l`apprentissage du saxophone chez les adultes debutants
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l`apprentissage du saxophone chez les adultes debutants
L’APPRENTISSAGE DU SAXOPHONE CHEZ LES ADULTES DEBUTANTS DANS LES INSTITUTIONS PUBLIQUES Jean-François PETITJEAN CEFEDEM Aquitaine Promotion 2008-2010 REMERCIEMENTS Je remercie les élèves et professeurs qui m’ont fait don de leur parole et donc de leur confiance ; Marie-Claire Seurat et François Petitjean, mes parents, pour leur soutien ; Magalie Poulbot, Cécile Banquey et Jean Malbos, pour leur aide précieuse et enfin Nicole Léglise, directrice de mémoire. 1 SOMMAIRE INTRODUCTION p. 1 I - LES ADULTES ET LE SAXOPHONE p. 3 A) LE CHOIX DU SAXOPHONE p. 4 B) L’ORGANISATION DU TRAVAIL p. 7 1) Les actifs p. 8 2) Les retraités p. 9 C) LES OBJECTIFS p. 10 II - LE CONSERVATOIRE (ETABLISSEMENT D’ENSEIGNEMENT PUBLIC) p. 12 A) L’ACCUEIL DES ADULTES p. 13 B) LE CURSUS p. 15 C) LE CHOIX DU CONSERVATOIRE p. 17 1) La qualité de l’enseignement p. 17 2) Le service public p. 18 3) Le côté pratique p. 19 III - L’ENSEIGNEMENT DU SAXOPHONE p. 20 A) DU POINT DE VUE DE L’ENSEIGNANT p. 21 1) Le répertoire p. 21 2) Le relationnel p. 23 B) LES DIFFERENCES ENTRE ADULTES ET ENFANTS C) VERS UNE SPECIALISATION DE L’ENSEIGNEMENT POUR ADULTES p. 24 ? p. 26 CONCLUSION p. 29 BIBLIOGRAPHIE p. 31 ANNEXES 2 INTRODUCTION Ma première expérience pédagogique fut, à l’âge de 15 ans, l’encadrement du pupitre de saxophones de l’harmonie dans laquelle je jouais. Je venais juste d’intégrer le Conservatoire de Bordeaux, et me trouvais être le saxophoniste ayant le meilleur niveau de cet ensemble, mais aussi le plus jeune. Il y eut alors un rapport de respect et de confiance mutuelle, moi envers mes aînés (de 35 à 75 ans) et eux envers leur enseignant. Je n’ai depuis jamais cessé d’enseigner à des adultes, que ce soit en association, en cours particuliers, ou dans les conservatoires dans lesquels je travaille actuellement. Ce n’est que dix ans après cette première expérience que j’ai eu l’occasion de « débuter un adulte ». Et je me suis alors retrouvé totalement démuni, n’ayant pas de point de repère, les méthodes ou livres que j’utilisais étant faits pour les enfants. J’ai alors compris qu’il fallait adapter mon enseignement à ce public, en essayant d’aller au plus vite à l’essentiel, tout en tentant de répondre à ses attentes. Le Conservatoire, historiquement, a été créé afin de former des musiciens professionnels. Même si sa vocation, aujourd’hui, est aussi de former des amateurs, cette conception première reste très ancrée dans les mentalités, avec l’idée qu’il faut commencer l’apprentissage de la musique étant enfant. Or, sauf exception, un adulte débutant ne deviendra pas un musicien professionnel, et ce n’est d’ailleurs pas son intention. Le problème de la relation conservatoire/adultes tient en ce que l’apprentissage pour les adultes n’est ni cadré ni défini. Il appartient à chaque structure de définir les modalités d’accueil de ce public, représentant, s’il en est, de la pratique amateur. Dans un premier temps, je montrerai les raisons qui ont amené certains adultes à vouloir faire du saxophone, en soulignant les moyens qu’ils mettent en œuvre pour son apprentissage, ainsi que les objectifs qu’ils veulent atteindre. Ensuite, je définirai la place des adultes au sein des Institutions Publiques, que ce soit au niveau du fonctionnement de celles-ci ou de la volonté des adultes à les fréquenter. 3 Pour terminer, j’aborderai la spécificité de l’enseignement du saxophone à des adultes débutants, ainsi que des propositions personnelles à ce sujet. Ce mémoire n’a pas la prétention d’être un projet pédagogique, mais plutôt un état des lieux de l’enseignement du saxophone chez les adultes débutants dans les Institutions Publiques. Pour sa rédaction, je me suis appuyé sur les textes du Ministère de la Culture que sont la Charte de l’enseignement artistique et le Schéma d’orientation pédagogique, sur des entretiens que j’ai effectués auprès d’élèves et d’enseignants, ainsi que sur différents ouvrages traitant principalement du saxophone et de l’enseignement aux adultes. 4 I LES ADULTES ET LE SAXOPHONE « A quoi bon fréquenter Platon, quand un saxophone peut aussi bien nous faire entrevoir un autre monde ? » E.M. Cioran 5 A) LE CHOIX DU SAXOPHONE « A quoi bon fréquenter Platon, quand un saxophone peut aussi bien nous faire entrevoir un autre monde ? »1 écrivit Cioran. Cet autre monde, pour les adultes débutants, représente le passé, où le son chaleureux de cet instrument, venant de la radio, des disques ou de la télévision les touchait au plus profond de leur être. C’est l’envie non assouvie de jouer de cet instrument durant l’enfance ou l’adolescence qui amène les adultes, le moment venu, à en commencer l’apprentissage. En effet, la plupart des adultes que j’ai rencontrés m’ont fait part de la frustration de n’avoir pas pu commencer plus jeunes. Certains avaient débuté à l’âge de dix ans avant d’arrêter puis de reprendre une fois à la retraite, ou alors avaient acheté un saxophone depuis vingt ans avant de commencer à le travailler. Un adulte que j’ai interrogé me disait que « la musique [lui était] venue comme une évidence, très rapidement [...]. C’était un peu le trait d’union entre refaire le chemin inverse de presque plus de vingt ans, [...] et essayer de concrétiser ça une bonne fois pour toute en s’en servant plus comme thérapie. »2 Ce qui est sûr, c’est que, malgré les problèmes d’emploi du temps que peuvent rencontrer les adultes, on ne peut pas leur enlever la sincérité de leur démarche... Personne ne les a obligés à faire du saxophone. Pourquoi le saxophone ? Comme je l’ai dit plus haut, il s’agit d’un son venu des écoutes du passé, mais il n’y a pas que cela. « Le saxophone est un élément représentatif de la culture populaire, tout en étant un exemple de la force innovatrice de cette culture. Les musiciens ont toujours été attirés par sa voix unique, aux capacités expressives illimitées, si multiples que l’on peut écouter le saxophone dans les contextes les plus divers, de l’orchestre symphonique aux clubs de jazz, des ensembles rock aux musiques de films, ou aux spots publicitaires. Sa forme évocatrice et séduisante en a fait l’une des icônes les plus populaires, un symbole puissant reconnu par tous. »3 La réponse est là, le saxophone est un instrument populaire, présent dans toutes les musiques (surtout populaires ou « actuelles ») des 20ème et 21ème siècles. Dernier instrument « mécanique » créé, en 1846, il a été l’instrument le plus vendu au monde durant la première moitié du 20ème siècle, avant l’avènement de la guitare électrique dans les années 60. 1 Cioran E.M., Syllogismes de l’amertume, Paris, Gallimard, 1952, 1ère édition, 1980, p. 120 Entretien avec Louis, adulte débutant, 2009 3 Zermani Andrea, Saxo, l’instrument mythique, Paris, Gründ, 2004, p. 7, préface de Paul Cohen 2 6 De plus, il a été l’instrument phare du jazz, et ainsi un représentant de la liberté et de la contestation que revendiquait cette musique (surtout des années 40 et 60). Il est présent dans le rock depuis les années 50 en soliste avec l’utilisation du « growl » (effet de gorge qui fait grogner l’instrument) ou en section de cuivres, et dans la musique pop rock à partir des années 60 avec des solos mémorables (Pink Floyd, Dire Straits, Supertramp...) qui n’ont rien à envier aux plus grands solos de guitare. Outre les films consacrés à des saxophonistes (Bird de Clint Eastwood, Autour de minuit de Bertrand Tavernier), le saxophone est utilisé par des héros de films (Robert De Niro dans New York, New York de Martin Scorsese, Tony Curtis dans Certains l’aiment chaud de Billy Wilder), ou de dessins animés (Lisa Simpson dans les Simpson). De même, il a grandement été utilisé dans les orchestres militaires (c’était son utilisation première) et dans les fanfares qui malheureusement périclitent sur notre territoire. Il n’est donc pas étonnant que ce son caractéristique ait atterri d’une manière ou d’une autre dans les oreilles traînantes d’enfants à des périodes différentes. Le saxophone est un instrument réputé facile... Ce n’est pas faux ; l’émission du son est assez aisée et les doigtés sont ceux de la flûte (à bec ou traversière). Il est certain que, comparé au violon ou à la trompette, le commencement de son apprentissage ne procure pas de grandes difficultés. On peut facilement au bout de quelques semaines jouer un petit morceau et intégrer un groupe d’amis ou jouer avec ses enfants, d’autant plus que les adultes ont la capacité d’apprendre rapidement au départ. Lors d’un entretien avec un élève, celui-ci m’a avoué avoir choisi le saxophone après l’essai d’autres instruments, car il lui paraissait plus facile. Néanmoins, et comme tout apprentissage, il nécessite du travail pour pouvoir progresser, et sa relative facilité du début peut devenir une gêne et une prise de mauvaises habitudes. Comme certains instruments à vent, le saxophone est « intérieur », c’est-à-dire que le bec est en contact direct avec les dents et que le saxophoniste a une perception du son qui est différente de celui qui est émis par l’instrument. C’est une situation de corps à corps, quasi charnelle qui s’effectue entre l’instrument et l’instrumentiste. « Ne joue pas du saxophone, laisse-le te jouer », disait Charlie Parker. Je pense que ce rapport était voulu par Adolphe Sax, l’inventeur du saxophone, qui voulait que le son de cet instrument se rapproche le plus possible de celui de la voix. D’ailleurs, « le mot saxophone a été construit à partir du nom de son inventeur, Sax, et du mot grec phônè 7 qui signifie « voix ». Littéralement, ce terme signifierait donc « voix de Sax », ou « son de Sax » ».1 Ce rapport à la voix n’est pas étranger, il me semble, au fait que des adultes veuillent utiliser le saxophone comme moyen d’expression. « J’ai l’impression que, quand je fais du saxophone, […] je mets des mots, plus que des mots quoi, j’exprime des choses plus fortes »2 me confiait une élève. De plus, Sax adapta son instrument à des fins médicales : « L’heureux inventeur du saxophone et de la goudronnière [engin qui diffusait dans l’atmosphère des vapeurs de goudron aux propriétés antiseptiques reconnues] exerça son esprit systématique jusqu’à ses conséquences les plus logiques : ainsi naquit le saxophone-inhalateur hygiénique. Grâce à cet instrument, breveté en 1863, les saxophonistes fragiles des bronches pouvaient avantageusement se purifier les poumons tout en pratiquant leur instrument favori. »3 Le saxophone reconnu d’intérêt public ? Sans aller jusque-là, il est sûr que la pratique de la musique et/ou d’un instrument de musique peut aider à la détente, à la relaxation. Je pense même que cela est accentué par la pratique d’un instrument à vent. En effet, l’utilisation du souffle, au même titre que des exercices de respiration, est bénéfique pour se vider de ses tensions. Personnellement, je n’hésite pas à prendre un temps avec les adultes pour travailler la respiration, afin de leur faire prendre conscience d’une utilisation judicieuse de leur air, ainsi que de la souplesse et la décontraction nécessaires à une bonne pratique instrumentale. Ce besoin de détente est important chez les adultes afin de pouvoir, lorsqu’ils prennent leur instrument, que ce soit à la maison ou à l’extérieur, oublier le quotidien et ses contrariétés. « La musique me procure de la détente. Jouer du saxophone me permet de centraliser mon énergie, m’apporte du plaisir. »4 Ou de manière plus poétique, « Apprendre à jouer du saxophone, c’est comme une plongée sous-marine : on s’immerge totalement et on laisse son corps stagner entre deux eaux au gré de l’onde. Un air de saxophone me porte en apesanteur : je suis désorientée, absorbée par la vague 1 Zermani Andrea, Saxo, l’instrument mythique, Paris, Gründ, 2004, p. 9 Entretien avec Claire, adulte débutante, 2009 3 Billard François et Yves, Histoires du saxophone, Castelnau-Le-Lez, Climats, 1995, p. 6 4 Extrait de lettre de motivation de Karine, adulte débutante, 2008 (cf. ANNEXES p. 7) 2 8 mélodieuse des notes. »1 Ces réflexions d’élèves montrent bien le pouvoir d’attraction que le saxophone peut exercer, et confirment ainsi, à leur façon, la justesse des mots de Cioran. B) L’ORGANISATION DU TRAVAIL L’apprentissage de la musique requiert un travail personnel régulier pour des raisons évidentes que je ne développerai pas ici, auquel les adultes ne devraient pas échapper. A un enfant qui commence un instrument, nous allons lui préciser la fréquence et le temps de travail qu’il devra fournir à la maison, et si possible sous la vigilance des parents. Il en est différemment pour les adultes ; ce sont eux, plutôt, suivant leur situation personnelle, qui vont proposer la charge de travail qu’ils pourront effectuer. Si l’on se réfère à Roger Mucchielli, « Nous appelons « adultes » les hommes et les femmes qui ont plus de 23 ans et qui sont entrés dans la vie professionnelle, assumant des rôles sociaux actifs et des responsabilités familiales, ayant déjà une expérience directe de l’existence. » 2 En effet, que se soient par les études plus longues ou les réductions diverses (-25 ans pour la SNCF, étudiants de -26 ou -28 ans pour certains accès à la culture), il apparaît que la majorité à 18 ans n’est en rien une entrée dans la vie adulte. Pour ma part, les élèves adultes (donc de plus de 23 ans) que j’ai débutés remplissaient parfaitement les critères énoncés par R. Mucchielli, que ce soit par leur vie professionnelle ou familiale. Nous pouvons distinguer principalement deux catégories d’adultes débutants : • Les actifs • Les retraités 1 Extrait de lettre de motivation de Claire, adulte débutante, 2008 (cf. ANNEXES p. 6) Mucchielli Roger, Les méthodes actives dans la pédagogie des adultes, Issy-Les-Moulineaux, ESF - Entreprise Moderne d’Edition et Libraires Techniques, 1972, 10ème édition, 2006, pp. 19-20 2 9 1) Les actifs « En fréquence, [je travaille] deux fois entre chaque cours, donc deux fois de manière hebdomadaire, donc c’est peu ! Ça devrait être plus… quotidien, mais ça je peux pas, enfin… à moins de casser les oreilles de mes enfants le matin avant de les lever, du genre, 6 heures/7 heures, coucou maman fait du saxo ! »1 Ce témoignage est assez révélateur, il me semble, de la situation de l’adulte actif ayant une vie de famille. L’apprentissage de la musique a un coût (encore plus pour les adultes, sujet que je développerai plus tard) qui vient s’ajouter à celui des activités des enfants, ainsi qu’aux dépenses régulières du ménage. En effet, en général, les enfants des adultes actifs sont encore scolarisés dans l’enseignement primaire, secondaire, voire supérieur, et ont des activités culturelles, sportives, ou autres de leur âge. Cela revient-il à dire que ces adultes n’ont pas accès à des activités ? Bien sûr que non, mais il est clair que les aspects financiers et de disponibilités sont propices à une remise en cause ou à un découragement vis-à-vis de ces activités. De ce fait, il devient délicat de demander un travail régulier voire journalier à ces élèves. Il apparaît dans les entretiens que j’ai effectués que les adultes actifs travaillent en moyenne une à deux fois par semaine, mais jusqu’à une ou deux heures par séance… quand ils travaillent. En effet, malgré les évolutions du temps de travail (des congés payés aux 35 heures) et l’accession aux loisirs, le temps imparti à leurs pratiques reste compté et doit être optimisé. « Jamais, probablement, en dépit de la réduction du temps de travail et du développement du chômage, le sentiment de « manquer de temps » n’a été autant partagé. »2 De même, les difficultés rencontrées lors de la pratique personnelle se retrouvent chez certains adultes dans leurs absences répétées en cours. Du coup, on est en droit de se poser la question de leur intégration dans les écoles de musique, ou de la capacité de l’école à les accueillir, ce que nous verrons plus précisément par la suite. Bien sûr, le portrait que je viens de dresser n’est pas applicable à tous les adultes actifs, car certains n’ont pas d’enfants, ont le temps de travailler, et ne sont jamais absents. J’ai l’exemple d’un élève qui travaille au moins une heure par jour tous les 1 Entretien avec Claire, adulte débutante, 2009 Donnat Olivier, Les pratiques culturelles des Français, (enquête 1997), Paris, Ministère de la culture et de la communication, Dag, Département des études et de la prospective, 1998, p. 17 2 10 jours, qui est très rarement absent et qui avance très vite. Loin de moi l’idée de stigmatiser cette catégorie de personnes, je pense en avoir donné une image assez proche de la réalité, image parfois trop ancrée dans l’esprit de certains enseignants qui ne chercheront pas à comprendre ou à s’adapter à l’accueil de ce public. 2) Les retraités Voici la lettre de motivation d’un adulte débutant que je vais retranscrire dans son intégralité, tant son contenu me paraît explicite : « En 1957, à l’âge de neuf ans, j’ai eu la possibilité de m’inscrire à l’école de musique et de commencer l’apprentissage du saxo. Un an plus tard, suite à un déménagement, je n’ai à mon grand regret pu poursuivre. Je me suis acheté, il y a une vingtaine d’années un saxophone, mais pris par mes obligations personnelles et familiales, je n’ai pas pu reprendre les cours pour jouer de cet instrument. Aujourd’hui, nouvellement retraité, j’aimerais mettre à profit le temps libre dont je dispose pour enfin réaliser mon rêve. »1 Tout est dit. Un retraité est un actif qui a attendu le moment opportun, afin de disposer du temps et de l’énergie nécessaires à l’assouvissement de sa passion. Cet élève, qui a débuté le saxophone à 60 ans, travaille tous les jours, me prévient de ses rares absences, et même s’il met du temps à assimiler certaines choses, progresse régulièrement. L’élève modèle ? Peut-être. En tout cas, il met tout en œuvre pour que le moment qu’il a choisi pour « enfin réaliser [son] rêve », soit le plus productif et le plus formateur possible. Et il en est de même pour l’enseignant. Comment ne pas répondre positivement aux attentes d’un élève qui s’exprime avec autant d’envie et de sincérité ? Lui reprocher son âge ou son apprentissage trop tardif ne serait pas sérieux. Ce portrait idéalisé du débutant retraité n’est qu’un exemple. Il est bien connu que la retraite est le moment où, paraît-il, l’on a le moins de temps. Il y a bien sûr des élèves qui ne touchent leur instrument qu’au moment du cours, et qui s’en satisfont pleinement. Il me semble que la particularité de l’enseignement aux adultes est la capacité pour l’enseignant à s’adapter aux difficultés inhérentes à leur statut (actifs, retraités), et à pouvoir répondre le plus professionnellement possible à leurs attentes. 1 Lettre de motivation de Victor, adulte débutant, 2008 (cf. ANNEXES p. 7) 11 C) LES OBJECTIFS « Alors [...] c’est ambivalent. Il y a le côté [...] je suis très contente parce que si je regarde d’où je suis partie, de rien, en gros, oui, forcément [...] c’est quand même mieux donc ça me rassure, c’est pas tout ça pour rien. [...] Après, maintenant, c’est frustrant parce que je regarde encore tout ce qu’il me reste pour atteindre ce que je me fixe. »1 Voilà ce que m’a répondu une adulte qui a débuté avec moi il y a trois ans lorsque je lui ai demandé si elle était satisfaite de son parcours. Les adultes n’entreprennent pas l’apprentissage d’un instrument de musique par hasard. Quelles que soient leurs motivations ou leur disponibilité, ils viennent pour se faire plaisir. Mais à cette envie ne doit pas se substituer la notion de progression. Ils sont conscients d’où ils en sont, s’en excusant parfois, pensant qu’ils ont des problèmes d’oreille ou de rythme (ce sont en fait plutôt des problèmes de pulsation). Se basant sur les travaux de Pierre Goguelin, Antoine Léon explique que « parmi les caractéristiques négatives susceptibles de faire obstacle aux actions éducatives, [il y a] entre autres, le déclin des capacités intellectuelles, la détérioration des capacités physiques et perceptives, et la régression de l’adaptabilité, de la créativité, du sens du risque et du désir du changement. »2 Beaucoup d’éléments nécessaires à l’apprentissage de la musique, en fait, mais les adultes ne sont pas dupes de tout cela et savent que ce qu’ils entreprennent maintenant sera plus difficile que s’ils l’avaient fait étant enfants. Cependant, A. Léon continue en ces termes : « Par contre, l’adulte a acquis des connaissances, des savoir-faire, de l’expérience, des modèles de conduite. Il assume des responsabilités dans le cadre de son travail ou d’organismes extra-professionnels. Il élabore des projets à plus ou moins long terme et conçoit l’importance de la réussite sociale et professionnelle. »3 Si l’on parle de projet, pour l’adulte débutante citée plus haut, il s’agit de pouvoir utiliser les connaissances acquises en saxophone, et en musique en général, dans le cadre de son travail. Eprouver du plaisir en jouant peut être une finalité, mais c’est surtout un sentiment, un passage obligé pour garder une certaine motivation. Je pense 1 Entretien avec Claire, adulte débutante, 2009 Léon, Antoine, Psychopédagogie des adultes, Paris, PUF, 1971, p. 130 3 idem 2 2 12 que lorsque l’on se demande vraiment dans quel but un adulte commence le saxophone (ou autre chose...), il est possible d’éviter des malentendus. Chaque adulte a une raison personnelle qui le pousse à commencer la musique. Ainsi, Anne-Sophie Moyroud, dans son mémoire, distingue cinq sortes d’adultes débutants : • « [Ceux] qui n’ont pas eu la possibilité d’apprendre la musique dans leur enfance, pour des raisons sociologiques, culturelles ou de conditions d’existence. • Des personnes sensibilisées par la présence massive de la musique dans tous les secteurs de notre vie, [et qui] veulent devenir des acteurs et plus seulement des consommateurs. • [Ceux] qui souhaitent reprendre des études musicales interrompues pour de multiples raisons : le manque de temps lors d’un passage aux études supérieures, une vie de famille… • Des musiciens autodidactes qui sont déjà dans un groupe et qui désirent se perfectionner dans leur technique instrumentale et acquérir de nouvelles connaissances. • Des parents, qui lors de l’inscription de leurs enfants dans une école de musique, ont l’envie eux aussi de débuter un apprentissage instrumental ou choral. »1 La plupart des adultes que j’ai rencontrés entrent parfaitement dans ce descriptif. Cependant, il ne s’agit ici que de points de départs à l’apprentissage musical. Si l’on parle réellement d’objectifs, il faut dépasser ce premier raisonnement qui concerne les motivations ou envies afin d’arriver à ce qui me paraît le plus important : dans quel but ? Les réponses sont diverses : se perfectionner, jouer avec ses enfants, se servir d’un apprentissage musical dans le cadre de son emploi, jouer en groupe, avec des amis, pour soi, pour rattraper un peu d’enfance ou d’adolescence. Le choix du saxophone évoqué, et les objectifs définis, il en va de la responsabilité des acteurs (élève, enseignant, structure) de permettre le meilleur apprentissage possible. 1 Moyroud Anne-Sophie, L’adulte amateur débutant dans l’école de musique, CEFEDEM Rhône-Alpes, 2003, p. 7 13 II LE CONSERVATOIRE (ETABLISSEMENT D’ENSEIGNEMENT PUBLIC) « Ces nouvelles voix données à l’orchestre possèdent des qualités rares et précieuses » Hector Berlioz (à propos du saxophone) 14 A) L’ACCUEIL DES ADULTES Il y a plusieurs moyens d’apprendre la musique : de manière autodidacte, avec des amis (ou au sein d’un groupe), par des cours privés, dans une association, ou au sein d’un conservatoire. Je ne traiterai ici que de ce dernier. En effet, il me semble que les Institutions Publiques sont garantes d’un enseignement de qualité, de par la formation des enseignants et le respect des textes du Ministère de la Culture que sont la Charte de l’enseignement artistique et le Schéma d’orientation pédagogique. L’accueil des adultes se fait de manière très différente suivant le rayonnement des conservatoires et la politique choisie pour cette population. Deux possibilités s’offrent alors aux institutions, ne pas les accueillir, ou alors les accepter sous conditions. Je ne m’attarderai pas sur la première qui n’offre que peu de perspective. Pour commencer, et comme énoncé précédemment, il faudrait revoir l’entrée à l’âge adulte, qui s’effectue réellement autour de 23 voire 25 ans, et non pas 18 ans. La deuxième condition d’accès est la tarification. Voici ce qu’en dit la Charte de l’enseignement artistique : « [Les collectivités territoriales] fixent les droits d’inscription selon un barème permettant l’accès le plus large possible à toutes les populations concernées, y compris les plus défavorisées. »1 Il s’avère déjà que la majorité des conservatoires pratique des prix différents suivant la domiciliation des élèves. Si le fait d’être adulte est accompagné d’une majoration supplémentaire, l’accès à l’apprentissage d’un adulte extérieur sera d’autant plus onéreux. Or, prenant 30 minutes de cours d’instrument, il ne coûte pas plus cher qu’un enfant. Enfin, quelle que soit la tarification appliquée, il y a une attitude, il me semble, commune à tous les conservatoires qui est : « les enfants sont prioritaires », ce qui est parfaitement compréhensible. En effet, que ce soit par les capacités d’apprentissage ou l’espoir de professionnalisation que l’on met en lui (car c’est bien de cela dont il s’agit), l’enfant paraît être un élément plus « acceptable » que l’adulte. Or cela va à l’encontre de la Charte, qui explique que « les établissements d’enseignement en danse, musique et théâtre ont pour mission centrale la sensibilisation et la formation des futurs amateurs aux pratiques artistiques et culturelles ; certains d’entre eux assurent également la 1 Ministère de La Culture et de la Communication, Charte de l’enseignement artistique, 2001, p. 5 15 formation professionnelle. »1 La pratique amateur étant mise en avant, en aucun cas les adultes, représentants importants, s’il en est, de cette pratique, ne devraient être mis de côté. Ceci dit, même s’ils ont peu de chance de pouvoir accéder à l’apprentissage du piano, cet instrument faisant l’objet d’une forte demande, ils sont les bienvenus pour remplir les classes en sous-effectif, et ce, au sein de n’importe quel établissement. Il en va de même pour les nouvelles classes (Jazz, Musiques Actuelles), qui leur sont encore ouvertes. Dans son enquête sur les pratiques amateurs, Olivier Donnat2 répertorie les différents modes d’apprentissage de la musique : Sur 100 personnes de chaque groupe sachant jouer d’un instrument Ont appris à jouer d’un instrument... A l’école Avec l’un des parents Seul ou avec des amis Avec un professeur particulier Dans une école de musique Autres ENSEMBLE 28 10 34 25 19 3 25 à 34 ans 31 13 33 23 21 3 35 à 44 ans 15 8 43 26 18 3 45 à 54 ans 11 10 39 26 21 4 55 à 64 ans 11 14 34 25 18 9 65 ans et plus 7 10 20 50 15 8 Ce tableau montre bien que la fréquentation de l’école de musique (association et institution) n’est pas la priorité de l’adulte. Bien sûr, l’école n’est pas la seule responsable de ce résultat dans le sens où un adulte peut être rebuté par son fonctionnement et ainsi préférer la souplesse des cours particuliers. D’un autre côté, je ne pense pas que les institutions soient prêtes à changer leur fonctionnement afin de faciliter la venue des élèves adultes. 1 Ministère de La Culture et de la Communication, Charte de l’enseignement artistique, 2001, p. 2 Donnat Olivier, Les pratiques culturelles des Français, (enquête 1997), Paris, Ministère de la culture et de la communication, Dag, Département des études et de la prospective, 1998, extrait du tableau p. 289 (cf. ANNEXES p. 4) 2 16 B) LE CURSUS Lorsque l’on pense conservatoire et cursus, il est difficile de ne pas faire le lien avec les examens. Les études au conservatoire s’inscrivent dans un cadre scolaire, avec des cycles sanctionnés par des examens, et une formation complète qui se compose au minimum de l’apprentissage instrumental, la formation musicale et la pratique collective. Cet ensemble est tout à fait adapté à un public encore scolarisé, mais nous sommes en droit de nous demander s’il l’est aussi pour des adultes entrés dans la vie active. Pour Antoine Léon, « les difficultés ou les échecs de certaines actions de formation d’adultes sont souvent imputés à l’absence de méthodes spécifiques d’éducation. Aussi, de nombreux praticiens préconisent-ils de libérer la formation des adultes de certains modèles ou moyens conçus de longue date pour l’éducation des enfants. »1 Il paraît évident qu’un adulte commençant un instrument aura du mal à s’engager dans les 12 ou 15 ans que représentent les trois premiers cycles. D’ailleurs, les adultes que j’ai interrogés ne viennent pas au conservatoire pour passer des examens, mais pour apprendre la musique en général, et le saxophone en particulier. Ils sont donc hors cursus ! Cela ne veut pas dire qu’ils ont une formation spécifique, non, mais qu’ils ne sont pas assujettis aux examens, et à leurs conséquences. Cela leur confère une certaine liberté, soit, mais nous montre aussi l’impuissance de l’institution face à ce public qui n’a pas sa place dans l’organisation des études, et qui est donc mis à l’écart. Voici le cas d’un conservatoire (CRD) qui, n’ayant pas de système hors cursus, laisse l’apprentissage musical des adultes à une association, qu’il accueille dans ses murs, et à laquelle il fournit parfois ses professeurs. Il n’y a pas de cursus, pas de formation musicale et la durée des cours instrumentaux est de 30 minutes tous les 15 jours. Mais il y a cinq ans, alors que la classe de saxophone de ce conservatoire n’était pas complète, un adulte, Louis, y a été accepté, mais sous la condition d’être en cursus. Il doit donc passer les examens (il était le seul adulte à passer la fin de 1er cycle), suivre les cours de formation musicale (pour adulte, heureusement) et aller à l’orchestre 1er cycle ce qu’il ne fait pas car l’horaire, le mercredi après-midi ne lui convient pas et que le fait d’être le seul adulte le mettrait mal à l’aise. Lors de mon entretien avec lui, il m’a 1 Léon, Antoine, Psychopédagogie des adultes, Paris, PUF, 1971, p. 128 17 expliqué que passer des examens est pour lui comme un challenge, quelque chose de très important, dont il a besoin. Il est cependant déçu que la formation instrumentale ne soit pas adaptée aux adultes, comme la formation musicale, mais n’est en rien rebuté par l’idée d’être scolarisé. Le professeur de saxophone de ce conservatoire, Charles, m’a expliqué que cet élève ne prenait pas la place d’un enfant, car il était en cursus, mais que les enfants étant prioritaires, il n’aurait pas pu débuter maintenant. Lors de son inscription, voulant louer un instrument au conservatoire, Louis dut accepter un saxophone ténor, seul instrument disponible. Normalement, l’apprentissage du saxophone se fait avec un alto, plus facile d’accès que les autres instruments, mais il est vrai que pour un adulte, le ténor peut être adapté. Seulement, lors de l’examen de fin de 1er cycle, en mars 2009, qu’il n’a pas réussi, le jury lui a fait part de problèmes de colonne d’air et d’embouchure pas stable, qui pouvaient être liés au fait qu’il ait débuté avec le ténor. Le fait d’être en plus le seul adulte contribuait à lui donner l’impression d’être en dehors du cursus. Autorisé à faire une 5ème année, mais ne s’étant pas présenté à l’examen (mars 2010), il ne pourra pas continuer son parcours au sein du conservatoire. Il sera alors redirigé vers l’association qui enseigne aux adultes. Bien que l’initiative de ce conservatoire à accueillir les adultes, que ce soit en son sein, ou par la création d’une structure extérieure soit louable, il apparaît qu’une simple adaptation de la formation proposée aux enfants n’est pas suffisante, mais que l’apprentissage musical destiné aux adultes requiert la création d’un cursus spécifique. Pourtant, le Schéma d’orientation pédagogique prend en compte le public adulte : « L’ouverture des formations à des domaines artistiques beaucoup plus nombreux ainsi qu’à des publics très diversifiés, notamment sur le plan de l’âge, conduit à trouver de nouveaux modes d’organisation pédagogique. »1 De même, dans l’organisation des cycles, ce texte précise, mais seulement pour le premier cycle, que « dans le cadre d’un début d’études musicales au moment de l’adolescence ou plus tard, il convient de mettre en place un dispositif adapté à la maturité acquise, au projet de l’élève et au domaine de formation envisagé. La conception des objectifs, démarches, durée du cycle, modalités de l’évaluation continue, devient spécifique. »2 Mais plus rien n’est précisé pour les 2nd et 3ème cycles. Une fois que l’on a permis à l’adulte débutant 1 Ministère de la Culture et de la Communication, Schéma d’orientation pédagogique de l’enseignement de la musique dans les conservatoires, document de travail, 2006, p. 6 2 idem1 p. 13 18 d’entrer en 1er cycle, quel parcours lui est-il proposé ? Car, même si le Schéma d’orientation pédagogique explique la possibilité d’un aménagement du premier cycle, il ne propose en aucun cas un cycle adulte, et son tableau du cursus des études musicales ne fait pas référence aux adultes débutants. Je ne dis pas que rien n’est fait pour les adultes, car certaines écoles proposent des cours de formation musicale ou des ensembles vocaux spécialement pour eux, mais je me demande si la souplesse que le statut d’adulte nécessite, et la rigidité (nécessaire) de l’institution sont compatibles. C) LE CHOIX DU CONSERVATOIRE La relation entre le conservatoire et les adultes débutants est ambiguë. Cela peut expliquer pourquoi, selon le tableau d’Olivier Donnat, l’école de musique est leur quatrième choix d’apprentissage de la musique. Cependant, pour les adultes débutants que j’ai interrogés, le conservatoire leur est apparu comme une évidence, et ce, à plusieurs titres. 1) La qualité de l’enseignement Quel que soit leur contexte personnel ou professionnel, les adultes viennent au conservatoire dans l’espoir d’être guidés dans leur apprentissage, de trouver une oreille avertie qui pourra répondre à leurs attentes. « Quand tu veux apprendre, il faut un professionnel avec toi. »1 Le conservatoire est garant d’une qualité d’enseignement, que ce soit par les enseignants ou la diversité des activités proposées. En effet, même si le cursus ou le hors cursus n’est pas toujours adapté, les adultes se trouvent alors dans une structure qui leur permet l’accès à diverses disciplines, que ce soit la formation instrumentale, musicale, les orchestres, les ensembles d’esthétiques diverses (baroque, jazz…), l’histoire de la musique, l’analyse, etc. voire même la danse ou le théâtre. « Cette année il y a l’orchestre, c’est là que je m’aperçois que c’est très pointu. […] Jouer en même temps que les autres est encore une approche de la musique qui me plaît bien. »2 Je pense qu’il faut considérer le conservatoire comme un tout, afin de permettre 1 2 Entretien avec Victor, adulte débutant, 2009 Entretien avec Claire, adulte débutante, 2009 19 à l’ensemble des élèves, qu’ils soient adultes ou enfants, de participer aux projets artistiques. De plus il sera plus aisé de commencer un nouvel instrument ou d’en changer lorsque l’on peut rencontrer des élèves ou des enseignants le pratiquant. Ainsi, le conservatoire se différencie des leçons particulières, tant par la qualité et la diversité de l’enseignement proposé, que par la possibilité donnée aux élèves de pouvoir jouer ensemble. 2) Le service public Le service public est l’ensemble des moyens que se donne une société afin de permettre la vie en communauté. Depuis les lois de décentralisation de 1983 et 1986, les établissements d’enseignement public sont sous la responsabilité des collectivités locales qui « définissent un projet d’établissement d’enseignement artistique susceptible de répondre aux besoins recensés »1. Ainsi, le conservatoire est en mesure de proposer un enseignement artistique en lien avec les besoins de la population en la matière. Louis, l’adulte dont j’ai expliqué la situation, estime « qu’une pratique musicale doit être proposée à tous, y compris [aux] adultes. [...] S’il y a un engouement des adultes pour aller vers l’apprentissage de la musique, c’est au service public de répondre à ça. »2 Une de ces réponses se situe au niveau de la tarification. Bien qu’elle ne soit pas toujours équitable entre les adultes, les enfants, et les personnes résidant en dehors de la collectivité territoriale, elle reste plus abordable que des cours particuliers ou des associations (en général subventionnées par la collectivité), d’autant plus avec la quantité et la diversité des activités proposées. La France a une grande tradition de service public, le conservatoire en faisant partie, je pense que cela lui confère un côté rassurant. Outre les points que j’ai déjà abordés, nous pouvons ajouter une organisation administrative et technique au service des usagers. Bien que le conservatoire n’ait pas la préférence des Français en matière d’apprentissage artistique, il est néanmoins une valeur sûre et reste un interlocuteur logique pour certains d’entre eux. 1 2 Ministère de La Culture et de la Communication, Charte de l’enseignement artistique, 2001, p. 4 Entretien avec Louis, adulte débutant, 2009 20 3) Le côté pratique Le conservatoire est ainsi un grand pôle d’activité et d’enseignement artistique, ouvert à toute la famille, depuis les tout petits avec la mise en place de cours d’éveil, jusqu’à l’accueil des adultes. Comme je l’ai déjà évoqué, certains adultes commencent la musique au conservatoire car ils y emmènent leurs enfants. Ils deviennent alors familiers de son organisation et des personnes y oeuvrant, rendant leur intégration plus facile. De même, des dégrèvements tarifaires peuvent être appliqués suivant le nombre d’élèves inscrits d’une même famille et le prêt ou la location d’un instrument à un tarif préférentiel, au moins pour la première année, est un argument important dans le choix du conservatoire. Cela évite un investissement financier trop important, et permet à l’élève de changer d’instrument si son choix ne s’avérait pas être le bon. Le conservatoire reste une référence en matière d’apprentissage de la musique. Malgré les problèmes d’accueil que peuvent rencontrer les adultes, leur choix de venir dans cet établissement est tout à fait assumé, de par les prestations qui leur sont proposées. Ainsi les adultes débutants pourront y trouver un enseignement adéquat qui répondra à leurs attentes. 21 III L’ENSEIGNEMENT DU SAXOPHONE « Le saxophone : la plus belle pâte de sons que je connaisse » Giacchino Rossini 22 A) DU POINT DE VUE DE L’ENSEIGNANT Si le conservatoire doit s’adapter à l’accueil des adultes débutants, il doit en être de même pour les enseignants. Il est important de connaître les motivations et objectifs des adultes venant apprendre le saxophone, ainsi que leur contexte familial ou professionnel. Comme je l’ai expliqué, leur choix du conservatoire et du saxophone n’est pas anodin, il appartient à l’enseignant de prendre tous ces éléments en considération afin de permettre le meilleur apprentissage possible. Afin d’alimenter mon travail sur ce sujet, je me suis entretenu avec Charles, 56 ans, professeur de saxophone dans un CRD, titulaire du CA. Il est le professeur de Louis, l’élève adulte dont j’ai évoqué la situation. Notre discussion s’est avérée très fructueuse, de par notre expérience et nos divergences quant à l’enseignement délivré aux adultes. 1) Le répertoire Le saxophone, inventé au milieu au 19ème siècle, n’a pas connu les grands compositeurs « classiques » et n’a pu se faire qu’une place très réduite au sein de l’orchestre symphonique. L’essentiel de son répertoire se constitue dans la première moitié du 20ème siècle avec des compositeurs comme Ravel, Debussy, Schmitt, Glazounov, Ibert, ainsi que dans la musique contemporaine. Il est surtout utilisé dans les orchestres militaires ou les harmonies. Son apogée vient avec le jazz, et on le retrouve dans diverses musiques rock, pop ou de variété. Mais les capacités musicales du saxophone ne se restreignent pas à ces musiques car tous les répertoires sont abordables, notamment avec les transcriptions. Ce n’est pas avec le saxophone que l’on apprendra à jouer Bach ou Mozart, mais il sera toujours possible d’aborder leurs œuvres. Et de cela les adultes sont conscients. Ils viennent vers le saxophone avec un son et un répertoire qui leur sont familiers et qu’ils veulent aborder avec cet instrument. Charles, bien qu’il soit conscient de devoir adapter son enseignement, « fait exactement comme [s’il commençait] avec un enfant les quelques premières années. »1 1 Entretien avec Charles, professeur de saxophone, 2009 23 Louis, qu’il a actuellement en cours, étant le premier élève adulte depuis de nombreuses années, il m’a avoué avoir perdu l’habitude de la spécificité de cet enseignement. De plus, Louis étant en cursus, il doit respecter les objectifs et acquisitions de chaque cycle qui sont élaborés pour les enfants, le répertoire travaillé pour les examens ne se rapportant pas au jazz ou à la variété, mais plutôt à une esthétique néo-classique. Louis m’a fait part de sa frustration face au répertoire abordé. En effet, son professeur est très orienté sur le « classique », et ils n’ont pas discuté du répertoire qu’il voulait travailler. Il s’est même acheté une partition de morceaux connus (musiques de films) qu’il garde chez lui pour s’amuser après le travail des études données par le professeur. Il estime que le cours est un apprentissage technique, et que l’amusement se passe à la maison, avec le répertoire qu’il se procure. Je pense que le jugement de cet élève est exagéré. Je connais bien Charles, et je sais qu’il ne propose pas que des études ou des exercices, mais aussi des morceaux, d’esthétique « classique » il est vrai, car il avoue lui-même ne pas enseigner le jazz, n’ayant pas les compétences pour. Le plus important dans ce témoignage n’est pas la critique envers le travail du professeur, mais la déception qu’éprouve cet élève quant au résultat de son apprentissage. Le conservatoire ne répondant pas à ses attentes, il est obligé de se faire son propre répertoire. Or, lors de mon entretien avec lui, il m’a avoué être attiré par le jazz et le rock, comme les adultes que j’ai rencontrés ou auxquels j’enseigne. Les adultes qui viennent me voir ont une idée assez précise de leurs objectifs. Même s’ils ne l’avouent pas tout de suite et préfèrent déclarer qu’ils veulent apprendre le saxophone parce qu’ils en ont écouté et qu’ils en aiment le son, ou juste pour le plaisir, il s’avère après avoir fait plus ample connaissance, qu’ils écoutent Coltrane, et qu’ils voudraient apprendre le jazz, ou que leur grand plaisir serait de jouer les Beatles avec leurs enfants. Il n’est pas évident de pouvoir répondre à ces attentes, encore faut-il que l’enseignant en ait les capacités et l’envie. Je pense qu’il est tout à fait possible de « débuter un adulte » sans passer par une méthode écrite, en abordant directement le répertoire désiré. Pour les adultes débutants qui n’ont pas de désir particulier, si ce n’est faire du saxophone, et qui n’écoutent pas spécialement de musique, il faut redoubler d’ingéniosité afin de proposer un programme varié qui leur fasse découvrir l’étendue des possibilités du saxophone, et être à l’affût du moindre signe d’intérêt qu’ils peuvent porter à tel ou tel morceau. Je pense que le répertoire du saxophone et de la musique en général est assez vaste pour cela. 24 2) Le relationnel Quelle est la relation entre un adulte débutant et un enseignant plus jeune que lui ? C’est ce qui m’est arrivé lorsque j’ai commencé à enseigner à l’âge de 15 ans. En fait d’enseignement, il s’agissait de faire travailler les saxophonistes d’une petite harmonie dont les membres avaient entre 35 et 75 ans. Aujourd’hui encore, tous mes élèves adultes sont plus âgés que moi. On se retrouve alors dans une situation étrange qui est : vous êtes plus vieux que moi donc vous avez plus de vécu, mais je suis le professeur donc j’ai plus de connaissance dans mon domaine. Il en découle un respect mutuel et une possibilité d’échanges des savoirs ; le jeune professeur se retrouvant lui aussi dans une situation d’apprenant. Le premier problème de cette situation est le tutoiement/vouvoiement. Autant je ne me suis jamais posé la question concernant un enfant, autant elle se pose lorsqu’il s’agit d’un adulte. Et il en est de même pour l’adulte concernant son professeur. Pour ma part, au bout de quelques semaines, tout le monde se tutoie et ça n’a jamais dérangé personne. Cette double autorité âge/compétence n’est pas toujours évidente à gérer. Il ne faut pas oublier que l’adulte, en venant au conservatoire, entre à nouveau dans un système scolaire. Toute remarque doit être pesée afin de ne pas blesser son amour propre. Si un adulte vient pour son plaisir, et oublier un temps soit peu son travail ou sa vie personnelle, je ne pense pas qu’il soit utile d’être vexant ou trop dur, et s’il décide de partir du cours ou d’arrêter l’instrument, il n’en sera en rien réprimandé par l’autorité parentale. Il n’y a dans ce cas plus de relation élève/enseignant, et les discussions alors engagées se feront à égalité, entre Hommes. Bien que l’enseignement à des adultes requière une certaine diplomatie, il est cependant aisé d’utiliser un langage courant, et de pouvoir ainsi avoir cours à des discussions sur divers sujets, entre adultes. 25 B) LES DIFFERENCES ENTRE ADULTES ET ENFANTS Si l’on conçoit qu’il faille adapter l’enseignement à des adultes, c’est bien en comparaison avec celui dispensé aux enfants. Etant déjà scolarisés, les enfants sont plus aptes et conditionnés à se retrouver dans un conservatoire, et à en suivre le cursus établi. Ils sont en train de se construire, physiquement et psychologiquement et sont enclins à recevoir les divers apprentissages qui leur sont proposés. Un adulte est moins habile et moins malléable qu’un enfant. Cela prend tout son sens lors d'examens ou de concerts, au moment de se retrouver face à un public. Un adulte va réfléchir à la situation, à son enjeu, voire anticiper ce qui peut arriver et sera plus enclin à la panique qu’un enfant. Les adultes n’ont pas confiance en eux, surtout lorsqu’ils se retrouvent face à leurs limites, ou à ce qu’ils pensent être leurs limites ; ils sont beaucoup moins à même de dépasser leurs craintes que les enfants. Pour M. Hicter, cité par Antoine Léon, « il est certain que les modes d’acquisitions des connaissances chez l’adulte sont différents de ceux de l’enfant. En gros l’enfant mémorise puis comprend ; l’adulte comprend puis mémorise »1, ou en tout cas, cherche à comprendre. C’est un cercle vicieux, car, puisque l’adulte veut comprendre, et qu’il assimile moins vite qu’un enfant, il va prendre son temps, mais comme il vient pour se faire plaisir et qu’il doit avoir le sentiment de progresser, l’enseignant doit être capable de le laisser continuer en passant sur certains acquis. Selon J. Gagey et F. Dauguet, voici certains seuils psychobiologiques ou psychosociologiques définissant l’état adulte : « Sur le plan physique, être adulte, c’est se sentir à l’aise dans son corps qui a pris une forme stable ; sur le plan intellectuel, l’adulte compense une certaine lenteur d’assimilation par une plus grande exigence en matière de compréhension et d’intégration des connaissances théoriques et pratiques […] ; sur le plan professionnel, la maturité est marquée par la possibilité d’organiser sa vie en fonction d’un but et de se maintenir dans la voie choisie. »2 Au tout début de l’apprentissage du saxophone, l’adulte progresse plus rapidement qu’un enfant. Etant donné son développement physique, il n’a pas de problèmes de longueur ou de positionnement des mains, et le poids du saxophone n’est pas un fardeau. Ensuite, selon Charles, « l’enfant reprend le dessus au bout d’un an, un 1 2 Léon, Antoine, Psychopédagogie des adultes, Paris, PUF, 1971, p. 131 idem 1, pp. 63-64 26 an et demi »1, et il faut plus de temps à l’adulte pour acquérir la technique et le son. Il n’y a pas que le problème du travail qui soit en cause, mais entrent aussi en jeu la souplesse, l’assimilation, et le travail de mémoire. Cependant, le fait que les adultes aient pour la plupart un objectif peut expliquer leurs débuts plus rapides. Avoir écouté de la musique, avoir un son en tête et surtout une grande envie d’apprendre les font avancer plus vite, avant que les problèmes physiologiques évoqués ne les rattrapent. Les enfants n’ont pas ou peu cette approche culturelle. S’ils choisissent le saxophone, c’est parce qu’un copain en joue, ou parce que c’est joli, ou parce qu’ils l’ont vu ou entendu dans un orchestre et que ça leur a plu, ou comme ça, ou pour faire plaisir aux parents. Mais je n’ai jamais rencontré un enfant, même de dix ou douze ans qui m’ait dit : « j’écoute telle ou telle musique, il y a du saxophone, je veux faire pareil… ». Bien sûr il subsiste des morceaux avec du saxophone à la télévision ou à la radio, mais je doute que la musique qu’écoutent les enfants actuellement soit aussi propice à choisir cet instrument que lors des années 50, 60 ou 70. D’ailleurs, il me semble que la question du répertoire est un véritable problème. Il me paraît difficile d’aborder une musique ou un instrument sans en écouter. Or, le répertoire « classique » du saxophone qu’étudient les enfants dans le cadre de leur cursus n’est pas connu des élèves, et les approches d’autres répertoires comme le jazz ou les chansons ne peuvent être que temporaires, afin de répondre aux objectifs et acquisitions de chaque cycle et de préparer aux examens qui restent d’esthétique « classique ». La récente mise en place dans les conservatoires de cursus Jazz ou Musiques Actuelles permet une alternative diplômante à la formation traditionnelle du saxophone , mais ces classes ne servent en rien un décloisonnement de son apprentissage. Les adultes hors cursus ont au moins le choix du répertoire qu’ils veulent aborder, en lien avec leur culture, à la condition de trouver les interlocuteurs adéquats. 1 Entretien avec Charles, professeur de saxophone , 2009 27 C) VERS UNE SPECIALISATION DE L’ENSEIGNEMENT POUR ADULTES ? « Quoique la nécessité de la formation des adultes n’ait fait aucun doute depuis deux siècles et qu’elle soit aujourd’hui acceptée comme une urgence, la solution du problème sur le plan méthodologique reste étrangement nébuleuse. L’image de l’Ecole ou, au mieux, de l’Université - s’impose avec une insistance d’autant plus extravagante que la preuve est faite (depuis qu’on essaye) que la transposition de la pédagogie de type scolaire ou universitaire aux adultes est un échec. Il est temps de considérer cet échec comme un fait (et non comme un hasard ou comme un scandale), d’en analyser les causes et de mettre sur pied une méthodologie spéciale de la pédagogie des adultes. »1 Même si les écrits de Roger Mucchielli concernent la formation d’adultes en général, ses conclusions sont tout à fait transposables à l’apprentissage du saxophone, ou de la musique plus largement. Mais la pédagogie pour adultes ne peut pas être dissociée de la formation des enseignants. Pourtant, les épreuves de pédagogie (DE, CA) ne se font, à ma connaissance, qu’avec des enfants. Je n’ai, bien sûr, pas passé ces diplômes, mais lorsque je me suis présenté au concours de la fonction publique (CNFPT), il n’y avait pas d’adultes comme cobayes. De même au CEFEDEM, nous étudions la psychologie de l’enfance à l’adolescence, mais il n’est nullement question de celle de l’adulte. L’enseignant pour adultes doit être polyvalent afin de répondre à leurs attentes. Pour Charles, « ce qui est grave maintenant [...] c’est qu’on veut que les professeurs aient différentes casquettes »2 ce qui lui paraît difficile et inapproprié. L’éclectisme des envies et les besoins des adultes sont tels qu’il n’est pas suffisant d’avoir des connaissances dans une seule esthétique. Parmi mes cinq élèves adultes (qui ont tous débuté avec moi), trois ont commencé directement avec le jazz, l’apprentissage des standards et de l’improvisation, et les deux autres sont plutôt attirés par des petits morceaux « classiques » ou des chansons. Et s’il arrive qu’ils apportent des pièces qu’ils veulent travailler, c’est pour moi un gage d’investissement qu’il ne faut pas freiner mais au contraire, encourager. Le saxophone, de par son histoire et son répertoire est un instrument possédant de multiples facettes, et le cursus « classique » de son 1 Mucchielli Roger, Les méthodes actives dans la pédagogie des adultes, Issy-Les-Moulineaux, ESF Entreprise Moderne d’Edition et Libraires Techniques, 1972, 10ème édition, 2006, p. 19 2 Entretien avec Charles, professeur de saxophone, 2009 28 enseignement au conservatoire, ainsi que les professeurs qui délivrent cet enseignement, ne favorisent pas l’exploration de toutes les possibilités de cet instrument. Heureusement, de plus en plus de jeunes saxophonistes s’ouvrent au jazz et aux musiques actuelles, et comme je l’ai démontré, cette ouverture est indispensable à l’enseignement du saxophone aux adultes débutants. Il n’est bien sûr pas évident de se former à toutes les esthétiques, et je ne prône pas la quantité au détriment de la qualité. On ne demandera pas à un violoniste de savoir jouer Bach et un standard de jazz (bien que cela puisse être intéressant), mais si l’on considère que son répertoire va de la musique baroque à la musique contemporaine, cela dépasse et de loin les 160 ans d’existence du saxophone. Les adultes ont mauvaise réputation auprès des enseignants. Ils sont souvent absents, travaillent peu ou pas, et n’ont que peu de disponibilités quant au jour et à l’heure du cours. Je sais que certains enseignants rechignent à les faire travailler, ajoutant à cela des problèmes de souplesse ou d’adaptation. Selon Anne-Sophie Moyroud, « il existe un préjugé tenace du fait qu’il faille absolument commencer la musique en bas âge, passé 18 ans il est impossible d’éduquer un corps aux automatismes instrumentaux. Ce préjugé, ce sont les écoles qui en sont la principale cause. En effet, pendant des années et encore aujourd’hui, certains enseignants se plaisent à dire que si on veut arriver à quelque chose en musique, il faut commencer très jeune. Ce quelque chose, c’est la professionnalisation comme débouché réel et noble mais le rôle de l’école de musique n’est-il pas de former des amateurs ? Cette mission, beaucoup d’enseignants l’ont oubliée, car pour eux, former un amateur c’est en quelque sorte échouer et ceci est peu glorieux pour eux. »1 Le pouvoir dissuasif des conservatoires quant à l’accueil des adultes se situe au niveau du tarif et de la priorité donnée aux enfants. J’ai l’exemple d’un adulte qui attend depuis deux ans d’entrer dans ma classe de saxophone, celle-ci étant complète et les enfants nouvellement inscrits étant prioritaires (cf. ANNEXES p. 8). Peut-être craint-on qu’un adulte arrête au bout d’un an ou deux, mais n’est-ce pas le cas des enfants aussi ? En quoi le fait qu’un adulte, ayant pris la place d’un enfant et qui arrête au bout d’un an serait plus grave qu’un enfant ayant pris la place d’un adulte dans les mêmes conditions ? 1 Moyroud Anne-Sophie, L’adulte amateur débutant dans l’école de musique, CEFEDEM Rhône-Alpes, 2003, p. 8 29 Afin d’être équitable, je pense que la notion d’adulte devrait être revue et liée à une autonomie financière ou à l’âge de 25 ans ; qu’une augmentation tarifaire ne leur soit pas imputée, car leur coût pédagogique n’est pas plus élevé que celui d’un enfant ; enfin, qu’il n’y ait plus de notion de priorité entre adultes et enfants. Afin de répondre aux problèmes d’emploi du temps, il est possible de donner cours aux adultes une heure tous les quinze jours au lieu de la demi-heure hebdomadaire, ce qui leur laisse plus de temps de travail à la maison et leur permet de diminuer leurs déplacements. Cette expérience demande beaucoup d’énergie et de concentration pour l’élève et l’enseignant, mais peut s’avérer bénéfique. Dans le cadre d’un cursus réservé aux adultes, il faudrait revoir les modalités de l’évaluation qui validerait un acquis de connaissances ou un nombre d’années d’apprentissage, et ce en lien avec la formation musicale et les pratiques collectives. Après en avoir préalablement défini les « orientations et modalités » (pour reprendre les termes du Schéma d’orientation pédagogique), on pourrait alors imaginer la mise en place d’un cycle pour adultes sanctionné par un diplôme de pratique amateur (déjà existant pour le 3ème cycle). Il me semble que l’intégration d’adultes au sein d’un cursus ne peut se faire que s’il est adapté ; le conservatoire ne répondant pas à leurs attentes, les adultes trouveront d’autres moyens d’apprentissage, ce qui me paraît dommage pour un service public. « Il faut sans cesse concevoir et mettre en œuvre de nouveaux dispositifs, de nouveaux cursus, adaptés à chaque public, à chaque situation, à chaque problème à résoudre. Il faut élargir vers l’amont et vers l’aval le seul moment de l’enseignement pour connaître ce public, analyser cette situation, examiner ce problème. Il faut mettre en place des structures nouvelles, adopter un mode de fonctionnement différent, transformer les manières de faire. » 1 1 Malglaive Gérard, Enseigner à des adultes, Paris, PUF, 1990, 4ème édition, 2005, pp. 20-21 30 CONCLUSION L’apprentissage du saxophone chez les adultes débutants dans les Institutions Publiques est un phénomène nouveau et actuel. Il met en cause l’enseignement du saxophone, instrument aux multiples facettes de par son histoire et son utilisation, ainsi que la capacité des institutions à accueillir les adultes désirant débuter cet instrument. Le fait que le contenu de l’apprentissage pour les adultes débutants ne soit pas défini permet de nombreuses libertés, que ce soit pour les enseignants ou les élèves. De plus, cet apprentissage n’étant pas régi par les objectifs de fin de cycles, il en découle une plus grande souplesse, nécessaire à ce public. Cependant, mettre les adultes de côté parce qu’ils sont hors cadre ou hors cursus n’est pas une solution. Il faudrait les faire participer à la vie du conservatoire, en utilisant toutes leurs capacités, afin de pouvoir les intégrer. Même si les adultes, pour la plupart, ne viennent pas chercher un diplôme et ne sont pas sensibles au fait de passer des examens, il est possible de leur offrir un apprentissage musical complet avec des objectifs pédagogiques précis, nécessaires à leur évolution. Les recherches et entretiens que j’ai effectués pour la rédaction de ce mémoire m’ont permis de mieux appréhender ma relation aux adultes débutants, que ce soit humainement ou pédagogiquement. Le fait de mieux connaître leurs envies et leurs motivations me permet de leur proposer un enseignement mieux adapté. Mon mémoire étant fondé sur mon expérience personnelle, je pense qu’une recherche plus approfondie sur l’accueil des adultes débutants en saxophone ou au sein de diverses classes instrumentales de différents conservatoires permettrait une réflexion plus complète sur ce sujet. Les conservatoires n’ont pas été créés, historiquement, pour l’accueil des adultes débutants. L’ouverture vers la pratique amateur, leur devoir de démocratisation culturelle et l’accueil de différents publics amènent les conservatoires à devoir adapter leur fonctionnement. Que ce soit avec la création des classes de Jazz ou de Musiques Actuelles et la venue d’un public adolescent, ou la possibilité d’accueil des adultes débutants, je pense que l’apprentissage musical dans les Institutions Publiques est en mutation. 31 Il en est de même pour l’enseignement du saxophone. Son histoire étant liée à l’évolution des courants musicaux du 20ème siècle, je ne pense pas que son enseignement puisse être cantonné à une esthétique. Il faudrait décloisonner son apprentissage et enseigner réellement un instrument, et non une seule facette de cet instrument, quelle qu’elle soit, afin de permettre aux élèves adultes et enfants de pouvoir, le cas échéant et s’ils le désirent, faire leur choix. L’enseignement du saxophone, voire de la musique, étant en mutation, il appartient aux équipes pédagogiques de l’accompagner. Mais ceci serait certainement un autre travail à produire ultérieurement, qui pourrait s’inscrire dans la continuité des recherches que j’ai effectuées pour la rédaction de ce mémoire. 32 BIBLIOGRAPHIE BILLARD François et Yves, Histoires du saxophone, Castelnau-Le-Lez, Climats, 1995 CIORAN E.M., Syllogismes de l’amertume, Paris, Gallimard, 1952, 1ère édition, 1980 DONNAT Olivier, Les pratiques culturelles des français, (enquête 1997), Paris, Ministère de la culture et de la communication, Dag, Département des études et de la prospective, 1998 LEON, Antoine, Psychopédagogie des adultes, Paris, PUF, 1971 MALGLAIVE Gérard, Enseigner à des adultes, Paris, PUF, 1990, 4ème édition, 2005 MINISTERE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION, Charte de l’enseignement artistique spécialisé en danse, musique et théâtre, 2001 MINISTERE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION, Schéma d’orientation pédagogique de l’enseignement de la musique dans les conservatoires, document de travail, 2006 MOYROUD Anne-Sophie, L’adulte amateur débutant dans l’école de musique, CEFEDEM Rhône-Alpes, 2003 MUCCHIELLI Roger, Les méthodes actives dans la pédagogie des adultes, Issy-LesMoulineaux, ESF - Entreprise Moderne d’Edition et Libraires Techniques, 1972, 10ème édition, 2006 ZERMANI Andrea, Saxo, l’instrument mythique, Paris, Gründ, 2004 33 ANNEXES 34 OLIVIER DONNAT LES PRATIQUES CULTURELLES DES FRANÇAIS Les pratiques en amateur : Les pratiques musicales 35 36 37 38 LETTRES DE MOTIVATION D’ADULTES DEBUTANTS Au sein du conservatoire (CRC) dans lequel je travaille, il est demandé aux adultes débutants de fournir une lettre de motivation lors de leur première inscription, et même parfois lors des inscriptions suivantes. Ces lettres, qui me sont adressées, sont retranscrites dans leur intégralité. 39 LETTRE DE MOTIVATION DE CLAIRE, 37 ANS Inscription 2008 - 2009 « Apprendre à jouer du saxophone, c’est comme une plongée sous-marine : on s’immerge totalement et on laisse son corps stagner entre deux eaux au gré de l’onde. Un air de saxophone me porte en apesanteur : je suis désorientée, absorbée par la vague mélodieuse des notes. Je reste en apnée, à contempler la beauté du ballet aquatique, sa limpidité, ses reflets changeants, ses couleurs. Le silence de la mer m’envahit. En musique c’est pareil : J’admire la couleur musicale, les reflets, les silences, la fluidité du timbre du saxo. Nager c’est semblable au fait de jouer d’un instrument : Il faut allonger son corps, évacuer toutes les tensions, faire abstraction des carcans. On se laisse porter, on lâche prise. On se sent léger ! C’est une sensation de bien-être, d’harmonie et de relaxation totale ! Ces impressions, je les vis autant quand je nage qu’en jouant de mon instrument. Si le sens de ma métaphore t’échappe, je veux bien te l’expliquer. » 40 LETTRE DE MOTIVATION DE KARINE, 32 ANS « La musique me procure de la détente. Jouer du saxophone me permet de centraliser mon énergie, m’apporte du plaisir. Depuis mon enfance je baigne dans un univers musical et je souhaite le conserver en pratiquant un instrument et notamment du saxo. » LETTRE DE MOTIVATION DE VICTOR, 61 ANS Inscription 2008 - 2009 « En 1957, à l’âge de neuf ans, j’ai eu la possibilité de m’inscrire à l’école de musique et de commencer l’apprentissage du saxo. Un an plus tard, suite à un déménagement, je n’ai à mon grand regret pu poursuivre. Je me suis acheté, il y a une vingtaine d’années un saxophone, mais pris par mes obligations personnelles et familiales, je n’ai pas pu reprendre les cours pour jouer de cet instrument. Aujourd’hui, nouvellement retraité, j’aimerais mettre à profit le temps libre dont je dispose pour enfin réaliser mon rêve. » 41 LETTRES DE MOTIVATION DE GABRIEL N.B : Faute de place, je n’ai toujours pas pu accueillir cet élève Inscription 2008 - 2009 « Mesdames, Messieurs, C’est avec beaucoup de plaisir que je viens m’inscrire dans votre conservatoire pour pouvoir enfin apprendre à jouer du saxophone et apprendre le solfège. En effet, cela fait maintenant quelques années que je souhaite pouvoir réaliser ce projet qui me tient à cœur. J’ai pourtant acheté un saxophone pour espérer réussir à en jouer mais je n’arrive pas à progresser comme je le souhaite. J’espère vivement faire partie de vos élèves à partir de la rentrée prochaine. Veuillez agréer, Mesdames, Messieurs, mes salutations respectueuses. » Inscription 2009 - 2010 « Monsieur, Je viens par cette lettre vous demander votre inscription dans votre conservatoire. En effet, depuis de nombreuses années, j’ai toujours souhaité apprendre le solfège et à jouer du saxophone. Aujourd’hui, je possède mon instrument et il me tarde d’apprendre à m’en servir. Souhaitant faire partie de vos élèves à la rentrée, veuillez agréer, Monsieur, mes salutations respectueuses. » 42