CATHARINE MACAULAY:

Transcription

CATHARINE MACAULAY:
Avant-propos
Armel Dubois-Nayt et Claire Gheeraert-Graffeuille
Contrairement au lieu commun qui voudrait qu’elles ne s’intéressent qu’à
des questions domestiques ou à des bavardages frivoles, les femmes de l’époque
moderne, en France comme en Grande-Bretagne, ne délaissent pas la grande
histoire qui, jusqu’au XVIIIe siècle, s’écrit dans de nombreux genres : mémoires,
autobiographies, lettres, théâtre, etc 1. Bien avant les historiennes de profession que
furent Catharine Macaulay (1731-1791) 2 pour l’Angleterre et Louise-Félicité
Guynement de Kéralio-Robert (1758-1822) 3 pour la France, les femmes n’ont
cessé de raconter l’histoire, à travers des récits d’une grande variété. C’est ce que
confirment les articles réunis dans le numéro 17 d’Études Épistémè, qui examinent
à nouveau frais les incursions de huit femmes dans le champ de l’histoire nationale,
religieuse et politique, habituellement considérée comme un monopole strictement
masculin. Sans exception, ces travaux montrent l’intérêt que pouvait revêtir la vie
publique pour les femmes à l’époque moderne, surtout pendant les périodes
troublées que sont les guerres de religion en France, la Révolution anglaise ou, plus
tard, la Révolution française. Anne Dowriche ( ?-1613) 4 et Margaret de Valois
(1553-1615) 5 décrivent et commentent les guerres de religion en France à la fin du
XVIe siècle ; Margaret Cavendish (1623 ?-1673) 6 et Lucy Hutchinson (16201
Les articles réunis dans ce numéro de la revue Études Épistémè sont issus d’une journée d’études
qui a eu lieu à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 le 6 juin 2009.
2
Elle est l’auteure de The History of England from the Accession of James I to that of the Brunswick
Line, London, 1763-1783, 8 volumes. Voir ci-dessous Devoney Looser, « The ‘Female Historian’ in
Context », Études Épistémè, 17, 2010, p. 105-118.
3
Elle est l’auteure d’une Histoire d’Élisabeth, reine d’Angleterre (1787). Voir sur ce point l’article de
Carla Hesse, « Devenir Républicaine et Historienne. Louise de Kéralio-Robert », in Nicole Pellegrin
(éd.), Histoires d’historiennes, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2006,
p. 203-221.
4
Elle a écrit The French Historie, That is, A Lamentable Discourse of Three of the Chiefe, and Most
Famous Bloodie Broiles that haue Happened in France, for the Gospell of Jesus Christ, London,
1589. Voir l’article de Armel Dubois-Nayt, « Anne Dowriche et l’histoire de France ou…
d’Angleterre », p. 11-29.
5
Voir en particulier ses Mémoires, in Mémoires et autres récits, Éliane Viennot (ed.), Paris, Honoré
Chamion, 1999 et infra l’article É. Viennot, « Margaret de Valois et l’écriture de l’histoire, 15741614), p. 1-10.
6
Margaret Cavendish est en particulier l’auteure de The Life of the Thrice Noble, High, and Puissant
Prince William Cavendishe, London, 1667, publiée une première fois dans Natures Pictures Drawn
© Études Épistémè, n°17 (mai 2010). Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation.
ii
Avant-propos
1681) 7 se concentrent sur les guerres civiles qui ravagent l’Angleterre du milieu du
XVIIe siècle en prenant pour fil directeur la vie de leur mari ; Elizabeth Cary
(1585-1639) 8 relate la chute d’Edward II, dans le but de mettre en lumière le
danger que représentent les favoris pour le pouvoir royal, en particulier dans les
années 1620 ; dans The Female Spectator, Eliza Haywood (1693 ?-1756) 9
s’intéresse à l’histoire antique, comme source d’instruction et de réflexion ; enfin
Mary Wollstonecraft (1759-1797) consacre un essai à la Révolution française, An
Historical and Moral View of the Origin and Progress of the French Revolution
(1794), composé pendant son séjour en France (1792-1795) 10. Sans exception, ces
écrits portent sur des sujets que l’on croit habituellement réservés aux hommes ; ils
relèvent de l’ « histoire véritable », non de ce que certaines féministes des années
70 et 80 appelaient « her-story » (une histoire « des femmes » ou une histoire
« pour les femmes »), catégorie aujourd’hui délaissée ou, du moins nuancée et
corrigée par Daniel R. Woolf, Bonnie Smith, Roha Maitzen, Devoney Looser,
Megan Matchinske mais aussi, plus tardivement en France, par Nicole Pellegrin,
Sylvie Steinberg et Jean-Claude Arnould 11. Il est désormais acquis que les femmes
n’écrivent pas seulement pour elles-mêmes, sur des sujets qui les concerneraient
exclusivement, mais qu’elles s’intéressent aussi à la vie publique et ont parfois
recours aux mêmes méthodes historiographiques de leurs contemporains.
Les travaux qui cherchent à mieux comprendre comment les femmes
écrivent l’Histoire, dont elles sont en théorie exclues, doivent beaucoup aux études
de ces spécialistes. Certes, seule Catharine Macaulay revendique le titre
d’« historienne », mais les auteures dont les œuvres sont ici analysées en ont les
by Fancies Pencil, London, 1656. Voir ci-dessous Sandrine Parageau, « Catching ‘the Genius of the
Age’ : Margaret Cavendish, Historian and Witness », p. 55-67.
7
Voir « The Life of John Hutchinson of Owthorpe in the County of Nottinghamshire », publiée pour
la première fois en 1806 par Julius Huchinson. Voir ci-dessous Claire Gheeraert-Graffeuille,
« L’atelier de l’historienne : ‘The Life of John Hutchinson’ de Lucy Hutchinson », p. 69-86.
8
Désormais deux histoires du règne d’Edward II lui sont attribuées : The History of the Life, Reign,
and Death of Edward II, London, 1680 et The History of the Most Unfortunate Prince King Edward
II, London, 1680. Sur ces deux écrits, voir ci-dessous Karen Britland, « ‘Kings are but Men’ :
Elizabeth Cary’s Histories of Edward II », p. 31-23.
9
Sur Eliza Haywood, voir Claire Boulard, « August Caesar to Livia Drusilla’ : théories de l’Histoire
dans le Female Spectator d’Eliza Haywood, p. 87-103.
10
Sur cet essai, voir Isabelle Bour, « Mary Wollstonecraft as Historian in An Historical and Moral
View of the Origin and Progress pf the French Revolution ; and the Effect it has Produced in Europe
(1794), p. 119-128.
11
Voir D. R. Woolf, « A Feminine Past ? Gender, Genre and Historical Knowledge in England, 15001800 », American Historical Review, June 1997, p. 645-679 ; Bonnie G. Smith, The Gender of
History : Men, Women, and Historical Practice, Cambridge, Harvard UP, 1998 ; Sylvie Steinberg et
Jean-Claude Arnould, Les femmes et l’écriture de l’histoire 1400-1800, Mont-Saint-Aignan, Rouen,
PUHR, 2008 ; Rohan Amanda Maitzen, Gender, Genre, and Victorian Historical Writing, New York,
Garland, 1998 ; Devoney Looser, British Women Writers and the Writing of History, 1670-1820,
Baltimore and London, The Johns Hopkins University Press, 2000, p. 1-2 ; Megan Matchinske,
Women Writing History in Early Modern England, Cambridge, Cambridge UP, 2009 ; Nicole
Pellegrin (éd.), Histoires d’historiennes, op. cit.
© Études Épistémè, n°17 (mai 2010).
iii
« Comment les femmes écrivent l’histoire »
qualités et les ambitions, attentives qu’elles sont à leurs sources et aux choix
qu’implique toute narration historique. Les évolutions de l’historiographie au
XVIIe et au XVIIIe siècles ne concernent pas seulement les hommes : loin de rester
des observatrices passives de ces grands changements, elles prennent part aux
débats de leur temps, soucieuses d’établir les faits et de les expliquer, voire de
corriger ou de compléter les écrits de leurs homologues masculins 12. Éliane
Viennot avance l’idée que Marguerite de Valois rédige ses mémoires pour
refaçonner à son goût le récit de son historien officiel Brantôme, en fournissant par
exemple des descriptions politiques très précises, ou en donnant une vision inédite
d’un événement – c’est le cas de la Saint-Barthélémy dont elle a été un témoin
privilégié (art. cit., p. 6). Armel Dubois-Nayt explique pourquoi Anne Dowriche
décide de rectifier les vérités mensongères qui, selon elle, circulaient alors en
Angleterre sur les guerres de religion en France ; elle montre aussi comment
Dowriche recrée un récit à partir de ses traductions d’œuvres de Protestants
français, dont elle reprend la théologie de l’histoire. Elizabeth Cary ne se présente
pas comme une « historienne », mais c’est le terme qu’utilise pourtant l’éditeur de
The History of the Life, Reign, and Death of Edward II (art cit., p. 31), qui
mentionne dans la préface son style « masculin » (ibid. p. 32). Karen Britland
montre bien dans quelle mesure ce qualificatif est mérité par Cary, qui construit
méticuleusement l’histoire de la chute d’Edward II à partir de la chronique du
protestant Richard Grafton (A Chronicle at Large, 1568), sa source principale (art.
cit., p. 7) ; en outre, à travers ses deux histoires d’Edward II, Cary aborde la
question de l’autorité politique, un sujet très controversé au début du règne de
Charles Ier. De son côté, Sandrine Parageau met en évidence, les connaissances
historiographiques de Margaret Cavendish, qu’elle applique à l’histoire de sa
famille entièrement dévouée à la cause du roi ; elle considère la biographie de son
mari comme « a short History », rappelant dans la préface son attachement à la
vérité et la rigueur avec laquelle elle a rassemblé les faits. On retrouve des
préoccupations similaires dans « The Life of Colonel Hutchinson », où Lucy
Hutchinson fait la preuve de ses talents d’historienne, en s’appuyant sur des
sources fiables, et en tissant habilement ensemble histoire locale, histoire nationale
et projet divin. De même, Eliza Haywood laisse apparaître sa connaissance des
débats historiographiques, lorsqu’elle donne à lire des lettres fictives échangées
entre Auguste et Livie, avant de suggérer, dans son commentaire, des parallèles
avec l’histoire contemporaine. Claire Boulard-Jouslin développe l’idée que ces
missives – qui se présentent comme de véritables sources historiques – sont à la
fois « une attaque politique voilée contre George II et ses pratiques » (art. cit.,
p. 100), et une façon adroite de tourner en dérision les pratiques des antiquaires
qui, à cette époque, rejettent complètement l’usage de la fiction en histoire.
Catharine Macaulay, plus que toutes les autres femmes dont il est question dans
cette livraison, est une historienne érudite, respectée par ses pairs, dont l’histoire
d’Angleterre a, selon Devoney Looser, profondément modifié le regard porté sur
12
D. Looser, op. cit., p. 1-3.
© Études Épistémè, n°17 (mai 2010).
iv
Avant-propos
l’écriture féminine de l’histoire. Enfin, Isabelle Bour montre que malgré les
nombreuses sources françaises et britanniques utilisées par Mary Wollstonecraft
dans An Historical and Moral View of the Origin and Progess of the French
Revolution, on ne doit pas considérer cet ouvrage comme une simple compilation.
Elle repère l’intervention du narrateur aussi bien dans la narration elle-même que
dans certains passages théoriques, et démontre comment ce récit présente les
premiers mois de la Révolution française comme le moment d’une crise avant tout
psychologique et morale. Cette orientation du récit et ses contradictions internes,
précise-t-elle, résultent à la fois de l’influence des penseurs écossais Adam Smith
et Adam Ferguson et de l’utilisation chez Wollstonecraft du paradigme de la
sensibilité.
Les huit femmes évoquées ici sont toutes, à leur façon, des figures
singulières : lors des débats qui ont jalonné la journée d’études, les participantes
n’ont cessé de répéter que les femmes qui entreprennent d’écrire la « grande
histoire » sont peu nombreuses, y compris au XVIIIe siècle : selon D. Looser, si
Macaulay compte si peu d’émules, c’est sans doute parce que la discipline
historique se professionnalise, et laisse de côté les femmes qui pratiquent l’histoire
en amatrices et qui sont peu enclines à l’érudition 13. Par ailleurs, les raisons
avancées par Natalie Zemon Davis pour expliquer la discrétion des femmes sur la
scène de l’histoire, se vérifient une nouvelle fois 14. Celles qui sont présentées dans
les articles qui suivent ont toutes accès aux sources de l’histoire, soit en tant que
lectrices, soit parce qu’elles sont au contact de la vie publique – le plus souvent les
deux. Marguerite de Valois est « fille de roi et de reine, sœur de rois et de reines,
femme de roi et reine elle-même » (art. cit., p. 4). Cary, Cavendish, Hutchinson
sont des femmes instruites, au contact de l’histoire, grâce à des maris dont les rôles
politiques et militaires furent importants. Haywood possède une certaine culture
antique. Quant à Macaulay et Wollstonecraft, leurs ouvrages témoignent d’une
utilisation rigoureuse des sources – les pamphlets anglais dans le cas de la
première, les documents et ouvrages relatifs à la Révolution française dans le cas
de la seconde.
Cependant, même pour ces femmes qui se trouvaient dans une situation
favorable pour écrire l’histoire, devenir narratrices d’un passé plus ou moins distant
ne va pas de soi et exige souvent qu’elles se justifient. La première dans l’ordre
chronologique, Marguerite de Valois qui, en tant que reine, était sans doute la
moins susceptible d’être entravée dans son entreprise par des pressions masculines,
maritales ou sociales, ne s’excuse jamais de prendre la plume. Au contraire, elle
13
Sur l’idée que les femmes seraient peu enclines à écrire l’histoire en savantes, voir S. Steinberg,
« Avant-propos », in S. Steinberg et J.-C. Arnould, op. cit., p. 10.
14
Voir Natalie Zemon Davis, « Gender and Genre : Women as Historical Writers, 1400-1820 », in
Patricia H. Labalme (ed.), Beyond their Sex : Learned Women of the European Past, New York, New
York UP, 1980, p. 153-182. L’article est traduit dans N. Pellegrin (éd.), Histoires d’historiennes, op.
cit., p. 21-43.
© Études Épistémè, n°17 (mai 2010).
v
« Comment les femmes écrivent l’histoire »
défend la capacité des femmes à être non seulement narratrices, mais aussi actrices
de l’histoire. Comme plusieurs de ses consœurs, elle fut encouragée dans son
entreprise par un homme, son historien officiel Pierre de Bourdeille, abbé de
Brantôme, qui croyait non seulement en son excellence mais même à son droit
héréditaire de gouverner le royaume de France Dowriche fut elle aussi soutenue
dans son entreprise historiographique par un époux et un frère dont elle partageait
les convictions politiques et religieuses. Son ambition littéraire n’a cependant rien
d’inconvenant puisqu’elle empruntait les trois chemins autorisés aux femmes à la
Renaissance : la traduction, la poésie et les écrits religieux. Cary s’excuse d’écrire,
mais elle ne met pas en avant son statut de femme ; ses histoires d’Edward II seront
publiées anonymement au moment de la crise de l’Exclusion. Cavendish, en
revanche, se sent obligée de prendre des précautions rhétoriques avant de pénétrer
le territoire masculin de l’histoire de la guerre, opérant des distinctions subtiles
entre histoire particulière, histoire nationale et histoire générale, et laissant entendre
qu’il existe un point de vue féminin sur l’histoire (art. cit., p. 56). Cependant,
contrairement à la plupart de ses devancières, Cavendish publie la biographie de
son mari, montrant ici le privilège que lui donne son rang et son audace, mais aussi
l’appui d’un mari qui respectait son goût pour la philosophie et l’écriture. Quant à
Hutchinson, elle écrit officiellement pour ses enfants, ce qui la dispense de plus
amples justifications, et sa biographie, jusqu’en 1806, reste à l’état de manuscrit.
La mémorialiste prend toutefois soin de décrire « Mistriss Hutchinson » comme
une bonne épouse, respectueuse en tous points de l’ordre patriarcal. Cette gêne, au
moins implicite, à l’idée d’empiéter sur une zone interdite n’est plus perceptible
chez Haywood qui se joue, non sans espièglerie, des moqueries masculines à
l’encontre des femmes historiennes, qui renvoient, en réalité, à la triste réinstitutionnalisation des pré-carrés intellectuels des deux sexes au XVIIIe siècle, les
femmes étant confinées à l’écriture de l’histoire privée et secrète, jugée amorale,
ainsi qu’à la lecture de l’histoire noble que seuls les hommes revendiquaient
pouvoir écrire. Enfin, pour Macaulay, un auteur n’a « pas de sexe », elle n’est ni
homme ni femme (art. cit., p. 113) et n’a donc aucune raison de s’excuser ;
cependant, comme l’indique Devoney Looser, elle sait paradoxalement tirer parti
de sa réputation d’historien femme, en assurant sa propre publicité et en acceptant
le véritable culte qui lui était voué.
Il va sans dire que les contributions que nous avons rassemblées ne
fournissent pas un tableau complet de la production historique des femmes à
l’époque moderne, mais elles laissent cependant apparaître deux grandes
caractéristiques. La première est d’ordre générique : exception faite de Macaulay,
les femmes n’écrivent pas de « grande histoire », mais choisissent plutôt de
s’intéresser au passé proche ou lointain à travers des genres qui leur sont plus
accessibles. Marguerite de Valois, Hutchinson, Cavendish écrivent des mémoires,
autrement dit des récits qui mêlent histoire personnelle et histoire nationale.
Dowriche écrit de la poésie, Haywood des lettres, tandis que Cary, Wollstonecraft
et Macaulay s’essaient à des histoires relativement plus orthodoxes. Ce constat se
© Études Épistémè, n°17 (mai 2010).
vi
Avant-propos
vérifie dans les histoires qui ne font pas ici l’objet d’une étude approfondie. On
peut songer par exemple à la pièce The Roundheads (1681) d’Aphra Behn, à la
correspondance de Brilliana Harley 15, à l’autobiographie d’Alice Thornton 16, aux
journaux d’Anne Clifford 17 et de Margaret Hobby 18, aux mémoires d’Anne Halkett
et d’Ann Fanshawe 19, mais aussi aux périodiques féminins, comme par exemple le
Female Spetator d’Eliza Haywood pour la Grande-Bretagne. En France, on peut
songer aux lettres de Jeanne d’Albret 20, aux mémoires Madame de Motteville ou à
ceux de Mademoiselle de Montpensier 21, aux nombreuses nouvelles et romans
historiques dans lesquels s’illustrèrent, par exemple, Mme de Villedieu ou
Madeleine de Scudery 22, ou encore aux mémoires de Mme Roland et de Justine
Guillery qui ont laissé de la Révolution française une narration au féminin 23. Cette
multiplicité des genres à travers lesquels les femmes écrivent l’histoire persiste au
XVIIIe siècle, sans doute parce que comme le suggère D. Looser, les femmes sont
peu tentées par l’histoire en tant que discipline académique et semblent préférer
investir des genres avec lesquels elles sont plus familières. Le second trait distinctif
de cette production féminine est qu’elle est souvent liée à l’expérience personnelle
que les femmes peuvent avoir de l’Histoire, soit qu’elles assistent directement à
l’événement, soit qu’elles en entendent parler par l’intermédiaire de lettres ou tout
simplement de conversations. C’est le cas de Marguerite de Valois, de Cavendish,
d’Hutchinson, et de Wollstonecraft qui séjourne en France au début de la
Révolution. Toutes ont pour point commun de vivre des événements
extraordinaires sur lesquels il leur faut exprimer un avis 24.
15
Voir Letters of the Lady Brilliana Harley, ed. T. T. Lewis, Camden Society, 58, 1854.
Voir The Autobiography of Mrs Alice Thornton, ed. [C. Jackson], Surtees Society, 62, 1875.
17
Voir Anne Clifford, The Memoir of 1603 and the Diary of 1616-1619, Katherine O. Acheson (ed.),
Broadview Press, 2007.
18
Voir Joanna Moody (ed.), The Private Life of an Elizabethan Lady : The Diary of Lady Margaret
Hoby, 1599-1605, Sutton Publishing, New Edition, 2001.
19
Voir The Memoirs of Anne, Lady Halkett and Ann, Lady Fanshawe, ed. J. Loftis, Oxford, Oxford
UP (1979).
20
Lettres de la Majesté de la Royne de Navarre cité in Eugénie Pascal, « Jeanne d’Albret, la féminité
et le pouvoir », in S. Steinberg et J.-C. Arnould (éd.), op. cit., p. 57-72.
21
Françoise Bertaut de Motteville, Mémoires, 5 vol., M. F. Riaux (éd.), Paris, Charpentier, 1855 ;
Anne-Marie Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, Mémoires, 2 vol., Christian Bouyer (éd.),
Paris, Éditions de la Fontaine, 1985.
22
Mme de Villedieu, Annales galantes, Lyon, J. Guerier, 1698 ; Mme de Scudéry, Artamene ou le
Grand Cyrus, Paris, 1649.
23
Justine Guillery, Mémoires de Justine Guillery 1789-1846, Marie-Paule de Weert-Pilorge, Rennes,
Presses Universitaire de Rennes, 2007 ; Mémoire de Mme Roland, Paris, Mercure de France, Le temps
retrouvé, 1986.
24
Pendant les périodes de calme, en revanche, des travaux ont montré que l’intérêt de ces protohistoriennes s’est reporté sur la vie de la monarchie et notamment les mariages royaux et les
cérémonies officielles qui rythmaient la vie de la cour et auxquels les femmes eurent accès en tant que
spectatrices. La duchesse de Montpensier a décrit le mariage de Louis XIV, Mademoiselle de
Clermont celui de Louis XV, la baronne d’Oberkirch raconte le mariage de Louis XVI. Le mariage de
Catherine d’Aragon et la cour qui l’a précédé fait également l’objet des Annals of Love de Marie
Catherine Hortense Desjardins, Londres, 1672. Voir Cécile Marie Fallateuf, « Évolution des récits
16
© Études Épistémè, n°17 (mai 2010).
vii
« Comment les femmes écrivent l’histoire »
Au vu de ces deux caractéristiques, il nous semble essentiel, pour mieux
comprendre la lecture que les femmes font du passé, de poursuivre notre enquête
sur les femmes et l’écriture de l’histoire dans deux directions. Il faudra d’une part
nous interroger sur la notion de témoignage et le sens que peut avoir ce mot pour
les femmes de l’époque moderne en France et en Grande-Bretagne, et, d’autre part,
nous pencher sur les genres en marge de l’historiographie officielle souvent choisis
par les historiennes : les correspondances, les mémoires, le journalisme au féminin,
la production pamphlétaire, la littérature dévotionnelle (prophétie, traités,
autobiographie, poésie) – la question étant encore et toujours de savoir s’il existe
une relation spécifique des femmes à l’histoire.
historiques à travers des mémoires de femmes : l’exemple des mariages royaux au XVIIe et XVIIIe
siècles », in S. Steinberg et J.-C. Arnould (éd.), op. cit., p. 129-141.
© Études Épistémè, n°17 (mai 2010).