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L’Elan (Alces alces)
Par Thierry Lecomte
[email protected]
Ce texte ne vise pas à réécrire ce que d’autres auteurs ont déjà publié sur l’élan européen
ou l’orignal (« moose ») nord américain. Il est plus particulièrement orienté sur une présentation
des caractéristiques de l’espèce dans une optique de « Rewilding avec les grands herbivores ».
Morphologie
La morphologie ne sera pas détaillée ici car il existe une bibliographie suffisamment
abondante et accessible. On pourra aussi consulter quelques guides et ouvrages généraux
concernant les mammifères d’Europe (Hainard, Van Den Brink, Macdonald, …)
L’élan est un grand herbivore
Dans la plupart des biomes de la planète, les herbivores se structurent en guildes où l’on
reconnaît 3 principales catégories :
• Les petits herbivores (moins de 100 kg) : lièvre, chevreuil, chamois, antilope saïga, …
• Les grands herbivores (de 100 kg à 1 tonne) : cheval, vache, bison, buffle, yack, zèbre,
onagre, lama et autres camélidés, grandes antilopes, …
• Les mégaherbivores (plus de 1000 kg) : éléphant, girafe, rhinocéros, hippopotame.
Une guilde dans un écosystème donné se compose de une, deux, plus rarement trois, de ces
catégories (du fait de l’extinction de beaucoup d’espèces de méga herbivores ou de la raréfaction
des survivants).
Il est connu que les herbivores de grande taille jouent un rôle important, par effet domino, visà-vis des espèces plus petites. Dans ce contexte, l’élan peut jouer un rôle intéressant.
La sous-espèce européenne (entre 250 et 500 kg selon le sexe) se situe donc, en terme de
format, à un niveau supérieur de celui du cerf élaphe ou du renne avec lesquels il partage une partie
de son aire biogéographique.
L’élan est éco adapté aux terrains meubles
Toute la bibliographie insiste sur l’aisance avec laquelle l’élan évolue dans les marais,
tourbières, fondrières, etc. En dépit de sa masse, il exerce une pression au cm² peu élevée de l’ordre
de 420 à 440 g/cm². A titre de comparaison, la pression pour un bovin est de l’ordre de 750 g/cm²
alors que le renne exerce une pression au contraire plus faible correspondant à une meilleure
adaptation aux sols enneigés.
Cette particularité est due à la conformation particulière de ses membres offrant les
caractéristiques suivantes :
• Longs et larges sabots médians, la base des doigts formant une sorte de paume élargie
assurant une meilleure portance.
• Sabots latéraux également longs, atteignant très vite le sol dès que le terrain est un peu mou.
Par ailleurs, ses membres très longs lui permettent d’évoluer assez facilement dans les
mégaphorbiaies ou dans les forêts aux troncs renversés qu’il enjambe avec aisance.
Ces caractéristiques sont très importantes pour des projets d’utilisation de l’élan en zones
humides comme le Marais Vernier où une part importante de l’espace est constitué de
« tremblants », sols tourbeux instables où chevaux et bovins ne s’engagent que difficilement.
L’élan est principalement lignivore
La hauteur de ses pattes et la brièveté de son cou ne permettent pas à l’élan de brouter
aisément un tapis herbacé ras comme le fait par exemple un mouton. Il préfère les ligneux qui
constituent 50% (en été) et 80% (en hiver) de son régime alimentaire. Saules, bouleaux et trembles
sont les plus appréciés mais il se nourrit volontiers d’autres essences et même de pins.
Sa morphologie céphalique et générale l’aide en cela. Avec sa longue tête, il écorce et
effeuille les gros rameaux par un passage latéral des petites branches dans sa bouche. Ses lèvres très
mobiles l’aident également dans le choix des parties de branches qu’il va choisir de consommer. Ses
molaires lui permettent de broyer les matières ligneuses et ses incisives d’écorcer les troncs sur de
grandes hauteurs.
Grâce à ses longues pattes et à une souplesse particulière au niveau lombaire, il peut se
dresser assez facilement sur ses pattes postérieures à la manière des chèvres dès lors que les
antérieures trouvent un appui. Ceci lui permet d’exploiter le feuillage jusqu’à 3 m de hauteur.
En outre, sa propre masse constitue également un outil pour trouver sa nourriture : l’élan
enfourche volontiers des arbustes qu’il fait ainsi ployer afin d’atteindre les rameaux supérieurs plus
appétents.
Ces capacités lignivores pourraient donc être utilisées dans le cadre de réintroductions visant
à maintenir ouverts certains espaces naturels.
Position systématique
L’élan (Alces alces L.) est un mammifère ongulé artiodactyle (nombre pair de sabots) de la
famille des cervidés et du groupe des télémétacarpiens. Répandue sur une vaste aire de répartition
(Eurasie et en Amérique du nord), l’espèce est divisée en 7 sous-espèces (ou 8 selon les auteurs).
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- 4 sous-espèces sont nord-américaines (on parle plutôt d’Orignal) :
Alces alces gigas : élan de l’Alaska et du Yukon. C’est le plus lourd représentant de
l’espèce.
Alces alces shirasi : élan du Yellowstone (Wyoming, Alberta, Colombie du Sud, Idaho,
Montana).
Alces alces andersoni : élan de l’Ouest canadien (Michigan, Minnesota, Ontario Ouest,
Colombie britannique, …).
Alces alces americana : élan de l’Est canadien (Ontario Est, Québec, Terre-Neuve, …).
- 2 sous-espèces sont asiatiques :
• Alces alces cameloïdes : élan de Mandchourie (Sud-est de la Sibérie, Nord-est de la Chine).
Ce petit élan (le plus léger représentant de l’espèce semble-t-il) de couleur assez foncée est
la sous-espèce la moins connue et semble aujourd’hui assez rare.
• Alces alces pfizenmayeri : élan de Sibérie dont la répartition s’étend jusqu’au Kamchatka.
C’est un animal de grande taille rappelant Alces alces gigas.
- 1 sous-espèce européenne :
• Alces alces alces : élan européen. Cette sous-espèce de taille moyenne à coloration
relativement claire est présente principalement dans le nord de l’Europe.
Elan du Yellowstone
Photo Eric Dragesco
Répartition européenne
Dans le cadre d’un projet de Rewilding, l’étude de l’évolution de son aire de répartition
mérite une attention particulière.
L’élan européen est présent en Scandinavie, Finlande, Pologne, pays baltes, Biélorussie et
Russie. Depuis peu, son retour est connu en République Tchèque.
Dans l’esprit du grand public et même chez beaucoup de naturalistes ou de scientifiques non
spécialistes, l’élan est un animal inféodé aux contrées nordiques. Pourtant, dans un contexte
climatique comparable au contexte actuel, il a occupé une aire biogéographique beaucoup plus
étendue. Au Sud, sa présence est attestée jusqu’en limite du Caucase. Des bois d’élans ont été
retrouvés dans les tourbières suisses et belges (Hautes Fagnes).
Dans le période historique, il était présent en Gaule à l’époque celtique jusqu’en l’an 250 mais
n’a disparu d’Alsace qu’au Xème siècle. On rapporte également que deux seigneurs de la suite de
Pépin le Bref l’ont chassé à Nordlingen (Bavière) en 764. En Flandres, les derniers élans sont tués
vers l’an 900 mais il est présent en Suisse jusque vers l’an Mille. En Europe centrale, il se maintient
plus longtemps : jusqu’au 14ème siècle en Bohème, au 16ème siècle en Mecklembourg et à la fin du
18ème siècle en Hongrie.
Soumis à une pression de chasse importante et aux défrichements, l’élan d’Europe s’est donc
réfugié dans le nord de l’Europe où la pression anthropique était moins forte.
Cependant, maintenant que l’élan et mieux géré, en particulier du point de vue cynégétique,
on voit cette espèce sortir de son confinement nordique. Elle a reconquis au XXème siècle de
grands territoires dans la partie européenne de la Russie et, plus à l’est, en Sibérie. En Europe
occidentale, des animaux erratiques en provenance de Pologne sont régulièrement observés en
Allemagne du Nord jusqu’à la frontière des Pays-Bas. Plus au sud, une population s’est
reconstituée en Bohême.
Ethologie et comportement vis-à-vis de l’homme
Contrairement à beaucoup d’espèces de grands cervidés (daim, renne, cerf, …) mais un peu
comme le chevreuil, l’élan n’est pas grégaire et vit souvent seul ou en petits groupes plus ou moins
familiaux l’été : mères et faons ou quelques mâles ensemble. En hiver, des groupes plus importants
peuvent se constituer. Les sexes sont séparés la plus grande partie de l’année sauf à la période du rut
qui intervient de la mi-septembre à mi-octobre. Les mâles ne constituent pas de harems.
Cette difficulté à vivre en troupeau n’en fait pas une espèce intéressante à élever au contraire
d’autres cervidés qui ont été plus ou moins domestiqués ou mis en élevage au fil des siècles (renne,
daim) ou plus récemment (cerf). En effet, cette espèce n’offrira jamais une densité forte et un
éventuel élevage ne pourra, en tout état de cause, que s’inscrire dans un cadre assez largement
extensif.
Vis-à-vis de l’homme, l’élan a un comportement parfois paradoxal : il est considéré comme
étant timide et cherchant à s’éloigner. Il peut cependant se montrer agressif dans des situations
particulières : chez les mâles, au moment du rut, et chez les femelles suitées qui créent autour du
groupe qu’elles forment avec leurs jeunes une zone de sécurité de 25 à 30 m.
La plupart des auteurs s’attachent cependant à souligner son caractère fantasque ce qui limite
ses possibilités d’utilisation comme animal de trait. Il existe cependant d’assez nombreux cas
d’élans dressés soit pour la traction soit comme monture ! On connaît également en Russie une
ferme où les élans femelles vivent en semi liberté mais sont conditionnées pour être traites. Elles
produisent un lait de grande qualité mais assez parcimonieux !
Par ailleurs, l’élan vient volontiers fréquenter des espaces ruraux voire franchement urbains et
s’adapte aux banlieues de grandes villes où il commet des dégâts, notamment dans les plantations
d’arbustes ornementaux. Il est signalé de temps à autre sur les aéroports (Stockholm, Moscou). Il
apprécie également les cultures de céréales et se fait remarquer fréquemment dans des prairies où il
se mélange au bétail (bovins, chevaux).
Régime alimentaire et densité
Ces deux aspects de la biologie de l’élan sont rapprochés ici car ils sont très liés. L’élan est un
végétarien fortement spécialisé dans la consommation ligneuse et particulièrement des essences
pionnières des zones humides et mésophiles (bouleaux, saules, trembles, noisetier, …). Mais il
consomme également des plantes herbacées (mono et dicotylédones), des champignons, des
mousses, des lichens et des plantes aquatiques qu’il peut prélever la tête sous l’eau. Il possède donc
un spectre alimentaire très large.
En été, son régime inclut une proportion plus forte d’herbacées et de feuillages ce qui lui
permet à la fois de s’engraisser, de se préparer au rut (mâles) et d’allaiter le ou les jeunes (femelles).
En hiver, la proportion de ligneux (rameaux, écorces) atteint 80 à 90%. L’animal perd alors de 15 à
20% de son poids vif, voire plus en cas de situation extrême.
En moyenne, l’élan consomme chaque jour environ 5% de son poids, soit une vingtaine de
kilos de matière fraîche pour un animal de 400 kg. Des études sur le métabolisme basal de l’élan
chiffrent ses besoins à 6.000 Kcal/jour. En été, la nourriture permet à l’élan de stocker 7.600
Kcal/jour sous forme de protéines et de graisses qui seront catabolisées ensuite à raison de 3.900
Kcal/jour en période de carence alimentaire hivernale.
En plus de cette nourriture organique, l’élan semble être un consommateur important de sels
minéraux. Une explication pourrait résider dans les besoins importants que nécessite cette espèce au
moment de la croissance annuelle des bois qui atteignent fréquemment plusieurs kilos (jusqu’à 1520 kg pour les « panaches » les plus spectaculaires).
La densité de l’élan dans les différents biomes et écosystèmes qu’il fréquente dépend bien sûr
de l’accessibilité et de la richesse de la nourriture mais aussi de la place que veut bien lui laisser
l’homme.
Dans la péninsule Finno-Scandinave, les élans s’étaient raréfiés au XIXème siècle du fait de la
pression de chasse. Mieux gérées, les populations se sont de nouveau développées pour atteindre au
début des années 70 plus de 200.000 têtes correspondant à 0,18 élan/km². Cependant, cette densité
moyenne pour la péninsule ne tient pas compte des territoires non habitables par l’espèce (montagne
zones urbaines et cultivées,…) et des densités plus fortes s’observent au sud-est de la Norvège, dans
le centre de la Suède et dans le sud de la Finlande.
En Pologne, les densités sont très variables en fonction des situations. En forêt de Bialowieza,
la densité varie de 0,1 élan/km² en forêt âgée (plus haute) à 0,5 élan/km² en forêt jeune et présentant
donc une nourriture plus accessible. Dans le Parc National de Kampinoski qui couvre plus de
35.000 hectares près de la capitale, la population d’élans, qui a été réintroduite, est volontairement
limitée à 120 têtes soit une densité de 0,3 élan/km². En effet, au-delà de cette densité les élans
cherchent à sortir du parc et, en suivant les bords de la Vistule, arrivent jusque dans Varsovie où ils
sont jugés indésirables !
Par contre, le Parc National de la Vallée de la Biebrzra qui offre un paysage très ouvert
présente une très forte densité d’élans (1,4/km²) se partageant l’espace et les ressources avec divers
autres ongulés sauvages et domestiques, ce qui démontre que l’espèce est tout à fait capable de
s’adapter aux milieux ouverts.
Reproduction, croissance et longévité
Les femelles se reproduisent chaque année à partir de 2 ans et demi mais quelquefois dès 16
mois. La gestation dure de 240 à 245 jours pour mettre bas un, souvent 2, et parfois 3 faons. C’est
entre 6 et 11 ans que les femelles sont les plus productives, le pourcentage de naissances
gémellaires passant alors de 20-50 % à 50-60 %. On constate une occurrence plus forte de
naissances gémellaires quand la nourriture (et en particulier les jeunes arbres les plus appétents) est
abondante. Le faon à la naissance est déjà haut de 75 cm et pèse 10 à 14 kg.
Les naissances interviennent au printemps durant une courte période de 2 à 3 semaines
témoignant de la brièveté de la saison du rut.
L’élan peut vivre en captivité jusqu’à 25 ans. Il atteint rarement plus de 15 ans dans la nature.
Perspectives en France
L’élan appartient sans conteste à la grande faune d’Europe occidentale (et donc française),
et pas seulement « nordique ». Il fait partie de la guilde des grands herbivores susceptibles de jouer
un rôle dans le rétablissement de la fonctionnalité de nos écosystèmes. Ses fortes capacités
d’intervention sur les ligneux colonisateurs en font une espèce particulièrement incontournable dans
certaines situations.
Sur quelques espaces adaptés il pourrait jouer, aux côtés d’autres grands herbivores
(équins, bovins, bison), un rôle tout à fait intéressant. C’est dans cette perspective qu’un projet de
gestion du marais Vernier (PNR des Boucles de la Seine Normande) avec l’élan est à l’étude.
Par ailleurs, dans une optique écotouristique, l’Espace Faune de la Forêt d’Orient
(Aube), un parc de vision pour les grands ongulés européens accueille un couple d’élans qui partage
un enclos de 35 ha avec des bovins de Heck (Aurochs reconstitué) et des tarpans.
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Quelques références bibliographiques :
Heptner W.G., Nasimowitsch A.A., 1974 Der Elch, Die neue Brehm-Bücherei,
Wittenberg Lutherstadt, 239 p.
Collectif d’auteurs, 1984 Orignal, Ed. Sentiers, chasse pêche, Montréal, 175 p.
Rülcker Johnny, Stäfelt Finn,1986 Das Elchwild Verlag Paul Parey, Hamburg und Berlin, 285 p.
Jeune femelle dans l’Espace Faune de la Forêt d’Orient. Photo PJ. Carles

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