Opéra théâtre de Metz métropole : spectacle Manuel de Falla

Transcription

Opéra théâtre de Metz métropole : spectacle Manuel de Falla
Opéra théâtre de Metz métropole : spectacle Manuel de Falla
1er et 2 juin 2013
Noches en los jardines de España – El amor brujo
Eléments de discographie
La discographie des œuvres de Manuel de Falla est très riche et ce, depuis l’époque du 78
tours. Elle a été investie aussi bien par des interprètes espagnols que par les grands noms de la
vie musicale internationale, pianistes, cantatrices, chefs d’orchestre.
Les deux œuvres au programme de cette soirée chorégraphique ont fait l’objet d’un couplage
exemplaire à l’époque du microsillon. Les Nuits dans les jardins d’Espagne étaient en effet
interprétées par le jeune Aldo Ciccolini, accompagné par l’Orchestre de la Société des
concerts du Conservatoire, sous la direction du compositeur espagnol Ernesto Halffter. Ce
dernier avait été très proche de Manuel de Falla et c’est à lui qu’incomba la tâche ingrate de
terminer l’opéra ou oratorio, laissé inachevé par son grand aîné, Atlantide. Quant à L’Amour
sorcier, il était dirigé par le grand chef espagnol Ataulfo Argenta, à la tête de la même
formation française, ancêtre de l’Orchestre de Paris, avec en soliste, sa compatriote, la mezzosoprano Anna-Maria Iriarte. On ne dira jamais assez à quel point la sonorité des orchestres
français, au début des années 1950, avec leurs bois et leurs cuivres si caractéristiques,
convenait à merveille aux couleurs souhaitées par le compositeur ibérique. Argenta fut un
chef de légende, l’égal du jeune Karajan ou de Guido Cantelli. Comme ce dernier, il disparut
tragiquement en janvier 1958, à l’âge de 44 ans, asphyxié dans sa propre maison par des
émanations d’oxyde de carbone. Il s’apprêtait à prendre la succession d’Ernest Ansermet à la
tête de l’Orchestre de la Suisse romande et devait enregistrer, pour Decca, les Quatre
Symphonies de Brahms, à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Vienne.
Ces deux gravures exemplaires datent du début des années 1950 et, bien que réalisées en
monophonie, leur son est encore remarquable pour nos oreilles de 2013. Rien d’étonnant
quand on sait que le producteur et ingénieur du son n’était autre qu’André Charlin, un des
pionniers en France de la Haute-Fidélité puis de la stéréophonie. Hélas, leur réédition en CD a
été très irrégulière. Les Nuits de Ciccolini sont insérées dans un gigantesque coffret EMI,
consacré au grand pianiste, qui comporte 56 CD. Quant à L’Amour sorcier par Argenta,
intégré naguère dans l’album Les introuvables de Manuel de Falla, toujours pour EMI, on
peut se le procurer en Espagne, notamment par Internet. Ces deux enregistrements de
référence pourraient constituer, à eux seuls, la totalité de la présente discographie s’ils étaient
couramment disponibles.
Faute de pouvoir se les procurer, on peut se tourner vers le report d’un concert donné à Paris,
avec l’Orchestre National de la Radiodiffusion française, le 21 février 1957, soit 11 mois, jour
pour jour, avant la disparition du grand chef espagnol. Argenta y dirige, conjointement,
L’Amour sorcier et Les Nuits dans les jardins d’Espagne. Le pianiste espagnol Gonzalo
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Soriano et, surtout, la toute jeune mezzo-soprano Teresa Berganza apportent, l’un et l’autre,
un concours de haut niveau à ce concert exceptionnel. Teresa Berganza, alors peu connue en
France, allait être révélée, l’été suivant, au festival d’Aix-en-Provence, dans le rôle de
Dorabella de Così fan tutte. L’édition en CD de ce concert a été réalisée en 2009 par le label
britannique Medici Arte, une filiale de la collection BBC Legends. Le son en est acceptable,
mais moins soigné que dans l’édition EMI, précédemment citée.
Plusieurs grands noms du piano ont eu à cœur d’enregistrer Les Nuits dans les jardins
d’Espagne. C’est le cas d’Arthur Rubinstein, qui connut personnellement Manuel de Falla ;
et, également, dans les années plus récentes, de Martha Argerich, accompagnée par
l’Orchestre de Paris dirigé par Daniel Barenboïm. Ces interprétations ne sont pas sans mérite
mais on aura une préférence pour la pianiste espagnole Alicia de Larocha, accompagnée par le
chef d’orchestre germano-espagnol Rafael Frühbek de Burgos. Cette grande artiste, peu
connue en France, traduit admirablement, par-delà l’hispanité, de l’œuvre, son héritage
debussyste (Decca). Cet enregistrement est disponible en série économique dans un double
album qui comprend également une belle version de L’Amour sorcier. Une autre référence
incontournable qui fit date dès sa parution : elle associe la grande Clara Haskil, quelques
semaines avant sa disparition en décembre 1960, et l’orchestre des Concerts Lamoureux
dirigé par l’immense chef, injustement oublié, Igor Markevitch. Ce dernier, à l’aise dans tous
les répertoires, de L’Offrande musicale à Tchaïkovski ou Offenbach, savait traduire, de façon
admirable, tous les ressorts de la musique espagnole. Il nous laissa d’ailleurs, quelques années
plus tard, une Anthologie de la Zarzuela exceptionnelle. Cette version fut d’abord publiée en
microsillon par Philips, couplée avec le Deuxième Concerto de Chopin. Désormais tombée
dans le domaine public, elle vient d’être rééditée, au format SACD et dans un son
remarquable, par le label tchèque Praga. Enfin, très récemment, pour l’éditeur britannique
Chandos, notre grand pianiste messin Jean-Efflam Bavouzet, nous a gratifiés d’une très belle
version de l’œuvre avec l’orchestre de la BBC, placé sous la direction de Junjo Mena : une
réalisation exemplaire, dotée d’une prise de son particulièrement soignée, à recommander très
chaleureusement.
L’Amour sorcier, surtout connu du grand public par la transcription pour piano de la Danse
rituelle du feu, pose le problème du choix de la cantatrice. Faut-il recruter une mezzo-soprano
d’opéra ou une chanteuse rompue aux traditions du « cante jundo » ou chant gitan ? La
plupart des chefs ont opté pour la première solution, avec des résultats inégaux et, disons-le
d’emblée, aucun n’atteint la perfection de l’ancienne gravure d’Ataulfo Agenta. Chez
Deutsche Grammophon, Lorin Maazel, à la tête d’un orchestre berlinois, nous a laissé une
version qui fit autorité en son temps, au début la stéréophonie, avec comme soliste, la grande
cantatrice Grace Bumbry. Le résultat n’est pas inintéressant, sans être exceptionnel. Il était
naturel que les grandes chanteuses espagnoles soient attirées par le chef-d’œuvre de Manuel
de Falla. Ainsi, Victoria de Los Angeles, avec le trop distingué Carlo Maria Giulini. Ce
disque nous transporte plus au sein d’une «tea party » que dans le quartier gitan de Grenade,
malgré la très grande classe de ces deux interprètes (EMI). Teresa Berganza, devenue à la fin
des années 1970 une grande Carmen, correspond davantage à l’image de la gitane mais elle
est accompagnée de façon assez moyenne par le chef d’orchestre espagnol Luis Garcia
Navarro (Deutsche Grammophon). On se dirigera, de préférence, vers la chanteuse de
flamenco Nati Mistral, accompagnée de façon exemplaire par Raphaël Frühbek de Burgos,
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dans ce double album Decca, déjà mentionné et qui comporte une des versions de référence
des Nuits dans les jardins d’Espagne.
Les multiples publications d’enregistrements d’œuvres de Manuel de Falla nous offrent donc
un choix à la fois vaste et difficile. On serait d’ailleurs injuste si on négligeait les récentes
parutions, chez Harmonia Mundi, de gravures réalisées par plusieurs ensembles ibériques
dirigés, notamment, par Josep Pons. Mais on restera fidèle, en priorité, à ces enregistrements
historiques des années 1950 qui n’ont pas été remplacés.
Jean-Pierre PISTER
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