01/09/13 - Ironman Challenge Vichy par Didier Grilo

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01/09/13 - Ironman Challenge Vichy par Didier Grilo
01/09/13 - Ironman Challenge Vichy par Didier Grilo
J’y vais, j’y vais pas, j’y vais, j’y vais pas…. oh et puis m..rde enfin, allez j’y vais. Je
m’affaire discrètement dans un box de l’openspace. Je dégaine la cb et le numéro de licence.
Quelques clicks adroitement placés, tout en surveillant du coin de l’œil, l’apparition de mon
collègue sur le projet. Les gestes sont précis, la détermination est montée subitement. Je jette
un dernier coup d’œil au formulaire d’inscription qui défile rapidement sur l’écran. Civilité,
Nom Adresse tout y est, celle sur le groupe sanguin m’interpelle toujours autant, surtout
couplée à celle qui la suit immédiatement, personne à prévenir en cas d’urgence. Je vérifie
froidement les données en évitant de penser aux situations qui leur donnent une raison d’être.
Voilà, je clique sur « confirmer », nous sommes le 12 Août 2013, je viens de valider mon
inscription au Challenge Vichy, qui aura lieu précisément, 19 jours plus tard.
Remember : Anything is Possible.
19 jours, cela laisse 2 semaines d’entrainement soutenu plus une semaine d’affutage. Bien sûr,
ce cycle d’entrainement ne constitue pas ma seule préparation un peu intense de l’année. Il y
aura eu quelques autres temps forts suivi de plages de récupération plus ou moins longues.
Stage à Girone, Time Megève, stage solo en Sicile, et enfin mythique semaine alpine avec les
futurs et ô combien admirables finishers d’Embrun 2013, gruppetto dont j’aurais tant aimé
être, mais il parait que c’était écrit dans les astres... Globalement, l’entrainement a été très
léger comparé à l’année précédente. J’étais ressorti de Nice amoindri physiquement et
mentalement fatigué. Les blessures qui avaient surgi pendant la préparation ne m’envoyaient
aucun signal positif en dépit du repos. Et dans ma tête, je ne cessais de ressasser cette course
en demi-teinte, à l’arrière-goût amer. Cinq mois de blues entre juillet et novembre. Le temps
de soigner mes blessures et de retrouver l’envie. Et le courage aussi, celui de regarder la
réalité en face, froide et implacable. A 33 ans, sans background sportif particulier, les
capacités acquises en 2 ans de triathlon se sont dissoutes dans l’inaction. La natation est
redevenue un calvaire, je suis épuisé au bout de 1000m. La course à pied est plus déprimante
encore. Pour rester en Z1, je suis condamné à alterner marche et course, à 8min30/km. Mais
au fond de moi, une petite flamme brille et réchauffe ma poitrine pendant ces footings d’hiver
où je me fais doubler par les retraités du Parc Monceau. Je le sais, ça va revenir, ça revient
toujours..
Ce mantra, je m’entends le scander : lâche rien, ça va revenir, ça revient toujours. Le
concurrent à qui je m’adresse est en perdition. Debout, les mains sur les cuisses et la tête en
poids mort au milieu des badauds qui le regardent, perplexes. J’aimerais m’arrêter lui
redonner un peu de mon énergie. Mais suis-je bien placé pour cela. J’en suis au 8eme km du
marathon. La course est encore loin d’être finie et même si les jambes répondent bien à cet
instant présent, qu’en sera-t’il dans 10, 20 ou 30km… Appliqué, je redirige mon regard loin
devant. Je suis sur ma première boucle, fin du round d’observation en somme. Intéressant
parallèle avec la boxe, où le round d’observation dure 3minutes. Sur ironman, ce round dure
le temps nécessaire à parcourir 3.8km de natation, 180km de vélo, et 10 à 20km de course à
pied. En effet, il n’y a qu’a partir de là que les choses sérieuses commencent. Autant éviter de
trop se fatiguer avant. Aussi incroyable que cela puisse paraitre, l’entraînement permet cela.
Aligner les kilomètres à vélo sans aller puiser dans les réserves, utiliser juste le filet de gaz
nécessaire à avancer et rester en mode ECO, comme ce petit bouton vert qui orne
l’électroménager ou le tableau de bord des voitures. Pour moi aujourd’hui, sur un parcours
particulièrement plat, le mode éco a fait défiler la distance à 32km/h de moyenne à 135bpm en
moyenne, 75% de mon max. Une moyenne qui ne reflète pas les coups de freins imposés par
les rafales de vent de face à 35km/h, ni les pics d’euphorie quand le vent s’est engouffré dans
les voiles. Mais vent ou pas, en bon soldat, je ne regarde que ma fréquence cardiaque et je
n’hésite pas à couper l’effort quand je sens la dérive à la hausse. Inlassablement, je dévore
mes barres énergétiques toutes les 20 min en alternance avec ma boisson isotonique homemade (un vrai bonheur a base de jus de citrons). Je réalise d’ailleurs à quel point ce type de
course est frustrant. Il serait bon de pouvoir s’enflammer dans la roue des concurrents du half
qui me dépassent en continu, comme Clément V. auteur d’une performance admirable (45e au
scratch), il serait bon en effet de pouvoir monter un peu sur les pédales et d’envoyer un peu
plus de watts, faire la course quoi, jouer à doubler sans se faire doubler. Jouer tout
simplement. Mais non. Sur ironman, on ne joue pas. D’ailleurs, on ne fait pas la course, on
fait sa course. Je mets donc de coté mon envie de taquiner de la pédale et je me reconcentre
sur l’objectif.
En parlant d’objectif, frustré de ne pas avoir couru à Nice, j’ai décidé que l’objectif à Vichy,
ce serait de courir et pas qu’un peu, de-ci de-là. Courir le marathon en 4h15n ça peut paraitre
risible comme ça mais, pour moi 3jours avant la course, c’est loin d’être si trivial. C’est
surtout le seul moyen d’effacer les 4h52 de Nice.. Du coup 4h15, ça me parait à la fois beau et
lointain, respectable sans être démesuré. Je peux le faire si et seulement si je sacrifie mon
plaisir de rouler vite et fort à vélo. Ma résolution tiendra tout du long sur les 180km du
parcours. Oublier le chrono sur le vélo, c’est à la course à pied qu’on gagne sa course.
Fin du round d’observation disais-je. La boucle de la course à pied est agréable, hormis cet
horrible escalier métallique dont la seule fonction semble être de déclencher des crampes. Il
s’agit essentiellement d’une ballade dans un grand parc de Vichy et de passages plus exposés
au vent sur les quais. La foule est nombreuse en ce dimanche d’été, bien souvent d’ailleurs
assez indifférente aux passages des galériens que nous sommes. Mais comment les en blâmer,
après tout personne ne nous oblige à nous infliger de tels traitements. Seuls certains enfants
sur le bord du parcours gardent une énergie et une innocence telles qu’ils encouragent
systématiquement les vaillants inconnus qu’ils croisent. D’autres se réservent pour leur papa,
et parfois même si c’est plus rare pour leur maman. Les bénévoles quant à eux sont
exemplaires. Aux petits soins pour les coureurs, ils sont bien organisés et rigoureux dans leur
distribution. (Juste quelques un, un peu maladroits dans leurs encouragements. exemple
« allez allez c’est bientôt fini : c’est votre dernier tour ? », « ah bah non il m’en reste encore
un et demi de tour, environ 15 bornes ma bonne dame.. »). Mais pour l’heure, j’attaque le
2ème tour avec sérénité, je me suis fait un compagnon de route, qui trottine derrière moi sans
discontinuer depuis quelques bornes. On court à la même allure ms il n’est pas à son vrai
niveau. Et même s’il a un tour d’avance sur moi, il n’en mène pas large. J’ai l’impression
d’être son remorqueur. On échange quelques mots, mais le souffle lui manque. Parfois je le
sème, mais il me rejoint à la faveur d’un de mes arrêts au ravitaillement. Je me sens pousser
des ailes à être le sparring partner d’un athlète bien meilleur. Il finira en 10h15, avec un
marathon juste sous les 4h, mais il aura payé cher son chrono velo (5h12).. Je me retrouve
tout seul pour aborder le 2è semi, là où tout peut basculer. Jusqu'à présent le plan se déroule
sans accroc. après avoir couru non stop pendant une petite heure, à 5min40 au km, je
commence à m’arrêter à chaque ravitaillement pour m’asperger d’eau et boire un coup. J’en
profite pour me masser les cuisses et les mollets avec les éponges, en espérant que cela
retardera l’arrivée des crampes. Je profite des nombreux ravitos pour mettre au point ma
recette du TUC plongé dans le coca, (attention tout est dans le temps de trempage !).
Problème, ma gourmandise et la crainte de la déshydratation me poussent à la pause à chaque
ravito, et même si je maitrise le temps que j’y passe, cela me coute bien 45sec tous les 3km.
Plus problématique encore, je prends trop de boisson. Résultat au 25e km les crampes
d’estomac deviennent insupportables. Les jambes, elles sont toujours au top, et déroulent leur
partition comme si de rien n’était. C’est le ventre qui tire le signal d’alarme le premier. Pas de
panique, j’essaie de maitriser la douleur avec la force de la volonté, pendant plusieurs km,
mais rien n’y fait. Je me résous à une courte pause sur un banc pour me masser le ventre. Un
ami vient à ma rencontre, je ne le connais pas mais c’est un inconnu qui me veut du bien. Il
n’a pas toute sa tête le pauvre. Mais dans l’océan d’indifférence dans lequel j’évolue, ses
questions mal articulées me touchent profondément. Il s’inquiète sincèrement de moi et de
mon état. Il me fait signe que la tente de la croix rouge est là juste à quelques pas et que sans
doute cela me ferait du bien. Je lui souris avec une reconnaissance infinie. Je sens combien
son intention vient du Cœur, je le remercie chaudement mais je dois retourner courir. Cette
courte pause ne m’aura fait aucun bien au ventre, pourtant je repars encore plus à bloc pour en
découdre avec la distance, et courir aussi pour ceux qui ne le peuvent pas ou qui ne le
peuvent plus. Néanmoins au 30è km, je m’arrête pour tenter évacuer cette douleur abdominale
abominable. Les minutes s’égrènent implacables dans la solitude de ces toilettes sèches et
spartiates. Je suis en proie au doute. Me suis-je arrêté juste pour saboter une course qui se
déroule parfaitement jusqu'à présent, ou bien est-ce juste un signe de lucidité que de s’arrêter
avant que les douleurs ne m’arrêtent. Il faut dire que le plaisir n’est plus du tout au rdv avec
ces sensations d’être transpercé par des lames de couteau. Et là tout bascule, mon système
digestif finit par m’exprimer sa gratitude, d’un coup de clairon, il me donne son aval pour le
« sprint » final. Le ventre récalcitrant ne sera plus un ennemi, il s’est rallié aux troupes
locomotrices pour achever cette bataille. Je sors de cette confrontation avec ma conscience
renforcé dans ma confiance. J’ai fait le bon choix, ce n’était pas un signe de faiblesse, c’était
simplement la meilleure décision. Rapide point route, je suis en retard pour l’objectif. Il
faudrait que je courre à 12km/h pour passer sous les 4h15. Impensable. Déjà, je repars, et en
avançant à 10,5km/h, j’ai l’impression de voler et je dois slalomer entre la foule des
concurrents qui marchent. Mais personne ne peut m’arrêter. En effet si l’objectif de 4h15 s’est
éloigné d’un coup, je peux encore passer sous les 11h30 au global. Je suis galvanisé. ET coup
sur coup je dépasse Cédric, ancien collègue mal en point, j’ai deux tours d’avance sur lui, je
ne le sais pas encore mais il est sur le point d’abandonner. Je croise également 3 stadistes
engagés sur le half-IM Brigitte, Hervé et Alex, ils m’encouragent et je relance. Avant de
démarrer mon dernier tour, je passe près de Philippe appuyé contre un arbre, toujours aussi
élégant même dans la souffrance, il me fait signe de poursuivre. Préoccupé, j’aperçois Pierre
qui me fait signe de ne pas m’inquiéter. Je ralentis pour échanger quelques mots avec lui.
Comme un entraineur de boxe face a son poulain un peu chancelant, il va droit au but, il me
dit de sauter les ravitaillements, qu’il y en a trop et que j’en ai pas besoin d’autant. Il me fait
sourire en me disant de courir comme si tout ça ce n’est qu’une grande séance de yoga en
mouvement. Je suis amusé intérieurement par son attention, il a donc tout compris à ma vision
du yoga. Mais dans les faits, je trouve ça plus drôle de lui dire que ça ne marche pas son truc
de yoga... Eclair de lucidité, je retiens son conseil de sauter un ravito sur deux. Et je me lance
à l’attaque du dernier tour. La 3ème boucle est passée, tant mieux psychologiquement, c’est la
plus difficile. Tout le reste n’est plus qu’une question d’envie de l’objectif, de mental et de
chrono. Je repars d’autant plus léger que les douleurs s’estompent progressivement, je suis
relâché dans ma foulée, je cours en mode éco, et je double même des joggeurs du dimanche
qui s’entrainent sur le bord du parcours. Bon point pour le moral, je suis loin d’être à l’agonie.
Je guette le fameux mur du 35e km des marathoniens mais au fond moi, je sens qu’il ne
viendra pas. 38è km, plus que 4,2km à parcourir, les jambes et le mental commencent à
réclamer plus de pauses que le chrono ne m’y autorise. J’ignore leurs revendications
syndicales, ces pauses me feraient sortir des 11h30. Impossible, je relance même la machine
pour inverser durablement le rapport de force. Soumises, et reconnaissantes que je leur aie
accordé pas mal d’avantages (massages, coca openbar) pendant les 30 premiers kilomètres,
elles finissent par s’aligner et soutenir la hausse de régime. Je suis en train de finir la dernière
boucle quasiment aussi fort que la première. Arrivé au 40è je réalise qu’il en reste 2,2, mais
plus d’inquiétude, il me reste 15 min pour l’objectif. Je réalise aussi la valeur de ces 200
derniers mètres qui sont à la fois interminables et délicieusement courts. Je foule enfin la
moquette rouge de la zone transition, dont je savoure tout le moelleux. Entouré par le public,
je demeure seul en moi-même, seul avec cette victoire. La concentration disparait, elle fait
place à la joie qui monte, puissante. J’entends à peine le speaker qui s’égosille, tant je savoure
l’instant, et je pénètre enfin dans l’arène qui sert d’écrin à la finish line.
Je souris, les bras se lèvent d’eux-mêmes. La ligne est passée et l’objectif est atteint. 4h25 au
marathon. 11h26 au total. Je suis très heureux. Merci.
PS : Si vous êtes tentés d’y participer, Challenge est au top en qualité d’organisation,
largement aussi bien, sinon mieux, qu’Ironman en France. Allez-y les yeux fermés. Le
parcours convient particulierement à ceux qui se lancent pour la 1ere fois sur la distance IM.
Tout est parfaitement organisé et de qualité. Le parcours est sympa et on ne s’ennuie pas sur
le vélo. Idem pour vos fans, les conditions sont idéales. et maintenant qu’il est placé fin Aout
debut septembre, fini le risque de canicule... enjoy !

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