Migrants : l`angle mort de la photo

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Migrants : l`angle mort de la photo
Migrants : l’angle mort de la photo
L’Europe submergée par les bons sentiments
« Pas en mon nom » : sous ce mot d’ordre généreux, est lancé un appel à
manifester sa solidarité avec les migrants. Autrement dit, malgré le niet de
56% des Français, certains veulent ouvrir grand les frontières – mince,
celles de l’Espace Schengen le sont déjà ! – avec un argument massue à
l’appui : la photo du petit Alan. Le garçonnet de 3 ans échoué sur une plage
turque venait de Kobané, dans le Kurdistan syrien, mais par un raisonnement
dont la subtilité nous échappe, dans l’esprit de nos concitoyens indignés, la
responsabilité de sa mort incombe aux Européens1.
Le temps des capitulations est pourtant révolu, et – à la différence de
l’Empire ottoman-, l’Etat turc n’accorde aucune concession diplomatique aux
puissances européennes, même lorsqu’il s’agit de protéger des minorités
persécutées en son sein ou à ses frontières. Mais dans l’esprit du parti
néocolonial qui siège à la gauche de la gauche, l’Europe exerce une
souveraineté morale universelle qui la charge de tous les maux de la terre et
lui assigne une mission civilisatrice au-delà de ses frontières. Erdogan, pas
gêné pour un sou, n’a pas songé à s’excuser de son attentisme envers l’Etat
islamique, ni de sa guerre ouverte contre le PKK qui combat Daech. Au
contraire, le Président turc accuse l’Europe d’avoir fait de la Méditerranée
« un cimetière de migrants ».
Le dirigeant islamiste aurait tort d’économiser sa mauvaise foi tant l’image
du petit Alan obscurcit les consciences occidentales. Dans notre société
régie par les apparences, seule la grosse émotion facile a la capacité de
faire bouger quelque chose. Et encore, passé le stade de l’émotion, rien ne
bougera. La vague de moraline qui dégouline sur les réseaux sociaux est en
réalité un appel à ne RIEN faire et à continuer comme avant. Bref, ouvrir nos
bras à tout le monde, sans chercher ni cause, ni conséquence, ni aucun parti
dans ce qui est concrètement une guerre, avec du sang, des larmes et des
belligérants : l’Etat islamique d’un côté, l’armée syrienne (ou ce qu’il en
reste…), le Hezbollah, des conseillers militaires iraniens, les milices
chiites irakiennes et les peshmergas kurdes de l’autre.
Et les bombardements sporadiques de « la coalition » fantoche réunie sous
l’égide des Etats-Unis ne modifient qu’à la marge le rapport de forces
militaire : John Kerry attend des pétromonarchies saoudienne, émirati et
qatari qu’elles se décident à intervenir au sol contre Daech2. Mais ces
bailleurs de fonds du djihadisme traînent des pieds, se concentrant sur le
front yéménite pour contrer leur grand ennemi régional, qui se trouve être
également la hantise de Daech : l’Iran.
Pauvres Occidentaux sûrs de notre supériorité morale, nous pourrons verser
toutes les larmes de crocodile du monde sur les tragédies de l’immigration
clandestine. Tant que l’Occident s’ingéniera à pratiquer la politique de
l’émotion, en bons Christ bisounours, nous serons condamnés à endosser toute
la misère du monde.
*Photo : Sipa. Numéro de reportage : AP21787863_000001.
On ne sait quelle foi accorder aux révélations du Wall Street Journal
affirmant que la famille du petit Alan vivait depuis trois ans en Turquie et
aspirait à rejoindre l’Occident pour y subir des opérations de chirurgie
dentaire. ↩
Est-il besoin de préciser que ces Etats n’accueillent aucun réfugié syrien ?
↩
Source : Migrants : l’angle mort de la photo | © Causeur