Hommage à Mohammed Arkoun

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Hommage à Mohammed Arkoun
VOTRE VOIX
La Voix de l’Oranie
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N°3306 - DIMANCHE 19 SEPTEMBRE 2010
Hommage à Mohammed Arkoun
PAR LE DR URSULA GUNTHER *
Mohammed Arkoun, passeur
entre les cultures, pionnier d’une islamologie contemporaine critique et
de lectures nouvelles de l’Islam, a tiré
sa révérence dans la nuit du 14 au 15
septembre à Paris. Un personnage clef
d’une conscience islamique contemporaine a quitté la scène. Avec lui, une
voix importante s’éteint. Une voix, qui
invitait ses interlocuteurs de toutes
confessions à changer de perspective,
les confrontant avec leur propre impensé, avec le domaine de l’ombre,
leur posant des questions tues depuis
longtemps.
Mohammed Arkoun était né en
février 1928 à Taourirt-Mimoun, en
Grande Kabylie, dans une modeste
famille. Il apprit très jeune et
douloureusement, qu’en tant que
berbère dans une Algérie colonisée, il
était marginalisé de deux manières
puisqu´il ne parlait –dans un premier
temps–, ni la langue du colonisateur
ni celle du Coran. Grâce au soutien
d´un oncle, il put faire ses études secondaires en Oranie, puis poursuivre
des études de littérature arabe à l´université d´Alger. Elles furent complétées par celle du droit, de la
philosophie et de la géographie.
Agrégé en langue et littérature arabes
à la Sorbonne, il consacrera sa thèse à
Miskawayh, pour démontrer l’existence d’un humanisme arabe jusquelà nié par l´Occident.
Ainsi et après avoir étudié la période classique, il concentra ses
recherches à l’Islam contemporain.
Professeur d’histoire des idées arabes
à Paris Vincennes, il sera nommé, en
1980, directeur du département
d’arabe et d’histoire des idées islamiques à Sorbonne Nouvelle. Dans
le même temps, il dirigea la revue
Arabica, dont il élargit le champ et la
notoriété.
Nommé professeur émérite en
1993, il poursuivit avec dynamisme
ses enseignements en tant que professeur invité dans les universités européennes et américaines. Il
parcourut également d´autres régions
du monde, allant jusqu´en Indonésie
pour y animer des conférences très attendues. Parfait polyglotte, il assurait
ses conférences indifféremment en
anglais, en arabe ou en français. A
relever également son engagement
pour l’Institut des études ismaïliennes
de Londres en tant qu’enseignant et
membre du conseil de surveillance.
Mohammed
Arkoun
dont
l´œuvre a été distinguée par quantité
de Prix, aspirait à repenser l’Islam en
tant que système culturel et religieux.
Cette critique de la raison islamique
s’effectue, de son point de vue, par des
changements radicaux de perspective.
Il exigeait également la pluralité du
sens, même si cela entraîne la fin de
clarté et de l´unité. Pour lui, les
changements de perspective ne pouvaient être introduits qu´en appliquant à l’islamologie les sciences
sociales et humaines de même que
leurs méthodes qu´il complétait et
élargissait par ses propres concepts.
Avec cette approche, il quitte le
ghetto méthodologique de l’islamologie et développe des contre-stratégies.
Ce qui ne rencontre pas forcément
l´adhésion des islamologues «traditionnels». Il s’agit, par exemple, de
son exigence d’une islamologie appliquée ou du concept théorique du
fait islamique et coranique et celui des
sociétés du Livre/livre, de l’impensé
et de l’impensable. Cela a eu une influence considérable sur son approche du Coran et de ses lectures. Il
a vite appliqué l’analyse de l’imaginaire développée par l’École des Annales à des sociétés musulmanes et à
la pensée islamique.
La pensée de Arkoun et les con-
cepts créés et travaillés pendant sa vie
de chercheur sont complexes. On
peut les décrire à l’aide de la métaphore d’un rhizome ou du motif des
étoiles infinies des faïences maures:
un enchevêtrement d’aspects bifurquant, dont on peut difficilement
cerner l’origine et qui se ramifient davantage tout en créant de nouvelles
conjonctions. C’est surtout le rhizome
qui correspond au changement de
paradigme qui était considéré comme
urgent par Arkoun: une approche
globale remplace le regard dualiste, la
pluralité remplace les éléments détachés. Le tout s’accomplit seulement
dans une pluralité de sens et en
plusieurs couches. Mohammed Arkoun n’était pas seulement un intellectuel perspicace et un humaniste de
profonde conviction. Doté d´un sens
de l’humour très subtil, il était aussi
un conférencier passionné et charismatique et un enseignant engagé. Il se
sentait «proche de tout ce qui était capable d’ouvrir des nouvelles routes à
l’intelligence» et se considérait
comme «un intellectuel révolté». Le
monde musulman et occidental ont
perdu en cet éclaireur non seulement
un homme de principes, mais aussi
une irremplaçable voix qui leur
traçait le chemin à parcourir pour se
comprendre et se compléter au lieu de
s´affronter. Homme de dialogue aux
idées fécondes, son action, sa pensée,
ne furent malheureusement pas toujours appréciées à leur juste dimension dans le monde musulman et
particulièrement dans son propre
pays, ce qu´il regrettait secrètement.
Il faudra également encore beaucoup
de temps, y compris aux islamologues
et orientalistes occidentaux, pour
prendre la mesure de son apport et
cesser de voir en lui l´iconoclaste qui
entreprit de remettre en cause leurs
visions étroites et leur monopole. Il
me confiait un jour: «Je suis un allumeur de brasiers» et c´est bien vrai
que
l´islamologie
s´éclairera
longtemps encore des feux de la
réflexion qu´il aura, ici et là, nourrie
de sa fertile pensée.
* Islamologue allemande, le Dr
Ursula Gunther est spécialiste de la
pensée de Mohammed Arkoun. Elle
a consacré de nombreuses
recherches à son œuvre.
L’influence du lobby pro-israélien aux Etats-Unis.
Et en France ...?
PAR YAHIA GOUASMI
Le journal Le Monde du 03/09/2010 et Libération du 01/09/2010 ont consacré chacun un article
de près d’une page sur le poids du lobby sioniste aux
États-Unis, et son influence sur la politique
étrangère américaine. Nous apprenons ainsi que
pour resserrer les liens entre l’administration
Obama et Israël, Susan Sher, secrétaire générale de
Michelle Obama (l’épouse du Président), a été
chargée de faire la liaison entre les élus juifs et les
associations du même type. De leur côté, Dan
Shapiro, responsable du dossier israélo-palestinien
au Conseil national de Sécurité, et Dennis Ross,
conseiller spécial du Président, participent chaque
semaine à une conférence téléphonique avec les
dirigeants des principales organisations sionistes
américaines. On apprend également, par une note
du département d’État que l’administration Obama
a accordé cette année 3 milliards de dollars à Israël
pour sa sécurité, avec un engagement sur 10 ans.
Cette somme représente plus de la moitié de l’aide
militaire internationale des États-Unis. Par ailleurs
au début du mois de juillet, Dan Shapiro avait fait
mention des mesures prises par Obama pour
garantir la supériorité militaire d’Israël, comme par
exemple la demande de 205 millions de dollars au
Congrès pour la production du système israélien de
défense anti-roquettes «Iron Dome».
Connaissez-vous Alan Solow? Il a été élu en
décembre 2008 (après l’élection d’Obama) à la tête
de la Conférence des Présidents des principales organisations juives américaines. C’est un vieil ami
d’Obama depuis sa période à Chicago, et il est ce
que l’on appelle en France depuis l’affaire Bettencourt un «grand donateur» de la campagne électorale démocrate. En 2008, Alan Solow avait
promis: «Obama sera le premier Président juif des
États-Unis» (Libération du 01/09/2010, p.5). Il
ajoute aujourd’hui: «Obama comprend parfaitement l’histoire du peuple juif et l’importance de l’existence d’Israël. Comme nous, il sait aborder les
choses dans toutes leurs perspectives». A qui renvoie ce «nous»? Au peuple américain ou aux sionistes?
Tout cela nous en dit long sur le prétendu
changement de la politique américaine avec Obama
qui a pu faire illusion quelque temps auprès des
bobos parisiens. Stephen Walt, co-auteur de l’excellent ouvrage «Le lobby pro-israélien et la politique
étrangère américaine», paru en français aux éditions La Découverte, précise par ailleurs: «A cause
de ce lobby pro-israélien, Obama ne peut pas faire
vraiment pression sur Israël. Il ne peut pas menacer
de réduire l’aide militaire à Israël. Le Congrès ne le
laisserait pas faire». Cet écrivain a tout à fait raison,
mais malgré son courage et son intelligence il oublie de poser la bonne question: peut-on être investi
et ensuite élu à la présidence des États-Unis, sans le
soutien du lobby pro-israélien à qui on a dû donner
au préalable tous les gages nécessaires de bons et
loyaux services? Ce type de lobby n’a en effet pas
pour habitude de faire confiance sur parole, et à la
légère…
Deux des principaux quotidiens français se sont
donc intéressés, en même temps, au lobby sioniste
des États-Unis et à son influence sur la politique
étrangère américaine. L’un d’eux –Le Monde– va
même jusqu’à évoquer le poids de «l’électorat juif»
en Floride. La teneur de ces articles confirme le
bien-fondé de l’appellation «USraël» lorsque nous
parlons des États-Unis. Avec ou sans Obama, toute
l’administration américaine est sous la coupe de ce
lobby. Son Président actuel n’a fait que donner une
meilleure image de la politique américaine après la
période Bush. En réalité, il s’agit bel et bien de la
même politique mais par d’autres moyens, plus insidieux, plus dissimulés, et ce dans un contexte d’affaiblissement de l’Empire USraélien. D’ailleurs
personne n’attend quoi que ce soit des manœuvres
diplomatiques de cette administration, et en particulier des négociations qui ont commencé à Washington entre «l’Autorité palestinienne» et l’entité
sioniste.
La presse française, comme on vient de le voir,
a ainsi le courage et le savoir-faire pour expliquer à
ses lecteurs le fonctionnement du lobby sioniste aux
États-Unis, et l’inévitable soumission du Président
américain à Israël et à son lobby. Félicitations,
même si nous nous en doutions déjà un peu! Mais
quand aurons-nous dans ces mêmes quotidiens des
articles équivalents sur le lobby sioniste dans notre
pays, et son influence sur la politique française?
Pourquoi la grande presse et la classe politique dans
son ensemble sont-elles si gênées quand on aborde
ce sujet? D’où vient la difficulté à voir et à désigner
ce lobby? Peut-être n’existe-t-il pas diront certains
naïfs, ou d’autres qui font semblant de l’être! Mais
alors, pourquoi une telle soumission au CRIF, à la
LICRA et à toutes ces organisations sionistes qui
font régner leur loi dans l’enseignement, la magistrature, les médias et la politique? A moins que ce
ne soit dû à la peur: peur des procès, peur d’être
qualifié d’antisémite, peur d’être exclu des médias
et plateaux télévisés, peur de se voir stigmatisé et
poursuivi… Demandez donc à M. Dieudonné ce
qu’il en pense!
Voilà donc un sujet de reportage qui serait du
plus haut intérêt pour nos compatriotes français, et
qui leur permettrait sans doute de mieux comprendre certaines réalités. Par exemple, pourquoi
nous parle-t-on abondamment du soldat franco-israélien prisonnier de guerre, Gilad Shalit, et jamais
des 11.000 résistants palestiniens qui croupissent
dans les prisons israéliennes? Pourquoi le gouvernement français soutient-il systématiquement
Israël, et ne demande jamais d’inspection de son arsenal nucléaire? Ces questions suffisent à justifier
des reportages sur le lobby sioniste en France. Et si
les journalistes d’investigation ne savent pas trop
où aller pour réaliser ces reportages, qu’ils n’hésitent pas à nous contacter, nous leur fournirons les
bonnes adresses!
* Le Président du Parti Anti Sioniste de
France

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