Voyage au centre de l`Étoile

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Voyage au centre de l`Étoile
VOYAGE AU CENTRE DE L’ÉTOILE
CE QUE LE COMPAGNON DOIT COMPRENDRE
Lucien Millo
Voyage au centre de
l’Étoile
Ce que le Compagnon
doit comprendre
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Chapitre 1
La quintessence du Grade de
Compagnon Écossais
On ne pouvait entreprendre l’écriture d’un ouvrage
sur le deuxième degré du Rite Écossais Ancien et Accepté
sans évoquer ce qui constitue l’essence même de la pensée
du Compagnonnage.
Il est essentiel de dire qu’il existe un véritable Esprit
spécifique au grade de Compagnon. Ceci est d’autant plus
manifeste que les premières Loges maçonniques, qui ne
connaissaient que deux degrés, ceux d’Apprenti (Entered
Apprentice) et de Compagnon (Fellow Craft), considéraient ce
dernier comme le couronnement du parcours initiatique.
Les principes de ce grade tirent leurs origines du
métier et de l’acte de bâtir, et constituent, pour le Maçon,
des fondamentaux dont il ne pourra plus jamais se départir.
Par ailleurs, le Compagnon est sans conteste un voyageur :
il visite, rencontre, apprend, partage et, surtout, travaille. Il
travaille avec acharnement à la maîtrise du geste (« Gloire au
Travail ! »).
Son Esprit doit s’élargir et, à ce titre, il doit parfaire
le niveau de ses connaissances. Ce n’est qu’à ce prix qu’il va
devenir « Homme Étoile, foyer concentrateur de lumière », mais
non encore diffuseur à ce degré.
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1. Un chemin éclairé pour agir
La route du Compagnon pour accéder à la sagesse
sera semée d’embûches !
Le Rituel le confirme :
«… leur marche sera longue et la route difficile… ».
N’y parvient pas qui veut ! Un guide ne sera pas de
trop.
•
Des Voyages et une Étoile
La volonté de voyager distingue manifestement le
grade de Compagnon des autres. Le Compagnon est prêt à
parcourir le vaste Monde pour en retirer la substantifique
moelle. Pour ce faire, il lui faudra affiner ses sens, les ouvrir,
les envisager les uns après les autres, les exalter, les sublimer.
Après cette découverte des capteurs d’informations que sont
les cinq sens, il pourra partir besace sur le dos (bissac) et canne
à la main (bâton de voyageur), apprendre et comprendre les
Ordres d’Architecture, les Arts Libéraux et découvrir les
limites ou les non-limites de l’Univers en passant devant les
Sphères Céleste et Terrestre. Enfin, il saura que désormais
les outils ne sont plus indispensables pour se mettre en
liaison avec le Grand Architecte de l’Univers. Il sera libre de
progresser « les mains libres », en toute « légèreté ».
Il a vu l’Étoile Flamboyante dès sa cérémonie de passage
et il n’aura de cesse de le réaffirmer à chaque ouverture des
travaux en Chambre de Compagnons. À force de travail, il
deviendra cette Étoile. Rendons-nous à l’évidence, aucun
autre symbole n’est aussi représentatif des lois de l’harmonie
universelle que l’Étoile, dont le graphisme est précisément
régi par la « Divine Proportion », encore appelée « Nombre
d’Or ». En effet, tout ce qui touche aux notions de perfection,
de beauté ou d’harmonie, a été construit sur la base de ce
Nombre d’or et sur le rythme quinaire. D’ailleurs Pythagore,
aîné de Socrate, fit très vite du pentagramme l’emblème de
son école initiatique et le centre de sa pensée, suivi en cela
par Léonard de Vinci qui y inscrivit l’homme, tête levée dans
l’angle supérieur, pieds écartés et solidement ancrés dans
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les deux branches inférieures, tendant les bras dans les deux
branches supérieures, comme pour embrasser l’univers.
Trouverions-nous plus belle et signifiante représentation
graphique du rapport Macrocosme-Microcosme ?
L’Étoile à cinq branches représente l’homme, mais pas
n’importe lequel : l’homme harmonieux, lumineux, équilibré.
Il est appelé à développer en lui un principe plus fort que les
quatre éléments, à surmonter ainsi son animalité et à taire ses
passions. Outre les cinq points, le sixième, invisible, induit
et équidistant des cinq sommets, représente le centre du
pentagramme, mais aussi notre centre intérieur. C’est l’initié
qui a désormais conscience qu’il a en lui l’étincelle divine (la
lettre « G »), celle que le Créateur a placée en sa créature. Ce
centre, où se trouve inscrite la lettre « G », exprime la présence
du principe divin, la prévalence de l’Esprit sur la matière,
la nécessité d’un rapport harmonieux entre l’individu et le
monde extérieur, et l’exigence d’une coordination heureuse
entre son corps et son Esprit. En considérant cette Étoile, l’on
doit comprendre ce précepte fondamental des alchimistes :
« L’œuvre cachée et mystérieuse est en toi ; partout où tu iras, elle
sera avec toi, à condition de ne pas la rechercher au dehors ».
•
Quand l’opératif conduit à l’action
Liée au métier, l’origine opérative du Grade de
Compagnon rappelle que toute démarche ne prend
vraiment corps que lorsqu’elle s’exprime au travers d’une
construction et d’un travail sous-jacent. La contemplation
est notoirement insuffisante. Le Compagnon construit, grâce
à la « Géométrie », son Temple intérieur en découvrant
les préceptes de la « Génération ». De la même façon que
l’homme porteur de « Génie » est celui qui maîtrise l’art de
construire, celui qui relie, au moyen d’un pont qu’il a su
franchir, les deux rives d’un fleuve, entre le microcosme et le
macrocosme, entre lui-même et l’univers. Le Génie impliquet-il la connaissance, la « Gnose » telle que nous l’entendons
sur le plan maçonnique.
Ainsi l’Étoile du Compagnon flamboiera. Ce
flamboiement est le symbole de la divinité qu’il porte en lui
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et de son universalité. Le pentagramme représente la Beauté,
donc le Bien, comme l’harmonie tout autant dans le corps
que dans l’âme. Plus explicitement, l’Étoile Flamboyante
symbolise l’initié qui, maintenant parvenu au deuxième
degré, est en passe d’éclairer le monde et les autres : pour le
moment, la conscience du divin en lui le fait flamboyer (c’està-dire diffuser une lumière non éclairante, mais visible dans
les ténèbres).
Ayant intégré tous les enseignements techniques,
instruit des principes de la Géométrie et des Nombres, il
a mission de réaliser son chef-d’œuvre, ce qui symbolise
parfaitement l’action du Compagnon. C’est « l’œuvre capitale »
qui atteste les compétences acquises par le Compagnon au
cours de ses années de voyage et d’apprentissage. On juge
non seulement la maîtrise technique de l’aspirant, mais aussi
son comportement face aux difficultés du métier, sa patience
et sa ténacité. La présentation, le moment venu, de la tâche
impartie ne constitue pas, à l’évidence, une fin en soi, mais
plutôt une étape de son parcours, un nouveau point de
départ : l’engagement du Compagnon n’est-il pas de faire de
sa vie un chef-d’œuvre, une vie de paix, de travail et d’étude ?
2. Le Compagnon : un initié en route pour la
Lumière
Le Compagnon prend conscience plus encore de
la puissance des Nombres et du rôle qu’ils peuvent jouer
dans l’organisation rationnelle d’une idée, en pénétrant
en profondeur les principes de la géométrie traditionnelle.
Au travers de l’acquisition de techniques et de savoirs
indispensables, l’initié du deuxième degré du Rite Écossais
Ancien et Accepté avance incontestablement sur les chemins
de la Connaissance.
•
Un nouveau rapport au Nombre
Désormais, formé et préparé, le Compagnon découvre
que l’Équerre et le Compas sont entrelacés. Ces deux outils
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permettent de construire l’Étoile à cinq branches. L’Étoile
Flamboyante peut être construite dans un carré, quatre des
cinq pointes joignant les côtés latéraux et le côté inférieur,
mais non le côté supérieur. Selon Jules Boucher : « Il y a là un
rapport métaphysique du plus haut intérêt. L’Étoile Flamboyante…
ne touche pas les ‘‘plans supérieurs’’ ; seuls les cercles tracés avec le
Compas permettent d’y atteindre ».
Nous savons que l’Équerre, outil passif, sert à tracer le
carré, symbole de la terre, et le Compas, outil actif, le cercle,
symbole du ciel. Le cercle est donc au carré ce que le ciel est
à la terre, et l’éternité au temps, mais le carré s’inscrit dans
un cercle, c’est-à-dire que la terre est dépendante du ciel et
non l’inverse. Elle s’acquiert par le travail que tout Maçon
doit glorifier, et par la recherche personnelle du sens caché
des symboles. Par conséquent, il faut se dépouiller pour
se découvrir soi-même, retrouver sa réalité première, son
centre, sa demeure, celle de l’Étoile, invisible, ordonnant
et structurant les cinq branches. Par ce fait, le Nombre
Cinq s’impose au Nombre Quatre, la cinquième essence
ou quintessence prévalant sur le quaternaire des éléments.
Ainsi le Cinq est le nombre de l’homme comme il est celui
du Compagnon. Cinq est la somme de quatre plus un. Le
Un c’est l’Unité, le Créateur qui fertilise la Terre, la Matière
symbolisées par le Quatre.
L’initié a conscience qu’il possède une part de divinité
en lui que, peu à peu, il découvre. Si, de façon différente,
l’on envisage le Cinq sous l’angle du deux plus trois, on fait
référence à l’alliance du binaire, de la dualité représentant
le profane qui, en ayant reçu l’initiation, devient le Trois
(deux plus un), donc l’initié. L’alliance du profane et de
l’initié (autrement de la matérialité et de la spiritualité) est la
représentation du Compagnon, celui qui a dépassé la matière.
Si, dans le monde profane, le Nombre sert presque toujours
à mesurer des quantités, dans le monde initiatique, il prend
une tout autre valeur : il concerne bien plus des qualités
qui servent à penser et à sentir différemment l’homme et
l’Univers comme le rapport qui les régit.
Le Compagnon sait maintenant déceler, dans les
Nombres, leurs propriétés pour évoquer des domaines de
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la métaphysique et de l’Esprit. Il évolue ici dans un monde
parfaitement subtil qui lui permet d’atteindre l’essence des
choses et des êtres.
•
Les enseignements du deuxième degré du Rite Écossais
Ancien et Accepté
En tout premier lieu, l’on ne soulignera jamais assez que
l’acquisition des connaissances se situe cœur de la démarche
Compagnonnique. Nul ne peut prétendre progresser s’il
ne possède les fondamentaux et les méthodes adéquates.
L’accès à la Connaissance passe par les « connaissances ».
Le Compagnon doit être instruit, versé dans toutes les
disciplines. Il se doit de maîtriser tous les talents. C’est ainsi
qu’il sera valablement « équipé » pour aborder les choses
du monde qu’il va être en capacité de bien voir et de bien
comprendre.
En deuxième lieu, relevons que la conscience
de l’univers est le grand acquis du deuxième degré. Le
Compagnon sait que son champ d’investigation ne se limite
pas au seul monde terrestre. Il admet que les « choses d’en
haut » lui sont ouvertes pour peu qu’il veuille se donner la
peine de les approcher. L’homme, par nature limité dans son
existence, cherche un début et une fin ; il n’arrive que très
peu à envisager un univers infini, sans commencement ni fin.
Désormais le Compagnon appréhende sa responsabilité visà-vis de l’univers. Celui qui connaît le contexte dans lequel il
vit, qui a pris la mesure du Bien et du Mal, qui sait d’où il vient
puisque conscient de sa provenance divine, celui-là porte
alors de grandes responsabilités vis-à-vis du Créateur et du
monde dans son entier, ici et maintenant. Il doit désormais
aller inéluctablement dans la voie du « Souverain Bien » et
savoir tendre vers la Lumière.
En troisième lieu, le grade de Compagnon enseigne
l’altruisme à l’initié. Le Compagnon a l’impérieux devoir
de rencontrer ses Frères humains pour s’enrichir d’eux.
Il a pleinement conscience que personne ne détient la
vérité. Après l’égocentrisme du premier degré, il s’ouvre
maintenant à l’autre dans toutes ses différences, convaincu
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que l’autre constitue une véritable source de richesse pour
son épanouissement personnel.
Ce petit texte très révélateur nous aidera à mieux
cerner l’Esprit du deuxième degré du Rite Écossais Ancien
et Accepté :
« Le Compagnonnage, c’est l’application de notre esprit aux
phénomènes dits « objectifs » au monde du dehors, au Non-moi,
afin de comprendre les grandes directives résultant pour l’homme
de la connaissance de la Nature, du Cosmos ».
Le grade de Compagnon est une phase d’ouverture sur
le monde extérieur. C’est un éveil aux merveilles du monde
et de l’Univers au travers d’une méthode pour construire,
apprendre, s’intégrer dans un monde où l’on n’aperçoit
bien souvent que le reflet de la réalité. En dernière analyse,
le deuxième degré du Rite Écossais Ancien et Accepté fait
exister l’initié dans le monde en l’amenant à admirer ses
constructions et à appliquer de nouvelles méthodes de
pensée pour mieux se rapprocher de l’autre et le respecter
pour ce qu’il est en définitive : différent mais si proche !
Nous allons bien sûr aborder à nouveau ces grands
thèmes du grade de Compagnon plus en profondeur dans le
chapitre réservé à l’exégèse de notre Rituel. Mais il paraissait
indispensable d’en faire une synthèse préalable pour celui
qui cherche à comprendre en quelques mots à quoi sert le
deuxième degré dans le parcours initiatique et quelle place y
est la sienne. C’est désormais chose faite.
Maintenant le Compagnon peut entrer « dans les voies
qui lui sont ouvertes… »
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Chapitre 2
Du passé faisons table rase…
S’il y a bien un débat qui anime les Maçons depuis
des lustres, c’est, à n’en pas douter, celui du passage de
l’opératif au spéculatif, le grade de Compagnon se situant,
bien évidemment, au cœur de la question.
La Maçonnerie opérative trouve en effet son origine
dans les racines médiévales des bâtisseurs de cathédrales.
Lorsque s’achève, au XIIe siècle, la construction des monastères,
celle des grandes cathédrales gothiques commence à
Sens, Noyon, Chartres, Paris et Bourges, pour ne citer que
les plus connues d’entre elles. Leurs géniaux bâtisseurs
allaient de chantier en chantier, en travaillant librement où
bon leur semblait. Ces premiers Francs-Maçons, qualifiés
d’» opératifs », possédaient le secret des constructions qu’ils
se transmettaient de Maître à Apprenti.
Georges Duby écrit : « Les Maîtres des maçons, la règle et
le compas en main, connaissent leur métier admirablement bien.
Ils vivaient en familiarité avec des docteurs en théologie, leurs
pairs, qui leur faisaient partager leur science des nombres et des
ordonnances dialectiques. Leurs victoires consistaient à dominer
la résistance du matériau, ceux qui avaient l’esprit incliné vers la
logique plaçaient leur réussite dans la rigueur des géométries ».
Mais cette Franc-Maçonnerie dite opérative ne
franchira pas les siècles et, au fil du temps, elle finira par
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céder la place à une Maçonnerie plus philosophique, dite
spéculative. Aussi faut-il se demander si ce mouvement, qui
a fait passer le Maçon du monde de l’action à celui de la seule
pensée, n’a pas finalement perdu de sa teneur.
À cette question essentielle, nous n’apporterons
certainement pas de réponse définitive, mais nous tenterons
d’en éclaircir certains contours.
1. Le poids de la modernité
Il s’établit donc un passage des Loges de gens de métier
à celles composées majoritairement ou totalement de membres
venant d’horizons divers, pour lesquels le Rituel deviendra
purement symbolique et l’Ordre un organisme voué à la
propagation d’un perfectionnement spéculatif et moral.
•
De l’opératif au spéculatif
Quant à savoir exactement comment s’est effectué
ce passage et quels en furent les motifs, l’évolution de la
société fournit un premier élément de réponse. En effet, sous
l’influence de considérables changements d’ordre « industriel,
social, économique », les Loges opératives admettent des
non-opératifs qui deviennent peu à peu majoritaires. « La
diminution des tâches opératives laisse la loge sans raison d’être, elle
continue en tant que club social durant une période de déclin jusqu’à
ce que la renaissance opérative lui donne un nouveau sens ». Les
facteurs socio-économiques restent la première explication du
changement.
Par ailleurs, des raisons d’ordre politique ont également
contribué à la transition de l’opératif vers le spéculatif. Il s’agissait
de couvrir des réunions secrètes de royalistes et de libéraux
soucieux de paix, de tolérance et de cordialité. Ce souhait légitime
d’apaisement et de réunion autour de la nouvelle dynastie
régnante, le désir de changement, ainsi que l’intérêt pour la
démarche scientifique naissante, ont marqué la mouvance qui a
présidé à la rédaction des Constitutions d’Anderson.
Toutes ces hypothèses n’épuisent pas la question
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pour autant. Si bien que certains ajoutent, aux motivations
des candidats, le désir d’entrer dans une société d’entraide
fraternelle et charitable, chose bien naturelle en ces temps
troublés. On y adjoint l’intérêt pour l’architecture et les
sciences connexes.
Le courant spéculatif, transmis par les hermétistes et
les philosophes, est à la source de l’initiation, car le courant
opératif ne véhicule qu’un aspect moral et de civilité honnête.
Encore convient-il de situer l’époque à laquelle la Fraternité
à délaissé la phase conviviale pour acquérir son « véritable
statut initiatique ». Claude Guérillot estime que la mutation
s’est produite « en France au XVIIIe siècle, dans le cadre de la
maçonnerie dite écossaise ». Plus péremptoire encore, Patrick
Négrier affirme, quant à lui, que « le Compagnonnage de la pierre
n’est pas une initiation, mais une simple fraternité professionnelle
imprégnée de religion et de morale chrétienne, et qu’à ce titre,
ses outils n’étaient pas des symboles, mais des instruments de
travail en leur emploi le plus littéral ». Au demeurant, la
signification métaphysique et éthique demeure la création
originale et personnelle des Maçons acceptés. Cette thèse
typiquement moderniste supprime la filiation traditionnelle,
la transmission de l’influence spirituelle, bref, l’initiation ellemême remplacée par de simples spéculations symboliques
au sein d’une société nouvellement fondée par les hommes
du siècle des Lumières. Elle soutient qu’il y a eu transmission
initiatique de l’essentiel malgré les changements, même si un
amoindrissement inéluctable résulte de la perte de l’aspect
opératif du métier.
•
Un passé sans cesse revisité
La « chaîne traditionnelle » de la transmission
initiatique n’a pas été interrompue. Les formes constitutives
du rite initiatique ont été conservées : préparation du candidat,
prières et invocations, épreuves, serment se référant à Dieu et
à sa révélation, communication des secrets, sont proches de
ce qui existait à l’époque opérative ou ont été rétablis grâce à
l’action des Anciens.
Le propre de la théorie traditionnelle est d’accepter
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toutes les vérités partielles contenues dans des points de
vue limités, en les incluant dans la conception de l’initiation
comme intégration spirituelle de l’être complet : corps,
mental, Esprit, ce premier niveau s’achevant, éventuellement,
dans la réalisation supra-personnelle. Elle constate que
l’évolution de notre société vers la complexification matérielle
s’accompagne d’une part d’ombre imputable à l’oubli de
l’Esprit. Cette tare du matérialisme ambiant a probablement
atteint son sommet. Cette phase est peut-être en voie de
mutation et la réaction contre ses excès semble mener vers la
confusion du psychique et du spirituel, erreur la plus récente
d’un humanisme enclos dans ses limites.
Globalement, au XVIIIe siècle, la Maçonnerie ancienne a
conservé l’essentiel de l’esprit traditionnel opératif. Comme elle
demeure la seule organisation initiatique ouverte, elle sera le
milieu d’accueil obligé pour les restes des initiations moribondes
du Moyen Âge. Celles-ci déposeront en son sein les influences
chevaleresques, hermétiques et kabbalistiques, qui nourriront
la production des hauts grades, sauvant ainsi ce qui pouvait
être conservé en attendant une lointaine renaissance.
Alors, ce transfert vers les temps modernes a-t-il
fait perdre son âme au Maçon ? Le passage de l’opératif au
spéculatif constitue-t-il un progrès ou une dégénérescence
au sens d’un amoindrissement provoqué par la négligence et
l’oubli de tout ce qui est une réalisation ?
2. Progrès ou oubli ?
La Franc-Maçonnerie a-t-elle commis une faute
en ayant mis de côté les techniques opératives au profit
d’enseignements purement spéculatifs ? S’est-elle laissée
griser par la modernité ?
•
De l’initiation réelle à l’initiation virtuelle
Le Maçon n’est plus aujourd’hui opératif selon
l’acception courante qualifiant un homme de métier, expert
dans l’art de bâtir. Le mot opératif ne doit pas être considéré
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uniquement comme un équivalent de « praticien » : il s’agit en fait
de cet accomplissement de l’être qu’est la réalisation initiatique.
Il n’y a pas d’autre réalisation initiatique que celle d’un homme
nouveau débarrassé de ses tourments et de son ignorance.
Être initié ce n’est pas seulement apprendre les
secrets et les mystères, ce qui reviendrait à une simple
appropriation théorique, c’est voir autrement et en réalité
les objets de la vie quotidienne, en purifiant sa vision et en
se transformant soi-même. En ce sens, le véritable caractère
opératif de la Maçonnerie de métier est qu’elle permettait
d’opérer le passage de l’initiation virtuelle, transmise par les
rites véhiculant l’influence spirituelle, à l’initiation réelle, la
réalisation spirituelle, grâce à l’usage conjoint de toutes les
méthodes efficaces en sa possession.
L’aspect positif de la Franc-Maçonnerie spéculative
tient au fait qu’elle a permis la survivance et la transmission
de l’initiation virtuelle aux hommes véritablement désireux
de la recevoir, en dépit des conditions hostiles d’une société
spirituellement décadente et de plus en plus morcelée. Le
mouvement maçonnique a gagné en nombre ce qu’il a perdu
en profondeur individuelle. Mais, et c’est là son aspect négatif,
la Franc-Maçonnerie s’est coupée des moyens de réalisation
que sont l’engagement de tout homme dans l’œuvre et
l’usage des techniques de méditation et d’invocation. Elle
aurait, semble-t-il, oublié ses origines et ce qui faisait sa force.
Comment le Maçon pourrait-il y remédier ?
•
Comment remédier à cet oubli ?
La Franc-Maçonnerie doit impérativement revenir
aux sources.
La survivance de la Franc-Maçonnerie à notre époque,
qualifiée d’âge sombre par les Hindous ou d’âge résiduel
par les Tibétains, témoigne du rôle constructeur qu’elle peut
et doit jouer en venant « au secours des religions » « dans
une période d’obscuration spirituelle presque complète », selon
l’expression d’Albert Lantoine.
Elle ne peut y parvenir qu’en se réappropriant son
fondement transcendant et en se tenant strictement à sa place
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d’ordre initiatique. Ce retour aux principes est la condition
du retour à l’efficacité spirituelle.
La liaison avec le métier étant perdue, sauf pour de
rares individus, les voies qui restent ouvertes sont celles de
l’intériorité. Il s’agira, pour l’initié, de pratiquer une confession
religieuse authentique à titre de minimum vital. Cet engagement
peut d’ailleurs apparaître comme héroïque à une époque où
l’affaissement spirituel des Églises et de leurs clercs a pour effet
de rebuter un nombre croissant de fidèles, toutes confessions
confondues. Il devra exécuter de façon éclairée, rigoureuse et
concentrée, voire de mémoire, un Rituel Maçonnique pratiqué
dans sa pureté originelle aussi éloignée que possible des
altérations modernes, ce qui entraîne la pénétration des symboles
dans et par le cœur. Sur ce que ceci pouvait représenter pour nos
ancêtres opératifs et chrétiens, on trouvera les éclaircissements
nécessaires dans l’œuvre de Jean Tourniac.
D’une façon générale, le calme induit par les techniques
répétitives, corporelles aussi bien qu’internes, est la base
sur laquelle peuvent se développer toutes les techniques de
méditation. En ce domaine, aujourd’hui, le paysan tibétain
illettré l’emporte aisément sur l’intellectuel moderne. On
peut donc supposer légitimement que cette voie était ouverte
au tailleur de pierre. Elle peut l’être au Maçon contemporain.
L’invocation intérieure permanente, jointe à tous les
actes de la vie quotidienne, y compris le travail, est réalisable
partout.
Le retour à la méditation et à la réflexion, qui sont le
propre de la démarche spéculative, constitue une première
réponse évidente pour le Cherchant en Franc-Maçonnerie.
Ce dernier peut aussi intégrer à sa pratique certains principes
que l’on retrouve dans le riche patrimoine méditatif du
bouddhisme, notamment tantrique.
Mais quoi qu’il en soit, le Maçon devra, à moment
donné, « joindre le geste à la parole » car homme d’action
avant tout, il aura su, en bon spéculatif, acquérir les principes
de sagesse au travers d’enseignements non opératifs, mais
aura le devoir d’agir pour changer l’humanité tout entière.
Alors spéculatif ? Oui ! Passif, non !
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