Intervention d`Elisabeth Parmentier : Penser les - Accueil

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Intervention d`Elisabeth Parmentier : Penser les - Accueil
CONSISTOIRE SUPERIEUR – 24 octobre 2015 – STRASBOURG
Migrants et réfugiés : enjeux pour la société et nos Eglises
Penser les enjeux de la migration
dans une perspective croyante
par Mme la Professeure Elisabeth PARMENTIER
Face aux défis de l’explosion des migrations, les Eglises doivent faire face à la question : comment
prendre au sérieux les peurs et néanmoins offrir des perspectives constructives pour la société de demain,
qui sera forcément métissée ?
Les migrations et l’arrivée d’étrangers déclenche 3 types de peurs :
- Des peurs économiques et sociales (notamment la peur de perdre la situation que l’on a)
- Des peurs de l’influence d’autres cultures (peur de la perte des identités)
- Des peurs face à l’islam, confondu facilement avec l’islamisme (peur des intégrismes)
Les peurs sont naturelles, légitimes, les Eglises ne doivent pas les étouffer par un angélisme naïf mais
réfléchir malgré cela à une attitude chrétienne et constructive pour la vie dans des sociétés en mutation.
Les 3 parties qui suivent sont destinées à une réflexion de croyants, en Eglise :
- Quelle loyauté revient aux identités socio-culturelles par rapport à l’identité croyante ?
- Quels ponts sont possibles vers les croyants d’autres pays ?
- Que deviendront les Eglises de demain dans la tentation des replis ou des recherches de lieux
affinitaires ?
1. Quelle loyauté revient aux identités socio-culturelles par rapport à l’identité croyante ?
De quelle aide est l’approche biblique dans des réalités socio-historiques très différentes de l’époque des
textes ? Il ne s’agit pas d’y lire des situations à « plaquer » sur aujourd’hui. Mais la traversée des textes
biblique est particulièrement intéressante car elle montre une attitude face à l’étranger qui a dû passer
par une école de dépassement des peurs et des rejets. Car selon les périodes historiques, les Hébreux ont
eu des attitudes très différentes face aux étrangers !
Il est frappant que dans la Bible, il n’y a pas d’angélisme face à l'étranger, et donc pas d’attitude
univoque ! Il est saisi à la fois comme un danger, une menace, et aussi comme une chance, une promesse.
La Bible est donc traversée par ces deux lignes, qui révèlent aussi nos tensions et nos ambiguïtés.1
a) La clé de lecture pour comprendre ces ambiguïtés est la différence entre les périodes
historiques. L’AT montre qu’en périodes de crise et de difficulté, les rivalités et les craintes
augmentent.
L'Ancien Testament n'offre pas une vision monolithe de « l'étranger », mais diverses facettes, selon la
période de rédaction du texte et le contexte politique, historique et économique. La définition de
l'étranger n'est d'ailleurs pas de l'ordre de l'ethnie ou de la race, mais dépend de la perception subjective
qu'ont les auteurs bibliques d'Israël et de Juda. En effet, les récentes découvertes ethno-archéologiques
semblent montrer que, loin de représenter une nation homogène, tribale et unifiée, la Palestine a vu en
son sein l'émergence de deux grands groupes rivaux, ethniquement, culturellement et politiquement fort
différents : Israël au nord (à partir du 9° siècle av. J.C) et Juda au sud (à partir du 8° siècle av. J.C).
Avant ces périodes clefs, il n'est pas possible de les distinguer des populations autochtones dites
"cananéennes". Après la destruction de Juda en 587 av. J.C, débutent les périodes exiliques et postexiliques pendant lesquelles un grand nombre de textes de l’AT sont écrits. C'est au moment où les
auteurs de ces textes et les populations de la première "diaspora" vont se trouver au contact des autres
nations, essentiellement l'Égypte (communauté judéenne d'Éléphantine) et Babylone (communauté
1
Je remercie Frédéric Gangloff qui m’a apporté des informations précieuses pour la partie concernant l’AT.
2
judéenne babylonienne), qu'ils vont être obligés de se définir, surtout par opposition aux autres. C'est
dans cette situation de quête d'identité que des positions très variées vis-à-vis des "étrangers" vont être
élaborées.
Plusieurs termes différents sont utilisés :
L'indigène (iézrah) = l'autochtone, habitant du pays avant l'établissement d'Israël et de Juda.
2. L'émigré (gér) = un émigré "étranger" ou un membre des 12 tribus qui est venu résider sur le
territoire d'une autre tribu. En sa qualité "d'émigré", il ne bénéficie pas de tous les droits inhérents à son
statut, mais de la protection de la Loi. Moïse et Abraham sont souvent qualifiés "d'émigrés"; vocable
théologiquement chargé.
3. Le résident (tôshàb) est associé à "l'émigré", avec un statut moins favorable car il demeure sous
l'autorité de celui qui l'accueille sous son toit.
4. L'étranger (ben-nékhar, nôkri) = celui qui appartient à une autre race, ne se fixe pas
définitivement. Il peut éventuellement compter sur les lois de l'hospitalité, mais son statut reste très
précaire puisqu'il n'est pas protégé par la Loi.
5. Celui qui est autre (zâr) = d'une autre ethnie, d'une autre catégorie sociale. Il désigne aussi
l'ennemi et le "païen". Il est souvent utilisé pour décrire les pratiques cultuelles "idolâtres" et de ce fait,
idéologiquement biaisé.
6. Les nations (goym) = toutes les autres nations par opposition au peuple "élu", que l'on qualifie
aussi de "Gentils". C'est un terme théologique qui ne prend guère en compte les catégories raciales,
sociales, politiques ou cultuelles.
b) Des attitudes de méfiance au retour de l’exil
Avant l’exil (6è s av. JC) on sait peu de choses, on suppose un droit coutumier qui préconise l’hospitalité.
L'insistance sur la protection des faibles, des veuves, de l'orphelin et de l'immigré est déjà présente dans
les codes de loi du Proche-Orient ancien, où le roi devait être le protecteur des faibles. Remarquons
néanmoins que les textes prophétiques, en général, considèrent l'étranger comme l'ennemi, l'envahisseur
et l'instrument du jugement de Dieu.
Au moment du retour de l'exil pour une petite frange de la population, essentiellement aisée et lettrée, à
partir de 530 av. J.C, une polémique violente oppose une partie des exilés judéens babyloniens à la
population judéenne autochtone qui est restée au pays. Les exilés qui sont vus comme "étrangers", ou
"immigrants", vont se considérer comme le seul "vrai Israël" et vont identifier les non-exilés (les véritables
autochtones) à des "étrangers". Ce renversement va être matérialisé par des textes très durs à l'égard des
"étrangers" où le « véritable » Israël est exhorté à se séparer des autres, soupçonnés d’avoir pactisé avec
les dieux païens des envahisseurs. L'enjeu principal est l'identité du véritable Israël dans la vénération
exclusive de son Dieu unique (monothéisme et Sabbat). Il s'agit d'un commandement d'ordre idéologique
qui n'a certainement jamais été véritablement appliqué à l'époque, mais le langage est agressif, dans une
société en crise, qui se sent menacée de toutes parts, et qui craint de perdre ses privilèges et ses
spécificités à cause d'un processus d'assimilation à une domination étrangère.
Cette position prône l'expulsion des "étrangers" et craint l'assimilation. On la trouve dans les récits sur
Josué, et dans les réformes introduites par Esdras et Néhémie interdisant tout mélange entre "émigrants"
et "autochtones" par les mariages inter-ethniques. Ce sont ces mêmes auteurs qui vont fabriquer une
généalogie artificielle comme celle des Chroniques, où faire partie du "vrai" Israël, c'est être rattaché à
une famille qui peut revendiquer son appartenance à l'une des 12 tribus. "L'étranger" est celui qui ne peut
fournir une preuve quelconque qu'il est bien dans la lignée généalogique préconisée par les auteurs.
Mais à la même époque, d'autres auteurs et milieux ont réagi dans l’autre sens : les livres de Ruth et Jonas
font des "étrangers" des transmetteurs du salut (Ruth et les Ninivites). On va suivre à présent une ligne
plus « théologique » qui insiste sur le parallèle de la situation de l'étranger et de l'émigré et la situation
du peuple d'Israël en Égypte.
c) Une ligne transversale traverse les textes de l’AT : c’est une pédagogie de l’identification du
peuple élu avec l’étranger, par le rappel que lui aussi était étranger, né sur une terre d’exil
Dans les textes du Pentateuque le peuple d'Israël est qualifié de peuple d'émigrés et d'hôtes. D’ailleurs il a
adopté le nom que lui donnaient les autres peuples : ‘ibri, hébreu, ce qui signifie : « habitant au-delà des
frontières ».
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Ce sont souvent les récits patriarcaux où sont présentés les pères fondateurs des communautés des exilés,
Abraham pour Babylone, Joseph pour l'Égypte. Dans ces textes, les "autres" peuples ne sont pas critiqués
ni vilipendés.
Abraham est compris comme l’« Araméen errant », à qui Dieu a dit : « Quitte ton pays… » (Gn 12/1), ce
qui est repris dans Dt au retour de l’exil : « Mon père était un araméen errant, descendu en Égypte pour y
séjourner en immigré » (Dt 26,5). Tout en assumant une différence à l’égard de sa terre d’origine, et en
étant tendu vers la « terre promise » par son Dieu (Gn 15/6-7), Abraham marquera aussi une rupture par
rapport à l’idolâtrie des peuples d’accueil.
La grande leçon apprise par les Hébreux est que Dieu étend son action (notamment par sa « Shekinah, sa
présence) au-delà des terres d’origine, aussi pour les fugitifs et les exilés.
Ainsi par exemple : Jacob, ancêtre éponyme du peuple d’Israël, exilé de la terre de ses pères, rencontre
Dieu pendant son exil (il est suivi tout le long par la bénédiction de Dieu malgré sa trahison !) et c’est à
travers son périple qu’il apprend à espérer une bénédiction méritée à l’étranger (celle qu’il recevra au
prix d’un combat). Un autre exemple fondateur est la libération d’Egypte, sous la conduite de Moïse, qui
fait des esclaves le peuple de Dieu. La petitesse et la fragilité de ce peuple l’appelleront sans cesse à
témoigner de l’amour de Dieu pour le petit et l’étranger. Le souvenir du séjour en Égypte est
explicitement mentionné en Ex 22,20 – « Tu n’exploiteras ni n’opprimeras l’émigré, car vous avez été des
émigrés au pays d’Égypte ».2
L’expérience de la condition d’émigré a été fondatrice pour l’identité du peuple de Dieu. La Torah
propose un véritable ‘’droit de l’étranger’’. « Tu n’opprimeras pas l’étranger. Vous connaissez en effet le
souffle de l’étranger » (Ex 23/9). Cf la condition du « Juif errant », né et confirmé sur la terre d’exil,
affirmation centrale de l’identité juive, dont on peut se demander ce qu’elle devient aujourd’hui dans le
judaïsme d’Israël.3
c) La clé de lecture du NT : Avec Jésus le « mur de la séparation » tombe
Il faut voir d’abord que Jésus lui-même a été perçu comme un « étranger » parce qu’il a vécu
« autrement » au risque de choquer ceux qu’il a rencontrés, même sa famille (Mc 3/21), sa communauté
religieuse (Mc 3/22), ses concitoyens de Nazareth (Mc 6/1-6) qui le rejettent (Lc 4/16-30). L’évangile de
Jean expose ce caractère d’étrangeté de Jésus comme un élément central de sa révélation : il vient du
Père (Jn 16/28) ; il est sa Parole, devenue chair (Jn 1/14). Luc le présente aussi comme un étranger sur la
route d’Emmaüs (Lc 24/18).4
Mais il ne s’agit pas de nous identifier à Jésus, dont le caractère étranger représente et apporte surtout la
nouveauté du Règne de Dieu qui se manifeste à Pâques et qui va « déborder » et donc aussi dépasser les
frontières du premier peuple élu. Dans la généalogie de Jésus selon Mt 1, 4 apparaissent 4 femmes
étrangères et aux enfantements douteux (Tamar, Rahab, Ruth, Bethsabée). Il n’est pas ici question de
morale, mais d’une affirmation théologique : le Messie naît à partir de réalités de naissances improbables
et d’une généalogie non « pure ». Le but est de montrer que Dieu fait son chemin malgré les résistances
du réel, si bien que la dynastie davidique et messianique est émaillée d’étrangères et même de vie
douteuse !
Deux grands thèmes transversaux au NT se confirment l’un l’autre :
- La rencontre entre Juifs et païens. Selon Ephésiens 2,14 Jésus a « détruit le mur de la séparation
», c’est-à-dire qu’il a rendu caduque ce qui, dans la loi juive, empêchait juifs et païens de se
présenter ensemble devant Dieu. Cf l’épisode de Pierre et Corneille en Actes 10,9-16, avec la
vision d’une grande toile contenant tous les animaux « impurs », invitant Pierre (et les lecteurs
d’Actes) à ne plus assimiler les non-Juifs à l’impureté.
- Le renversement des catégories entre puissants et petits, riches et pauvres : l’attitude de Jésus
est tournée vers les « petits », comme l’annonce le Magnificat de Marie ! Les femmes représentent
ces « petits ». Cf l’épisode de la Cananéenne (Mc 7/24-30) où Jésus lui-même doit surmonter ses
priorités ! De même avec la Samaritaine au puits (Jean 4) !
2
André Wénin, « Israël, étranger et migrant. Réflexions à propos de l’immigré dans la Bible », Mélanges de sciences religieuses 52
(1995), p. 281-299.
3
Voir aussi Jean Riaud (éd.), L’étranger dans la Bible et ses lectures, Paris, Cerf (Lectio divina 213), 2007.
4
Daniel Gerber, « La figure de l’étranger ou du migrant dans la Bible »,
http://2010anneedesmigrations.protestants.org/index.php?id=32703 (site FPF)
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4
La caractéristique est l’accueil des goyim au sein du peuple élu. L’Eglise naissante a pris une attitude
radicalement universaliste, manifestant qu’elle avait compris le commandement du Ressuscité d’aller
parmi les « nations » pour en faire des disciples (Matthieu 28/18-20).
Jésus respecte la distance avec les païens, mais il sait la dépasser quand il les voit accueillir la volonté de
Dieu (Luc 7/1-10). Il propose un Samaritain étranger comme exemple d’amour du prochain (Luc 10/29-37).
Important est le critère du jugement final selon Matthieu 25/31-46 : « Ce que vous avez fait à l’un de ces
plus petits d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » : le défavorisé est identifié à Jésus luimême ! Les 2 lignes se rejoignent : le petit et le marginalisé social devient le « prochain » embêtant qu’il
faut secourir ! On n’a donc pas le choix !! Le prochain est l’embêtant ! Le NT en reconnaît la difficulté à
surmonter, mais en dit la nécessité, car la diaconie, l’aide du prochain est le corollaire direct de l’amour
de Dieu « Tu aimeras ton Dieu… et ton prochain comme toi-même » Qui est le prochain ? Non pas celui qui
m’arrange, comme le montre le récit, mais celui qui m’embête - personne ne peut dire qu’être chrétien
est tranquille.
Les Eglises ont donc un rôle à jouer qui fait même partie de leur vocation : se surmonter elles-mêmes pour
se confronter aux « prochains » dérangeants !
2. Quels ponts sont possibles vers les cultures qui nous sont étrangères ? Une proposition : que
les Eglises protestantes de la migration deviennent les intermédiaires
L’arrivée d’un nombre massif d’étrangers inquiète à cause de la masse et du gouffre culturel.
Mais nous avons de l’aide potentielle, si nous savons l’estimer à sa juste valeur ! Nous vivons déjà depuis
longtemps, depuis plusieurs générations avec des communautés étrangères ou « de l’immigration ». Ma
proposition est de rencontrer mieux ces immigrés qui font déjà le travail de relation avec les nouveaux
arrivants, de renforcer d’abord ces liens avec des Eglises protestantes immigrées installées chez nous, qui
sont des ponts vers les nouveaux migrants. Même si ceux-ci sont d’autres religions, les liens de langue et
de culture dans une première phase seront une médiation possible.
Qui sont ces communautés protestantes issues de l’immigration ? Elles sont discrètes, mais très motivées
et vivantes, très mouvantes, avec créations et scissions. Nous connaissons celles qui occupent des locaux
dans nos paroisses ou qui participent aussi à la vie des paroisses locales. A Strasbourg, Michel Weckel,
chargé de ces relations avait répertorié 23 communautés/Eglises étrangères il y a quelques années. Mais le
phénomène est très important dans les grandes villes et surtout dans les Eglises « évangéliques » : En
France, selon la revue de l’Eglise Réformée de France Information-Evangélisation de 2004, l’on estimait
les migrants protestants à 100.000, c’est-à-dire 10% du protestantisme en France, un chiffre en
augmentation considérable depuis les années 1990 5. La FPF a développé un projet de rencontre avec ces
communautés, projet nommé Mosaïc, mais qui pour le moment est sous l’égide des relations
œcuméniques. Dans l’UEPAL il faudrait pousser à un travail de terrain en demandant aux paroisses de
signaler les communautés connues et en allant visiter celles qui sont à l’écart.
Pourquoi ? Car elles sont souvent des lieux de foi active, qui peuvent redonner vigueur aux paroisses. En
Italie, l’Eglise vaudoise, ultra-minoritaire, a intégré consciemment des communautés d’origine
ghanéenne, érythréenne, latino-américaine, qui ont boosté les paroisses et qui représentent maintenant
plus de 60% des protestants d’Italie !
L’ethnologue Bernard Boutter montre que le protestantisme historique en France a accueilli
généreusement des migrants. Il souligne l’importance de certains pasteurs ou de communautés
protestantes en France de 1920 au début des années 1970. Après 1981, le gouvernement français permit
aux étrangers de créer des associations sans autorisation préfectorale préalable, ce qui incitait à de
nouvelles créations ethniques (Haïtiens) ou multiethniques (Africains) non liées aux paroisses françaises.
Le chercheur voit un grand nombre de paroisses françaises poursuivre la tradition d’accueil, ce qui
dynamise les communautés historiques, puisque ces chrétiens constituent parfois jusqu’aux trois-quarts de
l’assistance. Selon lui, le protestantisme français est à présent « multiethnique », « multiculturel »,
multicolore » et « créolisé » … et bien plus musical !6
Tous les migrants ne sont pas à identifier à des pauvres, et les destins sont très différents. Plusieurs
grandes Eglises de l’immigration sont déjà installées depuis deux générations, en situation stable. Il existe
aussi des Eglises internationales, où se retrouvent volontiers les « migrants du travail » sur la base d’une
5
6
Chiffre avancé par Bernard Coyault, « Un voyage inattendu au cœur de l’Eglise universelle : panorama des Eglises issues de
l’immigration en région parisienne et en France », in : Information- Evangélisation N°5, oct. 2004, p.52.
Bernard Boutter, « Le protestantisme en France : un terreau d’accueil privilégié pour les migrants ? », Sébastien FATH et Jean-Paul
WILLAIME (éd.), La nouvelle France protestante, Essor et recomposition au XXIe siècle, Genève, Labor et Fides, 2011, p.309.
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langue commune. Par exemple, l’on constate déjà l’apport positif des protestants malgaches, qui ont
fondé dès 1959 l’« Eglise protestante de Madagascar en France » (FPMA), qui réunit aujourd’hui, à la 4è
génération, 25000 protestants, aussi engagés dans paroisses locales et plusieurs pasteurs de nos Eglises
historiques.
Il faut donc pour chaque communauté et Eglises discerner les relations possibles, qui dépendent du but de
ces communautés et de leur évolution. On peut discerner trois vocations spécifiques 7 ;
Si l’accent culturel domine (la vocation identitaire), il s’agira de voir comment ces Eglises peuvent être
accueillies, sans vouloir les intégrer tout de suite. Mon hypothèse est que ces communautés ne sont
porteuses d’une théologie culturelle-ethnique qu’au premier niveau. Certes toutes sont soucieuses de
transmettre à leur jeunesse des traditions, une langue et un ethos. Mais dès la 2è génération l’identité
culturelle est métissée, et c’est la dimension internationale qui l’emportera.
Alors le rôle de ces croyants dans la vie des paroisses locales est d’autant plus important, car ils ont une
vocation sociale et diaconale (2è vocation soulignée par Coyault) dans les processus d’intégration des
autres immigrants.
De plus, le grand apport des Eglises de l’immigration est dans le courage d’oser formuler le besoin de
Dieu, avec une foi joyeuse, marquée par la confiance et la louange, autant de qualités souvent trop
pudiquement cachées dans les Eglises historiques. Leur apport réside également dans leur capacité à
redonner l’estime de soi, à appeler à un engagement communautaire, diaconal et soucieux de justice.
Il ne s’agit pas d’idéaliser : un dialogue critique doit être mené à propos des pratiques qui inquiètent les
protestants : l’offre de guérison, l’imposition des mains, ou plus encore les exorcismes ou l’attachement
aux défunts, l’insistance sur l’influence des démons. Si cela inquiète en Eglise, ce sont pourtant de
grandes tendances des contemporains, et il nous faut en débattre, aussi par rapport aux questions des
contemporains attirés par ces expériences !
Par contre une grande difficulté se manifeste depuis les années 1990 lorsque se multiplient les petites
assemblées indépendantes qui suivent une 3è vocation, la vocation missionnaire. Ils cherchent à
évangéliser l’Occident, et sont régies par des leaders charismatiques, coupées des instances locales.
Souvent néo-pentecôtistes (cad qui ne suivent même plus le pentecôtisme classique et ne peuvent même
plus être qualifiées de protestantes), elles poursuivent un but purement prosélyte. Leur identification
passe par les dirigeants, et la logique missionnaire les mène à se scinder sans problème d’unité puisque le
but est l’expansion. L’influence des megachurches des USA est forte, la formation est rapide et efficace
pour former des « business-missionnaires ».
Le but est donc de discerner avec quelles communautés on peut développer des relations plus profondes,
peut-être des dialogues et des formations en commun, qui vont aider à apprivoiser l’étrangeté et donc la
peur des différences culturelles, grâce à des partages sur le plan de la foi et des questions existentielles.
Il faudra notamment discerner où les habitudes socio-culturelles nous bloquent. Ces communautés sont
des ponts vers les autres migrants.
3. Les replis ou la recherche de lieux affinitaires en réaction à la perte de repères clairs
L’Eglise de demain changera, car des constellations nouvelles au sein du protestantisme se dessinent
déjà.
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On a constaté une perte de puissance des Eglises classiques au profit des Eglises évangéliques,
mais ce phénomène est déjà dépassé
On a constaté une nouvelle influence et des rapprochements par les accents charismatiques (pas
seulement pentecôtistes mais dans chaque Eglise) qui changent les frontières anciennes, en créant
notamment de nouveaux rapprochements entre catholiques et évangéliques en matière d’éthique.
Plus récemment se manifestent de nouveaux développements pseudo-pentecôtistes (néopentecôtistes) qui ne suivent plus le pentecôtisme historique du 20è siècle et ne sont plus
nécessairement protestants, mais « non-dénominationnels » (sans identité confessionnelle). Ce
phénomène n’est pas simple à appréhender.
C’est l’avis de Bernard COYAULT, « Les Églises issues de l’immigration dans le paysage protestant français : de la ‘mission en retour’
à la mission commune ? », Information- Evangélisation, p.3-18.
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Il s’y ajoute des constellations nouvelles mêlant le christianisme et d’autres croyances
Depuis les années 1990 on a insisté sur la nécessité du dialogue interreligieux. Ce n’était pas facile, mais
les repères étaient clairs notamment pour les 3 monothéismes. Actuellement la situation est encore plus
complexe, car ce dialogue est déjà dépassé !
- Des éléments bouddhistes et une Spiritualité de la nature attirent les contemporains
Ils suivent volontiers des courants de New Age avec une recherche d’expériences sensorielles et d’autoépanouissement. Les repères ne sont plus des doctrines et des confessions de de foi, mais des affinités
électives : on veut se retrouver entre des personnes qui partagent les mêmes goûts. Ce sont de nouveaux
défis pour les Eglises chrétiennes qui ne veulent pas valoriser l’ego mais dire la souveraineté de Dieu !
Il ne s’agit plus seulement de faire face à des crises provisoires, mais d’affronter courageusement, des
mutations sociales profondes ! La peur des étrangers/des migrants aujourd'hui est liée à l’époque de
fragilisation de tous les repères, et donc de dé-sécurisation, de malaise généralisé d'identité. Les Eglises,
comme les sociétés, s’accrochent au besoin de « conservation » alors que l’aventure du monde nous
entraîne vers des recompositions inédites entre cultures, confessions et aussi religions. On voit comment
la France s’est débattue dans des questions d’identités nationales ou non nationales, parce que le système
centralisateur où la religion est taboue n’est pas équipé pour comprendre la communauté très variée qui
vit des connexions de culture, d’histoire, de traditions religieuses (pas forcément de foi vécue et donc
culturellement plus agressives), de situations sociales.
L’apport des Eglises à l’avenir sera plus estimé par les sociétés, car elles ont une expérience permanente
dans le domaine de la peur de l’autre, qu’elles ont eu toujours à surmonter en tenant compte des réalités
de société et de culture. Il y a donc urgence pour un « œcuménisme » à redéfinir, qui sera plus large que
jusqu’ici car il ne concernera plus les frontières entre les Eglises telles qu’on les a connues.
Eglise comme diaspora
Du côté des Eglises, la mobilité et la situation de diaspora deviennent une réalité de tout le christianisme
aujourd’hui ! Ceci n’est pas nécessairement angoissant car ce furent bien là les débuts du christianisme. Il
faut repenser la conception même de l’Eglise forte et instituée à partir d’autres images, notamment le
« sel de la terre » ou le « levain » dans la pâte, qui ne supposent pas de grands nombres, mais une force
de conviction.
Si jadis le peuple hébreu était appelé à s’identifier aux étrangers parce qu’il avait subi l’exil et
l’esclavage, de même l’image du migrant était aussi un symbole théologique pour dire la condition du
croyant et de l’Eglise, selon Hébreux 13/14 : nous n’avons pas ici de cité permanente, mais sommes
« étrangers et voyageurs sur la terre ». Aujourd’hui cela devient de moins en moins un symbole
théologique, mais une réalité : l’Eglise comme communauté pérégrine et précaire, soumise aux aléas des
sociétés dont elle partage la vie. Sa force est son espérance, car elle n’a rien à perdre. Elle se sait déjà au
bénéfice de la Vie et dans l’attente du Seigneur qui vient. C’est de là qu’elle puise la force de surmonter
ses peurs et d’être une lumière qui veille dans les obscurités.
Elisabeth Parmentier
24 octobre 2015
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