L`approche genre dans les politiques migratoires des pays africains
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L`approche genre dans les politiques migratoires des pays africains
L’approche genre dans les politiques migratoires des pays africains : cas du Maroc Mme Hind Hourmat Allah Enseignante-Chercheure à la Faculté de Droit, Université Cadi Ayyad, Marrakech [email protected] 1. Introduction Tout au long de l’Histoire, l’Afrique a constitué un bassin migratoire de premier rang. Si elle fut sous la colonisation un espace d’immigration, accueillant des flux migratoires relativement importants en provenance des pays du Nord, elle est devenue aujourd’hui un foyer d’émigration principalement à destination des pays européens. Dans le cadre de cette recomposition des flux migratoires en Afrique, le Maroc occupe une place centrale. Il est à la fois un pays d’immigration, un pays de transit vers l’Europe, et de plus en plus un pays d’accueil d’émigrants clandestins subsahariens. L’un des faits marquants de cette recomposition est la montée du nombre de femmes migrantes ou ce qu’il convient d’appeler la ‘féminisation de la migration’. Selon plusieurs sources, les femmes représenteraient près de la moitié des migrants africains. Parallèlement, l’aspect qualitatif de cette migration a complètement changé. Avant, les femmes africaines étaient considérées comme des sujets passifs de la migration, car elles migraient essentiellement dans le cadre du regroupement familial. Mais aujourd’hui, les femmes ont tendance à migrer seules à la recherche d’une meilleure vie. Au Maroc, les politiques migratoires portent sur deux volets souvent séparés : l’immigration et l’émigration, c’est-à-dire l’accueil (temporaire ou définitif) des migrants subsahariens (souvent clandestins). Dans les deux cas, et pour des raisons à la fois géopolitiques, économiques, culturelles, sociales et sécuritaires, les autorités publiques marocaines ne cessent d’exprimer une certaine volonté politique de mettre en place une stratégie migratoire intégrant la dimension « genre » (1). Ainsi, par souci de réduire la marginalisation des femmes migrantes, le Maroc a entrepris un ensemble de mesures touchant essentiellement l’aspect institutionnel, législatif et pédagogique. Néanmoins, le bilan de telles mesures reste très mitigé. Certaines déficiences graves et réitérées ont été relevées. Citons, à titre d’exemples, la faible capacité et d’expertise des décideurs publics, la primauté des considérations sécuritaires, l’abus de pouvoir, la faible coordination avec les pays africains d’origine, l’implication de certains acteurs publics dans des réseaux de trafics d’être humains, et surtout la persistance d’un décalage important entre le discours et la réalité. En effet, lors du processus d’immigration légale ou illégale, les femmes marocaines sont moins bien traitées que les hommes. Les autorités publiques marocaines continuent à considérer certaines femmes candidates à l’immigration de façon autonome comme des prostituées potentielles. De même, lors du processus d’émigration, les femmes subsahariennes qui font du Maroc un pays de transit vivent dans des conditions d’accueil plus difficiles que celles des hommes. Elles sont exposées à toutes sortes de violences : violences liées aux conditions du voyage, 1 violences émanant des groupes de délinquants, violences exercées par les forces de l’ordre, etc. Une question d’une importance cruciale est qu’il n’existe pas de réflexion profonde à propos de la place du genre dans les politiques migratoires en Afrique. Et c’est pour contribuer à la relance du débat sur cette question que nous avons jugé utile l’étudie du cas marocain. L’objectif est de mener un exercice analytique sur les dysfonctionnements constatés lors de l’élaboration et surtout l’exécution des politiques migratoires en liaison avec la question du genre. Le reste de cette contribution est organisé comme suit. La deuxième section présente l’intérêt pratique et théorique de l’approche genre dans les études migratoires. La troisième section décrit brièvement le contenu des politiques migratoires genrées au Maroc. La quatrième section dresse le bilan de l’application desdites politiques. La conclusion générale présente une synthèse et quelques recommandations en vue de renforcer la place des femmes dans les politiques migratoires au Maroc. 2. Comprendre l’intérêt de l’approche genre dans les études migratoires Pendant longtemps, les études sur les migrations s’intéressaient essentiellement aux hommes ; les femmes étaient soit totalement ignorées, soit considérées comme des migrantes passives. Ce n’est que récemment qu’une nouvelle approche genre a été intégrée dans les travaux de recherches traitant le phénomène migratoire. Cette prise en conscience de la féminisation de la migration et son importance à l’échelle internationale n’a été examinée en Europe que depuis une dizaine d’années. En Afrique, l’intérêt porté à la question est encore plus récent. C’est à la faveur du phénomène de la migration clandestine, que la communauté des chercheurs commence à s’y intéresser (Atelier CRDI, Dakar juillet 2007). 2.1. L’intérêt pratique : la féminisation croissante de la migration Historiquement, la migration était principalement masculine et les femmes immigrées n’étaient que très rarement visibles. Cette réalité s’explique en particulier par le caractère patriarcal de la plupart des sociétés. Mais, depuis quelques années, la migration a tendance de se féminiser. En tant qu’actrices indépendantes, les femmes des pays du Sud s’engagent de plus en plus dans le processus de migration à la recherche de meilleures conditions de vie et/ou de travail ailleurs. Comme l’a si bien affirmé, Alfred Sauvy : si la richesse ne se déplace pas vers les pays pauvres, les démunies iront la chercher là où elle se trouve. Ce phénomène de féminisation de la migration a été rendu possible grâce à la mondialisation. Selon le Bureau International du Travail (2003), la mondialisation libérale a contribué, non seulement à l’intensification des mouvements migratoires internationaux et à leur élargissement, mais surtout à la diversification des profils migratoires tels le profil de genre. Plusieurs études ont révélé l’importance numérique des femmes migrantes. D’après les Nations-Unies, on compte environ 190 millions de migrants dans le monde dont 49,6 % de femmes. De même, dans une étude portant sur des données africaines, Gugler and Gudrun (1995) s’aperçoivent que les femmes ont toujours été présentes et même dominent dans les migrations urbaines pour certains pays. À partir d’une analyse des ratios (hommes pour 1000 femmes) en ville, ils notent une féminisation de la population dans certaines grandes villes africaines : c’est le cas par exemple du Ghana en 1970 avec 996 hommes pour 1000 femmes et du Mali en 1987 avec 982 hommes pour 1000 femmes. Les auteurs pensent qu’il est peu probable que le mouvement naturel de la population explique à lui seul entièrement cette forte présence féminine dans ces villes. Ils vont par conséquent contre les idées reçues qui affirment que les femmes migreraient moins que les hommes, en affirmant que cette situation s’explique par une plus forte migration féminine vers la ville. 2 Dans une étude empirique portant sur divers pays du tiers monde, Chant (1992) montre que le genre est présent dans tout le processus migratoire. L’auteur dégage plusieurs points caractéristiques qui décrivent les liens entre les relations de genre et les comportements migratoires. Parmi ces points, il y a lieu de citer : la forte indépendance des hommes par rapport aux femmes, la vulnérabilité des femmes migrantes, l’inégalité d’accès au travail à l’étranger, l’attachement des femmes au pays d’origine à travers les transferts, etc. Certains auteurs comme Tahdani et Todaro (1984), Pedraza (1991) et Kanaiaupuni (2000) considèrent que les femmes ne migrent pas dans les mêmes conditions que les hommes. Leur mobilité spatiale est souvent soumise à des contraintes socioculturelles. Elle n’est valorisée que lorsqu’elle se passe dans un contexte socialement acceptable, alors que les hommes bénéficient des faveurs de la société et sont encouragés à migrer L’accroissement du nombre de femmes migrantes a engendré des répercussions sur le mode de travail. Face à la diminution du nombre de femmes employées dans les secteurs traditionnels comme l’agriculture et l’industrie de textiles, nous assistons à la monté du travail domestique et du travail dans l’industrie du “divertissement”. D’une part, des millions de femmes des pays en développement émigrent vers les pays du Nord pour devenir des nourrices, des femmes de ménages, des aides soignantes (Ehrenreich, Hochschil 2003). Leur compétence professionnelle devient l’une des qualités exportables reconnues pour prendre en charge les enfants, les personnes âgées et les malades. A la fin des années quatre-vingt-dix, ces professions domestiques ont représenté un des plus gros secteurs pourvoyeur d’emploi informel pour les migrantes. Le nombre d’employées de maison en Europe était évalué à plus d’un million de personnes, dont la majorité était en situation illégale (Benradi, 2009). Mais, il convient de signaler que le marché du travail domestique est caractérisé par une certaine segmentation ethnique. C’est ainsi par exemple qu’aux Pays-Bas et en Belgique, les femmes en provenance de l’Europe de l’Est sont majoritairement des domestiques externes, alors que les Africaines (dont une bonne partie est maghrébine) et les Sud-américaines, occupent des postes de domestiques internes. Cette mondialisation du travail domestique rend les femmes migrantes victimes de toute sorte de ségrégation. Elles sont souvent soumises à l’exploitation sous forme de violence, de fraude, de tromperie, d’enlèvement, etc. Cette exploitation se fait avec ou sans le consentement de la personne (Langevin et Belleau 2000). La législation du travail protège rarement les travailleuses domestiques. Celles-ci dépendent souvent de leurs employeurs pour rester légalement dans le pays hôte, ainsi que pour le logement, la nourriture et les gages. Mais, la situation est beaucoup plus difficile pour les travailleuses domestiques clandestines. Leurs employeurs peuvent se permettre de retenir leur salaire et abuser d’elles psychologiquement et physiquement en toute impunité, sachant que les travailleuses ne rapporteront pas ces faits par crainte de poursuites judiciaires et d’expulsion (Benradi, 2009). D’autre part, la mondialisation a permis une accélération de la monétarisation des rapports sociaux qui s’est traduite par un essor considérable des industries du sexe et par leur légitimité accrue. Ainsi, selon Poulin (2005), depuis 40 ans, le changement le plus important du commerce sexuel a été son industrialisation, sa banalisation et sa diffusion massive à l’échelle mondiale. Aux Pays-Bas par exemple, 80 % des personnes prostituées sont d’origine étrangère dont 70 % sans papiers. Elles sont victimes de la traite des êtres humains à des fins de prostitution. Ce pays, qui a légalisé en 2000 le proxénétisme et réglementé la prostitution en bordels et en zones de tolérance, récolte un milliard d’euros d’impôt par année en provenance du seul secteur légal de la prostitution. Mais alors que la prostitution dans les pays développés est règlementée, celle exercée dans les pays en développement (en particuliers ceux du Sud-est asiatique) a un caractère informel. Chaque année, des millions de jeunes 3 femmes sont recrutées, achetées, vendues et revendues par des réseaux organisés sur le marché. Elles sont transportées clandestinement ou, selon les circonstances, légalement audelà des frontières nationales sur le marché du sexe des pays les plus pauvres aux pays moins pauvres jusqu’aux pays riches. Ainsi, par exemple, depuis 1990, des milliers de jeunes fillettes du Bangladesh ont été victimes de la traite à des fins de prostitution vers le Pakistan. De même, on estime à plus de 150 000 le nombre de jeunes femmes prostituées au Japon en provenance des Philippines, de Taiwan et de Thaïlande. Il convient également de signaler qu’une nouvelle forme de migration féminine commence à se développer. Il s’agit de l’exode massif d’infirmières du monde en développement vers les pays industrialisés. Plusieurs facteurs interviennent pour expliquer cette mobilité. Citons, à titre d’exemples, le vieillissement de la population des pays hôtes (pays développés), associé à la pénurie d’infirmières et de médecins et l’effondrement des systèmes de santé dans les pays d’origine (pays en développement). D’après le rapport annuel du Fond Mondial des Nations Unies pour la Population (2006), l’Afrique perd annuellement plus de 20 000 infirmières et médecins hautement qualifiés, ce qui aggrave une situation déjà sérieuse pour une région ravagée par le sida, le paludisme et une mortalité maternelle et infantile élevée. (Blasco, 2007). 2.3. L’intérêt théorique : l’émergence d’un courant de pensée intégratif La question de l’intégration de l’approche genre dans les réflexions sur les migrations a longtemps été reléguée au second plan. Ce n’est qu’à partir des années quatre-vingt-dix du siècle dernier qu’une certaine prise de conscience sur la nécessité d’étudier ce phénomène commence à émerger. Beaucoup de chercheurs en sciences sociales (Morokvasic, 1984 ; Phizacklea, 1983 Chant et Radcliffe, 1992 ; Greico and Boyd, 1998, Nations Unies, 1995) se sont engagés dans un débat fructueux sur la question de l’intégration systématique du genre dans tout le processus de réflexion sur les migrations. En fait, les principales théories de la migration utilisées jusqu’ici se focalisent principalement sur le comportement migratoire des hommes. La question des différences sexuelles et des préjugés sexuels sur la migration féminine ne sont évoquées qu’occasionnellement et les outils de recherche sont encore peu adaptés. C’est ainsi par exemple que Ravenstein (1885) affirme que contrairement aux préjugés, les femmes se déplacent aussi vers les villes pour chercher du travail. L’auteur parle de l’augmentation de la migration féminine économique au détriment des responsabilités domestiques. Certes cette thèse a soulevé la question des différences sexuelles, mais elle demeure essentiellement descriptive et ne visait pas l’explication des comportements migratoires différentiels par des facteurs extra-économiques (la culture, les traditions, etc.). Dans le même ordre d’idée, les auteurs classiques analysent les phénomènes migratoires en termes de processus « push-pull » en considérant les migrants comme des groupes homogènes, à dominante masculine. Ils expliquent les difficultés que rencontrent les femmes par leur faible capital humain (niveau d’instruction et qualification professionnelle). Ainsi, durant les années soixante-dix, les femmes restent pratiquement invisibles aussi bien dans les flux que dans les études théoriques. Quant aux partisans de l’approche néoclassique et de l’approche structuraliste, ils privilégient les facteurs globaux fondés sur les théories du système-monde et du capital humain pour expliquer les migrations. Ils négligent donc le rôle des facteurs individuels, des responsabilités domestiques ainsi que de la procréation qui ont des implications déterminantes sur les comportements migratoires (Chant, 1992 ; Boyd et Grieco, 1998 ; Gregory et Piché, 1978). 4 Toute en apportant un regard renouvelé sur les phénomènes migratoires, ces deux théories ont été vivement critiquées pour avoir incorporé le genre en ajoutant une variable féminine à un cadre déjà existant, au lieu de donner aux relations de genre un rôle explicatif (Grieco et Boyd, 1998). En effet, au début des années quatre-vingt, une partie des études pionnières qui ont intégré la catégorie « femme » reposait sur un double postulat. D’une part, selon la théorie des rôles des sexes, les femmes seraient ancrées dans leurs rôles traditionnels liés à la sphère domestique ce qui limite de façon drastique leur mobilité. D’autre part, la demande de force de travail sur le marché et les liens que les hommes cultivent dans la sphère publique faciliteraient la migration masculine (Nedelcu, 2005 :56). Il en résulte que les femmes ne migreraient qu’au sein des processus de réunification familiale en suivant leurs conjoints. Elles se contenteraient d’un rôle de migrantes dépendantes et passives (Hondagneu-Sotelo, 2000). Suite aux critiques adressées aux approches néoclassique et structuraliste au début des années quatre-vingt, des chercheurs ont développé une approche plus cohérente en prenant en considération l’environnement social dans lequel se déroule la migration (contexte de départ et contexte d’arrivée). Qualifiée de multi-niveaux, cette nouvelle approche inclue des unités d’analyses intermédiaires comme le foyer, la famille et le réseau social (Cordell et Piché, 1996). En même temps, elle fait le lien entre les niveaux d’analyse macro et micro. De ce fait, elle intègre mieux le genre dans l’explication de la migration. Par ailleurs, des auteurs comme Gregory et Piché (1985) ont présenté une approche basée sur la stratégie familiale pour expliquer la féminisation de la migration. Cette nouvelle approche semble mieux intégrer les rapports de genre dans l’explication des migrations, car elle utilise un ensemble de facteurs qui ont une influence spécifique sur la migration des hommes et des femmes. Il s’agit, entre autres, des facteurs liés à l’organisation des activités de production et de reproduction dans le ménage, à la division du pouvoir, au processus de prise de décision, aux statuts ainsi qu’aux discriminations sexuelles sur le marché du travail urbain et rural. En outre, cette approche prend en compte le contexte global dans lequel se déroule la migration de même que les facteurs individuels. Bien que l’approche multi-niveaux et l’approche basée sur la stratégie familiale aient fait un pas en avant dans la construction théorie intégrative, elles ne prennent toujours pas explicitement en compte les effets de l’autorité patriarcale et sociétale. C’est surtout à partir du début des années quatre-vingt-dix que se multiplient les réflexions s’intéressant aux relations de domination entre les sexes au sein des ménages et mettant en valeur les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes, de même que les hiérarchies générationnelles qui influencent les décisions et les formes migratoires (Grasmuck et Pessar, 1991 ; Kibria, 1993 ; Hondagneu-Sotelo, 1994). Ces réflexions montrent que les relations de genre et les modèles genrés de reproduction des sphères de la famille et du travail se transforment à travers les processus migratoires. L’accent est mis sur l’apparition de relations de genre moins inégalitaires en matière de prise de décisions dans la famille, le partage des tâches domestiques, la mobilité de la femme à l’extérieur du foyer, ainsi que sur d’autres formes d’intersection et d’articulation des sphères privées et publiques (Hondagneu-Sotelo, 2000). Signalons que depuis quelques années, la question de l’intégration du genre dans les théories migratoires commence à se manifester comme objet de recherche renouvelé. Dorénavant, la reconnaissance du genre dans les théories explicatives de la migration se manifeste par le besoin d’aller au-delà des différences sexuelles et d’insister sur l’origine socioculturelle des inégalités. À ce propos, les théories féministes sont les plus avancées, elles reprochent aux théories existantes leur ignorance des rapports de genre et de ses implications sur les comportements migratoires. Selon Mackie (1987), les théories féministes reposent sur trois principes fondamentaux : 5 les différences sexuelles et le besoin de les faire ressortir. les individus sont modelés selon le sexe par les normes sociales qui leur spécifient ce qu’ils devraient être, sentir et faire. la hiérarchisation des activités, des rôles et des statuts dans toutes les sociétés. D’autres auteurs (Grieco et Boyd, 1998 ; Pessar et Mahler, 2001 ; Kofman, 1999) proposent une approche dynamique pour analyser les effets de genre en liaison avec des facteurs structuraux (familiaux, sociétaux et culturels). Grieco et Boyd (1998), par exemple, apportent leur contribution à l’intégration du genre dans l’analyse des migrations féminines en proposant une approche composée de trois phases : la pré-migration, la migration et la post-migration. Et chaque phase doit être étudiée en profondeurs. Par rapport à la première phase, les auteurs montre que les conditions de départ conditionnent largement le reste du processus de migration. Il s’agit généralement des caractéristiques socioéconomiques de la zone de départ, et facteurs familiaux et individuels tels que les rapports de genre, les rôles et les statuts dans la famille ou la société d’origine, l’accès aux ressources familiales, la capacité des hommes et des femmes à migrer seul ou en association ainsi que les motifs de la migration. La deuxième phase a trait à l’acte de migrer lui-même. A ce niveau intermédiaire, les auteurs recommandent la prise en compte des lois nationales, car celles-ci ont une influence considérable sur les courants migratoires au même titre que les stéréotypes et les rôles sexuels. Ces lois nationales déterminent la composition des flux migratoires. Elles sont de nature à encourager ou décourager la migration féminine. De même, elles peuvent être à l’origine du risque et la vulnérabilité sociale pour les femmes migrantes. Enfin, la troisième phase est celle de l’arrivée au pays d’accueil. A ce niveau ultime de la migration, les auteurs suggèrent l’analyse de tous les facteurs susceptibles d’influencer le sort des femmes migrantes dans la nouvelle société. Il s’agit particulièrement des facteurs socioéconomiques, des facteurs relatifs à la discrimination sur le marché du travail et des facteurs individuels tels les changements dans le statut de la personne suite à la migration. A travers ce survol théorique, il parait que malgré l’énorme avancée réalisée dans ce domaine de recherche, les réflexions qui analysent la dimension genre dans les processus migratoires continuent d’envisager les femmes soit comme des migrantes-dépendantes, ancrées dans leur rôle traditionnel d’épouse et de mère (Piper, 2003), soit comme des pourvoyeuses de maind’œuvre non-qualifiée et bon marché. Une approche axée sur la migration des femmes qualifiées fait toujours défaut (Nedelcu, 2005). 3. L’intégration du genre dans les politiques migratoires au Maroc Depuis le début des années quatre-vingt-dix, le Maroc s’est inscrit dans un processus dynamique d’intégration de la dimension genre dans les politiques publiques, en particulier celles qui touchent le phénomène de migration. Plusieurs actions ont été entreprises. Elles visent principalement à renforcer la protection des femmes immigrées (ou émigrées) et à éliminer toutes les formes de discrimination. 3.1. Le Maroc : d’une terre de départ et de transit à une terre d’accueil Le Maroc est connu traditionnellement comme une terre de départ des flux migratoires, en particulier ceux touchant les femmes. Ainsi dès la fin des années soixante-dix, l’émigration féminine a connu un développement important. Elle est de plus en plus individuelle et autonome. Des femmes souvent célibataires ou divorcées souhaitant améliorer leur niveau de vie se déplacent souvent à l’étranger. Les destinations préférées sont par ordre d’importance 6 les pays européens (Italie, Espagne, France, etc.) et les pays pétroliers en particulier les Emirats-Arabes-Unis et la Libye. A finalité économique, cette mobilité se fait aussi bien par des moyens légaux qu’à travers des réseaux de passeurs clandestins. Ces flux migratoires ont renforcé la féminisation de l’effectif migratoire. D’après une enquête du Haut Commissariat au Plan, la part des femmes marocaines migrantes représente environ 45% de l’effectif global (HCP-CERED, 2005). Parmi les différents pays d’accueil, l’Espagne arrive largement en tête. D’après les données publiées par l’Institut National Espagnol de la statistique (INE), le nombre de femmes marocaines résidentes en Espagne a enregistré une forte croissance au cours de ces dix dernières années. Il est passé de 39.790 en 1998 à 225.350 en 2009, soit un taux de progression de 466% en l’espace de 11 ans. L’Italie arrive en deuxième position. En 2007, les marocaines représentaient presque 37% du total de la population marocaine résidente dans ce pas contre 8,8% en 1992 (Khachani, 2010). La troisième position revient aux pays pétroliers du Golfe, plus particulièrement l’Arabie Saoudite et les Emirats arabe Unis. Bien que les données statistiques fassent défaut, nous pouvons dire que plus de la moitié des migrants marocains dans ces pays est de sexe féminin. Les femmes marocaines résidentes dans ces pays occupent généralement des postes peu convoités par les femmes autochtones, en particulier l’animation artistique nocturne, les travaux domestiques, la couture ou encore les loisirs. Il convient de constater que la structure socioprofessionnelle des marocaines candidates à l’émigration a tendance à changer. Ce ne sont plus uniquement les femmes relevant de la classe ouvrière et peu qualifiées qui sont tentées par l’émigration, mais aussi les femmes hautement qualifiées. Celles-ci choisissent surtout le Canada comme pays d’accueil. De même, aujourd’hui, la présence des étudiantes marocaines dans les Université étrangères est de plus en plus marquée comparativement aux années quatre-vingt. Par ailleurs, depuis un peu plus de deux décennies, les flux migratoires féminins ont changé de physionomie. Le Maroc n’est plus un simple pays émetteur d’immigrées, mais également une terre de transit ou d’accueil pour les subsahariennes. Outre la présence légale d’une population étudiante subsaharienne relativement importante, le Maroc accueille chaque année des centaines de femmes en provenance d’Afrique de l’Ouest, et qui espèrent franchir la méditerranée ou l’océan atlantique pour regagner le vieux continent. Ce transit par le Maroc s’explique à la fois par des considérations économiques (crises économiques et sociales dans les pays d’origine), géopolitiques (conflits armés dans certains pays africains), géographiques (proximité de l’Europe), historiques (des mouvements migratoires importants ont toujours existé entre l’Afrique Subsaharienne et le Maroc), culturelles (oppression patriarcale dans le pays d’origine associée à l’intégration facile dans la société marocaine). Il s’explique également par le développement de réseaux de migration clandestine de plus en plus organisés. Le passage par le Maroc est devenu incontournable pour beaucoup de candidates potentielles à la migration clandestine, Avec la crise économique qui touche la plupart des pays européens conjuguée au durcissement des contrôles aux frontières et à l’institution d’une force européenne de lutte contre l’immigration clandestine, regagner l’Europe (à partir de la méditerranée ou de l’atlantique) est devenu mission impossible. Dans ces conditions, les femmes subsahariennes candidates à l’immigration n’ont guère le choix que de s’installer au Maroc. Souvent vulnérables, ces femmes refusent de faire marche arrière, et sont donc de plus en plus tentées par un travail provisoire au Maroc en espérant des jours meilleurs pour tenter de rejoindre l’Europe. La durée moyenne de séjour au Maroc se situe à environ 2,5 ans pour l’ensemble des migrants Subsahariens enquêtés (selon l’enquête AMERM). 7 Ainsi, nombreuses les femmes subsahariennes qui ont choisi de se sédentariser au Maroc. D’après les statistiques officielles de 2010, plus de 15 000 africains vivent au Maroc dont 30% de femmes. Les femmes nigériennes arrivent en tête, suivies des maliennes, des sénégalaises et des congolaises. Mais, on trouve également celles venues du Ghana, du Sierra Leone, du Côte d’ivoire, etc. Ces femmes migrantes pratiquent généralement des petits métiers comme le travail domestique, la restauration ou encore la vente de tissu et autres objets d’origine subsaharienne. 3.2. Des mesures institutionnelles courageuses Au niveau institutionnel, l’intérêt pour la question de la migration s’est concrétisé par la création en 1990 d’un ministère délégué auprès du premier ministre chargé des Affaires des immigrés/émigrés. Le principal objectif affiché par ce Ministère est la protection des personnes migrantes, en particulier les plus vulnérables comme les femmes, tout en les aidants à exercer pleinement leur citoyenneté aussi bien dans le pays d’origine que dans le pays d’accueil. La même année, le Maroc a mis en place une Organisation à but non lucratif dédiée exclusivement aux immigrés marocains. Il s’agit de la Fondation Hassan II pour les Marocains résidants à l’étranger. Cette institution se charge, entre autres, d’aider les immigrés marocains à faire face à toutes sortes de difficultés aussi bien au Maroc qu’à l’étranger. Ces deux initiatives ont été appuyées par la création en 2007 du Conseil de la Communauté Marocaine à l’Etranger (CCME). Ce Conseil a pour mission d’assurer le suivi et l’évaluation des politiques publiques du Royaume envers ses ressortissants émigrés et leur amélioration en vue de garantir la défense de leurs droits et d’amplifier leur participation au développement politique, économique, culturel et social du pays. Le CCME est chargé par ailleurs d’assurer des fonctions de veille et de prospective sur les problématiques migratoires et de contribuer au développement des relations entre le Maroc et les gouvernements et les sociétés des pays de résidence des émigrés marocains. Le CCME rend des avis, entre autres, sur les mesures ayant pour but de garantir les droits et préserver les intérêts des femmes marocaines vivantes à l’étranger, notamment ceux en situation difficile ou précaire. Aussi, dans le cadre de la stratégie nationale de régulation de l’émigration, le Maroc a crée en 2003, au sein du Ministère de l’Intérieur, une Direction chargée de la migration et de la surveillance des frontières. De même, un Observatoire Nationale de la Migration a été mis en place. La mise en place de cette institution répond à un souci d’ouverture de dialogue et de concertation entre les différents acteurs socio-économiques à des besoins de connaissance du phénomène migratoire. Le principal objectif de cet Observatoire est la réalisation des études sur la question de la migration. Son action porte également sur le renforcement des instruments de collecte et d’organisation de l’information afin d’alimenter la base de données sur la migration, et fournir aux décideurs les outils nécessaires pour l’élaboration des plans d’action. Enfin, le Maroc a pris des engagements sur la question migratoire dans le cadre bilatéral (conventions et accords signés avec les principaux pays d’accueil), régional (accord d’association avec l’Union Européenne, groupe de 5+5) et international (le Maroc est l’un des premiers signataires de la Convention internationale pour la protection de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles). Egalement, deux mesures ont été adoptées en vue de lutter contre la violence l’égard des femmes quelques soit leurs nationalités. La première consiste en la mise en place, en 2002, d’une stratégie nationale de lutte contre la violence à l’égard des femmes, élaborée en collaboration avec le Fonds des Nations Unies pour la population, le Programme des Nations 8 Unies pour le développement et le Fonds de développement des Nations Unies pour la femme. La deuxième mesure a trait à la création d’un « numéro vert » national au profit des femmes victimes de violence surtout les employées de maison. Cet arsenal de mesures institutionnelles témoigne de la volonté du Maroc de rationaliser ses méthodes de travail, d’affiner ses outils d’analyse et de proposer des actions à même de mieux maîtriser la gestion du phénomène migratoire. 3.3. Une refonte du cadre législatif et juridique Au niveau législatif et juridique, des progrès significatifs ont été franchis dans le cadre de la lutte contre les inégalités et les discriminations basées sur le Genre. Ainsi, parallèlement au lancement d’un vaste chantier de réformes législatives visant l’égalité entre les sexes et le renforcement des Droits de la Femme, le Maroc s’est engagé dans un processus d’harmonisation de ses dispositions juridiques avec celles des conventions internationales en vigueur. Parmi les réformes législatives majeures consolidant le principe de l’égalité entre les sexes en matière de migration, il y a lieu de citer le Code de la famille, le Code de la nationalité et le Code du travail. Promulgué en 2004, le nouveau Code de la famille marque une certaine rupture avec les anciennes pratiques. En instituant la réciprocité des droits et des devoirs entre les conjoints, les rapports conjugaux passent du modèle de l’obéissance à celui de la concertation. De même, la notion de la « Wilaya » a été abolie. Désormais, la femme n’a plus besoin de l’autorisation de son conjoint pour voyager à l’étranger. Quant au nouveau Code du travail, il est fondé sur le principe de la non-discrimination en matière d’emploi et de salaires. Et pour combler le vide juridique au niveau du travail domestique effectué, entre autres, par femmes émigrées, le Maroc a récemment voté une nouvelle loi visant à réglementer et encadrer les tâches à accomplir (nettoyage, baby-sitting, cuisine, aide aux personnes âgées, etc.). Enfin, le nouveau Code de la nationalité (2007) consacre pour la première fois le principe de la marocanité des enfants nés d’un père étranger. L’article 9 dudit Code stipule que la femme dispose du même droit que celui que détient l’homme en matière de nationalité de ses enfants. Jusque-là le Maroc avait émis des réserves à l’égard de ce paragraphe, étant donné que le code de la nationalité marocaine de 1958 ne permettait pas à l’enfant d’avoir la nationalité de la mère que s’il est né d’un père inconnu, quel que soit le lieu de la naissance, ou d’un père apatride, avec naissance au Maroc. De même, l’enfant né au Maroc d’une mère marocaine et d’un père étranger peut acquérir la nationalité de sa mère à condition qu’il déclare, dans les deux années précédant sa majorité, vouloir acquérir cette nationalité. Un autre pilier du cadre juridique est représenté par la Loi 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulières. Cette loi définit les conditions d’accès au pays et réglemente les conditions et les procédures d’obtention du titre de séjour au Maroc. Elle protège, entre autres, les femmes enceintes et les femmes mineures en situation irrégulières, qui ne peuvent pas faire l’objet d’expulsion (Article 26). L’article 29 de Ladite loi précise également, qu’aucun étranger ne peut être éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu’il y exposé à des traitements inhumains, cruels ou dégradants. Par ailleurs, même l’étranger qui a fait l’objet d’une mesure administrative de reconduite à la frontière a le droit de demander l’annulation de cette décision en s’adressant au président du tribunal administratif en sa qualité de juge de référés. Enfin, l’article 17 de ladite loi précise que la carte de résidence est délivrée automatiquement à l’étranger qui a obtenu le statut de réfugié en application de la convention relative au statut 9 des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, ainsi qu’à son conjoint et à ses enfants mineurs ou dans l’année qui suit leur majorité civile. Parallèlement, le Maroc a ratifié la plupart des conventions visant à éliminer toute sorte de discriminations. Ainsi, à l’occasion de la Conférence internationale des Droits de l’Homme qui s’est tenue à Vienne en 1993, le Maroc a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) du 18 décembre 1979, et surtout la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille du 18 décembre 1990. Cette dernière convention constitue une référence législative universelle reconnaissant les droits de toutes les migrantes légales ou clandestines. Parmi ces droits figurent les libertés de pensée, d’expression, de religion, et les droits fondamentaux de circulation, ainsi que les droits à la vie, à la protection contre la torture, contre l’esclavage, la servitude et les travaux forcés. D’autres droits sont également reconnus, en particulier le respect de la vie privée, le droit à la propriété, le droit à la sûreté de la personne, le droit aux garanties judiciaires et à une justice équitable, le droit à un traitement humain lors de toute arrestation ou détention, la protection contre toute expulsion collective ou abusive, le droit à avoir recours à l’assistance des autorités consulaires ou diplomatiques de l’Etat d’origine, le droit de réunion, etc. La convention encourage également la coopération entre Etats pour garantir une «bonne organisation du retour des travailleurs migrants et des membres de leur famille dans l’Etat d’origine, lorsqu’ils décident d’y retourner ou que leur permis de séjour ou d’emploi vient à expiration ou lorsqu’ils se trouvent en situation irrégulière dans l’Etat d’emploi». Lorsque le Maroc a ratifié la convention, il songeait probablement à ses immigrés installés à l’étranger. Il faut souligner que le Maroc est le seul pays maghrébin à avoir ratifié la convention internationale de protection de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (Convention de 1990), Enfin, le Maroc a signé en 2007 un accord de coopération avec le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés aux fins de la mise en œuvre d’une stratégie nationale relative aux réfugiés 3.4. Des avancées en matière de Budgétisation Sensible au Genre La Budgétisation Sensible au Genre constitue un pilier de la réforme budgétaire axée sur les résultats. Elle permet de relier l’impératif d’égalité à l’efficacité budgétaire, et ce à travers une meilleure prise en compte par l’action publique des besoins différentiés des hommes et des femmes Ainsi, à l’instar d’autres pays, le Maroc s’est lancé depuis 2003 dans un processus d’intégration progressif de l’approche genre dans la démarche de la préparation et de l’exécution du budget de l’Etat. Soutenue par l’UNIFEM, cette mesure s’inscrit dans le cadre des engagements pris par le Maroc lors des conférences mondiales, notamment celles tenues à Pékin en 1995 et à New York en 2000 (Déclaration du Millénaire). Elle intervient également dans un environnement national favorable à la dynamique de changement. Pilotée par le Ministère des Finances, cette nouvelle approche vise deux principaux objectifs : Tenir compte des préoccupations et des intérêts différenciés des femmes, des hommes, des filles et des garçons lors de la formulation, de l’exécution et de l’évaluation des politiques publiques; 10 Assurer l’équité et améliorer l’efficacité et la cohérence des politiques publiques à travers une meilleure allocation des ressources budgétaires. Elle vise également à institutionnaliser la dimension genre dans les pratiques de gestion des ressources humaines, de renforcement de capacités, de gestion des connaissances et de communication institutionnelle. A l’évidence, une telle approche est de nature à aider les acteurs publics à redéfinir les priorités et d’allouer des ressources pertinentes qui répondent aux besoins de toutes les catégories de la population, en tenant compte de la position désavantagée des femmes en termes d’accès aux services publics. L’intégration de l’approche genre dans l’élaboration et l’analyse des budgets est considérée au Maroc comme une composante essentielle des réformes du processus budgétaire. Aussi, la gendérisation du budget de l’Etat est-elle perçue comme un moyen efficace de bonne gestion publique à travers trois dimensions fondamentales : le ciblage, la proximité et le management novateur. Il s’agit d’une approche structurante qui vise à assurer l’équité et l’accès égal aux services publics à travers des politiques de proximité (Nalini et All, 2005). Le processus d’évaluation des politiques sensibles au genre au Maroc prend la forme de la production annuelle d’un Rapport Genre qui est présenté au Parlement en parallèle au projet de loi de finances. Les ateliers qui font partie du processus de production de ce rapport réunissent les personnels techniques et thématiques avec les gestionnaires des budgets ainsi que des statisticiens. (Budlender, 2010). Et depuis 2007, tous les Départements Ministériels ont été appelés à intégrer la dimension genre dans leurs politiques de développement et leurs programmes de budgétisation. 3.5. L’adoption de la Charte Nationale pour l’Amélioration de l’Image de la Femme dans les Médias Par souci de rehausser l’image de la femme et consacrer une culture médiatique fondée sur les principes de l’égalité, de respect et de dignité, le Maroc a exprimé sa volonté de mettre en place une déontologie destinée à rendre justice à la femme, et permettant de définir les formes et les procédures en vertu desquelles les medias marocains doivent traiter la femme. Cette volonté s’est traduite en 2005 par la mise en application de la Charte Nationale pour l’Amélioration de l’Image de la Femme dans les Médias. Cette charte, constitue un facteur important pour l’instauration d’un processus à même d’intégrer une culture médiatique garantissant l’égalité entre les femmes et les hommes. Elaborée conjointement par le Secrétariat d’Etat chargé de la famille, de l’enfance et des personnes handicapées, le Ministère de la culture, le Ministère de la Communication, ainsi que les intervenants dans le secteur médiatique (le Syndicat national de la Presse marocaine, l’Union des Agences Conseils en Communication et le Groupement des Annonceurs Marocains), cette Charte s’est fixée comme objectifs. - La diffusion des principes et de la culture des droits de l’Homme, le respect de la dignité de la femme et la lutte contre toutes les formes de discrimination ou d’exclusion ; - Le renforcement de la prise de conscience sur l’importance d’une image positive de la femme dans la diffusion de la culture égalitaire ; - L’élaboration de stratégies d’information reposant sur l’approche genre ; - Participation des femmes dans la prise de décision dans les médias sur des critères de compétence professionnelle et l’égalité des chances ; - La non-exploitation du corps de la femme dans les annonces commerciales ; 11 - La lutte contre toute action visant à consacrer l’image stéréotype qui reproduit des idées discriminatoires basées sur le genre (femme au foyer, femme-objet, femme-victime, etc.) ; - La diversification des programmes (télévision, radios, presse écrite et électronique) à l’attention des femmes en tenant compte de la diversité culturelle ; - La création d’un site internet consacré à l’égalité et un réseau de points focaux dans les médias nationaux. Et pour accélérer l’opérationnalisation de la Charte nationale pour l’amélioration de l’image de la femme dans les médias, la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle au Maroc (HACA) a créé une cellule médiatique chargée de suivre la question de la promotion de la femme. 4. Les politiques migratoires genrées : un bilan assez mitigé Pour beaucoup d’hommes politiques et d’experts internationaux, la tendance générale en matière d’intégration du genre dans les politiques migratoires au Maroc est jugée satisfaisante. Certes, les dispositions prises par les autorités marocaines sont louables et comparables à celles appliquées dans les pays avancés, mais la réalité du terrain suscite des interrogations. En effet, malgré la richesse des mesures institutionnelles et juridiques, certains dysfonctionnements parfois graves et répétés persistent. 4.1. La divergence d’intérêts des groupes impliqués dans les politiques migratoires La théorie économique nous apprend que la préparation et surtout l’exécution des politiques publiques est une mission très difficile. Cette difficulté s’explique à la fois par des considérations techniques et politiques. Sur le plan technique, les décideurs publics sont tenus de mettre en place de nouvelles règles, de nouvelles procédures et une nouvelle organisation ; autant d’occasions impliquant un risque de commettre de se tromper, de mal anticiper les contraintes et les comportements individuels et collectifs. Sur le plan politique, les décideurs publics sont souvent amenés à faire des concessions, à faciliter l’adhésion des opposants aux projets de changement, à accepter de nouvelles règles de partage et à supporter un risque de sanction très élevé (El Morchid, 2010). A l’instar de toutes politiques publiques, l’élaboration des politiques migratoires supporte des coûts élevés et engendre des résultats sous formes de gains ou de pertes. Mais, la répartition de ces coûts et de ces résultats est souvent fondée sur la décision politique non-démocratique, plutôt que sur des critères de justice et d’efficience. Au cœur de cette logique de répartition, certains décideurs politiques manipulent souvent les politiques migratoires pour servir leurs propres intérêts ou les intérêts des partis qu’ils représentent. Pour cela, ils développent des politiques clientélistes et distribuent des privilèges et des avantages sous forme de rente. Cela donne souvent lieu à une sorte de marchandage impliquant tous les groupes concernés. A notre sens, il est possible d’identifier sept groupes concernés par les politiques migratoires genrées : le gouvernement marocain, l’Union européenne, les ONG et Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés marocaines et étrangères, les réseaux de passeurs, les femmes migrantes, les technocrates et enfin les gouvernements des pays d’origine. Le gouvernement marocain est l’acteur le plus important et le plus impliqué dans les politiques migratoires genrées. Vu les contraintes externes, il est dans une position délicate. D’un côté, il est tenu de satisfaire ses partenaires économiques européens à travers le durcissement des lois et des contrôles. Mais d’un autre côte, il n’a pas intérêt à perdre l’amitié et le soutien politique (problème du Sahara) des pays d’accueil des candidates à la migration. Il n’a pas non plus intérêt à être critiqué par des ONG internationales et le Haut Commissariat pour les réfugiés. Dans ces conditions, trouver un compromis entre ces contraintes n’est chose 12 aisée. On comprend dès lors que l’accord ne peut se faire que sur le plus petit commun dénominateur. Le deuxième groupe impliqué dans le gendérisation des politiques migratoires est l’Union Européenne. Cette institution utilise souvent l’arme économique pour pousser le Maroc à s’occuper du contrôle d’une partie de ses frontières du Sud, et ce quelques soit les conséquences. Il s’agit là d’une sorte d’externalisation du traitement de l’immigration sous toutes ses formes. D’ailleurs, pour beaucoup d’observateurs, la loi n° 02-03 relative à l’entrée et au séjour des immigrés de 2003 a été prise sous la pression de l’Union européenne. Certes, la nécessité de cette loi n’est pas contestée, mais pour beaucoup d’ONG et d’experts de la migration, elle est jugée trop répressive et ne prenant pas en compte la situation particulière des femmes. Cela n’est guère étonnant puisque la coopération économique entre le Maroc et l’Union européenne est déjà fortement conditionnée par les mesures prises pour gérer les flux migratoires. Le troisième groupe est composé des ONG marocaines et étrangères s’intéressant aux questions migratoires, de même de le HCR. Qualifiées de sympathisants dynamiques, ces ONG défendent ardemment l’intégration de la dimension genre dans les politiques migratoires. En même temps, elles ne cessent de dénoncer l’attitude du Maroc vis-à-vis de la question de l’immigration féminine subsaharienne, surtout les mauvais traitements. Elles dénoncent également les conditions de vie, le manque d’hygiène et d’infrastructure sanitaire dans des dizaines de camps de fortune installés dans des zones reculées au Nord du Maroc. Vu sa bonne organisation, le niveau d’instruction de ses membres et le soutien des médias, ce groupe dispose d’une capacité d’intervention et d’influence élevée. Sur le plan humanitaire, il apporte régulièrement soutien, aide et assistance médicale aux immigrés subsahariens, en particulier les femmes. Concernant particulièrement le HCR, sa présence effective au Maroc est relativement récente. Elle remonte à 2004. Depuis cette date, cet organisme intervient pour renforcer les mécanismes de protection pour les réfugiés et chercher des solutions durables au problème, telles que le retour volontaire et la mise en place de projets permettant aux réfugiés d’être indépendants financièrement. Le quatrième groupe est composé des réseaux de passeurs. Il englobe des « trafiquants d’êtres humains », ce groupe est très bien organisé. Son rôle est d’acheminer les clandestins (hommes et femmes) vers l’Espagne ou vers les pays du Golf afin de gonfler le nombre de travailleursesclaves dans activités peu valorisantes sur le plan social. Naturellement, ce groupe jouit de la complicité policière et politique au plus haut niveau aussi bien au Maroc qu’à l’étranger. Il dispose dès lors d’un très grand pouvoir d’intervention lui permettant de nuire à l’image du pays et de gêner toute tentative de changer la réalité du terrain. Le cinquième groupe est composé des femmes migrantes (aussi bien les femmes marocaines que celles originaires des pays subsahariens). Souvent pauvres, fragiles, mal instruites et mal encadrées, ces femmes constitue le maillon de toute la chaine migratoire. Malgré le discours officiel rassurant, elles sont victimes de toutes sortes de violence et d’abus de la part des passeurs, mais parfois aussi de la part des forces de l’ordre. A l’évidence, vu leur fragilité, les membres de ce groupe ne peuvent que se résigner au sort qui leur sera fait, même si celui-ci leur déplaît. Le sixième groupe est formé des technocrates. Chargé de mettre en application les dispositions genrées des politiques migratoires, ce groupe comprend essentiellement les fonctionnaires des Ministères concernés (Ministère de l’Intérieur, Ministères chargés des questions migratoires et Ministère chargé de la famille, de l’enfance et des personnes handicapées), les fonctionnaires des Collectivités Locales et les fonctionnaires de 13 l’Administration de la Défense Nationale. Ce groupe se caractérise par une faible capacité d’expertise dans le domaine de l’implémentation des politiques publiques genrées. Aussi, ses membres manquent souvent d’audace et d’engagement. Le résultat en est l’apparition d’un gap très profond entre le contenu des politiques migratoires genrées et la réalité de terrain. Le septième et dernier groupe se compose des pays d’origine sauf le Maroc (les pays subsahariens). Les pays membres de ce groupe sont censés jouer un rôle considérable dans la protection et la préservation des intérêts de leurs citoyens, mais la réalité est tout autre. En effet, au lieu de s’engager dans un processus de suivi du sort de leurs compatriotes, ces pays préfèrent jouer le rôle de spectateurs. A notre avis, cette attitude s’explique par la faible capacité de ces Etats, mais aussi par leur confiance en les stratégies migratoires du Maroc. Ce dernier, rappelons-le, a constamment besoin du soutien des Gouvernements des pays subsahariens dans la gestion du dossier du Sahara. Il compte également beaucoup sur les débouchés que représentent ces pays pour les produits marocains. Dans ces conditions, on comprend que le Maroc est tenu de traiter la question migratoire subsaharienne avec une certaine rationalité. Ainsi, à travers ce bref survol, nous nous apercevons que le nombre d’acteurs concernés et directement impliqués dans les politiques migratoires est relativement élevé. Le conflit d’intérêts entre ces groupes est souvent source d’immobilisme et d’inefficacité. 4.2. La poursuite de la marginalisation des femmes immigrées/émigrées Malgré les mesures courageuses visant à intégrer la dimension genre dans les politiques migratoires au Maroc, la situation des femmes immigrées/émigrées n’est pas très enviable. Au contraire, elles sont toujours victimes de toutes sortes de discriminations. Ainsi, beaucoup de femmes marocaines installées à l’étranger vivent dans des conditions difficiles et parfois même inhumaines. Ainsi, l’image de la plupart des femmes marocaines installées dans les pays arabes du moyen orient est souvent marquée par l’esclavage : travail domestique forcé, prostitution, etc. Souvent pauvres, peu éduquées et issues d’un milieu social défavorisé, ces femmes quittent souvent le Maroc avec des contrats de travail proposés par des intermédiaires dans des conditions peu transparentes (cuisinières, aides soignantes, hôtesses, coiffeuses, etc.). D’ailleurs à leur arrivée au pays d’accueil, les clauses contenues dans ces contrats ne sont pas respectées et des centaines de femmes se retrouvent séquestrées, battues et forcées à se prostituer. De même, avec la crise qui secoue les économies européennes, en particulier l’Espagne et l’Italie, des milliers de femmes marocaines immigrées se sont retrouvées au chômage. Déjà avant la crise leur situation était fragile, mais aujourd’hui, elle devient insupportable. La situation des femmes subsahariennes installées illégalement au Maroc n’est guère meilleure. Selon le dernier rapport de l’ONG Médecins sans frontières rendu public en 2010, ces femmes sont victimes de toutes sortes de violences : agression physique, viole, humiliations, etc. D’après les résultats de l’enquête menée par cette ONG, 39% des personnes recensées en janvier 2010 ont affirmé avoir été agressées, et entre mai 2009 et janvier 2010, une femme sur trois venues consulter l’ONG à Rabat et à Casablanca a reconnu avoir été victime de violences sexuelles (2). Ainsi, en dépit des avancées d’ordre juridique et institutionnel, le Maroc ne protège pas suffisamment les femmes subsahariennes. Au contraire, il n’hésite pas à organiser des expulsions qui ne respectent pas toujours les procédures. 14 4.3. L’absence d’une politique migratoire claire Au Maroc, comme dans la majorité des pays africains, les politiques migratoires dans leur ensemble se caractérisent par l’absence de visibilité susceptible d’inspirer des actions intelligibles et concrètes. En effet, depuis le début des années quatre-vingt, aucune politique efficace, faisable et durable n’a été appliquée. L’improvisation demeure la règle. Plusieurs raisons peuvent être évoquées pour expliquer cette situation. En premier lieu, bien que la capacité de l’Etat ne soit pas faible, ses décisions ne sont pas toujours cohérentes. Par souci de préserver des intérêts économiques et politiques jugés vitaux, les décideurs politiques marocains préfèrent gérer le dossier migratoire au jour le jour en fonction de l’évolution des relations maroco-espagnoles. En deuxième lieu, les différentes interrogations que pose la migration au Maroc ne sont pas élucidées par des données statistiques et cartographiques suffisamment fiables pour servir à construire des consensus. Les données statistiques susceptibles d’orienter les politiciens dans l’élaboration d’une politique migratoire efficace sont défaillantes. Les données disponibles sont généralement parcellaires, partiales et dispersées. En troisième lieu, les politiciens chargés d’élaborer les politiques migratoires ne sont pas toujours bien entourés. Leurs conseillers sont souvent choisis selon des critères clientélistes, plutôt que des critères de compétences et d’expertise. En quatrième lieu, la gestion de la question migratoire par le Ministère de l’Intérieur nous parait défaillante. Les fonctionnaires manquent généralement de motivation. Au lieu de jouer le rôle de facilitateur et de véritable interlocuteur, ils préfèrent appliquer scrupuleusement les lois et les règlements. Il s’agit d’une machine administrative statique qui réagit mal aux attentes des migrants ou pour le moins en retard. En cinquième lieu, la coordination entre les acteurs chargés de la question migratoire n’est pas toujours assurée. De même, la coordination avec les pays d’origine d’immigrés clandestins est jugée très insuffisante, sinon inexistante. Par ailleurs, on relève l’absence d’une véritable réflexion sur deux dossiers ; celui des femmes marocaines installées dans les pays du Golf et celui des femmes subsahariennes installées illégalement au Maroc. Le premier dossier est absent dans l’agenda des autorités marocaines. Malgré le mauvais traitement que subissent certaines émigrées marocaines dans ces pays et la nature parfois dévalorisante des emplois qu’elles occupent, les autorités marocaines préfèrent ne pas réagir. Cette attitude trouve son explication dans la nature des relations politiques entre le Maroc et les pays du Golf. Depuis toujours, ces relations étaient excellentes au plus haut niveau de la hiérarchie. Quant au deuxième dossier, celui de l’immigration clandestine, le Maroc n’a jamais opté pour une approche globale. Tantôt, il opte pour une approche sécuritaire, tantôt pour une approche concertée et humanitaire, et ce en fonction de la qualité de ses relations avec l’Espagne. Ces relations sont généralement dominées par un constant échange de regards chargés des fois d’amour et d’autre de haine. Ainsi, chaque fois que ces relations traversent des moments difficiles, le Maroc n’hésite pas à renoncer à l’approche sécuritaire en fermant les yeux sur certaines tentatives d’aventure d’immigrés subsahariens à regagner la rive nord de la méditerranée à bord d’embarcations de fortunes. Ces tentatives sont souvent médiatisées et l’approche humanitaire devient la règle. En revanche lorsque les relations entre les deux pays redeviennent normales, on assiste à un retour rapide à l’approche sécuritaire. 4.4. Une mauvaise représentation des femmes dans les médias Partant du principe universel que les médias contribuent au façonnement des mentalités et à la construction des représentations, les autorités publiques marocaines ont mis en place la Charte Nationale pour l’Amélioration de l’Image de la Femme dans les Médias. Mais, malheureusement, trois ans après sa signature, l’opérationnalisation de cette Charte tarde à se produire, surtout dans le domaine de l’immigration/émigration. En effet, les médias marocains 15 continuent de soumettre les femmes migrantes aux stéréotypes traditionnels qui combinent des clichés négatives attachés aux immigrés et ceux liés aux femmes en général. Les vrais intérêts des femmes dans le traitement des événements migratoires y sont peu ou pas présents. La presse écrite, la publicité, la radio et la télévision n’ont pas encore cessé de propager des représentations des clichés dévalorisants sur la femme migrante. Pour elles, la femme migrante est traditionnelle, chosifiée, superficielle, victime, non productive, etc. Une étude réalisée par le Ministère du Développement Social, de la Famille et de la Solidarité en 2008 fait ressortir des réalités qui confirment la discordance entre la politique volontariste consistant à renforcer la position de la femme en tant qu’intervenant actif dans l’évolution de la société et la réalité du terrain qui montre que les discours sont loin de se convertir en actions. Il en ressort que l’image renvoyée de la femme et la représentation qui en est faite, sont souvent déformées et discriminatoires. A l’évidence, cette faible représentation des femmes dans les médias est de nature à gêner, sinon à bloquer les efforts de changement engagés pour promouvoir une véritable culture de l’égalité des chances dans tous les domaines. Il convient d’ajouter que l’accès massif des femmes au secteur médiatique ne s’est point traduit par une influence positive sur l’image que l’on nous offre de la femme migrante. Cela s’explique naturellement par l’absence d’une véritable stratégie informative faisant appel au concept de genre. 16 5. Conclusion Depuis quelques années, la question du genre s’est configurée comme un nouveau champ dans les politiques migratoires au Maroc. Il s’agit naturellement d’une question délicate car elle embrasse plusieurs aspects complémentaires : humain, politique, technique, ethnique, social et culturel. Tout au long de cette contribution, nous avons tenté de décrire et d’analyser le volet conceptuel et le volet pratiques des politiques migratoires au Maroc. Cet exercice nous a permis d’arriver à la conclusion selon laquelle il existe un décalage entre le discours officiel et la réalité du terrain. En effet, malgré l’importance du dispositif législatif, réglementaire, institutionnel et politique visant l’intégration de la dimension genre dans les politiques migratoires, la situation des femmes immigrées (ou émigrées) demeure préoccupante. L’opérationnalisation du dispositif en question n’est pas chose aisée dans un contexte caractérisé par des conflits d’intérêts entre les différents acteurs concernés par les politiques migratoires. Ainsi, nous soutenons que la gendérisation des politiques migratoires, mise en avant par le Maroc, est une gendérisation de façade. Outre leur faiblesse, les dispositifs et les mesures censés intégrer la dimension genre dans les politiques migratoires, manquent de cohérence et se caractérisent par une sorte de tâtonnement. Nous estimons que pour atténuer les souffrances des femmes africaines immigrées/émigrée, il convient de revoir les modèles de développement appliqué en Afrique. Il faut envisager un développement global qui soit soucieux d’établir un équilibre juste entre la croissance économiques et les impératifs d’ordre social. Aussi, nous plaidons en faveur d’une politique migratoire volontariste accompagnée d’un variable plan d’action à moyen et long terme. Un tel plan doit donner plus d’importance à la formation qualifiante des femmes candidates à l’immigration/émigration, au développement de la recherche sur la question des politiques migratoires genrées, à la coordination entre les différents intervenants concernés par les politiques migratoires, à la mise en place de mécanismes de suivi et d’évaluation de l’application des lois, à la promotion de valeurs d’égalité en tant que composantes nécessaires au changement d’attitudes, au renforcement de la communication constructive autour de la migration féminine, à la conclusion d’accords de partenariat entre les pays d’origine et les pays d’accueil, au soutien aux femmes porteuses de projets de développement dans la mèrepatrie. Aussi, nous estimons qu’il est impératif de mettre en place une base de données concernant la situation des migrantes marocaines dans leurs pays d’accueil et des migrantes africaines au Maroc. Nous estimons, enfin, que la publication d’un livre Blanc sur la place du genre dans les politiques migratoires est souhaitable. Une telle action est de nature à aider les décideurs publics à mieux orienter leurs stratégies vers les vraies priorités, tout en prenant en compte les contraintes économiques, politiques, techniques et socioculturelles. Notes (1) D’introduction relativement récente dans la conception d’une politique migratoire, l’approche « genre », consiste à tenir compte, lors de la formulation de cette politique, des préoccupations spécifiques et des intérêts différenciés des femmes et des hommes dans un esprit d’équité, d’efficacité et de cohérence. (2) Pour plus de détails, voir le rapport élaboré par l’ONG médecins sans frontières en 2010 et qui porte sur « Alerte sur les violences contre des femmes subsahariennes au Maroc ». 17 6. Références Amprou J. et Duret E. 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