Voyage au centre de l`Étoile
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Voyage au centre de l`Étoile
VOYAGE AU CENTRE DE L’ÉTOILE CE QUE LE COMPAGNON DOIT COMPRENDRE Lucien Millo Voyage au centre de l’Étoile Ce que le Compagnon doit comprendre Ce livre est également disponible en format papier Mise en page : AOC (06000 Nice) www.liberfaber.com Tous droits réservés pour tous pays/ Tutti i diritti riservati. LiberFaber Sarl, 23 boulevard des Moulins 98000 Monaco ISBN 978-2-36580-050-1 Chapitre 1 La quintessence du Grade de Compagnon Écossais On ne pouvait entreprendre l’écriture d’un ouvrage sur le deuxième degré du Rite Écossais Ancien et Accepté sans évoquer ce qui constitue l’essence même de la pensée du Compagnonnage. Il est essentiel de dire qu’il existe un véritable Esprit spécifique au grade de Compagnon. Ceci est d’autant plus manifeste que les premières Loges maçonniques, qui ne connaissaient que deux degrés, ceux d’Apprenti (Entered Apprentice) et de Compagnon (Fellow Craft), considéraient ce dernier comme le couronnement du parcours initiatique. Les principes de ce grade tirent leurs origines du métier et de l’acte de bâtir, et constituent, pour le Maçon, des fondamentaux dont il ne pourra plus jamais se départir. Par ailleurs, le Compagnon est sans conteste un voyageur : il visite, rencontre, apprend, partage et, surtout, travaille. Il travaille avec acharnement à la maîtrise du geste (« Gloire au Travail ! »). Son Esprit doit s’élargir et, à ce titre, il doit parfaire le niveau de ses connaissances. Ce n’est qu’à ce prix qu’il va devenir « Homme Étoile, foyer concentrateur de lumière », mais non encore diffuseur à ce degré. 17 1. Un chemin éclairé pour agir La route du Compagnon pour accéder à la sagesse sera semée d’embûches ! Le Rituel le confirme : «… leur marche sera longue et la route difficile… ». N’y parvient pas qui veut ! Un guide ne sera pas de trop. • Des Voyages et une Étoile La volonté de voyager distingue manifestement le grade de Compagnon des autres. Le Compagnon est prêt à parcourir le vaste Monde pour en retirer la substantifique moelle. Pour ce faire, il lui faudra affiner ses sens, les ouvrir, les envisager les uns après les autres, les exalter, les sublimer. Après cette découverte des capteurs d’informations que sont les cinq sens, il pourra partir besace sur le dos (bissac) et canne à la main (bâton de voyageur), apprendre et comprendre les Ordres d’Architecture, les Arts Libéraux et découvrir les limites ou les non-limites de l’Univers en passant devant les Sphères Céleste et Terrestre. Enfin, il saura que désormais les outils ne sont plus indispensables pour se mettre en liaison avec le Grand Architecte de l’Univers. Il sera libre de progresser « les mains libres », en toute « légèreté ». Il a vu l’Étoile Flamboyante dès sa cérémonie de passage et il n’aura de cesse de le réaffirmer à chaque ouverture des travaux en Chambre de Compagnons. À force de travail, il deviendra cette Étoile. Rendons-nous à l’évidence, aucun autre symbole n’est aussi représentatif des lois de l’harmonie universelle que l’Étoile, dont le graphisme est précisément régi par la « Divine Proportion », encore appelée « Nombre d’Or ». En effet, tout ce qui touche aux notions de perfection, de beauté ou d’harmonie, a été construit sur la base de ce Nombre d’or et sur le rythme quinaire. D’ailleurs Pythagore, aîné de Socrate, fit très vite du pentagramme l’emblème de son école initiatique et le centre de sa pensée, suivi en cela par Léonard de Vinci qui y inscrivit l’homme, tête levée dans l’angle supérieur, pieds écartés et solidement ancrés dans 18 les deux branches inférieures, tendant les bras dans les deux branches supérieures, comme pour embrasser l’univers. Trouverions-nous plus belle et signifiante représentation graphique du rapport Macrocosme-Microcosme ? L’Étoile à cinq branches représente l’homme, mais pas n’importe lequel : l’homme harmonieux, lumineux, équilibré. Il est appelé à développer en lui un principe plus fort que les quatre éléments, à surmonter ainsi son animalité et à taire ses passions. Outre les cinq points, le sixième, invisible, induit et équidistant des cinq sommets, représente le centre du pentagramme, mais aussi notre centre intérieur. C’est l’initié qui a désormais conscience qu’il a en lui l’étincelle divine (la lettre « G »), celle que le Créateur a placée en sa créature. Ce centre, où se trouve inscrite la lettre « G », exprime la présence du principe divin, la prévalence de l’Esprit sur la matière, la nécessité d’un rapport harmonieux entre l’individu et le monde extérieur, et l’exigence d’une coordination heureuse entre son corps et son Esprit. En considérant cette Étoile, l’on doit comprendre ce précepte fondamental des alchimistes : « L’œuvre cachée et mystérieuse est en toi ; partout où tu iras, elle sera avec toi, à condition de ne pas la rechercher au dehors ». • Quand l’opératif conduit à l’action Liée au métier, l’origine opérative du Grade de Compagnon rappelle que toute démarche ne prend vraiment corps que lorsqu’elle s’exprime au travers d’une construction et d’un travail sous-jacent. La contemplation est notoirement insuffisante. Le Compagnon construit, grâce à la « Géométrie », son Temple intérieur en découvrant les préceptes de la « Génération ». De la même façon que l’homme porteur de « Génie » est celui qui maîtrise l’art de construire, celui qui relie, au moyen d’un pont qu’il a su franchir, les deux rives d’un fleuve, entre le microcosme et le macrocosme, entre lui-même et l’univers. Le Génie impliquet-il la connaissance, la « Gnose » telle que nous l’entendons sur le plan maçonnique. Ainsi l’Étoile du Compagnon flamboiera. Ce flamboiement est le symbole de la divinité qu’il porte en lui 19 et de son universalité. Le pentagramme représente la Beauté, donc le Bien, comme l’harmonie tout autant dans le corps que dans l’âme. Plus explicitement, l’Étoile Flamboyante symbolise l’initié qui, maintenant parvenu au deuxième degré, est en passe d’éclairer le monde et les autres : pour le moment, la conscience du divin en lui le fait flamboyer (c’està-dire diffuser une lumière non éclairante, mais visible dans les ténèbres). Ayant intégré tous les enseignements techniques, instruit des principes de la Géométrie et des Nombres, il a mission de réaliser son chef-d’œuvre, ce qui symbolise parfaitement l’action du Compagnon. C’est « l’œuvre capitale » qui atteste les compétences acquises par le Compagnon au cours de ses années de voyage et d’apprentissage. On juge non seulement la maîtrise technique de l’aspirant, mais aussi son comportement face aux difficultés du métier, sa patience et sa ténacité. La présentation, le moment venu, de la tâche impartie ne constitue pas, à l’évidence, une fin en soi, mais plutôt une étape de son parcours, un nouveau point de départ : l’engagement du Compagnon n’est-il pas de faire de sa vie un chef-d’œuvre, une vie de paix, de travail et d’étude ? 2. Le Compagnon : un initié en route pour la Lumière Le Compagnon prend conscience plus encore de la puissance des Nombres et du rôle qu’ils peuvent jouer dans l’organisation rationnelle d’une idée, en pénétrant en profondeur les principes de la géométrie traditionnelle. Au travers de l’acquisition de techniques et de savoirs indispensables, l’initié du deuxième degré du Rite Écossais Ancien et Accepté avance incontestablement sur les chemins de la Connaissance. • Un nouveau rapport au Nombre Désormais, formé et préparé, le Compagnon découvre que l’Équerre et le Compas sont entrelacés. Ces deux outils 20 permettent de construire l’Étoile à cinq branches. L’Étoile Flamboyante peut être construite dans un carré, quatre des cinq pointes joignant les côtés latéraux et le côté inférieur, mais non le côté supérieur. Selon Jules Boucher : « Il y a là un rapport métaphysique du plus haut intérêt. L’Étoile Flamboyante… ne touche pas les ‘‘plans supérieurs’’ ; seuls les cercles tracés avec le Compas permettent d’y atteindre ». Nous savons que l’Équerre, outil passif, sert à tracer le carré, symbole de la terre, et le Compas, outil actif, le cercle, symbole du ciel. Le cercle est donc au carré ce que le ciel est à la terre, et l’éternité au temps, mais le carré s’inscrit dans un cercle, c’est-à-dire que la terre est dépendante du ciel et non l’inverse. Elle s’acquiert par le travail que tout Maçon doit glorifier, et par la recherche personnelle du sens caché des symboles. Par conséquent, il faut se dépouiller pour se découvrir soi-même, retrouver sa réalité première, son centre, sa demeure, celle de l’Étoile, invisible, ordonnant et structurant les cinq branches. Par ce fait, le Nombre Cinq s’impose au Nombre Quatre, la cinquième essence ou quintessence prévalant sur le quaternaire des éléments. Ainsi le Cinq est le nombre de l’homme comme il est celui du Compagnon. Cinq est la somme de quatre plus un. Le Un c’est l’Unité, le Créateur qui fertilise la Terre, la Matière symbolisées par le Quatre. L’initié a conscience qu’il possède une part de divinité en lui que, peu à peu, il découvre. Si, de façon différente, l’on envisage le Cinq sous l’angle du deux plus trois, on fait référence à l’alliance du binaire, de la dualité représentant le profane qui, en ayant reçu l’initiation, devient le Trois (deux plus un), donc l’initié. L’alliance du profane et de l’initié (autrement de la matérialité et de la spiritualité) est la représentation du Compagnon, celui qui a dépassé la matière. Si, dans le monde profane, le Nombre sert presque toujours à mesurer des quantités, dans le monde initiatique, il prend une tout autre valeur : il concerne bien plus des qualités qui servent à penser et à sentir différemment l’homme et l’Univers comme le rapport qui les régit. Le Compagnon sait maintenant déceler, dans les Nombres, leurs propriétés pour évoquer des domaines de 21 la métaphysique et de l’Esprit. Il évolue ici dans un monde parfaitement subtil qui lui permet d’atteindre l’essence des choses et des êtres. • Les enseignements du deuxième degré du Rite Écossais Ancien et Accepté En tout premier lieu, l’on ne soulignera jamais assez que l’acquisition des connaissances se situe cœur de la démarche Compagnonnique. Nul ne peut prétendre progresser s’il ne possède les fondamentaux et les méthodes adéquates. L’accès à la Connaissance passe par les « connaissances ». Le Compagnon doit être instruit, versé dans toutes les disciplines. Il se doit de maîtriser tous les talents. C’est ainsi qu’il sera valablement « équipé » pour aborder les choses du monde qu’il va être en capacité de bien voir et de bien comprendre. En deuxième lieu, relevons que la conscience de l’univers est le grand acquis du deuxième degré. Le Compagnon sait que son champ d’investigation ne se limite pas au seul monde terrestre. Il admet que les « choses d’en haut » lui sont ouvertes pour peu qu’il veuille se donner la peine de les approcher. L’homme, par nature limité dans son existence, cherche un début et une fin ; il n’arrive que très peu à envisager un univers infini, sans commencement ni fin. Désormais le Compagnon appréhende sa responsabilité visà-vis de l’univers. Celui qui connaît le contexte dans lequel il vit, qui a pris la mesure du Bien et du Mal, qui sait d’où il vient puisque conscient de sa provenance divine, celui-là porte alors de grandes responsabilités vis-à-vis du Créateur et du monde dans son entier, ici et maintenant. Il doit désormais aller inéluctablement dans la voie du « Souverain Bien » et savoir tendre vers la Lumière. En troisième lieu, le grade de Compagnon enseigne l’altruisme à l’initié. Le Compagnon a l’impérieux devoir de rencontrer ses Frères humains pour s’enrichir d’eux. Il a pleinement conscience que personne ne détient la vérité. Après l’égocentrisme du premier degré, il s’ouvre maintenant à l’autre dans toutes ses différences, convaincu 22 que l’autre constitue une véritable source de richesse pour son épanouissement personnel. Ce petit texte très révélateur nous aidera à mieux cerner l’Esprit du deuxième degré du Rite Écossais Ancien et Accepté : « Le Compagnonnage, c’est l’application de notre esprit aux phénomènes dits « objectifs » au monde du dehors, au Non-moi, afin de comprendre les grandes directives résultant pour l’homme de la connaissance de la Nature, du Cosmos ». Le grade de Compagnon est une phase d’ouverture sur le monde extérieur. C’est un éveil aux merveilles du monde et de l’Univers au travers d’une méthode pour construire, apprendre, s’intégrer dans un monde où l’on n’aperçoit bien souvent que le reflet de la réalité. En dernière analyse, le deuxième degré du Rite Écossais Ancien et Accepté fait exister l’initié dans le monde en l’amenant à admirer ses constructions et à appliquer de nouvelles méthodes de pensée pour mieux se rapprocher de l’autre et le respecter pour ce qu’il est en définitive : différent mais si proche ! Nous allons bien sûr aborder à nouveau ces grands thèmes du grade de Compagnon plus en profondeur dans le chapitre réservé à l’exégèse de notre Rituel. Mais il paraissait indispensable d’en faire une synthèse préalable pour celui qui cherche à comprendre en quelques mots à quoi sert le deuxième degré dans le parcours initiatique et quelle place y est la sienne. C’est désormais chose faite. Maintenant le Compagnon peut entrer « dans les voies qui lui sont ouvertes… » 23 Chapitre 2 Du passé faisons table rase… S’il y a bien un débat qui anime les Maçons depuis des lustres, c’est, à n’en pas douter, celui du passage de l’opératif au spéculatif, le grade de Compagnon se situant, bien évidemment, au cœur de la question. La Maçonnerie opérative trouve en effet son origine dans les racines médiévales des bâtisseurs de cathédrales. Lorsque s’achève, au XIIe siècle, la construction des monastères, celle des grandes cathédrales gothiques commence à Sens, Noyon, Chartres, Paris et Bourges, pour ne citer que les plus connues d’entre elles. Leurs géniaux bâtisseurs allaient de chantier en chantier, en travaillant librement où bon leur semblait. Ces premiers Francs-Maçons, qualifiés d’» opératifs », possédaient le secret des constructions qu’ils se transmettaient de Maître à Apprenti. Georges Duby écrit : « Les Maîtres des maçons, la règle et le compas en main, connaissent leur métier admirablement bien. Ils vivaient en familiarité avec des docteurs en théologie, leurs pairs, qui leur faisaient partager leur science des nombres et des ordonnances dialectiques. Leurs victoires consistaient à dominer la résistance du matériau, ceux qui avaient l’esprit incliné vers la logique plaçaient leur réussite dans la rigueur des géométries ». Mais cette Franc-Maçonnerie dite opérative ne franchira pas les siècles et, au fil du temps, elle finira par 25 céder la place à une Maçonnerie plus philosophique, dite spéculative. Aussi faut-il se demander si ce mouvement, qui a fait passer le Maçon du monde de l’action à celui de la seule pensée, n’a pas finalement perdu de sa teneur. À cette question essentielle, nous n’apporterons certainement pas de réponse définitive, mais nous tenterons d’en éclaircir certains contours. 1. Le poids de la modernité Il s’établit donc un passage des Loges de gens de métier à celles composées majoritairement ou totalement de membres venant d’horizons divers, pour lesquels le Rituel deviendra purement symbolique et l’Ordre un organisme voué à la propagation d’un perfectionnement spéculatif et moral. • De l’opératif au spéculatif Quant à savoir exactement comment s’est effectué ce passage et quels en furent les motifs, l’évolution de la société fournit un premier élément de réponse. En effet, sous l’influence de considérables changements d’ordre « industriel, social, économique », les Loges opératives admettent des non-opératifs qui deviennent peu à peu majoritaires. « La diminution des tâches opératives laisse la loge sans raison d’être, elle continue en tant que club social durant une période de déclin jusqu’à ce que la renaissance opérative lui donne un nouveau sens ». Les facteurs socio-économiques restent la première explication du changement. Par ailleurs, des raisons d’ordre politique ont également contribué à la transition de l’opératif vers le spéculatif. Il s’agissait de couvrir des réunions secrètes de royalistes et de libéraux soucieux de paix, de tolérance et de cordialité. Ce souhait légitime d’apaisement et de réunion autour de la nouvelle dynastie régnante, le désir de changement, ainsi que l’intérêt pour la démarche scientifique naissante, ont marqué la mouvance qui a présidé à la rédaction des Constitutions d’Anderson. Toutes ces hypothèses n’épuisent pas la question 26 pour autant. Si bien que certains ajoutent, aux motivations des candidats, le désir d’entrer dans une société d’entraide fraternelle et charitable, chose bien naturelle en ces temps troublés. On y adjoint l’intérêt pour l’architecture et les sciences connexes. Le courant spéculatif, transmis par les hermétistes et les philosophes, est à la source de l’initiation, car le courant opératif ne véhicule qu’un aspect moral et de civilité honnête. Encore convient-il de situer l’époque à laquelle la Fraternité à délaissé la phase conviviale pour acquérir son « véritable statut initiatique ». Claude Guérillot estime que la mutation s’est produite « en France au XVIIIe siècle, dans le cadre de la maçonnerie dite écossaise ». Plus péremptoire encore, Patrick Négrier affirme, quant à lui, que « le Compagnonnage de la pierre n’est pas une initiation, mais une simple fraternité professionnelle imprégnée de religion et de morale chrétienne, et qu’à ce titre, ses outils n’étaient pas des symboles, mais des instruments de travail en leur emploi le plus littéral ». Au demeurant, la signification métaphysique et éthique demeure la création originale et personnelle des Maçons acceptés. Cette thèse typiquement moderniste supprime la filiation traditionnelle, la transmission de l’influence spirituelle, bref, l’initiation ellemême remplacée par de simples spéculations symboliques au sein d’une société nouvellement fondée par les hommes du siècle des Lumières. Elle soutient qu’il y a eu transmission initiatique de l’essentiel malgré les changements, même si un amoindrissement inéluctable résulte de la perte de l’aspect opératif du métier. • Un passé sans cesse revisité La « chaîne traditionnelle » de la transmission initiatique n’a pas été interrompue. Les formes constitutives du rite initiatique ont été conservées : préparation du candidat, prières et invocations, épreuves, serment se référant à Dieu et à sa révélation, communication des secrets, sont proches de ce qui existait à l’époque opérative ou ont été rétablis grâce à l’action des Anciens. Le propre de la théorie traditionnelle est d’accepter 27 toutes les vérités partielles contenues dans des points de vue limités, en les incluant dans la conception de l’initiation comme intégration spirituelle de l’être complet : corps, mental, Esprit, ce premier niveau s’achevant, éventuellement, dans la réalisation supra-personnelle. Elle constate que l’évolution de notre société vers la complexification matérielle s’accompagne d’une part d’ombre imputable à l’oubli de l’Esprit. Cette tare du matérialisme ambiant a probablement atteint son sommet. Cette phase est peut-être en voie de mutation et la réaction contre ses excès semble mener vers la confusion du psychique et du spirituel, erreur la plus récente d’un humanisme enclos dans ses limites. Globalement, au XVIIIe siècle, la Maçonnerie ancienne a conservé l’essentiel de l’esprit traditionnel opératif. Comme elle demeure la seule organisation initiatique ouverte, elle sera le milieu d’accueil obligé pour les restes des initiations moribondes du Moyen Âge. Celles-ci déposeront en son sein les influences chevaleresques, hermétiques et kabbalistiques, qui nourriront la production des hauts grades, sauvant ainsi ce qui pouvait être conservé en attendant une lointaine renaissance. Alors, ce transfert vers les temps modernes a-t-il fait perdre son âme au Maçon ? Le passage de l’opératif au spéculatif constitue-t-il un progrès ou une dégénérescence au sens d’un amoindrissement provoqué par la négligence et l’oubli de tout ce qui est une réalisation ? 2. Progrès ou oubli ? La Franc-Maçonnerie a-t-elle commis une faute en ayant mis de côté les techniques opératives au profit d’enseignements purement spéculatifs ? S’est-elle laissée griser par la modernité ? • De l’initiation réelle à l’initiation virtuelle Le Maçon n’est plus aujourd’hui opératif selon l’acception courante qualifiant un homme de métier, expert dans l’art de bâtir. Le mot opératif ne doit pas être considéré 28 uniquement comme un équivalent de « praticien » : il s’agit en fait de cet accomplissement de l’être qu’est la réalisation initiatique. Il n’y a pas d’autre réalisation initiatique que celle d’un homme nouveau débarrassé de ses tourments et de son ignorance. Être initié ce n’est pas seulement apprendre les secrets et les mystères, ce qui reviendrait à une simple appropriation théorique, c’est voir autrement et en réalité les objets de la vie quotidienne, en purifiant sa vision et en se transformant soi-même. En ce sens, le véritable caractère opératif de la Maçonnerie de métier est qu’elle permettait d’opérer le passage de l’initiation virtuelle, transmise par les rites véhiculant l’influence spirituelle, à l’initiation réelle, la réalisation spirituelle, grâce à l’usage conjoint de toutes les méthodes efficaces en sa possession. L’aspect positif de la Franc-Maçonnerie spéculative tient au fait qu’elle a permis la survivance et la transmission de l’initiation virtuelle aux hommes véritablement désireux de la recevoir, en dépit des conditions hostiles d’une société spirituellement décadente et de plus en plus morcelée. Le mouvement maçonnique a gagné en nombre ce qu’il a perdu en profondeur individuelle. Mais, et c’est là son aspect négatif, la Franc-Maçonnerie s’est coupée des moyens de réalisation que sont l’engagement de tout homme dans l’œuvre et l’usage des techniques de méditation et d’invocation. Elle aurait, semble-t-il, oublié ses origines et ce qui faisait sa force. Comment le Maçon pourrait-il y remédier ? • Comment remédier à cet oubli ? La Franc-Maçonnerie doit impérativement revenir aux sources. La survivance de la Franc-Maçonnerie à notre époque, qualifiée d’âge sombre par les Hindous ou d’âge résiduel par les Tibétains, témoigne du rôle constructeur qu’elle peut et doit jouer en venant « au secours des religions » « dans une période d’obscuration spirituelle presque complète », selon l’expression d’Albert Lantoine. Elle ne peut y parvenir qu’en se réappropriant son fondement transcendant et en se tenant strictement à sa place 29 d’ordre initiatique. Ce retour aux principes est la condition du retour à l’efficacité spirituelle. La liaison avec le métier étant perdue, sauf pour de rares individus, les voies qui restent ouvertes sont celles de l’intériorité. Il s’agira, pour l’initié, de pratiquer une confession religieuse authentique à titre de minimum vital. Cet engagement peut d’ailleurs apparaître comme héroïque à une époque où l’affaissement spirituel des Églises et de leurs clercs a pour effet de rebuter un nombre croissant de fidèles, toutes confessions confondues. Il devra exécuter de façon éclairée, rigoureuse et concentrée, voire de mémoire, un Rituel Maçonnique pratiqué dans sa pureté originelle aussi éloignée que possible des altérations modernes, ce qui entraîne la pénétration des symboles dans et par le cœur. Sur ce que ceci pouvait représenter pour nos ancêtres opératifs et chrétiens, on trouvera les éclaircissements nécessaires dans l’œuvre de Jean Tourniac. D’une façon générale, le calme induit par les techniques répétitives, corporelles aussi bien qu’internes, est la base sur laquelle peuvent se développer toutes les techniques de méditation. En ce domaine, aujourd’hui, le paysan tibétain illettré l’emporte aisément sur l’intellectuel moderne. On peut donc supposer légitimement que cette voie était ouverte au tailleur de pierre. Elle peut l’être au Maçon contemporain. L’invocation intérieure permanente, jointe à tous les actes de la vie quotidienne, y compris le travail, est réalisable partout. Le retour à la méditation et à la réflexion, qui sont le propre de la démarche spéculative, constitue une première réponse évidente pour le Cherchant en Franc-Maçonnerie. Ce dernier peut aussi intégrer à sa pratique certains principes que l’on retrouve dans le riche patrimoine méditatif du bouddhisme, notamment tantrique. Mais quoi qu’il en soit, le Maçon devra, à moment donné, « joindre le geste à la parole » car homme d’action avant tout, il aura su, en bon spéculatif, acquérir les principes de sagesse au travers d’enseignements non opératifs, mais aura le devoir d’agir pour changer l’humanité tout entière. Alors spéculatif ? Oui ! Passif, non ! 30 Continuez la lecture sur www.liberfaber.com Retrouvez l’ouvrage de Lucien Millo à l’adresse suivante http://liberfaber.com/fr/es oterisme/produit-voyageau-centre-de-l-etoile.html