3 / 10 2.1. Thalès Systèmes Aéroportés (TSA) TSA est né en 2000 de la fusion de Dassault Electronique et de Thomson CSF. Les activités du Groupe Thalès portent, entre autres, sur la conception et la fabrication d’équipements électroniques embarqués (radars) destinés aux avions militaires tels que le Mirage 2000 ou le Rafale dans des domaines technologiques très diversifiés : l’hydraulique, l’aérolique, l’électronique analogique et numérique, de puissance, les calculateurs, la mécanique de précision. Chez Thalès – et ceci est particulièrement vrai du domaine de l’armement –, le management est sensible à la difficulté de concilier les objectifs qualité (et de façon générale, l’équilibre des facteurs déterminants : coûts, délais, technique) et les contraintes hypertéliques liées à la complexité d’intégration de sous-systèmes sur la durée de vie du système complet (le radar, par exemple). Il s’ensuit des modes de rationalisation, parfois difficilement compatibles compte tenu des conflits de durée intervenant entre les processus de gestion de la qualité et les processus techniques de développement et d’intégration. On sait que le cycle de vie d’un radar est long : la séquence de développement est estimée à dix ans, suivie d’environ cinq ans de production pour la mise en série du produit, et le cycle se poursuit encore par le traitement des obsolescences garanti de quinze à trente ans selon le produit afin d’assurer le maintien des conditions opérationnelles (MCO) du radar, ce qui suppose une production de stocks suffisants pour pérenniser le produit sur la durée initialement définie. Quels sont les éléments en opposition susceptibles d’entraver le raisonnement stratégique et donc de former une contradiction ? D’un côté, la logique incrémentale de l’innovation technologique (apparition d’une nouvelle famille de composants, amélioration fonctionnelle d’un logiciel…) impose des rythmes d’obsolescence toujours plus rapides ; de l’autre, l’ingénierie de conception et de production, ainsi que la normalisation des modes opératoires, exigent des temps de développement et de fonctionnement longs et incompressibles. D’un côté encore, la variabilité des marchés et la diversité des besoins (liée souvent, pour les clients, à leur capacité de financement3) conduit, dans la conception des produits et des services, à toujours plus de flexibilité fonctionnelle (l’hyperfonction) ; de l’autre, l’implication et la fidélisation des clients dans la chaîne de la valeur requièrent des formes de contractualisation stables. Dans un tel contexte, comment concilier la logique hyperfonctionnelle, imposée par le marché, celle qui permet de toujours mieux anticiper les besoins d’application et les risques hypertéliques liés aux contraintes d’intégration technologique ? Chez Thalès, la démarche rationnelle reprend tous les éléments méthodologiques du management de projet. Quatre métarègles méritent d’être soulignées dans cette entreprise, très orientée projet : - La contractualisation. Le management de projet permet d’éviter qu’un écart ne se creuse entre la demande du client et le produit final. Aussi, la politique de Thalès est d’établir systématiquement une interface client qui va accompagner le projet de sa phase d’initialisation à sa clôture. Le dossier justificatif de définition est régulièrement confronté aux exigences de départ du client et est joint au contrat pour s’assurer qu’à la livraison, le produit final, ayant fait l’objet d’un suivi et d’adaptations, soit conforme à l’attente initiale. 3 Le niveau d’exigence qualité est évidemment fonction des budgets offerts. Pour Thalès, l’Arabie Saoudite a, par exemple, un très haut niveau d’exigence qualité. Les risques d’aporie sont donc majeurs. Gino Gramaccia/Elizabeth Gardère 4 / 10 - La double compétence. Deux types de responsables sont associés dans la gestion de ces processus : le chef de projet et le chargé d’affaires. Le premier est responsable de la phase développement jusqu’au prototype et traite directement avec le client jusqu’à la signature du contrat. Le chargé d’affaires est responsable de la phase industrielle, de la mise en service et de la maintenance en conditions opérationnelles des systèmes (MCO). Cette double compétence croisée crée des interactions favorables pour le contrôle transversal des processus. - La gestion au « plus près » des processus. Les outils de contrôle sont conçus de manière à favoriser une accessibilité maximale à l’information critique et à chaque tâche correspond un responsable. La précision des plannings s’affine jusqu’à la tâche MCO demandée par le client. Cette approche analytique permet une gestion en temps réel de processus « en train de se faire » et de maîtriser les risques d’hypertélie. - L’hyper-transparence. C’est le client qui met à jour le planning et non le fournisseur. Ainsi, le client valide en temps réel l’avancement du projet et les phases de réalisation du produit en fonction de son référentiel. Cette solidarité opérationnelle vise l’hyper-transparence et ce qui est censé en découler : la prévention des conflits. La mise en place de règles et d’un contrôle très formel permet d’associer davantage le commanditaire du projet. Précisons que le référentiel de Thalès Aquitaine est une déclinaison d’un référentiel standard conçu au niveau du Groupe. Cette formalisation présente l’avantage indéniable de d’associer au mieux le commanditaire au projet. 2.2. UPSA (Groupe Bristol-Myers Squibb) Le groupe Bristol Myers Squibb (BMS) fait partie des dix plus grandes sociétés pharmaceutiques au monde (neuvième place) tant pour la fabrication de médicaments qu’au niveau de la conception et la recherche de nouvelles molécules. BMS France est la première filiale du groupe hors Etats-Unis. Elle se positionne au 5ème rang des groupes pharmaceutiques sur l’hexagone. Les laboratoires français UPSA (Union de Pharmacologie Scientifique Appliquée) font partie depuis 1994 du groupe américain BMS. Les sites Agenais sont les plus productifs des 32 complexes industriels de BMS dans le monde avec, entre autres, 395 millions de boîtes de médicaments produites en 2004 (410 millions prévus pour 2005). Nous focaliserons notre analyse sur le management de projet de rénovation interne4 et plus spécialement sur les modes de structuration de projet de taille moyenne (500k€). Les sites de production d’Agen ont prévu un mode transversal de coordination de projet : quatre niveaux de coordination sont aménagés pour assurer l’intégration cohérente des projets au sein de l’entreprise sur la demande d’un commanditaire interne : - Le responsable de projet (RDP) désigné comme coordonnateur des différentes instances du projet en raison de ses compétences techniques et de qualités relationnelles reconnues par sa hiérarchie. 4 Les auteurs ont dirigé un mémoire de Licence Professionnelle portant sur l’implantation d’une laverie automatique (2005) présenté par Frédéric Fourlenti. Gino Gramaccia/Elizabeth Gardère 5 / 10 - L’équipe projet (EP) qui réunit, autour du responsable de projet (RDP), différents contributeurs5 métiers (production, maintenance, assurance qualité, environnement, hygiène & sécurité, qualification industrielle et opérationnelle, méthodes, validation, achats). Le responsable de projet est le garant du bon déroulement du projet. L’équipe est chargée de définir tous les paramètres du projet tout en s'appuyant sur le processus de gestion de projet de BMS. - Le bureau de coordination projet (BCP) composé du RDP, du responsable futur utilisateur (RFU), d’un coordonnateur projet (CP). Le responsable de projet reporte rend compte mensuellement des travaux de l'équipe projet auprès du BCP. Ce bureau vérifie, valide l'avancée du projet et les décisions prises par l'équipe projet. Si une décision sort du cadre de responsabilité de l'équipe projet, elle peut être validée par le BCP ou remontée au Comité de Pilotage de Projet de Développement Industriel. - Le comité de pilotage projet développement industriel (CPPDI), composé des différents directeurs d’unités et du coordonnateur du projet, lequel transmet auprès de ce comité les conclusions de chaque BCP. A la demande du BCP, le responsable de projet présente aux membres du CPPDI des solutions, une validation du budget, demande une décision ou une réorientation du projet. L’ensemble de ce dispositif, réactivé à la demande, est destiné à fournir une aide au lancement et à la coordination des nombreux projets internes à l’entreprise. Parce qu’il assure en même temps un travail de capitalisation de l’expérience projet, il permet de pérenniser et d’enrichir une forte culture de la responsabilité individuelle et collective autour des principes fondamentaux de la qualité. Dans cet exemple, il s’agirait d’une méta-structure qui répond en somme à un triple besoin : assurer le management des projets internes par la gestion analytique rigoureuse des interfaces entre la sphère du projet (émergente) et les espaces métier, se porter garant des facteurs de succès et des meilleures pratiques pour les projets ultérieurs, transmettre des règles d’action valables pour des projets similaires et non pas simplement des « styles individuels » 6. Précisons qu’un référentiel méthodologique, le Stage Gate Process, constitue le socle didactique pour l’ensemble des acteurs impliqués dans un projet. Son principe, très voisin de celui précisé par l’AFNOR-AFITEP, repose sur la notion d’étape d’approbation : une porte (gate) ne peut être franchie qu’au terme de la mise en œuvre scrupuleuse des instructions relatives à chaque étape. Un tel dispositif a pour but d’assurer la prévisibilité globale des interactions dans un processus d’innovation aux impacts multiples. Dans notre exemple, la métarègle première intervient explicitement dans ce que la méthodologie adoptée appelle le cadre projet (ou la Recognition Check List) qui se résume à l’expression du besoin, la description du projet, sa justification en regard des normes d’hygiène et de sécurité, les points durs, les relations d’interdépendance avec les autres projets, le tout au format d’une page A4. Dans ce cas, la métarègle définit le programme de la coopération : elle exprime les interdépendances nécessaires entre les acteurs mais ne les « sature » pas, au sens où un tel programme contiendrait « la plus grande quantité possible » de règles spécifiques. Pour reprendre une terminologie plus philosophique, on peut dire que, dans notre exemple (lequel rejoint, somme toute, le 5 6 L’expression « contributeur » a spécifiquement cours dans l’entreprise. Gilles Garel, Le management de projet, La Découverte, 2003, p. 109. Gino Gramaccia/Elizabeth Gardère 6 / 10 cas général) métastructures (BCP, etc.) et métarègles surdéterminent les activités du responsable de projet. Processus de détermination multiple résultant de la combinaison d’un certain nombre de causes, la surdétermination s’explique ici (mais ceci vaut également pour Thalès) par l’ensemble structuré des facteurs traditionnellement à l’origine d’un projet. On peut distinguer entre autres : - Constat d’une hypertélie négative (chez UPSA, la laverie d’une unité de production n’est plus conforme aux normes d’hygiène et de sécurité et les risques de contamination sont devenus réels). - Expression du besoin et spécifications techniques rigoureuses. - Définition des interdépendances avec les autres projets internes en cours. - Cadres budgétaires. - Supervision et validation par les structures de coordination (BCP, CPPDI). De tels facteurs fixent le cadre général de l’action de manière à « baliser » l’autonomie de l’acteur [Garel, 2003], à le responsabiliser sur le résultat et non plus sur l’application scrupuleuse des référentiels standards s’appliquant à l’organisation classique. A partir d’un tel contexte de facteurs, il faut identifier les critères susceptibles de justifier l’autonomie du responsable de projet et de son équipe : 7 8 - Le premier critère est la dimension locale de l’action : c’est dans la sphère du projet que sa responsabilité se mesure essentiellement. Les structures de coordination (BCP, CPPDI) contribuent à l’intégration et au pilotage aux interfaces de l’équipe de projet, autrement dit au maintien de l’intégrité de sa sphère d’action. - Le second critère est défini par la mise en œuvre de savoirs de conception, notamment lors de l’élaboration du plan de la spécification du produit dont on sait qu’il est établi sous la responsabilité du responsable de projet7. Cette responsabilité mobilise des savoirs techniques et gestionnaires relatifs aux exigences opérationnelles liées à l’utilisation du produit, à sa conception et aux essais. Dans le récit du projet, cette épreuve (au sens narratif) est capitale puisqu’il s’agit de mobiliser et de croiser des connaissances dans une sphère organisationnelle en construction. - Le troisième critère est lié aux facteurs relationnels ou ce que François Jolivet [2003] appelle des facteurs soft : l’autonomie, le leadership, la confiance, la réactivité, l’initiative, l’adhésion aux objectifs du projet… Ces attitudes moralement qualifiées constituent le socle d’une compétence encore diffuse mais qui ne s’évalue qu’en termes de performance individuelle au moyen de normes dont le contenu dépend directement des facteurs de succès. La compétence devient ainsi, selon un auteur comme David Courpasson, « l’expression de valeurs gestionnaires de certaines valeurs privilégiées par les gouvernants de l’organisation »8 directement déterminées par des normes objectives de succès. Cf. norme ISO 8402. Courpasson, D (2000), L’action contrainte, Paris : PUF, p. 218. Gino Gramaccia/Elizabeth Gardère 7 / 10 3. LA METAREGLE ET SES PARADOXES La métarègle augmente le pouvoir de décision de l’individu tout en différant l’exercice du contrôle hiérarchique. La planification des réunions d’avancement permet précisément de différer au résultat le pilotage du projet. La solitude de l’acteur face au tableau de bord est finalement paradoxale : astreint à produire du succès, disposant de peu de marge de manœuvre (le droit à l’erreur de F. Jolivet), prié de ne jamais ne pas transmettre une information critique à N+1, observateur réflexif et vigilant de sa propre pratique, il se présente en vérité comme le partenaire le plus proche du client et en définitive celui qui met le mieux en œuvre les métarègles de portée générale : celles, exogènes liées aux exigences qualité contractuelles définies par le marché et celles, endogènes, définies par les spécifications du plan de management. Au fond ne s’agit-il pas de substituer à la stratégie de l’acteur, au sens de la sociologie des organisations, une stratégie institutionnalisée par la procédure ? C’est le sens précis que nous donnerons au principe de subsidiarité : déléguer par la procédure dans le but explicite d’éliminer les jeux de pouvoir tournant autour des zones d’incertitude (cette expression est fondamentale dans l’analyse stratégique de Crozier et de Friedberg). Autrement dit, le pouvoir est désincarné et réinjecté dans la métarègle subsumant les règles jugées les plus efficaces. Il faudrait noter aussi que le pouvoir réel de l’expert (il est seul juge sur le terrain des opérations de la pertinence fonctionnelle des solutions d’intégration des sous-systèmes pour prévenir l’hypertélie et seul auteur des innombrables micro-décisions qu’il prend au fil des événements) est contrarié par l’attitude contrainte que nous appelions plus haut la vigilance communicationnelle. L’optimisation des savoir-faire collectifs dans laquelle la communication est employée comme mode de gestion d’incidents et comme une technique de régulation des conflits et de recherche de compromis, est rendue possible, si l’on y regarde de plus près, par les techniques de prescription non pas des tâches mais des attitudes. C’est ce que dit explicitement Pierre Veltz : « Dans la prescription de la subjectivité, qui remplace […] la prescription opératoire des gestes tayloriens, la disponibilité et la motivation deviennent des comportements exigibles »9. C’est également l’avis de Philippe Zarifian lorsqu’il oppose une « version faible de la coopération, fondée pour l’essentiel sur une meilleure coordination des tâches, à une « version forte » enrichie d’intersubjectivité et d’intercompréhension10. Mais si, comme l’indique encore le premier auteur, « la tendance est de définir le travail subordonné, quel qu’il soit, comme une prestation à accomplir, un résultat à obtenir, et non plus comme un programme à suivre »11, c’est en raison de contraintes toutes pragmatiques : le plan de management prescrit certes des attitudes mais ne prévient pas toujours, loin de là, l’hypertélie des systèmes (les difficultés d’intégration qui surgissent aux interfaces). Il faut donc faire confiance et la confiance est ellemême une métarègle. Ainsi les métarègles permettent-elles, dans une certaine mesure, une rationalisation a posteriori : s’il peut être raisonnable d’agir d’abord et de comprendre ensuite12, c’est en raison de la pratique, usuelle, en management de projet, du retour d’expérience. La métarègle est d’abord un rappel, un condensé de règles déjà apprises avant d’être une « règle à produire des règles », selon l’expression de François Jolivet. 9 Veltz, P. (2000). Le nouveau monde industriel, Paris : Gallimard, p. 203. Philippe Zarifian, Le travail et l’événement, L’Harmattan, Paris 1995, p. 225 11 Idem, p. 188. 12 André-Charles Martinet, « James March, un refondateur de la pensée stratégique ? », in : Revue Française de Gestion, vol. 28, n° 39, juillet-août 2002, p. 164. 10 Gino Gramaccia/Elizabeth Gardère 8 / 10 Malgré tout des ambiguïtés sont possibles. Examinons rapidement un autre cas industriel. Dans cette entreprise spécialisée dans le découpage automatique de tissus (1500 salariés), les activités de développement de systèmes de découpage sont organisées en plateaux de projet. De tels plateaux emploient tous les métiers utiles à la conception et à la réalisation de ces nouveaux systèmes (mécaniciens, électrotechniciens, informaticiens) pour des temps de développement très longs. Ce mode d’organisation a pris un tel essor dans cette entreprise qu’il devenait urgent de restaurer des liens entre professionnels d’un même métier. Des réunions d’échange d’expérience (deux heures bi-mensuelles) et de courtes sessions de formation ont été alors organisées, avec l’objectif de maintenir le meilleur équilibre entre les compétences métiers et, surtout, de capitaliser des connaissances sur les technologies-clefs de l’entreprise. Ces initiatives ont rencontré des résistances, en dépit d’une très méticuleuse préparation (les programmes des réunions sont annoncés jusqu’à 18 mois à l’avance). Parmi les causes possibles, on pourra noter ce paradoxe : le passage au « tout projet » a permis de « réinventer », à propos des projets, les logiques de cloisonnement propres aux services traditionnels. Les plateaux se comportent comme des services gestionnaires d’activités projet et à ce titre, font valoir leurs priorités. Avec cette différence qu’il ne s’agit pas ici de défendre des intérêts acquis ou des questions de territoires comme dans l’organisation traditionnelle, mais plutôt de s’en tenir aux priorités des tâches opérationnelles du projet et ce, dans l’intérêt supposé du client. Ce cas met en lumière les difficultés d’une transition de métarègles gestionnaires, tout entières dédiées à un projet, vers des métarègles d’ordre plus transversal, mais aussi, dans une certaine mesure, plus mémorielles puisque, en principe, destinées à capitaliser l’expérience acquise. Autrement dit, le corporatisme d’entreprise (le modèle d’Aoki) aurait cédé la place à un « corporatisme de projet ». CONCLUSION Les métarègles permettent d’inventer une coopération d’un nouveau type : on coopère pour produire des solutions d’interface technique et organisationnelle au plus près de l’action pour la maîtrise d’événements organisationnels et techniques complexes. On coopère également pour apprendre ensemble à produire de telles solutions. Mais la notion de métarègle hésite entre formalisation et flexibilité13, entre rapidité et temps d’apprentissage, entre pragmatisme et éthique (les valeurs « soft »). Tantôt elle se confond avec un référentiel classique dont le niveau de détail dans la formalisation est tel qu’il entrave toute improvisation, tantôt elle favorise justement l’improvisation organisationnelle. Finalement elle apparaît comme un modèle ajustable en fonction des contraintes hypertéliques ou des marges d’improvisation spécifiques à tel ou tel projet. Or de telles marges sont drastiquement réduites dans les secteurs que nous venons d’étudier. La complexité technologique des systèmes en jeu, associée à des contraintes exogènes de qualité ou de maintenance opérationnelle, force à la formalisation même si, on le sait bien, l’industrie pharmaceutique ou militaire doit faire face à de fortes turbulences. En d’autres termes, le « bricolage », au principe du courant de l’improvisation organisationnelle [Cunha et al, 1999], n’est pas nécessairement souhaité dans cet univers industriel. Pour être réduites, les marges de liberté ne sont pas niées : 13 Frédérique Chédotel, « L’improvisation organisationnelle », in : Revue française de gestion, vol. 31 – Numéro 154 – Janvier / février 2005, p. 126. Gino Gramaccia/Elizabeth Gardère 9 / 10 Revenons sur l’exemple d’UPSA : le responsable de projet a pris la décision de faire valoir une solution pertinente auprès de sa hiérarchie, en l’occurrence l’installation au sein de l’équipement prévu d’une laverie automatique : un calcul de rentabilité a rapidement fait apparaître qu’il s’agissait d’une solution financièrement et techniquement avantageuse. C’était une marge de liberté judicieusement mise à profit, une réponse globale aux risques d’hypertélie, une application pertinente de la notion de métarègle. BIBLIOGRAPHIE AFITEP, Projets : des méthodes et des outils, La Cible, n°105, août 2005. Cazaubon, C., Gramaccia G., Massard G. (2004), Management de projet technique, Paris : Ellipses. Chatzis, C. (1999). De l’autonomie par l’indépendance à l’autonomie dans l’interaction. In L’autonomie dans les organisations : quoi de neuf ? Paris : L’Harmattan. Courpasson, D (2000), L’action contrainte, Paris : PUF. Garel, G. (2003). Le management de projet, La Découverte, 2003 JoIivet F. & Navarre C. (1993) « Grands projets, auto-organisation, méta-règles », in : Gestion 200 n° 93-2, avril. Cf. également: http://www.fas.ulaval.ca/personnel/vernag/GPI/Textes/Jolivet-Navarre.html Jolivet F. (2003). Manager l’entreprise par projets, EMS Editions. Simondon, G. (1989). Du mode d’existence des objets techniques, Paris : Aubier, 1989. Veltz, P. (2000). Le nouveau monde industriel, Paris : Gallimard Gino Gramaccia/Elizabeth Gardère 10 / 10