DIPLOME SUPERIEUR en TRAVAIL SOCIAL - CEDIAS

Transcription

DIPLOME SUPERIEUR en TRAVAIL SOCIAL - CEDIAS
Centre de Préparation au
DIPLOME SUPERIEUR en TRAVAIL SOCIAL
En Midi-Pyrénées
DIPLOME SUPERIEUR en TRAVAIL SOCIAL
Promotion DSTS 9 – 2002-2005
Patrick RIBET
Directrices de recherche :
Mesdames RICAUD Solange
Toulouse Mars 2006
et SAINT MARTIN Corinne
Pour Adrien et Romain,
« On court tous après quelque chose sans savoir forcément quoi »
F. Mauriac - Journal
2
Qu’Adrien, Romain et Christiane m’excusent pour ces trois années d’ « absence », les
mots sont trop réducteurs pour leur exprimer ce que je leur dois…
J’ai bénéficié tout au long de ce travail de l’aide attentive, de la patience et des
encouragements de Corinne SAINT MARTIN et Solange RICAUD, auxquelles je tiens à
exprimer toute ma gratitude.
Que les étudiants du DSTS 10, dont les récits sont au cœur de ce travail, soient
remerciés pour la confiance qu’ils m’ont faite et la sincérité de leurs paroles.
Merci enfin aux parents et amis pour leur compréhension et leurs encouragements, et
à Nadine pour son aide.
3
SOMMAIRE
4
SOMMAIRE.
p.4
INTRODUCTION
p.8
PREMIERE PARTIE :
« Un champ spécifique »
p.11
p.12
Chapitre 1 : Le Travail Social.
1-1- Approche socio-historique du travail social.
p.13
1-2- Des métiers « impossibles ».
p.15
1-3- Une identité en crise.
p.17
1-4- Travail social et formation.
p.18
Chapitre 2 : La formation professionnelle continue (FPC).
p.20
2-1 - Au travers de l’histoire.
p.20
2-2 - La FPC : pour quel public ?
p.23
2-3 - Stratégies et motivations à l’engagement en FPC.
p.24
2-4 - Le DSTS et la FPC.
p.26
Chapitre 3 : Vie adulte et formation permanente :
p.29
3-1 - Adulte : une notion en transformation.
p.29
3-2 - Crises et transitions.
p.30
3-3 - Temporalité : le mitan de la vie.
p.31
3-4- Conclusion : de nouveaux défis.
p.32
p.33
Chapitre 4 : Qualification / Compétence : opposition ou articulation ?
4-1 - De la qualification à la compétence.
p.33
4-2 - La qualification.
p.34
4-3 - La compétence.
p.35
4-4- Le rapport entre qualification et compétences.
p.37
4-5 -Conclusion.
p.38
Chapitre 5 : Construction de l’objet de recherche.
p.40
5
DEUXIEME PARTIE :
« Sens et fonctions de la reprise d’études »
p.42
Une hypothèse de recherche
p.43
Chapitre 6 : Méthode d’observation et d’analyse.
p.46
6-1- « Les récits de vie » : approche biographique.
p.46
6-2- La construction de l’enquête et le recueil des données.
p.50
6-2-1- Un dispositif d’observation.
6-2-2- L’analyse des données.
p.56
Chapitre 7 : Histoire de famille : un environnement.
7-1- Des origines sociales diverses.
p.56
7-2- Des valeurs héritées.
p.59
7-3- Une commande de « réussite » ou…
p.61
7-4- Un engagement militant.
p.63
Chapitre 8 : Souvenir d’école.
8-1- L’école dans l’environnement familial.
8-1- Entre rupture et continuité.
p.66
p.66
p.68
8-2-1- Confrontation à la scolarité.
8-2-2- « Rien de particulier ».
Conclusion, une construction identitaire héritée.
p.76
Chapitre 9 : Entrée dans le social : un parcours professionnel.
p.78
9-1- Introduction.
p.78
9-2- Une porte d’entrée spécifique.
p.78
9-2-1- Les « vocations ».
9-2-2- Le fait du hasard.
9-2-3- Des rencontres.
9-3- Militants ou travailleurs sociaux.
p.84
9-4- Une volonté permanente de formation.
p.86
6
Chapitre 10 : Des motivations multiples.
p.88
10-1- La formation initiale : un déclencheur…
p.88
10-2- L’effet de l’usure professionnelle.
p.90
10-3- Temporalité : notion du temps qui passe.
p.92
10-4- La promotion sociale.
p.94
10-5- Une quête identitaire.
p.95
10-5-1- Compétences donc qualification.
10-5-2- Une revanche.
10-5-3- Une adéquation fonctions et diplômes.
10-5-4- Conclusion.
10-6- Accompagnés ou seuls ?
p.101
10-6-1- Quand enfants et conjoint sont un soutien.
10-6-2- La « solitude » pour moteur.
TROISIEME PARTIE :
« Deux typologies : continuité et rupture»
p.104
Chapitre 11 : Deux formes de structuration existentielle.
11-1- Une continuité biographique.
p.105
p.106
11-1-1- Caractéristiques des « AS » : la continuité.
11-1-2- Les événements de la biographie chez les « AS ».
11-2-1- Une rupture biographique.
p.108
11-2-1- Caractéristiques des « ES » : la rupture.
11-2-2- L’événement biographique chez les « ES ».
11-3- Conclusion.
p.110
Chapitre 12 : Des processus identitaires à l’œuvre.
p.111
Chapitre 13 : Conclusion.
p.115
CONCLUSION GENERALE.
p.117
BIBLIOGRAPHIE.
p.120
SIGLES ET ANNEXES.
p.124
7
Introduction
Pourquoi le choix de ce thème de recherche ? La question nous semble
centrale dans notre position d’ « apprenti – chercheur » cherchant sur la formation ellemême. Si le choix d’un thème de recherche n’est jamais complètement indépendant des
interrogations que peut avoir le chercheur sur sa propre existence, l’utiliser afin de
trouver des réponses à un questionnement personnel, conduirait ce travail à un double
échec : des réponses personnelles insatisfaisantes et une recherche faussée, inconsistante
donc sans grand intérêt.
Il ne s’agissait donc pas de rédiger une autobiographie mais bien de
s’interroger sur l’engagement en formation des travailleurs sociaux. Conscient de cet
écueil, notre travail de distanciation, de « rupture » nécessaire, souligné par Bourdieu P,
Chamboredon JL et Passeron JC1 , a guidé notre travail avec le souci permanent de
rompre avec les préjugés et les fausses évidences, aidé par un travail de « construction
théorique » important.
De même, nous sommes conscients de l’ambiguïté et des parasitages
possibles de notre double position d’étudiant en DSTS et d’apprenti chercheur mais il
nous semble que notre engagement, avec la distance nécessaire comme nous venons de
le préciser, est aussi un outil et un atout pour éviter le piège du regard « étranger » trop
souvent porté sur les travailleurs sociaux par des psychologues, des sociologues ou des
politiques.
Nous avons rencontré au cours de notre expérience professionnelle des
travailleurs sociaux qui évoquaient l’idée de faire cette formation ou une autre, certains
ont franchi le pas… Il s’agissait bien, pour nous, d’interroger cet engagement en
formation, de questionner les processus de reprise d’études universitaires.
1
BOURDIEU P, CHAMBOREDON JL et PASSERON JC, « Le métier de sociologue », Bordas, Paris,
1968.
8
« Il ne saurait y avoir pour l’homme d’autre formation qu’infinie, et que
la spécificité de l’homme tient au fait qu’il est l’être qui ne sera jamais achevé, mais
toujours en chemin vers lui-même : soit qu’il ne sache jamais ce qu’il doit être, soit
qu’il le sache mais n’y parvienne jamais » 2.
« Aller en formation », « partir en formation », « être en formation »,
« faire une formation »,... autant de manières de signifier un état de fait, une idée réelle
de mouvement et de volonté ; pourtant nous sommes rarement renseignés, sans
questionnement, sur quelle formation, dans quel but, pour quelles motivations ?
Ces interrogations recoupent pleinement l’engagement des travailleurs
sociaux dans la formation continue universitaire qu’est le Diplôme Supérieur en Travail
Social (DSTS) : qu’est-ce qui motive cette « torture » volontaire, comment est-ce inscrit
dans un parcours de vie, qu’est-ce qui est rationnel ou fantasmé ?
Nous avons donc centré notre recherche sur ce processus, ce parcours
afin de tenter d’apporter quelques éléments de réponse. En effet, le travail social est, en
premier lieu, une action de régulation que s’impose la société pour compenser ou
corriger certains de ses dysfonctionnements mais il est traversé depuis quelques années
par une crise de sens, percuté par les crises successives que traverse cette société, et les
travailleurs sociaux sont pris dans cette contradiction.
Lors d’entretiens exploratoires Marion s’interrogeait : « Peut-être ai-je
un vide à combler », ou bien Pierre notait : « L’engagement syndical m’a construit…j’ai
pu apprendre » ou Emma : « J’avais envie d’une réussite scolaire », ou encore Pauline
annonçait : « Une forme de saturation, d’insatisfaction…et une opportunité de
promotion… ». Dans notre travail d’exploration, nous avons perçu la multiplicité des
motivations avancées pour justifier la reprise d’études. Quels sens, quelles fonctions
pouvaient donc réellement prendre cette démarche ? Telles étaient nos questions de
départ de ce travail.
2
PIAT E., « La difficile formation d’une liberté », in Revue EMPAN, n° 56, « La formation en
question », déc. 2004.
9
Dans un souci d’une construction théorique de notre objet de recherche,
nous avons tenté, dans la première partie, une approche socio-historique du travail
social et de la formation professionnelle continue (FPC), puis un abord de la notion de
« la vie adulte » et de l’articulation qualification / compétence.
Dans la deuxième partie, après avoir posé notre hypothèse, nous tâchons
de construire un modèle théorique d’analyse et la méthodologie qui s’y réfère.
L’observation indirecte et l’analyse de contenu des récits de vie recueillis nous
permettront de confronter à la réalité du terrain, notre hypothèse de départ.
La dernière partie nous permettra de présenter les résultats de ce travail
quant à l’émergence de deux typologies d’étudiants et la mise en œuvre de processus
identitaires.
10
PREMIERE PARTIE
« Un champ spécifique »
11
Nous nous attacherons, tout d’abord, à une approche du travail social, de
ses enjeux, de ses acteurs, de son devenir (Chapitre 1). Ensuite nous analyserons la
construction et l’évolution de la Formation Professionnelle Continue (FPC) et la place
qu’elle occupe dans le champ du travail social (Chapitre 2). Puis il nous semble
pertinent de faire un détour par la notion de temporalité de la vie adulte et son impact
dans la formation permanente (chapitre3) ; de cet ensemble découle un des enjeux forts
de l’opposition ou de l’articulation des notions de qualifications et de compétences
(Chapitre 4).
Nous aborderons au chapitre 5, quelle problématique induit le départ en
formation DSTS.
Chapitre 1 : Le Travail Social.
Nous évoquerons dans ce chapitre la structuration progressive de ce
champ et sa professionnalisation.
Les politiques sociales sont une fonction collective de toute société qui se
fixe pour objectif l’amélioration de la qualité de la vie sociale. Pourtant, aujourd’hui,
elle ne lui assigne qu’un rôle correcteur ou compensateur de ses propres inégalités ou
carences, rôle suffisant pour asseoir sa propre légitimité.
La notion de travail social pourrait recouvrir l’idée de toute action
organisée qui vise à réduire une inadaptation quelconque ou préventive de
l’inadaptation d’un individu ou d’un groupe à notre société, c’est-à-dire de permettre à
l’individu d’intégrer ou de réintégrer des “conditions normales” de vie du groupe (ou au
plus près).
Or cette vision s’oppose quelque peu à l’idée de G. Mury : « les
institutions officielles n’ont jamais payé quelqu’un sans attendre de lui qu’il contribue
au maintien de l’ordre, que ce soit en maniant la matraque, les principes de la morale
bourgeoise ou des méthodes plus subtiles de la séduction »3.
3
MURY G., « Pourquoi le travail social », revue Esprit, Avril 1972
12
Cette ambiguïté contribue à l’instauration d’un malaise des travailleurs
sociaux que justifie l’histoire des politiques sociales et du travail social qui s’y rattache.
Le travail social a aujourd’hui une histoire relativement longue constituée
d’un assemblage de multiples histoires allant des métiers historiques (dits
« canoniques ») à ceux de création récente.
1-1- Approche socio-historique du travail social.
L’acte initiateur des questions sociales, suite à la 1ère enquête de santé
publique du Dr Villermé, sera la loi du 22 mars 1841, réglementant le travail des
enfants (leur santé dégradée n’en faisait pas de futurs bons soldats). Mais la nécessité de
« faire du social », comme le note J. Donzelot4 n’apparaîtra que lorsque l’idéal
républicain du siècle des Lumières vînt se heurter à la première forme démocratique
issue de la révolution de 1848 (celle de 1789 ayant laissé plutôt un sentiment
d’inachevé). La république est alors présentée comme un être fragile dont la maladie
s’appelle « la question sociale ».
Une période où l’école et la religion, notamment par un système de
sanctions, modèlent la personne avec l’assentiment des parents (car elles constituent
pour eux une occasion de promotion par l’acquisition de la lecture et l’écriture). La
bourgeoisie finance les études des pauvres, entre devoir de charité et contrôle moral :
premières formes de l’action sociale, il n’y a guère de refus ou de contestation possible
de la norme sociale (les « inadaptés » sont pris en charge par tous) : c’est la société de
1900.
Dans ce contexte, de nouvelles lois comme la création du secteur
associatif-1901-, séparation de l’église et de l’Etat-1905-, vont permettre le
développement de l’éducation en général mais aussi de l’éducation spécialisée, dans un
secteur privé, non confessionnel.
4
DONZELOT J., « L’invention du social », Point, 1984
13
L’industrialisation va précipiter la rupture des relations de voisinage au
profit d’une proximité physique et d’un isolement relationnel, d’un éclatement de la
cellule familiale. Cette nouvelle concentration humaine dans des lieux de vie et de
travail va être l’occasion de l’apparition de nouvelles idéologies (socialisme,
syndicalisme,...) autant de menaces vis à vis de l’ordre social. La bourgeoisie, face à ces
idées « dangereuses », va tenter (surtout à travers l’intervention des femmes) d’éduquer
la classe ouvrière avec la volonté de « redressement moral ».
En parallèle à ce développement d’une action bénévole et moralisatrice,
apparaissent les premières reconnaissances des droits sociaux dans les années 20 (1928 :
dispensaires d’hygiène sociale, sanatoriums, assurances sociales ; 1938 : loi sur les
allocations familiales). Le front populaire de 1936, par un changement du rapport des
forces sociales, induit un changement des représentations collectives vis-à-vis de la
classe ouvrière, avec l’idée de compensation des efforts de la croissance économique
pour ceux qui n’y ont pas un accès direct, tel que nous le rappelle J.Verdès-Leroux5. Il
faut attendre 1940 et le gouvernement de Vichy pour voir proposer un « plan de
protection et de sauvetage pour lutter contre la recrudescence de la délinquance
infantile » (Abbé Plaquevent) base de l’organisation nationale de l’enfance inadaptée :
l’éducateur doit y incarner à la fois l’ordre bourgeois et le bon modèle parental.
La fin de la guerre correspond en France comme dans d’autres pays, « à
un moment de refondation sociale », « d’élan de fraternité et de rapprochement des
classes »6. On glisse alors de la « notion d’assurance » à celle de « droits sociaux », de
« sécurité sociale ».
Au milieu des années 70, l’Etat-providence n’a plus les moyens de « faire
du social » : d’où, avec le ralentissement de la croissance après le 1er choc pétrolier (fin
de l’expansion infinie et augmentation du chômage), une accentuation du contrôle social
(par l’Etat), l’apparition nouvelle de conflits sociaux et de ce que l’on a nommé une
« crise des valeurs » (on n’arrive plus à croire aux lendemains meilleurs). A partir de
cette période, on parle de politique sociale, il ne s’agit plus de mesures structurelles
mais d’une planification organisée. Le rôle de l’Etat s’intensifie afin de tenter
5
6
VERDES-LEROUX J., « Le travail social », éd. De Minuit, 1978
JOIN LAMBERT M.T., « Politiques sociales », Dalloz, Paris, 1994
14
d’accompagner un développement « harmonieux » de la croissance et ceci dans tous les
domaines (travail, santé, fonctions collectives,…). Dans cette société en crise, les
travailleurs sociaux apparaissent comme de nouveaux agents de la régulation sociale
dans une perspective de « mieux-être social ».
Dans les années 80, l’aggravation des inégalités, la massification des
processus de précarisation et d’exclusion,...vont favoriser une extension des demandes
d’intervention et en parallèle induire des restrictions budgétaires. C’est l’apparition de
la « nouvelle question sociale » selon Donzelot7. Nous sommes alors dans une société
qui est confronté à la fracture sociale : c’est l’émergence du monde des « sans ». Avec
la décentralisation (1982) et donc de nouveaux modes de gestion, les travailleurs
sociaux doivent composer avec de nouveaux partenaires : les élus. Tous ces nouveaux
facteurs vont considérablement modifier le champ du travail social.
A l’évidence, cette approche historique du travail social fait apparaître
toute son ambiguïté : une recherche permanente d’un compromis entre la commande
sociale et le client, en balance permanente entre l’impuissance et l’activisme, la révolte
ou la résignation, en quête perpétuelle d’identité : notre modèle est en crise.
1-2- Un métier « impossible ».
Institutionnaliser massivement le travail social peut apparaître comme un
progrès pour les pouvoirs publics dans leur recherche d’un « mieux être dans le
domaine social », mais en fait le fonctionnement du système a de plus en plus de
difficultés à produire du lien social c'est-à-dire de la relation qui donne un sens à
l’existence sociale et une place pour l’individu en son sein.
Comme en témoigne l’approche du travail social, les travailleurs sociaux
(assistants sociaux, éducateurs spécialisés, animateurs,...) sont présents à divers
niveaux : ils interviennent dans des associations, des organismes publics, parapublics,
des collectivités locales, sous la tutelle de l’Etat. Ils interviennent partout où il y a
nécessité de créer ou de restaurer du lien social. Ils sont reconnus pour l’importance de
7
DONZELOT J., op. cité, 1984
15
leur action mais mal identifiés par leurs multiples statuts, fonctions ou dénominations
avec pourtant, comme point commun, la pratique relationnelle et l’exercice de la parole.
Un processus de professionnalisation paraissait inéluctable, or l’appel
aux bénévoles revient en force pour qu’ils interviennent, souvent efficacement, sur le
front des nouvelles crises sociales (insertion, hébergement d’urgence, centre d’écoute
téléphonique, sida...) ; ainsi, peu à peu, se trace une ligne de partage entre le front et
l’arrière, entre les « intervenants » au contact direct et les autres ; caricaturalement, au
front, les moins caractérisés par un statut ou une qualification précise (que l’on nomme
peu à peu les « intervenants sociaux »), à l’arrière, les travailleurs sociaux.
A partir des années 80, la promesse d’une intégration durable et juste se
réduit considérablement ; les intervenants sont désenchantés et leur anticipation de
l’avenir devient difficile. Un modèle en crise, crise identitaire que viennent notamment
aggraver les mutations sociales de ces dernières années :
- La paupérisation d’une part importante de la population, en
grande difficulté d’insertion. La loi de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 (ces
exclusions représentant un risque pour la paix sociale) montre, lors de sa première
évaluation, des effets positifs mais aussi, de même, le chemin restant pour que ces
personnes cessent d’être des citoyens invisibles.
- La dégradation des situations sociales qui font émerger
notamment toutes les formes de violence (en milieu urbain ou scolaire).
- L’émergence de nouveaux acteurs qui vient impacter la
structuration des métiers du social.
- La promotion commerciale des services aux personnes qui
substitue progressivement aux missions historiques du travail social, une « logique
marchande libérale ». Ces logiques « budgétistes » tentent de stimuler et de manipuler
les sentiments philanthropiques de chaque citoyen pour atténuer le rôle du travail social
professionnel.
16
Le travail social peut s’apparenter au mythe de Sisyphe, qui sans cesse
doit recommencer les mêmes actions et n’espérer d’évolutions, dans le meilleur des cas,
qu’à long terme.
Chargé de réguler les effets négatifs des sociétés, fonction de plus en plus
complexe et critiquée, le travail social doit, comme le souligne P.Bourdieu8
: « compenser, les effets et les carences les plus intolérables, sans disposer de tous les
moyens nécessaires de la logique de marché ». Dans ce nœud, l’activité des travailleurs
sociaux est génératrice pour eux de souffrances et d’incertitudes, ces métiers qui
incluent une relation humaine apparaissent comme des métiers “impossibles”.
1-3- Une identité en crise.
La personnalisation, l’identité personnelle et professionnelle du
travailleur social est une construction savante et fragile composée de plusieurs éléments
structurants en interaction dont notamment : son histoire familiale, sa
formation
initiale, les conditions d’exercice de son métier et ses engagements sociaux (syndicaux,
politiques, associatifs, ...) d’où de nombreux paradoxes entre la commande faite par la
société au travail social et l’idée qu’il se fait de sa fonction et ses conditions de
réalisation. Ainsi les travailleurs sociaux se trouvent placés dans une double
contradiction, voire une « injonction paradoxale » comme l’évoque J.N. Chopart9 entre
les exigences de plus en plus politiquement ciblées des décideurs et gestionnaires et les
pressions accrues de l’environnement et des usagers.
Nous pouvons avancer que ce tiraillement, ce grand écart quotidien peutêtre source d’une crise de son identité, de sa personnalité : intimement, il peut se sentir
incapable d’assumer sa fonction ; professionnellement, il remet parfois en cause ses
compétences et son institution.
Plusieurs postures s’offrent à lui : se cacher la situation pour tenter de
préserver un semblant de l’équilibre construit ; se mettre en retrait « loin du pouvoir ou
8
9
BOURDIEU P., « La misère du monde », Seuil, Paris, 1993.
CHOPART J. N., « Les mutations du travail social », Dunod, Paris, 2000.
17
dans de forts investissements extérieurs »10 ; fuir vers d’autres structures, d’autres
univers professionnels ou des formations ; ou enfin s’engager, notamment dans la lutte
sociale.
La formation peut donc apparaître comme une opportunité, par la
recherche de connaissances théoriques, techniques ou pratiques (mais souvent
parcellaires) pour enrichir leurs moyens d’actions, leurs moyens d’analyse mais aussi
modifier leur position sociale.
C’est, en partie tout au moins, à cette demande que devait répondre la
mise en place du DSTS à l’université en 1978.
1-4- Travail social et formation.
La formation des travailleurs sociaux, notamment pour la qualification
initiale, est peu à peu passée d’une conception centrée sur de la profession à une
conception orientée vers l’acquisition de compétences objectives (l’une n’excluant pas
forcément l’autre). La dimension éthique et méthodologique indispensable à tout métier
relationnel a remplacé progressivement l’idée de vocation, de dévouement désintéressé ;
nous sommes passés à une volonté de justice sociale s’appuyant sur une professionnalité
justement reconnue.
La mise en place, entre autres, du DSTS en 1978, outre de réels enjeux
économiques dans la formation permanente, a mis un terme à un système auto perpétué
des formations initiales dans les écoles professionnelles, d’initiation par les pairs
uniquement, d’une auto définition légitime des métiers.
L’attrait de la certification universitaire au moment même où est
constatée une dévaluation des titres, se généralise car ... « avec le diplôme, on n’a
presque rien, mais sans diplôme, on n’est rien du tout »11. Cette constatation paradoxale
semble intériorisée par l’ensemble des travailleurs sociaux, conscients que la voie royale
de l’excellence passait par l’enseignement supérieur, un sommet.
10
11
SAINSAULIEU R., « L’identité au travail », 1997.
PASSERON J.C., « L’inflation des diplômes », Revue de Sociologie Française, 1982.
18
« Le titre est un capital symbolique juridiquement garanti ...une sorte de
règle juridique de perspective sociale garantie comme un droit, un capital symbolique
institutionnalisé, légal. »12. Il a une valeur symbolique pour tous et de manière
incontestable, il est donc un instrument social de légitimation.
Nous nous proposons dans le chapitre suivant d’étudier le cadre de la
Formation Professionnelle Continue (FPC) dans lequel s’inscrit le DSTS.
12
BOURDIEU P., revue Actes de la recherche en Sciences Sociales, n° 43, 1982.
19
Chapitre 2 : La formation professionnelle continue.
Qu’une personne, passé « l’âge scolaire », consacre du temps à une
activité de formation est aujourd’hui culturellement admis malgré de nombreuses
inégalités, mais un détour historique est nécessaire pour mieux appréhender cette
nouvelle réalité.
2-1- Au travers de l’Histoire.
Cette idée est plutôt ancienne puisque on peut la retrouver chez Platon
(Les Lois) : « L’éducation…que chacun doit toujours faire au cours de sa vie selon son
pouvoir », dans le Coran : « du berceau à la tombe », ou encore chez Aristote qui
accueillait le soir dans son Lycée… mais cela restait réservé à des minorités13 .
Avant
la
révolution
industrielle,
la
transmission
des
savoirs
professionnels était l’apanage de l’artisanat à travers le compagnonnage issu des
traditions corporatistes. Ce modèle, en place depuis le XIV ème siècle, ne résistera pas à
la liquidation des corporations menée par la révolution de 1789 (l’énoncé de Talleyrand
et la loi Le Chapelier de 1791). C’est pourtant d’elle que viendra le principe de
l’éducation permanente essentiellement à travers le rapport Condorcet (avril 1792
: « Nous avons observé que l’instruction ne devait pas abandonner les individus au
moment où ils sortent des écoles, qu’elle devait embrasser tous les âges, qu’il n’y en
avait aucun où il ne fut utile d’apprendre… »,…« Une formation poursuivie pendant
toute la durée de la vie... », afin « d’assurer la facilité de conserver leurs connaissances
ou d’en acquérir de nouvelles »)14. Il fut peu appliqué et se résumera à la création de
grandes écoles (Polytechnique, les Mines, les Ponts et Chaussée,...), du CNAM... La
masse des salariés, illettrés et d’origine rurale, est totalement tenue à l’écart.
Durant tout le XIX ème siècle, la formation professionnelle est
inséparable de l’instruction du peuple, centrée sur la lutte contre l’illettrisme (57,9% de
la population en 1827,38% en 1845, 4% en 1900, 3% en 1914). En 1808, par décret
13
Ss la dir. CARRE P. et CASPAR P., « Traité des sciences et techniques de la Formation », Dunod,
Paris, 2004.
14
DUBAR C., « La formation professionnelle continue », A. Colin, Paris, 1991.
20
impérial, Bonaparte crée l’Université de France, axée essentiellement vers le Droit, la
Médecine et la Théologie (suite de la loi de 1802 sur l’instruction publique). Pour
mémoire, c’est entre 1881 et1882 que les lois scolaires de J.Ferry imposent les principes
de laïcité, de gratuité et le caractère obligatoire de l’enseignement primaire.
Au début du XX ème siècle, la formation des adultes se développe avec
pour objectif la promotion professionnelle. En 1919, la loi Astier (« charte de
l’enseignement technique ») institue les cours professionnels obligatoires pour les
apprentis avec le CAP (financés par 0,2% de la masse salariale) ; en 1926, les BP
(Brevets Professionnels de perfectionnement) suivis en dehors du temps de travail (mais
peu mis en place avant 1950). Juste avant la seconde guerre mondiale, l’Université
populaire commence à voir le jour. Mais il faut attendre l’après-guerre pour que s’édifie
et s’unifie l’enseignement technique et professionnel autour d’institutions qui en sont
encore aujourd’hui les piliers - tels que les centres de formation professionnelle ancêtres
des
centres
d’apprentissages
ou
les
cours professionnels devenus
collèges
d’enseignement technique (CET) puis lycées d’enseignement professionnel (LEP) et
enfin les lycées professionnels (LP). De 1948 à 1954, c’est un premier décollage
décelable de la “promotion supérieure du travail” (PST) notamment par l’ouverture de
centres régionaux du CNAM (1952) et la création dans des universités d’Instituts de
promotion supérieure du travail (IPST), d’examens d’entrée en faculté pour les non
bacheliers (novembre 1956) et le développement de formations syndicales. Des
initiatives qui s’amplifient parallèlement à la croissance économique des années 60 mais
sont freinées par le faible niveau de formation initiale.
De 1959 à 1971, nous allons passer de la promotion sociale à la
formation continue. La loi Debré (31/07/59), sans nouvelles institutions, anticipe les
principes fondamentaux de la future politique de « formation professionnelle continue »
(FPC) : aide de l’Etat aux stagiaires (prémices du congé formation), conventionnement
entre l’Etat et les centres de formation, et coordination de la politique de promotion
sociale. Avec le IV ème plan (66-70), conjointement au développement important de la
formation initiale (école obligatoire jusqu’à 16 ans,...), la formation professionnelle
devient « un moyen essentiel d’une politique active de l’emploi ». C’est dans ce cadre
que la loi d’orientation des Universités (loi Faure du 12/11/68) préconise que la
formation des adultes constitue l’une de ses missions fondamentales : « quel que soit
21
son âge, son milieu social, sa profession, chacun doit toujours être mis en mesure
d’accroître ou de renouveler ses connaissances afin de bénéficier de toute promotion
correspondant à ses capacités »15. Mais jusque là, il s’agissait d’initiatives empiriques
et personnelles, abandonnées au seul bon vouloir de chacun et ne bénéficiant d’aucune
facilitation officielle. Suite au mouvement social et aux grèves du printemps 1968, aux
« accords de Grenelle » (négociation entre les partenaires sociaux), la loi de 197116/07/71- (à l’initiative de J. Delors, alors Commissaire au Plan) met en place un réel
cadre juridique de la FPC avec la reconnaissance du droit à la formation de tous les
salariés, l’obligation de participation des employeurs au financement de la FPC (0,8%
de la masse salariale en 1972 à 1,5% en 1993) et voit l’apparition des Congés
Individuels de Formation (CIF). La loi de 1984 (24/02/84) finit de donner une certaine
cohérence structurelle à la FPC.
Issu du « dialogue social européen » du 28 /02/2002 dans le cadre
d’ « actions pour le développement des compétences et des qualifications tout au long
de la vie », un « accord national interprofessionnel » (ANI) du 22/11/03, a amené une
nouvelle loi le 04/05/04 (loi n°2004-391), introduisant le droit individuel de formation
(20 heures par an cumulables sur 6 ans) « en liaison avec l’entreprise », mettant l’accent
sur le salarié « acteur de sa formation et de son évolution professionnelle » et coresponsable de son employabilité,... Cette réforme ne modifie pas les fondements de la
FPC mais accentue la décentralisation et donc les compétences des Conseils
Régionaux.
D’autre part, pour voir s’ouvrir les Universités à la mission de formation
des adultes, il faut attendre 1972, ce qui sera une réelle rupture avec les pratiques
professionnelles des universités orientée jusque là vers les jeunes. Des attitudes
différentes vont s’élaborer vis à vis d’un public riche d’expériences professionnelles et
de vie, vis à vis des recherches de financement extérieurs spécifiques indispensables
pour exister et vis à vis enfin de son rapport aux savoirs.
La loi relative à la reconnaissance d’acquis professionnels (12/07/92)
aura un effet facilitateur pour l’entrée à l’Université de ces adultes.
15
DUBAR C., op. cité, 1991.
22
Ce n’est qu’en 1973, par le biais de Centres de Formation et de
promotion professionnelle, que les travailleurs sociaux auront accès à l’Université à
partir de leur diplôme professionnel (en 1975 à l’Université Toulouse le Mirail :
« licence et maîtrise de sciences sociales appliquées au travail »).
2-2- La FPC : pour quels publics ?
L’idée de seconde chance est étroitement liée à la formation continue
depuis ses origines avec une volonté d’effet compensatoire. Malgré cela, depuis 30 ans
et les lois de 1971, la FPC reste très inégalitaire, les enquêtes montrent qu’elle a
majoritairement bénéficié aux salariés les plus qualifiés, ayant déjà une bonne formation
initiale, c'est-à-dire souvent supérieure au baccalauréat ou tout au moins, dans des
branches ou secteurs professionnels en développement, des diplômes élevés et bien
intégrés dans des entreprises importantes d’un secteur en développement. Certaines
catégories d’adultes sont, de fait, exclues de la formation continue par leur seule
position sur le marché de l’emploi d’où des politiques de l’Etat vers les « publics
prioritaires ».
D’autre part, exception faite de cas particuliers (par exemple, des adultes
ayant commencé une formation initiale et échoué au diplôme dans leur jeunesse) plus
nous montons dans le niveau des diplômes et plus les taux d’accès à la formation
postscolaire sont élevés : de 40% pour les diplômes d’écoles d’ingénieurs, nous passons
à 5,7% pour les
« primaires sans diplôme » (1977). Une analyse des trajectoires
sociales et professionnelles tendrait à montrer que la formation continue s’inscrit
prioritairement dans des biographies marquées d’une mobilité sociale professionnelle
ascendante ; les autres ayant relativement peu accès à la formation. L’impact de la
« théorie de la reproduction » initiée par P. Bourdieu et JC. Passeron16 a débordé la
sociologie de l’éducation pour s’étendre à la formation professionnelle, initiale et
continue.
Une certaine inégalité entre les hommes et les femmes persiste, relevant
tout autant des différences de carrières que des modes de gestion de la formation dans
16
BOURDIEU P. et PASSERON JC. , « La reproduction », Ed. De Minuit, Paris, 1970.
23
l’entreprise : elles étaient 36% pour 64% d’hommes en 2000. La formation est plus
souvent liée à une mobilité ascendante chez les hommes alors qu’elle est plutôt liée à
une période de chômage ou une reprise d’activité chez les femmes.
De plus, la FPC concerne surtout des jeunes de 25 à 30 ans, au delà de
40 ans, le taux s’effondre et au-delà de 50 ans, il est négligeable.
2-3- Stratégies et motivations à l’engagement en FPC.
Les motivations jouent, en effet, un rôle essentiel dans la formation et sa
réussite.
Les adultes (de 40 à 50 ans) sont au « mitan de leur vie ». Ce mitan de la
vie évoque des repères souvent imaginaires et comporte donc un caractère quelque peu
mythique avec son ambivalence. C’est le moment existentiel où il y a chez l’adulte,
déplacement de la perspective du temps déjà vécu par rapport à celui restant à vivre.
C’est la période des réévaluations en jetant un regard sur les réalisations, en appréciant
les parcours, ce qui a été fait ou non fait. Ce mitan peut prendre la forme de transition
ou de crise d’autant plus fortes qu’inscrites dans un parcours biographique. Nous
reviendrons sur cette notion au chapitre 3-3.
Nous comprenons donc, comme le souligne C. Dubar17, que toute
motivation à se former résulte d’une articulation d’exigences « externes » liées à une
situation et d’aspirations « objectives » de l’environnement et d’espoirs « subjectifs »
de la personnalité. Elle s’inscrit dans un double mouvement d’anticipation des résultats
professionnels immédiats et d’effets culturels à plus long terme.
Elle s’articule entre les exigences d’une situation socioprofessionnelle et
les caractéristiques d’une trajectoire socioculturelle.
Ainsi, nous trouvons :
17
DUBAR C., Idem.
24
* La
formation « thérapeutique » qui caractérise des
situations de rupture sociale, d’accident biographique ou de crise professionnelle
impliquant une atteinte à l’identité personnelle. Elle signifie une reprise possible de
confiance en soi et une chance d’intégration à ce nouveau groupe. L’expérience de la
formation semble offrir une parenté symbolique et une fonctionnalité sociale pour
raccommoder leur existence, ce peut être le pari narcissique d’être leur propre chef
d’œuvre.
* La perspective d’une promotion interne ; elle se heurte à
deux obstacles de taille : le nombre de postes disponibles à l’échelon supérieur et des
promotions rarement liées aux seules formations suivies (nombre de promotions
précèdent l’entrée en formation). Il n’existe donc pas forcément de lien entre formation
et promotion, ce qui peut induire une certaine déception.
*
La
formation
reconversion
professionnelle
:
majoritairement chez les chômeurs (qui sont alors confrontés à une contradiction entre
une logique d’emploi dominante et une logique de formation dominée), ou une
reconversion préventive sans rupture du contrat de travail (vécue comme une transition
positive).
* L’ambition d’une promotion sociale externe qui apparaît
dans des trajectoires de « déclassement social » par rapport à la famille d’origine, le
conjoint ou l’environnement social, mais aussi dans des trajectoires de « déclassement
scolaire », d’emplois déqualifiés (mais les chances de promotions sont aujourd’hui
faibles). De fait, il s’agit d’une aventure et rares sont ceux qui arrivent au terme.
* La formation « recyclage » continue : un recyclage
professionnel qui fait partie de la définition même de leur fonction (se tenir au courant
étant une condition de survie professionnelle). Mais elle suppose une formation initiale
longue (ingénieurs, chercheurs, cadres supérieurs, enseignants,...).
Si nous pouvons constater une pluralité de motivations, il n’en existe pas
moins une multitude de combinaisons possibles entre elles.
25
2-4- Le DSTS et la FPC18.
Cette formation n’est effectivement possible que dans le cadre d’une
formation continue.
L’histoire de l’entrée des travailleurs sociaux à l’université date de 1973
avec la création du Réseau interuniversitaire de formation de formateurs : travailleurs
sociaux (le RIFF), qui crée un Centre de formation et de promotion professionnelle dans
le cadre d’une Convention signée avec le ministère de la Santé publique et de la
Protection sociale, en novembre 1973. Il sera à l’origine de la naissance en 1976 d’un
premier diplôme d’état de niveau II spécifiquement destiné aux travailleurs sociaux :
une Maîtrise de sciences sociales appliquées au travail. En 1978, le ministère de la
Santé publique et de la sécurité sociale crée le Diplôme supérieur en travail social
(DSTS) avec le souci de former les cadres du travail social capables de mettre en œuvre
une « politique d’action sociale novatrice ». Pour ce diplôme, il va agréer des centres
de formation professionnelle (demandeurs de ce diplôme) et les universités
précédemment engagées d’où vont émerger certaines coopérations. Par l’organisation
même de son dispositif de formation, ce diplôme va concrétiser une certaine rupture
avec les logiques corporatistes et permettre le décloisonnement de ces professions
sociales. Durant une vingtaine d’années, le DSTS va connaître des fortunes diverses,
des développements disparates suivant les régions, des contenus multiformes qui vont
rendre sa reconnaissance d’autant plus difficile. En 1998, une réforme va prendre en
compte ces divers éléments et imposer une collaboration entre universités et centres de
formation, ainsi qu’une articulation avec une Maîtrise universitaire, « ainsi, le DSTS
atteste les compétences acquises dans les domaines de la connaissance et de l’expertise
des politiques sociales, de la conception, de la mise en œuvre et de l’évaluation des
projets d’intervention sociale, du management des services et de l’encadrement des
équipes, et de la méthodologie de recherche » (Annexe à l’arrêté du 23 mars 1998).
L’université, comme le souligne P. Sanchou
19
, « en tant que lieu de
formation tient sa spécificité de l’articulation entre la production du savoir et sa
transmission ». Pour cela un choix pédagogique est affirmé : « la mise en œuvre d’une
18
19
Voir annexe II : quelques données statistiques sur le DSTS.
SANCHOU P., « La formation des cadres du travail social », revue Vie Sociale n° 2, 2003.
26
recherche articulée à une question professionnelle constitue le moyen privilégié de
formation et de structuration de la personne confrontée à un changement de statut ».
Le DSTS est un parcours singulier et difficile, fait de retour sur soi, de
dépassements, de confrontation à l’écrit (souvent délicate pour les travailleurs sociaux),
d’expositions. Cette
formation
universitaire
implique
une
certaine
démarche
intellectuelle, un apprentissage de la rigueur de l’argumentation et de la démonstration,
un travail de distanciation, une mobilisation de compétences nouvelles, un processus de
trans-formation, un changement de position (pour devenir cadre ou formateur) et des
réajustements personnels.
Pourtant le DSTS s’avère à l’expérience sans garantie de promotion
comparable au CAFDES (reconnu et conduisant à une fonction de cadre) : les
employeurs peinent à le reconnaître, hormis peut-être pour les assistantes sociales du
secteur public, et le diplôme renforce des compétences propres aux fonctions
d’encadrement sans en donner le titre, son statut est ambigu, comme le souligne E.
Dugué (« fonctions d’encadrement et formations supérieures dans le secteur social »
Rapport du CNAM).
Si nous avons pu montrer toute la pertinence de cette formation, elle
semble aujourd’hui grandement menacée (voire appelée à disparaître) avec, notamment
la mise en place du Diplôme de cadre de proximité, le CAFERUIS (Certificat
d’Aptitude aux Fonctions d’Encadrement et de Responsable d’Unité d’Intervention
Sociale), les nouvelles normes européennes selon le schéma LMD (avec disparition de
la Maîtrise) et de multiples DESS qui permettent de qualifier les travailleurs sociaux :
aura-t-elle les ressources et la puissance nécessaire pour cette lutte ? De même, elle est
menacée par l’arrivée sur le secteur de jeunes spécialistes en management des
organisations. Pourtant cette formation est une des plus recherchées par les travailleurs
sociaux.
Nous avons abordé la lente mise en place de la FPC, ses enjeux passés et
présents, les publics et leurs motivations, la spécificité du DSTS, il nous semble
nécessaire de mieux appréhender ces adultes en reprise d’études.
27
Chapitre 3 : Vie adulte et formation permanente.
L’actualisation et le développement de la formation permanente dès les
années 70, vont conduire à s’interroger spécifiquement sur la vie adulte. Nous verrons
qu’elle est complexe et multiforme, tout en laissant de côté les évidences et les normes
qui fondent cette notion.
Ces adultes ont quitté l’univers de l’enfance balisé par quelques
certitudes pour aborder des itinéraires incertains vers l’autonomie, encadrés par une
forme d’insertion ou pas d’insertion identifiable.
Nous nous trouvons donc « en face d’une effective mutation sociale et
culturelle du statut de l’adulte confronté à une crise de l’insertion et de la mobilité, à
une absence de repères, à un allongement de l’existence, à une mise en cause de son
identité »20.
3-1- Adulte : une notion en transformation.
Peu employé au XIXème siècle, lui préférant des expressions telles que
l’ « âge mûr », l’ « âge viril », la notion d’adulte était, jusqu’à la fin des années 50,
identifiée à l’âge de la majorité comme norme de référence.
Mais
dans
les
années
60,
face
aux
différents
changements
sociotechniques qui l’assaillent, cette notion glisse d’un repère normé dans le temps
(enfance/retraite) à une pensée de l’inachevé et de l’autonomie : l’adulte en perspective,
une définition optimiste et dynamique du développement adulte (à l’apogée de la
société industrielle des années 70).
Avec la culture post-moderne et le passage d’une société centrée sur les
processus de production à une société valorisant les échanges communicationnels, cette
société avec ses informations multiples, ses codes, ses réseaux, place l’adulte face à une
20
BOUTINET JP., « L’immaturité de la vie adulte », PUF, Paris, 1998.
28
incertitude radicale quant à son avenir, un brouillage dans ses repères identitaires et le
laisse seul face à lui-même.
Nous serions ainsi passés de l’adulte mûr des années 60 à l’adulte en
maturation des années 70-80, pour arriver à un « adulte immature courant derrière ses
projets »21 aujourd’hui.
La vie adulte : une histoire personnelle. L’expérience d’un itinéraire
évoque toujours un échantillon représentatif, certes modeste, de la condition humaine,
avance Boutinet JP22 : elle se concrétise par une certaine façon d’être au monde, de lire
les événements et d’y réagir, de chercher à s’émanciper de situations ou bien de
sombrer. Partiellement verbalisée, elle n’est jamais terminée mais limitée par les
contraintes actuelles et une fin inéluctable plus ou moins niée.
D’une singularité certaine, elle « compose paradoxalement avec des
marques de socialisation elles-mêmes de plus en plus déterminantes lors de l’avancée
en âge »23.
Il ne s’agit pas de caractériser chaque histoire de vie adulte mais plutôt de
les rapprocher pour tenter de les classer afin de dégager une trame, un fil conducteur. Si
les individus ont eu par le passé le souci de trouver et préserver une place, ils sont
aujourd’hui dans la construction d’un itinéraire de vie qui impliquera une mobilité
redoutée.
3-2- Crises et transitions.
L’adulte vit une relation ambivalente avec la mobilité : désirée face à une
organisation du travail dont le caractère répétitif et contraignant devient de plus en plus
insupportable, et crainte à cause de la fragilité due aux mutations économiques. D’où,
dans une attitude volontariste, la nécessité de créer un itinéraire possible de
changement, notamment par le biais de la formation.
21
Idem.
BOUTINET J.P. in « Traité des sciences et des techniques de la formation », dir. CARRE P. et
CASPAR P., Dunod, Paris, 2ème éd. 2004.
23
BOUTINET JP, Op. cité, 2004.
22
29
Cette lecture de la mobilité tant objective que subjective, génère des
périodes de développements chaotiques, qui exigent une organisation en cycles de
vie « autour de phases d’ajustements, d’expansion, d’apogées, de remises en question,
de repli, de nouveaux redéploiements… »24. Des cycles de plus en plus irréguliers et
imprévisibles, loin des étapes que constituait tout calendrier biographique, qui sont par
là- mêmes sources de crises.
Le phénomène de crise exprime une incertitude existentielle à gérer.
Cette transition vise à aménager une expérience de discontinuité sur un trajet et impose
« un deuil à vivre pour franchir un seuil existentiel »25 . Si la transition est imposée par
les événements, non anticipée, elle peut déboucher sur une crise, l’individu se trouvant
en position de vulnérabilité. A l’inverse, la transition anticipée préparera l’individu à
une prévention de la crise.
3-3- Temporalité : le mitan de la vie.
Dans une dynamique de la vie adulte nous pouvons distinguer trois
périodes contrastées : « celles du jeune homme, du mitan de la vie et de l’adulte
accompli »26 :
* En fin de formation initiale, souvent longue, le jeune adulte va vivre
une période d’insertion provisoire sociale et professionnelle, processus de maturation et
d’actualisation des potentialités, parfois rendu difficile par le contexte de notre société
post-industrielle.
* Le mitan de la vie : c’est le « moment existentiel, approximatif dans ses
délimitations chronologiques, à partir duquel, chez l’adulte, il y a déplacement de la
perception du temps, allant du temps déjà vécu vers le temps restant à vivre »27. Ces
adultes, après plusieurs décennies, en viennent à éprouver un sentiment ambivalent
d’expérience et de lassitude mais peuvent être prêt à un nouveau départ plein d’espoir.
24
Idem.
Idem.
26
Idem.
27
BOUTINET JP, op. cité, 2004.
25
30
Un mitan plus psychologique qu’arithmétique, situé vers la seconde
moitié de la vie, il est ce temps des réévaluations des différents parcours, l’évocation de
la retraite, l’éventualité de la mort. Ces personnes prennent acte beaucoup plus qu’avant
du temps limité : « le temps leur est désormais compté ». « Ces différentes évocations
selon les circonstances sont susceptibles de conduire à une vive appréhension, voire à
un sentiment d’angoisse »28. Ce mitan prendra la forme d’une transition pour les uns ;
de crise pour les autres, d’autant plus forte qu’elle sera associée à des problèmes
identitaires.
* Enfin, l’adulte accompli, au-delà du mitan, a pu se construire au travers
de situations vécues très contrastées : pour les uns, une intense satisfaction et de
l’enthousiasme ; pour les autres, remords, regrets, nostalgie voire résignation. Il
commence à percevoir un possible désengagement par la retraite, le sentiment d’une
mise à l’écart professionnel, de la mort.
3-4- Conclusion : de nouveaux défis.
Dans ce nouveau contexte civilisationnel et culturel, la vie adulte se
trouve confrontée à de nouveaux défis :
- Face au mythe de la jeunesse, l’adulte est mis à l’épreuve de son propre
vieillissement et doit se libérer du tabou de l’âge.
- En mal de reconnaissance, il est bien souvent en souffrance identitaire,
c'est-à-dire une estime de soi fragilisée : il ne se reconnaît plus dans son identité pour
soi et il ne se sent plus reconnu dans son identité pour autrui, comme le remarque
Dubar C.29
- Il est en permanence poussé aux limites de lui-même, mis à l’épreuve
avec des effets inattendus : déstabilisants ou structurants.
28
29
Idem.
DUBAR C, « La socialisation », A. Colin, Paris, 1991.
31
- Il ne peut survivre que s’il campe dans une position de perpétuel
apprenant, en apprentissage permanent, en devoir de retraiter ses problèmes cognitifs,
principalement par le biais de la formation permanente.
Nous avons abordé la FPC et le DSTS qui s’y inscrit, ainsi que la notion
de vie adulte, mais nous ne pouvons faire l’économie de l’approche des notions de
qualification et/ou de compétence qui traverse nos sociétés actuelles et viennent
logiquement traverser la FPC.
32
Chapitre 4 : Qualification/compétence : opposition ou articulation ?
Le travail social peut être considéré comme un travail de médiation, mais
ayant pour but essentiel d’infléchir les comportements individuels et collectifs afin de
favoriser l’épanouissement du lien social. Il n’a pas pour objectif exclusif les personnes
ou les groupes déviants, les exclus, les précaires à amener vers la norme dominante
mais aussi la société dans son entier pour l’aider dans sa capacité d’inclusion, à
assouplir ses raideurs, à mesurer ses exigences, ...c’est bien le travail délicat dévolu au
travailleur social ; loin d’une volonté de mise au pas ou, par désespérance, de fuite de
l’ordre établi au profit de ses bénéficiaires. Il devrait jouer un rôle d’expertise auprès
des institutions (notamment les services des conseils généraux, les préfets, les élus
locaux, ...) afin de faire évoluer leurs visions parfois quelque peu naïves.
Or, depuis vingt ans, pour des raisons externes (cf. les mutations
sociales : réapparition de la pauvreté, la décentralisation, les nouvelles politiques
publiques et la mobilisation de la société civile, ...) mais aussi internes (par la faiblesse
de sa propre organisation et son peu d’indépendance technique, le travailleur social
n’est pas en mesure de s’imposer comme maître de la crise) le doute s’est installé quant
à la nécessité et aux résultats de certaines solutions professionnelles en matière
d’intervention sociale, ce qui a induit l’apparition de « nouveaux métiers » .
Parallèlement, le retour des bénévoles, essentiellement recrutés sur leur
capacité à mobiliser certaines compétences supposées, s’est accentué et vient menacer,
les qualifications professionnelles du champ.
4-1- De la qualification à la compétence.
Jusqu’aux années 80, les titres acquis valaient alors comme présomption
de compétence ou de qualification, des termes alors interchangeables. Il s’agissait de
savoir-faire présupposés, dispositions permettant l’embauche, signe d’inscription dans
la carrière des métiers sociaux.
33
L’histoire du travail social montre clairement, comme nous l’avons vu
chapitre 1, que l’approche par la salarisation des intervenants sociaux s’est substituée à
la philanthropie et au bénévolat.
L’apparition puis la prégnance de la notion de compétence, ces dernières
années, est surtout inspirée par le monde de l’entreprise mais aussi par les politiques
d’insertion (mise en cause des titres vers une nouvelle adaptation aux besoins).
Emboîtant le pas au patronat lucratif, dans une logique libérale, les dirigeants publics ou
associatifs se sont inscrits dans cette logique.
Dés lors, la qualification ne serait qu’une référence statistique dépassée et
la compétence, un outil de la qualité proche du terrain. Qu’en est-il réellement ?
4-2- La qualification.
La reconnaissance sociale ne se comprend qu’en référence à la
représentation sociale d’un métier, par rapport à la question de la rémunération et de la
qualification. La qualification traduit la division sociale du travail dans notre société, les
rapports de pouvoir ; elle est un des éléments qui définissent les rapports travailleur /
employeur.
« La qualification professionnelle est au centre du système de
classification servant à établir une hiérarchie sociale, légitime et légale entre groupes
de salariés »30, et repose toujours sur l’assimilation de connaissances (savoirs
formalisés, généralisables, transmissibles et reconnus) en orientant ces connaissances
vers des situations professionnelles types.
Comme le souligne C. Dubar : « la qualification est une notion
collective qui résulte de négociation et qui aboutit à des compromis entre deux
logiques: entre une logique gestionnaire de l’organisation, de sa performance, de son
profil, et une logique de la valorisation professionnelle, statutaire, de la protection des
salariés contre les aléas économiques du marché et de l’activité »31 .
30
31
ZARIFIAN P., « Objectif compétence : pour une nouvelle logique », Liaisons, Paris, 1999.
DUBAR C., Idem.
34
Par là même, la qualification des intervenants sociaux constitue la
condition d’une autonomie « relative », a contrario la déqualification serait la voie vers
des intervenants peu efficaces.
Si la qualification apparaît aujourd’hui comme une reconnaissance
officielle des savoirs, «les déontologies professionnelles constituent des remparts utiles
face aux dérives d’une marchandisation progressive du social »32, elle garantit aux
usagers, dans une approche sociale fort complexe, des professionnels qualifiés et
“compétents”.
4-3- La compétence.
C’est dans les années 80 que le thème de la compétence apparaît dans les
entreprises, pris en tant que modèle de gestion des ressources humaines comme un
mode de jugement évaluatif autour de l’intelligence et non plus seulement des capacités
corporelles ou techniques. Les entreprises, organisées sur un schéma taylorien, ne
correspondent plus aux mutations technico-économiques de l’époque. C’est la
découverte que la prise d’initiative apporte des solutions aux aléas des chaînes de
production.
La compétence est un ensemble de dispositions de l’individu à penser,
sentir et agir ; des dispositions apprises et intériorisées, construites et appropriées
(savoir, savoir-faire et savoir-être), mais aussi confrontées au jugement des acteurs
sociaux parfois différents ou contradictoires. Enfin, elle est la construction de chacun en
lien avec son histoire et son expérience.
La compétence professionnelle consiste à faire face à des évènements de
manière pertinente et experte ; elle appartient en propre à l’individu et non au poste de
travail. Par tradition, le modèle opératoire où l’expérience est associée à l’ancienneté
dans le poste de travail, s’oppose au modèle « événementiel ».
32
BERTAUX D. et SCHERET, 2000.
35
Selon P.Zarifian33, la compétence peut se définir par trois axes
combinés :
- Elle est la prise d’initiative et de responsabilité de l’individu sur
des situations professionnelles auxquelles il est confronté d’où la nécessité d’espaces
d’autonomie et d’auto mobilisation.
- Elle est une intelligence pratique des situations s’appuyant sur
des connaissances acquises et transformées avec d’autant plus de force que la diversité
des situations augmente : c’est la dynamique perpétuelle d’apprentissage.
- Elle est la faculté à mobiliser des réseaux d’acteurs autour de
mêmes situations, à partager des enjeux, à assumer des coresponsabilités.
Il y a, dans la logique de compétences, un risque évident à nier les
appartenances sociales et professionnelles et de faire « comme si » les individus étaient
issus de nulle part et agissaient hors toutes déterminations et appuis sociaux. D’où la
question d’une recomposition des appartenances sociales et professionnelles qui est
posée : en effet, reconnaître, par exemple, la compétence professionnelle des éducateurs
spécialisés (à partir du concept de travail éducatif et/ou de soin) c’est les reconnaître
comme groupe professionnel à part entière et désigner les espaces de coopération
nécessaire avec les assistants sociaux, les psychologues, les rééducateurs, les
secrétaires, les comptables,… mais aussi identifier la compétence originale ou originelle
de chacun.
Mais les compétences ne se mettent en œuvre et ne se développent que
sur la base d’une mobilisation personnelle de l’individu, c’est-à-dire qu’il existe une
dimension incontournable de motivation de l’individu. Ici, l’organisation doit donner
des garanties à l’individu, sur l’aide pour ses projets et ses perspectives professionnelles
et un soutien dans la mise en œuvre de ses capacités d’apprentissage et de confiance. En
effet, une telle implication de l’individu nécessite une mise en danger, difficile et
délicate où il prend le risque d’être incompétent.
33
ZARIFIAN P., Idem.
36
La notion de motivation touche en profondeur à la personnalité même de
l’individu, il est question de lui et de son devenir et donc vient activer la question du
sens : du travail et du sentiment d’utilité, des valeurs qui le conduisent, de l’éthique
professionnelle ; et de son projet personnel.
De ce fait, la compétence n’a jamais définitivement acquis sa légitimité
et son efficacité, elle doit être réinterrogée face aux réalités incertaines et mouvantes.
Chez les travailleurs sociaux, les qualités sociales ou personnelles,
l’expérience du bénévolat, l’engagement militant, la « fibre » relationnelle peuvent
souvent être convertis et mobilisés en compétences professionnelles. De même, pour les
cadres du travail social, l’itinéraire personnel (social et/ou professionnel) peut être une
clef de lecture importante : en effet, les compétences peuvent être des capacités
personnelles importées de la sphère domestique (des rôles familiaux) ou publique (des
engagements militants).
4-4- Le rapport entre qualification et compétences.
Deux définitions importantes : les qualifications sont indépendantes du
contexte (on les possède une fois pour toutes) et ont été l’objet de négociations
collectives permanentes (cf. les conventions collectives). Au contraire, les compétences
sont contextualisées et beaucoup plus l’objet d’évaluations individuelles que de
négociations.
La compétence fut bien souvent utilisée par les dirigeants d’entreprise
comme une arme contre la qualification afin de dissocier statut et rémunération de la
qualification ; un mode de management. Pourtant ce concept de compétence ne doit pas
être abandonné, la qualification n’étant qu’un aspect de cette compétence :
reconnaissance officielle d’une ou d’un ensemble de compétences par une institution
socialement habilitée à le certifier.
Dans sa signification sociale, la logique de compétence est plus encore
fortement attachée à la logique de diplôme que ne l’est la logique du poste de travail. Le
problème socialement posé, plus que la prise en compte des diplômes, est celui de leur
37
valeur dans les qualifications professionnelles et l’exclusion des non ou peu diplômés
qui auront du mal à faire la preuve de leurs compétences.
Autrement dit, les diplômes ne font certes que valider des acquisitions de
connaissances, mais aussi pourtant, des acquisitions précieuses dans le domaine des
compétences (compétences ressources et bases d‘attitudes) qui seront mobilisables.
Dans le secteur social, les mutations (que nous avons abordées
précédemment) qui tentent de répondre plus ou moins dans l’urgence, à la massification
des besoins sociaux et socio-éducatifs, viennent interpeller les qualifications collectives
tout autant que les compétences individuelles. Nous pouvons appréhender là un autre
versant du malaise de beaucoup de travailleurs sociaux, plus tout à fait sûrs que leurs
titres et diplômes leurs confèrent toujours légitimité et crédibilité . De plus, ces métiers
du social (comme les enseignants d’ailleurs), professions non industrialisées, selon C.
Dubar34, « ni professions à part entière, au sens anglo-saxon du terme, (comme les
médecins et les avocats) ni occupations salariées ordinaires (comme les ouvriers et les
employés) …constituent plutôt des « semi professions » fortement segmentées et régies
à la fois par des règles bureaucratiques (le statut) et des modes de gestion hétérogènes
et dépendantes des aléas des politiques sociales » . Ces semi professions dont la
production n’est pas clairement objectivable par des critères incontestables et dont la
technicité est indéterminée, vont être facilement l’objet de débat social dans cette
période de mutation profonde, comme l’analyse A. Fino-Dhers 35.
4-5-Conclusion.
Toute politique de qualification ne saurait se résumer à la formation
initiale qualifiante et à la certification, comme le soulignent M. Chauvière et D.
Tronche36,
mais devrait intégrer la formation continue dans un souci d’adaptation et
d’amélioration des compétences ; d’où l’importance d’une plus grande articulation entre
les deux.
34
DUBAR C., revue Sociologie du travail n° 2.
FINO-DHERS A., revue CQFD n° 2.
36
CHAUVIERE M. et TRONCHE D., « Qualifier le travail social », Dunod, Paris, 2002.
35
38
A ce jour, par exemple, aucune filière promotionnelle sérieuse
(CAFDES, DSTS, DESS, écoles de commerce, …) n’est parvenue à s’imposer dans les
fonctions de conseil, d’expertise, de pilotage, de maîtrise d’œuvre ou d’évaluation.
D’autre part, le départ massif de personnels formés et diplômés (en 2007,
18% des travailleurs sociaux aura plus de 55 ans) va conduire à la disparition d’un pan
entier d’expérience et savoir-faire lentement construit au cours de ces 40 dernières
années, essentiellement compensé par des formations de niveau V (Aide médicopsychologique, AMP).
Pourtant, le DSTS, notamment, se positionne bien dans cette période
d’exigence nouvelle à l’égard des professionnels, d’attentes spécifiques. Il s’inscrit,
aussi, de manières plus générales et plus larges, dans le domaine de la compétence. La
formation se situe bien entre l’engagement professionnel et la construction de savoirs,
comme outil de positionnement et de renforcement des compétences, de mobilité et de
promotion professionnelle.
39
Chapitre 5 : Construction de l’objet de recherche.
Contrairement à la psychologie du développement de l’enfant qui nous a
appris que les stades de l’enfance étaient acquis, la vie adulte est faite de problèmes
jamais résolus, de doutes répétés sur soi-même, d’ambitions trop élevées... L’adulte est
constamment pris entre une approche positive des capacités qu’il sait avoir en lui et la
conscience de l’ampleur des blocages indépassables.
Chacun trouve ses modes d’action pour faire face à la « charge mentale »
de notre société moderne, faite des responsabilités multiples de la vie professionnelle,
de l’éducation des enfants, de l’adaptation à un univers social en perpétuelle mutation.
Les âges de la vie ne se succèdent pas sans heurts.
Apprendre à l’âge adulte ne va pas de soi, ne se forme pas qui veut, ne se
forme pas n’importe qui. Intégrer des études universitaires, telles que le DSTS
notamment, implique dans l’organisation de sa vie, pour l’adulte, une capacité de
gestion de son existence.
Si, comme l’analyse P. Bourdieu37, nous interrogeons les individus sur la
signification de leurs actions personnelles, sur les motivations qui les induisent, sur le
sens de leur engagement, ils sont toujours en mesure de fournir de « bonnes raisons »
qui les justifient. Mais il convient d’être prudent quant aux significations que les
individus donnent à leurs conduites. Elles ne sont certes pas fausses, mais toujours
incomplètes.
Il s’agit donc pour nous de porter notre regard sur ces adultes-étudiants
dans leur engagement en formation : « Comment et pourquoi des travailleurs sociaux,
ayant avancé en âge et en expérience, décident-ils de s’engager dans un processus de
formation continue universitaire longue telle que le Diplôme Supérieur en Travail
Social (DSTS) ? Quel sens, quelle fonction prend, pour eux, cette démarche ? «
37
BOURDIEU P., « Le métier de sociologue », 1968.
40
La reprise d’études universitaires revêt une dimension exceptionnelle,
voire « anormale » : il n’est pas dans le cours des choses qu’un adulte après avoir
construit sa vie personnelle et professionnelle, s’engage dans un tel cursus. Nous
voulons donc interroger les situations qui encadrent ce retour, comprendre la nature de
l’évènement (ou des évènements) qui perturbent le cours ordinaire de leur existence.
Dans cette démarche, l’approche « ethnosociologique » par « récits de
vie », conceptualisée notamment par D. Bertaux38, nous paraît un outil opérant pour
mener notre recherche. Nous allons tenter d’en montrer l’efficience dans le chapitre
suivant.
38
BERTAUX D., « Les récits de vie, perspective ethnosociologique », Nathan, Paris, 1997.
41
DEUXIEME PARTIE
« Sens et fonctions de la reprise d’études »
42
Une hypothèse de recherche :
Quel sens prend cette reprise d’études universitaires pour ces travailleurs
sociaux dans leur vie ? Quelles fonctions sociales revêt-elle ? Quels éléments
biographiques enclenchent un tel processus ?
En effet, venir ou revenir dans un parcours universitaire long (3 ans)
demande à chaque individu une mobilisation importante dans sa vie privée comme
professionnelle. Il nous semble que cette démarche ne s’inscrit pas dans la même
logique que les stages professionnels d’un « plan de formation » mais qu’elle s’origine
davantage dans des logiques sociales de leurs trajectoires biographiques.
Les motifs d’engagement des adultes en formation sont pluriels (se
mêlant pour une combinaison singulière), ils sont contingents (un certain projet dans
une certaine situation à un temps donné de la vie) et ils sont évolutifs.
De plus, cette dynamique peut recouvrir plusieurs volontés : apprendre,
s’approprier des savoirs, se cultiver : « J’avais une volonté de me poser des questions
sur le travail social dans lequel je me pensais engluée…aborder une certaine culture »
(Pauline, entretiens exploratoires), une injonction d’autrui : « une opportunité de mon
boulot par la création de poste d’encadrement…avec une demande d’inscription dans
une formation » (Marion, entretiens exploratoires), un « dérivatif » c’est-à-dire
l’évitement de situations professionnelles : « j’avais un peu fait le tour de mon
travail…les gosses, les collègues me fatiguaient… » (Pierre, entretiens exploratoires),
ou d’acquérir des compétences avec un objectif professionnel précis : « cette formation
pour réorienter ma vie professionnelle vers un travail de formateur » (Pierre), ou plus
identitaire vers une reconnaissance symbolique par le diplôme : « j’avais envie d’une
réussite scolaire car j’ai souffert de ne pas avoir le bac…je le cachais…alors avoir un
diplôme universitaire… » (Emma), ou d’autres encore.
L’identité sociale de l’individu, produit du rapport entre identité pour soi
et de l’identité pour autrui selon Dubar39, peut être ébranlée, nous le percevons,
39
DUBAR C., « La socialisation », A. Colin, Paris, 1991.
43
notamment par le biais de l’identité professionnelle. Nous souhaitons donc interroger
les situations qui conduisent et encadrent ce retour, comprendre l’évènement (ou les
évènements) qui vient déranger le cours ordinaire de l’existence.
« Il semble bien que la formation permanente soit pour l’acteur social
souvent un lien et un moment de redécouverte de ses possibilités d’action dans
l’ensemble de ses domaines d’investissements »40 .
Nous formulons l’hypothèse selon laquelle : « Les travailleurs sociaux
inscrits à l’université en formation continue mettent en œuvre des processus
identitaires,
une
dynamique
issus
d’itinéraires
singuliers
personnels
et/ou
professionnels ».
Afin de mettre en lumière les aspects biographiques de ce processus de
retour aux études, nous nous appuierons sur une enquête par récits de vie. Dans leur
espace temporel, dans leur histoire et dans leur trajectoire, nous aurons la volonté de
saisir la dynamique du changement social qui est en jeu pour ces adultes.
Ces entretiens biographiques doivent conduire à l’analyse des trois
grands registres de l’expérience de ces sujets : l’histoire familiale originelle et présente,
l’histoire du cursus scolaire et celle de la vie professionnelle pour appréhender les
dynamiques biographiques qui constituent la trajectoire individuelle.
Notre recherche étant axée sur le retour aux études au mitan de la vie,
nous allons privilégier des individus débutant la formation DSTS, entre 35 et 45 ans,
hommes et femmes et bien sûr travailleurs sociaux (éducateurs spécialisés, assistants de
service social, éducateurs de jeunes enfants, …).
Dans cette démarche, nous nous référerons aux concepts de
l’ethnosociologie.
40
SAINSAULIEU R., revue Connexion n° 17, 1976.
44
« Le récit de vie est un outil d’historicité. Il permet au sujet
de « travailler » sa vie. Raconter son histoire est un moyen de jouer avec le temps de la
vie, de construire le passé, de supporter le présent et d’embellir l’avenir »41.
41
DE GAULEJAC V, « L’histoire en héritage », Desclée de Brouwer, Paris, 1999.
45
Chapitre 6 : Méthode d’observation et d’analyse.
6-1 - « Les récits de vie » : approche biographique.
La plupart des existences, loin d’être des lignes droites, sont au
contraire des lignes « brisées », ballottées au gré des évènements imprévus et
incontrôlables.
En introduisant en France l’ « approche biographique » D. Bertaux42
pose le thème central de la continuité de la vie (approche ethnosociologique). D’un côté,
l’existence individuelle est l’histoire de la formation, de la constitution et de la
transformation d’un sujet qui se pose comme tel dans le langage et affirme sa
permanence et sa continuité. L’existence fait un tout que l’approche biographique se
permet d’étudier alors que ces domaines sont souvent abordés séparément en sociologie
(par ex. le travail, la famille, l’école et la famille, …).
Cette perspective ethnosociologique présuppose que « les logiques
qui régissent l’ensemble d’un monde social sont également à l’œuvre dans chacun des
microcosmes ou mésocosmes qui le composent : en observant de façon approfondie un
seul, ou mieux quelques-uns de ces derniers, et pour peu qu’on parvienne à en identifier
les logiques d’action, les mécanismes sociaux, les processus de reproduction et de
transformation, on devrait pouvoir saisir certaines au moins des logiques sociales du
mésocosme lui-même »43 .
Pourtant, il n’est pas simple d’affirmer cette continuité et ses effets de
connaissance (effets qui pourraient se traduire par une méconnaissance, un masquage :
je suis le même).
D. Bertaux défend, contrairement à « l’Ecole de Chicago » à l’origine
de l’approche biographique, une vision humaniste – l’existence est un tout, la vie est un
tout -, l’idée selon laquelle si la vie d’un individu ne saurait être un objet d’étude
sociologique, les « récits de vie » (comme « récits de pratiques ») peuvent éclairer des
42
43
BERTAUX D., « Récits de vie ou récits de pratiques », Cordes, Paris, 1976.
BERTAUX D., « Les récits de vie », Nathan, Paris, 1997.
46
structures sociales et pointer des conditions d’existence dans une période sociale et
historique donnée.
« La vie » constitue un tout, un ensemble cohérent et orienté, qui peut
et doit être appréhendé comme expression unitaire d’une « intention » subjective et
objective d’un projet.
P. Bourdieu44 se situe dans ce même esprit, la notion de « trajectoire
se présente comme une série de positions successivement occupées par un même agent
(ou un même groupe) dans un espace lui-même en devenir et soumis à d’incessantes
transformations ». L’illusion biographique consiste à faire du sujet individu la source de
déterminations qui en fait le façonnent ; il y aurait autant de sujets que de sphères de
détermination sociale.
Pourtant, cette approche, de l’avis même de Bertaux et Bourdieu, a ses
propres contradictions, notamment le principe d’ « habitus » qui détermine une certaine
continuité. L’approche par le biais de « récits biographiques » utilise des matériaux
empiriques qui, de fait s’appuient sur des existences empreintes de continuité et de
discontinuité.
La « formation tout au long de la vie » fait certes partie d’une certaine
continuité de la vie, à tout le moins professionnelle, pourtant la reprise d’études
universitaires revêt bien un caractère exceptionnel et peu répandu : il s’agit bien d’un
évènement extraordinaire, qui conduit à de larges réaménagements du cours de
l’ « histoire ».
La lecture de ce réaménagement est le nœud de notre réflexion : cette
reprise est-elle une rupture ou s’inscrit-elle dans la continuité ? Autant de trajectoires
que d’individus, prend-elle le même sens, a-t-elle la même signification ? Il importe
donc de comprendre la nature de cet évènement dans le cours de la vie « ordinaire »,
évènement qui vient s’inscrire dans la relation triangulaire de la personne à autrui, et au
monde extérieur, tout en conservant le fil de sa propre histoire.
44
BOURDIEU P., « L’illusion biographique », revue Actes de la recherche en Sciences Sociales, n° 6263, 1986.
47
A propos de cette notion d’évènement, « évènement biographique »,
M. Leclerc Olive 45nous conduit à interroger sur la nature et le statut de ce qui peut faire
basculer le cours de l’existence. L’évènement est un changement, une perturbation dans
un système relationnel triangulaire : la personne elle-même, les autres et la « réalité
sociale ». Il convient donc « d’étudier comment cette relation complexe se défait et se
compose lorsque des changements dans l’existence rendent difficile à satisfaire la
double exigence de garder la face vis-à-vis des autres et garder le fil de sa propre
histoire ». Pour elle, selon que l’évènement touche l’un des trois éléments, nous aurons
quatre modalités idéales typiques : « l’action, l’accident, la rencontre et l’évènement
dans le monde ».
*L’action du sujet : elle est centrée sur la personne, le sujet est
témoin-acteur, elle est une continuité.
*L’accident : le sujet témoin-victime qui cherche à garder le fil, se
situe davantage comme une rupture.
*La rencontre : il s’agit de garder la face, d’un ajustement à un
environnement proche.
*L’événement du monde : touche la « relation au monde » à laquelle il
faut faire face, à un ajustement à la société.
Même si ces lectures s’imbriquent souvent, nous retrouvons dans cette
construction de l’événement, l’idée de continuité et celle de discontinuité
de la
trajectoire individuelle analysées par Bertaux et Bourdieu. Elle en fait l’approche par le
rapport des notions d’ « événements biographiques » et d’ « événements de la
biographie » : le premier n’est pas prédictible, les second s’inscrivent dans le champ du
possible, infléchissant la trajectoire. Le premier surprend l’individu, le déstabilise,
l’agresse ; les seconds, certains plus importants que d’autres, laissent des traces,
s’intègrent dans la continuité des trajectoires créant les conditions d’un cheminement,
d’une inflexion.
45
LECLERC-OLIVE M., « Le dire de l’événement (biographique) », Septentrion, Villeneuve d’Ascq,
1997.
48
Nous ne prendrons pas l’événement en tant que tel mais par le sens
qu’il prend dans l’existence, sa conséquence, le processus de restructuration
existentielle qu’il implique. La place et le rôle que les sujets entendent jouer dans un
contexte donné déterminant les « événements de leur biographie » déclencheurs de
changements.
Dans les situations prédictibles, les évènements ne modifient pas
fondamentalement la trajectoire du sujet mais y apportent seulement une inflexion, ce
que P. Berger et T. Luckmann46 appellent une « conversion biographique »
(une « alternation tiède »). D’autre part, dans les situations imprédictibles, ils avancent
la notion de « ruptures biographiques », résultat de « chocs biographiques désintégrant
la réalité massive intériorisée », des ruptures franches avec un ancien mode de vie.
Ainsi, interroger les récits autour de la reprise d’études par continuité
ou la discontinuité nous conduit à décrypter les traits forts de la dynamique dont ils
relèvent. La confrontation de toutes les trajectoires a pour objectif de mettre en évidence
la diversité des significations de pratiques, à première vue identiques. L’université se
présente comme un espace de formation, de transformation identitaire où l’individu va
trouver une structure, un savoir, un langage et un groupe humain qui rendent possible
une resocialisation.
Ces notions d’ « événements biographiques », de « conversion » et de
« rupture » doivent nous permettre d’appréhender les mécanismes enclencheurs, de
passer d’un événement, phénomène ponctuel, à son implication dans l’existence comme
processus d’inflexion de la biographie. Par la reprise d’études, l’individu vient restaurer
un lien social entre lui et son univers social, opérant ainsi une mise en ordre du passé, il
peut alors parfois devenir « l’événement majeur ».
Dans notre recherche, nous pouvons, dès à présent, affirmer qu’il n’y
a pas un retour aux études mais des retours. L’étude de diverses trajectoires
biographiques doit nous permettre de faire émerger la diversité des significations d’un
engagement en apparence identique.
46
BERGER P. et LUCKMAN T., « La construction sociale de la réalité », Méridiens, Paris, 1992.
49
« La démarche ethnosociologique consiste à enquêter sur un fragment
de réalité sociale-historique dont on ne sait pas grand-chose a priori » D. Bertaux47 (en
s’éloignant des préjugés, des stéréotypes ou représentations collectives de sens
commun). Ces techniques d’observation ne cherchent donc pas tant à vérifier des
hypothèses a priori qu’à comprendre le fonctionnement interne de l’objet d’étude et à
élaborer
un
modèle
de
ce
fonctionnement
sous
la
forme
d’un
corps
d’hypothèses « plausibles » comme le précise D. Bertaux.
6-2- La construction de l’enquête et recueil des données.
En préambule, il nous semble nécessaire d’apporter quelques précisions
quant à notre démarche. En effet, dans un premier temps, par un souci de distance avec
le lieu de notre formation DSTS, notre intension était de mener notre recherche
empirique dans une autre région universitaire. Mais un certain réalisme nous a conduit
penser que les contraintes matérielles de temps nécessaires pour mener quinze
entretiens, de une à deux heures, à deux cent kilomètres, tout en continuant notre vie
professionnelle, en participant quelque peu à notre vie familiale et en assistant à la
formation, seraient un frein considérable. Nous tairons les contraintes financières.
Nous avons donc pris l’option de conduire notre enquête auprès de la
nouvelle promotion DSTS de l’Université du Mirail, conscient des contraintes et des
limites d’une étude portant sur les membres d’une même institution. Ce choix n’a fait
que renforcer notre extrême vigilance quant à la distance et la rupture nécessaire (cf.
introduction). Toutefois, nous notons que ces personnes commencent juste leur
formation (quatre regroupements) et nous avons terminé la nôtre au moment de notre
enquête ; d’autre part, nous ne connaissions aucun des étudiants avant les entretiens.
Enfin, précisons que ce travail s’intéresse aux motivations à l’entrée en
formation DSTS et n’a donc pas donné lieu à un questionnement sur les contenus de la
formation ou l’institution « université ».
47
BERTAUX D., Idem.
50
Ces réserves faites, exposons la démarche qui va permettre de confronter
le modèle d’analyse aux données observables recueillies. Tout d’abord, nous étudierons
les contours de notre objet d’observation, la construction de l’échantillon, le recueil des
données et les modalités d’analyse.
6-2-1- Un dispositif d’observation :
Notre démarche empirique avait pour objectif de mettre en lumière les
aspects biographiques du processus de reprise d’études en s’appuyant sur des récits de
vie afin de faire émerger les remaniements identitaires possibles selon l’hypothèse
avancée. Il nous semblait nécessaire de conduire le narrateur à parcourir sa vie ou une
partie de sa vie dans sa temporalité pour tracer des enchaînements, configurer les
événements qui donnent sens à sa vie et par là même, à cette reprise.
- L’échantillon : Notre travail de terrain s’est orienté vers les travailleurs
sociaux ayant entamé la formation DSTS fin 2004 (nous avons abordé précédemment
les raisons de ce choix).
Nous avons constitué un échantillon de quinze personnes ayant accepté
le principe des entretiens soit environ la moitié de la promotion. Il est composé de neuf
femmes et quatre hommes, ce qui reflète la composition de cette promotion. L’ensemble
des formations initiales est représenté. La moyenne d’âge est d’environ quarante et un
ans (de 35 à 48 ans). Nous en présentons les principales caractéristiques dans le tableau
de la page 52.
Les deux premiers entretiens ont permis d’expérimenter notre guide
d’entretien fait de questions de relance, de le réajuster avant de poursuivre notre travail
de terrain. Nous tenons à préciser que cet échantillon est constitué non de personnes
représentatives mais de volontaires.
51
Anc Secteur
Milieu Sit.
Anc. Cadre Scolarité
dipl. d'activité
d'origine Familiale
3ème ;ME
1997 7 Assoc
7
U
Veuve
80; ES
Niv
1992 12 Assoc
8
Oui DEUG
U
M. 2F
Psycho
DEUG
1997 7 Assoc
7
R Ouv Conj. 2G
Drt
Fonct
DEUG
U
1998 6 Public
6
D. 1G
Drt
Entrepr
Ter
Fonct
Bac B 82;
1999 14 Public
5
R
Cél.
AMP 90
Sant
Niv Bac ;
ME 99;
1997 7 Assoc
7
U
M. 2G
ES
Niv Bac;
1988 16 Assoc
16
Oui
R Ouv M. 2F
ME; ES
Bac B ;
1992 12 Assoc
5
Oui
U
D. 1F
Lic Philo
N° Age Sexe Diplôme Date
1
46
F DEES
2
35
M DEASS
3
35
F DEES
4
42
F DEASS
5
40
F DEES
6
35
M DEES
7
48
M DEES
8
36
F
9
41
10
44
M DEASS
1982 22 Assoc
11
47
F DEASS
1979 25
Sans
1991 13
Emploi
Lic.
Philo.
DE
F
1985 19 Assoc
Infirmière
12
38
M DEES
13
42
F
Moy. 40,69
Lic.
Socio.
Fonct
Public
8
5
Bac D'
Oui
Bac C
25 Assimilé Bac A1
1987 17 Assoc
11
13,62
9,17
CAP
Ajusteur
83; ES
Bac A;
Lic Socio
R Agri M. 2G
R
M. 2F
U
M. 2F
Artisan
U
M. 2F
U
Cél.
- Tableau récapitulatif de l’échantillon -
52
Remarque : afin de préserver l’anonymat des narrateurs, nous utiliserons
les codes E 1, E 2, E 3, etc… lors de l’utilisation de citations extraites des entretiens.
- Les entretiens : Dans notre dispositif empirique, afin de mettre en
lumière les aspects biographiques du processus de reprise d’études, nous nous sommes
appuyés sur l’enquête par récits de vie (Ch. 6-1). Il nous semblait important de saisir les
narrateurs dans leur temporalité, leur histoire et leur trajectoire pour dégager la
dynamique de changement en jeu dans cette reprise.
La participation active et impliquée du narrateur à cette expérience
constitue un point essentiel de notre dispositif de recherche. Les détails des procédures
mises en œuvre, la prise de contact et la séparation d’avec le narrateur sont importants
pour la qualité des matériaux recueillis mais aussi de la relation.
Nous avons adopté une prise de contact indirecte par le biais de la
responsable de la formation, qui présenta les grandes lignes de notre recherche ainsi que
notre prochaine visite, afin de laisser le temps de la réflexion et de choix. En effet, s’il
est évident que nous sommes à l’origine de cette recherche, le narrateur ne devait pas
avoir un sentiment de contrainte, qu’on lui arrache un savoir : il devait avoir l’initiative
ultime.
Dans un deuxième temps, lors d’une rencontre prévue avec l’ensemble de
cette promotion, nous avons présenté l’objet de notre recherche ainsi que les modalités
de recueil des données, à l’issue de quoi, quinze personnes se sont proposées. Ce n’est
que dans un troisième temps que nous avons pris rendez-vous pour ces entretiens.
- Le recueil de données : Ces entretiens se déroulaient dans un lieu à leur
convenance ; ils étaient enregistrés avec leur consentement et l’assurance de
l’anonymat. Nous nous sommes appuyés sur un guide d’entretien fait de questions de
relance et de thématiques centrales à aborder.48
48
Voir annexe I : Guide d’entretien.
53
Nous entamions les entretiens par une reformulation de notre démarche
dans le cadre de ce travail ce recherche en invitant les interviewés à débuter s’ils le
souhaitaient par leur cursus scolaire dés le primaire, une porte d’entrée suffisamment
neutre. Les entretiens ont duré entre une heure et un heure trente, s’arrêtant lors de
sentiments de « saturation » ou d’apparition de redites. Non pas que les sujets étaient
épuisés mais plutôt qu’une nouvelle rencontre aurait peut-être été nécessaire pour
permettre au narrateur d’approfondir après réflexion. Il s’agit d’une des limites de notre
travail qu’il nous était difficile de dépasser pour des questions de temps disponible.
Ces entretiens furent un moment fort, un lieu de parole authentique et
sincère, souvent porteur d’une certaine émotion. Nous avons proposé dans notre contrat
de départ, de faire un retour de ce travail de recherche, proposition qui a reçu un accueil
favorable. Les entretiens furent entièrement retranscrits au plus près de la parole dite.
6-2-2- L’analyse des données :
L’analyse des entretiens biographiques nous impose un recul préalable
vis-à-vis de la relation interviewer / interviewé et une mise à l’écart des interprétations
spontanées.
Avant toute chose, « il est important de bien comprendre que (…) tout
entretien est d’une richesse sans fond et d’une complexité infinie, dont il est strictement
impensable de pouvoir rendre compte. Quelle que soit la technique, l’analyse de
contenu est une réduction et une interprétation du contenu et non une restitution de son
intégralité ou de sa vérité cachée »49. Pourquoi une telle précision ? Pour dire toute la
modestie et l’ambition de ce travail.
Dans cette analyse de contenu, nous avons opté pour l’analyse
thématique horizontale, c'est-à-dire le découpage des discours en fragments selon une
unité thématique, unité de sens, afin d’essayer de mettre en évidence les représentations
sociales ou les jugements des interviewés à partir de l’étude de certains éléments
constitutifs du discours. Les co-occurrences entre thèmes sont censées informer sur des
49
KAUFMANN JC, op. cité, 1996.
54
structures mentales et idéologiques ou sur des préoccupations latentes. Il s’agit de faire
émerger un « noyau de sens » afin de mettre en évidence les liens entre les motivations,
les valeurs et la reprise d’études ; à la recherche d’ « événements » de la biographie.
Nous
recherchons, à travers la reconstruction diachronique des
événements, la dynamique biographique ainsi que le sens donné pour comprendre
chaque parcours au travers des interactions de processus tant au niveau familial, scolaire
que professionnel afin de faire émerger les motivations tant objectives que subjectives.
« Les événements marquants se sont succédés dans le temps, il existe une relation
avant/après entre eux, qui sont aussi factuelles que les événements eux-mêmes »50.
Remarque : si les entretiens furent retranscrits avec la plus grande
rigueur, nous avons pris le parti de « corriger » les fautes grammaticales et tics de
langages inhérents à l’oralité sans en dénaturer le fond.
50
BERTAUX D, op. cité, 1997.
55
Chapitre 7 : Histoire de famille : un environnement.
La socialisation, note Dubar C., est caractéristique de la formation de
l’individus au sein de son groupe d’origine auquel il appartient « objectivement » ou
d’un groupe extérieur qu’il veut intégrer et auquel il se réfère « subjectivement » afin
« de devenir un être socialement identifiable », « l’individu doit ainsi se placer dans
une position duelle de reconnaissance réciproque »51.
Il nous semble donc pertinent de révéler, dans ce chapitre, les traits forts
de l’histoire familiale c'est-à-dire de la connaissance du milieu d’origine et du type
d’éducation hérité, puis l’approche du parcours scolaire des interviewés, qui ont croisé
leurs récits de manière récurrente. Les récits de vie « sont autant de portes d’entrée
pour analyser comment les individus sont à la fois produits et producteurs de la
société ».52
Nous pourrons faire émerger la part « héritée » de chaque narrateur : les
notions d’origine sociale et d’ascension, de valeurs transmises, de la « réussite », de
l’engagement militant, de l’inscription à l’école et du soutien familial.
7-1- Des origines sociales diverses.
Nous remarquons que, si la différenciation de l’origine rurale ou urbaine
n’est pas marquante, l’ensemble des interviewés, à une exception près, sont d’origine
sociale modeste : agriculteurs, ouvriers agricoles, bûcheron, maçons, petits artisans,
ouvriers en usine, commerçants…mais avec une volonté de progression sociale entamée
par les grand parents, les parents ou reportée sur les enfants.
Une dynamique familiale qui s’inscrit et se perçoit à différents niveaux,
comme cette famille d’immigrants italiens qui se place dans une dynamique d’ascension
sociale par les études :
« Mes grands parents paternels étaient agriculteurs et mon grand père
maternel, bûcheron […] voilà, et tout le monde dans la famille de ma mère a fait
51
52
DUBAR C., « La socialisation », A. Colin, Paris, 2000.
DE GAULEJAC V., « L’histoire en héritage », Desclée de Brouwer, Paris, 1999.
56
beaucoup d’études…j’ai une tante qui a eu le CAFDES, un oncle médecin, enfin
une ascension sociale assez importante » (E 3).
Il est à noter toutefois que, outre les qualités personnelles, l’ascension
sociale dans les « trente glorieuses » est souvent portée par le contexte économique et
politique de l’époque : croissance importante qui élève le niveau de vie, démocratisation
de l’accès à l’école, de nouveaux champs de savoirs et de nouveaux métiers, une
mobilité ascendante des classes moyennes, etc. ; en effet, bien « des trajectoires
ascendantes incarnent l’évolution des rapports sociaux »53.
De la même manière, à cette époque il existait des cultures d’entreprise
fortes auxquelles s’identifiaient les salariés avec leurs ressources et leurs possibilités de
progression interne, et qui imprégnaient l’ensemble de l’univers familial comme pour
E 6 (voir aussi ses valeurs au paragraphe 7-2) :
« Mon grand père, mon père (mon frère aussi d’ailleurs) ont travaillé à
la SNCF […] Mon père a commencé tourneur-fraiseur, il a fini directeur d’une
vingtaine d’usines hydrauliques… »..
Une progression sociale entamée par les parents, déjà initiée par les
grands parents, devient une transmission d’héritage inscrite pour les enfants :
« Mes grands parents étaient commerçants. Mes parents nous poussaient
à faire des études…eux-mêmes étaient sur un parcours d’études. C’était un peu
inscrit, c'est-à-dire des choses qui étaient un peu inscrites dans l’idée
d’ascension…pour les parents …une histoire de prestige aussi » (E 8).
La nécessité de « s’élever » intellectuellement faite à E10, nous montre
qu’une ascension entamée, plus qu’une question de place acquise, se double d’une
ascension intellectuelle sensée coller à cette promotion sociale :
« Des parents instituteur et professeur, issus d’un milieu rural comme
beaucoup, une fonction intellectuelle un peu développée…je pense qu’ils
souhaitaient beaucoup plus pour leurs enfants ».
53
Idem.
57
Les représentations familiales de la réussite et les « exigences » qui
peuvent y être liées, sont multiples. Ainsi E 9, en obtenant son diplôme d’état, accédait
pour ses parents à un nouveau statut social :
« Ca représentait énormément pour eux, j’avais le Bac, j’ai fait 3 ans
d’études après, j’étais un peu sortie des
conditions…de génération en
génération, c’était la terre et je crois que j’étais la première… ».
E 12 analyse le chemin parcouru depuis l’obtention de son CAP et son
entrée dans le travail social, mais rappelle les ambitions élevées de son père :
« Etre travailleur social, c’était une promotion sociale…mais lui (le
père) visait très haut, notable, avocat, médecin… ».
Enfant de l’immigration, E 13 montre combien la réussite aux diplômes
devient la promotion de toute une famille, gage d’intégration :
« Quand j’ai eu mon bac, j’étais la seule de toute la grande famille, dix
pages d’annuaire, mon père a tué le mouton, quelle fête ! La fille réussit dans sa
scolarité, sa vie professionnelle, c’est comme si toute la famille accédait à un
statut, je ne sais pas lequel, c’est dans leur imaginaire, leur représentation ».
Inscrit comme l’amorce d’un début d’ascension sociale, le diplôme peut
être aussi vécu avec un sentiment de trahison, dans une logique « réussir, c’est trahir ».
Le passage « entre ces deux mondes pousse à vivre une tension entre une identité
héritée des parents et l’identité acquise par les études »54. Dans cette logique
d’ascension « limitée », chez E 9, le retour aux études inquiète :
« Là par contre, ça a un petit peu dérangé…tu ne seras plus pareille si
tu es cadre…tu vas avoir un discours avec nous…qu’est-ce que tu vas
t’embêter…vous pourriez être tranquilles… ».
Remarque : si nous avons abordé les origines sociales et la place de
l’héritage familial, nous remarquons qu’une majorité des interviewés, quand ils habitent
dans la même région, rencontrent régulièrement les membres de leur famille. Dans les
cas contraires, cette rupture est amenée comme une « souffrance ».
54
MUEL-DREYFUS F., « Le métier d’éducateur », Ed. de Minuit,Paris, 1980.
58
7-2 – Des valeurs héritées.
« Le passé laisse des traces » […] « La famille crée un tissu commun qui
fait lien, valorisé dans certaines familles, négligé dans d’autres, mais toujours présent
comme fondement de l’identité originaire »55.
Quelque soit le milieu d’origine sociale, nous notons l’importance des
références faites à l’éducation qui fut la leur, comme aux valeurs héritées. Elles
apparaissent comme un fil conducteur de leur parcours, s’excusant parfois d’être
passéiste : « elles sont peut-être obsolètes mais j’y tiens » (E 6).
« (…) Le capital culturel est un avoir devenu être, une propriété faite
corps, devenue partie intégrante de la personne, un habitus (…) » précise P. Bourdieu56.
Nous percevons l’importance des valeurs comme la solidarité familiale
qui ont baigné l’enfance de E 5 sur lesquelles elle s’appuie dans les moments difficiles
de son existence :
« Chez nous, il y a toujours eu des problèmes financiers…par contre
beaucoup de générations sous le même toit : l’arrière grand-père, les grand
parents, une arrière grand-tante mais aussi des enfants…une vraie
solidarité… »,
Des liens familiaux forts marquent les narrateurs dans leur biographie et
dans leurs conduites. Pour E 3, ils font référence :
« Un milieu social assez bas…mais du côté de ma mère, immigrés
italiens, une famille hyper soudée…c’est ma mère qui a élevé les autres à la
mort de son père… »,
Certains, comme E 6, mettent en avant les valeurs héritées du milieu de
vie professionnelle, de la culture d’entreprise des parents qui furent le fondement de
toute leur éducation et qui restent encore un ancrage nécessaire aujourd’hui :
« Dans les usines hydrauliques, ils construisaient des cités très
luxueuses mais il n’y avait pas de villages autour, on vivait ensemble…il fallait
55
56
DE GAULEJAC V., Op. cité, 1999.
BOURDIEU P., in Actes de la Recherche en Sciences Sociales n° 30, 1970.
59
se soutenir…le respect de la collectivité est important, vivre ensemble ce n’est
pas gagné… ».
La narratrice E 9 fait état de racines paysannes et décrit une certaine
ascension sociale par le travail social, éprouve le besoin de montrer qu’elles ne sont pas
reniées, qu’il n’y a pas trahison mais au contraire qu’elles sont toujours prégnantes :
« Je pense que on a une même culture de base (avec les parents) par
rapport à la nature, à la campagne, c’est quelque chose qui est en moi…ça reste
en moi, je ne renie pas mon milieu paysan, j’y suis bien ».
D’origine étrangère, E 12 met en avant la volonté de son père
d’appropriation cette culture nouvelle. Il nous explique que cette démarche est restée un
moteur pour lui dans tout son itinéraire :
« Mon père immigré, avec une part de culture française, avait une
volonté d’assimilation, de pénétration de la société française en terme de
valeurs qu’il nous a transmis …et influencé parallèlement par les mouvements
de scoutisme protestants et travailleurs sociaux du quartier… ».
Cette notion de valeurs héritées a un tel poids qu’il existe un vide à
combler en son absence. E 13, d’origine immigrée, s’est appuyée sur des rencontres,
pour trouver les ressources nécessaires :
« Mais parents ne savaient pas faire ; ce n’est pas un reproche, ils
faisaient à leur façon : les devoirs, c’est le cadet de nos soucis, la télévision
jusqu’à 11 heures, il n’y avait pas de discipline, de règles…mes parents n’ont
pas su adapter leur éducation au pays d’accueil…et tous ces gens là (directrice
d’école, travailleurs sociaux) ont pallié au comportement tout à fait involontaire
de mes parents ».
Un équilibre familial, fait de ruptures, a conduit E 1 vers une quête
permanente de celui-ci ou de ses représentations :
« J’ai été élevée par mon grand père, officier de marine, éducation très
carrée…au décès de ma grand-mère, ma mère que je ne connaissais pas, me
récupère pour m’abandonner six mois plus tard…un peu perdue, une fragilité
affective, pas de repères ! ».
60
Si nous nous référons à l’analyse des trajectoires déplacées faite par V.
De Gaulejac montrant que « l’écart entre les positions objectives et les positions
subjectives que les déplacements produisent, introduit une distance entre la place et le
rapport à la place »57, nous pouvons comprendre comment les individus qui changent
de positions sociales sont traversés par des conflits internes.
Nous voyons bien l’importance de ces valeurs héritées qui sont un point
d’appui capital selon les dires des narrateurs. L’histoire participe à la constitution des
individus qui, au travers de ces déterminations, diverses et contradictoires, se
construisent, orientent leur existence et avancent même que celles-ci seraient une des
sources de motivation de leur parcours, une manière de le valoriser.
7-3 – Une « commande » de réussite ou… :
« L’investissement imaginaire des parents construit un idéal d’enfant
avant même la naissance. Dans le désir, l’enfant est au monde avant que d’être né…
Tenter d’être un sujet, c’est se dégager de l’histoire de cet enfant pour écrire sa propre
histoire » 58 ; selon cette approche de De Gaulejac, nous appréhendons comment les
projets explicites mais aussi implicites, ont inscrit les narrateurs dans une succession à
assumer (au moins temporairement) et qui pèse sur l’ensemble de leur parcours de vie.
Ils sont perçus comme moteurs ou freins.
Cette « voie
tracée »
explicite
peut
être
acceptée,
au
moins
temporairement, sans réel choix comme l’explique E 4 :
« Mon père dirigeait une entreprise familiale qui marchait fort, une
dizaine de personnes et il ne s’en sortait plus tout seul…alors lorsque j’ai
échoué à la fac, il m’a vite raccrochée aux branches et je suis rentrée dans
l’entreprise, sans réel choix, pour en prendre la direction [...], lorsque j’ai
vendu ce fut un drame familial, très difficile pour mon père ».
Une commande est aussi perçue comme une pression forte à laquelle on
souhaite répondre dans un premier temps, nous dit E 3 :
57
58
DE GAULEJAC V., « Névrose de classe », éd. Hommes et Groupes, Paris, 1987.
DE GAULEJAC V., Op. Cité, 1999.
61
« Ils ont tellement bataillés pour que je…pour que je continue l’école.
[…] derrière moi, ils me faisaient prendre des cours […] ; après le bac, je
voulais faire philo mais pour mes parents, philo ça ne sert à rien, donc je suis
allée au truc rentable :la fac de droit ».
Les parents comme leurs propres parents, élèvent leurs enfants dans
l’idée qu’ils prendront logiquement leur suite ; il est alors parfois difficile de
s’émanciper de cette pression comme le souligne E 9 :
« Mes parents étaient agriculteurs comme mes grands parents et ils
voulaient que l’une de nous deux plus ou moins, reprenne l’exploitation…par
chance ma sœur qui arrivait derrière, a choisi l’agriculture donc…la relève était
assurée…donc je pouvais… ».
Comment répondre à des exigences élevées, difficiles à satisfaire ? « Ne
pas déchoir, telle est la loi qui guide le plus souvent les trajectoires sociales »59, E 10
nous exprime cette source d’incompréhension :
« A 14 ans, je voulais travailler à la SNCF, mon père évoquait alors le
fait que je sois ingénieur à la SNCF […] plus tard, lorsque j’ai eu la sélection
d’AS, mon père n’était pas content car il pensait que ce n’était pas fait pour
moi…voilà ».
Mais, comme le note E 7, parfois un soutien implicite peut suffire à
ouvrir un chemin même difficile. Ses parents n’avaient pas de demande particulière, par
manque d’information, mais ils avaient une confiance qu’ils laissaient percer et qui fut
un facilitateur :
« Mon père parlait peu, il faisait, il travaillait ; ma mère était hyper
possessive, mais mon parcours elle y a toujours cru, c’est peut-être ce qui m’a
permis d’avancer. De toute façon, tu es le meilleur…pour mon père aussi… ».
Si la plupart des narrateurs expriment qu’ils ont réussi, tant bien que mal,
à faire avec
cette « commande » de réussite, elle peut, nous dit E 8, devenir
insupportable et pousser à la fuite :
59
DE GAULEJAC V., op. cité, 1999.
62
« A 17 ans, je suis partie de chez mes parents […], ils nous poussaient à
faire des études, eux-mêmes étaient sur un parcours d’études, c’était
inscrit…une histoire de prestige personnel, c'est-à-dire qu’ils ne pouvaient pas
présenter à leurs amis… ». Mais elle note ensuite que cette reprise d’étude est
sûrement une réponse tardive à cette demande non satisfaite : « Ma mère est
sciée…c’est une formation qu’elle aurait bien aimé faire…et puis ils sont
rassurés en tout cas par rapport aux amis… ».
Selon De Gaulejac, « l’individu est le produit d’une histoire dont il
cherche à devenir le sujet »60, cette remarque recoupe tout à fait les réflexions des
narrateurs.
D’une part, l’individu veut affirmer son existence propre, exercer sa
liberté et de l’autre, il est l’héritier, le fruit de deux lignées qui lui ont transmis leur
propre héritage et qu’il devra adapter à son monde, telle est toute l’ambivalence. Il est le
maillon d’une histoire qui a commencé avant lui et qui doit se transmettre à travers lui
et les siens.
7-4 – Un engagement militant.
L’engagement professionnel et/ou syndical est une constante chez les
interviewés et nous pouvons repérer que cet engagement s’origine pour certains dans
l’histoire familiale. De plus, il nous semble que ces situations, vécues dans l’enfance,
d’une culture de classe autour du militantisme ont forgé une ambition « naturelle » à
une certaine promotion sociale.
La culture de l’engagement syndical est un point d’appui, auquel n’a pu
échapper E 6, nous dit-il avec un sourire entendu :
« Mon grand père, mon père, mon frère ont été ou sont délégués
syndicaux CGT…ça je n’ai pas pu faire autrement…même si parfois… je suis à
la CGT, impliqué à plusieurs niveaux. ».
60
Idem.
63
E 10 rapporte l’adhésion à certaines valeurs de ses parents, y faisant
régulièrement référence pour expliquer certains de ses choix :
« Mes parents étaient engagés, avec des idées assez progressistes, une
morale forte, une forte tradition catholique ».
Parfois des « événements de la biographie » pointent la nécessité d’un
engagement, comme l’exprime E 9, rendu ainsi inéluctable :
« Dans mon entourage, beaucoup d’amis sont devenus toxicomanes avec
suite logique l’apparition du SIDA… donc je me suis investie au sein de
l’association AIDES…il fallait faire quelque chose… ».
Pour E 2, il s’agit d’une volonté d’engagement revendiquée et souvent
anticipée comme pour ses enfants encore jeunes :
« Je suis quelqu’un qui s’investit beaucoup associativement : pendant
mes études, j’ai participé à la création d’un lieu pour les jeunes, un bistrot-club,
présidente quelques années ; je suis présidente de l’association de parents
d’élèves ; je suis dans une association qui organise des manifestations pour
l’école et je me suis investie aussi au CCAS… ». Elle ajoutera avec le sourire
qu’il n’est pas impossible qu’elle s’engage dans un mandat municipal après la
formation.
Le bénévolat est aussi une manière d’aller à la rencontre d’autres univers
riches comme nous le présente E 4 :
« Je suis partie prenante à Emmaüs, de manière bénévole,…c’est un
milieu qui m’intéresse, j’y ai rencontré des gens qui font partie de toute ma
construction, j’y ai des amis…j’y vais moins aujourd’hui car…je ne fais plus
partie du conseil d’administration faute de temps. ».
E 5 explique que pour elle, il s’agit d’un engagement global dont son
investissement professionnel fait partie :
« J’étais investie dans les instances, représentante syndicale, déléguée du
personnel, cela permet de voir le fonctionnement d’une institution sans perdre
de vue les conditions de la politique sociale ; j’avais un mandat de conseillère
municipale dans mon village natal et de présidente du comité des fêtes […],
64
mêler le politique et le social, c’était le sens de ma démarche, j’étais
l’intermédiaire un peu de tout le monde…c’est une dynamique citoyenne. ».
Nous avons vu précédemment que l’engagement
était une culture
familiale pour E 6 mais qu’il a pu parfois pousser à l’extrême :
« J’ai pris énormément de responsabilités syndicales et d’élu au niveau
du CE, du CHSCT, du CCE, jusqu’à 75 heures de délégation, au bout d’un an,
j’ai dit stop, ce n’était plus possible au niveau du travail, maintenant je suis
délégué syndical… ».
Mais il notera au cours de l’entretien, que les propositions de poste
d’encadrement faites par la direction, pouvaient s’expliquer par des compétences
repérées sûrement dans l’exercice de ces fonctions syndicales.
D’origine immigrée, E 12 présente son engagement dans le mouvement
antiraciste et de défense de sa communauté d’appartenance :
« J’ai été longtemps militant d’une association anti-raciste nationale, au
bureau national pendant 5 ou 6 ans, même président ; j’ai été syndiqué, délégué
au comité d’entreprise et je suis membre d’une association de ma
communauté… ».
Il en était de même pour E 13 dans sa jeunesse :
« Dans ma jeunesse, j’étais impliquée sur le quartier, par rapport
à la situation des enfants de l’immigration, j’ai fait « convergence 84 », une
partie de la marche, de la mobylette… ».
Dans ces récits de vie, nous venons de voir la place prise par l’éducation,
le milieu d’origine, l’environnement familial ou social et la place de l’engagement
militant. Il nous paraît maintenant nécessaire d’étudier l’univers de la scolarité comme
un lieu de socialisation important.
65
Chapitre 8 : Souvenirs d’école…
Nous avons abordé dans le chapitre précédent la notion d’héritage
familial or, comme le note P. Bourdieu, cette « transmission de l’héritage dépend
désormais, pour toutes les catégories sociales (mais à des degrés divers), des verdicts
des institutions d’enseignement, qui fonctionnent comme un principe de réalité brutal et
puissant, responsable, en raison de l’intensification de la concurrence, de beaucoup
d’échecs et de déceptions » […] « Les jugements et les sanctions (de l’école) peuvent
confirmer ceux de la famille, mais aussi les contrarier ou les contrecarrer, et
contribuent de manière tout à fait décisive à la construction de l’identité »61. Cette
approche montre l’importance prise par cette institution, importance que nous
retrouvons dans les récits.
« La scolarité », passé l’étonnement de remonter si loin, ce thème a
amené les sujets à relater des anecdotes, des souvenirs enfouis, des souffrances ou des
petits bonheurs qui leur permettront des liens avec leur situation d’étudiant adulte
actuelle.
Nous verrons, par ce biais, l’émergence de deux typologies particulières
et l’importance de l’attention des parents.
8-1 – L’école dans l’environnement familial.
Les narrateurs abordent de manière systématique la place qu’occupait
l’école dans l’environnement familial pour en donner une lecture explicative dans la
suite de leur itinéraire de vie. Qu’il s’agisse d’une attitude bienveillante, d’exigences
fortes pouvant se transformer en une insupportable pression, du peu d’intérêt, du
manque d’outils, etc.
Cet environnement est, semble-t-il, un soutien facilitant, souvent un
appui ou une référence dans les périodes difficiles souligne E 1 :
« Chez mon grand père, c’était une éducation méga carrée…mais il y
avait une dimension pas possible d’apprendre, se nourrir intellectuellement,
c’était la base de tout…l’école, c’était l’apprentissage, la culture ».
61
BOURDIEU P., « La misère du monde », Seuil, Paris, 1993.
66
Dans un rapport à la scolarité parfois difficile, malgré la contrainte, la
prégnance des parents a permis à E 3 de passer l’étape du bac :
« Le bac au repêchage avec des parents derrière qui me faisaient
prendre des cours…ils ont tellement bataillé pour que je continue l’école […] Je
ressemblais beaucoup à ma mère, assez insolente mais pas impolie…je pense
que ma sœur aînée a eu plus cette nécessité de réussite».
De même, E 4 affirme qu’il n’y eu pas de révolte chez elle, même à
l’adolescence remarque-t-elle, et qu’elle fut toujours soutenue dans ses choix par son
père bien que parfois douloureux pour lui :
« …mon père a toujours été fier de moi… même après le moment le vente
de l’entreprise, difficile…il approuve mes choix… », une manière d’obtenir son
aval.
En terminale E 6 fait le choix de partir dans une autre ville pour jouer au
rugby avec des compensations financières, ses parents laissent faire, mais après son
échec au bac, ils lui demandent d’assumer ses choix :
« là, mon père me dit : ok, tu as fait ça, maintenant tu vas aller bosser, je
connais un tel qui a des vignes, un autre qui est maçon…là, un peu chaud… ».
Bien qu’ils ne fussent pas selon lui en mesure de l’aider scolairement,
E 7 exprime combien leur confiance en lui fut un moteur :
« Mes parents n’étaient pas en mesure de m’accompagner parce que…ils
bossaient et la question de l’orientation pour eux c’était un autre monde… »,
« …mon père ne parlait pas beaucoup, ma mère y a toujours cru, c’est ce qui
m’a permis d’avancer ».
L’ambiance faite d’échanges et de culture, le climat familial furent
semble-t-il déterminants pour E 10 :
« …je pense qu’ils souhaitaient beaucoup pour leurs enfants…je me suis
sûrement construit avec cette idée là… […] …je ne savais pas quoi faire, mon
père m’a incité : tu fais des colonies, tu devrais faire de l’animation ».
67
Pour les autres, cette absence (ou cette impossibilité) de soutien, la
pression excessive les interroge mais les a conduit à construire leur autonomie, leur vie
hors de, parfois avec l’aide de rencontres (nous aborderons cette notion de rencontre
ultérieurement) :
« …pour eux, le bac à l’époque, c’était le repère…après… » (E 5).
Un parcours qui se construit sur des malentendus, des mensonges même,
crée pour E 8, la fuite et des ruptures difficilement dépassées :
« Ils nous poussaient à faire des études, ils nous disaient : il faut, il faut...
[…] ma mère était assistante sociale, je ne supportais pas ses questions, j’avais
l’impression d’être un… usager… […] Mon père nous a menti… il nous a menti
sur ses diplômes…ça n’a pas d’importance mais en même temps c’est un
mensonge…et en fait il y avait beaucoup d’exigences par rapport au temps de
travail scolaire que je devais fournir… ».
Le peu d’attentes familiales pousse à un souci d’indépendance et
d’autonomie :
« Ils ne m’ont jamais poussée vers les études… ils n’avaient rien
projeté du tout… je crois que je me serais arrêtée au bac…non, non, ils
n’avaient rien projeté…mais ils étaient ravis de mon choix. » (E 9).
Sans laisser transparaître ses sentiments, E 11 avance son arrivée tardive
et non désirée dans sa famille comme une des raisons du peu d’attente envers elle, ce
qui l’amena très tôt à une recherche d’autonomie :
« …je suis arrivée 12 ans après ma sœur…disons que je n’étais pas
attendue comme le Messie…je suis arrivée toute seule, il n’y avait pas de projet
hyper défini autour de moi…[…] Par contre, l’aînée, mes parents… ma mère
notamment, avait des attentes assez précises par rapport à elle… ».
Parfois il ne s’agit pas d’un défaut d’attentes mais une impossibilité d’en
avoir, pour de multiples raisons, nous dit E 12 :
68
« …à la maison, famille nombreuse, difficultés d’avoir un suivi scolaire ;
même s’il y avait une mobilisation sur les valeurs scolaires, il n’y avait pas les
moyens de soutien…il n’y avait pas ce suivi nécessaire. ».
Comme E 13 : « Je n’étais pas suivie par mes parents, ils n’en avaient
pas la possibilité…ils essayaient, leur phrase c’était : va à l’école, étudie…ils ne
savaient pas faire, ce n’est pas un reproche mais ils ne savaient pas faire… ».
8-2 – Entre rupture et continuité.
A l’analyse des entretiens, nous constatons une différenciation dans les
parcours scolaires entre ceux des éducateurs spécialisés (rejoints, semble-t-il, par les
intervenants de l’animation et de la formation) et les assistants sociaux (comme les
infirmiers).
En effet, les premiers auraient des parcours faits plutôt de ruptures,
d’échecs (ou vécus comme tels) au collège, au lycée ou à l’université impliquant des
choix, des orientations pas toujours désirées ; alors que les seconds s’inscriraient plus
dans la continuité jusqu’au diplôme d’état, même si quelques sentiments d’échec relatif
ou de non choix peuvent nourrir leur inscription actuelle dans la formation. Par contre
nous ne notons pas de différenciations significatives entre hommes et femmes.
8-2-1- Confrontation à la scolarité :
Nous voyons donc émerger pour les éducateurs spécialisés, des scolarités
parfois chaotiques, heurtées, difficiles, ennuyeuses avec des périodes radieuses dans
lesquelles est puisée l’énergie ; des orientations hasardeuses, non choisies ; des échecs à
des examens ou concours… Il semble que ce soit un des leviers de leur motivation : une
volonté de restauration d’image écornée.
Notons tout d’abord que la formation de moniteur éducateur (ME) est
accessible sans le bac puis permet ensuite d’accéder à la formation d’éducateur
spécialisé (ES), au contraire de la formation d’assistant de service social (AS) qui
nécessite le bac. Nous en percevrons l’importance dans le récit des différents narrateurs.
69
Lors de l’entretien, E 1 nous a exprimé une histoire familiale assez
douloureuse et une enfance chaotique, faite de déchirures, dans laquelle la scolarité,
source de rébellion, ne pouvait avoir que peu de place :
« Primaire dans une institution privée avec tout ce que cela comporte,
renvoyée de l’institution privée, un peu trop résistante, donc en 6ème je suis
passée à l’enseignement public jusqu’en 3ème …là, j’ai tout envoyé p…, c’était
familialement trop compliqué… ».
Les parents de E 3, surtout la mère, ont toujours suivi et investi de près sa
scolarité. Il s’agissait, nous l’avons abordé précédemment (ch.7-4), d’un enjeu familial
important, qui est venu contrarier des choix d’orientation personnels. En effet, il lui fut
impossible de suivre son propre choix, au profit de filières porteuses des représentations
de réussite créant ainsi un malentendu (mal entendu) récurent :
« Parcours à l’école primaire, je comprenais rapidement mais je
m’ennuyais, donc je jouais…c’était pas douloureux, toujours « peut mieux
faire »…En 6ème, 5ème…ça allait, je passais limite, j’en mettais un coup pour
passer, en 3ème des notes catastrophiques mais je passe…en 2ème, catastrophe, je
redouble et j’arrive au bac B que j’ai au repêchage avec des parents derrière.
Ensuite je voulais faire philo mais pour mes parents, philo ça sert à rien…donc
j’ai été au truc « rentable » : fac de droit. […] Aujourd’hui, je ne sais pas si je
reviens sur des choses…j’ai envie d’aller après en philo. ».
Issue d’une « classe sociale assez basse », E 5 laisse transparaître la part
du mythe des études universitaires, passage obligé vers une réussite sociale, ce qui rend
parfois, l’échec d’autant plus insupportable et source de désillusions :
« Mon itinéraire a été classique jusqu’à la faculté […] L’école primaire,
j’ai bien aimé, je redouble le cours moyen par manque de maturité. Ensuite un
parcours normal jusqu’à un bac B. Je vais en fac de droit, ne connaissant rien
au milieu, je travaillais le soir pour payer les études…j’ai raté…la deuxième
fois, je l’ai eu…ça a duré pendant 2 ans, 2 ans et demi…et puis j’ai carrément
laissé tombé […] De retour chez moi, j’ai trouvé une formation d’insertion par
l’emploi d’AMP…voilà, je me suis dit « pas grave, je recommence à Zéro »… ».
Nous rejoindrons le constat fait par P. Bourdieu et JC. Passeron, qui
illustre parfaitement le parcours scolaire de E 5 : « Plus la différence entre la culture
70
scolaire et la culture du milieu d’appartenance est faible, plus la réussite dans
l’institution (scolaire) est élevée » […] « Pour réussir, les élèves éloignés doivent
réaliser un véritable processus de déculturation. Tout se passe comme si les membres
de la classe dominée devaient apprendre une langue étrangère »62.
Certains choix sont parfois lourds de conséquences à l’adolescence, nous
fait remarquer E 6. Son échec au bac reviendra comme un leitmotiv lors de la
présentation de ses réussites ultérieures : «... et je n’avais pas le bac… », et il sera son
explication de l’origine d’engagements nouveaux :
« J’ai
un
parcours
ordinaire
jusqu’à
la
3ème,
ordinaire
ème
moyen…redoublement de la 3
, là, c’est le début d’un parcours un peu
chaotique…je joue beaucoup au rugby à l’époque…je passe en seconde, 1ère
S…je redouble la 1ère et je passe en terminale grâce au rugby, un bac A1…une
année fabuleuse…mais je suis aller passé le bac pour signer…là le trou… mon
père me dit : ok, tu as choisi maintenant tu vas aller bosser… » ; « Au fond de
moi je me suis toujours dit : tu as des possibilités que tu regretteras de ne pas
utiliser…alors, c’est beau d’aller à la fac aujourd’hui. ».
Des « accidents » de la biographie, évènements imprédictibles, peuvent
venir contrarier des choix d’orientation scolaire. L’impossibilité de poursuivre ses
études dans le sport, marque une rupture difficile et longue à dépasser pour E 7 et dont
la trace est encore perceptible, malgré son parcours ascendant depuis :
« Je suis allé à l’école traditionnelle et publique puis au collège…En
3ème, orientation, cela marchait bien donc je vais en seconde T, technique ;
j’étais plutôt dans une perspective d’études courtes…là, ce n’étais pas mon
truc ; donc retour en 1ère D et terminale. En parallèle, une activité sportive, du
foot, me prenait beaucoup de temps…cette année là, j’ai eu un accident de foot
très grave qui m’a immobilisé trois mois et beaucoup déstabilisé car j’avais
passé l’UREPS (études sportives pour être professeur de sport)…donc j’ai passé
le bac comme on va à la pêche et je ne l’ai pas retenté. ».
62
BOURDIEU P. et PASSERON JC., «La reproduction », Ed. de Minuit, Paris, 1979.
71
E 8, formatrice, avait l’envie de devenir professeur des écoles mais les
échecs répétés au concours d’entrée à l’IUFM ont amené « un gros questionnement sur
mon avenir personnel » avec quelques années de flottement :
« Rien de particulier si ce n’est une expérience en CM2 dans l’école
Freinet et qui reste un grand événement de ma scolarité…qui a sûrement
conditionné mon envie plus tard de faire professeur des écoles…donc je suis
allée jusqu’en terminale que j’arrête en cours d’année, marre des études…et
cela pour aller travailler quelques mois…Des expériences qui m’ont rapidement
remise sur… Je me suis réinscrite et j’ai eu mon bac B. Ensuite, je me suis
inscrite en philo., je suis allée jusqu’en licence en passant le concours de
professeurs des écoles que j’ai passé trois fois…ce fut un gros sentiment
d’échec. ».
« A la maison, famille nombreuse, difficulté d’avoir un suivi scolaire
malgré une mobilisation sur les valeurs scolaires », les difficultés scolaires de E 12,
liées au contexte familial mais portées par certaines valeurs de réussite, ont été le
possible levier à une restauration de son image :
« J’habitais une cité populaire, j’y ai passé ma scolarité du primaire et
deux années de collège avant une orientation vers un lycée d’enseignement
professionnel en internat pour obtenir un CAP de mécanicien-ajusteur, puis de
soudeur […] A la maison, mes frères, on a, à peu près, tous le même parcours :
enseignement technique puis reprise, des remises à niveau, puis travailleurs
sociaux et/ou reprise d’études supérieures… au départ nous avions l’ambition
de faire déjà complètement autre chose. ».
Le récit de E 12 nous renvoie aux travaux de E. Jovelin63 concernant les
travailleurs sociaux d’origine étrangère. En effet, il avance que pour cette population
(notamment les jeunes issus des quartiers populaires), le travail social serait une
profession de repli, comme d’ailleurs pour une grande partie des travailleurs sociaux
français d’origine, et représenterait une piste de promotion sociale comme d’ailleurs le
précisera E 12.
63
JOVELIN E., « Devenir travailleur social aujourd’hui. Vocation ou repli ? », L’Harmattan, Paris, 1999.
72
La scolarité chaotique de E 13, animatrice, et ses orientations qui
s’appuyaient sur une lecture de la formation à faire pour trouver sa place, entraînent des
blessures difficilement surmontables sans le soutien de rencontres :
« Du CP au CM2, j’étais la dernière de la classe,
je ne ramenais que des zéro. J’ai eu la chance de tomber sur une directrice
d’école… qui s’est aperçue que j’avais des qualités, un potentiel…qui a réussi,
malgré ma moyenne, à me faire passer en 6ème. Arrivée au collège, ce fut le
déclic…Cela s’est bien passé jusqu’au bac A5, langues. Je voulais acquérir un
peu de technicité, de connaissances plus générales, je me suis inscrite en AES
(Administration Economique et Sociale)…le bide total…j’ai redoublé…même
résultat…comme je ne voulais pas arrêter les études, j’ai fait socio jusqu’en
maîtrise que je n’ai pas terminé… ».
Nous reprendrons ici E. Jovelin64, notamment pour ce qu’il nomme « les
errants universitaires ». Ils ont connu plusieurs accidents de scolarité comme E 15, ont
souvent ambitionné une toute autre carrière mais leurs projets ont été contredits
par « des erreurs d’orientation » (E 13) ou « difficultés à mener à bien une recherche
universitaire ». Cette situation d’échecs répétés la conduira vers un « repli » en
direction du travail social (cf. ch. 9-1-3).
8-2-2- « Rien de particulier » :
A l’inverse, les assistants sociaux décrivent un parcours scolaire sans
heurts, pas toujours brillant, selon leurs dires, certes mais assez linéaire, les diverses
étapes s’enchaînant avec une certaine logique selon eux, avec une forme d’évidence ou
de hasard nous dit E 2 :
« Maternelle, primaire, collège, lycée, je n’ai pas redoublé…j’ai passé
un bac B…depuis l’âge de 14 ans, je voulais être éducatrice, j’ai tenté ce
concours en terminale, je ne l’ai pas eu…Après il fallait aller à la fac…psycho
me semblait le plus proche…j’ai repassé le concours, loupé…je me suis dit : je
vais tenter le concours d’assistant social, et je l’ai eu ».
64
JOVELIN E., Op. cité, 1999.
73
Pour E 4, les événements se sont enchaînés en toute logique, même si elle
n’a pas toujours fait de réels choix. Le fait d’intégrer l’entreprise familiale était comme
inscrit dans la logique familiale, de même que se lancer dans une formation d’AS avait
une certaine cohérence qu’elle dit avoir mis du temps à élaborer :
« Pour le primaire, rien à dire, rien de particulier, bonne élève, sage et
rangée ; collège, idem, sans difficultés ; lycée, hormis une seconde en internat à
ma demande que je n’ai pas renouvelée, 1ère et terminale avec un bac A3 ou A4,
je ne sais plus…Ensuite comme tous les copains partent à la fac de droit, je les
suis, sans autre ambition que d’être avec eux. Là, un DEUG puis une licence
que je n’ai pas eu…un peu déçue, pas très motivée par le droit, j’arrête mes
études pour intégrer l’entreprise… » .
Sans idées pré conçues, le parcours de E 9 semble se construire comme
une évidence : fille d’agriculteurs, elle s’inscrit dans un lycée agricole, puis on lui
présente la possibilité de passer le concours d’infirmière qu’elle obtient… Les
événements de sa vie semblent s’enchaîner sans qu’elle y ait de prise, pourtant elle
abordera les envies d’études de médecine qui l’ont traversé vers 27 ou 28 ans sans
pouvoir s’y résoudre :
« J’ai suivi un cursus scolaire normal jusqu’en 3ème, puis je suis allée
vers un bac de technicien agricole, bac D’…je ne savais pas trop mais il y avait
beaucoup de matières scientifiques et on m’avait dit que je pourrais ensuite
l’orienter vers le milieu un peu scientifique, style infirmière, je serai préparée au
concours. Après le bac, je me suis dit : pourquoi pas…j’ai eu le concours à 18
ans. ».
Le hasard aurait guidé le choix de E 10, il se présente tout au long de
l’entretien comme inscrit dans un parcours « allant de soi », comme n’ayant pas de prise
sur les événements :
« Rien à signaler jusqu’au lycée, comme mon frère et mes sœurs, je ne
pouvais faire que des études mathématiques… donc voilà, un parcours en
C…j’ai redoublé la seconde, plus cela allait plus ça baissait…j’ai fini par avoir
mon bac C avec de bien meilleures notes dans les matières littéraires que
scientifiques…mais bon…J’ai fait une année de sciences sociales à la faculté
74
catholique de Lyon…j’étais un peu décalé…un copain allait chercher un dossier
pour le concours d’AS, je l’ai accompagné… ».
Pourtant il précisera au cours de l’entretien « qu’il avait choisi tout ce qui
lui était arrivé… ».
La présentation de l’itinéraire scolaire de E 11 est fait de choix raisonnés
et d’enchaînements qui se justifient par eux-mêmes :
« Un
parcours
scolaire
sans
souci
particulier…j’habitais
une
cité…Après au lycée, j’ai fait une section littéraire par choix, j’ai eu mon bac
A2…assez tôt, j’ai eu mon projet de travailleur social, un projet très en lien avec
la cité, avec les problématiques sociales…j’ai passé le concours d’AS et j’ai fait
un an de psycho pour attendre l’entrée en formation…tu vois un cursus
normal ! ».
Cette logique de continuité nous la retrouvons d’ailleurs dans leurs
parcours professionnels qui, après un temps plus ou moins long de pratique de terrain
auprès des usagers, s’orientent tout naturellement vers des postes d’encadrement ou
assimilé.
75
Conclusion, une construction identitaire héritée :
Les deux chapitres précédents avaient pour objectif d’appréhender la
construction identitaire des narrateurs dans leurs récits en essayant d’en préserver la
logique diachronique.
Tout d’abord, nous avons étudié l’origine sociale des interviewés : la
majorité a des parents plutôt d’origine modeste, milieux ouvriers ou paysans, avec un
capital scolaire et culturel assez faible, une volonté de promotion sociale pour leurs
enfants ou peu d’objectifs pour eux ; trois personnes sont issues de la classe moyenne
avec l’un des parents (ou les deux) exerçant déjà une profession du social, de la santé ou
de l’enseignement, avec une pression importante par rapport à la réussite ; trois
personnes dont la situation sociale a progressé fortement par le développement de leur
entreprise ou une promotion interne importante dans une entreprise donc dans une
dynamique de promotion. Ces deux dernières catégories sont mêmes issues du milieu
ouvrier, paysan ou commerçant ayant entamé une certaine ascension sociale.
Nous notons que l’ensemble des narrateurs montre son attachement aux
valeurs héritées même dans la souffrance ou la difficulté, ou bien en leur absence, la
volonté de s’en approprier d’autres. Des valeurs comme la solidarité, le respect,
l’éducation, « les valeurs de la terre », l’échange…, des valeurs héritées de leurs racines
familiales selon eux. Il émerge aussi un engagement professionnel et/ou syndical,
associatif ou politique, qui s’origine pour une bonne part dans la culture familiale,
l’éducation et ces valeurs amenées précédemment.
Parallèlement à leur histoire familiale, nous avons abordé le parcours
scolaire qui apparaît assez hétérogène, du CAP à la licence. Il est décrit comme fait de
petites joies, de peines, d’échecs ou de réussites mais a marqué profondément de façon
décisive la construction de l’identité. Ils insisteront sur l’importance d’une implication
(ou non) de la famille dans la réussite.
De ce premier travail, nous voyons s’esquisser deux profils : l’un, fait de
petites ou grandes ruptures scolaires ou familiale qui regrouperait plutôt les éducateurs
76
spécialisés (et les intervenants de la formation et de l’animation) ; et l’autre, empreint
d’une certaine continuité, rassemblant particulièrement les assistants sociaux (et les
infirmiers). Nous confronterons ce constat à la suite de la partie de notre analyse qui
s’intéresse à l’univers professionnel du travail social.
77
Chapitre 9 : Entrée dans le social : un parcours professionnel.
9-1- Introduction.
Si, comme le proposent Berger P. et Luckmann T.65, l’incorporation de
« savoirs de base » constitue le processus fondamental de « socialisation primaire », la
« socialisation secondaire » est la transformation des identités issues de celle-ci et
représente la phase d’incorporation des savoirs professionnels.
Le second pan de l’histoire des intéressés sur lequel nous avons donc
porté notre intérêt, est l’entrée dans le social et le parcours professionnel de travailleur
social, afin de comprendre non seulement l’évolution des trajectoires mais aussi le choix
de reprise des études et d’éclairer ainsi l’ensemble des dynamiques biographiques à
l’œuvre.
Dans ces parcours professionnels, nous pouvons faire la même
différenciation entre les assistants sociaux (à une exception près) et les éducateurs
spécialisés. En effet, les AS (et infirmiers) sont entrés en formation après le bac ou
après une ou deux années de fac. A l’inverse, les ES ont souvent fait d’autres
expériences professionnelles hors du champ social et/ou à l’intérieur, d’une ou plusieurs
années avant d’intégrer la formation initiale, après parfois des formations d’un niveau
inférieur (Aide Médico-Psychologique - AMP, Moniteur Educateur - ME,…). Nous
reviendrons sur cette différenciation dans le chapitre 10. Toutefois les raisons de leur
choix de métier sont multiples et partagées.
9-2- Une porte d’entrée spécifique.
« Choisir une profession révèle la part individuelle (goûts, talents,
attirances) face au contexte qui impose ses contingences, restreignant le champ de
possible. La construction de trajectoire réveille des tensions comme reproduction /
mobilité, permanence / changement, …plus globalement déterminisme et liberté »66,
65
BERGER P. et LUCKMANN T., « La construction sociale de la réalité », Méridiens Klincksieck,
Paris, 1986.
66
MAILLET-TINGAUD MC., « Travail social : mutation des pratiques, évolutions des compétences »,
Vie Sociale 2000 – N° 1.
78
nous verrons combien cette approche de MC. Maillet-Tingaud est prégnante dans les
trajectoires professionnelles des narrateurs.
Les constructions des itinéraires menant vers un métier du social sont
multiples et personnelles mais nous pouvons les répertorier en catégories : les premières
sont de types «vocationnel », comme une évidence ; les secondes s’apparentent plus au
« hasard » mais un hasard qui s’origine ; enfin, les troisièmes sont liées à des rencontres
qui font office de « passeur ».
9-2-1- Les « Vocations » :
Nous trouvons dans cette catégorie des personnes qui expriment un désir
ancien d’aider les autres, une volonté de travailler dans la relation, une sensibilisation au
handicap, etc. :
Après un parcours assez chaotique, fait de souffrances et d’errements,
une formation de ME peu utilisée, touchée personnellement par le problème du SIDA,
E 1 reviendra vers le social comme militante associative :
« Je ne sais pas, j’avais des velléités de travail social, je voulais
m’intéresser à ces gens qu’on excluait dans ma sphère privée et familiale…j’ai
fait une formation de moniteur éducateur dans les années 80 mais j’ai pas trop
bossé » […] puis fin des années 80 « … je me suis investie au sein de
l’association AIDES, dans le cadre du bénévolat…j’ai repris contact avec le
social. ».
Comme nous montrait Maillet-Tingaud MC., prise entre le déterminisme
familial (11 ans à diriger l’entreprise familiale) et la liberté de choix, E 4 décide
d’infléchir sa vie vers le social :
« Je réfléchissais…j’avais toujours eu envie de faire un métier
social…pourquoi ne pas l’avoir fait avant, je ne saurais trop le dire…mais cela
avait toujours été un peu le regret de ma vie. Et puis une affaire de
rencontre…cela a réactivé plein de vieilles choses que j’avais complètement…
que je n’avais pas réalisé… » […], «j’ai une sœur très handicapée…ma sœur a
beaucoup orienté mes choix, j’étais très proche d’elle».
79
Le choix professionnel déterminé de longue date pour E 11, se double
d’une recherche d’autonomie rapide par des études courtes :
« J’ai eu mon projet de travailleur social assez tôt, c’était quand même
très en lien avec le fait d’habiter la cité…avec des problématiques sociales que
j’avais en permanence sous les yeux […] Mais je dois dire que, parallèlement, je
voulais devenir indépendante financièrement de mes parents…gagner mon
autonomie, je ne voulais pas m’engager dans des études longues…pas par
manque d’intérêts… », « …des études courtes, peut-être ancrées dans la
pratique, je voulais être utile ».
Le choix serait d’ordre vocationnel à cause de la similitude qui existerait
entre son milieu social d’origine et celui des assistés sociaux dont elle aurait la charge,
« comme s’il existait une forte détermination sociale obligeant à intérioriser un destin
social en lien avec leur milieu »67.
9-2-2- Le fait du hasard :
L’orientation professionnelle vers le social n’a pas de raisons précises.
Certains narrateurs la présentent comme le fruit d’un « hasard » heureux mais ils en
recherchent un possible fondement dans leurs souvenirs d’enfance, peut-être que…
« Depuis l’âge de 14 ans, je voulais être éducatrice…ce n’est pas mon
métier actuel, pourquoi…il faudrait l’analyser…il doit y avoir des…le
relationnel…ma mère est Kiné dans le milieu du handicap…j’ai côtoyé des
enfants handicapés…ça a dû jouer…[…] A la fac, j’ai rencontré une fille qui
allait chercher un dossier pour l’école d’AS, je lui ai dit de m’en ramener un…
j’avais échoué aux sélections d’éduc…je l’ai eu, voilà… » (E 2).
« Je ne sais pas pourquoi éduc. Et c’est marrant, j’avais un oncle et une
tante éduc et je ne le savais pas…ça sûrement construit des choses…non, non, je
ne me suis jamais vraiment posé la question…J’ai bossé un peu l’été avec des
travailleurs handicapés, j’ai fait un peu de soutien scolaire à Paris…C’est
étonnant, j’ai eu le concours malgré mon peu d’expérience… » (E 3).
67
JOVELIN E., Op. cité, 1999.
80
« Pendant cette année en sciences sociales appliquées, un copain m’a
dit : je vais chercher un dossier de candidature pour être AS, j’ai répondu : je
t’accompagne…voilà ! (E 10).
E 9, intéressée par les matières scientifiques, fait ce que nous pourrions
appeler un non choix d’orientation vers un DE d’infirmière :
« Dans un établissement en majorité de filles, beaucoup passaient le
concours d’entrée à l’école d’infirmière…je me suis dit pourquoi pas…et puis
j’étais trop contente d’avoir mon indépendance et mon autonomie », puis une
réorientation vers le milieu médico-social : « dans mon travail, j’étais plus dans
la technicité, moins dans le relationnel… »
Après quelques années d’exercice professionnel dans le secteur de la
santé, une rencontre d’infirmières avec un groupe d’handicapés adultes lui ouvre la
possibilité d’un poste dans leur établissement :
« Elles m’ont dit : vous ne ferez plus de week-end, plus de fériés, vous
serez mieux payée…vous ne serez pas embêtée…tout était merveilleux…J’ai eu
du mal à me décoller du milieu hospitalier…et à rentrer dans le social… ».
Mais aussi dans une démarche de recherche d’emploi après un échec
dans des études universitaires, la nécessité « impose » :
« A la mairie de mon village, je me suis renseignée pour rentrer dans le
médico-social…je n’avais pas de choix clairement défini mais c’est vrai que mes
lectures adolescentes étaient basées sur le social, sur les problèmes de
société…déjà un petit peu dans l’entraide, une prédisposition à ce niveaulà…j’ai donc fait une formation d’AMP dans le cadre de l’insertion par
l’emploi…voilà ! » (E 5).
L’entrée dans le travail social a joué le rôle « du « producteur de sens »,
de réintégration de certains travailleurs sociaux qui se trouvaient en voie de
disqualification »68 en quelque sorte pour E 5, lui permettant ainsi de reprendre le cours
de sa biographie, sans trop de dommages.
68
JOVELIN E., Op. cité, 1999.
81
9-2-3- Des rencontres :
Nombre de personnes amènent la notion de rencontre pour expliquer leur
entrée dans le social. En effet, après des périodes plus ou moins longues de recherche
d’une voie, passant par de petits boulots sans grand rapport avec le secteur et faisant
suite souvent à un échec scolaire ou universitaire difficilement accepté, ils parlent de
personnes rencontrées qui leur ouvrent un possible, qui sont un déclic, qui font office de
« passeur ».
Ces « passeurs » les autorisent à dépasser ce sentiment d’échec, à
restaurer une image de soi dégradée, d’où l’importance de ces différentes figures
d’autorité dans leurs réussites et échecs scolaires et professionnels ; c’est quelqu’un qui
s’intéresse à vous :
« Le rôle protecteur joué par certaines rencontres peut permettre un
scénario d’élévation dans la réussite aux diplômes, ou sociale car autorisé par
quelqu’un de « supérieur », admiré, respecté…parfois par opposition aux parents »69.
Des propositions
professionnelles de hasard amènent parfois ces
rencontres qui infléchissent une trajectoire nous révèle E 6 :
« Un copain du rugby me propose, pour faire quatre sous, de faire
veilleur de nuit dans un lieu de vie…Ok, pour passer la nuit…Là je rencontre
une femme fabuleuse et des gamins…et je mets le doigt dans l’engrenage… ».
Ou bien la rencontre d’une personnalité peut autoriser, comme le
remarque E 7, cette inflexion et donner un sens :
« J’avais à peu prés 24 ans, j’ai rencontré un administrateur d’une
grosse association qui, au fil de nos discussions, soulignait que j’avais le profil
pour travailler dans ce milieu…et m’adresse à un directeur d’établissement de
sa famille…j’y suis allé et ça m’a séduit d’emblée ».
Ces coups de pouces que donne le destin, par les « demi- succès » qu’ils
rendent possibles, peuvent « sinon toujours enclencher une logique de la réussite, du
69
DE GAULEJAC V, « L’histoire en héritage », Desclée de Brouwer, Paris, 1999.
82
moins enrayer la spirale de l’échec et de réactiver les aspirations »70que les échecs
avaient fini par mettre en vielleuse.
Les rencontres servent aussi d’étayage pour pallier aux « manques » du
milieu familial ; « la recherche de figures d’identification positives…des soutiens
objectifs et subjectifs, sont toujours nécessaires pour sortir de l’isolement et du risque
de repli sur soi »71comme pour E 13 :
« Tout au long de ma jeunesse, j’ai été encadrée par les
associations de quartier…c’était des gens qui, par leurs interventions, leur
discours, leur soutien, m’ont aidée à ne pas flancher…Elles se sont poursuivies
pendant presque 20 ans, elles m’ont aidée à ne pas sortir du chemin ».
Comme nous l’avons vu dans le travail de E. Jovelin72, après son échec
universitaire, le repli vers le travail social de E 13 constitue « un retour aux sources » du
fait de leur implication de longue date dans le tissu associatif de leur quartier, «j’ai
basculé vers ce que je connaissais, c’était un tremplin pour moi », nous dit-elle, vers les
personnes qui l’avaient soutenue dans le passé, faisant office de « passeur » qui légitime
des aspirations et favorise ce passage.
Un peu de la même façon, E 8 nous exprimait les difficultés de relation
avec sa mère qui lui donnait l’impression d’être « un usager…les questionnements…il
fallait parler des problèmes… ». Il lui fallut la rencontre d’un de ces « passeurs » qui
l’ « autorisa » :
« …ma mère était AS…moi, je refusais une orientation travailleur
social » […] Quelques années plus tard « j’ai rencontré un conseiller
professionnel, un déclencheur, qui m’a confirmé qu’un boulot de formatrice… »
Après l’impossibilité d’intégrer l’armée, E 12 retourne sur le quartier,
sans emploi :
Il est : « repéré par les travailleurs sociaux, parce que j’étais un peu
leader…pendant 3 ans à la cité,…avec des contrats assez précaires…j’ai fait
mes classes un petit peu là dedans… ».
70
BOURDIEU P., Op. cité, 1993.
DE GAULEJAC V., Op. cité, 1999.
72
JOVELIN E., Op. cité, 1999.
71
83
Cette notion de leader fut une volonté politique des années 80 avec l’idée
que : « Capable d’un degré variable d’influence sur les comportements, …le leader
jouit toujours d’un certain degré de reconnaissance de la part des membres de la
communauté, reconnaissance qui est la base de sa légitimité »73 ce qui ouvrira un
champ des possibles pour E 12 vers ce qui était «à l’époque des métiers de prestige ».
Cette notion de rencontre est récurrente tout au long des entretiens
comme un étayage nécessaire notamment dans leur travail.
9-3- Militants ou travailleurs sociaux.
Si nous avons pu pointer, au chapitre 7, un militantisme syndical,
politique et/ou associatif de certains, nous notons un investissement professionnel
généralement important de l’ensemble des interviewés, une dynamique de construction,
d’élaboration de projets.
Ils donnent une lecture, une définition de leur métier. E 1 se définit
comme une militante :
« Je ne me considère pas comme une éducatrice…je me considère comme
une grosse militante », « J’ai toujours bossé…je bosse essentiellement dans la
réduction des risques et une dimension communautaire, une approche de
proximité…parfois j’en ai un peu assez de colmater les blessures, d’essayer de
mettre les gens sur des rails…après la réduction des risques sanitaires,
aujourd’hui c’est les risques sociaux […] Je ne suis pas le bon samaritain mais
je fais en sorte que ce soit le moins bancal possible…je ne suis pas dans la toute
puissance ».
Pour d’autres, l’approche se fait par la notion de projets à bâtir, une
dynamique d’innovation, de recherche qui permet de progresser :
« Le diplôme, je le compare au permis, tu as le papier et quelques
connaissances mais tu découvres après, tu continues à apprendre, il y a toujours
des projets à inventer et à monter. » (E 2).
73
JOVELIN E., Op. cité, 1999.
84
« Monter des projets, c’est stimulant…se dire : on a une mission, on ne
peut pas accueillir des jeunes dans l’insécurité…j’ai vu des trucs…de la
maltraitance morale, de l’enfermement…si les gamins sont là, c’est pas pour
rien…ça fait partie du boulot…il faut que la parole circule… » (E 3).
« C’était un établissement en train de bouger, d’innover…je me suis
énormément investie. » (E 5).
Pour E 4, il fallait tout inventer, tout construire, c’est cette dynamique qui
l’a orientée vers le social :
« Mon boulot, je m’éclate…Ca a été un grand plaisir, tout à faire, tout à
créer…malgré mon isolement et certains freins politiques, je bosse bien, je suis
à ma place ».
L’entrée dans le social fut, pour E 6, une découverte, une possibilité de
construction personnelle et professionnelle dynamique :
« Un lieu de vie, une expérience unique…je suis passé par des…des
peurs, des craintes, des moments… d’angoisse, mais des moments fabuleux avec
la folie…une vie, un partage…chacun avait ses problèmes. », « ici, c’est
tellement prenant que je ne me vois pas aller bosser ailleurs…on est en train de
construire des choses…malgré les difficultés, les crises institutionnelles…parfois
il faut que ça pête. » , « les gens, malgré tout, sont honnêtes et engagés » .
Si l’engagement professionnel, les projets de E 7 furent ses moteurs, il
reste très attaché au travail intellectuel, à la recherche :
« J’avais envie de bosser, de m’engager, de militer pour la cause », « j’ai
toujours été dans les challenges, les défis », « là, aujourd’hui, il faut vraiment
être engagé et en même temps responsable et puis c’est un accompagnement
personnalisé qui demande plus de travail intellectuel, moins dans le faire…c’est
intéressant mais complexe ».
85
Un travail artisanal où il faut inventer, construire, anticiper, nous dit E 8 :
« Le travail de formation, malgré le cahier des charges, c’était très
artisanal, il fallait construire ses outils…l’intérêt était de développer des
cours… ».
Pour E 10, son engagement est devenu plus politique, porteur des valeurs
associatives qu’il souhaite mettre en adéquation :
« Les collègues m’ont fait remarquer : toi, tu es amoureux de ton
association. Mais ses valeurs m’ont permis de maintenir mon implication »,
« j’ai la volonté de m’inscrire dans la chose publique, de plus en plus citoyen ».
Mais en se gardant bien d’adopter une position de toute puissance, restant
vigilant dans leur pratique comme le note E 11 :
« Dans le travail en équipe, on est loin de la toute puissance…tout ce que
l’on se permet sans s’en rendre compte en tant que travailleurs sociaux… ».
Nous pouvons nous interroger sur le fait que cette posture engagée dans
une pratique professionnelle soit un préalable au choix de l’entrée en formation ? Nous
tenterons d’éclairer cette question dans le chapitre suivant qui traite des motivations.
9-4- Une volonté permanente de formation.
Nous remarquons tout au long des entretiens que ces étudiants ont, et ont
eu dans l’exercice professionnel, une volonté de formation. Cette posture tient à la fois
d’une dynamique personnelle, d’une volonté d’élargir ou du moins d’asseoir des
connaissances, mais également d’une dynamique institutionnelle qui pousse à la
recherche, à l’élaboration de projets, à la mise en question des pratiques.
Il s’agit tout à la fois de formations internes (plan formation ou non) ou
externes (courtes ou longues, qualifiantes ou pas), d’autoformation. Le champ est vaste,
nous en donnons ici un aperçu : « la sexualité des personnes en grande précarité », « des
groupes de recherche », « l’accompagnement social », « les entretiens en situation
d’urgence », « groupes de parole », « les conduites additives », « l’alcoologie », « les
affections psychosomatiques et psychiatriques », etc.
86
Ou bien des formations de recherches plus personnelles :
« J’ai fait partie d’une association d’analyse institutionnelle sur mon
temps de loisir, il s’agissait d’interroger l’institution…j’ai toujours eu une
avidité de connaissances, de savoirs… » (E 5),
Des formations longues, pas toujours qualifiantes comme E 9 :
« J’avais le souhait de me former…j’ai demandé une formation sur le
travail social communautaire, une semaine par mois durant trois ans avec un
mémoire de recherche…ça m’a beaucoup apporté mais, en même temps, j’ai eu
envie d’aller plus en terme de recherche théorique… ».
Parallèlement, pour les éducateurs ayant entamé leur parcours
professionnel par le terrain sans diplôme, nous constatons une volonté de formations
qualifiantes, moniteur éducateur puis éducateur spécialisé qui a un effet déclencheur
dans cette volonté de formation. Nous remarquons aussi qu’il y a une volonté de
reconnaissance, de validation de compétences. Nous aborderons cette notion dans le
cadre du chapitre suivant dans la recherche des motivations qui poussent à entreprendre
une formation universitaire.
87
Chapitre 10 : Des motivations multiples.
10-1- La formation initiale : un déclencheur…
Pour beaucoup, il apparaît que l’orientation vers le travail social ne soit
pas l’affaire d’un réel choix, ou du moins d’une volonté forte, mais plus le fait de
rencontres, du hasard, d’opportunité de travail, de possibilité d’entrée par un cursus
court dans la vie active… comme nous avons pu le percevoir dans le chapitre précédent,
mais il semble que les formations initiales, notamment pour le diplôme de ME, soient
déterminantes dans la volonté de poursuivre des études et notamment d’entreprendre
cette formation du DSTS.
Si E 1 a mis plusieurs années avant d’envisager la formation d’éducateur
spécialisé et seulement pour le « petit bout de papier », elle se trouve en quelque
sorte réconciliée avec l’apprentissage :
« je me suis retrouvée face à ces universitaires…je n’avais rien à faire
là…puis peu à peu, je me suis fait valoir par mon expérience de terrain…j’avais
moi aussi quelque chose à partager […] ça m’a repositionnée différemment
et…je suis sortie avec un superbe mémoire…j’étais réconciliée, calmée…à la
sortie, j’avais besoin…envie…besoin et envie de me former…là, je ne
m’arrêterais plus maintenant…[…] j’ai envie d’aller plus loin, d’optimiser mes
compétences. ». La formation et le diplôme viennent comme restaurer une image
négative, « longtemps, je n’ai pas eu confiance en moi » et ouvrir des portes vers
un possible.
Après 11 ans comme chef d’entreprise, E 4 envisage une réorientation
professionnelle enfin choisie :
« je réfléchissais…j’avais toujours eu envie de faire un métier social…je
me suis rendue compte qu’à l’école d’AS, on pouvait y rentrer même si on avait
eu…cela a réactivé plein de vieilles choses…[…] j’avais 34 ans lorsque je suis
rentrée à l’école…je me suis dit, c’est là qu’est ma place…j’ai passé 3 ans de
formation très agréables, qui m’ont beaucoup apporté…je me suis trouvée tout
simplement […] C’était un gros morceau mais je m’étais dit : tu y reviendras,
88
j’avais déjà envie de me retrouver en situation d’apprentissage…». Nous
percevons bien que la formation a eu pour la narratrice un effet de révélateur qui
l’autorise à envisager une poursuite pour et par elle-même.
A la suite de quelques années à chercher une voie possible et, après une
rencontre, 3 années dans le social sans formation, E 7 s’engage en formation de ME :
« j’ai trouvé l’opportunité de m’engager dans une formation de ME
rémunérée, une formation extrêmement importante pour moi, dense dans la
connaissance de soi, dans la façon de travailler avec les populations, dans la
dynamique de groupes…bien gérée, bien régulée, bien analysée…Qui font
encore
référence… ».
La
formation
initiale
est
une
découverte
des
apprentissages théoriques et un goût pour ceux-ci, qui va guider tout un itinéraire
professionnel.
Un parcours scolaire conclu par un CAP, un peu d’errance sur le quartier
puis, rattrapé par les travailleurs sociaux, trois années dans une association d’animation
culturelle du quartier, E 12 décide d’aller vers une formation malgré les difficultés
prévisibles :
«J’ai fait un peu mes classes… […] une préformation…sans bagages
théoriques mais avec un gros travail sur l’écriture, une remise à niveau, j’ai été
sélectionné pour entrer en formation d’éducateur spécialisé…j’ai décroché le
diplôme en 1991…c’était retrouver du jeu possible, je sentais que je jouais
quelque chose d’important, ça m’a remué…déjà, en 92, j’avais essayé de
poursuivre en licence AES… » […], trop difficile matériellement, « en 97, j’ai
voulu faire le DSTS…c’est du diplôme et du savoir aussi… ». La formation vient
ici révéler une appétence pour le savoir (et pour les diplômes) que n’avait pas
permis la scolarité et enclenche une dynamique jamais démentie.
Nous percevons dans nombre d’entretiens, que ce passage en formation
initiale est un élément déclencheur de la suite de ces parcours, déclencheur « d’une
envie, d’un besoin », « d’un jeu possible », « une référence » dans des itinéraires qui
semblaient alors aux narrateurs « figés ». Elle ouvrait une perspective de projection :
« Et, tu rends compte, je n’avais pas le bac… » (E 6).
89
10-2- L’effets de l’usure professionnelle.
Si la formation initiale, comme nous venons de le voir, prend une place
prépondérante dans la reprise d’études, la notion d’ « usure professionnelle » est
souvent latente dans le discours des travailleurs sociaux.
Cette notion n’est que très rarement abordée en ces termes mais elle est
très présente dans le discours. Il apparaît comme le souligne, dans un travail collectif,
V. Pezet, R. Villatte et P. Logeay74 que plus la personne se sent en déséquilibre dans
son travail, plus elle aspire à un changement, plus elle peut considérer la formation
comme un moyen de réponse avec pour objectif le retour à un certain point d’équilibre
professionnel.
La
formation
pourrait
apparaître
alors
comme
une
solution
« thérapeutique » :
E 4 s’est investie dans son travail d’AMP avant son départ en formation
d’ES. A son retour, sa situation est devenue intenable, nous dit-elle :
« Je me suis énormément investie dans la maison, j’étais investie, je me
suis investie auprès des personnes accueillies », (E 4) son retour comme
difficile : « …j’avais mené pas mal de luttes, mais ça se passait bien, c’était
interactif…je ne m’étais pas aperçue que c’étais sournois, qu’il allait m’en
coûter au retour » […] « en ce moment, c’est un processus de harcèlement
moral tout simplement, avec isolement de la personne…je passe d’un côté où
j’étais reconnue, à un côté où…pourtant j’ai eu des résultats au niveau des
personnes…Une mise au placard, tout doucement…la recherche de la faute
professionnelle » [...] « c’est sûr, je veux prendre du recul et puis je suis sur une
voie de reconversion, maintenant c’est bon… ». Nous avons le sentiment que E 4
s’est sentie trahie dans son attachement très affectif à l’institution d’où la
nécessité d’une mise à distance salvatrice. Ainsi, par rapport à une exigence
universitaire d’un travail sur l’institution, elle précise : « ça m’a fait hyper
souffrance de le préparer… ».
La perte de sens relative à l’action, ici induite, entraîne une nécessité de
recompositions pour conserver une image de soi acceptable : « Le renoncement à des
74
PEZET V., VILLATTE R. et LOGEAY P., « De l’usure à l’identité professionnelle : le burn-out des
travailleurs sociaux », éd. TSA, Paris, 1993.
90
dimensions aperçues dans la réalité ou en formation reste « coûteux » pour les
professionnels en quête d’estime de soi »75.
Mais un parcours biographique fait de souffrance, des individus fragilisés
par leur histoire familiale ne fait qu’accentuer un sentiment d’exclusion professionnelle,
d’où cette recherche de « mieux vivre » par la formation.
Mais cette idée d’usure peut être une crainte, une peur même, masquée
derrière des notions telles que le refus de la routine. L’importance du changement par
lequel la formation devient un moyen de s’y soustraire :
Cette question, E 2 l’avait déjà abordée en formation initiale comme très
prégnante dans la problématique des travailleurs sociaux :
« J’ai fait mon mémoire sur l’usure professionnelle…essayer de montrer
l’importance de lieux de parole pour couper un peu avec le quotidien, la
routine… ». Puis elle fait à nouveau émerger cette crainte lorsqu’elle aborde son
retour de congé de maternité : « j’avais l’impression d’avoir fait le tour du
service ; le travail, ça allait mais j’avais envie de passer à autre chose… »,
E 3 exprime la nécessité d’être en permanence sur de nouveaux projets
comme pour conjurer cette peur de l’usure :
« Depuis un an… on a fait des quelques petits trucs mais c’est pas… ça
roule quoi…moi, j’ai besoin de ce truc qui stimule…c’est toujours un peu
pareil. »
Même démarche pour E 4, qui dira plus loin rechercher plus de
responsabilités :
« Dans l’équipe, j’avais fait un peu le tour, alors on y va… » (Parlant de
la formation DSTS), « j’aimerais être un peu plus à l’initiative ».
75
Idem.
91
Faisant la remarque de son ancienneté dans cet établissement, E 9 nous
explique qu’elle a beaucoup bougé par choix, refusant le risque de la routine. Elle nous
livrera d’ailleurs que sa démarche de formation allait dans ce sens là :
« Ca fait 8 ans maintenant que j’y travaille…et à ce jour, je ne suis pas
tombée dans la routine, c’est assez varié…il n’y a pas de monotonie…de tout
mon cursus, j’ai refusé un peu cette routine…j’aurais pu me caser dans un
endroit et ne plus bouger…non, tous les 3 ans environ, j’ai changé…là, cela
fait…cela fait longtemps… ».
10-3- Temporalité : notion du temps qui passe.
Ces personnes qui voient se profiler le mitan de leur vie (cf. chapitre 3)
ou bien le vivent, abordent, souvent au détour d’une phrase, parfois de manière
détournée, la notion de l’âge, des années d’exercice de ce métier contraignant, de
l’ancienneté dans leurs établissements, des années à venir… « La formation devient un
moyen de contenir les effets jugés péjoratifs de l’ « ancienneté », d’éloigner un effet de
fin de carrière. La reprise d’études est alors un tournant dans une carrière, dans un
parcours de vie »76.
Nous percevons qu’ils se sentent à un moment charnière de leur
existence, qu’ils font des bilans, des projections qui sont, pour partie, sources de leur
motivation à s’engager dans cette formation.
Pour certains s’engager en formation (avant le mitan de la vie ; cf. Ch. 3),
c’est aussi le refus de ce qu’ils perçoivent comme impasse de leur profession et ils
s’efforcent d’esquisser d’autres scénarios :
« Déjà en formation, je m’étais dit : je ne vais pas être éduc. 20 ans… je
m’étais donnée dix ans… » (E 3).
« Je savais déjà en formation d’ES que je ne serais pas éduc à 50
ans…c’est trop…j’ai bossé 5 ans dans un lieu de vie qui m’ont pas mal…7 ans
que je suis ici, où c’est quand même dur…je ne me vois pas… » (E 6).
76
LE BORGNE-UGUEN F., « Les enjeux identitaires des parcours de formation continue à l’Université »
in « Former des adultes » dir. PENNEC S., Presses Universitaires de Rennes, 2002.
92
Certains qui s’estiment être au mitan de leur vie « se réévaluent euxmêmes ; elles examinent leurs réalisations […] en ayant désormais l’impression que le
temps leur est compté »77 et donc qu’il est temps pour des projets :
« J’ai 42 ans, si je dois faire quelque chose, ce n’est pas dans dix ans,
c’est maintenant…mon projet n’est pas de rester… » (E 4).
« Je dois concevoir peut-être…de nouveaux horizons professionnels
maintenant parce que je suis quand même…j’ai 48 ans, il me reste encore un
petit peu… je ne le prend pas comme une pression importante… », « Tu sais à
50 ans tu n’as pas le même regard… » (E 7).
« Vers la fin 2000, approchant de la quarantaine […] envie de
réorientation « là, je me suis renseigné, la justice m’intéressait, l’idéal de
justice… je voulais aller vers cela…et puis la proposition de… » (E 10).
De même, dans cette réévaluation de leur itinéraire, ils abordent des
points plus intimes de leur biographie :
« …comparé à 20 ans , on y met sûrement autre chose…parce que cela
pose beaucoup de questions autour de nous, qu’est-ce qu’on va chercher ? C’est
ce qu’on va chercher sûrement qui est le prix à payer… » (E 11).
« …je ne me suis pas remise d’avoir abandonné la maîtrise… j’ai 43 ans,
la formation dure 3ans, on verra dans 4 ans… » (E 13).
Dans un fonctionnement bien rodé, sur un poste plus technique, E 11
exprime une crainte :
« Je voulais d’abord faire cette formation, parce que je ne veux pas
m’enfermer…m’enfermer dans un poste…il y a un souhait de ne pas me figer
77
BOUTINET JP, « L’immaturité de la vie adulte », op. cit., 1998.
93
dans ce poste là…il n’y a pas beaucoup d’échappatoires …il me faut des moyens
supplémentaires, d’autres bagages… ».
10-4- La promotion sociale.
Si elle n’est pas avancée comme une raison objective de l’implication
dans une telle formation, la possibilité de promotion sociale que peut offrir ou favoriser
le DSTS, est amenée, souvent comme une motivation ultime mais non négligeable.
En effet, nous notions au chapitre 7, combien l’obtention d’un diplôme
du social revêtait déjà dans certains milieux d’origine une valeur, une idée d’ascension
sociale. Parallèlement cet héritage est inscrit dans les valeurs des narrateurs qui
exposent leurs motivations.
E 5 après des études « inachevées », en recherche d’emploi, décide de
démarrer une formation d’AMP :
« Je m’y suis lancée, je me suis dit pas grave, je recommence et là, je suis
repartie carrément… », « J’avais construit mon projet de carrière un peu
comme cela : dans mes vœux, pouvoir faire ensuite la formation d’éducateur
spécialisé,
et
j’aurais
bien
aimé
reprendre
après
mes
études
universitaires…après j’arrête, si je passe celle-là… ». La narratrice, issue d’une
« classe sociale modeste», exprime une volonté de reprendre le cours contrarié
d’une ascension sociale par les études, en utilisant le biais de la FPC.
« Peut-être aller vers quelque chose que je n’aurais pas pu voir parce
que j’ai fait d’autres choix à un moment donné de ma vie…peut-être que
l’université correspond aussi, pour moi, à un aspect promotionnel… […]
…l’ascension sociale, peut-être que j’avais quelques velléités comme celle-là ? »
E 7, au regard de son parcours personnel et professionnel, fait l’analyse de cette
possible recherche de promotion sociale.
Dans sa logique de parcours depuis l’obtention de son CAP, E 12 affirme
cette volonté de promotion :
94
« Sans le DSTS, c’était impossible de gravir les échelons », « Moi, j’ai
toujours cette ambition de faire des études élevées pour acquérir du savoir et
avoir une position sociale intéressante, avec ce qui va avec matériellement, sans
scrupules ». Il avance cette nécessité d’une reconnaissance par le diplôme
universitaire, à la fois sociale et culturelle.
Cette notion de promotion sociale, si elle n’est pas une valeur forte dans
le discours de ces travailleurs sociaux (peut-être un peu tabou pour une profession en
charge d’une population souvent exclue de cette notion d’ascension), apparaît tout de
même comme un héritage. D’ailleurs cette idée se double, souvent, de celle d’ascension
et de reconnaissance culturelle ou intellectuelle.
10-5- Une quête identitaire.
La question de l’identité est récurrente chez les travailleurs sociaux (cf.
ch. 1-3) et très prégnante dans l’ensemble des entretiens. La définition de l’identité
amenée par P. TAP78 : « C’est ce par quoi je me sens exister en tant que personne, et en
tant que personnage social (rôles et fonctions), ce par quoi je me définis et me connais,
me sens accepté et reconnu comme tel par autrui, mes groupes et ma culture
d’appartenance », situe bien le nœud de cette quête pour nos narrateurs.
En effets, nous trouvons, tout au long des entretiens la volonté de
reconnaissance et/ou de réconciliation avec le savoir pour certains, la recherche de
validation de compétences par un diplôme, le diplôme comme valorisation pour soi
mais aussi vis-à-vis des autres, l’attirance par le mythe de l’université, une crédibilité
pour des postes acquis ou espérés.
10-5-1-Compétences donc qualification.
En premier lieu les narrateurs ont le sentiment d’être en possession de
compétences, parfois de manière diffuse, qu’ils ne trouvent pas valorisées dans leur
78
TAP P., « Identité indispensable et personnalisation » Collectif, Privat, Toulouse, 1980.
95
milieu professionnel notamment (cf. chapitre 4). Ils expriment donc le souhait de les
faire valider par un diplôme :
E 1 se heurte tout au long de son parcours professionnel au manque du
diplôme « correspondant » à la fonction :
« 4 ans que je bosse là-dessus, je suis présente au comité de pilotage, je
défends le truc, j’achète le matériel, j’embauche les gens…je fais tout le boulot
et on me dit : c’est bien mais vous n’avez pas la formation pour être chef de
projet, le petit bout de papier pour…Je me suis dit : on doit reconnaître ma
compétence au-delà de ça…il a fallu que je me plie au truc ».
Puis avec un diplôme d’ES : « Je vois un poste de chef de service à
Marseille…pour moi la réussite totale…on me sélectionne deux fois et pourquoi
on ne me prend pas…à cause du papier…enfin le papier qui représente la
formation…alors… ». Nous percevons un sentiment de révolte face à la non
reconnaissance d’une compétence estimée acquise, une révolte qui la conduit à des
validations par des diplômes…
Les premières formations AMP puis ES, de E 5 :
« Etait d’abord une connaissance du métier, puis plus l’amélioration de
mes compétences…aujourd’hui, vue ma situation professionnelle, dans mon
projet de carrière, je suis plus sur une reconnaissance de la compétence… », qui
viendrait reconstruire une « estime de soi » mise à mal dans le cadre
institutionnel. De ce fait, l’identité présentée aux autres, « identité pour autrui »
est fortement dévalorisée.
Dans ses premières expériences de formation, parfois longues, E 11 nous
dit avoir recherché particulièrement du savoir et de la connaissance ; puis l’expérience
venant, elle exprime une recherche nouvelle :
« Au départ, je n’avais pas de projet réel affiné de…de recherche
promotionnelle en terme de statut… maintenant je l’ai en terme de
reconnaissance…parce que effectivement, à un moment, le fait d’accéder à une
fonction d’encadrement peut-être vécu comme de la reconnaissance…une
certaine reconnaissance » que son statut actuel ne lui permet pas car située dans
un entre-deux, plus tout à fait employée mais pas tout à fait cadre.
96
Après plusieurs années de pratique professionnelle sans diplôme du
social, E 13 revendique une reconnaissance en rapport avec son expérience et sa
formation antérieure :
« Je n’ai peut-être pas un diplôme d’éduc, d’AS ou de machin, mais j’ai
quelques années d’expériences derrière, cela compte aussi…alors quand on
nous demande quels sont nos diplômes…pfff…Il me faut un diplôme
professionnel uniquement…Et puis j’ai un diplôme niveau III, je peux prétendre
à autre chose… ». Enormément investie dans son association, elle découvre avec
amertume le peu de reconnaissance pour son « identité professionnelle ». Cette identité,
estimée légitime, la conduit à rechercher une valorisation de cette « identité pour
autrui ».
10-5-2- Une revanche.
De même, nombreux sont ceux pour qui la formation est un moyen de
revanche ou de réajustement, de réparation d’échecs scolaires ou universitaires,
d’orientations contrariées qui sont restés comme des blessures narcissiques
importantes :
Tout au long de l’entretien E 3 évoque son implication professionnelle,
sa dynamique, ses études de droit mais revient souvent sur son envie contrariée de faire
philo après le bac :
Le choix du DSTS, « c’est un truc de connaissance, de…je ne sais pas.
C’est le retour premier à ce que je voulais faire…c’était la philo…c’est vrai
qu’on n’en fait pas grand-chose…matériellement, mais… », «…la philo, c’est un
regret qui reste quelque part…de plus en plus, ouais…plus en terme de
connaissances et de compréhension ».
Comme nous l’avons remarqué, E 6 revient de manière régulière sur son
échec au bac :
« Mais sûr dans ma tête…d’avoir d’autres moyens que d’aller couper du
bois…même si ça me plaît… ». Et donc à chaque départ en formation diplômante
avec ce rappel, il précise : « …j’avais pas le bac… du coup je me foutais la
pression tout seul… » ; puis « j’étais heureux de pouvoir entrer en fac, je n’avais
97
pas eu mon bac et c’était un peu un règlement de compte avec le savoir dans
mon parcours de m…, mais j’y arriverais…je sais la saveur que cela a… »,
« J’ai quelque chose à rattraper, à reconstruire, à me prouver…tu ne peux pas
savoir quand j’ai eu ma carte étudiant, ce que ça m’a fait…c’était inaccessible,
il y a 10 ans… ». Nous percevons bien la lutte engagée pour restaurer une image
personnelle écornée par cet échec, une revanche à prendre par rapport à un
potentiel estimé. Il s’agit pour lui, grâce à l’obtention d’un diplôme de
l’enseignement supérieur, d’entrer dans une logique d’intégration formelle…,
« d’une certaine manière, de réparer les accidents que la trajectoire a imposé
aux aspirations « légitimes ».79
Après son échec au bac et son refus de le repasser, l’itinéraire de E 7 est
jalonné de nouvelles formations diplômantes, ME puis ES,
« quête d’une reconnaissance professionnelle » que viendrait confirmer
l’entrée en DSTS «…relever un challenge…j’ai fait le choix d’avoir une lecture
universitaire…en relativisant mon savoir, c’était un peu me confronter à
l’université,… au cadre universitaire », et serait ponctué dans l’idéal, « si tu
veux…je n’exclue aucune voie et, d’ailleurs, ce qui m’intéresse, c’est peut-être
le niveau I…il y a le master…je ne l’exclue pas, comme je n’écarte pas de
changer de direction ». E 9 a construit sa vie personnelle et professionnelle dans
cette volonté de valoriser son « identité pour soi » et celle « pour autrui » comme
l’avance Dubar C.80
Les différents échecs au concours de professeur des écoles, nous l’avons
vu, fut pour E 8 source d’ « un gros sentiment d’échec…un gros questionnement sur
mon avenir… », qui l’amène à un questionnement sur cette inscription : « par
des
moyens détournés…c’est revenir sur un échec… », « Pourquoi je ne vais
pas au bout ? », « …reprendre des études ? Je ne sais même pas si je les ai
quittées… », « …des fois je me dis : on verra dans 3 ans mais continuer dans
la… voir la
recherche…revenir sur quelque chose d’inachevé ? » Comme elle
le note, ces échecs n’ont pas « arrangé les choses en terme d’image de moi-même… » et
79
80
DUBAR C., op. cité, 91.
Idem.
98
elle exprime de manière explicite cette nécessité, notamment par le biais de cette
formation, de soigner la blessure de cette « image de soi »81.
Si E10 présente une « image de soi » plutôt positive :
«… petit à petit, je construis cette compétence…en tous cas, j’ai voulu ce
chemin là et ça marche comme je l’imaginais…j’ai choisi tout ce que j’ai vécu,
par définition… », mais il s’interroge sur l’ image qu’il renvoie aux autres :
« Mais je m’interroge aussi sur la vision que je donne…si on me considère
manquant de compétences, les gens se disent : il est monté dans la hiérarchie
parce qu’on est venu le chercher. Pourquoi on est venu le chercher ? » Il
présente ce tiraillement entre ses deux identités que le formation pourrait
réconcilier : « Cette formation devrait me permettre justement de le formuler
clairement…un parcours personnel que je dois continuer… ».
E 13 pointe l’impact douloureux de son échec en maîtrise de sociologie,
dû au sujet de mémoire choisi :
« …un regret, j’en souffre encore ». La formation DSTS : « Peut-être que
mes désirs enfouis me rattrapent, je ne sais pas, et remontent… ». Nous sentons
bien une volonté farouche de dépasser cet échec, afin de restaurer une image
personnelle positive : « Je veux le niveau 1, c’est un défi personnel, je crois que
je ne me suis pas remise de ne pas l’avoir laissé tombée comme ça, en plein
milieu… ».
10-5-3- Une adéquation fonctions et diplômes.
Pour les interviewés qui ont une fonction d’encadrement avec pour seul
diplôme le diplôme d’état sanctionnant la formation initiale, il leur apparaît certes
nécessaire d’acquérir des compétences nouvelles mais surtout une reconnaissance dans
une fonction validée par un diplôme universitaire.
Ainsi, E 2 qui, dans un premier temps souhaitait faire le DSTS :
81
Idem.
99
« Pas pour un poste à responsabilité » mais plus dans un souci de
formation, « un moyen d’être impliquée, d’accompagner des projets »,
aujourd’hui dans une fonction de chef de service et le départ programmé de la
directrice, lui fait regarder cette formation différemment, ont amené une
réflexion différente par rapport au diplôme : « elle m’a un peu
tendu une
perche…la direction, aujourd’hui…je ne sais pas… ». Nous percevons une nette
évolution de la posture au regard de la fonction, en partie ouverte par le début de
cette formation quant aux perspectives d’avenir possibles avec l’obtention du
DSTS.
Nous avons vu que E 4 explique son manque d’intérêt pour la direction
de son entreprise par le côté technique qui ne lui correspondait pas mais reconnaît que :
« Quelque chose lui manque…notamment pour avoir de l’autonomie,
j’aimerais être plus à l’initiative…maintenant, j’arrive à me le dire : ce n’est
pas le fait d’être chef, au contraire… ». Nous percevons que l’obtention de la
maîtrise pourrait lui permettre une fonction d’encadrement qui lui rendrait un
pouvoir de décision avec la légitimité du diplôme.
Les fonctions de E 7 ont évoluées dans sa carrière, ES puis chef de
service puis directeur. La possibilité d’acquérir de nouvelles compétences, de se mettre
à distance est toujours présent mais sa recherche est quelque peu différente :
« Ce qui fait que je le fais aujourd’hui, honnêtement, c’est qu’il me fallait
le niveau correspondant à ma fonction…ça me donnait le plus, de pouvoir
faire… ».
Dans une fonction hiérarchique, E 10 jette un regard sur le chemin
parcouru, les choix faits et revendiqués mais parallèlement à sa recherche de
connaissances, il amène d’autres quêtes :
« Je me rends compte que pour des collègues, même si ce n’est pas la
grande valse…Je suis content d’être dans cette association…mais à mon poste,
les situations peuvent s’enchaîner très vite, je suis payé pour…Aujourd’hui,
c’est quoi mon diplôme…je peux revenir à mon diplôme initial […] Je me suis
dit : il me faut quelque chose…j’ai de l’expérience mais j’ai du mal à faire
reconnaître cette compétence…aller me vendre. Donc la formation me donnera
100
quelque chose à faire valoir de plus… » Nous sentons là, la nécessité de faire
reconnaître certes une compétence par un diplôme mais aussi l’ « identité pour
soi » par les autres pour qu’officiellement, elle devienne aussi « identité pour
autrui »82.
Dans cette partie, il apparaît nettement que si, pour les narrateurs cadres,
l’accession à cette fonction est une valorisation de l’estime de soi, une reconnaissance
de compétences objectives, elle ne suffit pas pour rassurer chacun vis-à-vis d’une
reconnaissance sans contestation par l’extérieur. Il leur est donc nécessaire de venir
chercher confirmation, validation par un diplôme.
10-5-4- Conclusion :
Nous appréhendons mieux cette recherche identitaire, les stratégies pour
cette quête de reconnaissance, par les narrateurs. Ils mettent toute leur énergie dans ce
projet de formation afin de construire un équilibre entre ce qu’ils se voudraient et se
sentent être, et ce que les autres en perçoivent et en disent.
10-6 – Accompagnés ou seuls ?
10-6-1- Quand enfants et conjoints sont un soutien…
Ce temps de formation représente un niveau de contrainte important dans
la continuité de la vie familiale. Plusieurs narrateurs soulignent le coût familial lourd
par une moindre disponibilité du parent ou conjoint qu’ils expriment en terme
« d’effort », « de concessions » ou « de contraintes » mais avec souvent un sentiment de
solidarité familiale.
Le soutien de la famille nucléaire apparaît donc nettement comme un
élément facilitateur, essentiel pour certains, lors du départ en formation au regard de
l’investissement que cela représente pour ces étudiants.
82
DUBAR C., « La socialisation », op. cité, 1991.
101
Plusieurs des narrateurs font cette remarque comme conscients du poids
que représente l’investissement dans cette formation pour l’équilibre familial.
Pour certains comme E 2, le mari appuie le projet :
« …j’en ai discuté avec mon mari, vu le travail que cela représente… un
énorme boulot…il aurait tendance à me dire : c’est la formation qui compte, il
faut que tu bosses… ».
Conscient des bouleversements dans l’équilibre familial, E 6 loue le
soutien de sa femme :
« …à mon retour à la maison, je fatigue tout le monde mais
heureusement ma femme me soutient, surtout avec deux enfants en bas
âge…c’est énorme ; elle sait la valeur que cela a pour moi. Nous avons un
accord : je passe mon DSTS, ensuite c’est elle qui partira ».
E 7 reconnaît que sa famille ne peut guère compter sur lui :
« Ma femme est enseignante, cela facilite beaucoup de choses dans la
gestion du privé mais elle ne peut pas trop compter sur moi…elle est là, ce n’est
pas toujours facile ».
Le mari de E 9 l’a toujours poussé à cette reprise d’études :
« J’en ai parlé en famille…le choix, la décision s’est faite en
famille…mon mari m’a poussée…il m’a toujours poussée, il est ravi que je
m’élève intellectuellement, que je sois dans les bouquins, que je fasse autre
chose ».
10-6-2 – La « solitude » pour moteur.
Le sentiment d’isolement familial, la souffrance affective peuvent
amener à considérer la formation comme une bouée de sauvetage ; lui est alors assignée
une fonction « thérapeutique » comme le souligne C. Dubar83 (cf. chapitre 2-3), elle
revêt ainsi une fonction symbolique de ravaudage de l’existence :
83
C. DUBAR, « La formation professionnelle continue », op. cité, 96.
102
E 13 nous a livré une histoire familiale douloureuse d’où émerge un
sentiment très fort de solitude :
« …je fonde tous mes espoirs sur mon travail et sur mes études…Je n’ai
pas d’attache ».
Ou bien le manque de soutien, vécu comme un frein, notamment pour les
femmes qui, en plus de leur travail, assument le quotidien, est aussi une source de
motivations supplémentaires après le démarrage de la formation :
E 11 se dit un peu surprise de la réaction de son mari qui a lui-même fait
une formation en FPC :
« Qu’est-ce que tu attends de ça…maintenant tu pourrais être
tranquille…ma formation de travail social de communauté a remué pas mal de
choses à la maison…en partie, je suis
partie seule en formation. Là, ça
commence aller mieux, ma fille aînée m’a beaucoup encouragée ». Elle nous
dira que : « c’est une source de motivation supplémentaire… ».
103
TROISIEME PARTIE
« Deux typologies : continuité et rupture »
104
L’analyse des récits biographiques, nous l’avons vu, fait émerger deux
profils d’individus de notre échantillon. Parallèlement à ces structurations, ils sont dans
un processus de recherches identitaires à la fois communes et différentes.
Chapitre 11 : Deux formes de structurations existentielles.
Nous avons esquissé, au chapitre 8, une certaine différenciation dans les
parcours scolaires des travailleurs sociaux de notre échantillon, or l’examen comparé
des récits de vie permet d’étendre cette lecture à l’ensemble des parcours. Ainsi il
apparaît que les trajectoires des « assistants de service social », auxquelles nous
pouvons lier celle des « infirmiers » (cinq personnes), sont inscrites dans une certaine
logique, une certaine « continuité », alors que les trajectoires des « éducateurs
spécialisés » comme celles des « animateurs » ou « formateurs » (huit personnes), sont
marquées par une rupture (ou des ruptures) biographique(s).
A la lecture des entretiens analysés, nous voyons bien que les
dynamiques biographiques déterminent l’allure générale de ces existences qui se
structurent progressivement dans l’enfance et l’adolescence puis durant toute la vie ;
cependant, comme le note Font-Harmant L., « la nature des événements qui précédent
la reprise des études, définit l’impact sur l’activité sociale spécifique déclenchée »84.
L’analyse des récits prend deux formes distinctes, en termes de continuité et de
discontinuité. M. Leclerc-Olive85 fait une lecture pertinente de cette distinction entre
« événements biographiques », qui englobe tout ce qui arrive dans l’existence, et
« événements de la biographie », pour les événements critiques :
* Les « événements de la biographie » amènent donc une lecture en
continu des trajectoires. Il s’agit généralement d’événements, parfois anciens, marquant
la trajectoire des individus, prévisibles mais remarquables par leurs conséquences sur la
vie professionnelle notamment : le diplôme initial, le premier emploi, les enfants, les
promotions… qui caractérisent un itinéraire tout en continuité subissant de légères
inflexions.
84
85
FONT-HARMANT L., « Des adultes à l’université », L’Harmattan, Paris, 1996.
LECLERC-OLIVE M., Op. cité, 1997.
105
* Les « événements biographiques » font apparaître des discontinuités de
trajectoires et marquent profondément l’identité et la vie privée : ruptures familiales,
échecs scolaires ou parcours inachevés, accidents… Imprévisibles, ils sont souvent
anciens mais laissent une trace prégnante et l’itinéraire professionnel et/ou privé
s’apparente à une course ou une quête de réparation que la formation viendrait clôturer
ou combler.
11-1- Une continuité biographique :
Pour ces « AS » (terme générique de ce groupe), les « événements de la
86
biographie »
donnent une lecture en « continu » des trajectoires des sujets. Il s’agit
d’événements prévisibles qui caractérisent la continuité de la vie professionnelle tout en
l’infléchissant plus ou moins : mutations professionnelles, formations, promotions,
carrières…
11-1-1- Caractéristiques des « AS » : la « continuité ».
Sur les 13 entretiens87, cinq présentent des similitudes importantes. En
effet, ils ont tous acquis le bac avec un parcours qu’ils nomment « normal »,
« classique » ou « ordinaire », et ils sont sortis du système scolaire à 22-23 ans avec un
diplôme d’état (DE) pour quatre d’entre eux, après la formation initiale et une année
d’expérience à la fac « en attendant », avec un souci d’autonomie rapide pour trois
d’entre eux. Pour la cinquième personne, après un DEUG de droit, elle intègre
« logiquement » la direction de l’entreprise familiale, avant une réorientation vers le
travail social, tout cela sans heurt apparent.
Ils sont d’origine sociale ouvrière ou paysanne (ouvriers, artisans ou
agriculteurs) ou moyenne (enseignement, santé ou entrepreneurs) globalement stable
sans souci particuliers, notent-ils.
Trois ont une fonction d’encadrement et viennent valider une compétence
par un diplôme, deux aspirent à un poste de cadre qui se dessine déjà. Si nous regardons
86
Idem.
Voir la liste en annexe.
87
106
leur histoire professionnelle, nous constatons qu’ils sont sur une logique de promotion
professionnelle, déjà à l’œuvre pour trois, importante pour l’un d’eux.
Ce groupe manifeste massivement une recherche de « capital culturel »,
« l’accumulation de capital culturel exige une incorporation qui, en tant qu’elle
suppose un travail d’inculcation et d’assimilation, coûte du temps et du temps qui doit
être investi personnellement (…) Le capital culturel est un avoir devenu être, une
propriété faite corps, devenue partie intégrante de la « personne », un habitus… »88.
La reprise d’études se présente pour eux comme le moyen qui permet
d’affirmer des places ou des rôles le plus souvent déjà occupés. Elle confirme que
l’individu est bien à sa place dans sa vie professionnelle et qu’il vient en quelque sorte,
la légitimer aux yeux de tous par le diplôme. Ils se trouvent dans une logique de
continuité de cette vie professionnelle sans cassure et ouvrent un champ des possibles
pour certains.
11-1-2- Les événements de la biographie chez les « AS » :
Nous avons pu constater que ce qui pousse ces individus vers le retour
aux études, est souvent une situation prévisible entrant dans l’ordre du champ des
possibles comme un poste hiérarchique, une logique de carrière… La place ou le rôle
que joue, ou veut jouer, le sujet déterminent le déclencheur de changements.
Il s’agit de déterminer une continuité dans une trajectoire si possible
ascendante où ces « événements de la biographie» ne modifient pas fondamentalement
la trajectoire des sujets mais provoquent seulement une inflexion, une conversion en
douceur.
Ils sont dans une relative mise en cause de leurs pratiques, de leur
« champ des possibles » ; « ils avaient intériorisé des savoirs, des savoir faire qui
correspondaient à des statuts et à des rôles professionnels appris et donnés »89. La
reprise d’études universitaires rend possible d’autres acquisitions qui autorisent un
réajustement dans leur vie professionnelle et qui restent dans les logiques mises en
88
89
BOURDIEU P. dans Actes de la Recherche en Sciences Sociales, N° 30, 1979.
FONT-HARMANT L., Op. cité, 1996.
107
œuvre par les individus. Leur trajectoire apparaît bien comme un tout cohérent auquel
cette reprise donne un sens, ou tout au moins confirme celui qu’ils lui attribuaient.
11-2- Une rupture biographique :
Pour les « ES » (appellation générique de ce groupe), l’ « événement
biographique », parfois les événements, donnent une lecture discontinue des trajectoires
individuelles. Cet événement imprévisible, comme notamment l’échec scolaire,
provoque une rupture et une remise en question de l’orientation et/ou de la vie
professionnelle rêvée ou visée.
11-2-1- Caractéristique des « ES » : la « rupture ».
Huit personnes représentent cette catégorie sur les 13 entretiens. Les
milieux d’origine sont hétérogènes, ne présentant pas de particularités repérables : de
situation sociale « précarisée » à agriculteurs, de petit entrepreneur à directeur d’usines,
de militaire à inspecteur des impôts, en passant par des métiers du social.
De la même manière, les parcours sont tous très différents quant à la
longueur mais marqués par un échec (ou une orientation prématurée) : une personne
arrête après un CAP, une en troisième, deux échecs au bac, puis échecs en fac ou au
concours d’entrée à l’IUFM… Ils ont quitté l’univers scolaire entre 16 et 28 ans. Les
raisons de ces échecs apparaissent comme multiples selon leurs dires : un accident qui
interrompt une carrière sportive, un milieu familial n’ayant pas de projet particulier ou
offrant peu de soutien, une pression familiale forte sur la scolarité, des choix par défaut,
des erreurs d’orientations universitaires,…
Nous avons pu percevoir au chapitre 8, combien ces échecs ont créé un
point de rupture dans leur biographie, cet « événement » les obligeant à une correction
de leur trajectoire. Leur entrée dans le travail social leur a ouvert des possibles
nouveaux dans laquelle ils ont trouvé une voie de (re)construction. En effet, pour la
plupart, ils ont utilisé les différents niveaux de la formation (AMP puis ME puis ES)
comme des « réussites positives » que le DSTS viendrait parachever.
108
Pour beaucoup, les rencontres furent le levier nécessaire pour dépasser
cette rupture ; tous ces « médiateurs », ces « passeurs » ont des situations faisant
référence, au moins pour la personne, et sont souvent eux-mêmes passés par le chemin
des études supérieures soit dans le cadre de leur formation initiale soit dans le cadre de
la formation continue.
Nous avons parallèlement constaté que les parcours professionnels des
ES démarraient par des expériences hors du travail social plus ou moins longues.
11-2-2- L’événement biographique chez les « ES » :
Nous voyons bien qu’interroger les récits du point de vue de la
discontinuité, c’est décrypter les traits forts de la dynamique biographique que vient
interroger la reprise d’études.
Le retour à l’université semble la meilleure façon de participer à la
reconstruction d’une vie, souvent entamée depuis longtemps et marquée de
discontinuité. Ainsi ces « événements biographiques » (échecs scolaires, ascension
sociale stoppée,…) ont provoqué une cassure qu’ils n’ont de cesse de réparer. Ces
ruptures, qui parfois en ont amené d’autres, atteignent l’équilibre psychologique et
conduisent le sujet à vouloir reconstruire un projet de vie auquel il s’accrochera.
Contrairement à l’approche de Font-Harmant L. qui caractérise la rupture
comme une « cassure de l’histoire individuelle qui induit la reprise d’études…avec une
volonté acharnée d’oublier le passé »90, dans notre échantillon, elle se situe dans le
passé… A partir de cette rupture (ou ces ruptures), ils n’ont eu de cesse d’élaborer une
socialisation plus conforme à celle « rêvée » avant ce coup d’arrêt et par étapes,
reconstruisent sans omettre la référence à ce passé pour mesurer le chemin parcouru.
« L’institution universitaire représente l’autorité sur laquelle repose un statut cognitif
et normatif supérieur. La reprise d’études autorise un déplacement social pour le
sujet »91.
90
91
FONT-HARMANT L., Op. cité, 1996.
Idem.
109
Il s’agit pour l’individu, grâce à l’obtention d’un diplôme de
l’enseignement supérieur, d’entrer dans une « logique d’intégration formelle… », d’une
certaine manière, de réparer les accidents que les connaissances par l’expérientiel ne
permettent pas.
Cette reprise d’études apparaîtrait notamment comme un processus de
réajustement de liens « fragilisés » ou « rompus », comme une remise en ordre du passé,
comme un processus de transformation de sa trajectoire, comme l’ouverture vers une
socialisation nouvelle.
11-3- Conclusion :
Qu’il s’agisse de « continuité » ou de « rupture » biographique,
l’université se présente comme un espace de formation et de transformation identitaire.
Cette notion d’ « événements biographiques » en « continuité » et de « rupture » nous
semble apporter un éclairage sur les circonstances de la reprise d’études dans la
biographie. Elle nous permet de saisir ce processus en terme de « continuité » et de
« discontinuité » identitaire.
Ce retour à l’université renvoie dans tous les cas, à des événements
antérieurs, déclencheurs de pratiques sociales en continuité ou de rupture identitaires.
Du processus de socialisation nouvelle, plus ou moins net, émerge un changement de
place et de rôle dans l’espace social et professionnel. « Toute formation, selon Dubar C.,
vise l’appropriation d’éléments culturels qui sont ceux d’un groupe, d’une couche ou
d’une classe sociale (…) Tout processus de formation comprend une dimension
d’acculturation »92 . En effet, cette reprise d’études apparaît comme un moyen de sortir
d’un contexte culturel et social déterminé et d’entrer dans un autre. L’infléchissement
opéré dans la trajectoire permet de construire une identité nouvelle.
Les individus entrent dans des logiques de restructurations identitaires.
La formation constitue un lien entre deux socialisations93 : une transformation
92
93
DUBAR C., « Formation permanente et contradictions sociales », Ed. Sociales, Paris 1980.
DUBAR C., « La socialisation », A. Colin, Paris, 2000.
110
identitaire pour eux (« Identité pour soi ») et des changements de rôles et de places dans
leur trajectoire (« Identité pour autrui ») par le biais de nouveaux savoirs acquis.
111
Chapitre 12 : Des processus identitaires à l’œuvre.
Cette dernière étape de notre analyse, dans notre recherche, doit nous
conduire à vérifier la pertinence de l’hypothèse que nous rappelons :
« Les travailleurs sociaux inscrits à l’université en formation continue
mettent en œuvre des processus identitaires, une dynamique issus d’itinéraires
singuliers personnels et/ou professionnels ».
L’identité n’est pas donnée à la naissance, elle se construit peu à peu
dans l’enfance et l’adolescence puis évolue « tout au long de la vie ». Nous avons vu
précédemment que, parce qu’il connaît des changements impressionnants, le travail
oblige de plus en plus à des transformations identitaires délicates et, parce qu’elle
accompagne toutes les modifications du travail et de l’emploi, la formation intervient
dans les dynamiques identitaires bien au-delà de la période scolaire.
« Ces identités professionnelles sont intensément vécues par les individus
et renvoient à des définitions de soi autant qu’à des étiquetages par autrui »94. Il semble
difficile, remarque Dubar C95, de dissocier l’identité individuelle de l’identité collective,
c’est bien l’articulation des deux qui fait l’identité sociale. L’ « Identité pour Soi » et
l’ « Identité pour Autrui » sont inséparables et liées de façon problématique : « Je ne
sais jamais qui je suis que dans le regard d’Autrui »96 d’où la difficulté puisque
« l’expérience de l’autre n’est jamais directement vécue par soi…en sorte que nous
comptons sur nos communications pour nous renseigner sur l’identité qu’autrui nous
attribue…et donc pour nous forger une identité pour nous même »97. Mais notre
communication avec les autres est remplie d’incertitudes : « je ne suis jamais sûr… ».
« Quel type d’homme, suis-je pour les autres », c'est-à-dire l’identité
pour Autrui… et « quel type d’homme, je veux être », c'est-à-dire l’identité pour soi,
sont en perpétuel conflit ou alliance dans notre champ de recherche. Ces « identités pour
94
Idem.
Idem.
96
Idem.
97
Idem.
95
112
soi » ne sont rien moins que ce que les individus se racontent qu’ils sont ; alors que les
« identités pour autrui » concernent l’identité attribuée par les institutions et leurs
acteurs en relation avec l’individu.
Ces deux types d’identités peuvent se trouver en désaccord d’où la mise
en jeu de stratégies identitaires destinées à réduire l’écart entre les deux. Elles peuvent
prendre deux formes, insiste Dubar C.98 : soit des transactions « externes » et
« objectives » afin d’accommoder l’identité pour soi à celle pour autrui, soit des
transactions « internes » à l’individu et « subjectives », une lutte entre « identités
héritées » et « identités visées » cherchant à assimiler l’identité pour autrui à l’identité
pour soi. Cette idée de transaction subjective apparaît bien comme un deuxième
mécanisme de processus de socialisation « producteur des identités sociales ».
Nous sommes bien ici au centre de ce qui semble être les enjeux de nos
narrateurs pour leur reprise d’études : une négociation identitaire entre une identité
biographique et une identité relationnelle. « L’espace de reconnaissance des identités
est inséparable des espaces de légitimation des savoirs et des compétences associés aux
identités. La transaction objective entre les individus et les institutions est d’abord celle
qui s’organise autour de la reconnaissance et la non reconnaissance des compétences,
des savoirs et des images de soi qui constituent les noyaux durs des identités
revendiquées »99.
Il nous apparaît dans ce travail, que si, comme nous venons de le voir,
ces deux identités sont en interaction permanente dans une volonté d’en réduire l’écart,
il n’en demeure pas moins que les catégories « AS » et « ES » ont une recherche
identitaire différente :
* Les « AS » s’inscrivent, nous semble-t-il, en formation dans
l’intension de faire valider des compétences, des savoir-faire qu’ils estiment posséder,
c’est-à-dire l’ « identité pour soi », par une validation institutionnelle, reconnaissance
d’une « identité pour autrui ». Ils sont dans une logique d’ascension professionnelle qui
s’inscrit dans la « continuité » logique de leur carrière mais reconnue. Nous pourrions
98
99
Idem.
Idem.
113
dire qu’ils sont à la recherche d’un Autrui Certificateur, ceci dans un souci
promotionnel validé.
Ils sont plus centrés sur une transaction « externe » et « objective »,
certes articulée à la transaction « interne » pouvant amener à une reconnaissance
sociale. « Il existe une institution légitimant l’identité visée par l’individu : soit
l’entreprise ou l’organisation professionnelle (…) soit l’institution scolaire ou
l’organisme de formation sur la base du titre possédé et des savoirs acquis »100 ; ici,
ayant acquis le premier par la promotion, ils sont à la recherche du second.
* Les « ES » s’engagent en formation afin, selon nous, de structurer une
estime de soi toujours un peu fragilisée. Ils sont à la poursuite de leur véritable
« identité pour soi », qu’ils recherchent opiniâtrement, enfouie par la rupture vécue.
Cette identité déchirée mais patiemment reconstruite fut, semble-t-il, le moteur de leur
parcours dans le travail social. Perpétuellement en quête d’eux-mêmes, ils sont en
recherche de savoirs théoriques et culturels, qui structurent et déstructurent sans cesse
leur identité. Ils sont à la recherche d’un Soi Certifié, qui doit leur permettre de
s’inscrirent dans la continuité.
Ils sont centrés sur une transaction « interne » et « subjective », articulée
à la transaction « externe » qui là aussi devrait amener à une reconnaissance sociale. Il
s’agit de réduire le « décalage entre la définition de soi issue de sa trajectoire
antérieure et la projection de soi dans l’avenir »101, pour aboutir à une continuité
« entre l’identité héritée et l’identité visée »102.
100
Idem.
Idem.
102
Idem.
101
114
Chapitre 13 : Conclusion.
En conclusion, au travers de l’approche par « événements de la
biographie » et « événements biographiques », nous avons vu émerger deux catégories
de travailleurs sociaux « AS » et « ES ». S’ils présentent de fortes similitudes que nous
avons perçu lors de l’analyse des récits de vie, nous constatons qu’ils se différencient
par des biographies marquées par la continuité ou la discontinuité, éléments
déterminants quant aux motivations à intégrer le DSTS.
Cette logique de catégorisation nous a conduit à analyser alors les
processus identitaires à l’œuvre lors de la reprise d’études conformément à notre
hypothèse. Nous avons démontré que les narrateurs des deux catégories se trouvaient
bien dans un processus de restructuration identitaire où était en jeu l’ « identité pour
soi » et l’« identité pour autrui » mais avec une entrée différente. En effet, les « AS »,
dans leur logique de continuité, viennent valider particulièrement leur « identité pour
Autrui », alors que les « ES » souhaitent confirmer leur « identité pour Soi » fragilisée.
Nous avons pu vérifier notre hypothèse, ce retour à l’université renvoie
dans tous les cas, à des événements antérieurs, déclencheurs de pratiques sociales en
continuité ou de rupture identitaire. De ce processus de socialisation nouvelle, plus ou
moins net, doit émerger un changement de place et de rôle dans l’espace social et
professionnel. « Les nouveaux savoirs ont un effet de mise en perspective de la
trajectoire passée et produisent une déconstruction – reconstruction de l’identité »103.
Toutefois, si ce travail tend à recouper de nombreux travaux plus
prestigieux comme ceux Font-Harmant L., Leclerc-Olive M., Dubar C., GourdonMonfrais D., Jovelin E.104… nous devons émettre quelques réserves relatives,
notamment à la taille de notre échantillon et à la durée des entretiens par récits de vie
qui auraient mérité une nouvelle rencontre pour affiner les premiers, mais les
contingences matérielles et de temps nous ont limité dans cette perspective.
103
104
Idem.
Opus cités.
115
Enfin le fait que seuls les volontaires aient répondus à notre étude, laisse
une incertitude sur le profil de ceux qui n’ont pas souhaité s’exprimer et la logique dans
laquelle s’inscrivait leur départ en formation.
116
CONCLUSION GENERALE
117
Nous sommes parvenus au terme de cette recherche, qui nous a conduits
à explorer les motivations des travailleurs sociaux à s’engager dans cette formation
professionnelle continue qu’est le DSTS.
Notre volonté était bien celle-là, et non une quelconque réponse à un
questionnement intime.
Nous étions conscients que cette position d’étudiant en DSTS pouvait
créer un obstacle épistémologique. Nous avons donc insisté sur le travail de rupture, de
distanciation,
par
une
importante
recherche
documentaire,
nous
permettant
d’appréhender la construction socio-historique du travail social, sa professionnalisation
et sa construction identitaire fragile ; nous avons ensuite porté notre regard sur la
construction de la FPC, avec celle du DSTS. Il nous est apparu pertinent de mieux
connaître ces adultes en reprise d’études, ainsi que les enjeux du rapport
qualification/compétence.
Ce travail sur la construction de notre champ de recherche nous a conduit
vers une question :
«Quels sens et quelles fonctions prend ce processus de reprise
d’études pour les travailleurs sociaux ? » L’analyse thématique des récits de vie
recueillis a fait apparaître une construction identitaire héritée, d’où émerge un
attachement aux valeurs familiales, telles que la solidarité, le respect, l’éducation, les
racines …, mais aussi l’engagement. Parallèlement, les parcours scolaires contrastés,
faits d’échecs ou de réussites, de ruptures ou de continuités, marquent tout autant cette
construction identitaire.
L’analyse de l’itinéraire dans le travail social montre des choix
« vocationnels », ou dus « au hasard », ou résultat de « rencontres », choix qui
détermineront un engagement professionnel certain, et une volonté de formation
permanente forte.
Dans la logique diachronique de ces entretiens biographiques, nous
avons perçu la construction des motivations à la reprise d’études. Elles sont plurielles et
croisées : la formation initiale y prend souvent une place importante de déclencheur ;
l‘«usure professionnelle » ou la peur d’une certaine routine sont une crainte que la
118
formation peut contribuer à gommer ; la prise de conscience « du temps qui passe » est
mise en avant par certains ; le diplôme serait une possibilité de promotion sociale ;
enfin, l’ensemble des narrateurs exprime une quête de reconnaissance sociale, et/ou
professionnelle.
Ce travail d’analyse des récits de vie nous permet de proposer deux
profils de structuration existentielle, articulés autour du concept d’événement
biographique : « L’événement biographique infléchit la ligne de vie, modifie le système
relationnel d’action […] Parce qu’il oblige à une réélaboration des représentations de
soi, de la société et du monde, parce qu’il est déstructurant, l’événement structure le
temps »105 :
* le premier profil est caractérisé par une « continuité biographique » : le
groupe des « AS ». La trajectoire des individus est marquée par des « événements de la
biographie » prévisibles et entrant dans le champ du possible : poste hiérarchique,
logique de carrière, …
* le second profil est caractérisé par une « rupture biographique » : le
groupe des « ES ». Un (ou plusieurs) « événement biographique » marque la trajectoire
de ces individus de manière imprévisible, et oblige à des réorientations.
Nous avons montré, comme le suggérait notre hypothèse, que la reprise
d’études universitaires se présente pour ces travailleurs sociaux comme un révélateur
des dynamiques identitaires particulièrement fortes, relevant d’une double logique de
« légitimation professionnelle » et/ou de « régulation biographique ». Si les deux profils
sont dans cette recherche, les « AS » sont plutôt à la recherche d’une légitimation
professionnelle, c’est-à-dire qu’ils viennent, par la validation du diplôme, chercher la
reconnaissance d’une « identité pour Autrui »106. Les « ES » quant à eux, dans un souci
de régulation biographique, sont à la poursuite de leur véritable « identité pour Soi »107.
105
LECLERC-OLIVE M, op. cit., 1997.
DUBAR C, op. cité, 2000 ;
107
Idem.
106
119
Nous voyons bien que l’université n’assure pas seulement son rôle
intellectuel pour les étudiants en cursus initial, elle conserve cette valeur pour ces
adultes en recherche de légitimation et/ou de régulation biographique. Ils demandent à
être aidés à dépasser les ruptures, à surmonter leurs manques de manière symbolique.
Il est hors de question de déroger aux exigences institutionnelles de
l’université, auxquelles d’ailleurs, même dans la souffrance, ils viennent se confronter.
Mais un regard sur ces besoins renvoie à ces trajectoires sociales, professionnelles et
culturelles ainsi qu’aux significations et attentes investies dans la formation.
La formation
au DSTS est une confrontation à la complexité, au
contradictoire, mêlant ce qu’il faut apprendre et ce qu’il faut oublier, à infléchir et à
réfléchir. L’offre de formation ne peut éluder cette dimension. Contrairement à
l’obligation scolaire, la formation ne peut se dérouler sans une adhésion minimale car si
elle ne répond à aucune des attentes, ces adultes finiront par s’abstenir, c’est sa gageure.
D’où, nous le voyons, l’importance de la question de la motivation dont une élucidation
minimale s’impose et l’omission rendrait l’utilité de cette formation aléatoire.
Ce travail de recherche, malgré les limites que nous avons évoqués, nous
a permis d’entamer une réflexion sur la formation continue des travailleurs sociaux à
l’université, ses enjeux et fonctions. Mais en parallèle, à l’heure où cette formation est
menacée, ce travail peut emmener une réflexion, au regard de cette étude notamment,
sur les propres enjeux et fonctions pour l’institution.
120
Bibliographie
* ABECASSI F. et ROCHE P. (dir.), « Précarisation du travail et lien social »,
L’Harmattan, Paris, 2001
* BARDIN L., « L’analyse de contenu »,
PUF, Paris, 2001 (10ème éd.)
* BEAUD S. et WEBER F., « Guide de l’enquête de terrain »,
La Découverte, Paris, 2003
* BERTAUX D., « Les récits de vie » Perspective ethnosociologique,
Nathan, Paris, 1997
* BLANCHET A. et GOTMAN A., « L’enquête et ses méthodes d’entretiens »,
Nathan, 2001
* BOURDIEU P., « La reproduction »,
Ed de Minuit, Paris, 1970
« La misère du monde »
Seuil, Paris, 1993
* CAPUL M. et LEMAY M., « De l’éducation spécialisée »,
Erès, Ramonville St Agne, 1996
* CARRE P. et CASPAR P. (dir.), « Traité des sciences et techniques de la formation »
Dunod, Paris, 2004
* CHAUVIERE M. et TRONCHE D.,
« Qualifier le travail social. Dynamique professionnelle et qualité de
service », Dunod, Paris, 2002
121
* CHOPART JN (dir.), « Les mutations du travail social »,
Dress-Mire, Dunod, Paris, 2000
* De GAULEJAC V., « L’histoire en héritage »,
Desclée de Brouwer, 1999
* DONZELOT J., « L’invention du social »,
Point, 1984
* DUBAR C., « La formation professionnelle continue »,
La Découverte (5ème éd.), 2004
* DUBAR C. « La socialisation. Construction des identité sociales et professionnelles »
A. Colin, Paris, 1991
* DUBAR C. et TRIPIER P., « Sociologie des professions »,
A. Colin, Paris, 1998
* FINO-DHERS A., « Assistante sociale »,
L’Harmattan, Paris, 1994
* GOURDON-MONFRAIS D., « Des adultes en formation. En quête de quelle
reconnaissance », L’Harmattan, Paris, 2000
* JOIN LAMBERT M.TH., « Politiques sociales »,
Dalloz, Paris, 1994
* LECLERC-OLIVE M., « Le dire de l’évènement (bibliographique) »,
Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 1997
* MACKIEWICZ MP. (dir.), « Mémoires de recherche et professionnalisation :
l’exemple du DSTS ».
L’harmattan, Savoir et Formation, Paris, 2004-11-30
122
* MARTINET JL (dir.), « Les éducateurs aujourd’hui »,
Dunod, Paris, 1993
* PENNEC S., « Former des adultes. L’université et les transformations de l’emploi »
Presses Universitaires de Rennes, 2002
* PEZET V., VILLATE R. et LOGEAY P., « De l’usure à l’identité professionnelle. Le
burn-out des travailleurs sociaux », TSA, Paris, 1993
* PINEAU G. et LEGRAND JL, « Les histoires de vie »,
PUF, Paris, 1993
* QUIVY R.
« Manuel de recherche en science sociale »,
Dunod, Paris, 1988 (2ème éd. 95)
* SANCHOU P., « Crise d’identité et formation continue chez les travailleurs sociaux »
Thèse UTM, Ronéo, 1982
* SERRES M., « Le tiers instruit »,
Julliard, Paris, 1991
* VERDES-LEROUX J., « Le travail social »,
Ed. De Minuit, Paris, 1978
* ZARIFIAN P., « Objectif compétence : pour une nouvelle logique »,
Liaisons, Paris, 1999
* REVUES :
- EMPAN : article de PIAT E., « La difficile formation d’une liberté »
dans « La formation en question », n° 56, Déc. 2004
123
- ESPRIT : « A quoi sert le travail social », 1998 n°3-4
- CQFD (C’est la Qualification qu’il Faut Défendre) : Cahiers n°1, 2,3et4
-Sciences Humaines :
« Former, se former, se transformer », HS n°40,
Mars 03
« Paradoxe du travail social », HS n°13, Mai 96
- Actes de la recherche en Sciences Sociales :
« L’illusion biographique », BOURDIEU P., n°62,
Juin 86
- Vie Sociale :
« Travail social : mutation des pratiques, évolution
des compétences », Cédias, Paris, n°2, 2000.
« Formation des acteurs du social : enjeux et
manœuvres », Cédias, Paris, n°2,
2003.
124
- SIGLES -
AMP : Aide Médico-Psychologique
AS : Assistant Social
ASS : Assistant de Service Social
CAFDES : Certificat d’Aptitude aux Fonctions de Directeur
d’Etablissement Spécialisé
DSTS : Diplôme Supérieur en Travail Social
ES : Educateur Spécialisé
FPC : Formation Professionnelle Continue
ME : Moniteur Educateur
UTM : Université Toulouse le Mirail
125
Annexe I :
« Guide d’entretiens » :
Il s’agit, lors de ces entretiens, de permettre au narrateur de dérouler le fil
de son parcours. Plus qu’un questionnement, nous utilisons des relances ou des
reformulations afin de faciliter le récit.
Introduction :
Pour mon travail de recherche, j’ai donc choisi de m’intéresser aux
itinéraires, aux parcours de formation des travailleurs sociaux. C’est ce qui motive cet
entretien.
Peut-être pourriez-vous raconter votre scolarité à partir du primaire ?
Thèmes à aborder au cours de l’entretien :
* Vécu de la scolarité :
- Cursus suivi, événements du cursus (échecs ou réussites, abandon et
reprise,…).
- Position d’élève, description, rapport aux apprentissages.
- Rapport au savoir et aux diplômes.
Pour l’environnement familial : Quel regard avaient vos parents sur
votre scolarité ?
- Profession des parents, discours d’appartenance à une classe sociale.
- Vécu de l’école, regard et suivi des parents, leur niveau d’exigence
scolaire, contact avec les enseignants.
- Place et statut du sujet dans la fratrie.
- Rôle de la famille (hors parents et fratrie) : grands parents, oncles et
tantes, …
- Quel est votre propre implication dans la scolarité de vos enfants ?
126
* Rapport au travail : Pourquoi vous êtes-vous orienté vers le social ?
- Travail actuel : « petits bonheurs, moments difficiles », comment
pourriez-vous décrire votre travail ? Ancienneté, événements de la vie
professionnelle…
- Image de soi : opinion, sentiment, jugement au travail et hors…
- Avez-vous (ou avez-vous eu) un engagement syndical, associatif ou
politique ?
- Autres expériences : Quelles expériences professionnelles sont les
vôtres ? Hors champ social ?
Place de la famille : Comment est perçu votre travail par votre famille ?
- Profession du conjoint, scolarité ou profession des enfants, vécu du
social…Perception par l’entourage.
* Place de la formation : Quels souvenirs gardez-vous de votre formation
initiale ?
- Contenu par rapport aux attentes : richesse ou frustration… Contenu par
rapport au métier, ambiance, les acquis…
- Rôle de la famille dans l’orientation, de l’entourage…
- Participation à des formations (continue ou non, qualifiantes ou non)
post D.E.
* Motivation à la reprise d’études : Quel cheminement vous a conduit
jusqu’au DSTS ? Comment s’est construit ce désir de formation ?
- Rapport à l’université : image avant la formation, expériences…
- Discours sur la formation, la décision de formation, le suivi de la
formation et le groupe formation.
- Rapport au temps : discours sur le temps, la durée, l’âge, le
vieillissement.
- Quels sont vos projets, vos objectifs, vos orientations futures ?
127
Annexe II :
Profil sociodémographique et professionnel des travailleurs sociaux en DSTS:
Origine : études de la revue Forum (95) et du CEDRIS (96) et UTM
2002-2005.
Profil sociodémographique:
62% de femmes et 38% d’hommes.
UTM : 72,5% de femmes et 27,5% d’hommes.
Environ 80% ont plus de 40 ans.
78% vivent en couple (et le conjoint appartient le plus souvent
aux classes moyennes ou supérieures.
Enfants :
0:
21.7 %
1:
15.1 %
2:
37.7 %
3 ou + 25.5 %
73.1% ont le BAC (41% avec une formation universitaire, surtout
en sciences humaines).
40% d’AS et 40% d’ES
UTM : 32% d’AS, 55% d’ES, 13% d’EJE( et autres).
Profil professionnel :
82.7% ont au moins 11 ans d’ancienneté
54% sont des professionnels de terrain (79%)
37%
des cadres (14%)
9%
des formateurs (7%)
128
Annexe I :
« Guide d’entretiens » :
Il s’agit, lors de ces entretiens, de permettre au narrateur de dérouler le fil de
son parcours. Plus qu’un questionnement, nous utilisons des relances ou des reformulations
afin de faciliter le récit.
Introduction :
Pour mon travail de recherche, j’ai donc choisi de m’intéresser aux
itinéraires, aux parcours de formation des travailleurs sociaux. C’est ce qui motive cet
entretien.
Peut-être pourriez-vous raconter votre scolarité à partir du primaire ?
Thèmes à aborder au cours de l’entretien :
* Vécu de la scolarité :
- Cursus suivi, évènements du cursus (échecs ou réussites, abandon et
reprise,…).
- Position d’élève, description, rapport aux apprentissages.
- Rapport au savoir et aux diplômes.
Pour l’environnement familial : Quel regard avaient vos parents sur votre
scolarité ?
- Profession des parents, discours d’appartenance à une classe sociale.
- Vécu de l’école, regard et suivi des parents, leur niveau d’exigence scolaire,
contact avec les enseignants.
- Place et statut du sujet dans la fratrie.
- Rôle de la famille (hors parents et fratrie) : grands parents, oncles et tantes, …
- Quel est votre propre implication dans la scolarité de vos enfants ?
* Rapport au travail : Pourquoi vous êtes-vous orienté vers le social ?
- Travail actuel : « petits bonheurs, moments difficiles », comment pourriezvous décrire votre travail ? Ancienneté, évènements de la vie professionnelle…
- Image de soi : opinion, sentiment, jugement au travail et hors…
- Avez-vous (ou avez-vous eu) un engagement syndical, associatif ou
politique ?
- Autres expériences : Quelles expériences professionnelles sont les vôtres ?
Hors champ social ?
Place de la famille : Comment est perçu votre travail par votre famille ?
- Profession du conjoint, scolarité ou profession des enfants, vécu du
social…Perception par l’entourage.
* Place de la formation : Quels souvenirs gardez-vous de votre formation initiale ?
- Contenu par rapport aux attentes : richesse ou frustration… Contenu par
rapport au métier, ambiance, les acquis…
- Rôle de la famille dans l’orientation, de l’entourage…
- Participation à des formations (continue ou non, qualifiantes ou non) post
D.E.
* Motivation à la reprise d’études : Quel cheminement vous a conduit jusqu’au
DSTS ? Comment s’est construit ce désir de formation ?
- Rapport à l’université : image avant la formation, expériences…
- Discours sur la formation, la décision de formation, le suivi de la formation et
le groupe formation.
- Rapport au temps : discours sur le temps, la durée, l’âge, le vieillissement.
- Quels sont vos projets, vos objectifs, vos orientations futures ?