face à ses démons
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face à ses démons
Présenté par La finance FA C E À S E S D É M O N S Un supplément de CONSEILLER.CA Juin 2010 Des entretiens avec : • Dan Ariely • Jeremy Grantham • Tom Hourican • Sean Sherrin La finance • Jason Zweig …et plusieurs autres à l’occasion de la 63e conférence annuelle du CFA Institute. FA C E À S E S D É M O N S 4 La titrisation n’est pas morte La pratique de vendre des titres de créances reprendra du service, sous un nouvel emballage. 5 Vos commissions sont-elles éthiques ? La rémunération des conseillers serait en conflit avec les intérêts des clients. CONSEILLER.ca | La finance face à ses démons 7 La déontologie est-elle en chute libre ? L’industrie des services financiers est devenue un ring de boxe où il n’y a plus d’arbitre. 10Selon l’histore, octobre rime avec risque Les investisseurs qui ont le goût du risque devraient peut-être conserver leurs liquidités jusqu’en octobre. Juin 2010 2 La titrisation n’est pas morte La pratique de vendre des titres de créances reprendra du service, simplement sous un nouvel emballage. Steven Lamb, journaliste au Groupe Conseiller L a titrisation de créances n’a pas disparu : elle est simplement en hibernation, selon un groupe d’experts réunis au 63e congrès annuel du CFA Institute, à Boston. Même si elle figure en bonne place dans le bataillon des démons qui ont consumé des billions de dollars des portefeuilles du monde entier, la pratique de vendre des titres de créances sous un nouvel emballage reprendra du service. La communauté mondiale des investisseurs est avide de produits en dollars américains avec une cote de risque AAA et ne répugne pas de se saigner à blanc pour en payer le prix, affirme Sean Sheerin, codirecteur, groupe des titres adossés à des titres de créances immobilières commerciales pour DA Capital. À preuve, il signale la flambée des prix des effets du Trésor américains, malgré l’offre abondante de titres de créance du gouvernement des États-Unis. Entre temps, le marché de l’habitation des ÉtatsUnis génère des billions en dettes hypothécaires susceptibles, une fois adéquatement refondues, d’être à nouveau titrisées avec une cote AAA. « Il y a sûrement un moyen de réunir ces deux éléments », estime M. Sheerin. CONSEILLER.ca | La finance face à ses démons La source de la crise du crédit de 2008 n’était pas la pratique de la titrisation en soi, allègue M. Sheerin, mais l’usage qui a été fait de ces titres. « La titrisation n’est pas plus funeste qu’une pelle. Mais vous pouvez tuer quelqu’un en lui donnant un coup de pelle sur la tête. » En fait, la titrisation de dettes à la consommation et de créances commerciales a dispersé le risque et renforcé le système financier, comme c’était le but, ajoute-t-il. Le hic, c’est qu’après avoir accordé les prêts, des banques qui n’ont pas réussi à vendre les titres adossés à créances (TAC) avec la marge souhaitée en ont modelés plusieurs sous forme de titres adossés à des créances avec flux groupés (TACFG) et les ont servis à l’enseigne d’instruments de placements spéciaux. Trop souvent, chacune de ces étapes ajoutait au potentiel de gravité de problèmes éventuels. Mais le véritable ennui, c’est que le prêt hypothécaire d’origine se retrouvait comptabilisé sous trois ou quatre formes différentes dans les livres de l’émetteur d’origine. Le risque n’était donc pas dispersé, contrairement au but de la manœuvre. Juin 2010 3 « Du point de vue d’un investisseur, Aux États-Unis, les émissions de TAC ont atteint leur sommet en 2006, comptant pour mille milliards de dollars, mais elles avaient déjà fondu comme neige au soleil en 2008, à seulement 200 milliards $US, déclare M. Hourican. Cette somme phénoménale se composait d’hypothèques commerciales, de prêts automobiles, de prêts par cartes de crédit et, oui, également de ces hypothèques résidentielles aujourd’hui si infâmes. En 2004, les titres adossés à des créances immobilières résidentielles (TACIR) constituaient 65 % de l’ensemble du marché des titres adossés à des actifs. Cette proportion est tombée à un maigre 2,2 % en 2008 et à zéro en 2009 et 2010. Quand la paralysie a frappé en 2008 le marché des titres adossés à des actifs, les écarts entre ces produits et les effets du Trésor ont explosé. L’information est beaucoup plus discrète sur le fait que ces écarts sont retombés et qu’ils sont à présent à peine plus élevés qu’avant la crise du crédit. Heureusement, les prêteurs demeurent capables d’octroyer des crédits car les dépôts sont une source de capital extrêmement bon marché grâce à une politique monétaire tout aussi accommodante, explique Tom Hourican, directeur général et chef de la gestion de risque des titrisations pour la Société Générale. Bien que les Américains soient la cible d’appels au désendettement répétés, M. Hourican craint qu’une contraction du crédit ne se traduise par une réduction dramatique de l’économie. Du fait de la désintermédiation du risque, la titrisation profite indubitablement aux initiateurs des prêts, mais elle procure aussi des bénéfices aux investisseurs, estime Jennifer Quisenberry, spécialiste en catégorie d’actif chez General Re–New England Asset Management. « Du point de vue d’un investisseur, je pense que le principal attrait de la CONSEILLER.ca | La finance face à ses démons le principal attrait de la titrisation est la latitude de ne se préoccuper que du rendement et des caractéristiques des biens nantis.» titrisation est la latitude de ne se préoccuper que du rendement et des caractéristiques des biens nantis. » La seule entrave au retour de la titrisation de gros est la nouvelle réglementation qui devrait faire partie de la réforme financière attendue de Washington. « Aujourd’hui, plus que jamais, l’avenir de la titrisation ne dépend pas des forces du marché mais de la réglementation, constate Jeffrey Prince, directeur général de Babson Capital Management. L’avenir de la titrisation est ce que Washington voudra qu’il soit. » En conséquence, les banques effectueront moins de titrisations et les investissements privés combleront une partie du vide. Ces occasions seront sans doute plus intéressantes pour les investisseurs – en général des investisseurs institutionnels – car ils auront davantage de poids pour établir les conditions de la créance comprise dans le produit structuré. Toutefois, M. Hourican fait remarquer que les créances relatives à ce genre d’instruments sont habituellement de nature complexe, sans aucune couverture pour les prêts par cartes de crédit, les prêts hypothécaires ou les prêts automobile. Selon la réglementation actuellement à l’étude, les prêteurs devront miser leurs propres billes en assumant 5 % du risque du prêt. M. Hourican convient qu’il soit judicieux de remettre les titres adossés à des actifs dans le bilan de l’émétteur d’origine, mais la mesure proposée lui semble trop sommaire car elle exagère le risque posé par les prêts les moins hasardeux et minimise les autres. Juin 2010 4 Vos commissions sont-elles éthiques ? La rÉmunération des conseillers serait en conflit avec les intérêts des clients. Steven Lamb, journaliste au Groupe Conseiller C e n’est pas d’hier que les défenseurs des droits des investisseurs contestent la rémunération des conseillers en services financiers, jugeant les commissions intégrées aux produits en conflit d’intérêts avec les intérêts du client. On ne saurait leur donner tort, de l’avis de Dan Ariely, auteur de « C’est (vraiment ?) moi qui décide » et de James B. Duke, professeur d’économie comportementale à la Duke University, en Caroline du Nord, mais l’industrie des services financiers n’a pas l’exclusivité de ces conflits. En fait, ils se retrouvent fréquemment dans des situations critiques. « Tant que vous êtes en position de conflit d’intérêts, vous êtes voués à l’échec, non pas du fait que vous soyez une mauvaise personne, mais parce que tout le monde peut CONSEILLER.ca | La finance face à ses démons céder à la tentation, a déclaré M. Ariely lors du 63e congrès annuel du CFA Institute, à Boston. La question qui se pose est : comment allez-vous, en tant qu’industrie, lutter contre le problème omniprésent de conflit d’intérêts, surtout quand personne n’estime en être affecté ? » Pour illustrer son propos, M. Ariely a demandé aux participants quelle serait leur réaction s’ils devaient être jugés par un magistrat payé en fonction des amendes qu’il impose. « Cela n’a aucun sens, n’est-ce pas ? Mais si vous vivez aux États-Unis, vous consultez des médecins rémunérés en fonction des tests qu’ils vous font subir et vous avez recours à des conseillers financiers payés selon le même principe. J’ai de la difficulté à comprendre que nous soyons relativement conscients de cet état de fait sans y avoir jamais réagi. Jusqu’à présent, le principal dispositif employé pour gérer le problème des conflits d’intérêts est d’encourager les gens à les dénoncer », affirme M. Ariely. Mais il ajoute que le risque de retour de flamme nous pend au nez. Juin 2010 5 Lorsqu’un conseiller présente deux options à un client en indiquant que l’une est plus rémunératrice pour lui, il peut en résulter deux choses, poursuit M. Ariely. Soit le client accorde moins de crédit à l’opinion du conseiller qu’il considère partial, soit, pire encore, le conseiller se sent justifié de mettre l’accent sur le produit le plus lucratif puisqu’il a mis carte sur table. « Laquelle de ces deux forces aura le dessus ? Le client accordera-t-il moins d’importance au conseiller; le conseiller s’estimera-t-il en droit de faire primer ses propres intérêts encore davantage ? La réponse, explique M. Ariely, est que les conseillers sont prêts à modeler la réalité dans une mesure nettement supérieure à la capacité des clients à faire fi de leur avis. Aujourd’hui, les conseillers qui annoncent la couleur ont moins de scrupules à promouvoir leurs propres intérêts. » Jason Zweig, rédacteur d’une chronique sur les finances personnelles dans The Wall Street Journal, fait remarquer qu’il est dans la nature humaine de se blâmer en cas de malheur, comme la victime d’une agression qui déclare « c’est de ma faute, j’aurais dû éviter de passer par cette ruelle ». Cette propension à s’en prendre à soi permet à l’individu d’éluder une réalité autrement insupportable : sa ville est complètement désorganisée et la criminalité y sévit. La tendance à l’autoflagellation était assez courante lorsque la bulle des point.com a éclaté, notet-il, des investisseurs s’accusant du péché d’avidité. Ayant fait le serment de ne plus recommencer, ils ont décidé d’agir dans leur « intérêt personnel rationnel », principe qui est la pierre angulaire de la plupart des théories sur les marchés financiers. Cependant, en 2008, ils sont nombreux à avoir perdu des plumes avec ce principe. Selon M. Zweig, les investisseurs savent pertinemment qu’ils ne sont pas responsables de la déconfiture de leurs portefeuilles cette fois, et ils crient vengeance. M. Ariely estime que cette démarche tout à fait naturelle est le fondement des relations de confiance entre humains. Le fait de savoir que l’autre cherchera CONSEILLER.ca | La finance face à ses démons à se venger empêche généralement de trahir sa confiance. Il cite en exemple l’expérience suivante. Deux individus sont installés dans deux pièces séparées. On remet 10 $ au sujet A en lui expliquant qu’il peut soit partir avec cet argent, soit le remettre au sujet B. En choisissant de donner l’argent au sujet B, le montant en jeu sera quadruplé et le sujet B aura alors le choix de garder ces 40 $ ou d’en remettre la moitié au sujet A. M. Ariely a constaté qu’une majorité écrasante des sujets A ont choisi de faire cadeau des 10 $ au sujet B escomptant, nous le supposons, qu’ils obtiendront le double quand le sujet B leur remettra la moitié des 40 $. Ce qui est encore plus surprenant, c’est qu’ils ont eu raison de faire confiance à l’autre, et le sujet B a effectivement renvoyé l’ascenseur. Rien ne saurait être plus opposé à l’intérêt personnel rationnel voulant que le sujet B empoche les 40 $ point final. M. Ariely en déduit que le sujet B ne veut pas trahir la confiance du sujet A. La nature humaine tend à être irrationnelle mais elle démontre que l’espèce a un comportement plus honorable que ne l’exige d’agir dans son intérêt personnel rationnel. Depuis quelque temps, le désir de vengeance a pris le devant de la scène, incarné par des leaders politiques populistes qui réclament d’imposer taxes et pénalités à ceux qui ont tiré profit de la débâcle de 2008. M. Ariely fait cependant remarquer qu’il est préférable d’attendre que l’émotivité soit dissipée avant de prendre des décisions aussi graves. Sur le plan pratique, cela signifie que les conseillers devraient reporter la révision du portefeuille à la fin de la rencontre puisque les rendements antérieurs, bons ou mauvais, auront une influence sur la décision du client. Juin 2010 6 La déontologie estelle en chute libre ? L’industrie des services financiers est devenue un ring de boxe où il n’y a plus d’arbitre. Steven Lamb, journaliste au Groupe Conseiller CONSEILLER.ca | La finance face à ses démons Q uand un nuage de cendres volcaniques cloue au sol l’avion qui doit faire venir d’Europe un conférencier de renom invité à votre congrès, il vaut mieux avoir un remplaçant. Et c’est encore mieux si vous avez un remplaçant en la personne de Jeremy Grantham, stratège en chef et fondateur de GMO LLC, et auteur d’un bulletin fort prisé. « Il me semble que l’industrie des services financiers s’est égarée, qu’elle est devenue un ring de boxe où il n’y a plus d’arbitre, a-t-il déclaré aux membres du 63e congrès annuel du CFA Institute à Boston. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne répond pas aux règles habituelles du capitalisme auxquelles on prêtait une certaine efficacité. » Lorsque M. Grantham est arrivé aux États-Unis, dans le milieu des années 1960, le secteur des services financiers ne représentait que 3 % du PIB et il étayait les industries considérées les « vrais » moteurs de l’économie. Malgré les problèmes politiques et économiques qui l’ont marquée, cette décennie s’est révélée la plus prospère des ÉtatsUnis, avec une croissance de 4,5 %. « Depuis lors, [le secteur financier] a connu une expansion continue et compte désormais pour 7,5 %, note-t-il. Autrement dit, nous avons 4 % de plus du PIB dans l’industrie des services financiers dont le seul but est de soutenir les 93 % restants [de l’économie]. » Juin 2010 7 « Les normes déontologiques ont pratiquement disparu. Aujourd’hui, la norme d’éthique se résume à faire de son mieux pour éviter la prison.» Mais dans la foulée de cette croissance, l’industrie a vu son éthique s’étioler, entachant tous les aspects de ce secteur, y compris sa propre activité : la gestion des placements. « Si nous augmentons nos frais, d’un demi pourcent à un pour cent de l’actif total, nous puisons en fait dans le bilan de tout le monde. Au lieu d’épargner 7 %, ils n’épargnent que 6,5 % à cause de ce demi pourcent de plus que nous percevons. Ainsi, nous transvasons ce demi pourcent dans le PIB de l’année courante. » Cette injection à court terme dans le PIB se fait au détriment de sa croissance à long terme, explique-t-il, car le client dispose alors de moins d’argent à investir et l’impact de la composition se fait sentir à la longue sur cette hausse de frais d’un demi pour cent par an. Ceci explique en partie le ralentissement spectaculaire de la croissance du PIB depuis le taux de 4,5 % enregistré dans les années 1960. Dans cette même décennie, l’industrie américaine des fonds communs de placement a perdu du terrain, mais sa croissance a explosé dans les années 1970 et l’actif géré a décuplé. Selon les rudiments de la science économique, les gains considérables d’une économie d’échelle et l’intensification de la concurrence devraient se traduire par une réduction des frais. Pourtant, la moyenne des frais par dollar confié à un gestionnaire a augmenté. « Selon les rouages du capitalisme, il devrait en être autrement. Si vous êtes en présence d’économies d’échelle extraordinaires et de nombreux joueurs, les frais sont soumis aux forces en présence et sous-enchéris entre les concurrents CONSEILLER.ca | La finance face à ses démons jusqu’à en arriver à un rendement du capital normal, explique-t-il. Mais cela n’as pas été le cas, ni cette fois-là, ni jamais. Curieusement, notre industrie n’a jamais été soumise à un véritable mécanisme de fixation du prix. » Néanmoins, à part la question des frais, M. Grantham constate que l’industrie de la gestion de placements témoigne d’une assez bonne éthique, surtout en comparaison à d’autres secteurs du système financier. Sa critique la plus sévère concerne les pupitres de négociation de banques d’investissements. « La chose devrait être illégale; c’est clairement contraire à l’éthique; c’est clairement un conflit d’intérêt », affirme-t-il. « Jadis prépondérantes, les normes déontologiques ont pratiquement disparu. Aujourd’hui, la norme d’éthique se résume à faire de son mieux pour éviter la prison. » « Il y a 25 ans seulement, ajoute-t-il, les grandes banques d’investissement étaient, à mon avis, des modèles en matière d’éthique. À l’époque, elles n’auraient jamais imaginé prendre une décision en matière de gestion de placements, puisque ce faisant, elles se posaient en concurrentes de leurs propres clients. Elles n’auraient pu envisager de se charger de négocier les titres de leurs propres comptes, car elles l’auraient fait au détriment de leurs clients. Elles disposent de tout cet argent que nous leur confions en tant que clients et l’emploient à leur avantage. On considère cette manœuvre tout à fait normale, on trouve que la négociation est rentable et intéressante si elles s’en chargent. » Juin 2010 8 Le plus désolant est que cette absence d’éthique soit non seulement un secret de Polichinelle, mais que les banques s’en vantent. Mais il y a pire : lorsque ces pratiques mènent les banques au bord de la faillite, on oblige les contribuables à les sauver. « Nous avons toléré cette détérioration de la déontologie. Il y a 30 ans, quiconque aurait proposé une de ces opérations aux dirigeants d’une grande banque d’investissement aurait été fusillé sur le champ. » M. Grantham a mis l’industrie au défi de redresser le cap, signalant que personne n’a encore retiré ses comptes de sa banque d’investissement « Le plus désolant est que cette absence d’éthique soit non seulement un secret de Polichinelle, mais que les banques s’en vantent.» CONSEILLER.ca | La finance face à ses démons actuelle pour les transférer vers la firme la moins contraire à l’éthique. « Nous avons assisté sans sourciller à cette glissade vers l’impasse dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Il me semble qu’il est facile d’en sortir : il suffirait que quelques firmes donnent l’exemple en annonçant leur intention de confier leurs affaires à la société la plus soucieuse de son éthique, et qui renonce à son pupitre de négociation interne. » Jusqu’à présent, aucune société ne s’est portée volontaire. « C’est déplorable; GMO n’a pas pris cette décision et j’en ai honte pour nous », conclut-il. Juin 2010 9 Selon l’histoire, octobre rime avec risque Les investisseurs qui ont le goût du risque devraient peutêtre conserver leurs liquidités jusqu’en octobre. L e vieil adage « vendre en mai et s’en aller » s’est encore avéré cette année, mais les investisseurs qui ont le goût du risque devraient peutêtre conserver leurs liquidités jusqu’en octobre, de l’avis de Jeremy Grantham, stratège en chef et cofondateur de GMO. « En ce qui concerne la répartition de l’actif, notre démarche est fort simple. Notre credo est que tout revient à la normale, déclare M. Grantham dans son allocution au 63e congrès annuel du CFA Institute, à Boston. Avec un tel principe, il vaut mieux être précis sur ce qui est normal. Autrement dit, nous croyons qu’au bout de sept ans, nous reviendrons à des ratios C/B normaux et des marges bénéficiaires normales. » L’essoufflement économique actuel n’est pas une surprise car les deux premières années d’un mandat présidentiel aux États-Unis ont toujours été caractérisées par des marchés baissiers. La situation devrait se redresser en 2011, étant donné que la troisième année d’une présidence est historiquement la plus florissante. Les raisons de ce « boom de l’an trois » sont élémentaires : les deux premières années, les présidents utilisent leur capital politique pour implanter des CONSEILLER.ca | La finance face à ses démons Steven Lamb, journaliste au Groupe Conseiller mesures impopulaires, puis ils s’attèlent à la stimulation de l’emploi au cours de la troisième année, en prévision des prochaines élections. Le cycle de l’emploi atteint ses plus hauts niveaux environ neuf mois avant les élections. « Les politiciens ne sont pas totalement idiots et ils ont compris ce qui motive le vote et ce qui stimule l’emploi », ajoute-t-il. Si l’excédent du rendement réel du S&P 500 se chiffre en moyenne à 10,1 % pour la deuxième année d’un mandat présidentiel, il grimpe à +15,3 % (en moyenne toujours) au cours de la troisième année. Comme dans le cas de la plupart de ses pronostics, M. Grantham formule une mise en garde. Ces gains proviendront des titres de l’indice qui comportent le plus de risque. Les titres les plus volatils, qui représentent 25 % de l’indice, compte pour 30 points de base du rendement total. En fait, le trimestre qui présente le plus risque le plus élevé n’enregistre de profits que dans la troisième année. Juin 2010 10 Les deux premières années d’un mandat présidentiel aux États-Unis ont toujours été caractérisées par des marchés baissiers. « Le message que nous donne la Fed est : allez-y, spéculez, et si ça tourne au vinaigre je ferai de mon mieux pour redresser le cap; mais au cours des années un et deux, son message a toujours été : si vous spéculez, c’est à vos risques et périls. Comme les spéculateurs sont des personnes rationnelles, ils sont beaucoup plus actifs au cours de la troisième année », explique-t-il. L’an trois commence en octobre 2010, et M. Grantham s’attend à ce que le président de la Fed, Ben Bernanke, évoque un « motif sans aucun rapport » pour maintenir la politique actuelle de taux incitatifs. Si cette mesure n’est pas précédée d’une correction à la baisse du S&P 500, elle pourrait déclencher une nouvelle bulle boursière pour les investisseurs américains en 2011. Mais selon M. Grantham, un autre scenario est plus probable. « À mon avis, les protagonistes de la prochaine bulle seront les marchés émergents et les produits de base. » « Dans les deux dernières bulles importantes — celles du Japon et des technologiques du NASDAQ — les ratios C/B ont atteint le triple de ceux du reste du monde. Franchement, c’était un argument d’achat minable. En revanche, les arguments à l’appui d’une bulle dans les marchés émergents sont en béton. Le FMI vient de publier une projection de croissance du PIB réel sur quatre ans de 6 % pour les marchés émergents et de 2,25 % pour les États-Unis. Je suis persuadé que l’écart entre 2,25 % et 6 % suffira à lui seul à convaincre le monde d’investir dans les nouvelles économies. » Il prédit que les actions des marchés émergents se négocieront avec une prime appréciable de 50 % pendant les prochaines années, soit une nette CONSEILLER.ca | La finance face à ses démons différence par rapport aux multiples de trois enregistrés pendant les bulles du Japon et des technologiques. Au fur et à mesure que la bulle prendra de l’ampleur, M. Grantham surpondérera sans doute le secteur afin de tirer parti de cette croissance. Quant aux produits de base, il affirme que le secteur forestier est le seul où il est relativement évident d’investir. Il compte y placer 50 % de l’actif de sa fondation personnelle et pense que c’est un moyen simple de protéger l’environnement. Il table sur un potentiel de croissance de 6 % pour le secteur forestier, qu’il considère moins risqué que les dettes souveraines puisqu’il comporte une certaine protection contre l’inflation, ajoutant que cette catégorie d’actif a l’avantage d’être anticyclique. Il se montre moins favorable à la valeur refuge anti-inflation traditionnelle. « Je déteste l’or. Il ne rapporte pas de dividendes, il n’a pas de valeur, on ne peut pas prédire son évolution. Selon le modèle d’évaluation que l’on adopte, la valeur de l’or varie entre 800 $ et 6 500 $, dit-il. Mais il précise que cela ne l’a pas empêché d’en acheter et ajoute, en plaisantant, qu’il est sur le point d’y mettre un terme. L’or est le refuge de dernier recours. Je suis tellement excédé de le voir grimper que je vais m’en débarrasser. » Pour les titres à revenu fixe, son pronostic est « horrible » car ceux qui élaborent les politiques vont jeter les retraités sur la paille. Les rendements réels normaux devraient se situer autour de 1,5 % à 2 %, et non pas à leur niveau courant de 1 %. « Ce n’est qu’une tactique pour remplir les poches des banques et des fonds de couverture », conclut-il. Juin 2010 11