Le rôle de la Banque européenne d

Transcription

Le rôle de la Banque européenne d
Le rôle de la Banque européenne
d’investissement (BEI) en matière
de développement
Les mandats externes de la BEI
Avec environ 6,1 milliards d’euros de prêts hors de
l’Union européenne (UE) en 2008, la Banque européenne
d’investissement (BEI) est une institution financière clef
au niveau mondial. Elle agit au nom de l’UE et des Etats
membres de l’UE, qui sont ses actionnaires.
Les prêts de la BEI dans les pays en développement
sont régis par différents mandats, selon la région dans
laquelle elle opère.
Le Conseil européen accorde ces mandats à la Banque.
Ceux-ci identifient les priorités d’action de la Banque,
et lui offrent une garantie de la Communauté
européenne pour tous ses prêts hors de l’UE, ce qui la
protège contre tout risque de perte dans des marchés
plus risqués.
Les prêts dans la région Afrique, Caraïbes, Pacifique
(ACP) sont régis par les accords de Cotonou, alors que
pour l’Asie, l’Asie Centrale, l’Amérique latine et les pays
voisins et en pré-adhésion (Méditerranée, Europe de
l’Est, Sud du Caucase et Russie) un mandat externe a été
adopté par le Conseil en décembre 2006 pour la période
2007-2013. Il inclut une garantie communautaire jusqu’à
27,8 milliards d’euros, contre 20,7 milliards d’euros pour
le précédent mandat qui couvrait la période 2000-2006.
La BEI dans les pays ACP
L’accord de Cotonou, signé en 2000, gouverne les
prêts de la BEI dans les 79 pays ACP, qui doivent
se concentrer sur les investissements du secteur
privé dans les transports, l’eau, l’énergie et les
télécommunications. La BEI prête sur ses ressources
propres, et en plus, gère de plus en plus les ressources
du Fond Européen pour le Développement, financé par
les Etats membres et administré par la Commission
européenne.
En vertu des accords de Cotonou, la BEI gère également
la Facilité d’Investissement des accords de Cotonou,
un instrument de partage des risques créé en juin 2003.
Pour la période 2003-2007, la Facilité d’investissement
Cotonou a fourni 3,924 milliards d’euros. 3,5 milliards
d’euros supplémentaires ont été alloués pour
2008-2013.
L’accord de Cotonou dispose que la BEI travaille
à « la réduction et, à terme, l’éradication de la
pauvreté et l’intégration progressive des États
d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) dans
l’économie mondiale, tout en respectant les objectifs
du développement durable. » Cela exige, entre
1
Kazakhstan, Kyrgyzstan, Tajikistan, Turkmenistan, Uzbekistan.
“Counter Balance : Réformer la Banque
européenne d’investissement” (BEI) est une
campagne lancée par un réseau d’ONG
européennes pour que la BEI contribue aux
objectifs de développement de l’UE, tels que
l’éradication de la pauvreté, la promotion
du développement durable et la réalisation
des Objectifs du millénaire pour
le développement (OMD).
Cette fiche fait partie du kit de campagne
autre, le respect des droits humains, des principes
démocratiques et de la règle de droit, ainsi qu’un
engagement pour un environnement politique stable et
une gestion soutenable et équitable des ressources.
La BEI et les Etats voisins et du Sud
Alors que l’accord de Cotonou place clairement les
opérations de la BEI dans le cadre de la politique
européenne de développement, ce n’est pas le cas dans
les autres régions. Le mandat actuel de la BEI (voté en
2006) établit différentes priorités selon les régions, et
vise différents objectifs, notamment la promotion des
investissement directs étrangers des Etats européens.
En vertu de la Politique Européenne de Voisinage (PEV),
la BEI a vu ses activités de prêts dans les pays voisins
être augmentées, jusqu’à obtenir un mandat de 12,4
milliards d’euros pour la période 2007-2013. Cela couvre
les pays du sud du Caucase qui n’étaient pas éligibles
aux financements de la BEI dans le précédent mandat,
et la Russie, où auparavant le mandat se limitait
à un projet de protection de l’environnement
à St Petersbourg.
En Asie et Amérique latine, la BEI a un mandat
de 3,8 milliards d’euros pour 2007-2013, ce qui
représente une augmentation de taille par rapport
à son précédent mandat de 2,48 milliards d’euros
en 2000-2006. Les objectifs fixés pour cette région
comprennent la coopération économique à travers des
investissements directs étrangers de l’UE, la protection
de l’environnement – notamment l’atténuation
des changements climatiques – et des projets qui
contribuent à la sécurité énergétique de l’UE.
En novembre 2008, le Conseil européen a étendu le
mandat de la BEI à cinq Etats d’Asie Centrale,1 malgré
Le rôle de la Banque européenne d’investissement (BEI) en matière de développement
les avertissements du Parlement européen sur la
situation de ces pays en matière de développement, de
démocratie et de respect du droit dans ces pays.
Dans la région méditerranéenne, la BEI émerge de plus
en plus comme le plus gros bailleur de fonds, avec 8,7
milliards d’euros disponibles pour la période 2007-2013
en vertu de la PEV. La Facilité euro-méditerranéenne
d’investissement et de partenariat (FEMIP, 2002) et la
FEMIP renforcée (2003) regroupent les instruments
d’intervention de la BEI en faveur du développement
économique des pays partenaires méditerranéens.
En 2006, 44% des prêts FEMIP (sur un total de 1,354
milliards d’euros) sont allés au secteur de l’énergie.
Le soutien au secteur privé et les investissements dans
les infrastructures resteront des priorités dans la région.
Le portefeuille de développement
de la BEI
Entre 2003 et 2008, la Facilité d’investissement de la BEI
s’est engagée dans 139 projets dans des pays ACP.
Les prêts de la BEI ont été vivement critiqués par les
parlementaires et des organisations de la société civile,
à la fois en Europe et dans les pays du Sud, en raison de
l’absence de normes et procédures environnementales,
sociales et de développement claires et contraignantes
de la BEI, et à cause de l’incapacité de cette dernière
à financer un développement soutenable dans les
régions où elle intervient.
Les activités de la BEI dans les pays en développement
ne sont pas aussi documentées que celles d’autres
institutions financières internationales, comme
la Banque mondiale ou des banques de développement
régionales comme la Banque asiatique de
développement.
Compte tenu de l’implication importante de la BEI dans
les pays en développement, sur la base de différents
mandats, il est alarmant que la BEI ait si peu de capacité
pour examiner sérieusement les projets qu’elle finance,
et encore moins la possibilité d’assurer un contrôle lors
de leur mise en œuvre.
En outre, peu d’informations sont rendues publiques
durant l’évaluation des projets. En particulier, les
contrats financiers, dans lesquelles sont établies
les responsabilités du promoteur du projet, sont
confidentiels. Cela empêche tout examen public de ces
projets et une évaluation informée de leur contribution
à l’éradication de la pauvreté et au développement
soutenable dans les pays bénéficiaires.
La BEI continue aussi de soutenir des projets
controversés dans le secteur minier et les
infrastructures. C’est le cas du projet de barrage
Bujagali, contesté depuis des années par des activistes
en Ouganda et partout dans le monde en raison des
dangers qu’il représente pour la pêche et le tourisme
dans la région, des risques potentiels pour le lac Victoria
et de son incapacité à fournir de l’électricité à un prix
abordable pour la population ougandaise. Le projet
a également été bloqué pendant des années à cause
de problèmes chroniques de corruption. Malgré ces
avertissements, la BEI a approuvé un 2007 un prêt de 92
millions d’euros pour ce projet.
La même année, la BEI a approuvé un prêt de 100
millions d’euros pour le projet minier de Tenke
Fungurume en République Démocratique du Congo
(RDC). Il s’agit de l’un des plus grand gisement de cuivre
et cobalt au monde. L’entreprise américaine Freeport
McMoRan (anciennement Phelps Dodge) et Tenke Mining
Canada détiennent la majorité des parts dans le projet.
La base légale du projet Tenke est un contrat entre
le gouvernement congolais et le consortium.
Il s’agit de l’un des 60 contrats miniers signés pendant
la guerre et la période de transition en RDC, qui ont
été revus par une commission interministérielle de
Kinshasa. Les contrats sont soupçonnés d’irrégularité,
notamment d’opacité, de conflits d’intérêts non déclarés,
de versements douteux, et d’inclusion de clauses très
défavorables à la RDC.
En outre, le financement de projets miniers de grande
envergure ne correspond à aucune priorité définie par
l’UE dans sa politique de coopération avec la RDC.
Le projet ne permet pas non plus de contribuer aux
objectifs des accords de Cotonou (réduction de la
pauvreté et développement durable), l’extraction de
minerai étant une activité non-durable par définition.
L’examen à mi-parcours du mandat
externe de la BEI
Le mandat de la BEI pour intervenir hors de l’UE, sauf
pour la région ACP et les pays en voie d’adhésion, est
en cours de révision par un « Comité des Sages ». Ce
processus d’évaluation à mi-parcours a été décidé par
le Conseil européen lors du vote du dernier mandat de
la BEI, en réponse aux opinions divergentes des Etats
membres sur le rôle de la Banque. Il est vu comme
une opportunité cruciale pour faire évoluer la BEI.
L’évaluation du Panel est attendue en juin 2010.
La société civile a demandé à la Commission
européenne, à la BEI et aux Etats membres d’étendre
Le rôle de la Banque européenne d’investissement (BEI) en matière de développement
la portée de cet examen pour qu’il ne s’agisse pas d’un
simple exercice technique, mais d’une évaluation de
l’efficacité de la BEI en tant qu’outil de l’aide européenne
aux pays en développement.
Les résultats de ce processus auront un impact
direct sur la structure de la finance européenne, avec
l’évaluation du mandat de la BEI dans la zone ACP qui
aura aussi lieu en 2010 avec la révision de l’accord de
Cotonou.
Activités de la BEI dans le monde
La décision de la CJCE représente une avancée
historique, car elle reconnaît que la BEI doit soutenir
les objectifs des politiques communautaires de
développement dans ses opérations en Asie, Amérique
latine, et pays voisins et en pré-adhésion.
Cependant, en raison de l’élection d’un nouveau
Parlement européen en juin 2009, le mandat actuel
de la BEI a été étendu jusqu’au 31 octobre 2011.
La Commission européenne devrait faire une première
proposition de nouveau mandat au Parlement en avril
2010.
La stratégie de l’UE pour aider les pays
développés face à la crise
Prêts de la BEI dans l’UE
Prêts de la BEI hors de l’UE
Pays dont l’admissibilité aux prêts de la BEI sous garantie
communautaire sera décidée par le Conseil au cas par cas
Prêts de la BEI en 2007-2013 en millions d’euros :
Pays pré-adhésion – 8700; Pays méditerranéens – 8700;
Europe de l’Est, Sud Caucase et Russie – 3700 ;
Afrique du Sud – 900 ; Asie – 1000 ; Amérique latine – 2800 ;
Total : 27,8 milliards d’euros, contre 20,7 milliards d’euros pour
2000-2006.
Source : Décision du Conseil européen du 12/12/2006, 16058/06.
Disponible sur : /register.consilium.europa.eu/pdf/en/06/st16/st16058.en06.pdf/
La décision de la Cour de Justice
des Communautés Européennes (CJCE)
Le 6 novembre 2008, la Cour de Justice des
Communautés Européennes (CJCE) a rendu un
jugement important. Elle a annulé le mandat externe
de la BEI voté par le Conseil en 2006. La CJCE a décidé
qu’une nouvelle décision devait être adoptée sur une
base légale différente dans les 12 mois suivant son
jugement, et que le Parlement européen aurait alors un
rôle de co-décideur.
Ce jugement fait suite à des demandes répétées du
Parlement européen d’avoir un pouvoir de co-décision
dans l’adoption du mandat externe de la BEI.
La BEI risque de devenir un acteur encore plus
important dans les années à venir, dans le contexte
de la crise financière, et des stratégies européennes
(nouvelles ou révisées) pour aider les pays en
développement. Dans sa communication annuelle sur
le financement du développement, publiée en avril,
la Commission européenne a clairement indiqué que
la BEI pourrait être un outil central pour faire face aux
nouveaux défis ayant émergé des crises financière et
économique.
Intitulée « Aider les pays en développement à surmonter
la crise », cette communication cite la BEI dans dix
de ses vingt-huit points. Il est entre autres demandé
à la BEI d’accélérer le déboursement de l’aide aux
pays en développement, et d’utiliser ses instruments
de prêt pour promouvoir les investissements privés
et le commerce extérieur. La Commission a, ellemême, peu d’influence sur la BEI, les Etats-membres
étant représentés directement dans les organes de
gouvernance de la Banque. Il est donc remarquable
qu’elle n’ait pas d’autre alternative à proposer pour
assurer des financements contra-cycliques.
Il y a en effet des tensions importantes entre la
Commission et les Etats membres, mais aussi entre
les Etats membres eux-mêmes, sur le rôle que doit avoir
la BEI.
Les plans ambitieux de la Commission d’augmenter
le rôle de la BEI dans le domaine du développement
ont été largement rejetés par les Etats membres lors
de la réunion du Conseil Affaires générales relations
extérieures de mai 2009. D’une façon très vague,
le Conseil « invitait » la BEI a prêter plus rapidement et
de façon plus souple dans les secteurs de la finance et
des infrastructures, ainsi qu’aux petites et moyennes
Le rôle de la Banque européenne d’investissement (BEI) en matière de développement
entreprises, mais seulement sur ses ressources
propres. Le Conseil a ensuite exprimé très clairement
qu’une mise en œuvre souple des procédures de prêt, et
une accélération des versements, y compris du soutien
budgétaire, ne devait pas compromettre les besoins de
financement ultérieurs et la pérennité des prêts de la
BEI. Le Conseil s’est également « réjouit » de l’intention
de la Commission de renforcer et réorganiser le Fonds
fiduciaire pour les infrastructures en Afrique (administré
par la BEI) et de lui allouer un montant de 200 millions
d’euros pour les années 2009 et 2010, et a invité les
Etats membres à envisager d’y contribuer.
La BEI et l’efficacité de l’aide
L’UE a signé les accords internationaux sur l’efficacité
de l’aide telles que la Déclaration de Paris de 2005
ou le Programme d’Action d’Accra de 2008. Les Etats
membres de l’UE sont des moteurs pour pousser la
question de l’efficacité au niveau international, afin
d’assurer que l’aide publique au développement
a réellement un impact positif sur les pays bénéficiaires
et contribue à combattre la pauvreté.
Ces accords sur l’efficacité de l’aide énoncent clairement
des réformes visant avant tout à augmenter la place des
pays en développement dans la conception et la mise
en œuvre de leurs politiques de développement, mettre
en cohérence les interventions des pays donateurs
avec ces politiques de développement, harmoniser les
procédure des différentes institutions et agences des
pays donateurs, améliorer la division du travail entre
les différentes agences des pays donateurs pour limiter
les chevauchements et répétitions et améliorer les
résultats, et délier au maximum l’aide.
Ces principes sur l’efficacité de l’aide ont été approuvés
au niveau européen, à travers le Consensus Européen
sur le développement de 2005, le Code de conduite
sur la complémentarité et la division du travail dans la
politique de développement, plusieurs Conclusions du
Conseil des Affaires générales relations extérieures
et des Communications de la DG développement
de la Commission. Ce processus de réformes a des
implications directes pour la BEI, en particulier pour sa
gouvernance et sa coopération avec d’autres acteurs
hors et dans l’UE.
Aujourd’hui, la BEI agit hors du cadre le l’efficacité de
l’aide, et se préoccupe peu d’adhérer à ces principes.
Le fait que la BEI a un double mandat de promotion du
développement dans les pays du sud et de soutien aux
investissements des entreprises européennes indique
que les prêts de la BEI sont souvent – de fait – liés. Selon
le Comité d’aide au développement de l’OCDE, l’aide liée
réduit l’efficacité jusqu’à 30%.
Il est temps de changer - maintenant
A travers différents rôles et mandats, le rôle de la BEI
est clairement en train de prendre de l’ampleur. Il est
donc temps pour la BEI et ses actionnaires de réagir
à l’augmentation de ses responsabilités. Ils doivent
revoir le modèle archaïque de développement de la BEI
qui n’est basé que sur la croissance et la création de
revenus, et néglige les plus pauvres en réservant les
bénéfices à une minorité.
À la lumière des crises alimentaires et climatiques,
la nécessité de modifier totalement cette approche pour
favoriser un développement soutenable est prégnante.
Si la BEI veut être acteur de ces changements, elle doit
entreprendre de profondes réformes. Cette institution
a été créée il y a plus de 50 ans, avec d’autres objectifs
que le développement dans des pays hors UE. Avec sa
structure et ses méthodes d’action actuelle, la BEI n’est
pas équipée pour offrir un développement soutenable
à ces pays.
Le Parlement européen a aujourd’hui des pouvoirs
supplémentaires sur la BEI, et il doit les utiliser pour
encourager le dialogue nécessaire à ces réformes.
La campagne Counter Balance: Réformer la Banque européenne d’investissement est menée par les ONG suivantes :
CEE Bankwatch Network (www.bankwatch.org)
Both ENDS (www.bothends.org)
Bretton Woods Project (www.brettonwoodsproject.org)
Campagna per la riforma della Banca Mondiale
(www.crbm.org)
Les Amis de la Terre-France (www.amisdelaterre.org)
Urgewald (www.urgewald.de)
WEED (www.weed-online.org)
Contact: [email protected]
www.counterbalance-eib.org
Imprimé sur papier recyclé.
Bruxelles, décembre 2009
Ce document a été réalisé avec le soutien financier de la Commission européenne. Le contenu de ce document relève de la seule responsabilité de CEE Bankwatch
network. Il ne reflète en aucun cas les opinions de la Commission européenne ou de ses services.