CRITIQUES DE LIVRES Secret Warriors Key Scientists, Code

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CRITIQUES DE LIVRES Secret Warriors Key Scientists, Code
CRITIQUES DE LIVRES
affaires étrangères Castlereagh, un homme au comportement quelque
peu fantasque – avaient décrédibilisé les ambitions des Prussiens au
congrès de Vienne et avaient signé avec la France un traité secret
pour s’opposer à la Prusse, de tels soupçons ne sont pas surprenants
du tout. En réalité, Gneisenau s’était emparé d’une copie du traité
qu’un officier français mis aux arrêts avait en sa possession et avait
écrit à Wellington, qui devait remplacer Castlereagh, pour exiger une
explication, et ce, à peine quelques mois avant que les deux nations ne
se retrouvent alliées contre la France. Ainsi, la confiance de Blucher
en Wellington est probablement plus surprenante que la méfiance de
Gneisenau envers ce dernier. Cornwell n’explore pas vraiment les
aspects politiques de cette campagne dans son récit.
Cela étant dit, la narration des batailles, particulièrement de
la bataille de Waterloo, démontre l’excellent talent de narrateur de
Cornwell. Il possède la prose d’un romancier, et sa capacité d’écrire
au présent et au passé dans un même paragraphe insuffle de la vie à
son récit, ou encore agace les lecteurs, selon les préférences de ces
derniers. L’élaboration de ses personnages est celle d’un romancier
accompli, et vient ajouter du caractère au récit et mettre en contexte
les diverses décisions prises au cours de la bataille. Cornwell guide
la chronologie de la bataille avec pragmatisme et s’appuie sur cette
chronologie pour relater son histoire. D’ailleurs, au lieu de décrire le
siège de Hougoumont, l’attaque au centre des troupes de Wellington
et l’avancée de l’armée prussienne à partir de Wavre comme des événements séparés dans le temps, comme le font souvent les auteurs,
Cornwell raconte ces événements dans un ordre temporel, au fil de
la journée. La séquence des événements est donc naturelle et sert à
faire monter habilement la tension du récit.
L’ouvrage est étayé de maintes illustrations d’époque des
événements et personnages principaux qui se mêlent bien au récit. En
outre, les lecteurs apprécieront les cartes et diagrammes bien conçus
Secret Warriors
Key Scientists,
Code-breakers
and Propagandists
of the Great War
par Taylor Downing
Londres, Little, Brown Book Group, 2014
357 pages, 20 livres (couverture en tissu)
ISBN : 978-1-4087-0421-9
Critique de Douglas Agnew
L
e titre du dernier ouvrage
de Taylor Downing, Secret
Warriors, porte légèrement à
confusion. Ce livre ne traite
pas des officiers du renseignement ou des vauriens qui jouent aux espions.
Il traite plutôt des médecins, des membres du
génie et des soldats principalement britanniques, ainsi que du fou occasionnel dont
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qui précèdent la plupart des chapitres et qui les aideront à comprendre
le développement spatial des événements. Il ne s’agit toutefois pas
d’un « ouvrage historique » truffé de notes en bas de page et rédigé
avec aridité. Au contraire, les comptes rendus individuels sont intégrés
au texte et font ressortir l’expérience humaine d’un événement très
cataclysmique. On remarque l’absence d’analyses théoriques, ce qui
donne peut-être lieu à quelques-unes des omissions susmentionnées
(les motifs des préjugés des commandants, les impératifs de la diplomatie alliée et les autres stratégies qui auraient pu être employées
après la bataille), mais telle n’était probablement pas la mission que
s’était donnée Cornwell.
Cornwell analyse la bataille avec l’œil du romancier, et c’est
peut-être une telle approche qui manquait à la littérature exhaustive sur le sujet. Comme Cornwell l’indique dans l’avant-propos
de Sharpe’s Waterloo, les événements du 18 juin 1815 sont déjà
empreints de suspense et de tragédie; le romancier n’a donc nullement besoin d’embellir l’histoire. Pour les lecteurs qui voudraient le
récit théorique et analytique d’une des batailles les plus connues en
Occident, il existe de meilleurs ouvrages de référence. Toutefois, le
nouvel ouvrage de Cornwell saura plaire aux lecteurs qui cherchent
un récit clair et dramatique des événements. En effet, on pourrait faire
valoir qu’il s’agit du récit des quatre jours de la bataille, plutôt que
de leur histoire. Finalement, même si certains lecteurs considèrent
que le point de vue de Cornwell est plutôt anglocentrique, force est
d’admettre qu’il est aussi valable que toute autre perspective sur ce
« bal » plutôt obscur qu’est Waterloo.
Mark Tunnicliffe a servi pendant 35 ans dans la Marine
canadienne, puis 5 ans auprès de Recherche et développement pour
la défense Canada, avant de prendre sa retraite en 2013. Il est maintenant interprète et chercheur bénévole pour le Musée canadien de
la guerre à Ottawa.
les recherches et les expériences ont eu
une incidence importante sur la façon de
mener la guerre, sur les combattants et sur
le front intérieur. Il s’agit également de
l’histoire des politiciens et des institutions
qui leur ont permis de faire leur travail ou
qui ont tout fait pour le détruire.
M. Downing situe le contexte historique. L’Angleterre édouardienne
d’avant-guerre ne représentait pas la fin de
« l’interminable » XIXe siècle. Il ne s’agissait
pas non plus d’une période d’étés langoureux et de pompes impériales, mais plutôt
d’une période de grand optimisme, où les
gens croyaient que l’avenir réservait de nouvelles possibilités stimulantes. Cependant,
l’optimisme n’était pas suffisant. La GrandeBretagne prenait du retard par rapport à ses
concurrents industriels, en l’occurrence
l’Allemagne et les États-Unis. L’armée de
terre et la marine britanniques n’étaient pas
disposées à tirer profit des percées technolo-
Revue militaire canadienne • Vol. 16, N o. 1, hiver 2015
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giques. Presque tous les officiers supérieurs fréquentaient des écoles
publiques et partageaient le mépris propre à leur classe sociale pour
l’industrie et la science. Ils se considéraient comme des professionnels,
et la plupart d’entre eux ne voyaient guère de raisons de modifier
leur façon de mener leurs affaires. M. Downing présente également
la recherche et le développement en temps de guerre d’un point de
vue historique d’après-guerre. Bien que la guerre industrielle-scientifique ait entraîné un massacre sans précédent, elle a également jeté
les bases de la plupart des progrès scientifiques réalisés au cours des
deux décennies suivantes.
L’auteur aborde un terrain connu et traite de Lord Richard
Haldane, secrétaire d’État à la guerre de 1905 à 1912. Réformiste
militaire, Lord Haldane a obtenu le soutien du gouvernement, vaincu
le scepticisme de l’organisation militaire et ajouté une rigueur scientifique à l’étude de l’aviation. M. Downing indique de quelle façon
les vols de reconnaissance effectués par le Royal Flying Corps ont
permis d’obtenir des renseignements précieux au cours de la troisième semaine d’août 1914. Initialement, de tels vols étaient considérés
par certains officiers de l’armée de terre comme une invasion de la
vie privée de l’ennemi. Beaucoup plus tard, au cours de la guerre, ils
ont permis de détecter le mouvement d’un grand nombre de troupes
avant l’offensive allemande de mars 1918. L’auteur parle également
de la préoccupation de Winston Churchill liée au secret le plus total
ainsi que de son incapacité à se rendre compte que les informations
interceptées par la « Room 40 » devaient être systématiquement
analysées et que ces analyses devaient être diffusées. M. Downing
se montre très critique à l’égard de Churchill, mais ne se permet pas
de le condamner.
Il consacre la majeure partie de son ouvrage aux médecins et
aux chirurgiens. Après la fin de la guerre de manœuvres en septembre 1914, les armées des deux camps ont été en mesure d’élaborer
des moyens d’emmener les blessés loin de la ligne de front pour que
ceux-ci puissent recevoir des soins médicaux. Au sein de l’armée britannique, on a doté des postes d’évacuation sanitaire de laboratoires,
d’appareils de radiographie et de salles d’opération. Certains ont
même été consacrés à des traitements particuliers, par exemple les
traumatismes crâniens ou les blessures à l’abdomen. C’est là que l’on
devait procéder à un « cruel calcul » [triage], et les hommes dont les
blessures étaient jugées trop graves recevaient des soins minimaux. De
plus en plus, les scientifiques médicaux et les médecins comprenaient
l’importance de garder les plaies propres, et les cas d’infection telle
que la gangrène ont diminué de 90 p. 100 de 1914 à 1918. Les unités
des armées canadiennes et australiennes ont commencé à faire des
transfusions plus régulièrement, et les méthodes de réfrigération du
sang s’amélioraient lentement. Le Captain Harold Delf Gillies a été
l’un des pionniers de la chirurgie reconstructive. Il a mis au point
des techniques pour reconstruire des visages et effectuer des greffes
d’os et de peau. Ces techniques ont permis à de nombreux soldats
atrocement défigurés de se confronter à nouveau au monde extérieur.
À la fin de 1914, l’armée britannique a noté un nombre croissant
d’hommes qui n’avaient aucune blessure physique ou des blessures
très minimes, mais qui souffraient notamment de paralysie, de tremblements ou de stupeur. L’auteur présente ici Charles Samuel Myers,
un médecin enseignant la psychologie à Cambridge au moment où
la guerre a éclaté. M. Myers a obtenu un poste dans un hôpital privé
de Paris affecté à l’armée britannique. C’est à cet endroit qu’il a
élaboré la théorie selon laquelle le « traumatisme dû aux bombardements » consistait en une commotion cérébrale causée par l’étroite
proximité avec l’explosion des obus, ce qui a contesté la croyance
largement répandue que l’« hystérie » était un signe de faiblesse.
M. Myers a ultérieurement infirmé sa propre théorie et a conclu que
les causes de la grande majorité des cas de traumatismes dus aux
bombardements étaient d’origine psychologique. Il a également
rejeté le terme « traumatisme dû aux bombardements » étant donné
que l’expression ne décrivait pas la vaste gamme de symptômes.
Il a mis en place le principe selon lequel on devait traiter les cas le
plus près possible du front ce qui, de nos jours, est essentiel à toute
intervention psychologique militaire. L’armée britannique a rejeté
l’approche humaine de M. Myers et de ses collègues pour traiter les
traumatismes dus aux bombardements et a préféré les considérer
comme des problèmes de discipline. Des dossiers publiés dans les
années 1990 ont montré que des hommes qui ont été victimes de
la tension découlant de l’une des guerres les plus brutales ont été
exécutés à titre d’exemples, contrairement aux affirmations répétées
du gouvernement britannique.
L’auteur traite également de l’art sombre de la propagande, un
sujet dont la plupart des histoires relatant le conflit ont fait peu de cas,
voire aucun. La bureaucratie propagandiste sous le premier ministre
britannique Lloyd George était dysfonctionnelle. Cependant, les
propagandistes britanniques ont remporté néanmoins certains succès
dignes de mention, ce qui a affaibli l’effort de guerre austro-hongrois
en attisant la flamme de l’indépendance au sein des nombreuses
nationalités qui formaient l’Empire. Ils ont également convaincu de
nombreux Allemands que les Alliés n’avaient rien contre leur peuple,
mais qu’ils étaient déterminés à vaincre les autorités militaristes.
L’ouvrage Secret Warriors comporte quelques faiblesses.
L’auteur effectue parfois des aller-retour dans le temps. On peut
prendre un certain temps avant de comprendre quel est son objectif
en faisant cela. La partie 4 intitulée Doctors and Surgeons en est un
exemple précis. De plus, dans la partie 5, Propagandists, l’auteur
consacre une grande partie aux disputes au sein de la bureaucratie
propagandiste. Tout cela est très passionnant, mais il serait intéressant
d’en apprendre davantage sur la façon dont la propagande était diffusée.
Néanmoins, Taylor Downing est un historien accompli. L’ouvrage
Secret Warriors est bien documenté. Il comprend quelques sources
primaires intéressantes et inhabituelles, notamment l’ouvrage At
G.H.Q. du très controversé Brigadier General John Charteris. Il
s’agit d’un ouvrage informatif et digne d’être lu qui traite de sujets
souvent négligés par les historiens amateurs et professionnels, de
même que par les soldats.
Le major (à la retraite) Douglas Agnew était officier du
renseignement de l’armée de terre. Il a rempli plus récemment
les fonctions de J3-2 Gestion de la collecte au sein du Groupe du
renseignement des Forces canadiennes. Il occupe maintenant le poste
de directeur général d’Insights Incorporated, qui fournit des renseignements à des entreprises qui cherchent des occasions d’investissement.
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