Le palier – François Delivré

Transcription

Le palier – François Delivré
Le palier – François Delivré
Il y avait une fois dans une grande ville une femme dans une galère pas possible, un vrai cauchemar.
On peut tout imaginer de cette galère, par exemple qu’elle vient de perdre son emploi, qu’elle a de
gros soucis d’argent ou qu’elle a attrapé une sale maladie. Ou qu’elle a été larguée par un homme.
Ou bien, tiens, quelque chose où il n’y a vraiment plus d’espoir : une vieille maman qui vient de
rentrer à l’hôpital et qui n’a presque plus de temps à vivre.
Cette femme a depuis plusieurs jours une vie à se réveiller le matin avec une seule idée en tête : que
ce jour va encore être un jour de cauchemar.
Ce matin-là, la femme est toute seule chez elle, habillée en pyjama vert, et elle décide de ne pas
sortir et de ne rencontrer personne.
Elle se dit : « je vais m’allonger sur le canapé vert et puis m’enfiler sous la couette verte, prendre une
pilule verte et dormir pour oublier mon cauchemar »
Elle se dit aussi : « si des amis venaient, ils me diraient de me secouer, de regarder au moins la télé. A
quoi bon ? D’ailleurs, je n’ai pas d’amis ou si j’en ai, qu’ils me laissent tranquille ! »
Elle se dit encore : « je pourrais écouter de la musique verte mais je n’ai même pas le courage de me
lever pour mettre un CD vert, ça me fatigue d’avance »
Elle en est là lorsque quelqu’un sonne à la porte. La femme verte se dit : « quel casse-pieds ! Je ne
me lèverai pas. » Mais on sonne tant et tellement qu’elle va ouvrir comme ça, en pyjama vert.
C’est sa voisine, la femme en pyjama jaune, et elle a dans la main un petit récipient. « J’ai besoin, lui
dit-elle à toute vitesse, d’un peu d’huile pour faire une tarte à la rhubarbe et aux litchis. »
La femme au pyjama vert dit qu’elle n’en a pas. Elle a une tête tellement triste que sa voisine, la
femme au pyjama jaune, devient toute compatissante. Elle demande : « ça ne va pas ? »
« Oh non, dit la femme au pyjama vert, ça ne va pas du tout ! Je suis triste à en mourir. »
Et elle claque la porte en éclatant en sanglots.
La femme au pyjama jaune reste plantée sur le palier, toute remuée de savoir que sa voisine au
pyjama vert est triste. Parce que la tristesse, vous savez, c’est contagieux.
Elle rentre chez elle et se dit : « Comment faire pour donner de l’espoir quand il n’y a plus
d’espoir ? »
La femme au pyjama jaune se dit : « Ma voisine au pyjama vert me rend tellement triste que vais
m’enfiler sous ma couette jaune, prendre une pilule jaune et dormir pour oublier son chagrin et le
mien. »
Elle se dit aussi : « Si des amis venaient, ils me diraient de me secouer. Mais je n’en ai pas envie. Ils
me diraient de regarder la télé, mais à qui bon ? Je pourrais aussi écouter de la musique jaune, mais
je n’ai même pas le courage de me lever pour mettre un CD jaune, ça me fatigue d’avance »
Elle en est là lorsqu’on sonne. La femme au pyjama jaune se dit : « Quel casse-pieds ! Je ne me
lèverai pas. » Mais on sonne tant et tellement qu’elle va ouvrir.
C’est une autre voisine, une femme au pyjama rose, avec une corbeille vide.
Elle a besoin, dit-elle, d’une mandarine pour faire un carpaccio de magret de canard fumé aux
mandarines.
La femme au pyjama rose dit qu’elle n’a pas de mandarines, et puis elle voit la tête de la femme au
pyjama jaune. Quelle tête ! Elle dit à la femme au pyjama jaune : « ça ne va pas ? »
« Oh non, dit la femme au pyjama jaune, ça ne va pas du tout ! Je suis triste à en mourir. »
Et elle claque la porte en éclatant en sanglots.
La femme au pyjama rose reste plantée sur le palier devant la porte fermée, toute triste. Parce que la
tristesse, vous savez, c’est contagieux.
© 2011 – François Delivré – www.coach-abondance.com
page 1
Elle se dit : « Comment faire pour donner de l’espoir quand il n’y a plus d’espoir ? » Elle pense : « Je
vais m’allonger sur le canapé et puis m’enfiler sous la couette rose, prendre une pilule rose et dormir
pour oublier le chagrin de ma voisine au pyjama jaune. »
Elle pense aussi : « si des amis venaient, ils me diraient de me secouer un peu. Mais je n’en ai pas
envie … je pourrais aussi écouter de la musique rose, mais je n’ai même pas le courage de me lever
pour mettre un CD rose, ça me fatigue d’avance. »
Mais, avant de s’allonger sur le canapé, elle se dit : « Je ne peux rien faire pour ma voisine au pyjama
jaune, mais je peux m’offrir un petit cadeau à moi ».
Alors elle regarde son guéridon et voit un petit cheval en cristal qu’elle n’avait jamais vraiment bien
regardé. C’était un cheval qu’elle avait acheté il y a longtemps, pas très joli.
Ce cheval de verre lui semble émouvant, fragile. Et puis il y a la lumière d’un lampadaire qui entre
dans la pièce sombre et illumine ce petit cheval.
La femme au pyjama rose se dit : « Je vais m’offrir ce petit cheval en cristal comme cadeau de Noël
même s’il est déjà à moi. Tout va mal en ce moment mais moi, j’aurai un petit coin de lumière grâce à
ce cheval. Je suis complétement idiote, mais tant pis, je m’offre tout de même ce cadeau. » Elle
prend le cheval et un tout petit peu de joie lui entre dans le cœur puis se met à grandir, encore plus
vite qu’un Amaryllis qui pousse.
Son histoire lui semble tellement merveilleuse qu’elle ne peut pas garder ça pour elle toute seule.
Elle se dit : « Ce qui m’arrive est extraordinaire. Je ne peux pas faire grand-chose pour la femme au
pyjama jaune, mais je vais tout de même lui raconter ce qui m’est arrivé. »
Elle se précipite sur le palier et sonne à la porte de la femme au pyjama jaune.
Elle sonne, sonne, resonne. Finalement, la femme au pyjama jaune lui ouvre, toujours avec sa sale
tête triste. Alors, d’un seul trait, la femme au pyjama rose lui dit : « il faut absolument que je vous
raconte ce qui vient de m’arriver. » Elle raconte alors l’histoire du petit cheval et ajoute : « Excusezmoi, je dois vous paraître idiote. Mais c’est bientôt Noël ».
La femme au pyjama jaune est remuée. Cette histoire lui donne l’idée de s’offrir un cadeau pour elle.
Elle cherche longtemps, partout, dans ses tiroirs et dans ses armoires. Finalement, elle trouve une
petite ficelle dorée de rien du tout mais qui brille à la lueur des lampes.
Un tout petit peu de joie lui entre dans le cœur puis se met à grandir, encore plus vite qu’un
Amaryllis. Alors elle se dit : « Ce qui m’arrive est extraordinaire. Je ne peux pas faire grand-chose
pour mon autre voisine, la femme au pyjama vert, mais je vais tout de même lui raconter ce qui
m’est arrivé »
Elle sort sur le palier et sonne à la porte de sa voisine au pyjama vert, sonne et resonne. Finalement,
l’autre lui ouvre avec sa sale tête triste. Alors, d’un seul trait, la femme au pyjama jaune lui dit : « il
faut que je vous raconte mon histoire, ce qui vient de m’arriver, c’est extraordinaire. » Elle raconte
alors l’histoire de la ficelle dorée puis dit : « excusez-moi, je dois vous paraître idiote. Mais c’est
bientôt Noël. »
La femme au pyjama vert écoute. Elle est toute interloquée, remercie la femme au pyjama jaune et
se dit « C’est vrai qu’il n’y a plus d’espoir, mais ça n’empêche pas de se faire un petit cadeau
sympathique, lumineux, chaleureux et paisible. »
Ce cadeau qu’elle s’est fait, on n’a jamais su ce que c’était. Si vous la rencontrez, elle vous dira aussi
qu’un peu de joie lui était entrée dans le cœur, puis que ça avait poussé encore plus vite qu’un
Amaryllis.
Parce que la vraie joie, vous savez, c’est contagieux.
François Delivré – décembre 2011
© 2011 – François Delivré – www.coach-abondance.com
page 2

Documents pareils