Lecture Jeune
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année e 29 trimestriel Lecture Jeune P NO HIGEKI by Rumiko TAKAHASHI © 1994 by Rumiko TAKAHASHI/SHOGAKUKAN Inc. Revue de réflexion, d’information et de choix de livres pour adolescents Culture manga juin 2006 N°118 I Journée d’étude La lecture est-elle une activité réservée aux adolescentes ? Toutes les enquêtes sur la lecture mettent en évidence une féminisation du lectorat et une différenciation à la fois qualitative et quantitative des pratiques de lecture selon le sexe. Comment peut-on expliquer les écarts constatés entre les pratiques de lecture des filles et des garçons au moment de l’adolescence ? Le développement de l’édition pour la jeunesse et la féminisation des professions du livre contribuent-ils à perpétuer cet état de fait ? Coordination pédagogique : Bernadette Seibel et Hélène Sagnet Date : Le 5 octobre 2006 Tarifs : 60 € TTC (Prise en charge de l’employeur) 30 € (Prise en charge personnelle) Renseignements et inscriptions : 01 44 72 81 50 ou [email protected] LJ118_P1-3 23/05/06 18:31 Page 1 Sommaire Éditorial page 2 Rencontre page 3 Dossier Culture manga page 7 Parcours de Lecture Livres accroche Et après Lecteurs confirmés Ouvrages de référence page 27 page 28 page 42 page 54 page 70 En savoir plus page 71 Index page 75 LJ118_P1-3 29/05/06 8:55 Page 2 2 Édito Hélène Sagnet Vous l’aurez noté, au début de l’année 2006, la presse s’est largement fait l’écho du succès du manga. Essor éditorial d’une part, auquel Livre Hebdo (n° 629) consacre un dossier. Quelques chiffres ? Les mangas représentent près de 28 % des ventes de BD (en exemplaires), ce qui ne manque pas d’aviver les velléités des éditeurs — plus de 25 à ce jour ! Intérêt littéraire d’autre part, puisqu’un magazine culturel généraliste tel que Télérama (n° 2875) lui dédie une longue « enquête ». La reconnaissance passe également par la publication de plusieurs ouvrages de référence, et notamment le très riche Manga, soixante ans de bande dessinée japonaise du conservateur et journaliste anglais Paul Gravett. Du côté des professionnels de la médiation du livre on est loin des préjugés d’antan et la créativité narrative et graphique de ces ouvrages, mais également peut-être leur taux d’emprunt, suscitent un intérêt réel. Pourtant, les mangas bousculent encore largement certains repères de lecture. Notre questionnement ne doit-il pas être avant tout culturel et social ? En effet, pourquoi ces ouvrages très codifiés et ancrés dans la réalité nippone fonctionnent-ils si bien en France ? Qu’y trouvent les jeunes lecteurs ? Quelle est l’influence artistique du manga et quelles nouvelles pratiques sont en train de s’inventer autour de ce support ? Un début de réponse est apporté par Sébastien Langevin qui s’intéresse aux représentations de l’adolescence dans le manga. Selon lui, aucune autre forme littéraire ne s’est autant penchée sur cette période de la vie et la bande dessinée japonaise fonctionne dès lors comme un révélateur des aspirations et inquiétudes des jeunes. Stéphane Ferrand revient sur l’introduction du manga en France et montre comment les éléments de la culture japonaise influencent aujourd’hui la musique, le cinéma, l’art plastique, et même la publicité. Des campagnes récentes ont su réutiliser les codes du genre avec succès. Qui sont ceux qui se sont appropriés cette culture émergente ? Sandrine Monllor dresse le portrait de lecteurs occasionnels, fans ou passionnés, qui ont inventé autour du manga des sociabilités nouvelles. Cette culture est en effet multi-supports et s’organise notamment dans son rapport au cinéma d’animation. Ilan Nguyên nous en offre un aperçu passionnant puis s’interroge sur les aléas de sa réception en France. Ensuite, du côté des pratiques professionnelles, Agnès Deyzieux, documentaliste, et Ghislaine Sagbo, bibliothécaire, exposent chacune des pistes de gestion et d’animation d’un fonds manga. A ceux qui désireraient constituer un fonds, l’enrichir ou découvrir par des lectures un genre aux multiples facettes, nous proposons enfin une petite bibliothèque idéale… Alors que s’achève le Mai du livre d’art, nous avons souhaité rencontrer l’équipe de Palette, maison d’édition spécialisée dans le livre d’art pour la jeunesse, qui entend avant tout nous parler d’œuvres… Lecture Jeune -juin 2006 e LJ118_P1-3 23/05/06 18:31 Page 3 Rencontre Didier Baraud et Brigitte Stéphan Directeurs des éditions Palette page 4 à 6 LJ118_P4-7 23/05/06 18:42 Page 4 4 Rencontre avec… Didier Baraud et Brigitte Stéphan Editions Palette Didier Baraud et Brigitte Stéphan directeurs des éditions Palette Les éditions Palette, créées en 2003 par Didier Baraud et Brigitte Stephan, publient plusieurs collections d'initiation à l'art pour la jeunesse. Le catalogue présente une gamme d'ouvrages allant du livre d'éveil (livres cartonnés, livres d’activités) pour les bébés lecteurs jusqu'au documentaire destiné aux écoliers, collégiens et lycéens (livres jeux autour d'un musée, monographies). Contact : Editions Palette, 17 C, rue Campagne-Première, 75014 Paris Tél. 01 43 20 19 53 ou 01 42 54 92 74 Fax. 01 43 20 34 48 Lecture Jeune : Pourriez-vous évoquer en quelques mots votre parcours et ce qui vous a amené à créer les éditions Palette? Didier Baraud : De formation artistique (j’ai fait les Beaux-Arts de Paris), j’ai d’abord travaillé dans la publicité avant de rejoindre les éditions Dargaud. Puis j’ai pris en charge pendant plus de dix ans la direction éditoriale de Mango Jeunesse. J’avais eu l’occasion d’y publier des ouvrages d’art qui avaient bien fonctionné, notamment L’art en puzzle et Une année au musée. J’ai aussi eu l’occasion de diriger des livres d’art pour les enfants aux éditions de la RMN. Lorsque j’ai quitté Mango début 2001, j’avais envie de fonder ma propre maison. Je me suis d’abord demandé si j’allais refaire ce que j’avais fait chez Mango : coordonner un secteur jeunesse généraliste, c'est-à-dire publier à la fois des albums, des documentaires et des romans. Mais il m’a semblé que dans un marché déjà très encombré et concurrentiel, où les petites maisons émergentes ont du mal à se faire connaître, le meilleur moyen de « s’en sortir » et d’être identifié rapidement et fortement serait de se consacrer exclusivement à un domaine peu exploité. Au vu de ma formation et de mon expérience, je me suis naturellement tourné vers le livre d’art pour la jeunesse. Certes nous ne sommes pas les seuls à proposer ce type d’ouvrages aux enfants et adolescents. Mais ils sont édités par des éditeurs plus généralistes soit au titre à titre (ex : à L’école des loisirs, à la RMN), soit dans le cadre d’une petite collection (« L’art en puzzle » chez Mango). Nous, on a monté une maison spécialisée dans le livre d’art pour la jeunesse, ce qui nous a permis d’abord d’être repérés, ensuite de devenir incontournables. Brigitte Stephan : J’ai été libraire pendant cinq ans à Rennes avant de rejoindre la Fnac lors de sa création en tant que responsable de la communication du magasin. J’ai créé le prix Goncourt des lycéens. En quatorze ans à la Fnac, j’ai évolué, occupant les postes de responsable de la promotion du livre puis de directrice de l’action culturelle. J’étais très attirée par l’édition, secteur lié au livre qui me restait à explorer. Donc je me suis lancée et j’ai rejoint les éditions Mango pour m’occuper d’essais et de documents. Je les ai quittées au même moment que Didier et j’ai trouvé son idée de ligne éditoriale — claire et forte — très judicieuse. Cette idée, alliée à son expertise du livre d’art pour enfants, m’a convaincue de m’associer avec lui. Depuis, Nicolas Martin et Héloïse Bertrand ont rejoint notre équipe. LJ : Pensiez-vous qu’il existait un marché pour les livres d’art pour la jeunesse ? BS : Aujourd’hui, les grandes expositions se multiplient et leur fréquentation augmente. On s’y rend en famille et les musées s’ouvrent plus largement. L’art se démocratise, les visiteurs rajeunissent. Des ateliers Lecture Jeune -juin 2006 LJ118_P4-7 23/05/06 18:42 Page 5 5 e sont proposés aux enfants… S’y ajoute le travail réalisé par des enseignants passionnés d’art. Il nous semblait qu’il manquait des outils pédagogiques pour les médiateurs. En concevant nos publications, nous pensons donc autant à la librairie qu’au réseau des bibliothécaires et des enseignants. Le marché du livre d’art pour la jeunesse ne sera jamais un énorme marché. Disons que c’est un marché en développement. Comme nous sommes assez visibles sur ce marché, ça donnera peut être quelques idées à certains éditeurs… LJ : Comment travaillez vous avec ces médiateurs ? BS : Nous n’avons malheureusement pas les moyens de certaines maisons d’édition, comme Gallimard Jeunesse qui possède un réseau d’enseignants incroyable ! Pas à pas, nous essayons de mieux communiquer avec les médiateurs. Pour le moment, nous n’avons pas utilisé de « ficelles ». Nous avons été très soutenus par la presse, notamment Le Monde de l’Éducation. Il s’agit d’un autre biais pour les « toucher ». LJ : Quelle approche avez-vous privilégiée pour parler d’art aux jeunes? DB : Comment leur parler d’art ? Il faut en parler sérieusement ! Les enfants sont particulièrement avides d’informations… Il y a eu beaucoup de tentatives en matière d’art pour la jeunesse, plus ou moins « heureuses », les éditeurs présumant que l’art était difficile d’accès pour ce public, incapable de comprendre une œuvre. Pour autant, on peut citer quelques réussites, comme l’incontournable Petit Musée de L’école des loisirs. BS : De nombreux ouvrages restent simplificateurs. Ni l’enfant, ni le pédagogue n’y trouve son compte. Il me semble essentiel de prendre la mesure de la capacité des jeunes à réfléchir, regarder, nuancer et même comprendre la complexité d’une œuvre d’art, dès lors qu’elle leur est bien expliquée. Il existe une bonne façon de parler d’art aux enfants, qui n’est ni bêtifiante, ni trop « intello ». DB : Nous avons une collection, « L’Art et la manière », qui s’attache à un artiste en particulier en entrant directement dans son œuvre. Nous l’avons achetée aux éditions Prestel en Allemagne. Le format généreux laissait la part belle à l’image et peu d’espace au texte. Nous avons transformé, embelli la maquette, et changé le texte. Le commentaire allemand présentait les lacunes habituelles : il traitait avant tout du contexte de l’œuvre, du peintre et de son époque, sans jamais rentrer dans l’œuvre elle-même. Aujourd’hui, c’est une collection qui fonctionne bien ; elle a eu un énorme succès au salon de Montreuil, notamment auprès des bibliothécaires. LJ : Qu’est ce qui vous a amenés à créer pour les adolescents la collection « Nos religions »? BS : On trouvait les discours sur les religions linéaires dans l’ensemble. Ils nous semblait important d’offrir des outils pédagogiques attractifs sur le sujet, alors que les jeunes de confessions différentes s’insultaient dans les Lecture Jeune -juin 2006 Niki de Saint Phalle et Cézanne sont les derniers titres de la collection de monographies "L'Art et la manière" LJ118_P4-7 6 29/05/06 8:56 Page 6 Rencontre avec… cours de récréation… S’emparer de thématiques fortes comme « la femme », et regarder au travers des trois religions monothéistes (juive, chrétienne et musulmane) comment son identité et son rôle se sont construits permet d’ouvrir un débat entre les enseignants et leurs élèves. L’idée est d’amener les adolescents à aborder des sujets complexes (la femme, mais aussi le corps, l’âme) en leur donnant à voir la racine de chaque chose. LJ : N’avez-vous pas eu peur, au départ, que cette collection concerne un public trop restreint ? Et Dieu créa les femmes de Laure Mistral paru dans la collection destinée aux adolescents "Nos religions" DB : Des doutes, on en a toujours…On a voulu aborder la religion en privilégiant un angle culturel, sans faire de catéchèse. Cette collection se situe à la frontière de notre catalogue. Mais avec cette approche culturelle, on reste dans le dessein de Palette : apporter la connaissance, le savoir, mais aussi l’image, car l’image parle parfois autant qu’un texte ! Nous avons souhaité une maquette attrayante et une iconographie riche, variée, qui interpelle les ados : certaines images sont étonnantes, voire provocantes. Parce qu’elle soumet des questions pointues aux collégiens et lycéens, cette collection a besoin du soutien des médiateurs ! LJ : Les documentaires d’hier privilégiaient une lecture suivie, ceux d’aujourd’hui une lecture « zapping », plus éclatée. Les ouvrages de « Nos religions », entre objets précieux et objets utiles, offrent ces deux types d’entrée… La voix des masques de Béatrice Fontanel DB : Il y a effectivement deux façons de lire ces ouvrages. Pour appréhender le texte dense, qui se construit au fil des chapitres, mieux vaut privilégier une lecture suivie. Mais il est possible de rentrer dans ces livres par l’image, au hasard des pages. La lecture des images est plaisante et permet aussi d’obtenir de l’information. De l’une à l’autre, il y a des chocs ou des résonances. On soigne beaucoup la qualité de nos livres. Entre nous, pour plaisanter, nous nous définissons comme des « éditeurs de beaux livres d’art pour les enfants ». Nous sommes notamment extrêmement exigeants sur la photogravure, la fabrication. LJ : Des livres grand format parus hors collection comme Dans la ville (photographies) ou La voix des masques trouvent-ils leur lectorat ? Dans la ville DB : Pour La voix des masques et Sculptures ou créatures ?, « livres plaisir », on s’aperçoit qu’il existe un double public, jeune et adulte. Certains adultes n’osent peut-être pas aller vers les livres qui leur sont directement adressés parce qu’ils sont un peu complexés. BS : On vend beaucoup ces ouvrages à la sortie des expositions où nous sommes très bien représentés, à tous les publics. Dans la ville est l’un des premiers livres de photos pensé pour des grands enfants ou des ados. Le format est généreux et l’entrée dans les œuvres, ludique. On peut découper les pages, les afficher dans sa chambre, se les approprier. On aborde d’abord librement chaque œuvre, présentée en pleine page, avant de découvrir au dos un court commentaire pédagogique. Lecture Jeune -juin 2006 LJ118_P4-7 23/05/06 18:42 Page 7 Le Dossier thématique Culture manga Portrait de l’ado en jeune Japonais Par Sébastien Langevin pages 8 à 13 D’une culture à l’autre Par Stéphane Ferrand pages 14 à 16 Qui sont les lecteurs et les fans de mangas ? Par Sandrine Monllor pages 17 à 19 Le cinéma d’animation japonais Par Ilan Nguyên pages 20 à 23 Gestion et animation d’un fonds manga Par Agnès Deyzieux et Ghislaine Sagbo pages 24 à 25 Petite bibliothèque idéale Par Agnès Deyzieux page 26 LJ118_P8-13 29/05/06 8:57 Page 8 Portrait de l’ado Le Dossier en jeune Japonais 8 Sébastien Langevin Etude Sébastien Langevin Journaliste spécialisé bande dessinée et éducation, Sébastien Langevin a notamment animé la rédaction du magazine Virus manga avec Stéphane Ferrand. Ils ont publié en 2006 Le Manga aux éditions Milan, dans la collection « Les Essentiels » (voir notice 40). Représentations de l’adolescence dans le manga Bien plus que la BD franco-belge, le manga apparaît comme un miroir de la société et de ses fantasmes. Une fois dépassés les clichés toujours associés à ce genre, on découvre que les mangas sont de signifiants révélateurs des aspirations et des inquiétudes des adolescents, et pas seulement japonais. C’est l’autre tsunami ! Le terme japonais popularisé par le gigantesque raz-de-marée de décembre 2004 peut également s’appliquer au déferlement de la bande dessinée japonaise sur toutes les régions du monde. Le manga, mot japonais pour « bande dessinée » qui désigne en dehors de l’Archipel la production du pays, séduit en effet les amateurs de BD du monde entier. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en France, le manga a représenté à lui seul près de 40% des nouveautés de bande dessinée et près d’une vente sur trois en 20051. Dans les autres pays européens où la tradition BD nationale est bien moins solide, les pourcentages augmentent encore significativement. Aux Etats-Unis, il se serait vendu l’an passé plus de mangas que de comics books, ces aventures de super héros comme Spiderman ou Superman. Au-delà du phénomène de mode engendré par une Asie actuellement conquérante tant sur le plan économique que culturel et en dehors de leur aspect peu onéreux, le succès des mangas tient certes à un graphisme perçu comme moderne, mais surtout à une représentation particulière des adolescents, leur premier public, et de loin. Il faut partir pour le Japon et se familiariser avec les habitudes éditoriales du Pays du soleil levant pour comprendre les origines de cette littérature graphique et son impact sur le jeune public. Toute série de bande dessinée paraît en premier lieu dans un magazine de prépublication, appelé mangashi. Plus de 150 mangashi paraissent chaque semaine, chaque quinzaine ou chaque mois, c’est selon. Ces magazines ont la particularité de s’adresser à un public particulièrement segmenté, d’abord selon des critères de sexe et d’âge. Ainsi, les trois principaux éditeurs nippons offrent toute une gamme de mangashi, chaque titre s’adressant à une catégorie bien précise de la population. Une adolescente de quatorze ans ne lira pas le même magazine qu’un garçon du même âge, mais n’achètera pas non plus celui que choisirait une fillette de dix ans… Cette segmentation très fine permet de proposer à chaque lecteur un contenu au plus près de ses attentes. En particulier, Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P8-13 23/05/06 18:50 Page 9 9 le sexe et l’âge des personnages principaux correspondent en tout point au lecteur cible. Cette représentation d’un héros miroir favorise ainsi un phénomène d’identification et de proximité qui dépasse largement les barrières géographiques et culturelles : les préoccupations de tous les adolescents de la planète portent sur la remise en cause de l’ordre établi, leur place dans la société, la sexualité et la violence… La quête initiatique Ces magazines de prépublication éditent différentes séries sous forme de feuilleton : à chaque nouveau numéro, le lecteur retrouve la suite de son histoire. Et tant qu’une série reçoit un bon accueil, elle se poursuit. De très nombreuses séries se déploient ainsi sur plusieurs milliers de pages : une « surface » de narration qui permet de faire évoluer les personnages dans le temps et en particulier de faire grandir les jeunes héros. Dans les mangas pour garçons les plus classiques, l’histoire progresse ainsi : un jeune héros ignorant de tout commence à pratiquer une discipline sportive (le football dans Olive et Tom, le football américain dans Eyeshield 21, le basket dans Slam Dunk), une technique de combat (Dragon ball, Naruto…), un jeu millénaire (le go dans Hikaru no go)… Il se lie d’amitié avec les premiers adversaires qui se trouvent sur son chemin et vit avec eux de nombreuses aventures, au cours desquelles il affronte des adversaires de plus en plus puissants. Dans ces shônen manga (pour jeunes garçons), le héros est un enfant lorsqu’il débute l’aventure, et c’est un adulte à la fin — quelque 8 000 pages plus loin dans Dragon Ball, par exemple. Il s’agit d’un schéma narratif séculaire, et pas seulement oriental. Le chevalier du roman de Chrétien de Troyes Perceval ou le conte du Graal (écrit à la fin du XIIe siècle) est un jeune garçon naïf , un « nice », élevé en retrait de la civilisation, tout comme Sangoku, le héros de Dragon Ball. L’un et l’autre décident un jour d’aller voir le monde, et l’un et l’autre devront trouver un objet (le Graal pour Perceval, les boules du Dragon pour Sangoku). Et les ressemblances entre les deux personnages ne s’arrêtent pas là (ils sont tous les deux orphelins d’un parent au moins, ils apprennent la sagesse auprès d’un vieil ermite reclus dans son château…). Cette structure, que l’on retrouve aussi dans L’Odyssée d’Homère, Wilhelm Meister de Goethe ou Les trois mousquetaires2 d’Alexandre Dumas est en fait celle du roman de formation ou d’apprentissage. Valeurs absolues Pour mûrir et gagner en sagesse, le jeune héros doit traverser des épreuves dangereuses et se battre. D’où l’image négative fréquemment renvoyée par le manga : « c’est violent ». D’une part, précisons que cette Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P8-13 10 23/05/06 18:50 Page 10 Portrait de l’ado en jeune Japonais violence s’apparente généralement davantage à de la bagarre qu’à des combats sanglants, du moins dans les ouvrages destinés aux plus jeunes. D’autre part, on se rend compte à la lecture que cette violence est toujours justifiée et moralisée : les bons se battent contre les méchants, on respecte son adversaire s’il se montre loyal et combat selon les règles de l’art. Là où notre société occidentale tente de nier la violence contenue en chaque être humain et de la stigmatiser comme forcément destructrice, l’Orient a su l’accepter, la domestiquer, et l’intégrer dans la société en lui reconnaissant des vertus, notamment la discipline et le travail sur soi : les arts martiaux sont tous inséparables d’un code de conduite très strict, parfois d’un système philosophique complet. Plus encore, les mangas pour garçons véhiculent des valeurs essentielles à leurs yeux. Dans les années soixante-dix, Weekly shonen jump, le plus grand magazine de prépublication de l’Archipel – qui a lancé la plupart des grands succès de shônen, de Dragon Ball jusqu’à Naruto – a effectué un grand sondage auprès de son lectorat pour savoir quels étaient les valeurs auxquelles ils accordaient le plus d’importance : « amitié », « persévérance » et « victoire » sont arrivées en tête des suffrages. Depuis lors, ces trois éléments sont les ingrédients de base de toute série publiée dans le magazine. Le manga ne se contente pas d’être une simple distraction : il a une telle audience au Pays du soleil levant qu’il assume un vrai rôle social. Comment pourrait-il en être autrement pour une nation aussi attachée à ses traditions culturelles et à sa cohésion ? Des ados qui sauvent le monde Evangelion Par ailleurs, la figure de l’adolescent qui doit sauver le monde peuple les mangas. Archipel d’îles frappé par de très fréquents tremblements de terre et seul pays de l’histoire de l’humanité à avoir été puni par la bombe atomique, le Japon vit dans l’appréhension permanente d’une catastrophe planétaire à venir. L’ensemble des mangas étant produit pour le seul marché intérieur, on note que l’action se situe dans l’immense majorité des cas au Japon, et plus particulièrement à Tokyo. Dans Exaxxion, le jeune héros doit prendre les commandes du seul robot géant capable d’arrêter l’invasion extra-terrestre. Dans cette série, l’humour est omniprésent et des jeunes femmes girondes entourent l’adolescent. Le schéma de base est exactement le même dans la série Rahxephon. En revanche, dans le manga culte Evangelion, le jeune héros « programmé » malgré lui par son père pour piloter un robot géant refuse d’accomplir sa mission, pourtant essentielle à la survie de l’humanité. Dépressif, cet adolescent souhaite se soustraire à l’autorité parentale, d’autant plus que celle-ci l’instrumentalise, mais il doit bien faire face à ses responsabilités… Dans Larme ultime également, des lycéens sont directement impliqués malgré eux dans un conflit planétaire d’une grande violence, et dont leur amour fera les frais. Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P8-13 23/05/06 18:50 Page 11 11 Côté shojo, pour les jeunes filles, ce sont les magical girls qui doivent sauver le monde. Ainsi, dans Card captor Sakura, une jeune écolière mène une vie tout à fait normale le jour mais doit, le soir venu, retrouver des cartes maléfiques susceptibles de détruire la Terre. Journal d’une société en crise La représentation de l’adolescente dans les shojo est moins nette. Traditionnellement, les mangas pour filles sont centrés sur les sentiments, les triangles amoureux et la vie quotidienne. Les jeunes Japonaises peuvent ainsi paraître bien naïves et perdues dans des histoires d’amour compliquées : dévoiler ses émotions peut nécessiter des milliers de pages ! Dans la société nippone, la place de la femme demeure ambiguë. Même si elles sont tenues de faire de bonnes études pour occuper des postes importants, les femmes sont assignées à résidence dès qu’elles ont des enfants. La lecture de cette littérature ne fait que renforcer l’archétype d’une femme fragile essentiellement préoccupée par l’amour. La figure de l’orpheline est récurrente (Fruits basket). Cette image de la jeune fille très sage obnubilée par la recherche du prince charmant est remise en jeu dans les shojo manga destinés aux adolescentes plus âgées. Des auteurs (toujours des femmes, comme c’est le cas pour l’ensemble des shojo) comme Yazawa Aï (Nana), Anno Moyoco (Happy Mania) ou Sakurazawa Erika (Entre les draps) décrivent des jeunes femmes beaucoup plus réalistes et nettement moins angéliques. En présentant des héroïnes également préoccupées par la sexualité ou leur avenir professionnel, elles dressent le portrait d’une nouvelle génération de Japonaises qui sera certainement moins docile et plus indépendante que les précédentes. Alors que les mangas pour les plus jeunes mettent en scène des héros en herbe positifs et plein d’humour, les adolescents plus âgés se retrouvent dans un certain nombre de séries où les personnages sont ouvertement en conflit avec la société. Série à l’immense succès en France et au Japon, GTO (pour Great teacher Onizuca) présente un jeune homme qui s’engage dans l’enseignement pour mieux approcher les lycéennes… Au cours de trente volumes, les lecteurs ont pu suivre les aventures du protagoniste en yankee ou en bozozoku, noms donnés aux loubards ou rebelles. Devenu enseignant, Onizuca n’oubliera rien de son passé de petit délinquant : il tentera de résoudre les problèmes de ses élèves par des moyens non conventionnels. La critique du système éducatif japonais est des plus évidentes. Hyper compétitive, très rigide et ne laissant aucune place à la créativité personnelle, l’école nippone étouffe de nombreux jeunes. On croise très fréquemment des petits voyous dans des séries grand public comme Slam Dunk mais aussi chez des auteurs alternatifs comme Matsumoto Taiyo (Printemps bleu). Les héros de la fameuse série Akira sont en marge du système éducatif traditionnel. Dans de nombreux Lecture Jeune - juin 2006 Fruits basket LJ118_P8-13 12 23/05/06 18:50 Page 12 Portrait de l’ado en jeune Japonais Un hikikomori cas, ces rebelles sont reconnaissables à leur moyen de locomotion, la moto, et à leur QG, un lieu de non-droit d’où les adultes sont bannis : les toits des lycées. Dans le recueil de nouvelles Printemps bleu, on assiste notamment à la récupération des plus désespérés par les systèmes mafieux. L’auteur décrit ainsi des jeunes totalement désoeuvrés qui se réfugient dans la violence gratuite pour tromper l’ennui et qui ont besoin de flirter avec la mort pour se sentir vivre3. Soumis à une pression constante de la part de leur famille, de l’école et de la société en général, certains jeunes se réfugient dans des mondes imaginaires, créés de toutes pièces, et se replient sur eux-mêmes. Deux phénomènes illustrent parfaitement cette fuite, ce refus du monde extérieur : les otaku et l’hikomori. Entièrement dédiés à leur passion (pour un manga, un dessin animé, une série TV, une chanteuse pop, Internet…), les otaku ne communiquent plus qu’avec d’autres mordus. Plus inquiétants encore, les hikikomori vivent reclus dans leur chambre pendant de longues périodes, parfois des années, et ce, sans contact physique avec leurs camarades d’école, amis ou parents. Des séries comme Junk record of the last hero ou Rozen maiden évoquent ces hikikomori. Dans Junk, le jeune hikikomori reçoit mystérieusement une combinaison dotée de superpouvoirs. Il sort alors masqué : va-t-il utiliser ces fantastiques pouvoirs pour faire le bien ou le mal ? Va-t-il aider cette société qu’il rejette ou la détruire ? Le héros de Junk a été victime du ijime (il a joué le rôle de tête de Turc). Des dizaines de milliers de jeunes subissent chaque jour des brimades physiques et verbales infligées par leurs camarades de classe, et ce, dans des proportions bien plus importantes qu’en Occident . Autre « phénomène » sociétal des plus préoccupants décrit par les mangas : dans Le Cercle du suicide, des adolescentes se retrouvent pour se suicider collectivement, une pratique de plus en plus courante au Japon. Des ados si loin, si proches Quand on ne connaît pas la foisonnante variété de la production de mangas, il peut paraître étonnant que ces bandes dessinées ethnocentriques trouvent une si large audience dans le monde entier. Bien au-delà des raisons simplistes fréquemment avancées, il se trouve que les mangas se penchent sur l’adolescence comme aucune forme de production littéraire ne l’a jamais fait auparavant. D’une part, les valeurs tout asiatiques qu’ils véhiculent apparaissent comme salutaires à des jeunes occidentaux4 que l’on dit en « manque de repères ». Les préoccupations fondamentales des adolescents sont donc les mêmes de par le monde : l’identification, la proximité affective et émotionnelle avec les héros sont donc maximales, même pour de jeunes Français, Allemands ou Australiens. En outre, la crise de société traversée par le Japon est certainement l’une des plus aiguës de la planète : le taux de natalité est l’un des plus faibles, alors que le taux de suicide est le plus Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P8-13 23/05/06 18:50 Page 13 13 important au monde. Cette catastrophe démographique, à associer à un taux d’immigration proche de zéro, marque la faillite d’une société qui ne sait pas comment évoluer ni se renouveler, en panne d’imagination pour inventer son avenir. Les adolescents en sont les premières victimes, eux qui doivent trouver une place dans un modèle social et économique toujours aussi rigide, alors que leurs aspirations sont tout autres. Si l’adolescence peut se définir comme une période de rupture entre l’enfance et l’âge adulte, les adolescents japonais vivent certainement une rupture paroxystique, un traumatisme qu’ils expriment grâce à leur moyen d’expression privilégié, la bande dessinée. A la fois « outil » de socialisation et agent subversif, le manga illustre par sa diversité les contradictions des sociétés industrialisées, coincées entre un passé glorieux et un avenir incertain, tiraillées entre contraintes sociales et individualisme forcené. Et c’est aux adultes d’en tirer les conséquences… Notes 1 Cf. « 2005, l’année de la ‘‘mangalisation’’ », le rapport annuel de Gilles Ratier, secrétaire général de l’Association des critiques et journalistes de bande dessinée. Disponible en ligne : www.du9.org/IMG/Rapport_ACBD_20 05.pdf 2 Cf. l’article de Julien Bastide « Dumas, père du shonen ? », in Virus manga, n°1, janvier 2004. 3 Pour une étude plus complète de ce manga, lire l’article de Sébastien Langevin, « Printemps bleu », sur le site www.animeland.com. 4 Sur le phénomène social du ijime, lire l’article de Nathalie B., « Le ijime à l’école » sur le site www.animeland.com. L’adolescence raisonnée d’Adachi Loin des quêtes initiatiques et des conflits de société, les bandes dessinées de Mitsuru Adachi distillent une vision subtile et contrastée de l’adolescence. Ses séries (Touch, Katsu !, Rough) reposent toutes ou presque sur les mêmes éléments : des adolescents se prennent de passion pour un sport et tentent par ce biais de gagner la considération de l’être secrètement aimé. Des histoires de famille viennent en général compliquer les choses. L’originalité d’Adachi est de s’attacher autant à ses héroïnes qu’à ses héros, s’adressant ainsi à un public mixte. Mélange d’action et de tendre poésie, le dessin de ce maître unanimement reconnu au Japon rythme à la perfection des histoires douces-amères, empreintes d’une discrète mélancolie pour le lecteur adulte. Rough! Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P14-26 24/05/06 8:14 Page 14 D’une culture Le Dossier à l’autre 14 Stéphane Ferrand Analyse Stéphane Ferrand Spécialiste de la BD, en particulier asiatique, Stéphane Ferrand est formateur et directeur de collection chez Milan. Il a créé le site Internet www.animeland.com, dirigé le magazine Virus manga et coordonné le premier espace manga du Festival international de la BD d'Angoulème. Retrouvez la notice n° 40, consacrée au documentaire réalisé par Stéphane Ferrand et Sébastien Langevin, Le Manga (Milan, « Les essentiels », 2006). Appropriation et émergence d’une culture manga en France Le manga est fait, pensé, fabriqué, pour pouvoir toucher l’ensemble des publics, évoquer les différentes étapes d’un parcours personnel. Il est donc normal qu’on le retrouve dans toutes les couches de la société japonaise et que son développement soit tentaculaire, y compris chez nous. Il témoigne néanmoins d’une conception de la BD, puissant média aux enjeux industriels et commerciaux déterminants, qui nous est étrangère. Le manga : un public redécouvert On sait depuis longtemps que l’homme passe un tiers de sa vie au bureau. Le manga n’a pas oublié que le jeune, lui, passe cette partie de vie à étudier. L’évidence confine au génie : l’école devient le cadre privilégié des mangas, les héros ont l’âge de leur lectorat. Cette proximité, ignorée par la BD francobelge et par le comics, est l’apanage du manga. En Occident, nous avons toujours pris en compte deux types de lectorat : les adultes et les enfants. Des grilles de programmes TV aux modules de bibliothèques, tout répond à ce schéma, et la production BD également. Plus précis dans son étude du public, l’Orient le segmente en fonction du sexe, mais surtout de l’âge. Le Japon distingue ainsi les enfants des adultes, des adolescents, et même des jeunes adultes, pour accompagner l’émergence du public cible de notre nouvelle société de consommation : les jeunes. Jusqu’aux années soixantedix, les ados étaient niés ou réduits à une crise identitaire, au mieux ignorés car jugés incompréhensibles. Or les années quatre-vingt, l’émergence de nouveaux programmes TV, des consoles de jeux vidéo, des musiques rock, rap et techno, mais aussi le ciblage des blockbusters américains, consacrent un nouveau type de consommateurs en Occident. Tout s’est donc, dans ces années-là, déplacé vers le public adolescent, un public doté d’un budget (argent de poche, petits boulots) et n’ayant d’autres postes de dépenses que le loisir. La production de bande dessinée française des années quatre-vingtdix fut marquée par des tentatives de repositionnement sur le public ado, faisant le succès d’éditeurs tels que Delcourt, ou l’Association qui cible aussi les jeunes adultes. Ils surent tenir compte de nouvelles attentes concernant le trait, le format, le noir et blanc… Ces publics entendaient consommer une BD différente, s’éloignant du dessin traditionnel (gros nez, ligne claire, etc.) et de titres trop sérieux (Casterman). Le manga s’inséra parfaitement dans un créneau laissé libre. Toute génération s’affranchissant des goûts de ses aînés, l’incompréhension parentale vis-à-vis du manga renforça son succès auprès des ados. Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P14-26 24/05/06 8:14 Page 15 15 L’Asie conquiert la culture française Une génération entière va être sensibilisée à la culture manga et asiatique. Au cinéma, les films asiatiques s’imposent dans les années quatre-vingt-dix. Le Kung Fu Hero Jet Li relance la mode du film de Hong-Kong, les dessins animés japonais se multiplient, Ghibli remporte la palme auprès du grand public et l’ours au festival de Berlin. Les films d’action américains délaissent de plus en plus le gros calibre pour mettre en scène des combats au corps à corps utilisant les arts martiaux. Emblématique de ce courant, la trilogie Matrix est fortement inspirée des codes du manga, selon l’aveu des frères Wachowsky eux-mêmes. Son succès planétaire, les animés Animatrix qui en découlèrent, le design, le type d’aventure, l’omniprésence du kung-fu, autant de codes asiatiques identifiables et reliés au manga japonais. La musique s’empare du manga via des groupes jeunes, appartenant à des univers très variés. Les rockeurs de Kyo tirent leur nom du manga Samourai deeper Kyo. Des raps d’Iam, ou du Wu Tan Clan, s’inspirent de Dragon Ball. Les BGM de dessins animés manga sont samplées chez les rappeurs comme dans les rave parties. Autant le manga fut-il rejetté par le grand public, autant les jeunes créateurs en ont conçu une passion dévorante. En France, son image de culture niche, disons underground, intéresse l’art contemporain qui s’empare des codes du manga (voir les expositions « Kaikaikiki » et « Regards » à la Fondation Cartier). Les revues branchées telles Chronik’art, Technik’art, Beaux arts magazine, ou Nova mag en son temps, récupèrent les visuels modernes et novateurs des créateurs nippons. Le manga est désormais considéré comme tendance et alternatif, il touche la mode vestimentaire, se décline en accessoires (flashstraps, porte-clefs, tatouages…). On comprend que d’une manière générale, via le manga, c’est une certaine vision de l’Asie qui séduit, comme cent ans auparavant elle séduisit les auteurs de japonaiseries. Mais cette fois, c’est bien sa modernité, sa richesse, sa créativité et son efficacité qui sont les moteurs de cette fascination. Le manga : BD de l’âge moderne Le manga s’intègre parfaitement dans une société tournée vers le multimédia. Le dessin animé est certes ancien, mais les techniques utilisées dans la plupart des séries sont liées à l’ordinateur et aux CGE (Computer graphic enginering) : les images de synthèse (plus économiques et efficaces que le trait dessiné) triomphent. L’Internet est le média sacré, le véhicule privilégié de la culture manga. Communautés d’internautes, téléchargement, peer to peer, chat et forums se multiplient : le lointain Japon se trouve ainsi à portée de clic. L’homme moderne recherche avant tout ce qui est « petit et pratique ». Des mini-disques aux paquets de gâteaux individuels, tout est pensé pour s’encombrer le moins possible. Nul doute que le format léger et transportable du manga corresponde à cette attente. Les jeux vidéo, dont le graphisme s’inspire des mangas, sont l’apanage de la jeune génération. De la console Superness pour les enfants, on est passé à la Playstation pour jeunes adultes ; les consoles de salon se sont multipliées et voici le règne des Lecture Jeune - juin 2006 Photo issue du film Matrix Exposition “Kaikaikiki“, de Murakami, à la Fondation Cartier en 2002 LJ118_P14-26 16 24/05/06 8:14 Page 16 D’une culture à l’autre consoles portables multimédia telles la PSP et la Nintendo DS, qui proposent des jeux adaptés de séries mangas. Enfin, la téléphonie mobile commence à s’intéresser au phénomène. On voit apparaître depuis quelques années, sur les sites de téléchargement d’icônes et de mélodies pour mobiles, les premiers jingles, génériques et images issus d’animés et de mangas. Tous ces éléments d’une culture moderne, émergeant sous nos latitudes, font depuis longtemps partie de la vie quotidienne japonaise. Les publicitaires se brident les yeux 1 Un SD — littéralement « Super Deformed » — désigne une illustration où les personnages sont déformés de manière comique, le plus souvent avec une grosse tête et un petit corps ; l'un des éléments du visage peut également être accentué pour mettre en valeur une émotion. Publicité pour le parfum Jungle de Kenzo Publicité pour le gel coiffant « effet manga » de Garnier Dans nos sociétés de loisirs dominées par les échanges économiques, les publicitaires sont bien souvent les premiers à humer l’air du temps pour séduire leur cible privilégiée : les jeunes. Ce vaste public, qu’ils cherchent à toucher sans distinction de sexe, regroupe à leur yeux les 12-20 ans. La première tentative revient à une banque. Le compte épargne Jeans de la BNP, réservé aux mineurs depuis vingt ans déjà, a bien besoin d’une nouvelle image. Qu’à cela ne tienne, l’agence recrute un certain Patrick Sobral, lauréat du concours Tsuki organisé par l’éditeur Tonkam. Un petit personnage en SD1, rappelant le style de Shingo Araki (Les Chevaliers du zodiaque) jaillit de l’affiche avec énergie. Les caractéristiques du compte, elles, restent inchangées. Pourtant, le nombre d’épargnants fera un bond de plus de 300% en moins de six mois. L’assureur AXA prendra le relais avec une pub déclinée comme un mini-manga. De manière plus diffuse, on retrouve aussi cette tendance dans les magazines féminins : les publicités vantant des cosmétiques ou des parfums reprennent les lignes de vitesses, les codes graphiques du manga, ou valorisent les modèles asiatiques. Mais ce sont surtout les produits destinés prioritairement aux ados qui surfent sur cette vague. En 2003, une réclame pour le préservatif présente des dessins proches du manga afin de mieux communiquer avec les jeunes. En 2004, Garnier lance une véritable offensive avec la création d’un nouveau gel coiffant qui permet d’obtenir un « effet manga » : le mannequin aux cheveux noirs arbore la même coiffure que Dragon Ball ! Enfin, en 2006, on n’aura pas manqué de reconnaître l’univers manga de la publicité pour les téléphones mobiles Nec — produit ado par excellence — entièrement dessinée façon manga, munis d’un ourson mascotte, comme au Japon. La force du manga tient à ce qu’il est avant tout une matrice. On le retrouve aussi bien dans la mode, dans la musique, dans la BD ou au cinéma. Rien d’étonnant à cela : le manga est pensé, pesé, construit de cette manière au Japon. Les producteurs nippons ont conscience de son impact et savent le décliner en de multiples supports. Là-bas, un titre à succès génère bien sûr un dessin animé, puis un film et des jeux vidéo, mais également des disques, des lignes de vêtements, des accessoires, etc… Nous ne faisons en France que découvrir cette puissance multiculturelle, notre incompréhension naissant du fait que notre marché n’est pas adapté à cette méthodologie industrielle et commerciale. Un retard qui ne tardera pas à être comblé. Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P14-26 24/05/06 8:14 Page 17 Qui sont les lecteurs 17 Le Dossier et les fans de mangas ? Sandrine Monllor Portraits En quinze ans, les mangas ont conquis la France : ils font désormais partie intégrante de notre paysage culturel et constituent 30% du marché éditorial. Face à des BD franco-belges jugées trop élitistes, l’originalité et l’exotisme supposés des mangas, leur prix relativement bas, l’élargissement de l’offre en français liée à l’apparition de nouveaux éditeurs expliquent en partie un tel succès. Ce véritable phénomène de société n’a pas été sans susciter quelques inquiétudes : le manga a d’abord souffert de sa réputation sulfureuse et d’aucuns redoutent aujourd’hui une « mangalisation » de la bande dessinée. La 5, Antenne 2 (avec Récré A2) puis TF1 (avec le Club Dorothée) ont ouvert la voie aux animés nippons. Les multiples diffusions1 et rediffusions ont permis une familiarisation précoce entre 1970 et 1997. Les héros, devenus des « amis » du quotidien, offraient aux téléspectateurs l’occasion de s’évader mais aussi d’interroger leurs valeurs et leur conception du monde. Ces émissions de piètre qualité graphique2 ont constitué un support éducatif et affectif et ont préparé le terrain aux mangas, grâce à l’alliance de réflexes nostalgiques et de nouveaux relais tels que les films d’animation3 plus matures, les jeux vidéo et les magazines associés. Que trouvent les passionnés dans les mangas ? Comment s’approprient-ils un genre aussi éloigné de notre culture ? Quelles typologies de lecteurs se dégagent alors que la « mangamania » s’institutionnalise, avec ses codes, ses pratiques et ses sociabilités ? Contre culture et définition d’un territoire et d’une identité personnels Diplômés de toutes les filières et issus de toutes les couches sociales — mais à 75 % de classes moyennes et supérieures —, les amateurs de mangas sont en majorité des garçons, célibataires, au parcours scolaire sans accroc. Alors que les autres BD séduisent moins de 10% de femmes, les mangas en attirent 35% environ, en raison de la grande variété des styles, des genres et des approches thématiques. Agé de 10 à 35 ans, ce public s’est considérablement élargi et rajeuni depuis 2000. Cette évolution s’est produite à la faveur du retour de dessins animés comme Pokemon, Yu-Gi-Oh ou Card Captor Sakura sur les chaînes hertziennes, de leur sortie concomitante en film et en manga et d’une nébuleuse de goodies sous forme, par exemple, de jeux de cartes4 à collectionner et échanger, qui sont autant de modes de socialisation à l’école. Baignés dans la « culture de l’écran », les lecteurs de manga ne sont pas pour autant des faibles lecteurs ou des sous-lecteurs. Peu portés sur la « littérature scolaire », ils sont friands de littérature de genre (polar, thriller, Lecture Jeune - juin 2006 Sandrine Monllor Doctorante intégrée au laboratoire d'ethnologie de l'EHESS de Toulouse, elle s’est intéressée aux passionnés de mangas dans le cadre d'un mémoire en ethnologie et anthropologie sociale en 2000. Depuis 2002, elle s'est dirigée vers l'étude des pratiques, des représentations et des socialisations dans les communautés virtuelles de consommateurs. LJ118_P14-26 18 29/05/06 8:59 Page 18 Qui sont les lecteurs et les fans de mangas ? fantastique, horreur, SF ou fantasy). Au cours de l’adolescence, période de recherche identitaire sociale et individuelle, les mangas s’inscrivent dans un processus global de rupture intergénérationnelle en terme de goûts culturels et d’activités, et en particulier vis-à-vis des parents, indifférents ou réfractaires à ces supports peu familiers et considérés comme un loisir infantile. Les mangas aident les jeunes à définir un territoire et répondent à un besoin d’autonomie, ancré dans des pratiques ludiques et « gratuites ». Si les petits et les lecteurs occasionnels envisagent le manga comme un simple passe-temps, praticable dans n’importe quelles conditions, les passionnés privilégient la lecture en solitaire, ritualisée plusieurs fois par semaine, à des moments réservés (le soir), dans des lieux où ils se sentent libres (la chambre). La possession de séries entières semble assurer un confort de lecture optimal. Elle représente un effort financier considérable pour des jeunes qui peuvent y consacrer tout leur argent de poche ou une grosse partie de leur salaire. Comme la collection de produits dérivés et de posters dont les fans sont entourés, les mangas sont sacralisés5, rarement prêtés — y compris au cercle des proches — ou déplacés de la bibliothèque où ils sont soigneusement rangés et exposés. Un lecteur régulier s’approprie l’œuvre en plusieurs temps. Dès l’achat, 15 à 30 minutes suffisent à une découverte globale et répondent à la frustration de l’attente, qui a amplifié le suspense inhérent au principe du feuilleton. Il s’en suit une seconde phase plus immersive qui allie la reconnaissance simultanée des textes et des dessins et le décryptage6 des détails. Le tout met en évidence le principe de « contagion émotive » propre aux « médiums froids7 » plus participatifs, compte tenu de la faible définition des images en noir et blanc. Projeté dans l’aventure, le lecteur a donc l’impression de la vivre aux côtés de ses héros, comme en témoigne ce fan : « je ne suis pas un simple lecteur / spectateur, mais acteur du manga ; je ressens les choses intensément et c’est comme si tout devenait possible dès que je plonge dans une histoire. La vie des héros devient un peu la mienne pendant un moment ». « Fan attitude », passion élitiste, loisir populaire Compte tenu de la brutalité et de la rapidité du phénomène manga, plusieurs vagues de lecteurs se sont côtoyées, non sans tensions. Au début des années quatre-vingt dix, les mangas étaient réservés à de minuscules cercles d’initiés, cantonnés à Paris pour des raisons pratiques d’accès aux produits. Après la sortie du film Akira d’Otomo, suivi des recueils éponymes8, l’engouement des adolescents pour l’ultra-médiatique série Dragon Ball a participé à l’élaboration d’un esprit de contre-culture branchée qui dépasse le cadre de la lecture active pour engager les mordus dans une passion transformatrice, parfois militante et créative. Cette micro-culture s’est matérialisée par l’apparition dans toute la France de librairies et de salons spécialisés9 accueillant plusieurs milliers de visiteurs, la multiplication de doshinji (fanzines)10 et de clubs de Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P14-26 24/05/06 8:14 Page 19 19 dessinateurs ou de fans. De telles activités ont généré des sociabilités inédites à l’échelle nationale, dans les comickets. Au-delà du « marché » où se vendent à tous les prix des goodies parfois rares et des mangas neufs et d’occasion, l’événement donne lieu à des projections en boucle d’animés, des rencontres avec des mangakâ, des concours de clips, de fanzines, de dessins réalisés par des amateurs qui ont souvent révélé leur créativité au contact des mangas et s’en inspirent totalement dans des fanfictions. Le clou du spectacle est le cosplay, au cours duquel les fans entonnent des génériques et défilent non sans autodérision avec le déguisement de leur personnage préféré qu’ils ont passé des mois à fabriquer ! La convivialité et l’ambiance bon enfant règnent et tout passionné digne de ce nom a pris au moins une fois part à l’un de ces rendez-vous ou à une bloubiboulga — une nuit blanche aux allures de fête et de cosplay géant entre nostalgiques qui veulent retourner pour quelques heures en enfance en vivant leur passion sans complexe ! Dès 1995, un conflit « idéologique » a opposé la génération « Goldorak / Candy » (18-30 ans), aux cadets vouant un culte à Dragon Ball et à sa suite DBZ. Il a permis de mettre en évidence plusieurs profils de passionnés, caractérisés souvent par des choix d’activités connexes. Défenseurs d’une culture élitiste, les pionniers voyaient d’un mauvais œil les « Gagaballiens » qu’ils accusaient de discréditer la culture manga et jugeaient trop tapageurs, voire ignorants et « débiles »! Ils souhaitaient explorer d’autres références, moins populaires, plus rares et riches, dont ils tiraient une source de capitalisation et de valorisation sociale importante. Une poignée de passionnés évoluant dans un milieu plutôt parisien et très fermé, a bâti à partir du fanzinat le socle professionnel des traducteurs, responsables d’édition et rédacteurs de revues spécialisées comme Animeland. Témoins de la culture et du quotidien de la société nippone, les mangas ont suscité un intérêt poussé pour le Japon, sa littérature, son cinéma et le courant musical visual rock. Certains fans vont jusqu’à vivre, penser et manger à la japonaise, en rêvant de s’établir au Japon ou d’investir leurs économies dans des voyages d’initiation ! Ces connaisseurs se considéraient comme de « vrais passionnés » à la pratique « noble », engagée et durable, par opposition aux fans de Dragon Ball, captifs d’une mode qui s’est traduite par un attachement intense, compulsif, exclusif mais aussi transitoire, malgré des lectures régulières et des achats soutenus. L’effritement de cet épiphénomène et l’arrivée de longs métrages et de mangas à la qualité reconnue ont entraîné une prise de conscience et une maturation chez certains « Gagaballiens » qui ont gonflé le groupe dynamique mais encore isolé des « passionnés ». En dépit d’une fusion plus naturelle avec la nouvelle vague des 8-15 ans, les passionnés souffrent toujours de l’image péjorative d’otaku11 à la française, alors que les cas d’identification et de projection aussi poussés restent très marginaux. Pour la plupart des lecteurs, les mangas restent un divertissement, source d’évasion, d’émotion, d’action et de réflexion. Lecture Jeune - juin 2006 Notes 1 Dès le matin toute la semaine, à la sortie des classes, le mercredi après-midi. 2 Dessins peu travaillés avec des décors et arrière-plans minimalistes, des personnages secondaires bâclés et une animation réduite à 4-6 images/seconde contre 24 d’ordinaire. 3 Leur diffusion confidentielle dans un cinéma parisien a inspiré dès 1992 des manifestations embryonnaires dédiées à ces productions comme celle qui s’est conjuguée à la convention sur les jeux de rôle de l’IDRAC. Elles ont donné lieu très vite à d’autres rendez-vous dans toute la France, ont aussi attiré l’attention sur les mangas et favorisé l’apparition de nouvelles librairies. 4 Trading, rami cards plastifiées. 5 Au Japon, les mangas sont jetés ou laissés à l’intention d’autres lecteurs dans les transports en commun! 6 Cela peut aboutir à de nouvelles relectures chez les lecteurs de VO et les dessinateurs qui s’imprègnent de la technique pour leurs créations. 7 Définis par Mac Luhan comme le rapport entre la taille du message et sa charge d’information. 8 Glénat, 1991, en version américaine et colorisée. 9 A Paris, l’Epita a ouvert la voie, suivi de BDExpo qui a inauguré son espace manga en 95, puis Toutencartoon, Baka manga à Lyon, Cartoonist à Toulon. Aujourd’hui, ces dernières ont disparu, mais 20 à 30 conventions sont répertoriées dont la célèbre Japan Expo à Paris. 10 Revues artisanales rassemblant articles, dessins ou fanfictions (des scénarii imaginés par les fans et inspirés de leurs séries favorites). 11 Comme les hikikomori, les otaku au Japon sont des personnes qui s’enferment dans une passion exclusive et rompent le contact avec le monde social et leur famille, à l’exception éventuelle d’autres fans avec lesquels ils communiquent le plus souvent virtuellement. LJ118_P14-26 24/05/06 8:14 Page 20 Le cinéma Le Dossier d’animation japonais 20 Ilan Nguyên Présentation Ilan Nguyên Traducteur, critique et coordinateur de divers festivals français et internationaux, il a assumé avec Xavier Kawa-Topor la programmation du festival Nouvelles images du Japon (Forum des images) et prend en charge depuis 2004 celle des Rencontres franco-japonaises de l'animation de Tokyo. Cet article reprend pour partie le texte introductif au catalogue du premier festival Nouvelles images du Japon (Forum des images, Paris, décembre 1999). Publié avec l'aimable autorisation du Forum des images. Le Forum des images vous donne rendez-vous tout au long de l'année pour des manifestations autour du cinéma d'animation. Contact : 01 44 76 62 00 www.forumdesimages.net Un aperçu de l’animation japonaise Dans la découverte aujourd’hui esquissée du cinéma japonais d’animation, continent dont les contours mêmes, sinon les richesses, échappent encore souvent au spectateur étranger, amateur comme détracteur, le manque d’information fiable, pertinente, est un problème de taille. Plus encore que la production japonaise en prise de vue réelle, ce cinéma nous échappe dans sa forme concrète et sa continuité. Si l’usage qui tend à séparer « produits commerciaux » et « œuvres d’auteur », comme des ensembles disjoints, étrangers, est si peu satisfaisant face à la production animée de ce pays, c’est qu’il induit plus encore qu’à l’accoutumée une perception biaisée, un regard réducteur qui occulte la diversité du domaine japonais. Un survol sommaire de trois décennies d’évolution de cet ensemble complexe, à l’envergure insaisissable, est peut-être la meilleure des entrées en matière. Les vingt dernières années et l’œuvre de réalisateurs tels Oshii, Ôtomo, Sugii ou Anno nous redonnent à saisir de façon incessante, et tout aussi évidente, les limites de telles oppositions « classiques ». Si l’ère des grands studios, initiée au Japon par la création d’un département d’animation au sein de la compagnie Tôei en 1956, représente le point de départ de la production japonaise telle qu’elle existe aujourd’hui, l’ambition de ces débuts, orientée vers un horizon disneyen, devait changer en quelques années de façon radicale. L’entrée en scène de Tezuka marque un virage décisif. Participant à partir de 1959 aux longs métrages de Tôei, il fonde dès 1961 son propre studio pour réaliser des œuvres à son idée. Initiateur du standard des séries télévisées à diffusion hebdomadaire, il veut renouveler en animation les exploits pionniers dont il est auréolé dès cette époque dans le domaine de la bande dessinée. Le grand succès de ses séries télévisées lui donne un temps raison face à ses détracteurs, malgré les conditions de travail qu’elles entraînent pour les animateurs. En peu de temps, la norme télévisée s’impose sans partage à l’ensemble de la production. C’est dans le même temps que Yôji Kuri, un caricaturiste venu à l’animation par le spectacle des films de Norman McLaren, fonde le « Trio de l’animation » avec le dessinateur Ryôhei Yanagihara et l’illustrateur Hiroshi Manabe : c’est le point de départ d’un travail animé à vocation noncommerciale, dans un esprit d’avant-garde affirmé, au carrefour de disciplines aussi diverses que le dessin satirique, le design ou la musique concrète… Ensemble, les trois hommes lancent le Sôgetsu Animation Festival, bientôt ouvert aux jeunes créateurs suivant les mêmes « canons » Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P14-26 24/05/06 8:14 Page 21 21 de l’indépendance : auto-production, création individuelle, statut amateur… Kuri marque ainsi de son influence une génération entière de réalisateurs, tels Taku Furukawa, Hal Fukushima, Kô Nakajima, Tatsuo Shimamura ou Renzô Kinoshita… L’empreinte de Kuri sur l’animation dite « d’auteur » est souvent présentée comme celle d’un fondateur. Il est exact qu’avec lui apparaît au Japon une dichotomie qui, jusque-là, ne trouvait pas sa raison d’être entre les œuvres, selon les circonstances de leur production. Par ailleurs, cette affirmation d’une création indépendante au Japon est contemporaine des débuts, à Annecy, du premier Festival international du film d’animation, et de la création de l’ASIFA (Association Internationale du Film d’Animation). D’autres itinéraires trouvent leur source au même moment : Kihachirô Kawamoto et Tadanari Okamoto, formés tous à l’école de Tadahito Mochonaga, le pionnier de l’animation de marionnettes au Japon, se lancent à leur tour dans la création au début des années 1960. Au début des années 1970, dans le dessin animé, les bouleversements se précipitent. « L’âge d’or de Tôei », rayonnement d’une décennie assis par une imposante succession de longs métrages, touche à sa fin, et le poids relatif de l’animation télévisée est désormais décisif, comme en témoigne le nombre de séries diffusées. Le paysage de la profession prend une nouvelle tournure avec le développement de sociétés concurrentes, fondées au cours des années précédentes et qui travaillent d’abord pour la télévision, de Tatsunoko Pro au Studio A Production (filiale de la compagnie Tôkyô Movie), ou à Madhouse, en passant par Tezuka Productions, l’autre société fondée par Tezuka, et où ce dernier poursuivit son activité après le fiasco de ses projets de longs métrages « pour adultes », qui au tournant des années 1970 menèrent son studio Mushi Production à la perte. Ces années voient s’affirmer de nouveaux metteurs en scène. La diversification formelle et générique de la production télévisuelle met ainsi à jour des différences d’orientations entre les animateurs ayant fait leurs débuts avec Tezuka, ou qui l’ont suivi au cours des années précédentes (Rintarô, Osamu Dezaki…), et ceux qui ont fait leurs armes au studio de Tôei. Parmi ces derniers, deux collaborateurs et amis, Isao Takahata et Hayao Miyazaki, entament à partir de 1971 un long parcours créatif pour la télévision. Ils sont notamment les initiateurs d’un genre qui constitue à lui seul un pan nouveau de cette production : l’adaptation de récits classiques de la littérature mondiale leur impose pour cadre des pays étrangers, et se caractérise déjà, pour Takahata, par le souci de dépeindre l’existence au quotidien dans un environnement précis. Toute la décennie est marquée par cette orientation (reprise par divers studios), et quelques autres : citons les séries sportives exaltant une persévérance acharnée, et le registre déjà en vogue du robot géant, dans une forme encore souvent peu dégrossie… En 1977, une vague désignée au Japon par le terme d’anime boom voit Lecture Jeune - juin 2006 Ozamu Tezuka Isao Takahata Hayao Miyazaki LJ118_P14-26 22 24/05/06 8:14 Page 22 Le cinéma d’animation japonais triompher une animation plus mûre, avec l’engouement que suscite Le Croiseur spatial Yamato, un space opera tragique mâtiné de mélodrame adolescent. L’évolution du statut de l’animation est alors perceptible : la chaîne de télévision nationale NHK se lance dans la production de séries animées, les films pour le cinéma reviennent à l’honneur, les premiers magazines spécialisés à destination du grand public font leur apparition. La décennie suivante, marquée notamment par l’apparition de séries réalisées en coproduction avec l’étranger, voit aussi le lancement, de 1983 à 1985, d’un nouveau format intermédiaire entre télévision et cinéma. La production de telles animations, destinées directement au marché de la vidéo, est lourde de sens : désormais, il devient possible de rentabiliser un dessin animée par les seuls résultats de ses ventes auprès d’un public de passionnés… C’est aussi en 1985 que Renzô Kinoshita lance sous l’égide de l’ASIFA le Festival international du film d’animation de Hiroshima, nouveau lieu d’expression pour les créations les plus personnelles. La même année, Takahata et Miyazaki fondent le Studio Ghibli, dont les réalisations les consacrent aujourd’hui comme deux metteurs en scène d’animation parmi les plus remarquables du monde. Un prix, récompense de référence au Japon, est décerné chaque année à un film d’animation, sans distinction de métrage ni de catégorie de production. Il porte le nom d’un pionnier de l’avant-guerre, Noburô Ôfuji, et la succession des œuvres distinguées depuis sa création en 1962 est édifiante : de Tezuka à la production de long métrage de Tôei en passant par Kuri, par Kawamoto et Okamoto, qui règnent sans partage sur les années 1970, puis Takahata et Miyazaki, mais aussi Makoto Wada, Taku Furukawa et tant d’autres… D’emblée, c’est sans doute dans sa diversité que ce prix se propose de saisir la production japonaise. Par la légitimité et la maturité de son cinéma d’animation, le Japon, depuis des années, nous montre un chemin, parsemé de chefs-d’œuvre innombrables, et défiant toute vérité générale. Reste, dans l’ignorance qui est la nôtre, à se donner les moyens de les découvrir. Du mépris à l’encensement, les aléas d’une réception L’histoire de la réception de l’animation japonaise à l’étranger pourrait s’écrire comme celle d’un long malentendu où le cas français occuperait à lui seul un volumineux chapitre. C’est dès les années 1970 que s’est instauré un clivage entre l’idée que l’on se fait en France du dessin animé, en particulier, et la réalité complexe, protéiforme de la production japonaise. Lorsque des séries télévisées japonaises, importées par des programmateurs parfois peu sourcilleux, arrivent en France, à partir de l'été 1978, initiant une vague de diffusions qui culminera au cours de la décennie suivante, elles trouvent de facto leur place dans les cases jeunesse de la télévision, quels que soient leur qualité, leur contenu et leurs destinataires, prêtant ainsi à tous les amalgames. Ainsi, pendant des Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P14-26 24/05/06 8:14 Page 23 23 années, il n’y eut pas de mots trop durs pour stigmatiser les maints démérites de ce que beaucoup, en France, continuent d’ailleurs de désigner, de façon erronée, du mot manga : choix directeurs à visées impérialistes, complaisance dans la violence, stéréotypes graphiques, indigence de l’animation... sont parmi les principaux griefs que suscitera leur présence sur nos écrans de télévision, jusqu'à leur éradication des antennes, à partir du milieu des années 1990, en conséquence de la mise en place du système des quotas audiovisuels imposé en France par le CSA. "Bête noire" d’une certaine bonne conscience culturelle et éducative française rangée parfois aux pires arguments protectionnistes, l’animation japonaise n'en marquera pas moins — pour le pire mais aussi pour le meilleur — les mémoires de bien des jeunes téléspectateurs. Un changement de tendance s’est opéré depuis le tournant des années 2000. Une nouvelle génération, dont on dit aujourd’hui communément qu’elle aurait grandi avec les séries japonaises à la télévision, est parvenue à l’âge adulte. Le fait est que le dessin animé fait partie intégrante de ses goûts et de ses pratiques culturelles. Avec elle, sans doute, l’animation est-elle en train de quitter progressivement le registre du film pour enfants où elle est restée si longtemps cantonnée de facto en Occident. Ce changement de mentalités apparaît étroitement lié au format du cinéma — au contraire de la télévision —, et à la distribution en salles d'un certain nombre de longs métrages. Après Akira en 1991, en effet, quelques films étaient parvenus à se frayer un chemin jusqu’à nos salles obscures, obtenant un succès d’estime auprès des cinéphiles : Porco Rosso en 1995, Ghost in the Shell et Le Tombeau des lucioles en 1996, puis Perfect Blue, Mon voisin Totoro et Jinrô à la fin 1999. Mais la véritable rencontre avec le grand public français reste à ce jour l’exclusive des films de Miyazaki, dont l’adresse aux enfants est prépondérante. De fait, c’est dans la distribution même des films qu’un changement de régime s’est amorcé en 1999, et depuis lors les sorties s'enchaînent : de Princesse Mononoke (2000, 2001) au Voyage de Chihiro (2002), au Château dans le ciel (2003) et à Kiki la petite sorcière (2004), puis au Château ambulant (2005), pour le seul Miyazaki. Dans le même temps, l'œuvre de Takahata, son collègue et mentor au Studio Ghibli, s’est vue elle aussi mise en avant — mouvement sans précédent, et qui constitue la plus remarquable spécificité de la réception française —, à travers plusieurs sorties en salles successives : Gauche le violoncelliste et Nos voisins les Yamada (2001), Chié la petite peste et Les Aventures de Hols, Prince du soleil (2004), et récemment Pompoko (2006). Ce mouvement d'appréciation à retardement autour du studio Ghibli a également profité à d'autres films qui ont pu bénéficier d'un a priori positif, opportunément portés par cette vague de reconnaissance empressée, et confusément crédités eux aussi à la hausse : ainsi de Métropolis (2002), du Royaume des chats et de Cowboy Bebop (2003), du Serpent blanc, de Steam Boy et d'Innocence (2004), du Roi Léo ou encore d'Appleseed (2005)... Lecture Jeune - juin 2006 Le Tombeau des lucioles Pompoko de Takahata LJ118_P14-26 24/05/06 8:14 Page 24 Gestion et animation Le Dossier d’un fonds manga… 24 Agnès Deyzieux Témoignage …En CDI Agnès Deyzieux Documentaliste et formatrice au CDI du Lycée Touchard, Le Mans. Pour toute information concernant l’animation et la mise en place pour les classes de séquences pédagogiques autour des mangas — dans une approche transdisciplinaire —, vous pouvez contacter l’association Bulle en Tête : [email protected] www.bulle-en-tete.com Le Guide Phoenix du Manga, Asuka, 2005 Sites Internet www.animeland.com, www.mangajima.com, www.manganews.com, www.mangaverse.net, www.mangavore.net, www.webotaku.com. www.arte-tv.com Parler de la constitution d’un fonds manga ne va pas de soi, la BD étant toujours le parent pauvre des CDI… Comment choisir ? Face à un marché en plein essor et extrêmement changeant, à un rythme de parution effréné (environ cent titres par mois), les non initiés se sentent parfois démunis. Si l’enrichissement d’un fonds manga peut être facilité par la mise en ligne de nombreuses analyses de nouveautés, la constitution est moins évidente ! Pour ce qui est des incontournables, je vous invite à vous reporter à la « Petite bibliothèque idéale » en page 26. Cette sélection pourra être complétée en compulsant Le Guide Phoenix du Manga, une référence pour les professionnels du livre ! De très nombreux sites Internet sont consacrés au manga. Deux d’entre eux présentent, en plus d’une très grande variété de dossiers, interviews et archives, une sélection mensuelle de titres analysés avec pertinence : la rubrique Mang’Actu du site d’Arte chronique une dizaine de livres; le site Mangas news offre la liste de tous les éditeurs de mangas et une critique des sorties. Animeland, magazine consacré à la japanimation, aide à se repérer dans l’actualité. Il se décline en un webzine très riche malgré une navigation un peu confuse. Que choisir ? Le principe de série, constitutif du genre, séduit les adolescents. Quand ils ont trouvé la série qui les passionne, ils désirent la lire en entier et le plus vite possible. En effet, dans la majorité des shônen et shojo, c’est le parcours initiatique du héros qui prime, quel que soit l’univers dans lequel il évolue. Pour le documentaliste, la difficulté est de savoir s’il cherchera à encourager cette boulimie en achetant plutôt des séries complètes, ce qui induira pour les petits budgets un nombre limité de titres, ou s’il privilégiera la diversification des titres en laissant des séries incomplètes ou en favorisant les one shot et les séries courtes. Si les deux politiques se valent, il s’agit néanmoins de les expliciter aux élèves afin d’éviter les frustrations ! En outre, il est essentiel de mêler des titres de séries suggérés par les élèves (Naruto, One Piece, Fullmetal Alchemist…), sensibles aux effets de mode et aux pressions médiatiques (diffusion de feuilletons TV, commercialisation de produits dérivés), à des titres moins connus mais tout aussi attractifs et souvent plus intéressants (ex : Docteur Slump, du même auteur que Dragon Ball ou Real, de l’auteur de Slam Dunk). Comme pour la fiction en général, il est préférable de présenter d’abord à l’ado des titres dont il a entendu parler ou dont il a envie. Une fois la confiance instaurée, on peut l’amener à s’ouvrir à d’autres ouvrages. La variété des thématiques et des niveaux de lectures permet réellement à tous les jeunes d’évoluer au sein du genre. On assiste à une féminisation et un « vieillissement » du lectorat : il n’y a plus un mais des publics mangas ! Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P14-26 24/05/06 8:14 Page 25 Gestion et animation Le Dossier d’un fonds manga… 25 Ghislaine Sagbo Témoignage Gennevilliers est doté d’une bibliothèque centrale et de deux annexes. Notre fonds manga, présenté dans l’espace BD, est restreint (150 exemplaires environ, représentant 12% du fonds BD) : c’est peu par rapport à la production et à la réalité des emprunts. Notre logiciel informatique nous permet d’obtenir un « hit-parade » des prêts. Sur un an, les 12 BD qui sortent le plus sont des mangas ; ils représentent 27 des 50 BD en tête de liste. Même si ce ne sont que des indications, ces chiffres doivent être pris en compte dans nos politiques d’acquisitions. Le fonds manga est l’un de ceux qui a le plus vite augmenté ces dernières années, en fonction du nombre de lecteurs et de leur âge. S’il attire principalement des adolescents et des jeunes adultes, chaque année arrivent en section adulte des lecteurs de 14 ans qui lisaient des mangas jeunesse et sont impatients d’en découvrir de nouveaux. Pour régler l’épineux problème du classement des œuvres (en section adulte — 14 ans et plus — ou jeunesse ?), nous sommes très attentifs au contenu. Les titres qui sortent moins sont les mangas pour adultes ou ceux qui n’ont pas un graphisme ou un format « typiquement manga ». Ainsi, les œuvres, pourtant accessibles, de Jirô Taniguchi — un très bon auteur, apprécié des médiateurs et des adultes — intéressent peu les jeunes. Tandis qu’un titre comme Ayako d’Osamu Tezuka, à la présentation plus traditionnelle mais aux thèmes difficiles et à la narration complexe, est emprunté et apprécié. Les acquisitions se font grâce aux lectures personnelles des collègues, aux conseils du libraire BD d’Enghien, aux suggestions des lecteurs et aux ressources en ligne. Nous avons mis en valeur le fonds en proposant des animations. Un intervenant a expliqué à l’équipe ce qu’était le manga et comment il avait émergé. Le fonds a également été présenté à ceux qui ne le connaissaient pas. Les échanges ont beaucoup apporté aux collègues qui lisent peu de mangas mais sont amenés à répondre aux demandes de jeunes lecteurs. Une autre rencontre, animée par notre libraire et un journaliste de la revue Virus Manga, a été organisée pour faire connaître au grand public les différents genres de mangas et leur impact dans les sociétés japonaise et française. Elle a rassemblé essentiellement des adolescents. Une bibliographie consacrée aux mangas a été éditée. Parallèlement, nous essayons d’intégrer des BD et mangas dans les bibliographies plus généralistes afin de les rendre accessibles à un large public, et nous conseillons régulièrement les mangas que nous avons aimés. S’il serait illusoire de croire que nous pourrons intéresser tous les lecteurs, nous pouvons néanmoins insister pour faire découvrir aux adultes des œuvres d’une très grande qualité qui peinent pour l’instant à trouver leur public. Lecture Jeune - juin 2006 …En bibliothèque Ghislaine Sagbo Assistante qualifiée de conservation du patrimoine et des bibliothèques, en charge du secteur BD de la bibliothèque municipale de Genevilliers. Illustration tirée du Journal de mon père de Taniguchi LJ118_P14-26 24/05/06 8:14 Page 26 Petite bibliothèque Le Dossier idéale 26 Agnès Deyzieux AOYAMA, Gosho, Détective Conan, 50 tomes (série en cours), Kana. Genre Policier / Humour Niveau Livre accroche HANAWA, Kazwichi,Tensui, 2 t. (série complète), Casterman (Sakka). Genre Conte / Fantastique, Niveau Lecteurs confirmés HASHIGUCHI, Takashi,Yakitate !! Japan, 3 t. (en cours), Akata. Genre Humour Niveau Livre accroche HITOSHI, Iwaki, Parasite, 10 t. (complète), Glénat (Seinen). Genre Fantastique / Horreur Niveau Lecteurs confirmés HOTTA, Yumi et OBATTA, Takeshi, Hikaru no go, 20 t. (3 derniers t. à venir), Tonkam. Genre Fantastique Niveau Livre accroche INOUE, Takehiko, Real, 4 t. (complète), Kana (Big Kana). Genre Société Niveau Et après ITO, Junji, Spirale, 3 t. (complète), Tonkam. Genre Fantastique /Horreur Niveau Lecteurs confirmés KISHIRO, Yukito,Gunnm, 9 t. (complète), Glénat (Manga grand format). Genre Science-fiction Niveau Lecteurs confirmés KOIKE, Kazuo et KOJIMA Goseki, Lone Wolf and Cub, 12 t. (16 derniers t. à venir), Génération comics. Genre Histoire Niveau Lecteurs confirmés KON, Satochi, Kaikisen : retour vers la mer, 1 t., Casterman (Sakka). Genre Fantastique Niveau Et après KURUMADA, Masami, Les Chevaliers du Zodiaque, 28 t. (complète), Kana. Genre Heroïc Fantasy Niveau Livre accroche MATSUMOTO, Leiji, Galaxy Express 999, 10 t. (en cours), Kana. Genre Science-fiction Niveau Livre acroche MIZUNO, Junko, Cinderalla, 1 t., IMHO. Genre Conte / Horreur / Humour Niveau Et après OTOMO, Katsuhiro, Dômu : Rêves d’enfants, 3 t. (complète), Les Humanoïdes associés. Genre Policier / Fantastique Niveau Et après SATO, Syuho, Say Hello to Black Jack, 10 t. (série en cours), Glénat. Genre Société Niveau Et après TAKAHASHI, Shin, Larme ultime, 7 t. (complète), Akata. Genre Science-fiction Niveau Lecteurs confirmés TANAKA, Masashi, Gon, 7 t. (en cours), Casterman (Manga). Genre Aventure / Humour Niveau Livre accroche TEZUKA, Osamu, L’histoire des 3 Adolf, 4 t. (complète), Tonkam. Genre Histoire / Policier Niveau Et après TORIYAMA, Akira, Dr Slump, 18 t. (complète), Glénat (Manga poche). Genre Aventure / Humour Niveau Livre accroche URASAWA, Naoki, Monster, 18 t. (complète), Kana (Big Kana). Genre Policier / Thriller Niveau Et après URASAWA, Naoki, XXth Century Boys, 19 t. (en cours),Génération Comics. Genre Thriller Niveau Et après WATSUKI, Nobuhiro, Kenshin, le vagabond, 28 t. (complète), Glénat. Genre Histoire Niveau Livre accroche Les titres de cette sélection, arrêtée en mars 2006, ont été retenus en fonction de leurs qualités narratives et graphiques plutôt que de leur éventuel succès commercial. Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P27-41 24/05/06 8:16 Page 27 Parcours de lecture Livres accroche Littératures Bandes Dessinées Documentaires page 28 à 37 page 38 à 39 page 40 à 41 Et après Littératures Bandes Dessinées Documentaires page 42 à 49 page 50 à 51 page 52 à 53 Lecteurs confirmés Littératures Bandes Dessinées Documentaires Ouvrages de référence page 54 à 60 page 61 à 64 page 65 à 68 page 69 à 70 LJ118_P27-41 24/05/06 8:16 Page 28 28 Parcours de lecture Livres accroche Littératures 1I Nora Aceval Ill. Elène Usdin Seuil Jeunesse, 2006 152 p. 16 € 2-02-058542-1 Genre Conte Mots clés Désert Voici un magnifique recueil à lire à voix haute ou basse, à feuilleter : tout de suite nous sommes dans le désert, dans le sud algérien, sous les tentes, ou bien à cheminer avec les caravanes. On nous offrira l’eau des guerbas et le couscous odorant, car l’hospitalité est de règle, même chez les ogres, où avoir tété le lait de l’ogresse assure protection. Beaucoup d’histoires de femmes, de fertilité, d’enfantement se déroulent… sous l’autorité de l’homme, bien sûr ; mais à l’image du sultan, celui-ci se doit d’être juste et bienveillant. Tandis qu’il chevauche au loin, dans l’ombre de la tente jalousie et envie fomentent de noirs complots, ruses et sortilèges accablent la préférée. Après les épreuves endurées avec patience, celle-ci sera sauvée par sa bonté naturelle, le bonheur refleurira comme l’Herbe Verte, et le conteur conclura : « mon histoire est partie, et moi je suis encore ici ». Au passage, il nous aura semblé reconnaître quelques personnages familiers : le petit Poucet, Cendrillon, Aladin. Mais le cadre du désert — jamais de villes, pas de marchands — et les coutumes des nomades dépayseront les lecteurs qui se découvriront comme au musée de l’Homme « tous pareils, tous différents ! ». n Michelle Brillatz 2I Laure Bazire et Flore Talamon Nathan, 2006 (Poche Histoire) 238 p. 5,70 € 2-0925-0844-X Genre Roman historique Mots clés XVIIIe siècle Contes du Djebel Amour L’Envol des Corbeaux : Les Enfants des Lumières, T. 3 1757. Toujours au service de Buffon au Jardin du roi, Pierre est préoccupé par les cauchemars incessants qui tourmentent son amie Edeline. Hélas, ce sont des dangers bien réels qui viennent les menacer quand Edeline assiste par hasard à la tentative d’assassinat de Louis XV par Damiens, et que Pierre est arrêté dans une taverne où se réunissent les ennemis du roi. Ce complot s’inscrit dans les luttes du Parlement contre l’absolutisme. Le parti pris est assez manichéen : la royauté est de droit divin, ses opposants ne peuvent être que d’odieux personnages, et bien sûr, ce sont eux les responsables des malheurs d’Edeline et de sa véritable famille. Ce dernier épisode, particulièrement complexe, est moins rythmé et réussi que les précédents. De plus, les incursions dans l’étude de la folie et de ses sauvages traitements à la Salpétrière, des prisons et des châtiments infligés à l’époque le rendent bien noir. Toutefois, la bonté et la sympathie qui émanent des principaux personnages en font une lecture agréable. A ceux qui aiment l’histoire, L’Envol des Corbeaux offre un vrai regard sur une Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P27-41 24/05/06 8:16 Page 29 29 période peu traitée dans les manuels, et pourtant annonciatrice de 1789. n Michelle Brillatz Pour les notices consacrées aux deux premiers tomes, voir LJ n° 115 (notice 1) et LJ n° 117 (notice 1).ndlr 3I Poursuite infernale A la nuit tombée, Quentin, recroquevillé dans les toilettes du collège, n’échappe pas à Brice qui le rackette et l’humilie : « t’es un nul, mon vieux ! ». Tabassé, dépouillé, Quentin sort tête basse dans la cour, où règne une étrange agitation : une équipe de tournage envahit les lieux ! Remarqué et immédiatement embauché comme figurant, Quentin accepte dans l’espoir de se valoriser. Avec brutalité, le réalisateur lance ses « Action… coupez… ». Le rôle de Quentin est de se faire poursuivre par un sinistre personnage armé d’un long couteau. Certes, ce n’est qu’un film « mais le scénario requiert une victime, dit le réalisateur… et tu es tellement bon dans ce rôle […] t’es un nul, avait dit Brice, et tu ne changeras jamais, jamais. » Si la réalité est immuable, un scénario, ça se change, non ? Quentin s’empare du script, corrige la fin : les monstres deviennent flous, le réalisateur est emporté dans les airs. Il ne reste plus au jeune héros qu’à écrire un autre film, où ce sera lui, et lui seul, qui procédera au montage. Comme un jeu vidéo, la vie exige une dose de réflexion, de stratégie et de confiance en soi. Au terme d’un parcours réel ou fantasmé, Quentin parviendra à abandonner son attitude soumise... Ce petit ouvrage efficace, à l’écriture sobre et dynamique, introduira les plus jeunes et les plus rétifs à la lecture à un vrai sujet de société : le racket. n Michelle Brillatz Milan lance une nouvelle collection, idéale pour les lecteurs en panne, « Mort de peur », avec le slogan suivant : « Bienvenue dans l’horreur ». Ce concept fort et vendeur rappelle celui d’une autre collection, « Chair de poule » (Bayard)… Mais les amateurs de sensations fortes risquent d’être un peu déçus. Si suspens et inquiétude sont au rendez-vous, on est bien loin de l’atmosphère terrifiante des films d’horreur! ndlr 4I L’Enfant sauvage Bruno Castan évoque l’histoire vraie de Victor de l’Aveyron. Au début du XIXe siècle, un enfant sauvage fut capturé et confié à la garde d’un jeune médecin souhaitant faire la preuve de la nécessité de la socialisation dans le développement de l’individu. François Truffaut, à partir des rapports du Dr Itard (1801-1807), a fidèlement adapté à l’écran le récit des observations et tentatives d’éducation du jeune garçon. « Tu n'es plus Lecture Jeune - juin 2006 Tony Bradman et Martin Chatterton Trad. de l’anglais par Karine Guié Milan, 2006 (Mort de Peur) 83 p. 5,50 € 2-7459-1876-1 Genre Fantastique Mots clés Racket Bruno Castan Théâtrales Jeunesse, 2006 80 p. 7€ 2-84260-211-0 Genre Théâtre Mots clés Education Communication LJ118_P27-41 30 24/05/06 8:16 Page 30 Livres accroche un sauvage, même si tu n'es pas encore un homme » concluait le personnage du docteur dans le film L’Enfant sauvage. Les questions de culture, d’éducation, de communication et d’humanité sont posées par cette œuvre forte. Le texte de B. Castan ne fait qu’évoquer les scènes d’expériences à caractère scientifique qui étaient au cœur du projet du cinéaste. L’évolution et l’apprentissage de Victor se font ici dans des instants du quotidien — un bain, le tri d’aliments, une promenade… L’enfant sauvage est peu acteur de l’histoire. Cette extériorité était aussi le parti pris de Truffaut, ce pour mieux renforcer la notion d’objet d’étude. Ici, il s’agit de s’intéresser aux relations qui se nouent avec l’enfant et autour de lui, entre le docteur Villeneuve et sa bonne, madame Guéret. Ce personnage très attachant de femme simple impose au récit sa couleur, celle de la tendresse et de la douceur. Elle constitue une forme de lien nécessaire entre l’état de nature et de culture puisqu’elle-même ne sait ni lire ni écrire et malmène la grammaire française. Une entrée riche, et pleine d’empathie, pour les plus jeunes lecteurs, dans les multiples interrogations amenées par cette histoire. n Hélène Sagnet Texte créé et mis en scène le 1er octobre 1991 sous le titre Le Babou ou l’Enfant sauvage au Théâtre national de Marseille-La Criée. ndlr 5I Fabrice Colin Mango, 2006 (Autres mondes) 205 p. 9€ 2-7404-2072-7 Genre Science-fiction Mots clés Violence Invisible Dans ces années 2020 où la misère est grande et les écarts entre classes sociales se creusent, Tiago et son ami Douglas ne peuvent survivre dans les favelas de Rio sans intégrer un gang, en l’occurrence celui d’Angel. Tous deux participent à l’attaque ratée d’un fourgon blindé : dans leur fuite éperdue, ils emmènent un maigre butin, une éprouvette. Ils sont traqués par Angel, exaspéré par cet échec et les amours de Tiago avec son égérie Gloria. L’éprouvette casse et libère des nanites (nanorobots) qui s’infiltrent dans les corps qu’ils rencontrent et prolifèrent à la moindre poussée d’adrénaline. Des androïdes affectés à la sécurité sont aussi contaminés et menacent gravement les habitants de Rio : la situation semble désespérée… Ce récit d’aventures et d’anticipation très bien construit, rythmé et visuel, distille malgré quelques pauses sentimentales une angoisse qui va crescendo jusqu’à un final apocalyptique ! Il présente une pléiade de personnages d’une grande véracité (le prêtre engagé, le savant dépassé par sa création, le grand-père pieux, le militant gauchiste, etc.). Deux sources fondamentales d’angoisse dans l’inconscient collectif et la littérature de SF le nourrissent : celle d’une technologie qui, à terme, exterminerait l’espèce humaine et celle d’une pandémie. Le roman se présente comme une mise en garde, non pas contre le progrès technique mais contre ses dérives et la tendance de l’homme à se faire apprenti Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P27-41 24/05/06 8:16 Page 31 Littératures 31 sorcier, démiurge. F. Colin explique d’ailleurs clairement dans sa postface son point de vue sur les nanotechnologies. n Marie-Françoise Brihaye 6I Matilda Bone Elevée dans un manoir par un prêtre qui lui a enseigné le grec, le latin et la vie des saints, Matilda, orpheline de quatorze ans, voudrait bien s’enfuir de chez la rebouteuse à qui elle a été confiée. Mais elle ne sait où aller. Comment supporter les autres quand ils lui ont toujours été présentés comme sources de perversion ? Auprès de cette femme au caractère revêche mais généreux, Matilda se transforme, apprend à réfléchir par elle-même, comprend qu’elle peut sauver son âme en écoutant ceux qui l’entourent et que le savoir théorique n’est rien sans l’altruisme. Roman d’apprentissage et roman historique, ce texte évoque la médecine du Moyen Age de façon très vivante ainsi que la vie de village : la dureté du quotidien mais aussi l’entraide et l’amitié. Une intrigue bien construite et un sujet fouillé constituent les principales qualités de ce très bon ouvrage. A la fin, une documentation sur la médecine de l’époque permet d’approfondir le sujet. n Agnès Donon Karen Cushman excelle dans l’évocation de destinées féminines atypiques : on peut redécouvrir à L’école des loisirs Le livre de Catherine (1998, voir LJ n° 88, notice 39), journal intime d’une jeune fille au Moyen Age, mais aussi La ballade de Lucy Whipple (2002, voir LJ n° 104, notice 63), magnifique récit de la conquête de l’Ouest par une adolescente. ndlr Karen Cushman Trad. de l’anglais par Hélène Misserly L’école des loisirs, 2005 (Médium) 237 p. 11 € 2-211-07504-5 Genre Roman d’apprentissage Roman historique Mots clés Moyen Age Médecine 7 I Sorcière blanche Les adolescentes ne manqueront pas de se passionner pour l’incroyable destin de la jeune Agathe de Préault-Aubeterre ! Fruit d’un mariage d’amour entre deux aristocrates inconséquents, Agathe subit leurs frasques. Alors que le père, joueur invétéré, croupit en prison pour avoir offensé le roi, la mère peine à faire survivre ses deux enfants. Elle finit par les confier à contre cœur à sa demi-sœur, châtelaine en Bretagne. Une paysanne révèle à Agathe son don pour guérir et prédire l’avenir. Auprès de leur tante aimante et de leurs cousins, Agathe et son frère vivent quelques années d’insouciance, à l’abri du besoin. Mais un jour, leurs parents, dont ils n’avaient plus de nouvelles, viennent les chercher pour commencer une nouvelle vie aux Caraïbes. La jeune fille suit la mort dans l’âme ce père fanfaron et cette mère légère et distante, auxquels elle ne parvient pas à accorder sa confiance. Une traversée éprouvante, une rencontre avec des pirates, les leçons d’un sage vaudou, la découverte de la pauvreté à Saint-Domingue, l’expérience de l’esclavage : voici les Lecture Jeune - juin 2006 Anne-Marie Desplat-Duc Rageot, 2006 (Romans) 221 p. 6,70 € 2-7002-3219-4 Genre Roman d’apprentissage Roman historique Mots clés XVIIe siècle Sorcellerie LJ118_P27-41 32 24/05/06 8:16 Page 32 Livres accroche aventures trépidantes qui attendent Agathe et l’aideront à grandir. Le rythme de la narration et le style classique ne sont pas les seuls atouts de ce roman d’A.-M. Desplat-Duc. On appréciera le portrait d’une héroïne positive et libre, amenée par la force des choses à assumer les responsabilités auxquelles ses parents ont renoncé. n Gaëlle Glin Sorcière blanche est l’un des premiers titres de la nouvelle collection lancée en avril par Rageot, « Rageot romans », qui remplacera à terme la collection « Cascade ». Nous aurons l’occasion de vous en présenter d’autres dans le numéro de septembre. ndlr 8 I Prisonnière de la Lune Monika Feth Trad. de l’allemand par Suzanne Kabok Milan, 2005 (Macadam) 282 p. 8,50 € 2-7459-1435-9 Genre Roman social Mots clés Secte Adolescence Dans un petit village d’Allemagne s’est installée la secte des Enfants de la Lune que les habitants du village voient d’un très mauvais oeil. Grâce à sa passion pour la photographie, Marlon, fils du fermier du coin, va entrer en contact avec Jana, membre de la secte, dont il tombera amoureux. Maria, la meilleure amie de Jana, est quant à elle enfermée au pénitencier pour avoir aimé avant l’heure Simon, auquel elle était promise à l’âge adulte. Les deux jeunes filles sont nées dans la secte et obéissent aux règles sans recul ni questionnement. Mais leur tempérament plutôt rebelle ainsi que les évènements et les rencontres « du dehors » les amèneront à mûrir, à devenir adultes et à choisir finalement la liberté. Des passages en caractère gras rappellent les règles édictées par la Lunité et permettent ainsi de souligner la prise de conscience et les moments de lucidité de Maria. Les différences entre les deux modes de vie et de pensée — ceux du « dehors » et du « dedans » — sont bien rendues dans le discours des protagonistes. L’auteur rend palpable l’impression d’enfermement et le mélange d’attraction et de répulsion des deux jeunes disciples pour le monde extérieur. Quant au sujet délicat des sectes, il est abordé ici avec justesse et sans trop de manichéisme. Un parallèle intéressant est établi avec certaines religions. n Mathilde Valognes Par l’auteur du remarqué Vol, envol (Thierry Magnier, voir LJ n° 110-111, notice 43), lauréat du prix Tam Tam du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil en 2004. ndlr Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P27-41 24/05/06 8:16 Page 33 Littératures 33 9 I Billy le Transi Voici un ouvrage qui semble interroger les rôles et places de chacun. Celles des adultes puisque ici le père est parti faire fortune en Australie, la mère est injustement emprisonnée pour vol et l’oncle, seul en charge des enfants, fait preuve d’une grande inconséquence. Et celles des enfants qui assument des responsabilités qui ne sont pas les leurs : Clarrie et Will, face à cette situation, vont devoir arrêter l’école pour travailler et s’occuper de la maison. Les rôles sont encore plus brouillés lorsque Will prend l’apparence d’un pantin de bois pour donner la réplique à Billy, la marionnette du spectacle de ventriloque que joue chaque soir son oncle dans un cabaret miteux. Bienvenue dans le formidable petit théâtre d’Anne Fine ! N’est-ce pas en effet ici la notion de personnage que questionne l’auteur ? Au théâtre, les ficelles sont parfois un peu « grosses » : dans une Angleterre à la Dickens, la pétillante Clarrie saura faire preuve d’imagination et de ténacité pour résoudre les difficultés et réunir sa famille. Le talent d’Anne Fine est de créer une ambiance étonnante ! La vie misérable, les cabarets minables, et la figure sinistre de la marionnette, amènent une dimension inquiétante… Le récit semble parfois basculer vers le fantastique et on frémit… Une interrogation : l’ouvrage a-t-il vraiment sa place dans la collection « Neuf » du fait de son atmosphère et de la complexité des personnages ? n Hélène Sagnet 10 I Anne Fine Trad. de l’anglais par Agnès Desarthe L’école des loisirs, 2005 (Neuf) 178 p. 10 € 2-211-080-08-1 Mots clés Marionnette Pauvreté Alter Jeremy Après une entrée en littérature remarquée en 2000 avec La lune seule le sait, ouvrage de science-fiction primé, le jeune Johan Heliot propose son premier ouvrage dans la collection « Autres mondes ». L’informaticien Hughes Kessler a élaboré un programme informatique, Alter, susceptible de reconstituer virtuellement la personnalité d’un défunt à partir de données génétiques, psychologiques et biologiques. Il le teste dans le plus grand secret en dialoguant avec le « clone » de son épouse, récemment disparue. Le destin s’acharne : son fils Jérémy meurt à son tour dans un accident de roller. Et Lise, en digne fille de son père, teste à son insu le programme en introduisant dans la machine le journal informatique de son frère. La multinationale qui emploie Hugues vole le programme Alter appliqué à Jérémy pour le tester, dans l’espoir de grands profits à venir. La lutte sera sévère entre celle-ci et la « famille » Kessler : pour la maîtrise du programme, tous les coups seront permis… Ce récit plein de rebondissements, entremêlant habilement les registres du réel et du virtuel, interroge le désir de toute puissance de l’homme dans sa quête d’immortalité. Ici, il conçoit des programmes informatiques au Lecture Jeune - juin 2006 Johan Heliot Mango, 2005 (Autres mondes) 192 p. 9€ 2-7404-1925-2 Genre Science fiction Mots clés Clonage Deuil LJ118_P27-41 34 24/05/06 8:16 Page 34 Livres accroche statut incertain : ces entités dotées de mémoire ont-elles une conscience, une sensibilité propres et, dans ce cas, faut-il accepter de les faire souffrir en leur accordant une autonomie ? L’être humain peut-il faire l’économie du deuil ? Comment perpétuer le souvenir et garder la mémoire du disparu ? Questions d’éthique et fines analyses psychologiques (notamment celle de Lise) enrichissent une intrigue originale. Et l’émotion est au rendez-vous… Johan Héliot fait une entrée remarquable dans cette collection ! n Marie-Françoise Brihaye Réseau : Des interrogations similaires sous-tendent IA (2001), le film de Spielberg. ndlr 11 I Nathalie Le Gendre Mango, 2006 (Autres mondes) 216 p. 9€ 2-7404-2076-5 Genre Science-fiction Mot clés Injustice 49302 Pour : La jeune Elna découvre en avril 2160 dans le grenier de sa grand-mère, trois jours après son décès, un manuscrit au titre énigmatique, 49302, que celle-ci dédia à la mémoire de son frère Loïk Gwilherm Seznec. En fait, ce dernier, coïncidence troublante, s’est vu attribuer lors de son arrivée au bagne spatial le même matricule que son ancêtre Guillaume Seznec, envoyé deux siècles plus tôt à Cayenne. Loïk a été condamné aux travaux forcés pour l’assassinat de son ami Gaëc mais il ne cesse de clamer son innocence. Il est emmené en navette spatiale dans une station proche de Syringa, une planète mal connue dont l’atmosphère toxique agit comme une drogue. Les bagnards doivent extraire d’étranges sangsues, fort dangereuses pour la santé humaine. Le directeur du bagne multiplie les humiliations, les brimades et les mauvais traitements. Loïk résiste, tente à la fois de s’évader et de communiquer avec des êtres intelligents à fourrure animale qui peuplent la planète… Il est loin de se douter de ce qu’il va déclencher. Ce récit écrit par Loïk à la première personne et ponctué de lettres adressées à ses proches est évidemment poignant. La trame reprend nombre d’éléments de l’histoire de Guillaume Seznec. Le temps ne semble pas avoir fait progresser une humanité où arbitraire, corruption et violence tiennent la première place. La seule note d’espoir vient des personnages féminins révoltés et déterminés à bouleverser l’ordre établi. Nathalie Le Gendre a écrit une fois de plus un livre fort et fidèle à l’esprit humaniste de la collection : un beau plaidoyer contre l’intolérance et l’injustice. Denis Seznec, petit fils de Guillaume, en a écrit la postface. n Marie-Françoise Brihaye Contre : Ce livre est moins convaincant que les précédents de Nathalie Le Gendre. La construction et les choix narratifs laissent perplexe… J’irai jusqu’à dire que la fin est bâclée : en deux pages, le véritable assassin avoue tout à coup son crime, sans raison, et proclame ainsi ouvertement l’innocence de Loïk dont on ne doutait pas. Nathalie Le Gendre souhaitait dénoncer l’injustice dont a été jadis victime Guillaume Seznec et par là Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P27-41 24/05/06 8:16 Page 35 Littératures 35 même les erreurs judiciaires qui brisent la vie de bien des innocents. On aurait donc aimé que la procédure judiciaire soit mieux décrite et surtout que l’accent soit mis sur la souffrance et la déshumanisation du héros. Loïk passe de très longs mois au trou — en fait seul dans le vide sidéral —, mais ses sentiments sont alors peu développés. Une bonne cinquantaine de pages supplémentaires aurait peut-être permis à N. Le Gendre de ne pas rester à la surface des choses et des personnages, de les faire vivre de l’intérieur comme elle sait habituellement si bien le faire. n Sandrine Brugot-Maillard 12 I L’appel des Abîmes : La trilogie des Abîmes, T. 3 L’intrigue de ce troisième et dernier volet de La trilogie des Abîmes se déroule une décennie après le précédent tome. Aëla, l’héroïne du tome 2, désormais âgée de dix-neuf ans, défraie la chronique par ses nombreux voyages et exploits, accomplis avec Jang-Al : son Abîme noir lui voue un amour exclusif dont la démesure sera à l’origine de périlleuses aventures. Apparaît un autre personnage, Chaddy, nièce du directeur de la chaîne Cosmovision, farouchement hostile aux Abîmes. En quête de scoops, elle traque la jeune Perl et sa famille, les Maguelonne, tous brillants pilotes d’Abîmes. Chaddy porte un lourd secret et ses motivations ne sont pas claires. Mais à l’apparition de nouveaux Abîmes et d’une autre race d’extra-terrestres, il lui faudra inévitablement choisir entre l’obéissance à son oncle ou le soutien aux Maguelonne. De facture classique, ce roman nettement plus noir que les précédents multiplie à l’envi péripéties, rebondissements, voyages intergalactiques, drames amoureux… jusqu’à un dénouement inattendu. Le fait d’avoir imaginé ces Abîmes fascinants — à la fois vaisseaux spatiaux et êtres vivants intelligents, sensibles — permet à l’auteur d’explorer une nouvelle fois la peur de l’inconnu, de l’étranger. Danielle Martinigol laisse aussi toujours une grande place aux liens familiaux et à leurs nœuds. Elle reprend la critique acerbe — initiée dans les tomes précédents — de la soumission des médias à des groupes économiques et de la course à l’audimat, thématique qui finit toutefois par perdre de son originalité. Jeunes amateurs d’émotions fortes et d’évasion, ne boudez pas votre plaisir ! n Marie-Françoise Brihaye Lecture Jeune - juin 2006 Danielle Martinigol Mango, 2005 (Autres mondes) 201 p. 9€ 2-7404-1924-4 Genre Science-fiction Mots clés Espace Médias LJ118_P27-41 36 24/05/06 8:16 Page 36 Livres accroche 13 I Amour, toujours Béatrice Massini et Roberto Piumini Trad. de l’italien par Sophie Gallo-Selva La Joie de Lire, 2005 109 p. 7,90 € 2-88258-320-6 Genre Roman épistolaire Mot clés Correspondance Amour Le jour de la rentrée, Hugo découvre une lettre d’amour dans son sac à dos. Ne sachant pas qui l’a rédigée, il glisse sa réponse derrière le tableau de la classe. Ainsi débute une correspondance entre deux adolescents, qui durera un trimestre. Entre jeu de cache-cache et marivaudage, l’amour se tisse avec ses mystères ; peu s’en faut pour que les amoureux ne soient découverts. C’est aussi, pour le lecteur, un journal à deux voix, puisque les adolescents livrent des confidences qu’ils auraient du mal à dire tout haut. Ce faisant, les personnages construisent leur identité. Le jeu d’écriture n’est pas étranger au charme de ce petit roman, réellement écrit à deux voix, celle d’un homme et d’une femme, auteurs de jeunesse. Plein de fraîcheur et d’humour, il évoque avec pudeur les premières liaisons sentimentales. Ce texte facile à lire et accrocheur peut se prêter volontiers à un atelier de lecture à voix haute. Il offre de quoi séduire des jeunes non lecteurs, pourvu qu’ils soient sentimentaux ! n Cécile Robin-Lapeyre 14 I Bart Moeyaert Trad. du néerlandais par Daniel Cunin Le Rouergue, 2005 (doAdo) 160 p. 8,50 € 2-84156-678-5 Genre Roman intimiste Mot clés Amour Famille Inceste C’est l’amour que nous ne comprenons pas La narratrice, dont nous ne connaissons pas le nom, a deux sœurs, un frère et une mère qui collectionne les bons à rien. A travers ses yeux, nous découvrons trois étapes de la vie de cette famille, ainsi que trois hommes différents. Les enfants accumulent les espoirs puis les déceptions, subissant la violence physique et morale de ces « beaux-pères ». Leur mère, quant à elle, ne semble pas plus savoir comment s’y prendre avec ses enfants qu’avec les hommes, et reste sourde aux appels au secours des premiers. Pourtant, ces trois sœurs et leur frère rêvent encore du moment où l’amour et le bonheur reviendront dans la maison, quand leur mère sera heureuse et qu’ils auront un nouveau père, un vrai. Suspens, conflits familiaux et secrets forment un début haletant et rythmé. On regrette que l’histoire s’essouffle un peu par la suite. Cependant, la lecture facile et le style percutant de l’auteur permettent de passer un très bon moment. n Maryon Wable-Ramos Autre avis : Bart Moeyaert est un auteur à la plume singulière. Les mots qu’il choisit dans ses récits ont le pouvoir des images : colorés, frappants, incisifs. Ils se déploient dans un mouvement cinématographique. La force de son évocation de parcours d’adolescents tient également aux impressions, visuelles mais aussi sensuelles, qu’il sait convoquer, et à sa perspicacité. Avec C’est l’amour…, nous sommes plongés dans une histoire qui est déjà commencée et qui se terminera sans nous. Un parallèle peut être établi entre le style de l’auteur et la peinture de Van Gogh, nerveuse, dense et parfois oppressante. n Michelle Charbonnier Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P27-41 24/05/06 8:16 Page 37 Littératures 15 I La Piste gauloise : Titus Flaminius, T. 4 Dans ce quatrième tome, Titus Flaminius, jeune patricien, s’engage dans l’armée de César partie à la conquête de la Gaule. L’empereur le charge d’une mission secrète : aller à Bibracte sonder les sentiments des Eduens à l’égard des Romains (nous sommes peu avant la révolte des Gaules). Le soir de son arrivée, un riche notable gaulois est assassiné et Titus s’engage à retrouver le coupable. Si Jean-François Nahmias s’appuie, comme toujours, sur une solide documentation, l’intrigue est, cette fois, un peu trop tributaire du cours de l’histoire : lors de son enquête, Titus Flaminius se retrouve auprès de Jules César pour participer à la conquête de la Germanie, puis de la Bretagne. En outre, l’auteur se focalise sur certaines mœurs gauloises — certes barbares —, comme les sacrifices humains, ce qui lui permet de présenter les Romains comme les chantres de la civilisation. Enfin, la résolution de l’enquête n’est pas tout à fait convaincante. Ce quatrième tome est le moins réussi d’une série au demeurant très intéressante. n Juliette Buzelin 16 I Jean-François Nahmias Albin Michel, 2006 (Wiz) 253 p. 13,50 € 2-226-17014-6 Genre Policier Roman historique Mots clés Rome antique Pax Americana En cette deuxième moitié de XXIe siècle, les États-Unis se sont coupés du reste du monde en s’accaparant les ressources pétrolières et en en faisant un usage exclusif. La Chine s’est tournée vers l’espace et la Confédération européenne est devenue le royaume de la débrouille. Mais la pénurie d’or noir menace et le temps de la réconciliation transatlantique est venu. C’est dans un contexte à haut risque que le président américain s’apprête donc à rendre une visite historique à son homologue du Vieux Continent. Car, dans l’ombre, un groupuscule terroriste prépare un mystérieux attentat… Malgré sa brièveté, c’est une œuvre d’anticipation très dense que nous livre Roland Wagner. La tension ne cesse de monter à l’approche du sommet international et les questions assaillent un lecteur aux prises avec de multiples secrets judicieusement agencés qui constituent la clé de voûte de l’édifice. Le baroque de certains des personnages et le dénouement burlesque de ce récit enlevé en font un opuscule original. On regrettera seulement que, faute de place, trop de zones d’ombre demeurent sur la situation géopolitique d’arrière-plan, pourtant passionnante. n Matthieu Rosy « Novella SF » est une nouvelle collection lancée par le Rocher : les récits courts et denses permettent une entrée dans le genre.ndlr Lecture Jeune - juin 2006 Roland C. Wagner Éditions du Rocher, 2005 (Novella SF) 91 p. 9,90 € 2-268-05635-X Genre Science-fiction Roman d’anticipation Mots clés Energie Humour Secret 37 LJ118_P27-41 24/05/06 8:16 Page 38 38 Parcours de lecture Livres accroche BD 17 I Marguerite Abouet Ill. Clément Oubrerie Gallimard, 2005 (Bayou) 96 p. 15 € 2-07-057311-7 Genre Chroniques Mot clés Afrique Adolescence Quotidien Aya de Yopougon, T. 1 En 1978, en Côte d’Ivoire, plus précisément à Yopougon dans la banlieue d’Abidjan, tous les soirs à 19 heures, la famille et les amis d’Aya se réunissent pour visionner la campagne télévisée qui vante les mérites de la bière Solibra. Pour cette première rencontre avec les habitants de Yop City — « pour faire comme dans film américain » —, les présentations sont faites par notre guide, la jeune Aya. Ici la vie est douce, les filles sont belles et vont « gazer » — pas d’inquiétude, un petit lexique en fin d’ouvrage nous éclaire : « sortir, s’éclater en boîte ou ailleurs » — au Ça va chauffer pour rencontrer des « génitos » — « jeune homme qui a de l’argent à gaspiller » —. Aya, bonne copine, gère les amourettes, et les problèmes qui en découlent, de Binetou et Adjoua. Quant à elle, pas question de s’en laisser compter : elle travaille et veut devenir médecin. Contrairement à ses amies elle ne veut pas finir en « série C » : coiffure, couture et chasse au mari ! Cette douce chronique de l’adolescence est pleine de fraîcheur, d’humour et de tendresse. La langue est belle et vivante. Le récit, qui multiplie les intrigues — amoureuses évidemment ! — et les rebondissements, est captivant. Enfin l’illustration, déployant une gamme de couleurs séduisantes, parvient à créer des atmosphères : tons acidulés de la maison très ostentatoire de la famille de Moussa, rouge et mauve des nuits d’Abidjan, bleu profond des lieux de rencontres secrets… Le cadrage et le découpage font la part belle au mouvement, soutiennent le rythme effréné de l’histoire et nous amènent à suivre les aventures d’Aya de façon très cinématographique. n Hélène Sagnet Autre avis : Dans la Côte d’Ivoire d’avant la crise, les jeunes gens mènent une vie joyeuse et insouciante. L’heure est aux sorties et à la drague, première étape dans la quête du prince charmant. Pour sa première BD, parfaitement maîtrisée, la franco-ivoirienne Marguerite Abouet s’est inspirée de ses propres souvenirs. Elle livre dans une langue savoureuse mâtinée d’argot ivoirien un récit rythmé et réjouissant comme un (très) bon sitcom. Clément Abouet, optant pour un trait fin et des couleurs chaudes, traduit toute la vivacité et le tempérament de personnages dont on appréciera la drôlerie et le franc-parler. Vivement la suite ! n Gaëlle Glin Aya de Yopougon est l’un des premiers titres de la collection « Bayou » dirigée par le prolifique auteur Johann Sfar chez Gallimard (voir aussi la notice 56 sur Klezmer de J. Sfar). L’ouvrage a reçu le prix du meilleur premier album au dernier festival d’Angoulême. ndlr Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P27-41 24/05/06 8:16 Page 39 39 18 I Victor Lalouz : En route pour la gloire, T. 1 Cette bande dessinée hilarante nous dévoile les embûches qui attendent les candidats à l’animation radio, et les pistons nécessaires. Se faire passer pour le fils caché de Michel Drucker, n'est-ce pas une idée de génie ? Victor Lalouz, c’est le débrouillard par excellence, même s’il vit encore chez Maman et que les créatures féminines recèlent toujours à ses yeux de nombreux mystères. Cela ne l'empêche pas d'être a-do-ré par ses admiratrices, qui lui posent parfois à l’antenne des questions intimes déstabilisantes ! Attachant, Victor nous entraîne dans son sillage, entre ses séances chez le psy (qui a du pain sur la planche), ses animations dans une radio où règne la loi de la jungle, et ses contacts avec une collègue qu'il semble beaucoup apprécier pour son « charisme »… Victor Lalouz est un looser hors du commun qui saura rassurer les garçons complexés et perplexes vis-à-vis du sexe ! Les adolescents dans leur ensemble seront évidemment sensibles au second degré du récit et au style vif et décapant de l’auteur. n Anne-Solène Lescaille 19 I Diego Aranega Poisson-pilote, 2005 48 p. 9,80 € 2-205-05760-X Genre Humour Mots clés Radio Un pain c’est tout : Yakitate Ja-pan !, T. 2 Dans ce second volume de Yakitate Ja-pan !, se poursuivent les aventures délurées de nos mirlitons Kazuma Azuma (dont le nom et ses sonorités sont déjà tout un programme) et Kawachi, tous deux en plein apprentissage de l’art de faire du bon pain. Ils ont été acceptés dans une minuscule succursale de Phantasia — la plus prestigieuse boulangerie du pays — dirigée par Tsukino, petite-fille du fondateur. Nos héros auront affaire au boulanger d’en face, suffisamment expérimenté pour leur voler tous leurs clients ; un concours télévisé passablement loufoque organisé par les deux établissements permettra alors de déterminer laquelle tient le haut du pavé. Manga au trait et au scénario classiques, suivant le schéma du récit d’initiation (le garçon a un talent évident pour un art quelconque et devra se battre pour devenir le meilleur dans son domaine), Un pain c’est tout séduit par un humour « second degré » tout à fait déjanté. Les dessins eux-mêmes, dans leur emphase grotesque, sont hilarants. Il faut voir les expressions de visage démesurément exagérées : si le pain goûté est bon, le sourire remonte littéralement jusqu’aux oreilles, un léger filet de bave dégouline sur le menton, les yeux se remplissent d’étoiles et un paysage idyllique sorti d’on ne sait où apparaît derrière le personnage, bien souvent en train de danser – ridiculement – pour exprimer son plaisir… n Léopold Romain Lecture Jeune - juin 2006 Takashi Hashiguchi Delcourt, 2006 (Akata) 189 p. 5,75 € 2-84789-942-1 Genre Manga Mots clés Pain LJ118_P27-41 24/05/06 8:16 Page 40 40 Parcours de lecture Livres accroche Documentaires 20 I Elisabeth Combres et Florence Thinard Michalon, 2006 140 p. 19 € 2-84186-294-1 Nouvelle édition Mots clés Violence Conflits Guerres civiles, rébellions armées, violences politiques ou sociales sont le lot de nombreux pays parmi les plus pauvres, et les populations sont les principales victimes de ces conflits qui ruinent l’économie, favorisent les trafics en tout genre, provoquent des mouvements massifs de réfugiés qui risquent de déstabiliser les pays voisins. Après ces généralités, les auteurs présentent en trente-trois chapitres les pays en proie à la violence ou qui connaissent actuellement une paix précaire. Pour chacun, ils s’efforcent de démêler les origines du conflit, en relatent le déroulement et cherchent à dégager des perspectives d’avenir. La franchise du propos alliée à une présentation très claire, avec cartes, photos et encadrés, un lexique et un index rendent cet ouvrage facile à lire. Conçu pour des adolescents, il intéressera aussi les adultes, qui y trouveront une information synthétique sur des sujets que les médias ne traitent qu’à l’occasion de massacres ou de désastres humanitaires. La description des évènements tient compte des évolutions les plus récentes. Par rapport à la précédente édition (première édition 2001, deuxième 2003), les textes généraux ont été refondus pour une meilleure lisibilité, et la mise en page a été améliorée. n Jean Ratier 21 I Olivier Rose Ill. Emmanuel Cerisier, Jacky Jousson et Philippe Lhez Gulf Stream, 2005 (Sauvegarde) 30 p. 12,50 € 2-909421-36-8 Mots clés Arbres Ecologie Mondes rebelles junior Des arbres Ce livre attrayant, aux illustrations vivantes et fouillées et à la mise en page claire, invite à un voyage au cœur du bois. L’auteur offre une description de l’anatomie et de la culture de ce tissu végétal en France ; celle-ci nécessite une gestion rigoureuse car bien des pans de notre économie en dépendent. La récolte, les scieries, les constructions et même la fabrication de la pâte à papier n’ont plus de secrets pour nous. Et, sauvegarde oblige, O. Rose sensibilise aux fonctions écologiques essentielles des forêts — dépollution de l’eau, protection des sols, conservation de la biodiversité — et met en garde contre leur destruction, notamment en Amazonie. Il nous raconte aussi combien les arbres ont nourri l’imaginaire des hommes (mythologie, symbolique…). Simple mais riche de détails intéressants, ce documentaire pourrait donner aux jeunes des idées de métiers passionnants. n Brigitte de Bergh Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P27-41 24/05/06 8:16 Page 41 41 22 I Enfants d’ici, parents d’ailleurs : Histoire et mémoire de l’exode rural et de l’immigration Voici un grand et bel ouvrage illustré, à la couverture souriante, que son titre résume : des enfants d’aujourd’hui, en France, racontent l’immigration de leur famille, mêlant souvenirs, histoire et vie quotidienne. Ces récits s’insèrent dans un découpage en cinq grandes périodes — de 1850 à 2005 —, de l’exode rural français à la mondialisation, parcourant la révolution industrielle, les deux guerres et la décolonisation, événements à l’origine des grands mouvements de populations. Une synthèse documentaire donne les repères historiques et économiques qui permettent de replacer les moments évoqués par les enfants dans leur contexte. On trouve, en écho, des témoignages recueillis par Radio France sur les thèmes suivants : partir, voyager, travailler, apprendre, se loger, se souvenir. Les textes, éclairés et soutenus par cinq illustrateurs talentueux et sensibles ainsi que par de nombreuses photos et documents d’archives, sont accessibles aux plus jeunes. Un index détaillé, des questions-réponses, un choix de romans jeunesse pour élargir le sujet complètent ce documentaire riche. Il constituera un bel outil pour les classes et une base de discussion en famille. Très beau départ pour cette nouvelle collection ! n Majo Loth Carole Saturno Ill. O. Balez, F. Burckel, B. Dubois, R. Perrin Gallimard Jeunesse, 2005 (Par quatre chemins) 144 p. 22,90 € 2-07-057175-0 Mot clés Immigration Origines Mémoire 23 I Les Mondes manga Offrir des repères dans la production abondante de bandes dessinées japonaises, voici le but de ce documentaire attrayant, à feuilleter comme un catalogue à deux entrées : les principaux créateurs de mangas — depuis Tezuka, le premier mangaka — et les séries les plus remarquées. Il offre une véritable mine d’informations sur tous les genres (shojo, shonen, seinen) et les catégories (anime, manga pop ou manga politique...). Les choix de cet ouvrage non exhaustif sont intéressants. Intercalés entre ces deux parties, des reportages montrent l’impact de la culture manga dans la vie quotidienne : salarymen s’adonnant à la lecture dans le métro ou cosplayers endossant le costume de leur personnage préféré pour se retrouver le week-end dans les quartiers branchés de Tokyo. Les lecteurs adolescents trouveront des photographies captivantes des héros, des ateliers des créateurs et des mangakissas, ces cafés-mangas ouverts nuit et jour… Ce livre plaisir est à prescrire aux détracteurs de mangas pour vaincre leurs préjugés sur la mauvaise qualité graphique ou la complaisance à la violence. Clin d’œil humoristique : sa lecture est proposée dans le sens japonais, de droite à gauche. n Cécile Robin-Lapeyre Lecture Jeune - juin 2006 Jérôme Schmidt Photographies Hervé-Martin Delpierre EPA, 2005 182 p. 29,90 € 2-85120-624-9 Mot clés Manga Japon LJ118_P42-53 24/05/06 8:20 Page 42 42 Parcours de lecture Et après Littératures 24 I Mon pire ami Frank Andriat Grasset Jeunesse, 2006 (Lampe de poche) 135 p. 8,30 € 2-246-70181-3 Genre Roman psychologique Mots clés Folie Hôpital psychiatrique Un garçon de seize ans est interné dans une institution psychiatrique. Le message — réel ou fantasmé — qu’il adresse à son médecin nous permet de suivre son cheminement intérieur. Bien qu'on soit tenu informé de ce qu'il mange, de ce qu'il avale comme « médocs », de ce qu'il éprouve pour sa jeune et jolie co-pensionnaire, ce n'est ni un défilé de menus, ni d'ordonnances, ni un récit du type Les exploits d'un jeune don Juan (Apollinaire)... C'est nerveux, non conventionnel, hurlant et respectueux à la fois, ça emporte et ça laisse le lecteur vidé et content. Il y a, bien sûr, les grands conflits attendus, entre générations (je vs parents), entre individu et système, entre sexes... Il y a, également, des âmes généreuses (camarades de lycée, et même un prof de français au patronyme délicieux et signifiant, M. Bonheur). Il y a, surtout, le conflit qui n'émerge que peu à peu, entre Dan, l'interné, et le double qu'il s'est inventé dès l'âge de cinq ans pour survivre, Stany. Je suppose que, côté psy, ça prend le doux nom de schizophrénie. Pourquoi pas ? Le plus beau se trouve dans les pages où le je et l'autre combattent. Le tout est donc sombre et modérément optimiste, tendre et grossier... à l'image de la vie ? Comme souvent, il reste une épreuve à passer : celle qui fait qu'un coup de coeur supporte la relecture (les relectures) sans s'abîmer. Vladimir Floréa Autre avis : Depuis qu’il a cinq ans, Dan a un ami imaginaire, Stany. Avec lui, il partage tout : ses doutes, ses peines et ses craintes, mais surtout la haine de son père, un homme méchant et brutal. Stany est tout le contraire de Dan : il est beau, sûr de lui, fort et séduit les filles. A seize ans, Dan se sent rejeté. Son instabilité le conduit dans un institut psychiatrique. Stany devient gênant le jour où il essaie de prendre le corps et la place de Dan : peut-être n’est-ce pas un si bon ami… L’auteur aborde le thème de la schizophrénie avec beaucoup de délicatesse. Le texte rend très bien l’évolution de Stan et la façon dont il sombre progressivement dans la maladie. Un récit poignant et très juste à découvrir ! Maryon Wable-Ramos Réseau de lecture : Sur le thème des adolescents admis en institution psychiatrique, on peut lire aussi La vie peut-être d’Arnaud Cathrine (notice 27), Manga de Guillaume Guéraud (Rouergue, 2005, voir LJ n° 115, notice 29) et Un jour mon prince de Shaïne Cassim (Grasset Jeunesse, 2001). ndlr Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P42-53 24/05/06 8:20 Page 43 43 25 I Petite Court, poignant et d’inspiration autobiographique, Petite fut l’un des premiers récits sur l’anorexie. Bien avant Lucille de L. Debeurme (voir notice 35), Thornytorinx de C. de Peretti (Belfond, 2005), Jusqu’aux os de C. Galea (Rouergue, 2003) ou Sobibor de J. Molla (Gallimard Jeunesse, 2003), il dressait le portrait lacunaire d’une adolescente dévorée par sa volonté de devenir légère, transparente, pure — maigre à faire peur, diront les autres. L’ouvrage reparaît en format poche onze ans plus tard, dans un contexte renouvelé. L’anorexie, régulièrement disséquée sur les plateaux de télévision, n’est plus taboue. Et elle touche désormais 1% de la population, essentiellement des jeunes filles aisées. Nouk est l’une de ces survivantes. Elle absorbe le lecteur dans son monologue intérieur, elle l’enferme dans sa logique implacable. Ignorant les suppliques des parents, les ordres des médecins, la rumeur de la foule, Nouk garde son cap. Nouk n’écoute que la petite voix qui lui dicte de plus en plus fermement qu’il faut contrôler son corps, maîtriser jusqu’à ses fonctions vitales. L’intégrité — la folie, diront les autres — est à ce prix. Le silence insondable dans lequel Nouk se mure est à la mesure du flot de mots trop lourds qui l’emporte. Nouk guérira. Geneviève écrira. Gaëlle Glin Geneviève Brisac L’école des loisirs, 2005 (Médium) 164 p. 9€ 2-21-108157-6 Réédition Genre Autofiction Mots clés Anorexie Isolement 26 I C’est tout de suite le soir Treize chapitres, treize instants de la vie de Myrtho — de « moins huit secondes » à « vingt ans moins une minute » — qui dressent un beau portrait d’adolescente. Dans le prologue, la naissance, la force et la personnalité de la jeune femme qu’elle deviendra sont posées : « J’ai eu la certitude que Joao et Alicia Figueira [ses parents] étaient des gens formidables, comme on peut l’être chacun à un moment ou à un autre de son existence, mais ils ne m’intéressaient déjà plus ». Chaque âge trouve une voix juste, et au fil des chapitres la personnalité de l’enfant s’affirme, notamment dans un contact privilégié avec un grand-père libre et différent. Alors qu’un rythme régulier s’est installé, au milieu de l’ouvrage se produit une rupture et un basculement. Myrtho décide qu’elle ne fera pas ce qu’on attend d’elle. Ses doutes et son malaise grandissent : « Je me sentais comme quelqu’un qui ne veut rien ». La voix de Shaïne Cassim est singulière. Tout ici est nuance. Cette adolescente « sans problème », éprise d’indépendance, n’est confrontée qu’à elle-même, à sa sensibilité et à ses fêlures. Qu’est-ce qu’on désire vraiment à dix-sept ans ? Le roman dit très justement le temps qui passe, la difficulté à être et à se construire. Hélène Sagnet Lecture Jeune - juin 2006 Shaïne Cassim Pocket Jeunesse, 2005 122 p. 6€ 2-266-15885-6 Genre Roman intimiste Mots clés Deuil Grand-père Adolescence LJ118_P42-53 44 24/05/06 8:20 Page 44 Et après 27 I Arnaud Cathrine L’école des loisirs, 2006 (Médium) 102 p. 8,50 € 2-211-082-50-5 Genre Roman intimiste Mots clés Anorexie Hôpital psychiatrique Florian a perdu Sofia. La jeune fille qui partageait tout avec lui — les fous rires, les petits mots en classe, les secrets — s’est laissée mourir. Son anorexie l’a conduite entre les murs d’un centre psychiatrique pour adolescents, où le pire n’a pu être évité. Florian ne se remet pas de cette disparition. Le garçon taciturne se fait admettre un an après Sofia dans ce centre où il était venu lui rendre une ultime visite : « La dernière image que j’ai de toi, c’est dans cette chambre. Avant qu’ils te transfèrent au service des soins intensifs. Ton visage était déjà squelettique. Je pensais que je reviendrais te voir. Mais pas comme aujourd’hui. Pas pour chercher des traces de toi. Introuvables traces. » Aucun soignant ne se souvient de Sofia. Alors Florian se demande ce qu’il fait là. Medhi, l’éducateur, se le demande aussi. Lui seul parviendra à briser le silence dans lequel Florian s’est enfermé, à lui faire entrevoir « la vie sans questions incessantes, la vie sans rien pour nous rendre lourds de nos fantômes. La vie peut-être. » Arnaud Cathrine livre un récit ténu et sensible. Pour dresser le portrait de deux êtres sur le fil, il a choisi l’esthétique de l’épure. La voix de Florian est froide et blanche comme les murs de l’hôpital. Les mots, rares et bien pesés, qui défilent dans sa tête disent inlassablement la douleur qui isole, le désert après la perte. Gaëlle Glin 28 I Deborah Ellis Trad. de l’anglais (Canada) par Anne-Laure Brisac Livre de Poche Jeunesse, 2005 (Enfants du monde) 254 p. 5,50 € 2-01-321154-6 Genre Roman social Mots clés Afrique Sida La vie peut-être Binti, une enfance dans la tourmente africaine Un très beau visage de jeune fille africaine invite à entrer dans ce roman écrit à la première personne, dont le titre en anglais est La Boutique du ciel. Celui-ci trouve un écho dans l’histoire : le papa de Binti fabrique des cercueils pour son village, sous l’enseigne « Les Portes du paradis ». On regrette une fois encore la tendance des collections françaises à remplacer un titre poétique et significatif par un énoncé banal, de type documentaire… L’histoire de Binti est très marquée par la mort : son pays, le Malawi, est ravagé par le sida. Si l’enfance est toujours présente, les sujets abordés sont graves. L’héroïne avance, de l’insouciance à la maladie, l’abandon, la pauvreté, qu’elle décrit avec délicatesse, sans atténuer une réalité très dure. Le travail de prévention est mis en avant par l’auteur. Les couleurs et les parfums du Malawi sont exotiques pour les lecteurs d’ici, mais les émotions qui agitent Binti sont celles de nombreux jeunes. Ce récit prenant, sensible et édifiant n’omet ni l’avidité des uns, ni la générosité des autres. Facile à lire, il est servi par une écriture fluide et une traduction impeccable. Majo Loth Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P42-53 24/05/06 8:20 Page 45 Littératures Lecture croisée 29 I Je mourrai pas gibier L’ouvrage s’ouvre sur la question du « pourquoi » : « Des raisons on peut en trouver. Des bonnes et des mauvaises. En pagaille. Mais c’est pas mon boulot ». Viennent les chiffres, le décompte macabre, « cinq morts ». Puis l’horreur, « Parce que je ne me suis pas servi que du fusil. Le fusil est venu après. D’abord j’ai pris les premières choses qui me sont tombées sous la main. Une vieille pelle qui traînait dans le garage. Et un marteau… ». Fin du premier chapitre. Ensuite l’adolescent raconte, déroule son quotidien, celui de Mortagne, village paumé où deux clans se font la guerre, ceux de la scierie et ceux de la vigne. Ici tout est violence et bêtise. Le narrateur dresse des portraits sans concession de son entourage, des gens stupides et cruels, des salauds et des lâches, des « bourrins »… Martial les méprise mais ces tentatives de « fuite » échouent. Alors il s’est inscrit en mécanique pour être en internat et « histoire de faire chier tout le monde ». Un fait terrible transformera le mépris en haine et fera basculer le narrateur vers la violence, le carnage que décrivent les trois derniers chapitres du livre. La littérature et le cinéma se sont déjà emparés de ce sujet bientôt de l’ordre du fait divers. Guillaume Guéraud signe quant à lui un récit d’une grande force et d’une tension extrême. L’écriture, très visuelle, sèche et sonnante, sert parfaitement le propos. Son parti pris, sur une forme si courte, est de nous faire adopter le point de vue subjectif et arbitraire d’un adolescent et de nous confronter aux faits — en une sorte d’expérience — plus qu’à l’évolution psychologique du personnage. La peinture sociale qui en découle est sans nuance aucune. Ce qui très vite peut conduire au malaise. Nous sommes pris à parti, nous jugeons, nous aussi, ces personnages, hommes chasseurs et femmes coiffeuses, bouseux de la campagne... Et ce regard là peut être difficilement supportable. Hélène Sagnet Autres avis : Bienvenue dans la tête d’un adolescent excédé par la bêtise et la cruauté de son entourage et que les circonstances conduiront au meurtre collectif. Guillaume Guéraud signe un récit dérangeant et d’une efficacité remarquable. Les mots sont assenés comme des coups de poings, les phrases brèves claquent ainsi que des coups de fouet. Pourtant c’est de la genèse d’un massacre à la carabine dont il est question ici. La thématique rappellera immédiatement des films tels que Elephant de Gus Van Sant ou Bowling for Columbine de Michael Moore, inspirés de faits divers qui avaient horrifié l’Amérique. Je mourrai pas gibier s’en démarque cependant en donnant au tueur, animé d’un désir de vengeance répréhensible mais compréhensible, plus de valeur qu’à ses victimes : il ne s’agit pas ici d’innocents lycéens mais de « bourrins » odieux. Gaëlle Glin Lecture Jeune - juin 2006 Guillaume Guéraud Le Rouergue, 2006 (doAdo noir) 76 p. 6,50 € 2-84156717-6 Genre Roman noir Mots clés Violence Adolescence Faits divers 45 LJ118_P42-53 46 24/05/06 8:20 Page 46 Et après Martial est un adolescent que la bêtise des adultes de son village a poussé à partir ailleurs, vers un autre avenir possible. Le retour qui devait être festif, puisque mariage il y a, se révèle apocalyptique. Martial se transforme en « liquidateur » : il faut réparer l’immense injustice commise par ses congénères villageois, à savoir l’agression réitérée de l’idiot du village. C’est un roman bref, frappant. Il bouscule en posant des questions déroutantes. Comment accomplir son destin : subir ou partir, se taire ou réparer ? Le choix est fait, l’écriture magistrale en est l’outil. Comment peut-on basculer du côté de « l’inhumain », quelle fragilité est en jeu ? Face à ce livre bouleversant, la frontière ados / adultes est abolie. A conseiller et à accompagner. Michelle Charbonnier Les éditions du Rouergue créent l’événement avec ce premier roman de la collection DoAdo noir. Je mourrai pas gibier est un récit poignant dont on ne peut se défaire avant d’avoir lu la dernière page. Guillaume Guéraud décrit les sentiments avec beaucoup de force, retraçant l’engrenage de brutalité dans lequel s’enferme peu à peu Martial, jusqu’à commettre un acte irréparable. Ce texte violent ne laissera aucun lecteur indifférent et suscitera à coup sûr le débat. Contrairement à ce que pourrait laisser penser sa présentation, ce livre est réservé à des lecteurs matures, et ne peut être mis entre toutes les mains. Maryon Wable-Ramos 30 I J’irai avec toi par mille collines, T. 1 Le chemin du retour, T. 2 Hanna Jansen Trad. de l’allemand par Sabine Wickaert-Fetick Livre de poche Jeunesse (Enfants du monde), 2004 et 2005 256 p. et 160 p. 5,50 € et 4,80 € 2-01-322286-6 2-01-322288-2 Genre Témoignage Mots clés Rwanda Génocide L’allemande H. Jansen a adopté au sein d’une nombreuse fratrie Jeanne d’Arc Umubieyi (celle qui offre la vie), petite rwandaise tutsie de huit ans qui lui a immédiatement donné toute sa confiance. Jeanne a voulu parler, raconter son histoire. Hanna a longuement écouté puis elle a écrit, histoire de bâtir « un pont qui nous mène par-delà l’insoutenable ». Ce témoignage véridique et poignant est paru en deux tomes. Le premier évoque l’enfance heureuse, en zone rurale, de Jeanne, son frère et sa petite sœur auprès de parents aisés, cultivés et attentifs à leur éducation. La folie meurtrière hutue saccage tout et Jeanne, rescapée miraculeusement, voit disparaître son père, sa sœur et massacrer sa mère et son frère. Dans le deuxième tome, Jeanne, recueillie avec d’autres jeunes tutsis par une ancienne voisine hutue, effectue, pour regagner un village assez éloigné, un dangereux périple au cours duquel elle frôle à nouveau la mort. Après bien des péripéties, elle rejoint un groupe armé tutsi qui, suprême épreuve, lui fait revoir son ancien village. Elle sombre alors dans la maladie et une sorte de sidération autistique. Seul le souvenir de l’existence d’une tante en Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P42-53 24/05/06 8:20 Page 47 Littératures Allemagne, en lui offrant une porte de sortie, lui redonne goût à la vie. Ce récit implacable, sans fioriture ni emphase, parle de lui-même et fait naître une grande émotion. Il peut paraître à certains moments insupportable. H. Jansen le ponctue de courtes scènes de la vie actuelle de Jeanne, de ses propres pensées et de réflexions faites en famille à propos du manuscrit. Les interrogations sur la culpabilité des uns ou des autres, sur les possibilités de pardon, les explications possibles du génocide sont fondamentales. D’autres passages semblent un peu plus didactiques. Réseau de lecture : Ce récit à proposer à tous dès les années collège peut être complété au lycée par le témoignage d’E. Mujawayago, Survivantes (L’Aube, 2004) ainsi que par ceux des rescapés — Dans le nu de la vie (Seuil, 2000, voir LJ n° 98, p. 59) — et des tueurs — Une saison de machettes (Seuil, 2003), Prix Médicis essais — rassemblés par J. Hatzfeld. Marie-Françoise Brihaye 31 I Le Sortilège de la dague A Deverry, le sort semble sourire au prince Galrion : de lignée royale, il est aimé de la plus belle femme du royaume, la délicate Brangwen. Mais c’est sans compter avec la passion vouée par Galrion au dweomer, art suprême de divination et de spiritualité, et avec la jalousie excessive de Gerraent, le frère de Brangwen. Quand sa jeunesse et son entêtement finissent par causer la mort de sa promise et la disgrâce de son clan, Galrion, devenu le puissant magicien Persaunn, n’aura de cesse pendant plusieurs siècles de sauver les âmes réincarnées des victimes de cette tragédie, en vain… jusqu’au jour où Jill, une étrange fille de mercenaire, vient au monde. Katharine Kerr ouvre avec brio son célèbre cycle de Deverry, monument de l’heroic fantasy. Riche de l’imaginaire traditionnel et envoûtant des mythes celtiques où, dans un monde d’errances, d’amours et de combats, gnomes et guerriers côtoient bardes, elfes et beautés diaphanes, ce roman sait également déployer sa propre originalité. Multipliant les récits imbriqués, voyageant d’une époque à une autre, faisant la part belle à l’intériorité dense de ses personnages, la narration déroule une intrigue complexe et haletante où se mêlent forces surnaturelles, complots de cour et péripéties amoureuses. D’ores et déjà une référence de la fantasy, qui devrait satisfaire les amateurs du genre sans pour autant désarmer les plus novices. Matthieu Rosy 32 I Olivia Kidney Le père d’Olivia Kidney est gardien d’immeuble. Un gardien maladroit qui change fréquemment de travail et conduit sa fille à quitter tout aussi souvent les établissements scolaires. Ce nouvel endroit semble être le pire Lecture Jeune - juin 2006 Katharine Kerr Trad. de l’anglais par Marguerite Roger Mnémos, 2005 467 p. 23,50 € 2-915159-57-2 Genre Fantasy Mots clés Magie Aventure Légende 47 LJ118_P42-53 48 24/05/06 8:20 Page 48 Et après Ellen Potter Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Nathalie M.-C. Laverroux Seuil Jeunesse, 2006 134 p. 10 € 2-02-078822-5 Mots clés Adolescence Imaginaire Deuil de tous. Ayant égaré ses clefs, la jeune fille se retrouve à la porte de son appartement. Elle va rencontrer les habitants des lieux, de bien curieuses personnes : dans un appartement tout en verre, une femme intarissable sur son amie la princesse en exil, Christina Lilli ; dans un autre, une famille de douze enfants qui élève chèvres et poules ; un espace proche de la forêt tropicale où les hommes se transforment en lézards… Tous lui raconteront de surprenantes histoires. Peut-être parce qu’Olivia elle-même est une jeune fille un peu étrange, qui parle seule, lit des ouvrages de spiritisme et voit régulièrement la psychologue scolaire. Olivia Kidney est le premier ouvrage d’Ellen Potter publié en France. Il nous propose, on l’aura compris, un univers inhabituel et un personnage très singulier. Olivia pourrait avoir quelque chose d’Alice, s’il n’y avait ce trouble de l’adolescence et cette fêlure bien réelle. La lecture est un véritable plaisir, puisque d’un appartement à l’autre, sans lien apparent, on nous raconte des histoires ! Ces vrais faux récits merveilleux, proches du conte, ne sont pas sans évoquer Big Fish de Tim Burton, qui posait aussi la question de l’identité, notamment face à la mort. Entre réel et imaginaire, fantaisie et douleur du quotidien, Olivia Kidney est un ouvrage étonnant à découvrir. Hélène Sagnet 33 I Maintenant, c’est ma vie Meg Rosoff Trad. de l’anglais par Hélène Collon Albin Michel, 2006 (Wiz) 239 p. 12 € 2-226-17006-5 Genre Roman d’apprentissage Roman d’anticipation Mots clés Horreur « Avant la guerre je ne me rappelle presque rien — pas de quoi écrire un livre, contrairement à ce qui va suivre. » Avant que la troisième guerre mondiale n’éclate, Daisy est une adolescente ordinaire qui fait payer à son père son remariage en maigrissant à vue d’œil. Désemparé, celui-ci confie Daisy à sa tante Penn. Dans la campagne anglaise, la new-yorkaise apprend à aimer cette tante maternelle et ces cousins qu’elle ne connaissait pas. Penn s’envole pour une conférence à Oslo. Livrés à eux-mêmes, tout à leur joie de prendre possession librement de la ferme, les cinq enfants ne voient pas le temps passer. Ils ne s’inquiètent pas de l’absence prolongée de Penn, ils ignorent tout du conflit qui gronde. Mais des bruits les rattrapent : des bombes ont éclaté à Londres, des terroristes ont pris possession de l’Angleterre, désormais isolée du reste du monde. Isolés, les enfants souhaiteraient le rester, blottis dans le petit cocon qu’ils se sont créé. D’autant que Daisy et Edmond ont noué une relation sensuelle et fusionnelle. Mais la ferme est réquisitionnée et les cousins sont séparés : Daisy et la petite Piper sont attendues dans une lointaine famille d’accueil tandis qu’Edmond, Isaac et Osbert sont pris en charge par des voisins. Ils jurent de se retrouver. Meg Rosoff signe un premier roman bouleversant. Nous sommes dans la tête de Daisy lorsqu’elle traverse ce rêve ouaté, puis le cauchemar assourdissant de la guerre. Son monologue intérieur, les discours qu’elle rapporte au style indirect libre rendent comptent de la confusion qui Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P42-53 24/05/06 8:20 Page 49 Littératures règne. Cette guerre la plonge dans le flou, elle n’y comprend rien, elle ne sait que le bonheur d’avoir, un jour, trouvé une véritable famille. Nous faisons corps avec cette adolescente libre, ironique, et plus forte qu’elle n’y paraît. Auprès de Piper, elle assume un rôle presque maternel. Et pour regagner son paradis perdu, elle bravera tous les dangers. Gaëlle Glin Ce roman de Meg Rosoff a eu un écho retentissant en Angleterre et aux Etats-Unis, où il a notamment décroché les prix Guardian et Michael L. Printz.ndlr 34 I La porte de Ptolémée : La trilogie de Bartimeus, T. 3 Jonathan Stroud n’est pas homme à se reposer sur ses lauriers et une inspiration toujours renouvelée reste sa marque de fabrique. Sa trilogie de Bartimeus se clôt donc dans le feu, le sang et la terreur. Trois voix alternent dans ce gros volume de six cents pages : celle de Nathaniel devenu Mandrake le ministre, de Bartimeus le djinn désormais constamment au service du premier, et de Kitty la plébéienne résistante qu’on croyait morte ! La tonalité du récit s’assombrit d’emblée : Mandrake fait un piètre ministre auquel on ne fait plus confiance, Bartimeus, qui n’a pu se régénérer, perd certains de ses pouvoirs et Kitty se cache, tout en s’initiant à la magie. Outre la guerre au loin, émeutes et révoltes se multiplient et la lutte au sommet entre magiciens atteint son paroxysme. Affaiblis, les trois héros vont devoir unir leurs forces pour tenter d’éviter à tout prix l’apocalypse qui menace Londres et, à terme, le monde terrestre. L’auteur ne manque pas d’audace : pas de happy end, chacun des trois personnages devra, à sa façon, se sacrifier ! Excepté une ou deux figures totalement démoniaques, les protagonistes, ambivalents, sont déchirés en leur for intérieur ; le récit y gagne en tension dramatique et en effets de surprise, les relations interpersonnelles en complexité. La satire politique vise les rapports de classes et la course au pouvoir. Mais elle laisse place au monde spirituel, symbolisé par la porte de Ptolémée, ouverture sur l’au-delà. A nouveau, Jonathan Stroud séduit par une fantasy créative que colorent alternativement l’humour et l’horreur. Marie-Françoise Brihaye Lecture Jeune - juin 2006 Jonathan Stroud Trad. de l’anglais par Hélène Collon Albin Michel, 2005 (Wiz) 615 p. 17 € 2-226-15926-6 Genre Fantasy Mots clés Apocalypse 49 LJ118_P42-53 24/05/06 8:20 Page 50 50 Parcours de lecture Et après BD 35 I Ludovic Debeurme Futuropolis, 2006 544 p. 27,90 € 2-75480-051-4 Mots clés Adolescence Anorexie Amour Lucille a seize ans. Elle est anorexique. Arthur a dix-sept ans. Enfant, il accompagnait son père au bar et comptait les verres. Depuis, il dénombre toujours tout et a pris l’habitude d’aller chercher son père trop saoul. Jusqu’au jour où cet homme tourmenté se suicide. Arthur et Lucille se rencontrent, se comprennent et décident de partir. Ensemble, au fil de leur voyage, ils se renforceront et s’épanouiront, libres et amoureux. L. Debeurme accorde à ses personnages plus de cinq cent pages pour tenter de se construire et de s’aimer. Le temps aussi pour le lecteur de trouver la bonne distance et de gérer la proximité offerte, la confrontation avec des corps abîmés, visages angoissés et cauchemars révélés. L’ouvrage pourrait se rapprocher du graphic novel, mais ici c’est bien l’illustration qui façonne le récit. Pleine page, dessin au trait, le livre comme espace de liberté... La voix des adolescents, leurs interrogations et échanges sont justes. Le personnage d’Arthur, fils d’un marin polonais violent et alcoolique, pose douloureusement la question de la filiation et parvient à nous émouvoir. Parfois pourtant on peut ressentir un petit manque de sincérité de l’auteur, un peu trop « appliqué ». Hélène Sagnet Retrouvez la « rencontre avec… » Ludovic Debeurme dans le n° 113 de LJ. ndlr 36 I D’après l’œuvre originale de Anh Do-Hyun, adaptée par Chi Kyu-Sok et Byun Ki-Hyun Trad. du coréen par Yeong-Hee Lim et Françoise Nagel Kana, 2005 (Made in Japan) 203 p. 18 € 2-87129-867-X Genre Manhwa Mots clés Adolescence Corée Lucille Nouilles Tchajang : Souvenirs lointains de mes 17, 18 ans… Adapté d’un roman coréen, ce récit intimiste illustré, peut-être autobiographique, évoque le quotidien d’un adolescent de dix-sept ans. Celui-ci abandonne le lycée pour un petit boulot de livreur de nouilles dans la banlieue de Séoul. Deux illustrateurs ont collaboré à ce manhwa qui nous plonge dans un univers aux couleurs orangées : des aquarelles plus proches de la bande dessinée franco-belge que du manga japonais. Fils d’un instituteur et d’une femme de ménage, le jeune garçon a choisi de devenir autonome pour fuir l’ambiance de cette famille en apparence parfaite; le père, tendre et attentionné pour son fils, frappe pourtant sa femme qui assume volontiers le rôle de victime. Beaucoup d’émotion passe dans l’évocation de cette violence domestique, heureusement contrebalancée par des instants de bonheur intense, comme une virée en moto, un coucher de soleil et un premier amour…vite trahi. La vie d’adulte sera-t-elle plus facile que l’enfance ? Cécile Robin-Lapeyre Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P42-53 24/05/06 8:20 Page 51 51 37 I Ecoloville 2015. Le brusque réchauffement du climat et la montée des eaux obligent, d’urgence, à la construction d’une cité capable de reloger vingt millions de personnes. Avant la mise en route des travaux, une commission d’experts est envoyée à Ecoloville. Fondée en 2008 par les écologistes, cette mégalopole est le seul modèle de ville verte. Tout devrait y être merveilleux ! Or la voiture polluante y règne en maître et les forêts, « réserves naturelles », sont des zones de non-droit. Les déchets sont devenus un nouvel « or noir » convoité par l’Etat et, aussi, par une société privée : Tricel. L’auteur, lucide, propose une utopie écologique réaliste en montrant les limites inhérentes à tout projet politique. Son humour grinçant permet d’entrer dans les débats actuels sur la pollution de manière originale. Cette œuvre « d’anticipation et non pas de science-fiction » présentant des innovations déjà testées, comme le souligne Duhoo, pose la question de la valeur positive du progrès. Agnès Donon 38 I Jean-Yves Duhoo Hachette Littératures, 2006 (La Fouine illustrée) 94 p. 14 € 2-01-235940-X Mots clés Ecologie Le Désespoir du singe : La Nuit des lucioles, T. 1 Un vent révolutionnaire souffle sur les destins de Josef, peintre avorté, et d’Edith, sa cousine artiste et collectionneuse d’hommes. Nous sommes au début du XXe siècle, dans une petite ville de pêcheurs, au bord d’une mer intérieure menacée de disparition. Le pouvoir politique entend l’assécher pour alimenter en eau les nouvelles exploitations agraires. Et la milice veille au grain. L’album évoque la Russie de 1917, sans jamais la nommer, et le sort funeste qu’elle réserva à la mer d’Aral et aux villages alentours. Mais, loin de tout réalisme, le dessin d’Alfred anime des lieux et des personnages singuliers, car fantasmés : l’architecture de la ville fait se rencontrer l’Orient (dômes orthodoxes) et l’Occident (maisons de bois au toit pointu); les silhouettes graciles portent des costumes difficiles à dater ; les miliciens sont des créatures fantastiques, ombres chinoises au casque à pointe et aux yeux injectés de sang… Le chaos qui règne n’épargne pas Josef. Alors qu’il s’apprête à quitter la ville avec sa promise, il croise le chemin de Vespérine, muse au charme vénéneux mariée à un révolutionnaire impotent. Cette rencontre bouleversante a lieu lors de la nuit des lucioles : chaque année, à la même période, la tradition veut que les dames chassent ces insectes lumineux pour en orner leurs cheveux, espérant ainsi « un hiver doux, une pêche abondante, et le retour à bon port de leurs hommes ». La flamme de la passion s’allume entre les deux jeunes gens : « Tu vois cet arbre, Josef ? On le surnomme "le désespoir du singe" car il ne laisse aucune prise à l’escalade. Notre liaison est comme cet arbre. Elle ne peut se laisser envahir par les sentiments. » La suite de cette magnifique fresque permettra-t-elle à un amour épineux de croître ? Gaëlle Glin Lecture Jeune - juin 2006 Jean-Philippe Peyraud Ill. Alfred Delcourt, 2006 48 p. 12,90 € 2-84789-429-2 Mots clés Révolution Russie Amour LJ118_P42-53 24/05/06 8:20 Page 52 52 Parcours de lecture Et après Documentaires 39 I Frédéric Denhez Autrement, 2005 (Atlas / Monde) 80 p. 15 € 2-7467-0731-4 Mots clés Climat Effet de serre Atlas de la menace climatique : Le réchauffement de l’atmosphère, enjeu numéro un de notre siècle Le réchauffement de l’atmosphère et de la planète est un excellent exemple de mondialisation. Avant d’analyser ce phénomène, cet atlas à l’iconographie exemplaire commence par expliquer les mécanismes du climat « naturel » de la terre (c’est à dire avant l’intervention humaine) et évoque logiquement ce qu’on sait du passé des climats, de leur histoire. Une fois ces repères posés, on peut aborder la notion contemporaine de réchauffement climatique dans toute sa complexité, en détailler les nombreux indices (montée du niveau des océans, fonte des glaces, migration des isotopes, etc.) et émettre des hypothèses sur les causes (effet de serre dû aux émissions croissantes de CO2, méthane et gaz notamment). Après avoir esquissé différents scénarios à l’horizon 2100, dont le point commun est la plus grande incertitude, l’auteur envisage les mesures à prendre dès maintenant, individuellement et collectivement, pour réduire l’effet de serre. Toutes sont centrées sur les économies d’énergie et le développement de la production d’énergies renouvelables. Seul un comportement citoyen et solidaire à l’échelle de la planète permettrait une régulation climatique à moyen ou long terme. Le lecteur, que cette vulgarisation claire et précise aura stimulé, trouvera matière à approfondir le sujet dans l’excellente bibliographie et sélection de sites placée en annexe de cet ouvrage qui a reçu le prix Ptolémée, décerné chaque année par le Festival international de géographie de Saint-Dié (Vosges). Marie-Françoise Brihaye Pour aborder par le biais de la fiction le problème du réchauffement planétaire et les solutions envisageables, on peut lire la BD Ecoloville de J.-Y. Duhoo (voir notice 37).ndlr Stéphane Ferrand et Sébastien Langevin Milan, 2005 (Les Essentiels) 63 p. 5,50 € 2-74592049-9 Mots clés Manga Japon 40 I Le Manga Le manga représente aujourd’hui plus de 30 % du marché français de la bande dessinée. Quelle est son histoire, au Japon et en France ? Comment s’est forgée toute une économie autour de la culture manga : prépublications dans la presse, produits dérivés, anime, jeux vidéo, etc. ? Le mangaka travaille comme un forçat pour maintenir son « rendement » hebdomadaire Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P42-53 24/05/06 8:20 Page 53 53 et doit s’entourer d’assistants auxquels il délègue des tâches. Analysant les différents types de mangas, qui s’adressent à des publics ciblés selon leur sexe et leur âge (les shojo, pour filles, sont dessinés par des femmes ; les shonen sont destinés aux garçons), les auteurs montrent la diversité et la richesse du genre. Journalistes spécialisés, Stéphane Ferrand et Sébastien Langevin organisent les activités de l’espace manga du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Ils terminent leur synthèse en présentant une tendance : le métissage entre les techniques issues du manga et la tradition franco-belge qui renouvelle la narration et le graphisme. Doté d’un glossaire, ce petit ouvrage formidablement clair permettra à chacun — adolescent ou médiateur du livre — de devenir incollable… Au fait, qu’estce qu’un Tankôbon ? Cécile Robin-Lapeyre 41 I Les secrets de la Bible au Louvre Alors que la Bible — avec l’Antiquité — fournit la source majeure d’inspiration de l’art jusqu’aux Temps modernes, on constate que peu d’adolescents possèdent une culture religieuse qui puisse leur donner accès à toute l’histoire de la peinture. Ce guide vise à combler cette lacune en donnant des clés pour comprendre les œuvres exposées au Louvre. Selon les périodes, certains thèmes sont privilégiés dans les représentations : le paradis, le déluge, le sacrifice d’Abraham, la nativité ou la crucifixion. Mais beaucoup de tableaux évoquent des épisodes moins connus. Les deux parties sont rédigées par deux auteurs différents. Jean-Louis Schlegel, spécialiste de la Bible, explique les récits de l’Ancien et du Nouveau Testament et leurs thèmes, en les raccrochant à un parcours au Louvre. Lili Aït-Kaci, conférencière au musée, étudie ensuite les représentations religieuses dans l’art, de l’Antiquité au XIXe siècle, à travers dix parcours et une centaine d’œuvres. L’index permet de retrouver les œuvres et les épisodes de la Bible auxquels elles se réfèrent. Ce guide dont on appréciera la qualité iconographique, constitue un usuel indispensable pour les CDI de collèges et lycées. Réseau de lecture : Dans la même collection, on peut (re-)découvrir Les secrets de la mythologie, 10 parcours pour découvrir la mythologie grecque au Louvre, 2001 (voir LJ n° 99, p. 72). Cécile Robin-Lapeyre Lecture Jeune - juin 2006 Jean-Louis Schlegel et Lili Aït-Kaci Seuil Jeunesse / Musée du Louvre, 2005 188 p. 19 € 2-02-062979-8 Mots clés Bible Art LJ118_P54-70 24/05/06 8:21 Page 54 54 Parcours de lecture Lecteurs confirmés Littératures 42 I Kate Chopin Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Michelle Herpe-Voslinsky Liana Levi, 2005 (Piccolo) 220 p. 9€ 2-86746-408-0 Mots clés Louisiane XIXe siècle Florent Couao-Zotti Ubu, 2006 187 p. 15 € 2-35197-002-0 Genre Roman d’amour L’éveil Liana Levi édite pour la première fois en France ce petit bijou, classique de la littérature américaine. Le scandale qui suivit sa parution en 1899 découragea la talentueuse Kate Chopin, auteur de saisissantes nouvelles (Désirée’s baby), de poursuivre la voie de l’écriture. Le prénom de l’héroïne de L’éveil, Edna, rappelle celui d’autres figures littéraires au destin tragique, Anna Karénine et Emma Bovary. Nombre de critiques ont établi à juste titre un parallèle entre Edna et Emma, deux femmes fébriles, abreuvées de romans sentimentaux et déçues de leurs expériences, qui se donneront la mort pour éviter le scandale. Kate Chopin admirait certes Flaubert. Mais le parcours original de son personnage révèle avant tout le conflit intérieur d’une femme qui découvre sa véritable nature — indépendante, créative, sensuelle —, incompatible avec les impératifs liés à son rôle social — mère, épouse d’un homme respecté. L’auteur décrit le monde dont elle est issue : celui des créoles de Louisiane, élite d’origine française. En villégiature à Grande Isle, Edna Pontellier, jolie mère de famille sans histoire, se fait courtiser par le charmeur Robert Lebrun. La langueur de l’été, la moiteur de l’air, la caresse de l’océan éveillent Edna au désir. Mais Robert précipite sans crier gare son départ au Mexique, où il espère faire fortune. Il laisse une jeune femme désemparée, incapable de revenir à son morne quotidien. A la Nouvelle Orléans, obsédée par le tendre souvenir de Robert, elle entend s’affranchir de toutes les contraintes : elle se consacre à la peinture, s’achète une maison à elle, cède aux avances d’un séducteur invétéré. Mais « L’oiseau qui veut s’élever au-dessus du simple niveau des traditions et des préjugés doit avoir les ailes solides. C’est un triste spectacle de voir la pauvre hirondelle meurtrie, épuisée, revenir à terre en battant faiblement les ailes »… Ce portrait de femme libre, servi par une construction parfaite et une langue simple, alerte, musicale, ne manquera pas de toucher les adolescentes, qui pourront trouver dans la préface de Jean Bardot des outils d’analyse précieux. Gaëlle Glin 43 I Les Fantômes du Brésil Mots clés Bénin Amour L’écrivain francophone Florent Couao-Zotti nous livre une majestueuse variation autour de Roméo et Juliette. Au Bénin, deux communautés Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P54-70 24/05/06 8:21 Page 55 55 coexistent sans se côtoyer. Les Agoudas, fils d’esclaves béninois revenus de leur long exil au Brésil, n’ont que du mépris pour les gens de Ouidah, descendants des vendeurs qui les avaient livrés à la Traite. L’amour interdit qui naît entre Pierre d’Ouidah et la troublante Anna-Maria embrase les relations entre les deux clans. Surpris par les frères de la jeune fille, les amants sont séparés. Roué de coups, Pierre trouve malgré tout la force de se réfugier dans la forêt, chez son oncle sage. AnnaMaria, quant à elle, parvient à s’enfuir de chez sa mère. Pour faire taire les rumeurs, cette dernière décide de la marier au plus vite à un Agouda puissant et corrompu, qui mettra tout en œuvre pour retrouver sa « fiancée ». Cette course effrénée à travers le Bénin s’achèvera sur un rivage baigné de soleil. Cernés par les représentants haineux de leurs communautés, les amants se laisseront engloutir par l’océan : « Partir sur les houles de la grande eau, à défaut de s’envoler sur les ailes du vent. Se fondre dans l’infini liquide, à défaut de s’approprier un carré du ciel. Comme le faisaient certains esclaves lorsque, à bord des voiliers qui les convoyaient vers le Brésil, ils préféraient se jeter à la mer plutôt que d’accepter l’infini de la souffrance. » Ces dernières pages sont parmi les plus belles de ce roman africain, qui déploie une langue ornée, imagée, poétique, inventive. Comme dans toute grande tragédie, il est question d’amour et de sens de l’honneur, de violence et de mort, de destin et de liberté. Gaëlle Glin Premier titre d’une nouvelle maison d’édition de littérature générale, Ubu, fondée par l’ancienne équipe du Serpent à plumes. ndlr 44 I L’Antilope blanche Cameroun : 1949-1960. A travers son journal, Charlotte Marthe nous fait découvrir sa vie d’enseignante à Douala. A son arrivée en 1949, elle est surtout « une femme qui part » : elle fuit la Savoie et un premier amour qui l’a repoussée. Jeune directrice de collège, ignorante de l’Afrique, elle en découvre progressivement les réalités. Il faut se battre avec détermination contre une administration française incohérente, le non paiement des salaires, l’indifférence et le mépris pour les élèves africaines et leurs professeurs. C’est là, dans ce collège, qu’elle bâtit sa vie, avec pour ambition de faire de ces jeunes filles soumises au droit coutumier, des femmes autonomes. Cela passe par l’obtention du BEPC qui ne doit plus avoir seulement valeur de dot, mais ouvrir à d’autres études, à des bourses professionnelles en France. Cela passe aussi par les succès de sa merveilleuse équipe sportive, les Antilopes. Un petit noyau d’amis la soutient dans un Cameroun où la misère et la corruption se développent aussi vite que l’industrialisation internationale. Toujours taraudée par sa frustration amoureuse, elle ne renonce pourtant pas à son combat, jusqu’aux violentes émeutes contre la France. La confiance que lui Lecture Jeune - juin 2006 Valentine Goby Gallimard, 2005 (Blanche) 275 p. 17,50€ 2-07-077473-2 Mots clés Cameroun LJ118_P54-70 56 24/05/06 8:21 Page 56 Lecteurs confirmés accordent les habitants ne protège pas le collège : elle doit quitter ses Antilopes. Des années plus tard, nous la retrouvons en Provence, où Valentine Goby reconstitue son histoire et remonte la filière des Antilopes devenues, comme Charlotte Marthe l’avait souhaité, enseignantes, juges, médecins, ministres… Un style fluide, une grande puissance d’émotion et d’évocation sont au service d’une très belle histoire empreinte de nostalgie. « Nous n’avons pas été assez nombreux à donner le meilleur de nous-mêmes », regrette Charlotte Marthe. Mais cette femme combative, cette célibataire autonome aura finalement eu sa victoire… et les enfants dont elle rêvait. Ecoutez l’adieu que lui avaient fait les jeunes Africaines : « Retourne dans ton cher pays, la France, mais dis aux Français que tu ne leur rapportes que ton corps car tes filles à jamais gardent ton cœur et ton esprit.» Réseau : A voir absolument, le documentaire Sisters in Law de K. Longinotto (2005), mise en scène du travail que mènent actuellement au Cameroun deux femmes, l’une juge, l’autre procureur. Michelle Brillatz 45 I Anne Lenner Le dilettante, 2005 190 p. 15 € 2-84263-118-8 Genre Roman d’apprentissage Mots clés Adolescence Handicap Amitié Cahin-caha « La Tremblote » est un jeune de dix-sept ans, handicapé moteur ou « malassis » comme il dit, atteint d’une maladie orpheline qui grignote son espérance de vie. Pour échapper au quotidien — une mère possessive et les humiliations au lycée —, son ami Lulu, un fugueur, l’inscrit à un camp de vacances pour deux semaines. Au cours de ce séjour, « La Tremblote » apprendra à regarder les autres et à se regarder en face. Son cynisme et son fatalisme vont peu à peu laisser place à la sagesse. A vingt-cinq ans, Anne Lenner écrit son premier roman et quel roman ! Elle dresse le portrait d’un être avançant dans la vie tant bien que mal, tel un vieux combi retapé et surchargé cheminant sur une route cahotante. Se plaçant du point de vue de son héros, elle livre un discours sincère, à l’ironie mordante et parfois cruelle. Il est question de réflexions fondamentales, de construction personnelle et d’apprentissage de la vie, tout simplement. Ce récit d’une belle ascension est servi par un style acrobatique. Toute l’originalité réside dans cette écriture singulière, surprenante, émouvante. L’auteur a choisi un langage atypique pour décrire le processus libératoire d’un être différent qui aspire juste à pouvoir vivre avec les autres. Sonia Seddiki Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P54-70 24/05/06 8:21 Page 57 Littératures 46 I Kafka sur le rivage Pour partir à la recherche de ses origines, alors qu’il a été abandonné tout petit par sa mère, le jeune Kafka Tamura quitte la maison de son père haï. Sa fugue le conduit « en aveugle » vers le sud, tout au bout d’une presqu’île. Il trouve un havre de paix dans une bibliothèque particulière, s’enivrant de la lecture des classiques du matin au soir. Là, il est pris en amitié par un bibliothécaire androgyne et tombe sous le charme de la maîtresse des lieux, la mystérieuse Saeki, toujours amoureuse du jeune amant qu’elle perdit il y a vingt ans. Kafka échappera-t-il à l’imprécation selon laquelle il tuerait son père, coucherait avec sa mère et sa sœur ? La route de ce jeune Œdipe, premier narrateur de l’histoire, va croiser celle d’un mystérieux personnage, le vieux Nakata — qui parle de lui à la troisième personne —, retardé mental depuis un étrange traumatisme. Durant la guerre, au cours d’une excursion scolaire, des enfants exposés à un rayonnement ont été plongés dans le coma, dont seul Nakata a gardé des séquelles. Depuis, il ne communique plus avec les humains, mais avec les chats dont il est capable de comprendre et de parler le langage. Le récit se déroule au gré de la quête de vérité des personnages. Des énigmes subsisteront, même si chacun, comme dans la tragédie grecque, sera allé au bout de sa destinée. Une profusion de curieux personnages entourent les protagonistes : ils jouent le rôle d’adjuvants du récit, sans vraisemblance psychologique. Pourtant la magie opère, à travers ces deux histoires alternées, et le lecteur sera porté par ce magnifique roman initiatique, au terme duquel Kafka aura atteint l’âge adulte. Cécile Robin-Lapeyre Autre avis : Il s’agit bien d’un roman initiatique dans lequel le héros nous guide. Pour ce faire, il emprunte des pistes complexes et explore des univers opposés : onirique, voire parfois surnaturel (pluie de maquereaux, dialogues avec des chats…), spirituel mais aussi réaliste puisqu’il est question de survivre à tout un périple. Riche et captivant, servi par une écriture fine et expressive, ce portrait d’adolescent rebelle et opiniâtre nous touche profondément. La puissance narrative de Murakami et le traitement original de la thématique en font un texte remarquable… et inclassable. Michelle Charbonnier 47 I Neige Ka est un poète turc vivant en Allemagne depuis douze ans lorsqu’il rentre dans son pays. Missionné par un journal local, il va enquêter dans l’est du pays, à Kars, sur une mystérieuse vague de suicides de jeunes femmes voilées. « Il est sûr que la cause de ces suicides réside dans un extrême malheur de nos filles ; il n’y a pas de doute à cela, dit à Ka le Lecture Jeune - juin 2006 Haruki Murakami Trad. du japonais par Corinne Atlan Belfond, 2006 618 p. 23 € 2-7144-4041-X Genre Roman initiatique Mots clés Amour Tragédie 57 LJ118_P54-70 58 24/05/06 8:21 Page 58 Lecteurs confirmés Orham Pamuk Trad. du turc par Jean-François Pérouse Gallimard, 2005 (Du monde entier) 485 p. 22,50 € 2-07-077124-5 Genre Roman politique Mots clés Turquie Politique préfet adjoint. Mais si le malheur était une vraie cause de suicide, la moitié des femmes en Turquie se seraient suicidées. » Sur place, Ka est confronté à plusieurs réalités qui le déstabilisent sérieusement : les kémalistes activistes, des intégristes nocifs et une femme qu’il retrouve et dont il tombe fou amoureux. En toile de fond, la neige omniprésente dilue la réalité dans sa texture ; elle fait s’étirer le temps et étouffe les cris d’une ville meurtrie. Neige est à la fois un roman très poétique — l’écriture est majestueuse — et très réaliste : la société décrite l’est grâce à une plume intransigeante et incisive. Les personnages sont tiraillés entre le désir de vivre un bonheur individuel et celui d’appartenir à une communauté, les deux étant incompatibles. Dans la vision de Pamuk d’une Turquie en quête d’elle-même, il y a quelque chose de l’ordre de l’accomplissement, du destin : le pire doit advenir pour engendrer un changement sociétal. Ka y laissera sa peau, nous l’apprendrons par le narrateur, ami du poète, qui retrace pour nous ses derniers moments. L’auteur, poursuivi dans son pays pour ses positions sur le génocide arménien, dit avoir écrit là son roman le plus politique. Michelle Charbonnier 48 I Chaïm Potock Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Martine Leroy-Battistelli 10/18, 2006 150 p. 6,90 € 2-264-04127-7 Genre Roman politique Mots clés Stalinisme Torture Le docteur Rubinov Léon Shertov, agent du KGB passé à l’Ouest quelques années après la mort de Staline, livre (à la première personne) ses souvenirs dans un manuscrit, transmis à un contact aux Etats-Unis. Né en Ukraine dans une famille juive pieuse, Kalman Shafstein se fait remarquer pour son courage lors de la Première Guerre mondiale. Gravement blessé, il évite une amputation du bras grâce à un médecin, Pavel Rubinov ; ce dernier lui fait promettre de lui apprendre à lire en hébreu prières et psaumes. Après avoir découvert son village natal décimé et rasé, le jeune juif bascule dans la foi communiste, seule capable d’étancher sa soif de « réparation ». Il s’engage dans l’Armée rouge avant d’être recruté dans les rangs du KGB, où il devient Léon Shertov. Pendant la guerre, « il exécutait les consignes et faisait ce qu’on lui disait de faire ». On attendra la même chose de lui tout au long de sa brillante carrière d’enquêteur et de tortionnaire docile : il travaille avec efficacité et zèle et jamais le lecteur ne connaît la réalité de ses pensées et de ses sentiments. Après les purges des années trente et les angoisses, privations et souffrances liées au deuxième conflit mondial, vient le temps de la purge des grands médecins juifs qui étaient au service de Staline, le Grêlé, atteint de démence sénile et paranoïa aiguë. Shertov perd alors de son assurance. A l’occasion du séjour dans les geôles du KGB de Pavel Rubinov, son « sauveur », il est ébranlé par les conditions de vie infligées aux détenus, dont il ne s’était jamais soucié. La mort de « l’infâme tyran » le libère de la terreur que lui inspirait l’extermination des juifs, mais pas de la honte. Il décide de s’exiler. Chaïm Potock a écrit un Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P54-70 24/05/06 8:21 Page 59 Littératures texte concis, sobre mais implacable et bouleversant. Le lecteur marche dans le sillage d’un fonctionnaire modèle du KGB, emblématique de cette machine à purger stalinienne. Les pages consacrées à l’évocation sensible des souffrances du peuple russe pendant les guerres (civiles et mondiales) et le tableau glacé de la terreur proposent une leçon d’histoire vivante et indispensable aux générations d’adolescents nés après la disparition des régimes communistes d’Europe. Marie-Françoise Brihaye 49 I A peine un peu de bruit La jeune Charlotte est l’aînée de trois enfants. Ils auraient pu être quatre avec Loïc, ce petit frère mort à trois mois. Son ombre plane sur la famille unie et harmonieuse, qui ne manque pas d’évoquer son souvenir : « Soudain, les flûtes de champagne sur le vaisselier se mettent à tinter, à chanter. Pourtant nous sommes tous les cinq autour de la table, les fenêtres sont fermées et il n'y a pas le moindre courant d'air. Maman sourit : "C'est Loïc qui nous fait un signe, il veut participer" ». Malgré la chaleur et l’amour de ses proches, Charlotte est enfermée dans ce deuil. Elle se raccroche à sa petite sœur Julie, si pleine d’énergie. Sa spiritualité l’aide aussi à cheminer : elle ne parvient à se sentir apaisée qu’au cours de prières ou de visites rituelles au cimetière. Mais lorsque la famille déménage à Paris, Charlotte perd tous ses repères. C’est l’écriture qui l’aidera à se souvenir et à garder la trace de cette existence éphémère. Toute la difficulté d’un pareil récit tient au sujet lui-même : il est compliqué de parler de la mort d’un enfant sans tomber dans le voyeurisme ni dans le pathos. Mais K. Reysset livre un roman intimiste très réussi, d’inspiration autobiographique. Le point de vue de la grande sœur, dont nous suivons les pensées et qui finit par se libérer de la « religion pansement » et de la culpabilité, se révèle riche. Nous sommes très troublés par la justesse des mots et de l’évocation de la douleur. Ce livre fort exige une certaine maturité de la part des lecteurs. Michelle Charbonnier 50 I Karine Reysset L’école des loisirs, 2006 (Médium) 167 p. 9,50 € 2-211-08150-9 Genre Roman intimiste Fantastique Mots clés Famille Deuil Spiritualité Seulement l’amour A dix-huit ans, le maladroit Hippolyte rencontre Mado, jolie rousse aux yeux verts, sur les bancs de la fac de médecine. Les jeunes gens se plaisent, s’aiment avec passion, s’installent ensemble... Le mariage s’impose comme une évidence. Mais au matin des noces, pris d’une crise d’angoisse inexplicable, Hippolyte abandonne son « épouse tombée du ciel ». A quarante-quatre ans, Hippolyte est un neurologue reconnu, à la vie personnelle inexistante. Lorsqu’à la fin d’une conférence, il tombe sur la mère de Mado, tous les souvenirs enchantés de son premier et seul amour lui reviennent en mémoire. Une fois chez lui, il se laisse aller à Lecture Jeune - juin 2006 Philippe Ségur Buchet-Chastel, 2005 387 p. 20 € 2-283-02133-2 Mots clés Voyage dans le temps Nostalgie 59 LJ118_P54-70 60 24/05/06 8:21 Page 60 Lecteurs confirmés écouter les morceaux qui le reliaient à Mado. Et le miracle se produit… Dans un état second, Hippolyte retrouve son corps de jeune homme et la compagnie de sa fée rousse. Désormais, il lui suffira de se concentrer sur une musique ou un parfum aimé pour voyager dans le temps. Hippolyte use et abuse du procédé car rien dans le présent n’est susceptible de l’émouvoir comme ces jours bénis. Obsédé par l’idée de retrouver Mado, Hippolyte ne peut s’empêcher de se demander ce qu’aurait été sa vie s’il l’avait épousée. Sa nouvelle condition d’explorateur du temps lui permettra peut-être d’obtenir une réponse… Ce texte, qui commence comme beaucoup de romans contemporains avec les états d’âme d’un quadragénaire désillusionné, crée la surprise. D’abord par son ton, drôle et piquant. Ensuite par son incursion réussie du côté du fantastique. Le thème du voyage dans le temps se révèle une nouvelle fois riche de possibilités romanesques. Il donne ici lieu à une réflexion sincère sur l’ambivalence de la nostalgie — tour à tour curative et destructrice — et la vanité des regrets. Gaëlle Glin 51 I Gillian Slovo Trad. de l’anglais par Jean Guiloineau Gallimard, 2006 (Scripto) 348 p. 12 € 2-07-055484-8 Réédition Genre Roman social Roman historique Mots clés Afrique du Sud Apartheid Justice Poussière rouge Afrique du Sud, 1995, la Commission Vérité et Réconciliation, empreinte des vertus nouvelles de transparence politique, tente de faire table rase du passé sanglant et discriminatoire du pays en menant des « conciliations » autour de certains crimes racistes passés. La famille Sizela sollicite Ben Hoffman, vieil avocat malade qui fut une figure de la lutte anti-apartheid, dans l’affaire du meurtre et de la disparition du corps de leur fils. Ben fait appel à son ancienne protégée, Sarah Barcant, partie exercer à New York depuis de nombreuses années. Elle devra entendre Dirk Hendrick, le bourreau, agent des forces spéciales de police qui cherche à être absout de ses crimes en les révélant à la Commission. Ce dernier, au cours de l’enquête, sera confronté à une autre de ses victimes, Alex Mpondo, autrefois terroriste torturé et aujourd’hui député de cette nouvelle Afrique du Sud en quête de justice… Difficile de résumer ce magnifique roman de Gillian Slovo, fille de l’ancien ministre communiste de Nelson Mandela, sans tomber dans le raccourci simpliste. Il s’agit d’un récit hyper réaliste, et qui à ce titre induit une force magnétique : l’écriture précise, qui accompagne le déroulement de l’enquête, se fait à la fois objective et descriptive, incisive et porteuse de vérité. Toute la difficulté du propos est de ne pas sombrer dans le manichéisme mais bien de faire apparaître la complexité d’un système où la responsabilité est à la fois individuelle et collective. Chaque individu est ici « coincé » dans un carcan éducatif, familial ou social dont il lui est impossible de sortir la tête haute. Admettre que le droit ne suffit pas toujours dans la quête de la vérité se révèle difficile. Une œuvre d’une grande force, qui nous interroge sur l’oubli, le pardon et les enjeux d’une politique raciale. Michelle Charbonnier Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P54-70 24/05/06 8:21 Page 61 61 Parcours de lecture Lecteurs confirmés BD 52 I Le Complot : L’histoire secrète des Protocoles des Sages de Sion Will Eisner a retracé peu avant sa mort l’histoire du complot juif, inventé au début du XXe siècle pour réveiller l’antisémitisme latent en Europe. Pourtant, dès 1921, un journaliste du Times avait dénoncé la supercherie en démontrant que Le Complot plagiait un pamphlet visant Napoléon III. Le dessinateur américain explique comment les courtisans du Tsar NicolasII ont fabriqué de toutes pièces les Protocoles pour enrayer les idées progressistes qui gagnaient la Russie. Malgré la preuve de l’imposture qu’il représentait, le texte n’a cessé de circuler, à l’époque nazie et aujourd’hui encore. Il est largement diffusé sur Internet, dans le monde arabe et aux Etats-Unis. Image frappante : Eisner se représente accablé, lorsque en 2001, sur le campus de l’Université de San Diego, il se heurte à des étudiants haineux, imperméables à son argumentation. Avec ce roman graphique, il a voulu s’adresser dans un langage accessible et didactique à un public qui ne serait pas composé que d’historiens. « J’ai passé ma vie à mettre le dessin au service de la narration » déclare-t-il dans son dernier combat. Comme la BD Maus d’Art Spiegelman (Flammarion, 1992), ce document historique touchera particulièrement les adolescents. Les médiateurs du livre (bibliothécaires ou enseignants) auront à cœur de le faire circuler. Cécile Robin-Lapeyre Will Eisner Grasset, 2005 143 p. 19 € 2-246-68601-6 Genre Roman graphique Mots clés Antisémitisme Histoire 53 I Vagabond Classiques de la littérature japonaise, La pierre et le sabre et La parfaite lumière racontent l’itinéraire du jeune Miyamato Musashi depuis la bataille de Sékigahara en 1600 jusqu’à son affrontement avec Sasaki Kojiro. Avec Vagabond, l’adaptation de ces romans d’Eiji Yoshikawa, Takehiko Inoue (Slam Dunk, Real) revient sur la genèse du plus fameux escrimeur japonais. Relativement proche du roman d’aventures, entre l’action de L’arbre au soleil de Tezuka et le réalisme d’Au temps de Botchan de Taniguchi, le manga ne fait pas que retracer le parcours initiatique et spirituel d’un rônin, il peint aussi un tableau particulièrement vivant de cette époque de transition vers le Japon moderne. Dessinés en noir et blanc dans un souci de réalisme et de détail, les superbes paysages du manga sont mis en valeur par le trait, relativement fin. Allié à l’utilisation judicieuse du pinceau, à la manière des Lecture Jeune - juin 2006 Takehiko Inoue Tonkam, 2001-2006 196 p. 9€ 2-84580-067-3 à 2-84580-761-9 Genre Manga Mots clés Japon Escrime LJ118_P54-70 62 24/05/06 8:21 Page 62 Lecteurs confirmés calligraphes traditionnels, il permet d’accélérer l’action et de donner un étonnant effet de modernité. Remarquons la belle facture du manga : les premières planches sont entièrement à l’aquarelle et en couleurs. Tout en constituant un excellent divertissement, cette série peut introduire à la culture japonaise classique et amener à la lecture des romans dont elle s’inspire. Rappelant les récits de cape et d’épée, ceux-ci traitent de développement personnel sur fond de culture zen. Léopold Romain 54 I Gogo Monster Taiyou Matsumoto Trad. et adapt. du japonais par Vincent Zouzoukouvsky Delcourt, 2005 (Akata) 455 p. 29,95 € 2-84789-937-5 Réédition Genre Manga Mots clés Enfance Autisme Imaginaire Yuki Tachibana est un enfant à part. Il vit enfermé dans son monde, entouré d'entités (« monsters ») en tout genre, protectrices, farceuses ou terrifiantes. Rejeté par les autres élèves à cause de ses bizarreries et de ses propos délirants, Yuki a surtout très peur de passer à l'âge adulte et de « pourrir » comme les autres enfants de l'école, pressés de se débarrasser de leur naïveté. Gantsu, un vieil homme préposé à l'entretien, tente de rassurer Yuki en entrant dans son jeu sans toutefois l'alimenter ; la jeune institutrice tâche de comprendre ce garçon proche de l’autisme ; QI, un élève surdoué et quelque peu étrange, s'essaie à trouver une explication rationnelle à ses troubles du comportement. Mais seul Makoto, un nouveau venu, grâce à sa simplicité et son ouverture d'esprit, saura sauver Yuki de l'abîme dans lequel il se jette plus ou moins consciemment. L’excellente présentation — coffret cartonné, maquette soignée… — met en valeur ce manga remarquable. Matsumoto aborde, avec un sens extraordinaire de la bande dessinée (découpage lent, phylactères peu présents, qualité de la composition, expressivité des visages, justesse des attitudes, minutie des décors, le tout dans un style graphique inimitable) des thèmes personnels qui toucheront le plus grand nombre. Imagination et audace visuelle sont la marque de ce livre qui bénéficie d’une traduction impeccable. Avec Gogo Monster, Matsumoto nous propose un chef-d’œuvre du manga dans lequel chacun, adulte ou adolescent, peut se perdre. Léopold Romain Autre avis : Taiyou Matsumoto invente un univers graphique et un scénario déroutants, dans lesquels explose son génie. Avec Yuki, l’auteur met en scène les peurs enfantines les plus étranges et déploie ainsi son imaginaire fascinant et dérangeant. Cette atmosphère angoissante est parfaitement rendue par les contrastes créés par l’association du noir et blanc. La variété des cadrages — cinématographiques — participe également au dynamisme de la lecture. L’édition en coffret est l’occasion de (re-)découvrir une œuvre magnifique et révolutionnaire. Sonia Seddiki Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P54-70 24/05/06 8:21 Page 63 BD 55 I Dys, Un futur homme important, T. 1 Dys, c’est l’histoire d’un jeune en quête d’un emploi. Le manque de diplômes lui ferme beaucoup de portes et la galère de la recherche commence. Heureusement, les amis sont là pour regonfler un curriculum vitae un peu chétif. Une fois le job décroché, il faut bien sûr le conserver : difficile quand on ne connaît pas le travail pour lequel on est sensé être le plus qualifié ! Le manga français arrive ! L’univers de ce manga est très occidental. Les codes graphiques du genre sont bien intégrés sans toutefois empêcher la personnalité et le style du mangaka de s’exprimer. Le sujet et l’angle social choisis renvoient à des débats d’actualité : la précarité des jeunes dans le monde du travail et les angoisses qui en découlent. Mais l’humour à l’œuvre permet d’alléger le propos. On suit avec intérêt ce début chaotique dans la vie et toutes les intrigues secondaires. Pari réussi pour l’auteur et l’éditeur ! Sonia Seddiki Moonkey Pika, 2006 208 p. 6,95 € 2-84599-557-1 Genre Seinen manga Mots clés Travail 56 I La Conquête de l'Est : Klezmer, T. 1 Après Le Chat du rabbin qui puisait dans les racines séfarades de sa famille, Sfar s'attaque à l'héritage ashkénaze maternel à travers l'épopée d'une troupe de musiciens dans la Russie des années trente. Plus que d'une BD, il s'agit d'un roman graphique aux aquarelles aériennes, où, comme dans les contes de notre enfance, la mise en place des personnages se fait au fur et à mesure que le récit progresse : une jeune fille en fuite rencontre par hasard un musicien tsigane, ils sont rejoints à Odessa par un voleur rouquin, un violoniste génial, un bohémien guitariste... L'aventure, à l'image de la musique klezmer, est mélancolique et joyeuse, le folklore foisonnant se teinte de poésie, la drôlerie des dialogues est relayée par l'étonnante utilisation des couleurs et la truculence des dessins. Joann Sfar avouait lors de la sortie de Klezmer s'être beaucoup inspiré de Hugo Pratt et de Quentin Blake, et déclarait vouloir faire se rencontrer dans une même histoire « Michel Strogoff et un Juif vert de Chagal » : une fois encore c'est très réussi ! Maud Simonnot 57 I Sir Arthur Benton : Opération Marmara, T. 1 Wannsee 1942, T. 2 Après la chute de Hitler, le colonel anglais Kensington, alias Sir Arthur Benton, est interrogé par les services secrets alliés pour l’aide apportée Lecture Jeune - juin 2006 Joann Sfar Gallimard Jeunesse, 2006 (Bayou) 144 p. 15,90 € 2-07-057309-5 Genre Roman graphique Mots clés Tsigane Musique Juif 63 LJ118_P54-70 64 24/05/06 8:21 Page 64 Lecteurs confirmés Tarek Ill. Stéphane Perger Emmanuel Proust, 2005 (Trilogies) 13 € 56 p. 2-84810-079-6 2-84810-117-2 Mots clés Nazisme Espionnage aux membres du NSDAP dans leur accession au pouvoir. Pour Benton, cet appui au parti nazi n’aurait eu pour but que de permettre à l’Allemagne de combattre les Soviétiques, donc le communisme, et de déstabiliser la puissance française. Ce premier tome relate la manière dont Hitler a pu prendre légalement le pouvoir. Espions et agents secrets se poursuivent sur fond d’attentats provoqués par les SS et de coups portés aux juifs et aux plus faibles. Le deuxième tome raconte l’année 1942. La conférence de Wannsee vise à « régler le problème juif » comme l’écrit Hitler dans Mein Kampf en ayant recours à la « solution finale ». Pas d’opposition ! Le ghetto de Varsovie est organisé, les camps d’extermination mettent la mort en marche. La question de la connaissance par les forces alliées de l’existence des camps est froidement posée. Ces deux BD constituent un très bon récit d’espionnage, mouvementé, angoissant, et une extraordinaire reconstitution historique. Sir Benton n’a pas existé mais son personnage concentre tous les traits des espions et contre-espions. Les dessins aux tons neutres, passant du crème au gris foncé, montrent avec finesse l’atmosphère inquiétante de l’époque. Cette série magistralement maîtrisée et captivante propose à la fin de chaque volume un dossier très complet permettant de resituer le propos dans son contexte. Agnès Donon 58 I Les rois vagabonds James Vance Ill. Dan Burr Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par José Avigdor Vertige Graphic, 2005 207 p. 17 € 2-908981-83-1 Nouvelle édition Genre Road book Mots clés Etats-Unis Société Politique En 1932 l’Amérique connaît la Grande Crise. Comme tant d’autres, le père de Freddie n’a plus de travail et sombre dans l’alcoolisme. Après que son père a quitté la maison pour tenter de trouver un emploi et que son frère a été arrête pour vol, Fred doit s’enfuir pour échapper à l’orphelinat. Aux côtés de Sam, doux paumé qui se fait appeler « le roi d’Espagne », le jeune garçon devient un « hobbo », un vagabond. Sur ce chemin du désespoir et de la misère, il découvre la solidarité et la liberté, l’engagement et la lutte : un nouveau monde. Les rois vagabonds est une œuvre forte et dense, servie par une écriture et un graphisme d’une expressivité remarquable. Elle s’inscrit dans la tradition culturelle américaine de la « route » – on pense à Mark Twain et Jack London bien sûr – en tant que voyage initiatique. Ici, un enfant de douze ans part à la recherche de son père, et d’une certaine façon le trouve, puis conclut : « Alors une fois de plus je repris la route… Seul et pourtant accompagné de tous. Là-bas existait un autre rêve, et je savais qu’un jour, quelque part sur cette route, nous le trouverions ». L’ouvrage est évidemment éminemment politique en ce qu’il dit du vivre ensemble, de la solidarité et de l’espoir. Hélène Sagnet Cette œuvre fut d’abord une pièce de théâtre mais désormais « est et devrait rester une bande dessinée ». Un dossier documentaire vient compléter notre connaissance de la crise de 1929 – notamment son traitement dans la littérature et le cinéma –, des « hobos » et autres références de l’ouvrage. ndlr Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P54-70 24/05/06 8:21 Page 65 65 Parcours de lecture Lecteurs confirmés Documentaires 59 I Bâtisseurs de paix David Chemla, responsable pour la France du mouvement israélien La paix maintenant, a composé un recueil d’interviews (menées entre avril 2004 et mai 2005) de huit palestiniens et huit israéliens, d’horizons et milieux différents (militaires, politiques, membres d’associations militantes, universitaires, religieux). Tous lui ont parlé de leurs origines et de leurs itinéraires de vie parfois très douloureux (prison…). Leurs points communs ? Un long engagement au service de leurs patries respectives et une volonté lucide de faire la paix avec « l’Autre ». Sans illusion aucune, ils en sont venus à reconnaître à la fois l’existence légitime du voisin et la possibilité d’un dialogue avec lui en vue d’un accord… au prix de concessions réciproques. Ils n’éludent aucun des sujets de discorde : le statut de Jérusalem, le retour des réfugiés palestiniens, le tracé des frontières entre les deux Etats, l’évacuation des colonies juives… Cette réflexion sur l’identité de leurs peuples et les conditions d’une paix équitable les place en porte-à-faux avec leur propre camp. L’ouvrage met en évidence la complexité du problème israélo-palestinien mais montre que le pragmatisme sans illusions de ces « bâtisseurs de paix » peut ouvrir une brèche dans une situation encore passablement bloquée. Ce plaidoyer pour « une pédagogie de la paix » complète très utilement L’Histoire de l’autre (Liana Levi, 2004), sorte de manuel d’histoire des deux nations, et renouvelle le regard souvent passionnel porté sur cette question cruciale. Marie-Françoise Brihaye David Chemla Liana Levi, 2005 255 p. 15 € 2-86746-398-X Mots clés Conflit israélo-palestinien Paix 60 I L’archéologie : Entre science et passion Archéologue est un métier qui fait rêver les adolescents... Ce documentaire très abouti et richement illustré permet d’aborder la réalité de ce métier à travers son évolution – des « antiquaires » fortunés d’hier aux professionnels avertis d’aujourd’hui –, et son inscription si particulière « entre science et passion », comme le rappelle le titre. L’auteur, professeur à Paris I, archéologue et président de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), Lecture Jeune - juin 2006 Jean-Paul Demoule Gallimard, 2005 (Découvertes) 159 p. 13,10 € 2-07-030643-7 Mots clés Archéologie LJ118_P54-70 66 24/05/06 8:21 Page 66 Lecteurs confirmés présente ainsi les techniques utilisées et les visées de la discipline, qui la rattachent au champ des sciences humaines. Interrogeant les traces matérielles, les archéologues dévoilent l’histoire des peuples. Ils mettent au jour de formidables découvertes, et sont en cela des passeurs d’émotion. Jean-Paul Demoule revient sur les principaux chantiers de notre siècle ; l’enthousiasme suscité par l’exploration de sites exceptionnels (la tombe de Toutankhamon, l’armée d’argile du premier empereur de Chine…) ne doit pas faire oublier que l’essentiel est de pouvoir les préserver. Les archéologues, qui endossent aussi la responsabilité sociale de présenter au public les vestiges du passé et de limiter leur érosion, doivent respecter le principe de précaution. Ainsi, il leur arrive de repenser les conditions de visite d’un site ou même d’en interdire l’accès a posteriori (ex : la grotte de Lascaux). Le lecteur apprend également que les archéologues laisseront inexplorés certains sites historiques, pourtant précisément repérés, tant qu’ils n’estimeront pas avoir les moyens scientifiques de les conserver après leur dévoilement. Gaëlle Glin 61 I L’art africain contemporain Christophe Domino, André Magnin Scala, 2005 95 p. 15 € 2-86656-357-3 Mots clés Afrique Art contemporain Avant « Africa remix », avec l’exposition « Magiciens de la Terre » au Centre Pompidou en 1989, on assiste à la reconnaissance de la culture africaine et à une prise de conscience du changement de statut de l’art de ce continent depuis la décolonisation des années soixante. La première collection d’art africain contemporain — CAAC — rassemble six mille œuvres. Basée à Paris, elle prête des œuvres d’art aux grands musées, sans avoir de lieu d’exposition attitré. André Magnin, conservateur de la CAAC et co-auteur de l’ouvrage, montre que, malgré la fragilité économique et l’absence de structures, de multiples talents émergent et que la volonté de les promouvoir existe. En Afrique, l’art permet d’être au cœur des réalités contemporaines — guerre, famine, sida — mais aussi d’approcher la diversité des cultures. Le parcours présente douze créateurs résidant en Afrique, à travers cent trente œuvres. Des photographies d’Ojeikere, fasciné par les coiffures féminines africaines aux motifs géométriques, aux peintures murales d’Esther Malangu, l’art contemporain s’inspire des traditions, mais traduit souvent aussi un engagement politique, comme chez Chéri Samba ou Willie Bester. Barthélémy Toguo et Pascale-Martine Tayou, quant à eux, se sont résolument tournés vers les installations et les performances. Le livre, qui offre une documentation riche et actualisée sur des artistes encore méconnus, est à conseiller absolument aux adolescents attirés par le domaine de la création. Cécile-Robin-Lapeyre Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P54-70 29/05/06 9:04 Page 67 Documentaires 67 FOCUS NOUVELLE COLLECTION « Folio biographies » est une nouvelle collection, lancée par Gallimard à l’automne 2005, de textes inédits présentant des figures historiques ou issues du monde des arts et des lettres. La plupart ont connu un destin tourmenté. Un bon équilibre est atteint entre vie privée et analyse de l’œuvre. Si cette collection s’adresse au grand public, elle peut bien sûr intéresser les lycéens ! 62 I Billie Holiday Billie Holiday, la grande dame du jazz, connut une jeunesse misérable. Enfant non désirée, elle fut très vite livrée à elle-même. Violée à l’âge de onze ans, elle se prostitua à treize et fut emprisonnée à quatorze. Son talent musical lui permit de connaître un grand succès mais la chanteuse ne s’affranchit pas des troubles liés à son enfance : elle sombra dans la drogue et fut toujours attirée par des hommes violents qui abusèrent de sa notoriété. Cet ouvrage tout en finesse est servi par une écriture simple et directe. Il nous familiarise avec une personnalité attachante, nous sensibilise à un destin tragique. Les adolescents, toujours à la recherche de récits d’expériences vécues, de parcours hors du commun, ne manqueront pas d’être touchés par ce titre. Juliette Buzelin Sylvia Fol Gallimard, 2005 (Folio biographies) 337 p. 6,40 € 2-07-030727-1 Genre Biographie Mots clés Jazz 63 I James Dean L’auteur, journaliste de cinéma, nous propose de découvrir celui qui fût le symbole de toute une génération. James Dean est le personnage de référence pour qui conçoit la vie comme une fulgurance, comme un destin inachevé. Le parcours qui nous est donné à lire pose James Dean comme un « fils prodige » : l’artiste que sa mère n’a jamais pu devenir. Morte à vingt-neuf ans, Mildred n’aura pas eu le temps de voir son fils adoré grandir. Abandonné par son père puis recueilli par une de ses tantes maternelles, James découvre dès seize ans le théâtre, les textes littéraires et les bolides. Il porte déjà en lui une mélancolie contre laquelle on ne peut rien, la disparition de sa mère le plongeant dans des gouffres de culpabilité. Comme le dit l’auteur « ce jeune homme en colère sera devenu plus célèbre mort que vivant. » Le jour de l’annonce de sa mort, des adolescentes le suivent dans le « grand voyage ». Héros flamboyant de tous les excès, ne vivant que parce que la mort est au bout du chemin, James cristallise l’absolue beauté de la jeunesse et son credo : tout ou rien. Et c’est bien en cela qu’il touche des générations entières de jeunes et d’adultes. Mourir dans la fleur de l’âge, à toute vitesse, quel pied de nez à la société bien pensante ! Cet Lecture Jeune - juin 2006 Jean-Philippe Guerand Gallimard, 2005 (Folio biographies) 360 p. 6,40 € 2-07-030666-6 Genre Biographie Mots clés Jeunesse Rebelle Cinéma LJ118_P54-70 68 24/05/06 8:21 Page 68 Lecteurs confirmés ouvrage à la thématique intéressante, agréable à lire et doté d’une bibliographie ainsi que d’annexes est à recommander à des lecteurs confirmés. Michelle Charbonnier 64 I Alexandra Lemasson Galimard, 2005 (Folio biographies) 260 p. 5,40 € 2-07-030726-3 Genre Biographie Mots clés Angleterre Ecriture Virginia Woolf, considérée comme l’auteur anglaise la plus importante du XXe siècle, connut une enfance troublée au sein de la haute société anglaise. Elle perdit sa mère puis sa sœur alors qu’elle était encore très jeune ; tandis que son père tenait la maison d’une poigne de fer, elle était régulièrement violée par son beau-frère — en échange de quelques sorties dans les milieux mondains. De santé fragile, anorexique chronique, elle fit une première tentative de suicide durant son adolescence, ce qui ne l’empêchera pas de montrer, très tôt, de grandes dispositions pour l’écriture. Mais cette activité, dans laquelle elle révèlera son génie, ne fera qu’affaiblir sa santé mentale et physique. Alexandra Lemasson parvient à nous rendre proche cette femme intelligente et instable, se nourrissant de ses contradictions. Le destin passionnant de cet auteur parviendra à intéresser même ceux qui ne connaissent pas son œuvre… et leur donnera à coup sûr envie d’y plonger ! Juliette Buzelin Réseau : A voir, adapté du roman de l'écrivain américain Michael Cunningham, prix Pulitzer en 1998, l’excellent film The Hours de Roger Daldry (2003), avec Nicole Kidman, Meryl Streep et Julianne Moore, variation autour du destin de Virginia Woolf et de son chef d’œuvre, Mrs Dalloway.ndlr 65 I Elisabeth Vincent Milan, 2005 (Les Essentiels) 63 p. 5,50 € 2-7459-1989-X Mots clés Mémoire Amnésie Alzheimer Virginia Woolf La mémoire : Ses mécanismes et ses troubles Elisabeth Vincent est l’auteur du récent « Essentiel » sur le bégaiement. Elle analyse ici, suivant le découpage des ouvrages de cette collection en doubles pages synthétiques et très lisibles, le fonctionnement, les particularités et les défaillances de la mémoire. Le sujet est vaste et difficile à cerner et demande un vocabulaire technique : aussi, le glossaire est très utile. Les particularités de la mémoire, l’oubli, les pathologies, les essais de thérapie et la maladie d’Alzheimer sont décrits de façon structurée, dense. Ce concentré demande une attention suivie, mais on peut y piocher une information précieuse de manière ponctuelle à l’aide de l’index. Une bibliographie d’une vingtaine de titres abordables permet d’approfondir. Voici un bon outil de travail ! Majo Loth Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P54-70 24/05/06 8:21 Page 69 69 Parcours de lecture Ouvrages de référence 66 I Entretiens Six écrivains ont été interviewés par Jean-Baptiste Coursaud, directeur de collection aux éditions Gaïa, qui, en sa qualité de traducteur et de passeur, a une perception très fine de la littérature de jeunesse. Ces auteurs ont en commun leur désir de s’adresser tantôt à un lectorat adolescent, tantôt adulte. Dans ces entretiens soigneusement préparés, ils se livrent en toute sincérité et le lecteur entend une « parole libérée ». Nombreux sont les thèmes — littérature et construction de soi, différence et rébellion, identité sexuelle et adolescence — pour lesquels les auteurs se réfèrent à leur propre expérience. Pour Jeanne Benameur, l’exil mais aussi le théâtre et la scansion ont joué un rôle décisif. Shaïne Cassim, hantée par le personnage de Virginia Woolf, intègre la psychanalyse à la fiction. L’œuvre de Jean-Paul Nozière se lit comme un parcours autobiographique. Langage, procédés d’écriture, affinités littéraires, influences du cinéma et du théâtre, les sujets qui préoccupent les écrivains pour la jeunesse ne sont pas « mineurs ». Ces échanges passionnants donnent envie de lire — et relire — la littérature de jeunesse ! Cécile Robin-Lapeyre Autre avis : Jean-Baptiste Coursaud nous offre six très beaux entretiens. Il est question de littérature, de création, d’écriture, de voix singulières, de thèmes et de motifs signifiants. Les auteurs évoquent leurs parcours et leur rencontre avec la littérature de jeunesse. De ces échanges naît une réflexion riche et précieuse pour tous ceux qui s’intéressent à la littérature et à la lecture des jeunes. Hélène Sagnet 67 I Jean-Baptiste Coursaud Thierry Magnier, 2005 (Essais) 284 p. 15 € 2-84420-378-7 Genre Entretiens Mots clés Littérature contemporaine Littérature de jeunesse La bande dessinée Suivant le principe de la collection, l’ouvrage nous propose de découvrir ou redécouvrir douze œuvres de la bande dessinée européenne, américaine et japonaise. Des années trente au Chat du rabbin, notre regard se promène, notre esprit puise dans les informations. C’est à partir des années soixante que la bande dessinée, après s’être « taillée la part du lion » auprès du jeune public, s’attaque à de nouvelles conquêtes : les adolescents et les adultes. Un documentaire clair, analytique à la portée de tous par un auteur spécialiste du genre. L’accessibilité est le parti pris de cette bonne collection et il est ici respecté. A conseiller pour une entrée dans le sujet. Michelle Charbonnier Lecture Jeune - juin 2006 Virginie François Scala, 2005 (Tableaux choisis) 125 p. 15 € 2-866-56372-7 Mots clés Bande dessinée LJ118_P54-70 70 29/05/06 9:06 Page 70 Ouvrages de référence 68 I Paul Gravett Trad. de l’anglais par Frédéric Brument Le Rocher, 2005 176 p. 23,80 € 2 268 05550 7 Mots clés Manga Japon Rédigé par un historien de la bande dessinée — Paul Gravett crée aussi des expositions, notamment pour le musée d’Angoulême —, cet ouvrage s’adresse aux connaisseurs de mangas et se présente comme un ouvrage de référence. Il propose un texte très dense et une iconographie abondante ; le parti pris est d’offrir des séquences plutôt que des images isolées. Une chronologie de 1945 à 2005 permet de resituer les publications essentielles dans l’histoire contemporaine du Japon. On regrette de lire les titres anglais, et non leur version originale ou leur traduction française : la faute en incombe à l’éditeur français, qui ne se donne pas non plus la peine de traduire les graphiques consacrés au marché éditorial (p. 13). Premier constat de P. Gravett : si le manga est devenu une véritable industrie, il n’en demeure pas moins un medium essentiel, un art moderne et vivant. L’auteur montre l’extrême diversité des mangas et de leurs publics. Il s’attache aussi à définir la révolution esthétique et le système narratif spécifique qu’ils ont amené. Le manga, véritablement reconnu depuis Tezuka, a été influencé par les comics et le cinéma américain. Le documentaire se concentre sur la production depuis la Deuxième Guerre mondiale, sans oublier les précurseurs, au Japon comme à l’étranger. Le dernier chapitre analyse la mondialisation de la culture. L’auteur voit dans l’émergence des mangas un rejet de l’impérialisme américain, basé sur l’individualisme, au profit de valeurs japonaises. Un point de vue à débattre… Cécile Robin-Lapeyre 69 I Frédéric Pomier Klincksieck, 2005 (50 questions) 182 p. 12 € 2-252-03537-4 Mots clés Bande dessinée Auteurs Manga, soixante ans de bande dessinée japonaise Comment lire la bande dessinée ? Cet ouvrage édité par une maison d’édition spécialisée dans les sciences humaines aborde la thématique sous la forme de cinquante questions élaborées autour de l’axe auteur / personnages. Un historique et des données théoriques nous invitent à suivre la pensée de Frédéric Pomier, spécialiste de la bande dessinée, puis le genre narratif est questionné ainsi que les auteurs et les personnages. Le tout forme un document assez pointu qui pourra être mis en réseau avec celui de Virginie François, chez Scala (voir notice 65). Qui y a-t-il entre les cases ? Pourquoi Lewis Trondheim est-il entré dans le Larousse 2005 de la bande dessinée ? Est-il possible de ne pas parvenir à lire de bande dessinée ? Derrière des questions qui paraissent légères, l’auteur nous fait découvrir un monde caché, des luttes, des éditeurs, et nous guide dans la réflexion sur les difficultés de réception de la bande dessinée. Michelle Charbonnier Lecture Jeune - mars 2005 LJ118_P71 24/05/06 8:24 Page 71 En savoir plus Formations page 72 Informations page 74 LJ118_P72-78 29/05/06 9:08 Page 72 72 En savoir plus Formations Lecture Jeunesse Programme Deuxième semestre 2006 Nos stages se déroulent à Paris avec des dates prédéterminées. Ils sont également proposés sur site à la demande des bibliothèques municipales, bibliothèques départementales de prêt, IUFM, associations… Notre catalogue de formations est disponible sur simple demande. I. Connaissance de la production : les savoirs de base Les mangas Les romans à l’adolescence Problématique Très vite adopté par les adolescents comme moyen de se démarquer du public adulte, le manga est encore mal connu des médiateurs. Comment se repérer dans les courants et les genres afin de pouvoir réellement prendre une place de conseil auprès des jeunes ? Objectifs - Situer les grands courants, les genres, les auteurs incontournables - Connaître les éditeurs, les collections, les séries - Avoir des clés de compréhension de la société japonaise, des conventions du genre - Choisir et comparer les titres en vue d’une politique d’acquisition raisonnée Dates : 27, 28, 29 septembre et 13, 14, 15 décembre Les adolescents et les documentaires Problématique Problématique La fiction, et en particulier le roman, contribue pleinement à la construction de soi. Comment se repérer dans la production pour proposer aux jeunes des livres adaptés à leur parcours de lecteur ? Objectifs - Connaître les différents types de lectorat et le rapport à la lecture des adolescents - Comprendre la logique de segmentation éditoriale : adolescents, préadolescents, filles, garçons… - Identifier les collections dites « pour adolescents » et les titres de la littérature générale qui leur conviennent - Savoir analyser et critiquer un livre en dépassant le simple jugement de valeur personnel, en gardant à l’esprit le public auquel le roman est destiné Dates : 6, 7, 8 décembre Pour leurs recherches scolaires, les adolescents utilisent d’abord Internet avant de se tourner vers le livre documentaire, oubliant qu’il peut être aussi un accès au plaisir de la lecture. Comment concilier la demande de renseignements scolaires et le besoin de découvertes personnelles en constituant un fonds cohérent et repérable ? Objectifs - Pouvoir développer une politique d’acquisition qui prenne en compte les programmes scolaires, les ressources d’Internet et la place des documentaires « plaisir » - Connaître les collections jeunesse et adulte accessibles aux adolescents - Maîtriser la typologie des documentaires : ouvrages de sensibilisation, de vulgarisation ou pour spécialistes - Savoir comparer les différents documentaires portant sur un même thème et juger de leur qualité Dates : 8, 9, 10 novembre Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P72-78 29/05/06 9:11 Page 73 73 Inscriptions Chantal Viotte Tél. : 01-44-72-81-50 - [email protected] Renseignements pédagogiques Hélène Sagnet - Michelle Charbonnier Tél. : 01-44-72-81-52 Tarifs 405 € TTC (Prise en charge de l’employeur) 305 € (Prise en charge personnelle) II. La conduite de III. Les approches thématiques projets auprès du Il s’agira lors de ces stages de proposer un regard transversal public adolescent sur une thématique ou un genre G Faut-il une section « ados » en bibliothèque? Problématique L’adolescence est un moment de passage à prendre en compte et à accompagner. Pour assurer leur rôle dans ce parcours, les bibliothèques doivent–elles ou non privilégier l’existence d’une section « ados » ? Existe-t-il des solutions alternatives ? Objectifs - Mieux appréhender le monde des adolescents, leurs comportements, leurs pratiques culturelles et leurs attentes en matière de la lecture, leurs attentes vis-à-vis des bibliothèques - Repérer différents choix d’organisation possible à travers des études de cas et les analyser - Déterminer des solutions adaptées au contexte des participants et les mettre en œuvre Dates :15, 16, 17 novembre prenant en compte différents supports, les réseaux de lecture, les utilisations possibles, les mises en valeur (fictions, documentaires, multimédia). G La force de la tragédie Problématique Des textes antiques aux romans de Laurent Gaudé, la tragédie fascine toujours les adolescents. Comment mobiliser cet attrait pour favoriser la lecture des jeunes ? Comment repérer et connaître les critères du genre pour donner des pistes de lecture qui mêlent plusieurs types de supports ? Objectifs - Connaître les origines et les éléments invariables de la tragédie à travers trois grandes périodes : l’Antiquité, la période classique et l’époque contemporaine - Comprendre les ressorts de la tragédie et leur impact sur les adolescents - Mobiliser cet acquis pour donner des pistes de lecture qui mêlent plusieurs types de supports (romans, films) Dates : 18, 19, 20 octobre Lecture Jeune - juin 2006 G Poésie, chanson et slam Problématique Les adolescents sont de forts lecteurs et producteurs de poésie. De la poésie classique au slam, en passant par la chanson, comment répondre à leurs attentes en créant des liens entre les différents univers poétiques ? Objectifs - Situer les éditeurs, auteurs et courants principaux de la poésie classique et contemporaine - Découvrir le slam : sources et formes actuelles de création - Pouvoir établir des liens entre poésie et chanson - Identifier les lieux de ressources pour monter un projet ; les pistes d’animations Dates : 22, 23, 24 novembre LJ118_P72-78 29/05/06 9:16 Page 74 74 En savoir plus Informations Salon • La 7e édition de Japan Expo, le Festival des loisirs japonais (manga, animation, musique, sport, culture traditionnelle, nouvelles technologies) se déroulera les 7, 8 et 9 Juillet 2006 au Parc des expositions de Paris-Nord Villepinte. Renseignements : www.japan-expo.com Colloque • L’Université d'été de l'image pour la jeunesse se tiendra les 29 et 30 juin 2006 à l’Institut international Charles Perrault. Cet été le thème retenu est « l'album à la croisée des chemins ». Il s'agit d'explorer l'interaction entre l'album et la bande dessinée, le design et les arts graphiques, d'interroger ses spécificités formelles en abordant la question du public destinataire (enfant ? adulte ?). Tarifs : entre 40 et 70 €. Renseignements et inscription : Institut international Charles Perrault, Hôtel de Mézières, 14, avenue de l'Europe, 95 604 Eaubonne cedex 04 01 34 16 36 88 [email protected] Renseignements : Bibliothèque municipale, rue de l'Union, 93000 Bobigny - 01 48 30 54 72 [email protected] Prix • Le 11e Prix des collégiens de la ville de Vannes a récompensé le roman de Paule Du Bouchet, Chante Luna, paru chez Gallimard Jeunesse en 2004 (1er Prix) et celui de Pierre Botero, Tour B2 mon amour, publié dans la collection « Tribal » chez Flammarion en 2004 (2e Prix). • Le Prix des mordus du polar 2005 est allé à Christian Grenier pour Simulator, paru chez Rageot dans la collection « Heures noires ». Articles • « Le roman pour adolescents, une création hybride », par Blandine Longre, in Citrouille, mars 2006 : www.lsj.hautetfort.com/archive/2006/03/28/»-leroman-«-pour-adolescents-»-une-creation-hybride.html • « Abréger un classique : entreprise de destruction ou opération salutaire ? », par Maggy Rayet, in Lectures, n°145, mars-avril 2006, pp. 51-54. Expositions • Du 6 au 29 juin, la médiathèque Raymond Queneau de Juvisy-sur-Oise expose des œuvres de Paul Cox, auteur de livres d’artistes et d’ouvrages d’art pour la jeunesse. Entrée libre. Renseignements : Médiathèque Raymond Queneau, 3 rue Piver, 91260 Juvisy-sur-Orge 01 69 21 22 20 Sélection • La bibliothèque de Caen publie sa sélection jeunesse, Tirelivre 2005. Renseignements : www.ville-caen.fr/tirelivre • L'exposition consacrée à l’œuvre de Ludovic Debeurme, « Des yeux pour l'intérieur », se tient jusqu’au 1er juillet à la bibliothèque Elsa Triolet de Bobigny. Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P72-78 24/05/06 8:25 Page 75 Index Auteurs p. 76 Titres p. 77 Genres et mots clés p. 78 LJ118_P72-78 24/05/06 8:25 Page 76 76 Index Auteurs A notice B notice C notice Abouet, Marguerite Aceval, Nora Aït-Kaci, Lili Andriat, Frank Aranega, Diego Bazire, Laure Bradman, Tony Brisac, Geneviève Burr, Dan Cassim, Shaïne Castan, Bruno Cathrine, Arnaud Chatterton, Martin Chemla, David Chopin, Kate Colin, Fabrice Combres, Elisabeth Couao-Zotti, Florent Coursaud, Jean-Baptiste Cushman, Karen D Debeurme, Ludovic Demoule, Jean-Paul Denhez, Frédéric Desplat-Duc, Anne-Marie Domino, Christophe Duhoo, Jean-Yves E Eisner, Will Ellis, Deborah 17 1 41 24 18 2 3 25 58 26 4 27 3 59 42 5 20 43 66 6 notice 35 60 39 7 61 37 notice 52 28 F notice G notice Ferrand, Stéphane Feth, Monika Fine, Anne Fol, Sylvia François, Virginie Goby, Valentine Gravett, Paul Guérand, Jean-Philippe Guéraud, Guillaume H Hashiguchi, Takashi Heliot, Johan 40 8 9 62 67 44 68 63 29 notice 19 10 I notice J notice K notice Inoue, Takehiko Jansen, Hanna Kerr, Katharine L notice M notice N notice O notice P notice R notice S notice T notice V notice W notice Langevin, Sébastien Le Gendre, Nathalie Lemasson, Alexandra Lenner, Anne Magnin, André Martinigol, Danielle Masini, Beatrice Matsumoto, Taiyo Moeyaert, Bart Moonkey Murakami, Haruki Nahmias, Jean-François Oubrerie, Clément Pamuk, Orhan Perger, Stéphane Peyraud, Jean-Philippe Piumini, Roberto Pomier, Frédéric Potok, Chaïm Potter, Ellen Reysset, Karine Rose, Olivier Rosoff, Meg Saturno, Carole Schlegel, Jean-Louis Schmidt, Jérôme Ségur, Philippe Sfar, Joann Slovo, Gillian Stroud, Jonathan Talamon, Flore Tarek Thinard, Florence Vance, James Vincent, Elisabeth Wagner, Roland C. 40 11 64 45 61 12 13 54 14 55 46 15 17 47 57 38 13 69 48 32 49 21 33 22 41 23 50 56 51 34 2 57 20 58 65 16 53 30 31 Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P72-78 24/05/06 8:25 Page 77 77 Index Titres 49.302 A L'Antilope blanche A peine un peu de bruit L'appel des Abîmes : La trilogie des Abîmes, T.3 Alter Jeremy Amour, toujours L'archéologie : Entre science et passion L'art africain contemporain Atlas de la menace climatique : Le réchauffement de l'atmosphère, enjeu numéro un de notre siècle Aya de Yopougon, T.1 B La bande dessinée Bâtisseurs de paix Billie Holiday Billy le Transi Binti, une enfance dans la tourmente africaine C Cahin-caha C'est l'amour que nous ne comprenons pas C'est tout de suite le soir Le chemin du retour, T.2 Comment lire la bande dessinée ? Le Complot : L'histoire secrète des Protocoles des Sages de Sion La Conquête de l'Est : Klezmer, T.1 Contes du djebel amour D Des arbres Le désespoir du singe : La Nuit des lucioles, T.1 Le docteur Rubinov Dys, Un futur homme important, T.1 E notice 11 notice 44 49 12 10 13 60 61 39 17 notice 67 59 62 9 28 notice 45 14 26 30 69 52 56 1 notice 21 38 48 55 notice Ecoloville Enfants d'ici, parents d'ailleurs : Histoire et mémoire de l'exode rural et de l'immigration L'Enfant sauvage L'éveil L'Envol des corbeaux : Les Enfants des Lumières, T.3 Entretiens F Les Fantômes du Brésil 37 22 4 42 2 66 notice 43 G notice I notice Gogo Monster Invisible 54 5 J notice K notice L notice M notice James Dean 63 Je mourrai pas gibier 29 J'irai avec toi par mille collines, T.1 30 Kafka sur le rivage Lucille Maintenant, c'est ma vie Le Manga Manga, soixante ans de bande dessinée japonaise Matilda Bone La mémoire : Ses mécanismes et ses troubles Mon pire ami Les Mondes mangas Mondes rebelles junior 46 35 33 40 68 6 65 24 23 20 N notice O notice P notice Neige 47 Nouilles tchajang : souvenirs lointains de mes dix-sept, dix-huit ans... 36 Olivia Kidney Un pain c'est tout : Yakitate Ja-Pan !, T.2 Pax Americana Petite La Piste gauloise : Titus Flaminius, T.4 La porte de Ptolémée : La trilogie de Bartimeus, T.3 Poursuite infernale Poussière rouge Prisonnière de la Lune 32 19 16 25 15 34 3 51 8 R notice S notice Les rois vagabonds Les secrets de la Bible au Louvre Seulement l’amour Sir Arthur Benton : Opération Marmara, T.1 Sir Arthur Benton : Wannsee 1942, T.2 Sorcière blanche Le Sortilège de la dague V Vagabond Victor Lalouz : En route pour la gloire, T.1 La vie peut-être Virginia Woolf 58 41 50 57 57 7 31 notice 53 18 27 64 Lecture Jeune - juin 2006 LJ118_P72-78 24/05/06 8:25 Page 78 78 Index Genres et mots clés Genres A notice B notice Autofiction Biographie C 25 62, 63, 64 notice Chroniques Conte 17 1 E notice Entretiens F Fantastique Fantasy H 66 notice 3, 49, 50 31, 34 notice Humour M Manga Manhwa P 18 notice 19, 53, 54 36 notice Policier R 15 Road book Roman d’amour Roman d’anticipation Roman d’apprentissage 6, 7, Roman épistolaire Roman graphique Roman historique 2, 6, 7, Roman initiatique Roman intimiste 14, 26, Roman noir Roman politique Roman psychologique Roman social 8, S Science-Fiction Seinen manga T Témoignage Théâtre I Mots clés notice 16, 33, 52, 15, 27, 47, 28, 58 43 33 45 13 56 51 46 49 29 48 24 51 notice 5, 10, 11, 12, 16 55 notice 30 4 A notice Adolescence 8, 17, 26, 29, 32, 35, 36, 45 Afrique 17, 28, 61 Afrique du Sud 51 Alzheimer 65 Amitiés 45 Amnésie 65 Amour 13, 14, 35, 38, 43, 46 Angleterre 64 Anorexie 25, 27, 35 Antisémitisme 52 Apartheid 51 Apocalypse 34 Arbres 21 Archéologie 60 Art 41 Art contemporain 61 Auteurs 69 Autisme 54 Aventure 31 B notice Bande dessinée Bénin Bible C 67, 69 43 41 Cameroun Cinéma Climat Clonage Communication Conflits Conflit israélo-palestinien Corée Correspondance D Désert Deuil E Ecologie Ecriture Education Effet de serre Energie Enfance Escrime Espace Espionnage Etats Unis F Faits divers Famille Folie G Génocide Grand père H Handicap Histoire Hôpital psychiatrique Horreur Humour notice 44 63 39 10 4 20 59 36 13 notice 1 10, 26, 32, 49 notice 21, 37 64 4 39 16 54 53 12 57 58 notice 29 14, 49 24 notice 30 26 notice 45 52 24, 27 33 16 Lecture Jeune - juin 2006 notice Imaginaire Immigration Injustice Inceste Isolement J Japon Jeunesse Juif Justice L 32, 54 22 11 14 25 Légende Littérature contemporaine Littérature de jeunesse Louisiane M Magie Manga Marionnette Médecine Médias Mémoire Moyen Age Musique N Nazisme Nostalgie notice 23, 40, 53, 68 63 56 51 notice 31 66 66 42 notice 31 23, 40, 68 9 6 12 22, 65 6 56 notice 57 50 O notice P notice Origines Pain Paix Pauvreté Politique Q Quotidien 22 19 59 9 47, 58 notice 17 R notice S notice T notice Racket Radio Rebelle Révolution Rome antique Russie Rwanda Sida Secret Secte Société Sorcellerie Spiritualité Stalinisme Torture Tragédie Travail Tsigane Turquie V Violence Voyage dans le temps X XVIIe siècle XVIIIe siècle XIXe siècle 3 18 63 38 15 38 30 28 16 8 58 7 49 48 48 46 55 56 47 notice 5, 20, 29 50 notice 7 2 42 LJ118_P79-80 24/05/06 8:26 Page 79 79 Ours Lecture Jeune 190, rue du Faubourg Saint-Denis - 75010 Paris Tél. : 01 44 72 81 50 - Fax : 01 44 72 05 47 Courriel : [email protected] Directrice de publication Hélène Sagnet (81-52) Rédactrice en chef Gaëlle Glin (81-53) Administration Chantal Viotte (81-50) Comité de rédaction Françoise Ballanger, Patrick Borione, Nathalie Carré, Madeleine Couet-Butlen, Annick Lorant-Jolly, Bernadette Seibel, Véronique Soulé, Jean-Claude Utard Conception et Réalisation [email protected] - Tél. : 06 08 66 51 35 Ont collaboré à ce numéro : Brigitte de Bergh, Marie-Françoise Brihaye, Michelle Brillatz, Sandrine Brugot-Maillard, Juliette Buzelin, Michelle Charbonnier, Agnès Deyzieux, Agnès Donon, Stéphane Ferrand, Vladimir Floréa, Gaëlle Glin, Sébastien Langevin, Anne-Solène Lescaille, Majo Loth, Sandrine Monllor, Ilan Nguyên, Jean Ratier, Cécile Robin-Lapeyre, Léopold Romain, Matthieu Rosy, Ghislaine Sagbo, Hélène Sagnet, Sonia Seddiki, Maud Simonnot, Mathilde Valognes, Maryon Wable-Ramos Impression L’ARTESIENNE - Dépôt légal mai 2006 Tél. : 03 21 72 78 90 I.S.S.N. 1163-4987 C.P.P.P. n° 1107G79329 Revue éditée par l’association Lecture Jeunesse Association de loi 1901 déclarée le 4 janvier 1974 Agréée par le Secrétariat d’Etat Jeunesse et Sport le 27/01/1977 – N° 94.155 Cette revue est publiée avec le concours de la Mairie de Paris et du Centre national du livre Lecture Jeune - mars 2006 LJ118_P79-80 24/05/06 8:26 80 Abonnement Page 80 Bulletin de commande 2006 Nom, Prénom : Organisme : Adresse : .................................................................. ...................................................................... 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