Le questionnement éthique du respect de la

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Le questionnement éthique du respect de la
LE QUESTIONNEMENT ETHIQUE DU RESPECT DE LA PERSONNE
Marie-Sylvie RICHARD - Enseignante en éthique médicale, médecin chef de service, maison
médicale Jeanne-Garnier, Paris.
Marie-Sylvie RICHARD
Selon le Petit Robert, respect signifie :
- Considération, sentiment à l’égard.
- Ne pas porter atteinte à, ne pas altérer quelqu’un ou quelque chose
- Faire référence à quelque chose, à des lois, des codes, respect des droits et libertés.
I. Considération
I-1 Respect d’autrui en le considérant comme une personne. Qu’est-ce qu’une personne ?
a) Concept de personne
Mais qu’est-ce que la personne ? L. Sève (1) répond, en se référant à Kant, que c’est un « sujet
raisonnable autonome ». Pour le juriste, le sujet étant autonome, peut validement assumer des droits et
des obligations, et pour l’éthique cette autonomie par quoi la personne s’oppose à la chose est ce qui
fonde le devoir de respect.
La personne doit toujours être traitée comme une fin et jamais comme un moyen (impératif moral).
Qu’est-ce qu’une personne ? Si la personne dans son principe est le sujet autonome, une personne est
l’individu qui se montre capable d’autonomie, mais cela restreint le nombre de ceux qu’on peut tenir
pour une personne.
Or ce qu’il faut comprendre c’est que la personne ne se résume pas à l’autonomie du sujet raisonnable.
Elle renvoie à l’autonomie bien plus vaste du genre humain, lui-même société de personnes se
reconnaissant elles-mêmes et se reconnaissant mutuellement comme telles.
N’étant point personne par soi tout seul, l’individu n’est pas condamné à ne plus l’être lorsque vient à
faire défaut son autonomie. Tout le développement civilisé du genre humain a consisté à étendre
la sollicitude pour l’autre et l’obligation de respect à qui n’est plus ou pas encore autonome,
pour lui faire prêt d’autonomie en prolongeant ou en devançant autant que possible son libre vouloir
potentiel.
Cette inhérence de la valeur à la personne, non seulement pour soi (sujet autonome) mais en soi et aux
parties même du corps humain, à son concept : celui de dignité.
« S’entendre sur la personne, c’est s’entendre sur ce qui, au sens laïc du mot, fonde sa dignité ».
Ainsi, selon ce concept éthique d’intérêt public décrit par L. Sève, tout être humain est digne de respect,
quel que soit son état physique, psychique, social ou sa race.
Respect, intimité, dépendance … les pratiques professionnelles interrogées
Journées d’étude APF Formation – Unesco -–27, 28 et 29 janvier 2003
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Comme l’affirme le préambule de la Déclaration des droits de l’homme : « considérant que la
reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits
égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde », la
dignité est inhérente à l’être humain et celui-ci mérite respect.
Ainsi on comprend l’impératif catégorique : « Traite toute l’humanité en ta personne et en celle des
autres jamais seulement comme un moyen, mais comme une fin ».
b) Définition de la personne
« La personne humaine, écrit X. Thevenot ne peut être totalement définie, mais peut se laisser
approcher par le respect qu’on lui porte et qui fait peu à peu connaître. Dans cette approche, on perçoit
vite que l’on est devant une réalité qui nous échappe et qui restera toujours en partie inconnue, toujours
en évolution, toujours à découvrir davantage, ce que certains appellent un mystère. Les sciences sont
utiles pour dire ce qu’est une personne mais elles ne suffisent pas. Pour connaître l’autre comme une
personne, je dois engager avec lui une relation emprunte de respect. C’est dans cette relation éthique
que d’une part je vais mieux percevoir qu’il est une personne et que d’autre part lui et moi allons devenir
davantage personnes ».
I-2 Quelques données essentiels de la personne
La personne est un être qui a un corps humain ; elle est marquée par une sexualité, douée de parole,
qui prend place dans un monde chargé de significations diverses. Le propre de l’homme, c’est de
manier une langue qui permet de désigner, de dire ses désirs, d’employer des métaphores, de
comprendre le sens de ce que l’on lui dit et de donner du sens à son environnement.
L’être humain est précédé par un monde de communication, il hérite d’une culture, d’une langue, il
s’inscrit dans une histoire…
La personne humaine dit « je », elle a une conscience réflexive, elle est capable de jugement.
Elle est libre mais non autarcique. La liberté, c’est la capacité d’assumer une histoire pour devenir
davantage personne humaine, dans le temps. La liberté a pour autre nom la responsabilité.
La personne humaine est singulière c’est-à-dire unique par son corps, son psychisme, son histoire,
l’exercice de sa liberté.
Chaque personne a quelque chose d’indicible, espace secret, sacré inviolable !
Respecter l’autre c’est le respecter en tout cela ! (nous pourrions nous référer à la chartre du patient
hospitalisé et aux différentes chartes de nos établissements).
a) Respect du corps, douceur, délicatesse de l’intimité sont nécessaires
b) Respect des capacités de compréhension, de jugement, d’autonomie
•
Information
Pour tous les faits quotidiens et pas seulement pour le diagnostic et les décisions thérapeutiques ou
médico-sociales.
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Chacun a besoin d’explication pour comprendre, pour se situer, pour être sécurisé.
•
•
Recueil du consentement pour tout acte médical
Donner du temps pour intégrer les informations et être capable de donner un avis.
Très souvent les informations et explications sont données rapidement, et « en bloc ». La réponse du
malade est attendue rapidement également, il n’y a pas de respect du temps nécessaire d’intégration,
de réflexion, et de prise de décision.
c) Respect de la parole du malade ou de la personne handicapée
•
Crédibilité de sa parole
Pourquoi la mettre en doute, serait-elle moins importante, parce que la personne malade ou handicapée
a des difficultés à s’exprimer ou est très fatiguée ? Le savoir n’est-il pas souvent de son coté ?
•
Prise en compte de la douleur mais déni de la souffrance : « homme – souffrant au lieu de
homme – parlant » (D. Vasse2)
S’il dispose de la parole, il n’a pas pour autant l’assurance d’être écouté et compris. Quels mots
exprimeront cette souffrance qui l’étreint et qui ne se réduit pas aux symptômes ? A qui parler de
l’inquiétude pour les siens ? Avec qui évoquer l’avenir ?
« Cette dissociation entre la souffrance et la parole réduirait la personne malade ou handicapée à l’objet
d’une science qui s’en occuperait d’autant mieux qu’elle est devenue muette. La souffrance ne serait
plus alors considérée que comme symptôme que la psychanalyse nous a appris à lire comme parole
tue, parole qui ne peut pas de dire tant qu’elle n’est pas entendue dans sa référence oubliée à l’histoire
de son désir et à ses avatars.
A ne considérer la souffrance que du côté du symptôme médical, elle ne renvoie qu’à la maladie
prétendument objective, à la matérialité d’un corps organique, celui des médecins et de leur savoir. En
tant que lieu de parole, la souffrance doit s’entendre comme le cri d’un sujet affronté au désir de vivre et
à la mort, le cri d’un sujet naissant »
•
Tenir compte des avis donnés, des choix antérieurs
Refus de certains traitements, désignation des répondants, dispositions prises. Les actualiser si besoin.
d) Respect de ses relations, de sa vie privée
Tout patient en institution a le droit au respect de sa vie privée comme le prévoient l’article 9 du Code
Civil et la Convention européenne des droits de l’homme.
e) Respect de son histoire dont nous ne connaissons que quelques bribes
•
Histoire personnelle, histoire de la maladie, du handicap
•
Importance du récit qui donne sens
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Il unifie la dispersion des rencontres, la multiplicité disparate des événements. Raconter sa vie, c’est
distinguer l’essentiel de l’accessoire, c’est mettre de l’ordre dans le désordre, c’est tenter de dire ce que
l’on a été et ce que l’on aimerait être.
f) Respect de la quête de sens du malade ou du sens trouvé
La maladie grave et le handicap atteignent la personne jusqu’au plus intime de son être, interrogent le
sens de sa vie et la confrontent à la mort.
g) Respect de ses convictions
Pour certains, le sens de la vie, de la maladie s’inscrit dans une tradition religieuse ou dans une
philosophie.
L’établissement de santé doit respecter les croyances et convictions des personnes accueillies. Un
patient ou un résident doit pouvoir, dans la mesure du possible, suivre les préceptes de sa religion
(recueillement, présence d’un ministre du culte de sa religion, nourriture, liberté d’action et
d’expression…). Ces droits s’exercent dans le respect de la liberté des autres. Tout prosélytisme est
interdit, qu’il soit le fait d’une personne accueillie dans l’établissement, d’une personne bénévole, d’un
visiteur ou d’un membre du personnel.
h) Respect de sa solitude inéluctable de la personne
Tout en évitant l’isolement, accepter la solitude d’autrui inhérente à la condition humaine mais ressentie
plus radicalement en certaines circonstances de la vie.
II. Se référer à
Tous ces aspects sont pris en compte dans la déontologie médicale et infirmière et les différentes
chartes.
Respecter le malade se fait aussi en se référant aux codes, aux lois destinées à le protéger, en cas
d’atteinte.
III. Ne pas porter atteinte à
III-1 – Question de la violence physique des soins, des traitements et des investigations
La violence des soins est dénoncée. Il faut y être très vigilant, il est si facile de ne plus y faire attention,
et c’est quand nous accompagnons l’un de nos proches que nous nous rendons compte combien c’est
inadmissible !
La maltraitance des personnes lourdement handicapées et/ou âgées est malheureusement,
odieusement vraie !
La personne dépendante et/ou malade considère les soins, et plus encore les examens, ou certains
traitements comme des agressions. Son intimité est souvent bafouée. Les soignants et les
techniciens, de fait, portent atteinte à son corps même s’ils le font avec délicatesse. Elle ressent son
corps livré aux mains des autres et parfois à des machines dont elle ne connaît pas le fonctionnement
et sur lesquelles elle n’exerce aucun contrôle.
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Elle exprime indirectement son désarroi par des paroles ou des attitudes agressives envers les
soignants et les proches dont la présence ne suffit pas à faire taire l’angoisse ou la révolte.
III-2 – Violence symbolique et psychique
a) La violence du langage
Le langage, est le premier lieu de violence pour l’être humain, par la contrainte qu’il entraine – il s’agit
d’un héritage – mais aussi par l’écart, et souvent l’inadéquation qui existent entre le désir de celui qui
énonce et le désir de l’allocutaire. Les mots eux-mêmes, parfois violents, condamnent ou agressent la
personne malade ; d’autres l’humilient parce que trop savants ou l’inquiètent en raison de malentendus,
chacun se référant à son propre langage.
b) Morcellement de la personne
La médecine est de plus en plus morcelée et spécialisée. Chacun des nombreux intervenants risque de
réduire le malade à la seule partie du corps qu’il explore ou soigne, et la souffrance à l’une de ses
dimensions physique, psychique ou sociale.
c) Objectivation de la personne, réduction de la personne malade ou handicapée au corps
qu’elle a et négation du corps qu’elle est
Cette « objectivation » du malade est imposée par la logique scientifique et technicienne. Là se situe la
première violence.
La personne n’est pas considérée comme un « sujet ». Sa souffrance n’est pas prise en compte dans
sa complexité et sa profondeur. Les symptômes sont privilégiés, puis les désordres biologiques révélés
par les examens souvent systématiques ou d’autres anomalies mises en évidence par des techniques
d’imagerie très performantes.
Ces progrès techniques, au demeurant extraordinaires, effacent la réalité psychique du malade.
Louise Lambrichs (3) souligne le paradoxe de l’approche scientifique médicale : « La démarche
scientifique exclut ce qui ressort de la subjectivité pour atteindre le réel. Le paradoxe auquel se heurte
la démarche scientifique en médecine c’est que l’être humain n’est pas que du réel objectivable (si l’on
définit ainsi l’organique) et que s’il faut parvenir à éliminer l’élément subjectif pour progresser dans la
connaissance de ce réel, dans la réalité, cet élément subjectif –conscient et inconscient- est bel et bien
présent, et même actif ».
d) La primauté de la « vérité » scientifique
Dans la médecine scientifique, l’exactitude de la biologie et des résultats techniques tient lieu de vérité
(plus les technologies se développent moins la parole du malade est nécessaire, le malade manque de
crédibilité si ses propos est nécessaire, le malade manque de crédibilité si ses propos ne sont ni
vérifiables ni mesurables).
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e) Déclin de la clinique et évitement de la confrontation au corps malade
« Les étudiants en médecine, écrit D. Sicard (4), n’aiment plus la clinique car elle leur semble
archaïque, elle les oblige à affronter un corps humain avec tout ce que cela peut comporter de gêne, de
répulsion, de malaise. L’imagerie médicale évite l’affrontement direct du corps, elle révèle
nécessairement un mystère caché, elle donne un statut apparemment objectif à la souffrance, elle
accroît sans fin son champ, refoule les limites de l’univers du corps. Elle opère une chosification de la
subjectivité ».
Conclusion
La personne malade et/ou handicapée attend des soignants une compétence mais aussi une attention
et une compréhension.
Comment déceler ses attentes lorsque la communication devient difficile ? Qu’attend t-elle des
soignants ?
La personne malade ou handicapée attend de ses proches, des accompagnants et des soignants, un
accompagnement respectueux, de l’estime, de la compassion ou une certaine sollicitude.
Cette attente est une invitation à reconnaître en l’autre mon semblable en humanité.
Comme cela est difficile, parfois. L’autre malade, fragile, handicapé, vieilli ou porteur d’altération
mentale, doutant parfois de sa propre valeur et même de sa dignité, nous renvoie notre précarité, notre
fragilité et notre propre vulnérabilité. Il suscite en nous des émotions diverses, des réactions parfois
violentes pouvant aller du rejet à la compassion. Par la qualité des soins et de la relation établie par
eux, nous pouvons l’aider à retrouver une certaine estime de lui-même. Il suffit parfois de la délicatesse
ou de la douceur d’un geste, du temps d’un regard, d’un sourire qui témoigne de notre considération à
son égard.
Seule la sollicitude, telle que la définit P. RICOEUR (5), peut permettre de réduire l’asymétrie de cette
relation et instaurer de la réciprocité :
« Ce que nous donne celui qui souffre, en effet, ne procède pas de sa puissance d’agir mais de sa
faiblesse. Nous faisons l’expérience de recevoir de la faiblesse d’un autre bien plus que ce que nous
pouvons lui donner. C’est peut-être là l’épreuve de la sollicitude, que l’inégalité de puissance vienne à
être compensée par une authentique réciprocité dans l’échange ».
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